CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Ce numéro, consacré essentiellement à la situation du Maroc après les élections, a valeur de symbole, dans la mesure où le royaume, à la suite des attentats qui l’ont ébranlé en 2003 et 2011, a su mener une répression ferme tout en évitant un bain de violence. L’implication personnelle du roi, à la fois souverain et Commandeur des croyants, n’est pas étrangère à une telle situation.

2Le développement du royaume est aujourd’hui une réalité, comme la construction d’une classe moyenne – surtout urbaine, il est vrai – en dépit de l’exode rural qui reste d’actualité et entraîne, hélas, le développement parallèle des bidonvilles et autres ceintures de misère autour des grandes villes. Certes, le chemin est encore long pour que le pays s’ancre solidement dans la modernité, mais ce qui a été fait jusque la montre la vision du chef de l’État et son aptitude à anticiper.

3Ce n’est pas le seul défi à affronter : Mohammed VI a lancé le chantier d’une monarchie constitutionnelle et il est le premier à presser les députés de travailler sur ce dossier. Son aura dépasse désormais les frontières du royaume. Il se voit aisément comme une référence, non seulement au Maroc, sur les plans politique et religieux, mais également dans les pays subsahariens, où sa voix est de plus en plus écoutée et entendue. Sa posture telle qu’exprimée à plusieurs reprises vis-à-vis de l’Afrique, de l’Occident et de l’islam radical, et vibrante dans son discours d’août dernier [1], en fait une cible privilégiée de ces dévoyés de l’islam qu’il n’a de cesse de fustiger.

4Sans verser dans l’hagiographie, la manière dont le chef de l’État a intégré les islamistes et certains salafistes dans le système politique national, en échange de leur allégeance, est à bien des égards un exemple éclairé de sa perspicacité et de la vision qu’il véhicule pour le royaume chérifien au Maghreb comme sur tout sur le continent, dans le monde islamique et plus généralement dans la communauté internationale. Exemple à suivre ?

5Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de dirigeants ayant une vision de la mondialisation et de ses conséquences ; nous avons besoin à la fois de reconstruire une citoyenneté et d’organiser cette mondialisation qui, pour le moment, a donné le pouvoir à l’avoir en laissant l’être sur le bord du chemin.

6Mohammed VI, en poussant vers de nouvelles institutions, n’est-il pas en train de se donner le rôle d’arbitre entre les différentes forces vives de la nation ? Remettre l’être au centre de nos préoccupations, n’est-ce pas aussi un défi lancé à l’Union européenne ? Si on revient, presque soixante ans en arrière, au texte du traité de Rome, la vision des pères de l’Europe allait vers une Europe de citoyens, une Europe sociale, une Europe politique en somme, et non un grand marché, à la fois domaine et cible des prédateurs, des spéculateurs, des fonds en tous genres. Si nous avons réussi à bâtir un club économico-financier basé sur le libéralisme, nous avons oublié d’accompagner chacun dans son ascension de l’échelle sociale. Nous cherchons aujourd’hui à adosser une vision politique sur le socle économique que nous avons bâti. N’est-ce pas le contraire qui aurait dû être fait ?

7Un seul exemple suffit à illustrer notre échec : la crise des migrants a ébranlé le continent et réveillé les antagonismes. En dépit des richesses européennes, nous avons été incapables d’ouvrir nos frontières à ceux qui fuyaient la mort et des guerres que nous avons largement contribué à attiser. Alors que certains États du Proche-Orient croulent sous des millions de réfugiés, nous rechignons à accueillir, même temporairement, ceux qui représentent moins d’un pour cent de notre population. Or, au lieu de remettre en cause notre processus d’intégration, nous préférons répondre par plus de répression, plus d’emprisonnements, plus de bombardements…

8Fiers de notre laïcité, nous, Français, avons échoué dans son exportation, en premier lieu dans les pays voisins et en second lieu en Méditerranée ; nous avons oublié que nous sommes aussi un pays méditerranéen. La nature a horreur du vide. Force est de constater que les terroristes et les barbares ont occupé un terrain que nous avons déserté. Il est temps d’y revenir.

Notes

  • [1]
    Voir le texte intégral et mon analyse dans ce numéro.
Antoine Sfeir
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Mis en ligne sur Cairn.info le 31/12/2016
https://doi.org/10.3917/lcdlo.124.0003
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