CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Le Belge Jean-François-Joseph Dauby et le Français Alexis Badier représentent deux figures exceptionnelles dans l'histoire du mouvement leplaysien. Tous les deux sont compositeurs d'imprimerie dans les décennies centrales du XIXe siècle, l'un à Paris, l'autre à Bruxelles. Tous les deux ont lait le récit de leur vie en rédigeant la monographie de leur famille selon la méthode leplaysienne. Ces deux enquêtes autographes [1], réalisées respectivement en 1857 et 1861, sont à notre connaissance unique dans l'histoire du mouvement [2]. La Société internationale des études pratiques d'économie sociale avait été fondée en 1856 pour appliquer la méthode de Frédéric Le Play. Au total, 164 monographies furent publiées par F. Le Play et ses « élèves » entre 1855 et 1930, mais dans ce vaste corpus marqué par le recours à la codification budgétaire, seuls nos deux compositeurs furent à la fois monographe et monographé. Comment expliquer cette identité troublante entre l'enquêteur et l'enquêté et quel statut attribuer à ces textes rédigés aux commencements de l'aventure leplaysienne ?

2 Les budgets sont au cœur de la méthode exposée par F. Le Play en 1855 dans Les ouvriers européens. Cette attention au budget, aux dépenses et revenus des travailleurs s'inscrit dans une floraison d'enquêtes et de statistiques au milieu du XIXe siècle [3]. Maurice Halbwachs qui, parmi les élèves d'Émile Durkheim, promouvra la recherche par les budgets de famille, distinguait les budgets tenus par les sujets de l'enquête et ceux élaborés par les enquêteurs. Parmi ces derniers, il repérait trois types de budgets dans les enquêtes sociales du milieu du XIXe siècle [4]. D'abord, les budgets établis par approximation, qui reposent sur un informateur et présentent des moyennes (ce sont ceux présentés par exemple par Louis René Villermé en 1840). En second lieu, les budgets établis par questionnaire qui reposent sur un nombre de cas plus grand et sur l'uniformité du cadre et du formulaire adopté [5]. Enfin, il met à part les budgets rattachés aux monographies de F. Le Play (et de ses continuateurs) qui se distinguent des catégories précédentes par le soin avec lequel ils ont été dressés et la richesse de détails qu'on y trouve, aussi bien que par leur petit nombre.

3 Ces budgets reposent sur une méthode d'observation intensive, ils sont élaborés grâce à des renseignements verbaux et à l'intimité de l'enquêteur à l'égard des enquêtés. « La première condition pour décrire aussi bien que possible la famille que l'on a observée, nous dit Adolphe Focillon, un des principaux collaborateurs de F. Le Play, c'est d'avoir vécu à son foyer, d'y avoir entendu tour à tour ses divers membres vous retracer eux-mêmes leur rôle sous le toit commun [6] ». Il faut d'abord « s'attirer la confiance de la famille que l'on étudie », afin de pouvoir soumettre à « un interrogatoire long, minutieux, précis et détaillé » l'ouvrier et sa compagne. Dans ces conditions, l'enquêté est sans doute le meilleur des enquêteurs, surtout lorsque cet enquêté est lettré, instruit et capable de rédiger le texte de la monographie comme l'étaient les compositeurs d'imprimerie. Les deux monographies de compositeurs brouillent donc les catégories à travers lesquelles sont pensées les pratiques de l'enquête : les budgets y sont élaborés par les sujets de l'enquête, mais selon la méthode leplaysienne respectée fidèlement.

4 La méthode de F. Le Play est marquée à la fois par un anti-individualisme normatif, un familialisme prononcé et une quête incessante de rigueur scientifique. Sa méthodologie passe par l'analyse des « budgets de famille ». C'est l'ordre domestique qui constitue le cadre primaire de la vie sociale, l'enquête doit donc porter sur la sphère domestique et la reproduction familiale et pas seulement sur l'usine et la sphère de la production. L'observation s'opère à deux niveaux : d'abord comprendre l'économie familiale en suivant avec précision les biens matériels produits, stockés, échangés et consommés ; ensuite examiner l'économie domestique sous la forme de l'ensemble des activités des membres de la famille. Le « budget de famille » doit ainsi enregistrer toutes les ressources dont dispose la famille, dans ses moindres détails, en prenant en compte le fond des tiroirs et des armoires, comme les possessions immobilières... De l'autre côté, le « budget-temps », la journée de travail étant l'unité de mesure, doit permettre d'analyser avec précision l'activité de chaque membre de la famille [7]. À travers ce budget complexe, l'enquêteur pose de nombreuses questions sociologiques intéressantes, il ne s'agit pas seulement de quantifier des dépenses et des recettes monétaires mais d'interroger la diversité des pratiques sociales. Le budget montre, par exemple, le temps consacré à la réparation des biens domestiques, certaines dépenses comme l'éclairage dévoilent les formes de sociabilité et les pratiques de lecture.

5 En devenant enquêteur, nos deux compositeurs ont donc accepté de retraduire leur expérience dans le cadre de la vision du monde propre au mouvement leplaysien, c'est-à-dire à travers une attention particulière au lien familial et à sa traduction monétaire. Leur qualité professionnelle interroge sur l'aire de réception du projet leplaysien en milieu ouvrier. Il est en effet significatif que les deux seules « monographies autographes » du corpus leplaysien émanent de deux compositeurs d'imprimerie : un groupe particulièrement lettré et inséré dans les réseaux intellectuels et réformateurs. Au total, il existe quatre monographies d'ouvriers typographes : outre celles des compositeurs de 1857 et 1861 sur lesquels nous nous arrêterons, deux autres plus tardives ont été rédigées sur un compositeur québécois et un conducteur bruxellois [8]. Les deux textes entretiennent par ailleurs des relations étroites : A. Badier a lu et médité la monographie de J. Dauby et souligne que les deux familles offrent « des analogies et des contrastes qu'on signalera par des renvois spéciaux » [9]. Ces deux textes sont donc construits en miroir et se répondent, ce qui invite à les interroger ensemble.

6 Le récit et l'intrigue monographique ne se laissent pas enfermer dans des typologies sommaires et une sociologie trop grossière. Ces monographies leplaysiennes sont, selon la belle formule de Maurizio Gribaudi inspiré par Walter Benjamin, « l'unique apparition d'un lointain, une image mouvante, foisonnante de vie et écartelée entre des tensions contradictoires » [10]. À travers ces textes et ces budgets, c'est aussi la genèse de la sociologie empirique et de la pratique de l'enquête sociale qui doit être interrogée [11]. Nous étudierons dans un même mouvement l'identité sociale des compositeurs d'imprimeries dans l'Europe du milieu du XIXe siècle – à un moment où le métier est profondément bouleversé – la question de l'expérience de l'enquête dans les milieux populaires, et la place spécifique qu'y occupe le budget.

L'imprimerie en capitales

7 Les ouvriers imprimeurs parisiens et bruxellois constituaient alors un groupe numériquement restreint (quelques milliers de salariés au plus) mais néanmoins sensiblement plus important que celui de leurs collègues de province. Dans les deux capitales, à la fois politiques, économiques et culturelles que sont alors Paris et Bruxelles, l'imprimerie constitue un secteur important en pleine mutation au cours des années 1850.

8 À Bruxelles, le recensement de 1829 notait la présence de 40 imprimeries employant 320 ouvriers compositeurs et 84 presses. Celui de 1846 enregistre 57 imprimeries, occupant 683 ouvriers (dont 662 hommes adultes). J. Dauby confirme ces chiffres en notant qu'à Bruxelles et dans sa banlieue, il y avait 700 ouvriers typographes, dont 500 compositeurs et 200 pressiers ou conducteurs de machines à imprimer [12]. Dans la seconde moitié du siècle, l'imprimerie est l'une des rares activités à être en expansion puisque le nombre d'imprimeurs double entre 1847 et 1892 [13]. Encore plus qu'à Paris, les petits ateliers dominent : les patrons employant un à cinq ouvriers ont triplé (54 en 1892 contre 18 en 1847), alors que le nombre d'entreprises plus grandes croît seulement d'un quart (36 contre 28). Le nombre d'ouvriers imprimeurs passe de 900 à 1365 durant la même période ; mais seules trois imprimeries occupent plus de 100 ouvriers. La signature de la convention littéraire avec la France en 1852 a amené par ailleurs une crise durable en imposant une forte réduction de la production consécutive à la fin de l'industrie des contrefaçons qui tirait le secteur de l'imprimerie bruxelloise [14]. La crise dure plusieurs années et entraîne le renvoi de nombreux ouvriers qui se trouvent sans ouvrage, ou qui ont dû, pour s'en procurer, embrasser d'autres professions. Lorsque J. Dauby rédige son texte et élabore son budget en 1857, la crise persiste, la concurrence que se font les imprimeurs entre eux et le perfectionnement des méthodes mécaniques accentuent encore le marasme [15]. Les années 1850-1860 sont une phase d'intenses transformations techniques dans la typographie : s'il n'y avait encore qu'une douzaine de presses mécaniques dans la capitale belge en 1852, nous en trouvons 125 dès 1873.

9 À Paris, la situation de l'imprimerie présente de nombreux points communs avec celle de Bruxelles [16]. Autour de 1860, il existe 92 imprimeries à Paris, ainsi qu'une cinquantaine d'autres installées dans un rayon de 100 km autour de la capitale [17]. Le monde de l'imprimerie parisienne connaît lui aussi de nombreuses transformations. Il continue de se développer dans le centre, notamment dans les 5e et 6e arrondissements où la désindustrialisation est moins rapide que sur la rive droite en raison de la proximité de la clientèle des écoles et du Quartier latin. De par leurs compétences reconnues et le niveau élevé de leurs rémunérations, les imprimeurs-typographes constituent un groupe privilégié au sein du monde du travail parisien. L'industrialisation de ce secteur et la formation de grandes entreprises typographiques comme l'imprimerie Dupont sont d'autant plus douloureusement ressenties. Les premières presses mécaniques apparaissent à Paris sous la Restauration, leur nombre augmente ensuite rapidement : dès 1844, il y en a 140, sans compter celles de l'Imprimerie royale. En 1860, seules quelques imprimeries, souvent de très petite taille, ne possèdent toujours pas de mécaniques, tel l'atelier de Chassaignon, spécialisé dans les canards, qui ne possède que deux presses à bras et occupe 6 compositeurs. À l'inverse, les deux usines d'imprimerie Dupont installées à Paris et à Clichy accueillent dès 1860 44 presses mécaniques, typographiques ou lithographiques, 30 presses à bras et 10 presses hydrauliques. La force motrice est apportée par deux machines à vapeur, soit un capital fixe évalué à 2 millions de francs. En 1867, l'entreprise emploie un personnel de 200 commis aux écritures et de 900 ouvriers [18]. La composition est également affectée par ces bouleversements avec les expériences menées sur les « pianotypes » ou machines à composer mécaniquement qui devaient remplacer les ouvriers : A. Badier en a d'ailleurs vu fonctionner une à l'Exposition de 1855 et fait part de ses doutes quant à leur efficacité [19].

10 Par rapport à ce monde dominé par les petits ateliers, nos deux enquêteurs travaillent donc dans des imprimeries hors normes. Lorsqu'il rédige sa monographie en 1857, J. Dauby est en effet devenu chef d'atelier dans l'entreprise Lesigne, l'une des principales « maisons de labeur » de Bruxelles – c'est-à-dire où se réalisent les travaux de longue haleine comme les livres. Lors de sa création en 1840, il ne s'agissait encore que d'une petite entreprise qui employait 6 à 7 compositeurs, 2 pressiers, et 2 aides pressiers, mais elle grossit rapidement : Lesigne se voit notamment confier d'importantes commandes d'administrations publiques, en premier lieu du ministère de la Justice, qui lui assurent un travail abondant et régulier [20]. L'imprimerie Lesigne fournit par ailleurs de nombreux travaux administratifs, comme le compte rendu analytique flamand des débats des chambres législatives. Elle imprime aussi de nombreux ouvrages scientifiques, elle réalise l'impression de l'Enquête sur la condition des classes ouvrières et sur le travail des enfants (1846, 3 vol.) et du recensement général de la population (1846, 1856, 1866) [21]. Grâce à ces diverses expériences, J. Dauby a sans nul doute eu fréquemment l'occasion de manier des budgets dans l'atelier. A. Badier de son côté travaille depuis trente-quatre ans dans le même atelier, il y a acquis le statut de doyen lorsqu'il rédige son texte. Le patron d'A. Badier avait été remarqué lors de l'Exposition de 1849 et il reçoit une médaille d'or lors de l'Exposition universelle de 1855, dont F. Le Play est l'organisateur. J. Dauby et A. Badier semblent être des travailleurs exceptionnels, à la charnière du monde ouvrier et de la bourgeoisie.

Des travailleurs d'élite ?

11 Les compositeurs constituent un groupe à part dans le monde du travail des grandes capitales européennes du XIXe siècle. Ils sont l'incarnation de ce que l'historiographie marxiste de l'après-guerre a appelé « l'élite ouvrière » [22]. En dépit de son ambiguïté et de sa dimension polémique, cette expression demeure utile pour caractériser la singularité de certains ouvriers dans le champ social, leur capacité à contrôler l'accès au métier, et le niveau supérieur de leurs salaires [23]. À Paris, les compositeurs touchent en moyenne 4 F en 1807 alors que les imprimeurs (ou tireurs de feuilles) ne gagnent que 2 à 2,50 F. Dans les années 18441847, leur salaire atteint 4,50 F contre seulement 2 à 2,50 F pour les tourneurs de mécaniques (deux par presse mécanique) [24]. En province toutefois, les salaires restent généralement inférieurs [25].

12 Les deux monographies révèlent néanmoins de sensibles différences quant à la place des deux ouvriers dans la hiérarchie du métier. Les deux enquêteurs-enquêtés n'ont pas le même âge lorsqu'ils rédigent leur monographie – J. Dauby est né en 1824 et A. Badier en 1805 – ni la même position dans l'atelier et le métier. J. Dauby jouit en effet d'une « position aisée » grâce à son « salaire élevé et [ses] habitudes laborieuses », il possède un « rang distingué » dans sa corporation et a pris la direction des ateliers de son maître. Cette position de « metteur en pages » – une sorte de « petit monarque absolu » qui distribue le travail aux autres, embauche et débauche la main-d'œuvre [26] – le place dans une situation incertaine entre « celles de l'ouvriers et du bourgeois » [27] :

« Le travail de l'ouvrier est exécuté à l'heure, tant à l'atelier qu'à domicile, pour le compte d'un patron. Il a pour objet la composition, la mise en pages typographiques, la lecture des épreuves, la tenue des écritures relatives à l'administration de l'imprimerie, enfin, une surveillance générale sur l'ensemble de l'atelier où travaillent les compositeurs. L'ouvrier est rétribué à raison de 0,50 F par heure. Le travail effectif est, en moyenne, de onze heures par jour. Lorsque l'ouvrage donne faiblement, la journée du lundi se termine à quatre heures de l'après-dinée, mais, en revanche, l'ouvrier a assez régulièrement un travail supplémentaire de quelques heures le dimanche, à domicile. À moins de circonstances extraordinaires, qui ne se présentent que trois à quatre fois par an, l'atelier est fermé le dimanche et les jours de fêtes observées. Le salaire est payé très régulièrement chaque quinzaine, le samedi soir ; et ce jour de paie n'est jamais pour l'ouvrier une occasion de dépense [28]. »

13 À l'inverse, A. Badier n'a jamais dépassé le statut de « paquetier », c'est-à-dire d'ouvrier compositeur proprement dit, celui qui obéit et gagne le moins, il jouit d'ailleurs d'un « gain assez modique ». Il explique sa situation par son infirmité physique (surdité due à un accident et sans doute était-il un gaucher contrarié) et par un apprentissage trop tardif qui lui a empêché d'acquérir « cette agilité des doigts à laquelle un jeune homme arrive aisément » [29]. Signe de cette position inférieure, A. Badier est payé à la tâche, ses revenus sont donc plus incertains et varient selon la quantité de travaux qui lui sont confiés :

« L'ouvrier travaille à la tâche [...] Ce travail est payé d'après un tarif qui est le même pour la plupart des compositeurs de Paris. B*** a eu beaucoup de peine à vaincre l'habitude, contractée pendant son enfance, de se servir de la main gauche de préférence à la droite. Cette habitude est peut-être aujourd'hui une cause du peu d'agilité qu'il a acquise à lever la lettre. Le salaire de ses journées, variable en raison du travail qui lui échoit, peut être fixé en moyenne à 3,45 F [30]. »

14 Ces ouvriers étaient très qualifiés, ils étaient presque seuls parmi les travailleurs manuels du milieu du siècle à savoir tous lire, écrire et compter. En outre, beaucoup savaient composer en latin en grec (c'est le cas d'A. Badier) et, parfois, en hébreu. Ils étaient également relativement bien payés même si les situations pouvaient varier. Mais en France, à la différence d'autres ouvriers des métiers qualifiés (comme les bijoutiers ou les horlogers), ils pouvaient difficilement connaître un processus d'ascension sociale en se mettant à leur compte car la création d'une imprimerie demeurait subordonnée à l'achat coûteux d'un brevet d'imprimeurs. Leur trajectoire professionnelle s'en trouvait limitée, ce qui pouvait les amener à rechercher ailleurs que dans le métier des occasions d'ascension sociale. Par ailleurs, ces ouvriers imprimeurs ne pouvaient envisager d'avenir que collectif, c'est pourquoi dès la Restauration ils avaient créé des sociétés de secours mutuel et avaient développé précocement des formes de sociabilité et d'organisation collective particulièrement dynamiques [31].

15 La position différente des deux ouvriers apparaît à d'autres indices présents dans les budgets. Ainsi, A. Badier se plaint qu'il « ne reçoit aucune subvention de son patron » et déplore que l'ancien usage de réserver quelques exemplaires de chaque ouvrage sortant des presses « au profit des ouvriers » ait complètement disparu. La quinzaine d'ouvrages qu'il possède ont « tous [été] achetés par l'ouvrier » [32]. À l'inverse J. Dauby possède une bibliothèque plus ample composée d'environ 300 volumes dont une partie « sont dus à la libéralité de son patron ou des auteurs pour qui ils ont été faits » [33]. En dépit de ces différences, les deux ouvriers s'efforcent de mettre de l'argent de côté et mettent en scène leur capacité à l'épargne. Le caractère exemplaire d'A. Badier apparaît ainsi dans ses « véritables tendances à l'épargne, assez rares dans la corporation dont il fait partie », même si la faiblesse de son salaire l'empêche d'épargner autant qu'il le souhaiterait [34]. Il dispose néanmoins de 900 F placés à la caisse d'épargne, et le ménage conserve 50 F « pour les besoins extraordinaires ». J. Dauby de son côté ne possède que 51 F placés à la caisse d'épargne, mais il s'empresse d'ajouter que ce capital était auparavant de 160 F et que les dépenses occasionnées par la première communion de ses deux enfants l'a contraint à « y faire plusieurs brèches » [35]. Par ces indices éparses, les budgets donnent à voir l'inscription sociale des deux compositeurs, leurs trajectoires comme leur aspiration à s'élever dans la hiérarchie sociale.

Comment devient-on enquêteur ?

16 Comment expliquer que ces deux ouvriers aient rédigé le récit de leur vie ? Par leur trajectoire, ils possédaient sans nul doute de larges réseaux d'interconnaissance et un ensemble d'habitus qui favorisaient leur insertion dans les cercles leplaysiens. Les deux ouvriers compositeurs possèdent de nombreux points communs [36]. Le père de J. Dauby était bottier-cordonnier, à la tête d'un petit atelier de plusieurs ouvriers à Bruxelles. Celui d'A. Badier était également cordonnier mais à Tours. On sait à quel point le monde des cordonniers du premier XIXe siècle était exceptionnel, caractérisé notamment par sa plus forte alphabétisation et son indépendance [37]. Les deux compositeurs éprouvent également tous les deux les bouleversements politiques du temps : la mère d'A. Badier était originaire « d'une famille noble par alliance qui perdit sa fortune et ses parents avec la chute de la royauté », alors que le père de J. Dauby fut ruiné par la révolution belge de 1830. Ils semblent également avoir été tous les deux frustrés dans leur ascension sociale. J. Dauby doit quitter l'école à 9 ans pour entrer en apprentissage dans une librairie de Bruxelles, très rapidement il devient apprenti-compositeur et change plusieurs fois d'atelier avant de rentrer en 1840 dans celui de Lesigne où il exerce toujours en 1857. A. Badier connaît une trajectoire professionnelle encore plus chaotique à ses débuts. Il est d'abord placé dans un pensionnat où il bénéficie d'une éducation soignée et apprend le latin et le grec, il entame ses humanités à Tours mais est contraint d'abandonner, en raison de sa surdité, avant d'avoir achevé sa rhétorique. Dans les années 1820 il vient chercher du travail à Paris où était installée sa sœur aînée, il enchaîne alors divers petits métiers avant de devenir ouvrier compositeur à partir de 1826.

17 Les deux compositeurs semblent par ailleurs s'intéresser très tôt aux débats sociopolitiques, ils cherchent des moyens de participer aux discussions du temps. En 1846, A. Badier obtient ainsi la présentation et la lecture en séance publique d'une pétition qu'il a adressée à la Chambre des députés, pour l'amendement de la loi pour l'extinction de la mendicité, et l'adoucissement de la pénalité qu'elle inflige [38]. De son côté, A. Dauby remporte en 1851 un concours organisé par la société médicochirurgicale de Bruges, grâce à son « Mémoire pour servir à la topographie de l'arrondissement administratif de Thielt (Flandre occidentale) ». Dans les années 1850 il engage une véritable carrière littéraire en publiant en 1856 Le livre de l'ouvrier ou conseils d'un compagnon. Il s'agit d'une sorte de manuel de morale pratique à l'usage de la classe ouvrière, dans lequel il met en scène une vie ouvrière idéale, centrée sur l'atelier et la famille, creusets des valeurs essentielles de l'existence : le travail et la prévoyance [39]. Ce texte lui a d'ailleurs valu une médaille d'honneur à l'exposition d'économie domestique de Bruxelles en 1856, à cette occasion il a sans doute dû retenir l'attention de F. Le Play et de ses collaborateurs [40].

18 Les deux ouvriers s'investissent par ailleurs dans les organisations professionnelles et l'action politique. En 1830, A. Badier appartient à la garde nationale et « s'employa à l'apaisement des émeutes », précise-t-il. Il aurait été, selon son témoignage, l'un des fondateurs de la Société typographique parisienne en 1841, ainsi que l'un de ses membres les plus zélés jusqu'en 1849, date à laquelle il quitte la Société faute de ressources [41]. En 1848, il est dans la garde nationale et semble actif pour assurer le transport des charrettes de farine et protéger les presses de son patron contre un groupe décidé à détruire les presses mécaniques [42]. Face au manque de travail il trouve un emploi dans un des bureaux établis pour la formation des premières listes électorales, puis dans le bureau de bienfaisance du 12e arrondissement comme employé auxiliaire à la distribution des secours, il rentre ensuite dans son ancien atelier.

19 De son côté, J. Dauby devient une figure importante du milieu typographique bruxellois : il adhère dans les années 1840 à l'Association libre des compositeurs-typographes de Bruxelles crée en 1842 pour défendre la main-d'œuvre. Il en devient commissaire de 1848 à 1850, secrétaire en 1856 et président en 1857, autant d'expériences qui l'ont conduit à manier et élaborer des budgets [43]. L'année 1857 constitue un tournant pour J. Dauby : l'association engage une lutte victorieuse pour l'augmentation des salaires. J. Dauby lait le récit très idyllique et édulcorée de cette affaire : « Ce résultat remarquable fut obtenu sans cri, sans éclat. Les ouvriers se bornèrent à exposer leur situation à leurs patrons. Le plus grand nombre de ceux-ci, guidés d'ailleurs par des sentiments d'humanité et de convenance sociale qui leur font le plus grand honneur, s'empressèrent d'accéder aux désirs des travailleurs. » En réalité, la confrontation dégénéra en février 1857, plusieurs maisons lurent désertées, J. Dauby et quelques autres furent condamnées comme « meneurs » à 40 F d'amende. J. Dauby rédige sa monographie durant cette période troublée mais n'en laisse rien transparaître dans son texte. Par la suite, il reste président de l'Association jusqu'en 1860, mais il ne joue plus aucun rôle revendicatif et il se montre de plus en plus critique à l'égard des grèves et place peu à peu ses espoirs dans la mutualité.

20 À des degrés variables les deux compositeurs sont donc impliqués dans les mutations sociales et politiques du milieu du siècle. Le mouvement leplaysien leur offre dès lors l'occasion d'associer leur désir de réforme et leur souci modéré de préservation de l'ordre social. Les deux monographies sont d'ailleurs rédigées aux débuts du mouvement leplaysien, lorsqu'il commence à se structurer en recherchant des enquêteurs et des auteurs. F. Le Play publie en effet ses premières monographies en 1855 dans son ouvrage Les ouvriers européens. Il obtient d'emblée un grand succès et suscite diverses réactions. Dans le même temps, il s'affirme comme un personnage public : il est commissaire général de l'Exposition universelle de 1855, ce qui lui vaut d'être nommé conseiller d'État en décembre 1855. En janvier 1856, l'Académie des sciences lui décerne le prix Montyon de statistique. C'est dans la foulée de ces divers succès – alors que sa renommée s'étend – qu'il fonde la Société internationale des études pratiques d'économie sociale [44]. C'est l'occasion pour F. Le Play d'étendre ses réseaux, de multiplier les contacts avec diverses personnalités du monde de l'industrie et de la science et d'initier des enquêtes sur le modèle qu'il avait proposé en 1855.

21 Les deux compositeurs ont peut-être rencontré F. Le Play, ou certains de ses proches, lors de l'Exposition de 1855. J. Dauby réalise en tout cas son enquête durant les premiers mois de la nouvelle société. Il précise que les observations à la base de sa monographie sont recueillies en novembre 1857. Elle est publiée par la Société dès l'année suivante dans le second tome du recueil Les ouvriers des deux mondes[45]. J. Dauby appartient à cette « nouvelle classe d'observateurs » que la Société entend promouvoir. Ils peuvent être des voyageurs lointains qui sillonneront le globe pour en rapporter des observations précises, ou bien des « observateurs sédentaires » qui enquêteront sur ce qui paraît plus familier. J. Dauby appartient évidemment à ce second type, il est par excellence l'enquêteur sédentaire puisqu'il reste chez lui pour rédiger son texte et dresser le budget familial. Dans la description de sa méthode F. Le Play insiste sur le rôle central de l'enquêteur, mais que signifie enquêter sur sa propre famille, ne s'agit-il pas plutôt d'un témoignage personnel de nature autobiographique ? Cette dimension est dissimulée derrière le recours à la méthode leplaysienne, à ses mots, à la sécheresse de ses tableaux et budgets... La dimension stéréotypée de la méthode doit dissimuler la richesse de l'expérience vécue singulière. Par son parcours, J. Dauby devait donc être particulièrement sensible au programme leplaysien et à son appel aux bonnes volontés pour rédiger des monographies. Dans son atelier, il avait d'ailleurs été chargé de l'impression de plusieurs ouvrages d'Édouard Ducpétiaux ainsi que des résultats de l'importante enquête de 1843 en Belgique, autant d'expériences qui ont pu l'amener à s'intéresser de près à la pratique des enquêtes sociales.

22 La seconde monographie est réalisée quelques années plus tard, le compositeur A. Badier réunit les informations en juin 1861 et sa monographie est publiée l'année suivante en 1862 [46]. Nous ne connaissons pas précisément quels étaient les travaux réalisés par A. Badier, mais nous savons qu'il avait lu le texte de J. Dauby, peut-être eut-il le désir (ou fut-il incité) à réaliser pour l'imprimerie parisienne, l'équivalent du travail réalisé sur le compositeur bruxellois. Maurizio Gribaudi a suggéré que l'« acte de réflexion et d'écriture autobiographique [d'A. Badier] s'est engendré tout naturellement dans le cadre des formes des relations verticales dans lequel évolue Alexis depuis sa naissance » [47]. Mais il faudrait creuser davantage les liens avec le groupe leplaysien. Comme J. Dauby, A. Badier a sans doute croisé dans son parcours des membres du réseau leplaysien qui l'ont poussé à entreprendre cette aventure : qu'il s'agisse de son patron ou de divers bourgeois rencontrés dans l'atelier [48]. A. Badier et J. Dauby représentent deux figures singulières du mouvement leplaysien. À la différence des principaux monographes de l'école de F. Le Play – qu'il s'agisse d'Adolphe Focillon, de Pierre du Maroussem ou du belge Victor Brants – ils appartiennent aux milieux populaires, ils les connaissent de façon intime et étroite. Cette proximité sociale est-elle un gage de pertinence et de fiabilité des analyses et du budget dressé ? N'est-elle pas au contraire le symbole des limites du mouvement leplaysien naissant, contraint de recourir à des témoignages personnels faute de pouvoir compter sur des enquêteurs connaissant ce milieu ?

Modes de vie et lignes comptables

23 Comme tous les enquêteurs leplaysiens, A. Badier et J. Dauby nous livrent une masse considérable de chiffres regroupés en trois catégories principales de flux : d'abord les flux monétaires, c'est-à-dire les entrées et les sorties d'argent liquide ; en second lieu les diverses subventions reçues ; enfin les prestations de produits ou de services entre les différents comptes de la famille [49]. Chaque poste budgétaire peut faire l'objet d'une analyse comparée pour tenter de cerner, à travers les différences et les recoupements, en quoi ils éclairent l'expérience sociale singulière des compositeurs d'imprimerie dans les grandes métropoles européennes du XIXe siècle. Les éléments consacrés à l'alimentation, à la santé et aux distractions offrent de nombreuses pistes. Dans l'ensemble, les budgets sont proches et s'apparentent aux normes en vigueur dans les milieux populaires du second XIXe siècle : plus de 50 % des dépenses sont ainsi absorbées pour la nourriture, et environ 18 % pour l'habitation (c'est-à-dire le loyer plus le mobilier, l'éclairage et le chauffage). La seule différence porte sur les dépenses de santé et de distraction, plus élevées chez le compositeur français, pourtant le plus pauvre des deux.

Principaux postes de dépense des deux compositeurs (en francs)

Principaux postes de dépense des deux compositeurs (en francs)

24 L'histoire de la consommation et de la culture matérielle constituent des chantiers en plein renouvellement et les budgets leplaysiens ont servi de source à certains de ces travaux [50]. Mais quel usage en faire ? Les lignes comptables offrent-elles des éléments pour historiciser la spécificité de ces deux monographies ? On sait que les budgets représentent une construction ambivalente [51]. Ils s'inscrivent dans une vision scientiste de l'enquête sociale et l'opération budgétaire mise en œuvre s'apparente à l'analyse chimique, centrale dans la science métallurgique et la formation intellectuelle de F. Le Play. Pour F. Le Play, « tous les actes qui constituent l'existence d'une famille d'ouvriers aboutissent, plus ou moins immédiatement, à une recette ou à une dépense », dès lors tous les actes de la vie ouvrière sont convertis en argent afin d'aboutir à la plus grande cohérence possible. L'accumulation de chiffres, l'extrême précision des tableaux et recensement offre au lecteur pressé un effet de réel saisissant. Mais cette mise en forme budgétaire s'inscrit aussi dans des cadres normatifs qui orientent nécessairement l'interprétation.

25 Anne Lhuissier a étudié de près le cas des pratiques de consommation alimentaire dans les milieux populaires français de la deuxième moitié du XIXe siècle en renouvelant l'usage fait en histoire et dans les autres sciences sociales des monographies de l'école de F. Le Play. Au lieu de voir dans ces budgets le signe d'un discours idéologique et normatif posé sur les classes populaires par des enquêteurs bourgeois, elle tente de saisir les relations dialectiques complexes qui se nouent entre les analyses des réformateurs et les pratiques ouvrières, elle tente de tenir « les pratiques en même temps que le point de vue réformateur qui les exprime » [52]. Elle a ainsi utilisé la monographie d'A. Badier pour illustrer ce qu'elle appelle le « modèle de la frugalité » dans lequel la dépense du repas à l'extérieur est systématiquement évitée par le recours au repas préparé à la maison. Un tel comportement vise à économiser sur ce poste budgétaire, pour l'enquêteur leplaysien les familles de ce type sont vertueuses, contrairement aux autres. Le budget consacré à l'alimentation est utilisé par nos deux enquêteurs comme un indice de moralité, de distinction et in fine de supériorité des compositeurs au sein du monde du travail. Ainsi, J. Dauby précise que la famille « ne prend point à crédit les denrées qu'elle achète ; et elle s'écarte en cela de l'usage suivi par la généralité des ouvriers » (p. 115) ; de son côté le ménage Badier « s'impose la plus grande sobriété, pour ne pas dépasser les ressources de son budget, et ne pas entamer le capital épargné » (p. 250).

Principaux aliments consommés par le ménage pendant l'année (en pourcentage du total)

Principaux aliments consommés par le ménage pendant l'année (en pourcentage du total)

26 Malgré cette sage prudence, la famille semble disposer d'une alimentation de qualité qui contraste avec d'autres groupes ouvriers de l'époque. Selon J. Dauby, « l'ordinaire de chaque jour » du dîner comprend ainsi « une soupe à la viande ou aux légumes, un plat de pommes de terre ou d'autres légumes suivant la saison, de la viande bouillie, ou plus souvent rôtie, soit de bœuf, soit de veau ; de temps à autre, la viande est remplacée par une volaille, un lapin ou par quelque morceau de charcuterie. Le dîner est fréquemment suivi d'un petit dessert composé de fruits : noix, cerises, prunes, pommes, poires, abricots, raisin (provenant de la vigne de la maison), et toujours d'une tasse de café ».

27 Mais au-delà de ces considérations générales, d'importantes différences se font jour dans le détail. Par exemple, A. Badier et sa famille ne consomment que 16,5 kg de « matières sucrées » (c'est-à-dire surtout du sucre blanc et un peu de caramel) par an pour un total de 22,7 F (le kilogramme est estimé à 1,376 F). J. Dauby et sa famille consomment de leur côté près du double de sucre avec 29 kg de « matière sucrée », soit 40,62 F, consommée par an (1,4 F le kilogramme de sucre). Ces données peuvent être mises en regard avec les statistiques disponibles. Dans les années 1850, la consommation par tête en France n'est que de 5,5 kg alors qu'elle est d'un peu plus de 20 kg en Angleterre, où la consommation de ce produit s'est démocratisée plus rapidement [53]. Le sucre devient dès lors un marqueur social, un instrument de distinction, même si la plus faible consommation en France peut s'expliquer aussi par les traditions alimentaires nationales.

28 La part du budget consacré à l'alcool est particulièrement significative à cet égard. On retrouve d'emblée les styles et coutumes nationales puisque J. Dauby ne consomme que de la bière alors qu'A. Badier privilégie le vin [54]. Le mode de consommation varie également fortement : si A. Badier dépense près de 14,5 % du budget alimentation en vin acheté au litre (150 l dans l'année) ; J. Dauby de son côté ne dit dépenser que 7 F pour la bière et l'eau de vie (23 l et 1 l), soit moins de 1 % du budget alimentation de la famille. Alors que l'antialcoolisme commence à prendre de l'ampleur, les deux ouvriers tiennent un discours de la sobriété qui peut rentrer en contradiction avec les lignes comptables qu'on trouve dans le budget. J. Dauby affirme que la famille « ne consomme ni vin, ni liqueurs ; et elle boit rarement de la bière. Hors du domicile, l'ouvrier fait une consommation très modérée de bière, par exemple, le dimanche, ou dans quelque réunion des sociétés dont il fait partie ». A. Badier affirme de son côté que « la famille ne consomme que 3 litres de vin par semaine [...] B*** boit fort peu d'eau de vie, il en achète seulement pour 1,50 F par an et il en emploie la majeure partie comme médicament pour guérir les enfants de leurs rhumes ». En transformant la quantité annuelle en quantité consommée par semaine et en insistant sur les usages médicamenteux, l'ouvrier atténue l'ampleur de sa consommation d'alcool dans le budget total.

29 Plusieurs remarques peuvent enfin être faites concernant les dépenses de santé. Jean Puissant a montré comment le budget consacré à la santé éclairait la trajectoire et les engagements du compositeur J. Dauby. Ce dernier insiste en effet sur la mauvaise santé de sa famille. Les charges financières considérables qui en découlent ainsi que celles occasionnées par le typhus dont J. Dauby fut victime en 1844 (et qui l'avaient incité à adhérer la même année à une société de secours mutuel de la typographie) représentent des sommes importantes pour le budget familial. En quinze ans de mariage, les dépenses en soins de santé s'élèvent à 300 F, soit 20 F en moyenne par an. Sa cotisation à la société mutuelle s'élève à 1,50 F par mois, soit 18 F par an, ce qui couvre grosso modo les neuf dixièmes des dépenses occasionnées par ses maladies. Dès 1858, pour une cotisation à forfait de 6 F par an, la famille entière bénéficiera des services du médecin de la Société. C'est sans doute dans cette expérience que s'enracine l'intérêt de J. Dauby pour l'action sociale et les sociétés de secours mutuel.

Ronde des objets et culture matérielle

30 La richesse des budgets leplaysiens provient aussi de ce qu'ils donnent à voir des pratiques populaires de consommation et de leurs rapports aux artefacts matériels. Puisque tout doit être converti en argent, l'enquêteur doit s'efforcer de traduire des pratiques qui – par nature – échappent au regard comptable.

31 L'univers matériel et l'habitat de nos deux ouvriers diffère sensiblement ; il reflète à la fois la supériorité de J. Dauby et la situation différente du logement dans les deux villes. Signe d'une réelle ascension sociale, la famille Dauby occupe seule, depuis quatre ans, une petite maison, sur le mur de laquelle s'élève une vigne d'environ 12 m et qui lui coûte 216 F par an. Cette maison est composée de quatre pièces d'habitation, dont deux au rez-de-chaussée et deux au premier étage, d'une cave, d'un grenier et d'une cour, ayant une superficie totale de 84 m2. Bien que les pièces habitées soient séparément assez exiguës, la famille est logée à l'aise ; et « l'ouvrier est bien décidé à faire tous les sacrifices compatibles avec sa position, pour conserver ce qu'il appelle "son luxe et son repos", car il a passé par une longue succession de logements » (p. 115). La famille Badier est plus à l'étroit pour un loyer presque équivalent de 190 F par an. L'appartement n'a qu'une superficie de 25 m2, situé au premier étage d'une maison de la rue Neuve-Sainte-Geneviève, et composé d'une chambre servant de cuisine et d'un cabinet [55]. Si ces deux pièces sont « convenablement aérées » et si « la vue s'étend sur de vastes jardins », « malheureusement un brocanteur, qui occupe la boutique du rez-de-chaussée, entasse dans une cave de la maison des os et des chiffons, d'où s'exhalent des miasmes peu salubres » (p. 250).

Dépenses de linges et de vêtements (en francs)

Dépenses de linges et de vêtements (en francs)

32 Les budgets, avec leurs précisions redoutables, laissent entrevoir la diversité des objets entassés dans les lieux d'habitation. Dans les « comptes annexés au budget », les deux auteurs dressent ainsi la liste complète des travaux domestiques et inventorient l'ensemble des vêtements. Ceux de J. Dauby sont dits « semblables à ceux de la bourgeoisie » alors que ceux de sa femme sont décrits comme un « costume populaire ». Les vêtements des enfants sont « tenus avec soin », et une « grande partie provient des vieux effets des époux et sont généralement confectionnés par la femme ». L'ensemble des vêtements possédés reflète indéniablement l'ouverture sociale du groupe des compositeurs sur les pratiques bourgeoises : le port de la redingote, la possession de cravates et d'un chapeau de soie noire, et, pour la femme, d'un corset et de châles de qualité, sont autant d'indices d'une position sociale enviable [56].

Une page du budget de Badier (p. 218)

Une page du budget de Badier (p. 218)

33 Les budgets révèlent aussi les pratiques de recyclage et la lutte incessante – qui reste en général invisible – que livre la famille contre l'obsolescence des biens. L'ouvrier A. Badier – mais pas J. Dauby – tient ainsi le compte précis de la durée de vie des vêtements : plus de dix ans pour les redingotes et les gilets – vêtements de prestige – et seulement quelques années pour les bas et chaussettes plus communes. Que signifient ces durées ? Comment sont-elles calculées ? Quelles stratégies sont utilisées pour les allonger ? Le fait que les enquêteurs soient aussi les enquêtés est-il un gage de véracité et de précision ? Les tentatives de monétarisation des pratiques de bricolage domestique offrent en tout cas des pistes pour cerner certains traits des cultures matérielles ouvrières. Comme nous l'avons déjà dit, J. Dauby ne relève aucune activité de réparation ni aucun travail domestique hormis ceux consacrés à la typographie et aux travaux d'écriture correspondant à 23 journées, et qui semblent être très bien payées (4,50 F). S'agit-il d'une omission volontaire destinée à montrer le statut exceptionnel de l'ouvrier ? À l'inverse, A. Badier consacre 25 journées de travail à la réparation et l'entretien du mobilier familial, au moyen de « planches », de « clous » et de « colle de pate ». Cette activité est d'ailleurs présentée comme un indice supplémentaire de moralité : « L'ouvrier, qui n'aime pas à rester dans l'inaction, se livre chez lui à quelques travaux domestiques. La réparation du mobilier, l'encadrement de gravures, le vernissage de ses meubles, occupent utilement ses veillées. »

34 L'essentiel du travail domestique est néanmoins réalisé par les femmes. Explorés de façon précise, ces budgets offriraient sans nul doute des pistes pour mieux comprendre l'organisation des travaux féminins dans l'économie domestique [57]. La femme d'A. Badier consacre ainsi 37 journées au travail de confection et d'entretien du linge et des vêtements et 25 journées au blanchissage et lavage. Cette activité domestique est évaluée à 0,80 F par jour. Le détail des dépenses fournit par ailleurs de nombreuses indications : on apprend ainsi que la femme se rend 52 fois par an au lavoir (7,80 F dépensés à raison de 0,15 F pour chaque passage au lavoir) et qu'elle y utilise au total 104 sceaux d'eau chaude (5,20 F dépensés à raison de 0,05 F le sceau), soit deux sceaux par lessive hebdomadaire ! La femme de J. Dauby consacre quant à elle 50 journées (à 1,10 F) à la confection et la réparation des vêtements et du linge et 43 journées (à 1 F) au lavage et blanchissage, est-ce à dire qu'elle se montre plus laborieuse ? Le travail des femmes est dominé par les travaux d'aiguilles, à la charnière entre les rôles féminins traditionnels et les nouvelles obligations sociales associées au modèle bourgeois. Les années 1850 voient d'ailleurs la multiplication des revues de mode plus ou moins luxueuses, comme La Corbeille à ouvrage illustrée lancée en 1854 qui propose quantité de modèles de vêtements à coudre ; après 1860, toutes les revues de mode consacrent de larges pages à ces travaux [58]. On sait aussi que l'apparente neutralité des budgets dissimule les conceptions conservatrices de l'école de F. Le Play : la sous-estimation du travail féminin, la surestimation des « subventions » peuvent apparaître comme les corollaires du culte de l'institution familiale et du « pater familias », de la communauté villageoise et du patronage des grands propriétaires [59].

35 L'expérience de l'enquête s'inscrit à un moment singulier dans la trajectoire biographique des deux typographes, et elle participe sans nul doute d'une stratégie d'ascension sociale. Ces deux exemples de monographies montrent aussi l'« aura » précoce du mouvement leplaysien et son attrait dans différents milieux. J. Dauby fait ainsi de sa participation au groupe leplaysien un instrument de légitimation d'une œuvre en gestation. Par la suite, il continue d'ailleurs de s'élever : en 1860 il crée le Journal de l'ouvrier, entièrement dédié à la moralisation des classes populaires. À partir de 1870 il devient régisseur du Moniteur belge, puis directeur de 1888 presque jusqu'à sa mort en 1898. Il reçoit des prix et des récompenses, ce qui le place dans un entre-deux entre la bourgeoisie et le monde ouvrier tout en se revendiquant toujours de ce dernier. Il faudrait encore enquêter sur le personnage d'A. Badier pour comprendre le poids de l'expérience leplaysienne dans son itinéraire. Pour A. Badier, ouvrier plus malheureux et fragile, la participation au groupe leplaysien constitue sans nul doute une compensation pour une ascension sociale qui a échoué, un moyen pour se raccrocher d'une façon ou l'autre à la sphère bourgeoise des enquêteurs sociaux. Le budget dressé par ces deux travailleurs pose dès lors plusieurs questions.

36 Plus que la véracité des données statistiques collectées, c'est la question de leur sincérité et de leur fonction qui doit être posée. Le fait que le budget soit une grille de lecture imposée n'empêche pas les mensonges par omission. Le budget vise à confirmer la représentation sociale que les deux ouvriers forgent d'eux-mêmes, celle de sages compositeurs, d'ouvriers méritants, à la frontière entre plusieurs univers sociaux. Ces deux monographies correspondent aussi à une phase d'apprentissage des premières recherches en sciences sociales, période au cours de laquelle la séparation entre l'enquêteur et le sujet de l'enquête n'est pas encore clairement fixée, ni peut-être voulue. Le budget vise alors à saisir les mécanismes les plus intimes de la vie sociale, or le sujet de l'enquête était le mieux à même d'offrir les descriptions les plus riches et vivantes. Par la suite, l'enquête budgétaire va se muer en technique pour intervenir dans le monde social, les méthodes de l'enquête s'affinent pour devenir de plus en plus une véritable technique de gouvernement [60]. Dans ce contexte, la séparation entre enquêteur et enquêté devient un impératif, gage de la dimension scientifique du travail accompli.

Notes

  • [1]
    Il serait incorrect de parler « d'autographies », l'autographie désigne en effet un procédé de reproduction typographique mis au point au début du XIXe siècle et permettant de transporter des écritures ou des dessins exécutés à la main sur une pierre lithographique pour permettre d'en tirer le nombre d'exemplaires voulus.
  • [2]
    Compositeur typographe de Bruxelles (Brabant, Belgique) d'après les renseignements recueillis sur les lieux en novembre 1857 par M. J. Dauby, compositeur typographe », Les ouvriers des deux mondes, t. 2, Paris, 1859, pp. 193-232 ; rééd. dans Les ouvriers européens, vol. V : Les ouvriers de l'Occident, 2e série, Tours, 1878, pp. 103-149 ; « Compositeur typographe de Paris (Seine, France), Ouvrier-tâcheron-propriétaire dans le système des engagements momentanés, d'après les renseignements recueillis sur les lieux en juin 1861, par M. A.-F. Badier, ouvrier typographe », Les ouvriers des deux mondes, Paris, 1862, 1re série, t. 4, n° 33, pp. 241-282.
  • [3]
    Antoine Savoye, Les débuts de la sociologie empirique : études socio-historiques, 1830-1930, Paris, Méridiens Klincksieck, 1994, chap. 2.
  • [4]
    Maurice Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie. Recherches sur la hiérarchie des besoins dans les sociétés industrielles contemporaines, Paris, Félix Alcan, 1913, annexe 1 : « Les enquêtes par budget de familles. Bibliographie et remarques critiques » ; sur les ambivalences de M. Halbwachs à l'égard de la raison statistique, voir Olivier Martin, « Raison statistique et raison sociologique chez Maurice Halbwachs », Revue d'histoire des sciences humaines, 1/1999 (n° 1), pp. 69-101.
  • [5]
    L'enquête belge de 1853, préparée par le Congrès international de statistique, après un travail d'essai effectué à l'instigation de la Commission centrale belge de statistique, présidée par Adolphe Quételet, relève de ce type ; cf. Édouard Ducpétiaux, Budgets économiques des classes ouvrières en Belgique : subsistances, salaires, population, Bruxelles, Commission centrale de la statistique, 1855.
  • [6]
    Cité dans Émile Cheysson et Alfred Toqué, « Les budgets comparés de 100 monographies de familles », Bulletin de l'Institut international de statistique, t. 5, 1890. Sur Adolphe Focillon, voir Antoine Savoye « Adolphe Focillon (1823-1890) : le "maître le plus autorisé de l'enseignement social », Les Études sociales, n° 138, II-2003, pp. 97-123.
  • [7]
    Franz Schultheis, « Le Play : la méthode comparative au service d'une vision normative du monde social », Revue européenne des sciences sociales, t. XLI (126), 2003, pp. 81-88.
  • [8]
    Conducteur typographe de l'agglomération bruxelloise (Brabant, Belgique) : ouvrier-journalier dans le système des engagements momentanés, d'après les renseignements recueillis sur les lieux en 1890 par le chevalier de Moreau, ancien ministre de l'Agriculture, de l'Industrie et des Travaux publics, président d'honneur de la Société belge d'économie sociale », Les ouvriers des deux mondes, Paris, Firmin-Didot, 1892, pp. 369-412 ; « Compositeur typographe de Québec, Canada (Amérique du Nord) : salarié à la semaine, dans le système des engagements volontaires permanents, d'après les renseignements recueillis sur les lieux en 1903, par M. Stanislas-A. Lortie, professeur à l'université de Laval [1904] », Les ouvriers des deux mondes, Paris, 1904, publiés par la Société d'économie sociale [n° 101], 3e série, 10e fasc., t. 2, pp. 61-132.
  • [9]
    « Compositeur typographe de Paris... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 242.
  • [10]
    Maurizio Gribaudi, « Les formes d'un passé lointain. L'intrigue monographique et l'histoire », Les Études sociales, n° 138, 2003, p. 26.
  • [11]
    Dominique Kalifa, « Enquête et "culture de l'enquête" au XIXe siècle », Romantisme, 3/2010 (n° 149), pp. 3-23.
  • [12]
    « Compositeur typographe de Bruxelles...  », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 104.
  • [13]
    Ginette Kurgan-Van Hentenryk, « Les patentables à Bruxelles au XIXe siècle », Le Mouvement social, n° 108 : « L'atelier et la boutique. Études sur la petite bourgeoisie au XIXe siècle », juil.-sept. 1979, pp. 63-88 ; P. J.-Laurent-M. Perquy, La typographie à Bruxelles au début du XXe siècle, Bruxelles, O. Schepens, 1904.
  • [14]
    Herman Dopp, La contrefaçon des livres français en Belgique (1815-1852), Louvain, Librairie universitaire, 1932 ; Jean-Yves Mollier, « Ambiguïtés et réalités du commerce des livres entre la France et la Belgique », France-Belgique, 1848-1914. Affinités-ambiguïtés, actes du colloque de Bruxelles, Labor, Bruxelles, 1997, pp. 53-68.
  • [15]
    J.-Laurent Perquy, La typographie à Bruxelles au début du XXe siècle, op. cit., pp. 116-121.
  • [16]
    Voir notamment Paul Chauvet, Les ouvriers du livre en France de 1789 à la constitution de la Fédération du livre, Paris, Librairie Marcel Rivière et Cie, 1956.
  • [17]
    « Compositeur typographe de Paris... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 272.
  • [18]
    Frédéric Barbier, « Les ouvriers du livre et la révolution industrielle en France au XIXe siècle », Revue du Nord, t. LXIII, n° 248, janvier-mars 1981, pp. 189-206.
  • [19]
    Sur cette innovation et les débats qu'elle suscite : François Jarrige, « Le mauvais genre de la machine. Les ouvriers du livre et la composition mécanique en France et en Angleterre (18401880) », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 54-1, janvier-mars 2007, pp. 193-222.
  • [20]
    J. Dauby a déjà fait l'objet d'un remarquable travail : Jean Puissant, « Le bon ouvrier. Mythe ou réalité du XIXe siècle. De l'utilité d'une biographie : J. F. J. Dauby (1824-1899) », Revue belge de philologie et d'histoire, LVII, 1978, 4, pp. 878-929.
  • [21]
    Ibid., cf. aussi la Notice sur l'imprimerie Lesigne, par Armand Dauby, Saint-Josse-ten-Noode, 1892.
  • [22]
    Ils sont mieux connus en Grande-Bretagne : Patrick Duffy, The Skilled Compositor. An Aristocrat among Working Men, Londres, Ashgate, 2000.
  • [23]
    Eric J. Hobsbawm, Labouring Men : Studies in the History of Labour, Londres, Weidenfield and Nicolson, 1968, p. 274 ; R. Gray, The Aristocracy of Labour in Nineteenth Century Britain, Londres, MacMillan, 1981.
  • [24]
    Paul Chauvet, Les ouvriers du livre en France de 1789 à la constitution de la fédération du livre, Paris, Librairie Marcel Rivière et Cie, 1956, p. 653.
  • [25]
    Frédéric Barbier, « Les ouvriers du livre... », art. cité, p. 201.
  • [26]
    On distingue en général quatre types de compositeurs dans la hiérarchie du métier : les hommes de conscience, les metteurs en pages, les paquetiers et les journalistes. Pour une description de l'univers des compositeurs d'imprimerie voir Jules Ladimir, « Le compositeur typographe », dans Léon Curmer (éd.), Les Français peints par eux-mêmes. Encyclopédie morale du XIXe siècle, [1840-1842], Paris, La Découverte, 2004, pp. 903-917 et Charles Schiller, « Les compositeurs », Annales de la typographie française et étrangère. Journal spécial de l'imprimerie, n° 6, février 1839.
  • [27]
    « Compositeur typographe de Bruxelles... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 110.
  • [28]
    « Compositeur typographe de Bruxelles... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., pp. 112-113.
  • [29]
    « Compositeur typographe de Paris... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 247.
  • [30]
    Ibid., p. 249.
  • [31]
    Notamment la pratique des banquets, voir : Vincent Robert, Le temps des banquets. Politique et symbolique d'une génération (1818-1848), Paris, Publications de la Sorbonne, 2009, p. 236 et suiv.
  • [32]
    « Compositeur typographe de Paris... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 251 ; outre un volume du Magasin pittoresque, il s'agit surtout d'ouvrages religieux comme Les Saints Évangiles de Lamennais, La vie de Jésus Christ de l'abbé Vertot, L'histoire de la Vierge par l'abbé Orsini ou encore Les martyrs de Châteaubriant.
  • [33]
    « Compositeur typographe de Bruxelles... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 116 ; sont notamment mentionnés des « ouvrages scientifiques et littéraires » acquis par l'ouvrier lui-même, sans plus de précision.
  • [34]
    « Compositeur typographe de Paris... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., pp. 244 et 247.
  • [35]
    « Compositeur typographe de Bruxelles... », Les ouvriers des deux mondes, op. cit., p. 141.
  • [36]
    Le parcours d'Alexis Badier a déjà été évoqué et reconstitué dans ses grandes lignes par Maurizio Gribaudi, « Les formes d'un passé lointain... », art. cité, pp. 5-28.
  • [37]
    Cette spécificité des cordonniers et de leur culture politique a été discutée par Eric J. Hobsbawm et Joan W. Scott, « Des cordonniers très politiques », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 53-4 bis, supplément 2006, pp. 30-50.
  • [38]
    Cette pétition est évoquée par A. Badier lui-même dans sa monographie, mais sans que nous n'en ayons trouvé trace dans les pétitions adressées aux assemblées et conservées aux Archives nationales.
  • [39]
    Voir Jean Puissant, « Le bon ouvrier. Mythe ou réalité du XIXe siècle... », art. cité.
  • [40]
    F. Le Play aurait d'ailleurs « fait un éloge remarquable » de la monographie du compositeur rédigé par A. Dauby, ce dernier aurait même reçu un prix d'honneur de 200 F de la Société d'économie sociale, voir Auguste Joseph de Reurne, Notices bio-bibliographiques sur quelques imprimeurs, libraires, correcteurs, compositeurs, fondeurs, etc. qui se sont fait connaître à divers titres, Bruxelles, Devroye, 1858, p. 15.
  • [41]
    Ce témoignage semble néanmoins sujet à caution, Joseph Mairet précise ainsi que la société a été créée en 1839, et non en 1841, par ailleurs il ne mentionne pas Alexis Badier parmi les membres fondateurs : Les carnets de Joseph Mairet ouvrier typographe. Histoire de la Société typographique parisienne et du tarif (1839-1851), Paris, Institut CGT d'histoire du livre, 1995.
  • [42]
    Sur les troubles anti-machinistes en 1848, dans l'imprimerie et ailleurs : François Jarrige, Au temps des tueuses de bras. Les bris de machines à l'aube de l'ère industrielle, Rennes, PUR, coll. Carnot, 2009, notamment p. 93.
  • [43]
    Jean Puissant, « Le bon ouvrier. Mythe ou réalité du XIXe siècle », art. cité.
  • [44]
    Bernard Kalaora et Antoine Savoye, Les inventeurs oubliés : Le Play et ses continuateurs aux origines des sciences sociales, Seyssel, Champ Vallon, 1989, p. 103 et suiv.
  • [45]
    Les ouvriers des deux mondes. Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières de diverses contrées, Paris, Société internationale, 1858.
  • [46]
    C'est la 33e monographie publiée par la Société, dans la première série des Ouvriers des deux mondes.
  • [47]
    Maurizio Gribaudi, « Les formes d'un passé lointain... », art. cité, p. 24.
  • [48]
    Voir dans la session du 20 décembre 1863 de la Société d'économie sociale : « Rapport de M. Albert Gigot sur la monographie du compositeur typographe de Paris, par M. F. Badier – Discussion : MM. Wolowski, Dupuit, Foucher de Careil, Jules Duval », L'Économiste français. Journal de la science sociale, organe des intérêts métropolitains et coloniaux, publié à partir de 1862.
  • [49]
    Georges Buisan, « Une lecture comptable des budgets de Le Play », Sociétés contemporaines, n° 26, 1997, pp. 73-92.
  • [50]
    Voir par exemple les remarques de Gabrielle Cadier-Rey, « La consommation ouvrière d'après les budgets de Frédéric Le Play », dans Consuming Culture, The Arts of the French Table, University of Delaware Press, Australia, 2004, pp. 52-55
  • [51]
    Jérôme David, « La norme descriptive du budget dans les monographies leplaysiennes et les romans balzaciens », Les Études sociales, n° 138, 2003, pp. 73-96.
  • [52]
    Anne Lhuissier, Alimentation populaire et réforme sociale. Les consommations ouvrières dans le second XIXe siècle, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2007, p. 16 ; et « Eating Out during the Workday : Consumption and Working Habits among Urban Labourers, France, second half of the 19th Century », dans Marc Jacobs et Peter Scholliers (éd.), Eating Out in Europe. Picnics, Gourmet Dining and Snacks since the Late Eighteenth Century, Oxford, Berg Publishers, 2003, pp. 337-349.
  • [53]
    Sidney W. Mintz, Sweetness and Power. The Place of Sugar in Modem History, Londres, Penguin Books, 1986, p. 189.
  • [54]
    À la fin du XIXe siècle, la consommation de bière était six fois plus élevée en Belgique qu'en France où son prix était par ailleurs élevé, un autre enquêteur leplaysien constate en effet en 1858 que le prix de la bière équivaut au prix (élevé) des vins ordinaires de Bourgogne, cité dans Didier Nourrisson, Le buveur du XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1990, p. 46.
  • [55]
    Sous le second Empire, à Paris, plus de 65 % des ménages vivaient dans une seule pièce, voir Guy Groux et Catherine Lévy, La possession ouvrière : du taudis à la propriété, XIXe-XXesiècle, Paris, Éditions de l'Atelier, 1993, p. 19 et suiv.
  • [56]
    Philippe Perrot, Les dessus et les dessous de la bourgeoisie. Une histoire du vêtement au XIXe siècle, Paris, Fayard, 1981.
  • [57]
    George Alter, « Work and Income in the Family Economy : Belgium, 1853 and 1891 », The Journal of Interdisciplinary History, vol. 15, n° 2 (automne 1984), pp. 255-276.
  • [58]
    Manuel Charpy, Le théâtre des objets. Cultures matérielles, dispositifs techniques et phénomènes de modes, Paris, 1830-1914, thèse pour le doctorat d'histoire, Jean-Luc Pinol (dir.), Université François-Rabelais-Tours, 2010, p. 395.
  • [59]
    C'est ce qui ressort de l'analyse du budget des paysans du Labourd par Martine Bacqué-Cochard, « La petite exploitation rurale et les monographies leplaysiennes. L'exemple des paysans du Labourd », Ruralia, 10-11, 2002, pp. 33-51.
  • [60]
    Sur cette mutation, voir Antoine Savoye, « Les enquêtes sur les budgets familiaux : la famille au microscope », dans Yves Cohen (dir.), Les chantiers de la paix sociale, 1900-1940, Paris, ENS éditions, 1995, pp. 55-76.
François Jarrige
Centre Georges-Chevrier, UMR CNRS 5605, université de Bourgogne.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 27/02/2015
https://doi.org/10.3917/etsoc.155.0075
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