CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Il y faudra plus d’une scène.

2La phrase bat à l’oreille, d’entrée, où elle fait porte.

3Il y faut plus d’une scène. Il y faut la joie des langues, la joute des noms sans nom, leurs rythmiques non concertées, il y faut la plusieurspersonne et l’entame des formes que pas un seul genre ne puisse régir. Pas-seul. Pas-sans.

4Il y faut : nécessité et manque. Que cela vienne par ajout et défaut. De l’incertitude de la distance.

5La différence sexuelle ne s’écrira pas en un mot, en toutes lettres, une fois pour toutes. Pas d’un trait.

6La ou plutôt les différences sexuelles, différant en elles-mêmes et à l’autre, entre autres, exposent le transport : les déménagements du sujet là où il ne s’attend pas ; où on ne l’attend pas.

7Là, ou plus tôt, ou postérieurement : dans la mesure grammaticale de ce qu’on nomme l’accord du masculin et du féminin, accord du genre et du nombre, il importe que l’événement du tour de phrase fasse que rien n’est accordé. Que l’empreinte matricielle désignée en littérature et en art du mot de genre, soit vouée au détour, c’est-à-dire à l’estrangement : à l’ange (aggelos) messager du dehors de la maison, messager de l’être ; à l’immensurable qui reconduit toute représentation au défaçonnage.

8Par quoi l’écriture est veine biographique et l’autobiographie affaire de corps ouvrables, je veux dire œuvrables, que travaillent les mots du vif comme des morts, les fables de l’animal, et toutes choses inaccessibles sauf à être appelées dans l’espace de la littérature. Il se passe au lieu du livre l’événement exorbitant des différences sexuelles. Elles passent et déposent traces. À retrouver. À retracer.

9La différence sexuelle c’est comme les oiseaux : ils sont « moins réels dans le temps que les traces de leurs pattes dans le sable » [1].

10La différence sexuelle dépose ce qui s’écrit dans « l’intimité errante du dehors » (Blanchot) [2] qui ne donne pas un séjour mais une ponctuation intérieure. Elle écrit depuis ce que Claude Simon dans sa Correspondance avec Dubuffet nomme à propos de l’art le « désavoir » [3] — à lire dé-savoir aussi bien que dés-avoir. Elle exige plus d’ignorance que de savoir, ou encore, dit Blanchot quant à l’espace littéraire, « un savoir qu’investit une immense ignorance et un don qui n’est pas donné à l’avance, qu’il faut chaque fois recevoir, acquérir et perdre » [4].

11Chaque fois de nouveau.

12C’est dire qu’il n’y a pas d’appréhension de la différence sexuelle hors de la scène poiétique et/ou artistique. Surprise, révélation singulière, c’est l’expériment de l’instant scénique advenant au coup par coup de l’œuvre, où l’écriture rend le temps à l’espace, l’invisible au visible, l’inaudible à l’ouïe, le trope à la trouvaille. On n’y progresse pas à la ligne mais d’une manière ailée, dans la mouvante distance qu’on ne peut ni prendre ni tenir, encore moins garder. C’est le théâtre incalculable du « se r’avoir de soi » qui est « le contraire de se résoudre » (Montaigne) [5], et à ce processus on ne peut pas mettre un terme.

13De ce qui ne fait pas un concept ni un principe, ni un mécanisme ni une structure, ni une ni deux, mais qui relève du symptôme, de l’interprétation, de l’existence surabondante, on ne peut qu’approcher à l’oblique. Tourner autour.

14

Je me demanderai ce qu’a signifié, dès ma naissance ou à peu près, tourner autour. Je te parlerai encore, et de toi, tu ne me quitteras pas mais je deviendrai très jeune et la distance incalculable.
Demain je t’écrirai encore, dans notre langue étrangère. [6]

15Au terme d’Envois de La Carte postale, Jacques Derrida exhausse ainsi le secret qui aura hanté les 272 pages précédentes comme il hante et transporte tous ses livres : tourner autour. C’est de la déconstruction le mot de passe, là où tous les mots font passes. Aux derniers alinéas de La Carte postale, s’expose la scène spectrale de « lalettred’amour », de « l’écrire de toutes les façons (j’en compte au moins sept), tourner dans toutes tes langues, mon étrangère. Moi je n’ai pas de langue, pas de genre (je veux dire aussi pas de sexe) et depuis, je t’aime » [7].

16C’est façon de déclarer que l’écrivant est matrice : capable de tout accueil et recueillement, et par suite de porter empreintes en tous genres. Donner l’hospitalité. Matrice est l’écriture qui ignore : depuis qui, quoi ou quand ; qui dépêche le temps à l’espace — « depuis » se lisant ici aussi bien depuis ce temps-là que depuis ce lieu-là, lieu du pas-de-langue, pas-de-genre, pas-de-sexe. C’est : l’écriture-depuis. Elle fait dessein du futur lorsqu’il est promesse d’antériorités et que le sujet est arrivage, où tous les âges ont cours.

17« Tourner autour » ouvre à la pesée de mesures insoupçonnées initiant la spectrographie de l’être lettré, divisible par proximité, infiniment séparable (séparation fait entendre, par étymologie latine sexus, « fendu », « coupé », « coupable »). « Tourner autour » appelle des scansions insupportables, je veux dire sans support (logique ou de représentation) : non synchrones, non figurables, où le jeu des chromatismes bouleverse l’impératif d’un je facteur de chronologie et d’identité.

18L’écriture-matrice tourne les mots [8] dans les lèvres de la langue mise à l’épreuve de la phrase [9] : dans le passage de la Carte postale cité plus haut, le pronom de la personne décline tous ses cas de grammaire (je te toi tu me) mais aussi les effets d’exceptions de la syntaxe où la lecture stratifie, opérant à la fois vers l’avant et à rebours. Comme ceci, où suivre mot à mot c’est être entraîné bientôt à des enjambements en tous sens :

19— « je te parlerai encore » s’entend d’abord : je parlerai avec toi, à toi, à ton adresse.

20— « je te parlerai encore, et de toi » entend, par retour, non seulement venir le destinataire de l’adresse : te parlerai toi, pour toi, comme toi, à ta place, je t’exprimerai te traduirai, mais aussi poindre le corps de la langue, objet sujet du discours, je te parlerai toi la langue ; et de même « je t’écrirai encore » : toi la langue, et de toi et à toi.

21— Continuant à la ligne le discours amoureux de la langue à la langue dans la langue, la lecture chemine d’avant en arrière, par allers retours : « et de toi, tu ne me quitteras pas mais je deviendrai très jeune ». Où « de », par la suite des mots « tu ne me quitteras pas mais », prend, outre le sens de l’indirection du complément d’objet, le sens d’une préposition de lieu (de toi comme de loin) et de temps (depuis), indiquant le mouvement de l’instant de départ.

22— L’indirection s’amplifie avec le syntagme suivant, jusqu’à la possibilité de l’impossible rupture qui arrive par l’anacoluthe : « mais je deviendrai très jeune et la distance incalculable ». Où la langue parle et ne parle pas, et ce faisant parle deux fois, selon que l’ellipse se lit : je deviendrai très jeune et la distance deviendra incalculable : ou je deviendrai… la distance incalculable.

23Tout ceci fait apparaître le sujet sous le jour de sa mise à distance et dans la distance de sa venue au jour ; le sujet comme l’hypothèse mouvante de l’être.

24Car, avec l’avancée de la phrase, se jouent les postes de la personne dans la séparation (sexus) : le-les postes de fonction, la-les postes d’acheminement de la personne grammaticale ; laquelle n’est plus seulement plusieurs ou plurielle mais personne différentielle. Masculin et féminin s’entrelisent non sans reste, je-et-toi forment corpus événementiel, je t’ est l’hiéroglyphe de la personne — la marque de sa non-entièreté fondamentale, de son entame, personne en gésine.

25Je parlerai, j’écrirai : toi, à toi, de toi, pour toi, comme toi, avec toi, loin de toi et pas loin de toi, sans toi avec toi, et sans nous, les dépossédés et possédés de la langue « notre étrangère ».

26Qui parle, dès lors, au lieu du livre ? Qui ou quoi le lieu du livre ? Qui écrit et s’écrit, à quel(le) autre-soi à quels autres ? Quelle langue, quelle lèvre [10], multipliée séparée, fait entendre le texte ?

27Trois scènes permettront de sonder les traverses de la personne grammaticale infiniment divisible, séparable en elle-même, intersectée, intersexuée, interlocutée. Et inséparable de la poièse et de la phantasia à l’œuvre des différences sexuelles.

28La première scène est celle des matrices de l’écriture convoquées par Circonfession de Derrida où, en 59 périodes signataire au féminindu-masculin, le fils s’écrit à sa mère.

29La seconde est la scène des folies du jour photographique où Claude Cahun (alias Lucy Schwob) expose les travestis de son autoportrait.

30La troisième est la scène de la description chez Claude Simon, où le retour des motifs relayés, tisse et rompt le phrasé « comme l’hymen des jeunes gens ouvrant cette blessure déchirant » [11] ; fait de tout corps écrit corps ouvrable.

Matrices de la circonfession

31Il convient d’abord de rappeler le dispositif de Circonfession dont le corpus passe en bandes de texte, en bas de page et en contre-exemple de l’essai de Geoffrey Bennington, Derridabase, qui s’étend au-dessus. Numérotées de 1 à 59, les périodes de Derrida [12], une seule par chiffre, constituent une ligne-valise où croît en liaisons déliaisons, la mouvante hypothèse d’un sujet du récit autobiographique. En contrepoint des thèses de Bennington qui assemblent les concepts afin de former « la figure théologicielle ou maternelle du savoir absolu » [13], l’hypothèse du sujet de l’écriture autobiographique donne lieu à la recherche de « l’autre syntaxe » : la « non grammaticale qui reste à inventer […] cette syntaxe qui m’arrive lentement comme l’espoir d’une menace » (23/114) et où il faut apprendre à « lire sans voir » (23/115).

32En contrepoint de la logique grammaticale de l’essai, ce « théologiciel capable du savoir absolu » (5/30), le flux périodique de l’autobiographe vient et revient de toujours plus loin. Les rythmes des flux menstruels deviennent ses règles à lui-écrivant qui compose Circonfession selon 59 sections correspondant à son âge de 59 ans. Cette écriture de la mère à l’agonie, qui ne voit plus ni n’entend — ne le voit plus ni ne l’ entend — cette écriture à la mère pour la mère en lui qui se demande à qui il se demande, advient avec la syntaxe panique des larmes, de la circoncision, de la citation, des prises de sang, de la prière, de l’aveu. Et c’est ainsi la mère de l’écriture compulsionnelle qui arrive : avec la langue de la pré-histoire du sujet et de la male adresse, avec le corps du deuil et l’estomac de la mémoire amère (32/157). Car le fils est l’autre-fils, il est le fils le frère, mort, avant lui, le jumeau tu, dissymétrique, trop.

33Viennent 59 phrases hémorragiques dans « une langue inconnue » (22/111) pour tourner autour de cette mère à naissances et à morts à répétitions, autant dire dieu dans cet omniprésent absentement :

34

[…] je me contente de tourner autour de toi dans ce silence où tu figures n’importe qui, mon dieu, je te demande […]
(32/156)

35pour tourner autour de cette question dont la syntaxe est vertigineuse : « “qui je suis, moi ? ” » (27/131). C’est une syntaxe vouée à la chancelance, dont on ne sait qui d’elle ou de lui, qui elle en lui l’aura prononcée, “je suis ” qui reste indécidable entre suivre et être. Le sujet ne tient qu’au fil de la phrase, de la différence sexuelle, de la prothèse généalogique. Il se demande à l’autre, aux autres, au tout autre que seule cette phrase non cicatrisante non clôturable promet. À la suite de Saint Augustin, la parturition du plus intime déverse une étrange confession-confusion des personnes et des genres : « […] comme lui, en toute hâte, je confesse ma mère, on confesse toujours l’autre, je me confesse veut dire je confesse ma mère veut dire j’avoue faire avouer ma mère, je la fais parler en moi, devant moi […] » (29/139). Et dans la période 14, ceci déjà qui engage le féminin du masculin : « me mettre à la question, moi, une vie entière, pour la faire avouer, elle, en moi » (p. 73, je souligne).

36C’est un texte fou de lucidité, capable de distinguer un jumeau de son jumeau. C’est une syntaxe folle à lier : où le lien vient de la folie, ladéliaison des articulations voilées ; la lecture est sommée de refaire inlassablement les comptes et la part des partages. Comme exemple, je m’arrêterai à l’une de ses phrases lunatiques, période 31, où il reponctue les textes cités et s’apostrophe :

37

« […] fellocirconcision, autofellocirconcision, le mohel de soi-même plié en deux […] et boit son propre sang, pour se rendre encore plus propre, c’està-dire circoncis, il se dit alors je t’aime et dans l’ivresse se met à pleurer sa solitude, mon amour aura eu raison de moi » (31/12-76), selon ce qu’il faut bien déclarer, comme à la douane, mon homosexualité impossible, celle que j’associerai toujours au nom de Claude, les cousins-cousines de mon enfance, ils débordent mon corpus, la syllabe CL, dans Glas et ailleurs, avouant un plaisir volé, ces raisins par exemple sur le vignoble du propriétaire arabe, de ces rares bourgeois algériens d’El-Biar, qui nous menaça Claude et moi, nous avions huit ou neuf ans, de nous remettre à la police après que son ange gardien nous eut pris la main sur la grappe, et ce fut l’éclat de rire nerveux quand il nous laissa partir en courant, depuis je suis les confessions de vol au cœur des autobiographies, la ventriloquie homosexuelle, la dette intraduisible, le ruban de Rousseau, les poires de sA, nam id furatus sum […]
(31/149-151)

38C’est autour du prénom épicène Claude et de son sigle CL (c’est elle) que tourne la phrase et que la langue par circonvolutions se circoncit. Épelant les différences du même, les différences au lieu du même, c’est tout le texte qui devient épicène et donne à lire, conjuguant homosexualité et hétérotextualité, toujours plus d’un aveu à la fois. Il en résulte une façon de récit épi-scènes ou les plis des sens font venir, telle une stroboscopie, la lecture de plusieurs scènes ensemble : l’enfantine, la sexuelle, la textuelle, l’intertextuelle. Car, comme Augustin, je veut jouir « non pas de l’objet que je recherchais par le vol, mais du vol lui-même » (31/152). L’aveu du vol pour le vol est façon de déclarer le transport, les enjeux du transport en ses tropes, notamment cette manière ailée qu’a la lecture de prendre au vol le vol, et l’envolée des homonymes : « déclarer », « mon corpus », « la main sur la grappe », « je suis les confessions » ; et plus loin, le double sens de vol, selon la scansion de la lecture, affaire de respiration : « comme si le circoncis se caressait au vol de ce qu’il adresse à sa mère ». C’est façon aussi de faire jouer, par métaphore et métonymie, les transports du corps sexuel textuel, fruit défendu et jouissance : où le vol prend au cœur de l’étranger et au ventre (ventriloquie) de la mère, aux lèvres de l’autre et à sa langue, y compris à la langue de l’autrementmoi puisque le premier fragment de citation est tiré d’un carnet de 1976. L’autobiographe fait appel à ses antécédents littéraires, Rousseau, Augustin, mais toujours à l’enseigne de l’intraduisible. Passé au spectre des autres en tous genres, je ne revient pas au même. La mère de l’écriture est une mère-à-perdre, la langue circoncise « joue à perdre » (14/71) et ne perd pas ce qu’ainsi elle joue. Le sujet tient à rien, ou presque, au « désir de littérature [qui] est la circoncision » (15/77).

Folies du jour photographique

39Ma seconde est la scène de Claude Cahun. Les autoportraits y sont des travestis par les prestiges de la lumière et de l’ombre ; ils se prennent à l’entame des surfaces, noir et blanc. Certes, il y a travestissement à tous les sens du terme : déguisement, falsification, trucage, travelo, inversion des rôles ; il s’agit, souvent, de prendre l’apparence d’une personne de sexe opposé, ses vêtements, ses comportements. Mais tout cela arrive indissociablement de la scène constitutive de l’art photographique. Arrive par le travail de jour et nuit.

40Claude Cahun, signature épicène de Lucy Schwob, née en 1894, nièce de Marcel Schwob, n’est pas un travesti : devant l’œil de l’appareil, le troisième œil, elle s’éprouve et exerce ses probables figures. Elle se voyage, se passe en contrebande, à contre-jour, mi-nuit mi-di. Dans l’Autoportrait[14] de 1925, elle scrute, se crève les yeux, doublement aveuglée, d’une brillance obscure et d’une obscuration extralucide. Boiteuse du regard. Borgne des deux yeux en quelque sorte, et voyante de l’un et l’autre séparément. Tel est le double œil requis pour la lecture des différence sexuelles, là où elle se survoit, se surseoit : un œil porte voile sombre, l’autre un éclat de jour, ou plutôt il porte un coup de métonymie, le reflet d’une fenêtre devenu lame de verre plantée dans l’iris comme un coup de couteau. On pense à Blanchot, à La folie du jour : à celui, le narrateur, qui « n’est pas craintif » et à la scène sacrificielle où il est costumé du propre sang — « Que de sang dégouttant sur l’unique costume. » [15] Avec Claude Cahun, ici, l’image d’une croisée fait la croix sur l’œil cependant que l’autre porte une taie d’obscurité et que le noir se répand sur l’unique surface du papier.

41Dans ces autoportraits, l’apparition du corps est mise à la question, estrangée, et c’est le propre sang qui fait surface et travestit pour de vrai :

42

Me faire un autre vocabulaire, éclaircir le tain du miroir, cligner de l’œil, me flouer, au moyen d’un muscle de raccroc, tricher avec mon squelette. [16]

43L’autoportrait fait des aveux qui sont le contraire de la vérité mise à nu : la photographie ou l’art de se fausser compagnie, ou plutôt de se défausser comme on dit au jeu lorsqu’on se débarrasse des cartes inutiles. C’est la vérité du travesti jusqu’à l’os. Pas l’image dans le miroir, mais la figure spectrale, le visage menacé d’effacement par excès de jour et de noir, le corps retiré dans le vêtement sculpté, calciné par la lumière.

44Ainsi de l’Autoportrait de 1921 [17] où la prédominance du noir engloutissant la forme humaine et le contraste des blancs où le visage et les mains sont retirés, fantomatiques, présentent le portrait d’un costume d’homme. Un costume d’emprunt, toute une forme empruntée : crâne emprunté, oreilles empruntées, tête empruntée. L’emprunt généralisé, telle est la définition du travestissement. Effet d’une ostensible construction (le rectangle de toile au mur) et du façonnage couturier (la même racine joint façon et fiction), le personnage est plus qu’un androgyne, un travelo, un queer, il est tout cela ensemble et davantage, ni ni, et et ; il est le théâtre des différences sexuelles en leur incertitude constitutive. Louche parce que sexuellement marqué d’autre, improbable en son existence façonnée, sinon à l’instant du déclic, un battement de cil.

45L’image passe la vue qui fait l’expérience des limites : à tout moment, la tête d’emprunt peut tomber, et les mains. C’est un portrait qui vacille entre décollation du sujet de la photographie, et le décollement de la rétine de l’œil spectateur.

46C’est le même trouble quant à l’indécidable sexualité qui rend insupportable l’Autoportrait[18] de 1929. Traits gommés par le traitement photographique, le visage fait masque, fait découpe, coupé et coupable à l’envi. Le visage fait la scène de son dé-visage : il se défait dans les forces agoniques du noir du blanc : prédateur-et-proie, bourreau-et-victime. Animal-humain.

47L’Autoportrait[19] de 1919 présente autrement encore la scène des incertitudes quant aux genres. Façon photo d’identité, le cadrage et la pose pastichent la fiche du repris de justice. Prise dans le faisceau de lumière qui l’aveugle, privée d’un regard en retour, exposée sans retrait à l’observateur, la figure est l’objet de mesures discriminantes : isolée dans le cadre, découpable, coupable, présentée en hors-la-loi car portraiturée hors toute loi du miroir. Davantage : l’éclairage inquisitoire jouant sur le crâne rasé, le profil accentué, le nez proéminemment chantourné, fait le portrait du juif. Plus exactement, par raccourci et cumul, c’est le portrait inclassable d’une femme en juif. Le portrait de l’humain traité comme la représentation des représentations « du juif » condamné à la Shoah, traité de juif et d’inqualifiable genre humain. Un portrait de l’innommable.

48Ultime folie du jour sur laquelle s’arrêtera ici la réflexion : la scène du travestissement en spectre qui est le spectre du travestissement, son essence et celle de l’art photographique : à savoir la hantise du corps.

49La photographie, de 1947, s’intitule Autoportrait[20]. Le peuple des tombes constitue le fond de la scène. Au premier plan, une silhouette se montre, comme au théâtre de marionnettes. Ou d’ombres. Elle est montrée, revenante et absentée, sa présence ne tenant qu’à la robe blanche et au visage blanc comme le linge qui couvre ses traits et qui la révèle — domino, linceul, trou, plage non impressionnée. Réserve hallucinogène. Réserve de l’être où faire arriver l’événement de toute différence. En donner prétexte.

50Car prétexte est à double grammaire et à plus d’un genre. Le prétexte désigne la raison apparente qui cache le motif véritable. La prétexte est le vêtement, la toge bordée de pourpre que portaient à Rome les magistrats et les adolescents ; elle désigne aussi la toge de théâtre.

51Avec Claude Cahun, la scène photographique du travestissement se veut espace prétexte pour l’être : la venue plénière de ses possibles.

Les récits de la description : corps ouvrables

52Ma troisième est la scène que font les descriptions de Claude Simon, où le récit tisse le phrasé de corps ouvrables.

53Le dispositif de La Route des Flandres[21], notamment, est constitué des récits que délivre le travail d’une description sans fin, et ces récits sont relayés — retardés, inlassablement différés, réfléchis en écho —, par une voix narrante dont le point d’émission reste hypothétique. L’ambiguïté à son endroit ne vient pas tant de la désignation de la personne, il/je le cavalier des Flandres dans la débâcle de mai 40, que plus subtilement, et plus radicalement, de la mouvante adresse des destinataires et de l’incertaine provenance des savoirs qui sont toujours des savoirs rapportés, approximés. L’incertitude, autrement dit, quant au narrateur est liée à la visée des lignes de son récit et à la croisée de ses lignées ancestrales. C’est un récit qui s’adresse, successivement et ensemble, à Blum « le petit juif » sur la route de la défaite, ou dans « le wagon arrêté une fois de plus dans la nuit » (p. 19), ou dans le camp de prisonniers, et « pas à son père » (p. 95), et à la « jeune femme couchée invisible à côté de lui » (p. 95) des années plus tard, et à lui-même ostinato ressassant après guerre les années plus tôt, de sorte que ce temps dilatoire de la narration finit par rejoindre le moment de l’écriture et de la lecture. Écriture et lecture elles-mêmes nourries des remontées généalogiques qui confinent à la légende familiale et qui en appellent à l’inépuisable description d’une peinture : le portrait de l’ancêtre dont le secret est lié au secret des matières picturales et des fabulations variables qu’elles engendrent.

54Tel est le motif du livre : le récit des événements mais pas sans le récit des entrebâillements narratifs qui font place aux images et visions phantasmatiques ; pas sans les baîllements dans la syntaxe, la logique et la chronologique, où tenter d’entrevoir et savoir autrement. Il y va moins d’une personne de l’énonciation que d’une personne tonale dont les flexions, inflexions, syncopes, degrés viennent par épanorthoses et reprises, scandant le récit : « ou peut-être », « ou plutôt », « mais il n’y avait pas », « à moins que tout ça », « comme si » jusqu’au pas de charge final, magistral, où l’unique phrase sur plus de trente pages, ponctue (« mais comment appeler cela », p. 282 ; « mais comment savoir », p. 285 ; « mais comment savoir, que savoir ? », p. 289) avant de prendre du plus haut et de faire passer la narration à la verticale et à l’impersonne : « […] livrée à l’incohérent, nonchalant, impersonnel et destructeur travail du temps » (p. 296).

55C’est ce dispositif tonal et spectral qui permet de faire entrer en jeu toute une gamme de différentiels, notamment les différences sexuelles. Elles s’inscrivent par ensembles constellaires, à la faveur de scènes épiphaniques où l’événement est événement dans la matière et de la matière ; où l’ekphrasis (description d’un tableau) souvent privilégiée, déclenche un impressionnant processus d’exorbitation. Il est manifeste que c’est par un effet des traits de l’art que les récits de la différence sexuelle sont notables, et qu’il en rend toute lecture impressionnable. Il y a, par exemple, après la description de l’estampe, représentant la femme Centaure en deux corps de langue, français et italien (p. 52-53), après l’apparition dans la grange aux soldats de la fille photophore, qui « est comme du lait » dans une scène traitée « comme une de ces vieilles peintures au jus de pipe : brun (ou plutôt bitumeux) » (p. 36-37), il y a la description « d’une de ces gravures intitulées L’Amant Surpris ou la Fille séduite » (p. 81) dont les éléments se superposent à ceux du portrait de l’ancêtre précédemment présenté et forment une stroboscopie mettant en branle de l’ambiguïté en tous genres : esthétique, avec la différence de facture entre la peinture aristocratique et la gravure scandaleuse ; sexuelle, avec l’ambivalence érotique du personnage qui est à la fois L’Amant et la Fille, séducteur et séduite ; littéraire, avec la polarité textuelle où l’énergie phantasmatique n’a d’égale que la puissance de scrutation des matériaux de construction du récit.

56Car le visage peint de l’ancêtre, « ce lointain géniteur » (p. 53) décrit avec au front « un trou rouge dont le sang dégoulinait en une longue rigole serpentine […] comme si — pour illustrer, perpétuer la trouble légende dont le personnage était entouré — on l’avait portraituré ensanglanté par le coup de feu qui avait mis fin à ses jours » (p. 54), se révèle être entamé par une défaillance de la toile : l’ouvrage du temps sur les matières a ouvert au front du « géniteur » la coulée de peinture, la trace sanglante n’étant « en réalité que la préparation brun rouge de la toile mise à nu par une longue craquelure […] » (p. 55). C’est à la suite de ces tableaux montés en contrepoint qu’arrive la recomposition des motifs en une scène exorbitante où la narration se demande à la matière langagière.

57

Car c’était cela (la légende, ou, au dire de Sabine, la médisance inventée par ses ennemis) : qu’on l’avait trouvé entièrement dévêtu, qu’il s’était d’abord dépouillé de ses vêtements avant de se tirer cette balle dans la tête à côté de cette cheminée au coin de laquelle, enfant, et même plus tard, Georges avait passé combien de soirées à chercher instinctivement au mur ou au plafond (quoiqu’il sût bien que, depuis, la pièce avait été plusieurs fois repeinte et retapissée) la trace de la balle dans le plâtre, imaginant, revivant cela, croyant le voir, dans ce trouble, voluptueux et nocturne désordre de scène galante : peut-être un fauteuil, une table renversés, et les vêtements, comme ceux d’un amant impatient, hâtivement, fiévreusement arrachés, rejetés, éparpillés çà et là, et ce corps d’homme à la complexion délicate, presque féminine, gisant, immense et incongru, les ombres mouvantes de la chandelle jouant sur la peau blanche et transparente, ivoirin ou plutôt bleuâtre avec, au centre, ce buisson, cette touffe, cette tache sombre, floue et bitumeuse, et le fragile sexe de statue couché, barrant l’aine, sur le haut de la cuisse (le corps, en tombant, ayant légèrement basculé vers la gauche), le tableau tout entier empreint de cet on ne savait quoi de trouble, d’équivoque, d’à la fois moite et glacé, de fascinant et de répugnant…
Et je me demandais s’il avait alors lui aussi cet […].
(p. 82-83).

58L’hypothétique sexualité de l’ancêtre, ses amours ses morts, relèvent exclusivement de la composition scénique et de son potentiel hallucinatoire affiché : où surdétermination (les nombreux déictiques), surécriture (les reprises parfois mot à mot d’ekphrasis antérieures), surabondance (des adjectifs ; des caractères gradués du masculin et du féminin ; des références aux prestiges de l’art) régissent la progression du texte selon une technique du trait détaché[22].

59Cela requiert de l’écrivain une faculté d’extraction des éléments narratifs comme autant de minerais de la langue. Parataxe et apposition organisent le passage sériel des qualificatifs en une chaîne chromatique : chaque ton se divise en partitions consécutives permettant des (re)combinaisons nouvelles ; chaque terme conjugue avec les autres, de près ou de loin, des alliances et des contradictions non subsumables. Chacun fait touche et retouche (« arrachés, rejetés, éparpillés » ; « blanche et transparente, ivoirin ou plutôt bleuâtre ») ; chacun se tient à l’intersection des champs du féminin et du masculin ; intersecte ; intersexue. Telle l’admirable séquence : « ce buisson, cette touffe, cette tache sombre, floue et bitumeuse, et le fragile sexe de statue couché, barrant l’aine sur le haut de la cuisse », où on relève le tressage grammatical des genres, le travail de la lettre et du thème qui fait entendre « bite » avec « bitumeux » mais rappelle aussi la tonalité du tableau décrivant l’apparition de la fille à la lampe ; on relève également le transport métaphorique qui opère l’inversion de l’usage lexical : « touffe », « buisson » désignant d’ordinaire le sexe féminin — le sexe faible, comme on dit, dont le récit fait apparaître ici un équivalent au masculin-féminin : l’énoncé de non-érection « le fragile sexe de statue couché ».

60Toute la scène est à l’enseigne de l’union des contraires : l’équivoque dote les mots de la sexualité d’une puissance d’homonymie sans précédent, où masculin et féminin dessinent des croisements inclassables. Les oxymores (« moite et glacé », « fascinant et répugnant ») scandent l’arrivage de l’impossible hybride sexuel et textuel. Le « désordre de la scène » est l’effet du rigoureux montage syntaxique qui dépose trait par trait les formes de la divagation et de l’extra-vagance. L’acmé est cet étrange amour de la mort plus que de toutes choses, cet amour de soi à la mort, rituel sui-cidaire ; il y va de la précise constitution de la déconstitution du sujet dont la plénitude de figure androgyne est toujours passible d’effraction et de débordement.

61L’écriture ici prend les marques de la différence sexuelle par le dispositif d’une skiagrahie littéraire, déclinant sur tous les tons les nuanciers du blanc et du sombre, clarté et nuit. C’est une écriture au burin (bohren en allemand : percer) : elle perce, segmente, sépare ; elle travaille les distances intervallaires, la densité des traces comme « de fines hachures entrecroisées et plus ou moins déliées épousant le modelé des volumes, de sorte que, vues de près, les formes […] ont l’air d’être enveloppées d’une sorte de filet aux mailles qui se resserrent là où l’ombre est la plus dense » (p. 82). C’est ainsi qu’il convient de lire l’élémentaire fragmentation syntaxique et narrative de Claude Simon : elle fait de la matière langagière le lieu natal de tout récit, son commandement et sa fin. La phrase simonienne n’est pas la période mais le phrasé à perte de vue et toujours déjà commencé ; pas la ligne mais le pas des pattes de mouche et la chevauchée poématique ; un maillage narratif tissant le filet du texte et la phrase « comme l’hymen » :

62

[…] toute cette cochonnerie n’avait pas encore rompu brisé en nous ce qui est comme l’hymen des jeunes gens ouvrant cette blessure déchirant quelque chose que plus jamais nous ne retrouverons cette virginité ces désirs virginaux frais guettant la fille entrevue te souviens-tu nous guettions levions sans cesse la tête vers cette fenêtre ce rideau de filet que nous avions cru voir bouger je dis Tiens tu l’as vue elle vient juste de regarder se montrer et se cacher de nouveau, et toi Où ? et moi Bon Dieu à cette fenêtre, et toi Où ? et moi Mais enfin la maison en brique là-bas, et toi Je ne vois rien, et moi Le paon remue encore, il y avait un paon tissé dans le rideau de filet avec sa longue queue couverte d’yeux, et nous nous usant les yeux à force de guetter tout en continuant à asticoter Wack essayant d’imaginer de deviner ce bouillonnement caché des passions : nous n’étions nulle part mille ans ou deux mille ans plus tôt ou plus tard en plein dans la folie le meurtre les Atrides, chevauchant à travers […].
(p. 114-115)

63Le transport métaphorique s’ancre à nouveau dans l’effet d’homonymie : un mot pour plus d’un genre, « l’hymen des jeunes gens », un mot qui dit et ne dit pas la même chose « cette virginité des désirs virginaux », qui de l’une aux autres fait lien catachrétique. Jusqu’au point de retournement où l’image sexuelle devient métaphorique de la marche de l’écriture. Au fil du récit et de « fille » à « filet », ce « rideau de filet » c’est l’hymen de la phrase tissée et déchirée de traits multiples où conjugaison et séparation convoquent des mariages (hyménées) insoupçonnés : l’apparition du paon du petit pan d’étoffe règle par homophonie les passages de métaphore et de métonymie, le mouvement de la mise au secret et de sa pénétration fait œil de toutes parts et fait dieu, décuplant les puissances narratives. Par le biais des cent yeux du dieu Argus, le récit passe toute mesure (« n’étions nulle part mille ans ou deux mille ans plus tôt ou plus tard en plein dans la folie le meurtre les Atrides »). Comme le petit pan de mur jaune de Proust, le petit paon/pan de rideau devient le point pivotal où s’articulent les différents motifs qui s’entremontrent et s’entrecachent. Les scènes érotique, mythologique, textuelle entretissent un lien d’éthernité : la terre vue du ciel de la littérature, la différence sexuelle mais pas sans la constellation de toutes les différences ni la poétique du phrasé.

64C’est sous le signe d’une constellation que, pour finir, je placerai cette réflexion : la Constellation de la Chevelure de Bérénice, qui est aussi le titre d’un livre de Claude Simon [23]. D’abord publié sous le nom de Femmes, ce texte précédait 23 peintures de Miró [24] avant d’être édité seul, dans la même présentation par fragments tronqués et détachés, comme des tableaux.

65

allongés comme endormis mais trop immobiles les mouches sur eux non pas marchant mais en grappes noires agglutinées les pieds sales chaussés d’espadrilles aussi
dockers ou quelque chose comme ça vagues métiers de ports soutiers cireurs de chaussures quatre ou cinq silencieux appuyés du dos contre la paroi des briques vernissées comme un urinoir mornes fumant de courtes choses brunes la casquette sur les yeux pièce de six mètres sur sept environ absolument nue à l’exception de l’ampoule couverte de chiures de mouches qui pendait au plafond on poussait la porte qui donnait de plain-pied sur la rue et on entrait agressé pour ainsi dire par le silence et la lumière crue De temps à autre l’un d’eux crachait par terre sans baisser la tête ni détourner les yeux : dans le coin opposé il y en avait six ou sept vêtues de combinaisons décolorées à force d’avoir été lavées non plus roses bleues ou amande mais d’une seule et même teinte semblait-il javellisée pour ainsi dire à peine différenciée par de pâles modulations bordées par ce qui avait sans doute été autrefois de la dentelle maintenant de vagues festons jaunâtres ajourés pendant ou peut-être simplement les franges de la soie élimée certaines relevant une jambe c’est-à-dire […].
(p. 15)

66Confiée au ballet des mots et au ballement de la parataxe généralisée, la ponctuation est toute de rythmique. Il en résulte une circulation tous azimuts par quoi chaque mot est une planète (planetes : errant) qui puise à l’errance force plénière et reçoit lumière des corps voisins.

67Je me bornerai à quelques notations. Le passage de vie à mort se mesure aux pattes de mouche de l’écriture, pas de pas mais des grappes, tout comme le passage narratif du groupe d’hommes au groupe de femmes dans cette scène de bordel, en regard de part et d’autre du seuil ( :), tient aux pieds syllabiques du phrasé, aux rimes et résons, au retour du récit sur ses traces.

68Le montage chromatique à quoi s’attache la description opérant par le détail (« les chiures ») et les gammes (« non plus roses bleues ou amande mais »), cependant que les contours des formes ne sont pas notés, donne à lire une matière verbale atomisée, ionisée, qui flue en tous sens. Si bien que les « combinaisons » des femmes deviennent emblématiques de la combinatoire et de la circulation phrastique.

69Il en résulte un étrange mouvement différentiel et différé où les forces polaires s’entrecroisent sans s’échanger : le vis-à-vis figé, non sans agressivité, ici, des figures masculines et féminines, se trouve travaillé par les corps communicants de l’écriture qui œuvre à ouvrir les représentations à l’énergie nucléaire de leurs composants.

70Plus que jamais, il est clair que la ou les différences sexuelles, cela n’existe pas « en soi », qu’elles sont indissociables de l’ensemble constellaire de toutes les différences, où elles s’éclairent réciproquement et tour à tour.

71Davantage. Du fait du recul du récit qui se tient aux traits de sa facture et de ses fractures, Claude Simon rend sensible que l’écriture de la phrase, c’est la phrase comme une phrase. L’écriture c’est comme une écriture. Et en conséquence, dans l’ordre de la vérité tissée du texte, toute chose est comme. La phrase-comme. L’écriture-comme. Elle se laisse aller vers. Elle se rend au jeu, à tous ses jours et ombres, à tous ses tours. Et le genre non moins se déploie en tous genres et en nombre. Singulier pluriel, masculin féminin, réglé ou non, avec ou sans antécédents, c’est toujours en littérature le genre-comme.

Notes

  • [1]
    Pascal Quignard, « L’image et le Jadis », in Pascal Quignard, RSH, n° 260, oct-déc. 2000, p. 16.
  • [2]
    Maurice Blanchot, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, 1955, p. 18.
  • [3]
    Claude Simon, Lettre à Jean Dubuffet du 21 octobre 1982, in Correspondance Jean Dubuffet. Claude Simon 1970-1984, Paris, L’Échoppe, 1994.
  • [4]
    Maurice Blanchot, L’espace littéraire, op. cit., p. 252.
  • [5]
    Michel de Montaigne, Essais (1re éd. complète posthume 1595), in Albert Thibaudet et Maurice Rat (dir.), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1969, I, 39 (De la solitude).
  • [6]
    Jacques Derrida, Envois, La Carte postale. De Socrate à Freud et au-delà, Paris, Flammarion, 1980, p. 273.
  • [7]
    Ibid., p. 168.
  • [8]
    C’est le titre du livre de Jacques Derrida et Safaa Fathy, Tourner les mots. Au bord d’un film, Paris, Galilée/Arte Éditions, 2000.
  • [9]
    Voir aussi Jacques Derrida, Le Monolinguisme de l’autre ou La prothèse d’origine, Paris, Galilée, 1996, « […] non pas de la maltraiter, cette langue, dans sa grammaire, sa syntaxe, son lexique, dans le corps de règles ou de normes qui constituent sa loi, dans l’érection qui la constituait elle-même en loi. Mais le rêve qui devait commencer alors de se rêver, c’était peut-être de lui faire arriver quelque chose à cette langue. […] quelque chose de si intérieur qu’elle en vienne à jouir d’elle-même au moment de se perdre en se retrouvant […] », p. 85.
  • [10]
    Jacques Derrida, La Carte postale. De Socrate à Freud et au-delà, op. cit., « de l’hébreu il traduit “langue” si l’on peut appeler cela traduire, par lèvre. j’aime toutes mes appellations de toi et alors nous n’aurions qu’une lèvre, une seule pour tout dire », p. 13.
  • [11]
    Claude Simon, La Route des Flandres, Paris, Éditions de Minuit, 1960, p. 114.
  • [12]
    Mireille Calle-Gruber, « Périodes », in Marie-Louise Mallet et Ginette Michaud (dir.), Cahier de L’Herne. Jacques Derrida, Paris, Éditions de L’Herne, 2004, p. 335-341.
  • [13]
    Jacques Derrida, Circonfession, cinquante-neuf-périodes et périphrases écrites dans une sorte de marge intérieure, entre le livre de Geoffrey Bennington et un ouvrage en préparation (janvier 1989-1990), Paris, Le Seuil, 1991, 9/47. Les références indiquent désormais pour cet ouvrage le chiffre de la période suivi de la pagination.
  • [14]
    Claude Cahun, Autoportrait (1925), in Claude Cahun photographe, Paris, Musée national d’Art Moderne de Paris et Jean-Michel Place. Tous les autoportraits mentionnés ci-après réfèrent à cette édition.
  • [15]
    Maurice Blanchot, La folie du jour, Paris, Fata Morgana, 1973, p. 15-16.
  • [16]
    Claude Cahun, Aveux non avenus (1930), Paris, Jean-Michel Place, 2001, p. 35.
  • [17]
    Claude Cahun, Autoportrait, 1921.
  • [18]
    Claude Cahun, Autoportrait, 1929, coll. Patrick Lezean.
  • [19]
    Claude Cahun, Autoportrait, 1919, Musée national d’Art Moderne, Paris.
  • [20]
    Claude Cahun, Autoportrait, 1947, coll. John Walesear.
  • [21]
    Claude Simon, La Route des Flandres, op. cit. Toutes les citations ci-après réfèrent à l’Édition de Minuit « double ». Voir aussi Mireille Calle-Gruber « Le Récit de la description », Postface à œuvre de Claude Simon, La Pléiade, Gallimard, 2006.
  • [22]
    Voir à cet égard le Plan de montage de La Route des Flandres de Claude Simon ainsi que sa « Note sur le plan de montage » dans Claude Simon. Chemins de la mémoire, textes, entretiens et manuscrits réunis et présentés par Mireille Calle-Gruber, Presses Universitaires de Grenoble/Le Griffon d’argile, Québec, 1993, p. 185-200. Voir également Mireille Calle-Gruber, Le Grand Temps. Essai sur l’œuvre de Claude Simon, Presses Universitaires du Septentrion, 2004, en particulier « Portrait du passage en ancêtre (Questions de montage) », p. 65-96.
  • [23]
    Claude Simon, La Chevelure de Bérénice, Paris, Éditions de Minuit, 1984.
  • [24]
    Joan Miró, Claude Simon, Femmes, Paris, Maeght, 1966.
English

Circling Rounds

Summary

The division of the subject in language requires circumspect readings for circumspect writings, which are illustrated with an instance of Derrida’s Circonfessions, Claude Cahun’s (Lucy Schwob) various self-portraits, and the notion of description in Claude Simon’s work.

Mireille Calle-Gruber
Université Paris III - Sorbonne Nouvelle
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/litt.142.0088
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...