CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Cet ouvrage collectif analyse les interventions militaires multinationales entreprises par les pays occidentaux depuis 1989 afin de déterminer leurs circonstances, objectifs, déroulements et conséquences (p. 2). Pour ce faire, les auteurs sont guidés par deux hypothèses principales : une diminution de l’efficacité des interventions militaires occidentales depuis 1989 et un impact négatif sur les régimes normatifs et légaux relatifs à l’usage de la force en relations internationales (p. 3).

2Pour tester ces hypothèses, la première partie de l’ouvrage présente les interventions militaires multinationales auxquelles ont pris part les pays occidentaux depuis 1989 : la première guerre du Golfe, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, l’Afghanistan, l’Irak et la Libye. Chaque chapitre est constitué sur un canevas semblable, ce qui facilite les comparaisons entre interventions. Ainsi les auteurs : 1) confrontent les objectifs déclarés et réels des interventions : est-ce que ces interventions ont des motifs humanitaires et/ou visent à protéger la communauté internationale de menaces ou sont-elles conduites pour favoriser des intérêts économiques ou pour satisfaire les intérêts de certains acteurs (lobbies, hommes politiques) ; 2) étudient les aspects légaux des interventions (ius ad bellum, ius in bello) ; 3) l’attitude des opinions publiques des pays ayant commandité l’intervention ; 4) les résultats de la mission.

3Dans une seconde partie, l’ouvrage se concentre sur des questions transversales : 1) la question du libéralisme interventionniste qui a miné le droit international au nom de la « righteousness of the intervention » (p. 155) et a eu un grand nombre de conséquences négatives (hubris militaire, ambitions excessives de nation-building, perte de légitimité pour les pays occidentaux) ; 2) la difficulté à qualifier ces interventions multilatérales de victoire ou défaite étant donné que la définition traditionnelle de la victoire selon Clausewitz, comme destruction du potentiel militaire de l’ennemi, ne s’applique pas aux opérations analysées ; 3) l’impact sur le droit international et le droit humanitaire ; 4) enfin la question des motifs économiques est abordée en se demandant si ces interventions ont été décidées pour avoir accès à des ressources minières et/ou énergétiques. Les auteurs montrent que si ce facteur énergétique n’est jamais le plus important, il a été considéré pour certaines opérations avec des conséquences variées : la première guerre du Golfe a stabilisé le marché du pétrole, mais il n’en a pas été de même pour les interventions en Irak et en Libye (p. 244-245).

4L’ensemble de ces analyses conduit à un paradoxe : ces interventions, qui sont largement présentées comme humanitaires, peuvent être contraires à ces objectifs par exemple en raison de l’utilisation fréquente d’armes à sous-munitions (p. 215) ou de la pratique de la torture comme en Irak. Par ailleurs, les auteurs estiment que la légitimité et l’efficacité des interventions des pays occidentaux ont décru : les premières interventions post-89 (première guerre du Golfe, Bosnie) ont rempli leurs objectifs et ont largement été considérées comme légitimes, mais il n’en est pas de même pour celles des années 2000 (Irak, Afghanistan, Libye).

5Pour les auteurs, cela tient à la préparation des interventions : celles des années 1990 avaient des objectifs clairs et bien définis, celles des années 2000 avaient des buts globaux, la guerre contre le terrorisme couplée à une volonté de changement de régime excluant les anciennes élites et compliquant de fait à la fois les négociations de paix et la reconstruction. Pour les auteurs, les élites politiques des pays occidentaux, mais aussi les sociétés, ont pris conscience de cette perte d’efficacité et de légitimité en évitant autant que possible de s’engager dans de nouvelles missions de ce type. Enfin, l’interventionnisme militaire occidental a un effet secondaire négatif : en conduisant des interventions en marge du droit international, il a encouragé d’autres États à adopter le même type de pratiques, contribuant ainsi un peu plus à l’érosion du système de normes et des institutions internationales comme le Conseil de sécurité de l’ONU (p. 260-265).

6Si cet ouvrage propose de nombreuses pistes stimulantes, quelques points auraient gagné à être approfondis. Ainsi les auteurs n’ouvrent pas la boîte noire du processus décisionnel tant d’un point de vue national que dans les tractations interétatiques et au sein des organisations internationales. Pourtant, en empruntant aux travaux de Graham Allison, il aurait été intéressant de revenir sur les négociations entre pays occidentaux conduisant à la décision d’intervenir mais aussi d’éclairer les changements de positions. Les jeux et tensions bureaucratiques et politiques sont ainsi largement passés sous silence. Par ailleurs si les auteurs peuvent évoquer les tensions suscitées par certaines interventions, la présentation des positions des différents États n’est pas systématique et les analyses auraient gagné à ne pas céder à l’illusion d’homogénéité en évoquant « l’Ouest » ou « les pays occidentaux ». Ce biais tient probablement à la sélection des sources : ainsi pour examiner les justifications données par les dirigeants occidentaux lors du déclenchement de la première guerre du Golfe, seuls les discours de Margareth Thatcher et de George H. W. Bush sont étudiés (p. 13-14). De même, les analyses montrant que les interventions sont souvent justifiées par des motifs humanitaires, il aurait été utile de revenir sur la généalogie du concept de « responsabilité de protéger » et déconstruire les raisons de sa saisie par les acteurs politiques (p. 161).

Amélie Zima
IRSEM
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 31/08/2021
https://doi.org/10.3917/lcdm.034.0195
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