CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’idée de s’interroger sur la place des auteures dans le « canon littéraire » n’est pas une idée nouvelle, tant s’en faut. Dans un ouvrage collectif paru en 1991, qui examinait la place des auteures femmes dans l’enseignement de la littérature française en France et aux États-Unis, les éditrices, Joan Dejean et Nancy K. Miller, soulignaient l’importance prise par cette question dans les réflexions sur la formation du canon, très développées à cette époque dans les universités d’Amérique du Nord [1]. Comme l’a écrit plus récemment une chercheuse canadienne : « le cas des œuvres de femmes [est] emblématique dans l’histoire de la formation du canon » [2].

2Il convient de préciser tout d’abord ce que l’on entend par « canon littéraire ». D’après les éditrices du volume cité, cette notion est apparue dans ce type d’emploi dans les années 1980 aux USA. Elles se demandaient alors si les réflexions sur la « formation du canon » n’étaient pas une mode intellectuelle passagère [3], tout particulièrement en Amérique du Nord (USA et Canada, où l’expression et la thématique sont récurrentes dans bon nombre d’études). En France, comme l’indiquent certains titres dans ce volume, la question était posée en termes différents : il s’agissait plutôt de s’interroger sur la place des auteurs dans l’« Histoire littéraire », une discipline véritablement née à la fin du xviiie siècle et qui a connu une expansion considérable de la fin du xixe siècle au 3e tiers du xxe siècle, pour être ensuite remise en cause, en tout cas sous sa forme devenue « traditionnelle » – « canonique », serait-on tenté de dire. Ceux que les auteurs des ouvrages d’histoire littéraire retiennent et mettent en avant pour l’édification de leurs lecteurs, et surtout pour la formation de la jeunesse, ce sont les « grands auteurs », les « classiques ». Beaucoup d’entre nous se souviennent du fameux manuel scolaire de Lagarde et Michard [4], qui a formé des générations de lycéens au xxe siècle, et dont les différents volumes – un pour le Moyen Âge et ensuite un par siècle – portaient comme sous-titre : « Les grands auteurs français du programme » – tout un programme, d’entrée de jeu… [5]

3L’histoire de ces notions d’« histoire littéraire », d’auteurs « classiques » ou de « grands auteurs », établies peu avant la Révolution et réaffirmées particulièrement dans les périodes de crise de la nation, a déjà été bien explorée ; elle est aussi retracée, à travers quelques-uns de ses jalons, dans la première section du volume cité, intitulée « Making Canons in France : Histories of the Classic [sic] » [6]. La perception de ce qu’est un « grand auteur », ou de ce qui fait d’un auteur ou d’une œuvre donnée un « classique » de la littérature française, a pu varier de façon assez considérable en quelques siècles, en particulier lorsqu’on s’intéresse à un domaine doublement marginal : et la littérature médiévale, et la littérature écrite par des femmes sont apparues longtemps comme un peu en marge, et ce jusqu’à nos jours, si l’on considère, comme je le ferai brièvement, la place qu’elles occupent dans les manuels d’enseignement de la littérature dans le second degré (collèges et lycées).

De la célébrité à l’anonymat (ou de la lumière à l’ombre) et vice-versa

4Les deux auteures auxquelles je m’intéresse ont connu la célébrité dès leur temps, et cette célébrité a duré au moins jusqu’au xive siècle pour la première, et assez avant dans le xvie siècle pour la seconde. Elles ont connu ensuite une certaine éclipse, avant de ressurgir au xixe siècle (ou même un peu avant pour Christine de Pizan, mais de façon plus confidentielle). Je commencerai par retracer les grandes lignes de ces fluctuations en m’appuyant sur quelques jalons.

Marie de France [7]

5Célèbre dès son époque (la fin du xiie siècle), elle le reste encore aux xiiie et xive siècles, si l’on en croit le nombre de manuscrits conservés. Témoignage assez rare pour cette période ancienne de notre littérature, un jugement d’un clerc presque contemporain atteste sa notoriété dès la fin du xiie siècle, écrivant à propos de ses Lais, cités parmi d’autres œuvres de fiction jugées immorales par l’auteur [8] :

6

[…] E dame Marie autresi,
Ki en rime fist e basti
E compassa les vers de lais,
Ki ne sunt pas del tut verais ;
E si en est ele mult loee
Et la rime par tut amee,
Kar mult l’aiment, si l’unt mult cher
Cunte, barun e chivaler ;
E si en aiment mult l’escrit,
E lire le funt, si unt delit,
E si les funt sovent retreire.
Les lais solent as dames pleire,
Qu’il sunt sulum lur volenté […]
        
[…] Et aussi dame Marie, qui mit en rime et composa les vers de lais qui ne sont pas conformes à la vérité ; et pourtant cette œuvre lui vaut beaucoup de louanges, ses vers sont partout aimés ; comtes, barons et chevaliers l’aiment beaucoup et l’apprécient beaucoup ; ils aiment beaucoup le texte, ils le font lire et y prennent plaisir, et ils se les font souvent raconter. Les lais plaisent habituellement aux dames, car ils sont selon leur volonté […].

7Le souvenir de Marie s’efface ensuite. Elle est citée par Claude Fauchet dans son Recueil de l’origine de la langue et poésie française (1581) au xvie siècle, mais la Marie qu’il connaît est l’auteure des Fables. Ses Lais sont redécouverts au xixe siècle (la première édition date de 1820), et seront plusieurs fois réédités et traduits en français moderne [9]. Leur succès ne s’est pas démenti depuis.

8Mais les jugements sur la qualité de son œuvre ont considérablement évolué. Elle est connue, mais considérée comme un auteur mineur au xixe siècle, comme en témoigne ce jugement du grand médiéviste que fut Joseph Bédier (qui reprend pourtant l’un de ses lais, le très beau Lai du Chèvrefeuille, dans son adaptation moderne de l’histoire de Tristan et Iseut, l’œuvre qui le rendit célèbre auprès du grand public) : « Sa valeur poétique est médiocre […], [elle a de la] sécheresse d’imagination […], elle s’arrête au seuil de l’art » [10]. Celui qui est souvent considéré comme le « père » de l’histoire littéraire, Gustave Lanson, lui donne une certaine place dans son Histoire de la littérature française (1894), dans le chapitre consacré aux Romans bretons ; après avoir évoqué plusieurs de ses lais et commenté brièvement le Laostic et le Chèvrefeuille (dont il cite les deux vers les plus célèbres), il conclut : « Ce sont là quelques-uns des lais que nous dit Marie de France, de sa voix grêle, si simplement, si placidement, qu’on peut se demander si elle se doutait de l’originale impression qu’elle nous fait ressentir » [11].

9On trouve un jugement assez condescendant au milieu du xxe siècle dans le manuel déjà cité de Lagarde et Michard, qui consacre trois pages, avec un extrait du « lai du Laostic », à Marie de France, « notre première femme poète » [12] :

10

La peinture nuancée de l’amour est vraiment la grande originalité de cet auteur. Ce n’est pas encore l’amour « courtois » codifié par les amoureux transis de la poésie provençale […]. C’est la peinture très délicate, très féminine, de sentiments tendres, d’une émotion voilée et doucement mélancolique. Dans ces lais, la femme est une créature aimante et fidèle, prête à se sacrifier pour le bonheur de l’être aimé […]. Marie de France n’a ni l’aisance d’un conteur comme Chrétien de Troyes, ni la subtilité psychologique de Thomas. Ses récits sont parfois grêles, d’une précision un peu sèche ; mais la composition en est habituellement claire et bien agencée, et sa gaucherie naïve ne manque pas de grâce.

11Aujourd’hui, la critique universitaire évalue tout différemment l’œuvre de Marie de France, en particulier ses Lais, considérés comme une œuvre majeure de la littérature médiévale, qui a fait l’objet d’un grand nombre d’études. Voici par exemple ce qu’en dit le grand médiéviste américain Howard Bloch dans un ouvrage publié en 2003 [13] :

12

A complex figure that is just the opposite of the simple, natural, spontaneous, and moderate image that has flourished since the eighteenth century. More complicated than Chrétien de Troyes who is all romance, or the Tristan poets Thomas and Béroul […], she is not a simple girl. On the contrary, the range of her languages and works along with consciousness of the literary enterprise makes for a very complex case, which is why […] she appeals so insistently to our own sensibility and why in the end she elicits […] such a plethora of contemporary approaches. Marie’s sophistication can be seen in the variety of critical languages we have used to understand her […]. The range of disciplinary approaches pertinent to the reading of Marie – philology and textual studies, structuralism and deconstruction, psychoanalysis, anthropology, sociology, feminism, New Historicism and post-colonialism – bear witness to the complexity of her creation.

Christine de Pizan (1365-1431 ?)

13Plus encore sans doute que Marie de France, Christine de Pizan a connu elle aussi une grande notoriété de son vivant – elle y fait elle-même allusion en 1405 dans la partie autobiographique de son Advision (La Vision de Christine) [14] – et cette notoriété durera jusqu’au milieu du xvie siècle. Charity Cannon Willard a bien reconstitué, dans son livre sur Christine de Pizan, les différentes étapes de sa célébrité [15] : dès le xve siècle, à la Cour de Bourgogne notamment, puis à Paris dans la deuxième moitié du siècle ; en Angleterre, où certains de ses livres sont très tôt traduits par Caxton (en commençant par ses Proverbes moraux) ; et dans différentes cours européennes, où des grandes dames possèdent des exemplaires de son Livre des Trois Vertus. L’Epistre Othea (1399), l’une de ses premières œuvres, et le Livre des Fais d’Armes et de Chevalerie (1410), l’une des dernières, ont été plusieurs fois édités au cours du xvie siècle (surtout dans la première moitié). Christine est citée avec admiration par plusieurs auteurs renommés. Citons d’abord Eustache Deschamps, qui lui adresse en 1403 une ballade très élogieuse en réponse à celle qu’elle lui avait envoyée [16] :

14

Muse eloquent entre les. IX., Christine,
Nompareille que je saiche au jour d’ui,
En sens acquis et en toute dotrine
Tu as de Dieu science et non d’autruy ;
Tes epistres et livres, que je luy
En pluseurs lieux, de grant philosophie
Et ce que tu m’as escript une fie
Me font certain de la grant habondanse
De ton sçavoir qui tousjours monteplie,
Seule en tes faiz ou royaume de France. [refrain de la ballade]

15Quelques années seulement après sa mort, Martin Le Franc lui consacre une place notable dans son Champion des Dames (1440-1442). En voici un bref extrait [17] :

16

Aux estrangiers povons la feste
Faire de la vaillant Cristine
Dont la vertu est manifeste
En lettre et en langue latine.
Et ne devons pas soubs courtine
Mettre ses euvres et ses dis
Affin que se mort encourtine
Le corps, son nom dure toudis.

17Enfin, en 1527, Clément Marot la célèbre encore dans ces vers [18] :

18

D’avoir le prix en science et doctrine
Bien merita de Pisan la Cristine
Durant ses jours ; mais ta Plume dorée
D’elle seroit à présent adorée
S’elle vivoit par volunté divine.

19Christine n’est presque plus mentionnée ensuite avant la fin du xviiie siècle, lorsqu’elle est citée assez rapidement dans l’ouvrage de Mademoiselle de Keralio, une sorte d’histoire littéraire féministe avant la lettre, la Collection des meilleurs ouvrages françois, composés par des femmes, dédiée aux femmes françoises parue en 1786-1787 [19]. Sa redécouverte commence vraiment avec le livre de Raimond Thomassy paru en 1838, Essai sur les écrits politiques de Christine de Pisan[20], auquel Gustave Lanson fait référence dans son Histoire de la littérature française.

20De ce dernier, on a souvent cité le commentaire méprisant et chargé d’une bonne dose de misogynie reproduit ci-dessous. On n’en cite généralement que le début, mais la suite, plus élogieuse, s’inscrit dans le courant de patriotisme vibrant de l’entre-deux-guerres [21] :

21

Ne nous arrêtons pas à l’excellente Christine de Pisan, bonne fille, bonne épouse, bonne mère, du reste un des plus authentiques bas bleus de notre littérature, la première de cette insupportable lignée de femmes auteurs, à qui nul ouvrage sur aucun sujet ne coûte, et qui pendant toute la vie que Dieu leur prête n’ont affaire que de multiplier les preuves de leur infatigable facilité, égale à leur universelle médiocrité. Il faut l’estimer, étant Italienne, d’avoir eu le cœur français, et d’avoir rendu un dévouement sincère et désintéressé aux rois et au pays dont longtemps les bienfaits l’avaient nourrie ; le cas n’est pas si fréquent. Elle y a gagné du reste d’avoir écrit dans de beaux élans d’affection émue cinq ou six strophes ou pages qui méritent de vivre [une note en bas de page fait référence à son Dittié de Jeanne d’Arc et à son Livre de la Vision]. Cette Italienne qui sait le latin a quelque souci de la phrase, et quelque sentiment des beaux développements largement étoffés.

22Il faut souligner cependant que même s’il lui accorde un crédit limité, Lanson fait à notre auteure une place non négligeable, puisque dans l’édition illustrée de son Histoire, le chapitre sur le xve siècle s’ouvre avec une reproduction d’une miniature de la Cité des Dames en frontispice, avec une légende explicative ; deux notes de bas de page contiennent de plus quelques éléments biographiques et bibliographiques ; il renvoie enfin au livre de Thomassy [22].

23La fin du xixe siècle voit paraître plusieurs éditions d’œuvres de Christine de Pizan [23]. Mais comme on l’a vu, elle est encore peu considérée dans l’histoire littéraire officielle. En réponse à Lanson, plusieurs thèses d’inspiration féministe sont composées au début du xxe siècle (entre 1909 et 1929), la plus importante étant la biographie de Marie-Josèphe Pinet [24].

24Les choses commencent à changer avec l’important chapitre de l’Histoire littéraire de la France que lui consacre Suzanne Solente en 1969 [25]. Cette dernière répertorie pour la première fois toutes les œuvres de Christine de Pizan, donnant enfin une idée de l’ampleur de l’ensemble.

25La réhabilitation complète de notre auteure s’amorce. Dans les ouvrages plus spécialisés, destinés à l’enseignement supérieur, Christine fait désormais partie des « grands auteurs », depuis celui de Daniel Poirion paru en 1971, qui la fait figurer dans la partie intitulée « Les grands créateurs », où pour la période 1300-1480 on trouve Guillaume de Machaut, Jean Froissart, Christine de Pizan, Charles d’Orléans, François Villon et Philippe de Commynes. S’il lui reconnaît des défauts, il affirme sans détour son statut d’auteur « au sens classique du terme » et dénonce la « misogynie universitaire » de Lanson [26] :

26

Au total cette œuvre comporte les éléments d’une vaste synthèse idéologique. Mais il a manqué à cette femme, qui sans doute écrivait trop vite, la patience d’élaborer un chef-d’œuvre analogue à celui de Dante […]. Pourtant il y a une unité, derrière cette diversité, et une qualité, sous cette quantité. Cette unité est celle de sa personnalité. Pour la première fois en France, nous ne pouvons pas séparer l’étude de l’œuvre et celle de l’écrivain. Voilà, au sens classique du terme, notre premier auteur, et cet auteur est une femme. Et parce qu’elle est femme, elle évite bien des défauts, depuis ceux que Pascal dénoncera chez l’auteur professionnel, par contraste avec les qualités humaines, jusqu’au pédantisme féminin qui irrite Lanson, mais injustement, car celui-ci est trop pénétré de misogynie universitaire.

27Vient ensuite la gloire, dans le monde savant tout au moins : la place des « études christiniennes » dans la recherche contemporaine (depuis les années 1980) est considérable. On peut en avoir une idée en consultant la bibliographie établie par Angus Kennedy en 1984 ainsi que ses deux Suppléments, parus en 1994 et 2004 [27]. De très nombreuses publications ont vu le jour ces dernières années, notamment en France et aux États-Unis. Dans un numéro spécial de la revue de la Société des médiévistes français, Perspectives médiévales, paru en 2005 et intitulé Trente ans de recherches en langues et en littératures médiévales, toute une section est consacrée à Christine de Pizan (« État présent des travaux consacrés à Christine de Pizan ») : Liliane Dulac y indique que « le développement des études christiniennes depuis trente ans s’est traduit par un accroissement extraordinairement rapide du nombre de publications », notant que la bibliographie d’A. Kennedy comportait 502 entrées en 1984 (pour la période du début du xviiie siècle à 1981) ; le supplément I en ajoute 390 entre 1981 et 1991 ; pour la décennie allant jusqu’en 2002, on passe à plus de 1 200… [28] Mais cet intérêt de la critique universitaire ne s’accompagne pas nécessairement d’une reconnaissance unanime de l’auteure et de son intégration dans le canon des grands auteurs.

Marie de France et Christine de Pizan sont-elles aujourd’hui considérées comme des « grands auteurs » de la littérature française ?

28Si la réponse est évidemment oui pour certains universitaires, quelle en est la perception commune ? Quels sont les indices de la « canonisation » ? Nous en envisagerons plusieurs :

Les « histoires littéraires »

29De Gustave Lanson à nos jours, le parcours que nous avons retracé indique manifestement une nette progression de la place prise par ces deux auteures, même si l’on constate des disparités. Nous y reviendrons plus loin.

Leur place dans l’institution : la consécration par l’agrégation de Lettres

30Comme le rappelle Alain Viala dans un article sur « L’agrégation littéraire », ce concours prestigieux de recrutement des enseignants de Lettres, qui met chaque année au programme une œuvre de la littérature française pour chaque siècle, et une pour la période médiévale, « a un rôle important dans la définition du canon littéraire français, c’est-à-dire à la fois dans la légitimation d’un corpus et dans la promotion de certaines règles d’interprétation » [29].

31Hélène Mathieu et Anne-Marie Thiesse l’avaient bien montré dans un article déjà ancien au titre significatif : « Déclin de l’âge classique et naissance des classiques : l’évolution des programmes littéraires de l’agrégation depuis 1890 » [30]. Elles analysent systématiquement cette évolution, courbes statistiques à l’appui, de 1890 à 1914, puis font un tableau comparatif concernant les années 1956-1980 (les vingt dernières années à la date de cette étude). Mais fait notable, elles ont malheureusement laissé de côté les auteurs médiévaux, d’ailleurs presque totalement absents dans les programmes anciens et dont le rôle est resté « relativement secondaire » (sic !) dans les programmes jusqu’en 1980. Les choses ont peu changé jusqu’en 2015 [31]. Il faut noter aussi qu’Hélène Mathieu et Anne-Marie Thiesse n’ont retenu que les « auteurs » : or les œuvres médiévales sont bien souvent anonymes, et rentraient donc difficilement dans la grille choisie. Cette excellente étude reste donc très utile de façon générale pour la question qui nous intéresse ici, celle de la constitution du « canon », mais pas pour le domaine précis auquel je me suis intéressée. Une étude statistique – ou un simple relevé – serait à faire pour l’auteur ou l’œuvre médiévale. Pour « mes » auteures féminines, ce fut vite fait : les Lais de Marie de France avaient été deux fois au programme de l’agrégation de Lettres dans les années récentes (en 1979 et en 1995), et l’ont été à nouveau en 2019 ; pour Christine de Pizan, cela n’était jamais arrivé avant 2017 – mais c’était sans doute en partie lié à des problèmes d’édition, celles de ses œuvres qui pourraient faire l’objet d’une étude dans ce cadre n’étant pour la plupart pas disponibles dans des éditions modernes et facilement accessibles [32]. La mise au programme en 2017 du Livre du duc des vrais amants (1403‑1405), tout récemment édité par Dominique Demartini et Didier Lechat [33], a constitué une véritable petite révolution.

32Les Lais de Marie de France sont donc dorénavant considérés comme un « grand texte » – même s’il s’agit d’un genre mineur. Malgré l’exception qui vient d’être signalée, ce n’est pas encore vraiment le cas pour aucune des œuvres de Christine de Pizan.

Leur place dans l’enseignement universitaire

33Je n’ai pas fait de recherches statistiques en ce domaine, mais à l’évidence les Lais figurent fréquemment dans les programmes des licences de Lettres des universités françaises, notamment dans les cours d’initiation à l’ancien français. Il n’en va pas de même pour les œuvres de Christine de Pizan. En ce qui la concerne, on peut relever un paradoxe : pour les chercheuses et chercheurs de langue anglaise (américains en particulier, mais pas seulement), la « canonisation » de Christine de Pizan ne fait aucun doute. Voici par exemple ce qu’écrivait Rosalind Brown-Grant dans l’introduction d’un livre paru en 1999 [34] :

34

Despite the best efforts of some nineteenth century scholars to dismiss her as a tedious blue-stocking [Lanson, encore !], Christine’s place in the history of French medieval literature, alongside Chrétien de Troyes, Guillaume de Machaut and Jean Froissart, now seems to be fully secure…

35Je ne serais pas aussi affirmative en ce qui concerne sa place dans les universités françaises. Il y règne une grande liberté dans l’établissement des programmes, laissé à l’initiative des enseignant.e.s spécialistes de la discipline. Mais à la différence des universités américaines, où se sont multipliées les Womens’Studies puis les Gender Studies, les universités françaises sont restées encore assez peu perméables à la problématique du genre. On n’y constate donc pas du tout le même engouement pour Christine de Pizan, présente dans les programmes en fonction des intérêts des enseignant.e.s chercheur.e.s [35] – mais je ne pense pas qu’elle soit considérée par la majorité de mes collègues, surtout les non-médiévistes, comme l’un des « grands auteurs » de la littérature française.

36L’un des principaux obstacles pour l’étude de ses textes, comme je l’ai souligné plus haut, est le manque d’éditions facilement accessibles, jusqu’à une date assez récente (mais c’est en train de changer). Un bon nombre d’œuvres de Christine de Pizan sont disponibles dans des traductions en langue anglaise, ce qui n’est pas encore le cas pour le français. L’étude de ses œuvres dans la langue originale (ce qui est malgré tout souhaitable, mais de moins en moins possible pour un public plus large) ne peut donc se faire que dans des cours spécialisés.

Les manuels scolaires

37Nos deux auteures y ont une place qui demeure marginale – avec une différence importante entre les deux – mais qui peut être néanmoins très variable selon les manuels. Je me suis livrée à une petite enquête dans les manuels d’enseignement du second degré, pour les classes de 5e (au collège), où la littérature médiévale fait partie du programme officiel (théoriquement du moins), et surtout pour les classes de 1re. J’en ai tiré quelques éléments de conclusion [36].

38Le programme d’œuvres médiévales proposé aux classes de 5e (mais le choix est laissé à la discrétion des professeurs) comporte essentiellement des romans de chevalerie (Chrétien de Troyes), des fabliaux, des extraits du Roman de Renart, la farce de Maître Pathelin, etc. Dans les plus récents, qui se fondent sur le nouveau programme mis en œuvre à partir de 2010 [37], les extraits sont regroupés en « séquences » plus ou moins thématiques. On y trouve divers extraits de textes médiévaux, parfois moins connus que ceux précédemment cités. Dans l’un d’eux (le Manuel unique. Jardin des Lettres, paru chez Magnard) on trouve un extrait du lai de Lanval de Marie de France, mais présenté de façon très rapide et uniquement pour servir de point de départ à une question de langue.

39Quant aux manuels destinés aux classes de Première, il en existe deux sortes :

40

  • des manuels organisés de façon chronologique, composés pour la plupart dans les années 1980-1990 [38]. La place des œuvres médiévales y est très variable selon les auteurs des manuels. Certains ouvrages – ceux parus chez Nathan ou chez Magnard – leur font une place assez conséquente, et l’on y trouve quelques extraits de Marie de France et de Christine de Pizan [39]. Bien qu’ayant été réalisés avant le « nouveau programme », des manuels de ce type continuent (fort heureusement, en ce qui concerne la littérature médiévale) à être présentés dans les librairies scolaires (et vendus, selon ce dont on m’a assuré chez un grand libraire parisien bien connu dans ce secteur, certains professeurs continuant à les utiliser).
  • des manuels de type « livre unique », organisés conformément au nouveau programme de 2010. On y trouve assez fréquemment des poèmes de Christine de Pizan – ce qui est d’autant plus notable que ce nouveau programme fait une place très réduite à la littérature médiévale. En effet, il propose une liste d’« objets d’étude » dont les intitulés même excluent la période médiévale, à l’exception de celui qui porte sur l’écriture poétique, où figure la mention « du Moyen Âge à nos jours » [40]. Un tel découpage condamne la littérature médiévale à ne pouvoir entrer que dans la rubrique « poésie », ce qui limite singulièrement le champ.

41Pour la question qui m’intéresse, le constat est donc mitigé : certes, la place de Christine de Pizan semble désormais admise parmi les « grands poètes », mais de façon très limitée, et ce type de classement exclut la plus grande partie de son œuvre qui est, comme je l’ai déjà souligné, difficile à faire entrer dans des classements fondés en grande partie sur des critères génériques [41] ; il exclut de même, sous cette forme, l’œuvre de Marie de France (dont les Lais cependant, à la différence des principales œuvres de Christine de Pizan, peuvent aisément être rangés dans la catégorie générique des « genres narratifs brefs », qui n’a pas été prise en compte dans ce programme). On notera cependant qu’à côté du programme ainsi défini, chaque professeur est libre d’organiser des « séquences » thématiques comportant des études d’œuvres complètes et des groupements d’extraits d’œuvres de son choix.

Réviser le canon : avancées et problèmes

42Je voudrais proposer pour finir quelques éléments de réflexion pour tenter de répondre à l’une des questions posées par les organisateurs du colloque pour lequel cette étude a été rédigée : « Peut-on envisager des histoires alternatives aussi bien que des canons littéraires alternatifs ? »

43Il y a un grand écart entre les histoires de la littérature française destinées à un public universitaire et/ou au grand public cultivé et la plupart des manuels scolaires, les premières s’efforçant de faire bouger les lignes, tant dans le découpage chronologique que dans le classement des formes, en particulier en s’efforçant de ne pas se limiter aux définitions « classiques » des genres. On peut citer l’exemple déjà ancien du Précis de littérature française du Moyen Âge dirigé par Daniel Poirion en 1982 [42]. Dans un ouvrage récent, paru en 2007, le texte de présentation en quatrième de couverture pose directement cette question du dépassement du canon [43] :

44

Les histoires de la littérature française ne manquent pas. Elles ont en commun de retracer l’émergence, plus ou moins téléologique, du canon d’aujourd’hui, des grands classiques qui longtemps définirent la culture de l’honnête homme, comme si, dès leur publication, critiques et lecteurs avaient salué le génie de ces écrits. Cette « Littérature française » entend justement répondre, contre tout anachronisme, à la question : que fut, à chaque grand âge de l’histoire culturelle de la France, la « littérature » pour les contemporains ?

45Il s’agirait donc de substituer – ou de superposer – à l’histoire littéraire au sens traditionnel du terme une forme d’« histoire culturelle ». Il convient d’abord de se garder des mécanismes de reproduction qui interviennent nécessairement dans un ouvrage de ce type, si l’on n’y prend pas garde. Ainsi que le rappelle Jean-Yves Tadié dans son « Avant-propos », « comme on n’est jamais le premier à écrire un manuel, on écrit de seconde ou troisième main, on hérite et emprunte des catégories déjà définies […]. La “seconde main” empoisonne l’histoire littéraire ». Il propose donc d’essayer de dépasser ce conformisme paresseux, en s’efforçant d’imaginer les questions que se poserait « un jeune historien à l’esprit encore vierge » [44]. Dans ce récent ouvrage d’histoire de la littérature française, tout comme dans l’Histoire de la France littéraire parue à une date très proche [45], des « histoires littéraires » qui en refusent le nom et qui s’efforcent d’en dépasser les limites, est à l’œuvre tout un travail de réflexion et une manière de remise en cause du « canon », dont on peut observer les effets en parcourant le détail des chapitres. Mes deux auteures, par exemple, y sont en bonne place. Mais c’est aussi que les auteur.e.s des parties « Moyen Âge » sont des médiévistes bien au fait des récents développements de la recherche. L’une des richesses de ces ouvrages – et c’était déjà le cas pour le Précis de Daniel Poirion – est qu’il s’agit d’ouvrages collectifs, auxquels ont contribué plusieurs chercheuses et chercheurs.

46L’accent doit être mis aussi sur la formation des enseignant.e.s. Je rappellerai pour mémoire le cas de l’agrégation : Marie de France est définitivement « canonisée », Christine de Pizan est peut-être en voie de l’être ? Il en va de même pour les enseignements dispensés dans les universités. Les effets peuvent s’en faire sentir à plus ou moins court terme dans les enseignements que dispenseront les futur.e.s professeur.e.s du secondaire (on peut le constater en voyant la place qui est déjà faite aux Lais de Marie de France dans les nouveaux manuels scolaires).

47Enfin, pour la France comme pour d’autres pays où l’on enseigne la littérature française (nous avons mentionné plus haut les exemples du Canada et des États-Unis), il faut rappeler l’importance du travail d’édition des textes. Le cas de mes deux auteures est particulièrement révélateur : un important travail d’édition a été fait très tôt pour les Lais de Marie de France, de même que des traductions en langue moderne et des éditions bilingues (pour l’université). Pour l’œuvre de Christine de Pizan, beaucoup reste à faire, et plusieurs d’entre nous s’y emploient [46].

48Du côté, sinon du grand public, du moins d’un public plus large, un travail de diffusion des connaissances est à faire, et il est déjà en cours sous des formes diverses. En ce qui concerne les auteures féminines, longtemps négligées, on mentionnera deux entreprises récentes : le Dictionnaire en ligne de la SIEFAR (Société Internationale pour l’Étude des Femmes d’Ancien Régime), en cours de rédaction depuis de nombreuses années, qui ne cesse de s’accroître et d’élargir son public (les gestionnaires du site signalent périodiquement un assez grand nombre de visites) ; et plus récemment encore, le Dictionnaire universel des créatrices, paru aux éditions des femmes à la fin de l’année 2013 [47].

49Cette question du « canon littéraire » – qu’on le désigne ainsi ou non – et de la place qu’y occupent, ou non, certain.e.s auteur.e.s ou certaines formes littéraires, n’est donc pas une problématique dépassée, comme le suggéraient les auteures de Displacements. Les deux exemples que j’ai envisagés montrent à quel point il est important de la prendre en compte pour se garder de reproduire, dans nos enseignements et dans nos lectures, des schémas et des grilles de lecture somme toute assez récents, forgés dans des contextes historiques et sociaux précis. Marie de France et, surtout, Christine de Pizan méritent mieux que les jugements expéditifs des Lanson et autres Lagarde et Michard ! On peut dépasser ces stéréotypes, cela a déjà largement été fait, et c’est d’abord aux spécialistes de la littérature et aux enseignant.e.s que nous sommes qu’il revient de s’y employer.

Notes

  • [1]
    Displacements. Women, Tradition, Literatures in French, éd. Joan DeJean et Nancy K. Miller, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1991. Voir notamment dans la première partie, « Making Canons in France : Histories of the Classic », les articles de Joan DeJean, « Classical Reeducation : Decanonizing the Feminine », p. 22-36 ; et la traduction en anglais d’un article d’Anne-Marie Thiesse et Hélène Mathieu, « The Decline of the Classical Age and the Birth of the Classics », p. 74-96 (pour la version française, voir plus loin, note 30) ; dans la deuxième partie, « Canons and Contexts : Production, Reception, Revision », les articles de Stephen G. Nichols, « Medieval Women and the Politics of Poetry », p. 99-125, et de Maureen Quilligan, « The Allegory of Female Authority : Christine de Pizan and Canon Formation », p. 126-143.
  • [2]
    Rachel Sauvé, « Canon littéraire et enseignement de la littérature française au Canada anglais : l’exemple des femmes auteurs », The Canadian Journal of Higher Education/La revue canadienne d’enseignement supérieur, 31.3, 2001, p. 1-22 (cit. p. 1), en ligne : http://ojs.library.ubc.ca/index.php/cjhe/article/view/183398.
  • [3]
    « a passing intellectual fad » (Joan DeJean et Nancy K. Miller, Displacements, op. cit., p. i : c’est la première ligne de la préface). Elles considèrent comme « moment inaugural » un numéro de la revue Critical Inquiry de 1983 intitulé Canons (op. cit., p. vii).
  • [4]
    André Lagarde et Laurent Michard, Moyen Âge. Les grands auteurs français du programme, t. I, Paris, Bordas (pour la période qui nous intéresse ; tous les volumes portent le même sous-titre) ; édité à partir de 1948, réimprimé encore en 2008 et toujours disponible dans les librairies scolaires.
  • [5]
    Le programme d’enseignement des lycées et collèges a beaucoup changé, mais les termes restent : dans le « nouveau programme » paru au B.O. (le Bulletin Officiel du Ministère de l’Éducation Nationale) le 30 septembre 2010, après la liste des objectifs à atteindre, l’expression figure encore, sous une autre forme : « Ces finalités sont atteintes grâce à une progression méthodique qui prend appui principalement sur la lecture et l’étude de textes majeurs de notre patrimoine » [je souligne].
  • [6]
    Voir en particulier l’article cité de Joan De Jean et celui d’Anne-Marie Thiesse et Hélène Mathieu.
  • [7]
    Son identité n’est pas connue, on n’a pu faire que des hypothèses dont aucune n’est entièrement probante ; on sait seulement qu’elle vivait sans doute en Angleterre et que le roi à qui elle dédie son recueil de Lais est très probablement Henri II Plantagenêt (roi d’Angleterre entre 1154 et 1189). On lui attribue trois œuvres : les Lais, composés entre 1160 et 1180 ; un recueil de Fables, vers 1180, et L’Espurgatoire Seint Patriz, après 1189 ; toutes trois sont signées de son nom, « Marie », et elle ajoute dans l’épilogue des Fables « si sui de France », d’où le nom de « Marie de France » qui lui a été donné par Claude Fauchet au xvie siècle. Elle est peut-être aussi l’auteure d’une Vie Seinte Audree (fin xiie siècle), mais cette attribution est discutée. Pour une mise au point précise sur les différentes hypothèses concernant l’identité de « Marie de France », voir Carla Rossi, Marie de France et les érudits de Cantorbéry, Paris, Classiques Garnier, 2009.
  • [8]
    Denis Piramus, Vie de Saint Edmund, éd. Hilding Kjellman, Göteborg, Elander, 1935, p. 5.
  • [9]
    La dernière édition en date est celle de Nathalie Koble et Mireille Séguy, avec d’autres lais anonymes et une traduction : Lais Bretons (xiie-xiiie siècles) : Marie de France et ses contemporains, Paris, Champion Classiques, 2011, 2018.
  • [10]
    Joseph Bédier, « Les Lais de Marie de France », Revue des Deux Mondes, 107, 1891, p. 835-63 (p. 857).
  • [11]
    Gustave Lanson, Histoire illustrée de la littérature française, Paris-Londres, Hachette, 1923, t. I, p. 39-40.
  • [12]
    André Lagarde et Laurent Michard, Moyen Âge, op. cit., p. 45 (je souligne).
  • [13]
    R. Howard Bloch, The Anonymous Marie de France, Chicago-London, The University of Chicago Press, 2003, p. 315-320 (je souligne).
  • [14]
    Le Livre de l’Advision Cristine, livre III, ch. 11, éd. Christine Reno et Liliane Dulac, Paris, Champion, 2001.
  • [15]
    Charity Cannon Willard, Christine de Pizan, her Life and Works, New York, Persea Books, 1984, 11ème et dernier chapitre (« Renown at last »).
  • [16]
    Eustache Deschamps, « Balade en réponse à une épître de Christine de Pizan », 14 février 1403, dans Œuvres complètes, éd. A. H. E. Marquis de Queux de Saint-Hilaire et Gaston Raynaud, Paris, SATF, 1878-1903, t. VI, p. 251-252.
  • [17]
    Martin Le Franc, Le Champion des Dames, v. 18953-18960, éd. Robert Deschaux, Paris, Champion, 1999, t. IV, p. 78.
  • [18]
    Clément Marot, L’Adolescence clémentine, Rondeau XIX, « A ma Dame Jehanne Gaillarde de Lyon, femme de bon sçavoir » [avant 1527], dans Œuvres poétiques, éd. Gérard Defaux, Paris, Bordas, 1990, t. I, p. 143.
  • [19]
    « La douceur de l’âme et des expressions de Christine de Pisan donne à ses ouvrages un degré d’intérêt, dont le style de son siècle sembleroit peu susceptible aujourd’hui. Qu’on ne s’attende pas à trouver en elle ce degré d’innocence mâle et sublime que l’énergie d’une violente passion avoit fait atteindre à Héloïse. Christine n’avoit pas reçu comme elle de la nature ce génie supérieur qui lui avoit fait pénétrer les secrets des plus hautes sciences, et qui dans les siècles les plus éclairés auroit fait d’elle un prodige parmi les hommes. Christine nous présente partout une femme douce, peu éblouie par l’éclat de la fortune, et d’autant plus courageuse dans le malheur ; une personne instruite, éclairée, mais simple et modeste » (Mademoiselle de Keralio [Louise-Félicité Guinement de Kéralio, ép. Robert], Collection des meilleurs ouvrages françois, composés par des femmes, dédiée aux femmes françoises, Paris, chez l’Auteur et Lagrange, 1786-1787, t. II, p. 127).
  • [20]
    Raimond Thomassy, Essai sur les écrits politiques de Christine de Pisan, suivi d’une notice littéraire et de pièces inédites, Paris, Debécourt, 1838.
  • [21]
    Gustave Lanson, Histoire de la littérature française, Paris, Hachette, 1895, p. 162-163 (en tête du chap. consacré à Charles d’Orléans).
  • [22]
    Gustave Lanson, Histoire illustrée de la littérature française, op. cit., t. I, p. 125.
  • [23]
    Le Livre du Chemin de Longue Estude par Christine de Pizan, éd. Robert Püschel, Berlin-Paris, Damköhler-Le Soudier, 1881 ; Œuvres poétiques de Christine de Pisan, éd. Maurice Roy, Paris, Picard (SATF), 1886-1896 (3 vol.). Gustave Lanson indique aussi en note de son Histoire de la littérature française (op. cit., p. 162-163) l’édition du Livre des Fais et bonnes mœurs du roi Charles V publié par MM. Michaud et Poujollat dans la Nouvelle collection des Mémoires pour servir à l’Histoire de France (Paris, Guyot, t. II, 1852), et celle du Dittié de Jeanne d’Arc, inséré par Jules Quicherat dans Le Procès de condamnation et de réhabilitation de Jeanne d’Arc (Paris, Renouard, 1841-1849, t. V, p. 3-21).
  • [24]
    Marie-Josèphe Pinet, Christine de Pisan (1364-1430) : étude biographique et littéraire, Paris, Champion, 1927.
  • [25]
    Suzanne Solente, « Christine de Pisan », dans Histoire Littéraire de la France, t. XL, Paris, Imprimerie Nationale-Klincksieck, 1969, p. 1-88.
  • [26]
    Daniel Poirion, Littérature française. Le Moyen Âge, II — 1300-1480, Paris, Arthaud, 1971, p. 206 ; voir aussi, du même auteur, son importante étude de la poésie de Christine de Pizan dans Le Poète et le Prince. L’évolution du lyrisme courtois de Guillaume de Machaut à Charles d’Orléans, Paris, PUF, 1965.
  • [27]
    Angus Kennedy, Christine de Pizan : A Bibliographical Guide, Londres, Grant et Cutler, 1984 ; Supplement I, 1994 ; Supplement II, 2004. Pour la suite, il existe un projet de bibliographie informatisée, mais qui n’en est encore qu’au stade de l’élaboration.
  • [28]
    Liliane Dulac, « État présent des travaux consacrés à Christine de Pizan », dans Trente ans de recherches en langues et en littératures médiévales, numéro jubilaire de Perspectives médiévales, mars 2005, textes réunis par Jean-René Valette, p. 167-191 (citation de la première phrase, p. 167).
  • [29]
    Alain Viala, « L’agrégation littéraire », dans Que vaut la littérature ?, dir. Denis Saint-Jacques, Cahiers du CRELIQ, 26, 2000, p. 27-43. Voir aussi, dans le même volume, l’article de Sabine Loucif, « Le canon français dans la Modern Language Association of America », p. 111-123 ; et l’ouvrage de Paul Aron et Alain Viala, L’Enseignement littéraire, Paris, PUF, 2005.
  • [30]
    Anne-Marie Thiesse et Hélène Mathieu, « Déclin de l’âge classique et naissance des classiques : l’évolution des programmes littéraires de l’agrégation depuis 1890 », Littérature, 42, 1981 (L’institution littéraire. I), p. 89-108.
  • [31]
    Ibid., note 11, p. 97 : « Il n’a pas été tenu compte ici des auteurs médiévaux dont la place dans les programmes anciens est marginale et fort variable. De même, actuellement, ils ont un rôle relativement secondaire puisque l’usage veut qu’ils ne soient jamais l’objet de la dissertation littéraire, principale épreuve de l’écrit. Il y aurait d’ailleurs lieu de s’interroger sur cette discrimination persistance… ». En effet ! Depuis cette date, il est arrivé très rarement que la dissertation porte sur l’œuvre médiévale : en 1998, le Conte du Graal (en Lettres classiques uniquement) ; en 2004, la Chanson de Roland (en Lettres Modernes et au concours interne de Lettres Classiques) – ce texte avait d’ailleurs été cette année-là substitué in extremis aux premières propositions, le jury manifestant le souhait de proposer de « grands textes », susceptibles de fournir, de manière incontestable, le sujet de l’épreuve reine par excellence, la composition française. Cette situation est très certainement liée au fait que la littérature médiévale continue d’avoir une place marginale dans la formation des futurs enseignants (dont ceux qui deviennent correcteurs de ce concours), et ce dès le secondaire, à l’exception de quelques « grands textes » comme les deux qui viennent d’être cités. Mais il faut noter par ailleurs, pour rééquilibrer ce constat très négatif, qu’une épreuve de langue française obligatoire porte sur une partie du texte médiéval au programme, et que dans la principale épreuve orale (la « leçon), qui porte sur l’une des œuvres du programme, les sujets portant sur l’œuvre du Moyen Âge sont aussi nombreux que les autres (ou presque, dans les années toutes récentes… !). Notons aussi que de façon générale, ce critère de choix de « grands textes » pour le programme de l’agrégation n’a plus la même validité qu’à l’époque de l’article cité : depuis les années 90 il arrive fréquemment que figurent dans ce programme des œuvres considérées comme « mineures », dans un louable souci de renouvellement.
  • [32]
    Il y a eu dans les deux dernières décennies tout un travail d’édition des œuvres de Christine de Pizan, et il se poursuit encore aujourd’hui. Mais la complexité ou le caractère atypique de certaines de ses œuvres, qui ne se laissent pas ranger dans les catégories traditionnelles de « genres » (comme le Livre des Trois Vertus édité par Charity Canon Willard chez Champion en 1989 ou le Livre de l’Advision Cristine, édité chez Champion par Lilian Dulac et Christine Reno en 2001, pour lesquels il existe des traductions en français moderne, ou l’Epistre Othea édité chez Droz en 1999 par Gabriella Parussa), les rendent impropres à une étude littéraire dans le cadre de la préparation à l’agrégation. Certains de ses recueils de poèmes, qui s’y prêteraient bien, ne sont pas ou plus disponibles. Mais les choses changent : la belle édition par Jacqueline Cerquiglini-Toulet en 1982 des Cent Ballades d’amant et de Dames (coll. « Bibliothèque médiévale », Paris, UGE 10/18), qui n’était plus disponible depuis de nombreuses années, vient d’être reprise avec une traduction dans la collection Poésie/Gallimard (Paris, 2019).
  • [33]
    Christine de Pizan, Le Livre du duc des vrais amants, éd. et trad. Dominique Demartini et Didier Lechat, Paris, Champion Classiques, 2013.
  • [34]
    Rosalind Brown-Grant, Christine de Pizan and the Moral Defence of Women. Reading Beyond Gender, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, p. 1.
  • [35]
    Comme on peut s’en douter, elle est bien présente à Paris 7 où j’enseigne – mais de façon ponctuelle, comme l’est dans mon université l’étude de la littérature médiévale en général ; je suppose qu’elle l’est aussi dans les enseignements de mes collègues « christinien.ne.s » dans quelques universités, comme Paris III, Paris IV et d’autres.
  • [36]
    J’ai consulté les manuels récents mis à la disposition des enseignants parisiens au CRDP (Centre Régional de Documentation Pédagogique), complétés par quelques ouvrages disponibles dans les librairies scolaires (Gibert, notamment). En voici une liste partielle : pour le programme de 5e, les manuels des éditions Hatier (Français, livre unique, 2006), Nathan, Belin (Français 5e, 2006) ; ou suivant le « nouveau programme » de 2010, Magnard (Manuel unique. Jardin des Lettres, 2010), Hachette (Les Couleurs du français, livre unique), Belin (L’Œil et la plume) ; pour les classes de 1re, outre les manuels plus anciens cités plus loin (auxquels on peut ajouter Bordas, Littérature t. I, Moyen Âge-xviie s., 2007, réédition du manuel Larousse-Bordas de 1997 ; ou Œuvres et textes littéraires, Français 1re ; Nathan, Français. Littérature, 2006, ou chez le même éditeur, Français. Méthodes, lycées toutes séries – ces deux derniers ne comportant aucun texte médiéval ; Hatier, Itinéraires littéraires. Moyen Âge xvie s., 1988, réédité sous un autre titre en 1991), quelques ouvrages suivant le programme de 2010, comme Hachette, L’Écume des Lettres. Français 1re, livre unique (paru en 2011) ; Magnard, Empreintes littéraires (2011). N.B. : cette petite enquête a été effectuée en 2014, date du colloque où a été présentée cette étude. Elle demanderait à être réactualisée.
  • [37]
    Pour les classes de collège, voir le BO spécial n°6 du 28 août 2008 ; pour les lycées, le BO spécial n° 9 du 28 août 2010.
  • [38]
    Avec l’exception notable du Lagarde et Michard, qui a connu de nombreuses rééditions, dont l’une récente, comme on l’a vu (voir note 4).
  • [39]
    Ainsi, par exemple, dans le volume Moyen Âge-xvie siècle de la collection « Littérature, Textes et Documents », Nathan, 1988, où la partie « Moyen Âge » a été réalisée par une médiéviste, Anne Berthelot, on trouve le lai du Chèvrefeuille en entier, pour Marie de France ; et pour Christine de Pizan, deux ballades et un extrait du Livre de Policie (intitulé « Heureux les étudiants ! ») ; c’est le seul exemple de texte autre que poétique de cette auteure que j’aie vu cité dans un manuel. Dans un volume conçu un peu différemment, intitulé Lectures (t. 1, du Moyen Âge au xviiie siècle), paru chez Magnard il y a quelques années, dirigé par Evelyne Amon et Yves Bomati, un ouvrage qui se voulait « différent » et orienté pour donner aux élèves le goût de lire, figurait un choix varié de textes du Moyen Âge, dont deux lais de Marie de France et deux poèmes de Christine de Pizan.
  • [40]
    Voici la liste de ces « objets d’étude » : « le personnage de roman du xviie siècle à nos jours » ; « le texte théâtral et sa représentation, du xviie siècle à nos jours » ; « écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours » ; « la question de l’Homme dans les genres de l’argumentation du xvie siècle à nos jours » ; à quoi s’ajoutent deux « objets spécifiques » pour les premières littéraires : « vers un espace culturel européen : Renaissance et Humanisme » ; « les réécritures, du xviie siècle à nos jours ».
  • [41]
    Il s’agit bien entendu des genres littéraires, la perspective « générique » au second sens du terme (gender) étant tout à fait exclue. Voir ci-dessus, note 32.
  • [42]
    Précis de littérature française du Moyen Age, sous la direction de Daniel Poirion, Paris, PUF, 1982.
  • [43]
    La Littérature française : dynamique et histoire, vol. 1, Paris, Gallimard/Folio Essais, 2007 (voir notamment la première partie sur le Moyen Âge, par Jacqueline Cerquiglini-Toulet).
  • [44]
    Jean-Yves Tadié, « Avant-Propos », ibid., p. 9-10. Audrey Lasserre cite ces phrases dans « Qu’est-ce qu’une histoire de la littérature française ? », dans La France des écrivains. Éclats d’un mythe (1945-2005), éd. Marie-Odile André, Marc Dambre, Michel P. Schmitt, Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2011, p. 207-217 (troisième partie, intitulée Disparitions, déplacements) (p. 210) ; mais elle les isole de leur contexte et semble en faire un aveu de l’auteur – ce qui est loin d’être le cas, il s’agit bien plutôt d’une mise en garde.
  • [45]
    Histoire de la France littéraire. Naissances, Renaissances (Moyen Âge-xvie siècle) (dir. Frank Lestringant et Michel Zink pour la partie « Moyen Âge »), Paris, PUF, 2006.
  • [46]
    Pour les plus récents, voir le Livre du Duc des Vrais Amans cité à la note 30 ; ou le Livre des epistres sus le Rommant de la Rose, éd. Andrea Valentini, Paris, Classiques Garnier, 2014. Je travaille moi-même à une édition bilingue de la Cité des Dames (à paraître prochainement dans la collection « Champion Classiques »).
  • [47]
    Dictionnaire universel des créatrices, dir. Béatrice Didier, Antoinette Fouque, Mireille Calle-Gruber, Paris, éditions des femmes-Antoinette Fouque, 2013.
Français

On s’intéresse ici à la place accordée dans l’histoire littéraire à différentes époques aux deux auteures les plus connues de la littérature médiévale française, Marie de France (xiie siècle) et Christine de Pizan (début du xve siècle). Célèbres en leur temps, elles sont ensuite tombées dans l’oubli avant d’être redécouvertes au xixe siècle, mais leur image a considérablement évolué jusqu’à nos jours. On étudie cette évolution à travers les différentes institutions qui contribuent à la formation du canon littéraire en France, en établissant ceux que l’on appelle les « grands auteurs » ou les « classiques » : les manuels d’histoire littéraire, la spécificité française que constitue le concours de l’agrégation de Lettres, l’enseignement universitaire, les manuels scolaires. On s’interroge en conclusion sur les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour réviser le canon.

English

Situating medieval female writers within literary history (Marie de France and Christine de Pizan)

We are concerned here in the place granted, within literary history, in different times, to the two most famous female writers in French medieval literature, Marie de France (12th century) and Christine de Pizan (beginning of the 15th century). Praised in their times, they fell then into oblivion before being rediscovered in the 19th century, but their image has considerably evolved till now. We study this evolution through the different institutions contributing to the shaping of the literary canon in France, establishing those we call the « great writers » or the « classics » : handbooks of literary history, the typical French agrégation de Lettres, academic tuition, school handbooks. At last the means which may be implemented to revise the canon are considered.

Anne Paupert
Université Paris Diderot – Paris 7
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/01/2020
https://doi.org/10.3917/litt.196.0056
Pour citer cet article
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