C’est ce qui est singulier au demeurant : que cette poussée de violence inattendue (c’est-à-dire dont on s’étonne qu’elle n’ait pas eu lieu plus tôt) et symbolique (plus que réelle : une seule journée de manifestation des dockers européens à Strasbourg a fait autant de blessés parmi les forces de l’ordre que toutes les nuits réunies des émeutes dans les banlieues), ait été l’objet d’une telle stupéfaction et d’une telle emphase interprétatives – politique, médiatique, intellectuelle.
Politique ? On comprend pourquoi : c’est un pauvre calcul, en effet politique, qui l’a déclenchée, spéculant sur les retombées électorales que le putschiste de tous les jours qui était à son instigation était justifié d’en attendre. Et qu’il a recueillies, selon toute apparence (les sondages le diraient) ; et qu’a recueillies, avec lui, l’une des droites les plus dures et les plus cyniques qui soient (répandant sciemment la peur : classe contre classe, race contre race, le tout sur fond de répression – jusqu’au couvre-feu ! –, de chômage et de guerre prétendue au terrorisme).
Médiatique ? On sait aujourd’hui que, du point de vue incontesté et incontrôlé des médias, une échauffourée dans la périphérie des grandes villes, pour peu que la dramatiser soit possible, vaut, au choix, une épizootie (la vache folle, la grippe aviaire…), un attentat (à Madrid, à Londres…), un tsunami, un procès pour pédophilie (Outreau), une journaliste retenue en otage, etc. Les médias (d’images, surtout) sont constitutivement de droite par le goût obsédant qu’ils montrent de la peur, et des bénéfices d’audience qu’ils en retirent.
- Mis en ligne sur Cairn.info le 23/03/2014
- ISBN 2849380604