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En 1929, un photomontage de John Heartfield fit scandale dans l’Allemagne de Weimar. On y voyait huit généraux prussiens portraiturés en grande tenue et assemblés en une unique photographie sous-titrée Tiere sehen dich an, « Les animaux te regardent ». L’objet de toutes les indignations fut publié dans un recueil de textes et de photographies intitulé Deutschland, Deutschland über alles. L’auteur, aujourd’hui injustement et fâcheusement oublié, en était Kurt Tucholsky, à qui revenait donc la reprise insolente du fameux slogan Tiere sehen dich an et dont la plume acérée ne cessa de dénoncer le militarisme, le nationalisme, la justice et la presse aux ordres, l’esprit de soumission comme autant de menaces contre la République et de prodromes de la catastrophe nationale-socialiste. Le montage Heartfield-Tucholsky fut attaqué de toutes parts, et pas seulement par l’extrême droite, de façon particulièrement violente. Le crime à lui imputé, on le devine, est d’avoir osé suggérer que les tronches patibulaires des généraux d’empire étaient comme des gueules d’animaux. La presse antirépublicaine répliqua très vite en associant les noms des fauteurs de troubles à ceux d’Erwin Piscator, de Georges Grosz ou d’Alfred Kerr. Le pamphlet fut réédité dès l’avènement des nazis au pouvoir sous le titre Juden sehen dich an, comme s’il s’agissait de rendre la monnaie de leur pièce à ceux qui, en fin de compte, étaient les véritables animaux de toute cette fable. A la bestialité du militarisme dénoncée en 1929 répondait l’animalité des Juifs exposée en 1933. Les deux mouvements qu’on ne saurait nullement symétriser et renvoyer dos à dos n’en partageaient pas moins un même présupposé ontologique radicalement discontinuiste — dont la transgression valait injure, par elle-même et pour l’adversaire en personne…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 27/12/2013
- https://doi.org/10.3917/ltm.669.0217
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