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S’appartenir. Depuis des semaines, ça tournait dans ma tête. Etre d’ici m’impose-t-il une descente, un repli, un enfoncement ou un monté-desann sans fin ?
Mornes, grands-fonds, montagnes, savanes, marécages, terre, eau, ciel. Quel est mon lieu, ki koté an mwen ? Côté de quoi ? En quel autre-bord ne suis-je pas censé être ? Il existe un haut lieu que je ne peux atteindre qu’en levant les yeux, afin d’habiter pleinement ici-dans.
Tout le monde parlait de l’avenir de la Guadeloupe. Plus que d’habitude. C’était les élections. Et plus on en parlait, plus il me semblait que derrière les chamailleries politiciennes, en fond du pays et à la fois plus haut que le pays même, se jouait autre chose, que nous ne savons pas… S’appartenir.
On parlait beaucoup d’articles de loi. On passait en revue ceux qui nous iraient le mieux, comme parmi les fringues qui restent aux périodes de solde. Comme si c’était l’habit législatif, dans le meilleur rapport qualité-prix, qui nous faisait être Nous. L’habit ne fait pas le Moi. Je suis sûr d’être né d’une mère et d’un père, nés eux-mêmes du hasard de tant d’amours, heureuses ou tragiques, mais en tout cas humaines, pas de la loi. Ni de la loi abolissant l’esclavage, ni de la loi faisant des affranchis des citoyens français et de ce pays un département-région français. Ces femmes et ces hommes ont contemplé le même océan que je regarde là-bas, respiré le même air de sel et d’iode, certains ont labouré cette mer caraïbe, d’autres ont navigué de morne en morne, de coulée en coulée…
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Ce texte est également publié dans le no 28 de L’Unebévue, revue de psychanalyse (www.unebevue.org).
- Mis en ligne sur Cairn.info le 20/11/2013
- https://doi.org/10.3917/ltm.662.0114
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