CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Si nous avons choisi cet été de parler de l’Iran, c’est parce que 2016 est véritablement une année charnière pour ce grand pays. L’espoir revient au sein de la population ; le pays s’ouvre enfin à l’extérieur malgré les sanctions internationales qui, bien qu’en principe levées en janvier dernier à la suite de l’accord nucléaire de juillet 2015, ne sont pas toutes supprimées.

2L’embargo aura eu un avantage certain : celui de permettre aux Iraniens d’apprendre à vivre en autarcie. Cette « économie de résistance » les a rendus quasi indépendants vis-à-vis de puissances occidentales, en les obligeant à construire d’autres alliances en Afrique ou en Asie. Néanmoins, une inflation importante, un chômage dont les chiffres s’envolent, notamment chez les jeunes, et une monnaie totalement instable pèsent encore sur la vie quotidienne de la population.

3Tout en entretenant l’espoir que le nouveau président Rohani puisse changer le cours des choses, il est certain que la femme et l’homme de la rue iranienne ne s’intéressent plus à ce qui se passe au sein de la classe politique. « Tant que le Vieux est là (comprendre le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, qui dispose d’un mandat à vie) rien ne pourra vraiment changer », déplorait il y a quelques jours devant moi Hassan, l’aîné d’une richissime famille, écartelé entre l’envie d’investir dans son pays et le désespoir de constater l’incompétence et la corruption grandissantes de la classe politique.

4Davantage que les élections législatives, ce sont celles à l’Assemblée des Experts qui ont relancé un léger espoir, après l’échec des mentors du Guide, notamment le plus acharné d’entre eux, Mosbah Yezdi. Rappelons que les 86 membres de cette Assemblée, tous religieux, qui viennent d’être élus pour huit ans, détiennent théoriquement le pouvoir de désigner et de révoquer le Guide de la Révolution islamique. Enfin, les discussions dans la ville sainte de Qom, au sein du cercle des grands ayatollahs (ayatollahs ’ozma), concernant les limites du velayat e faqih – certains souhaitant que les prérogatives du Guide se limitent à la sphère spirituelle – montrent un signe de fronde des clercs contre les pouvoirs illimités de Ali Khamenei, qui tente de résister à ces pressions. Mais en Iran les affaires connaissent le sac et le ressac : le nouveau président de l’Assemblée des experts, l’ayatollah Ahmad Jannati, appartient aux soutiens du Guide. Il risque donc de freiner certaines réformes attendues.

5Pendant ce temps, les conflits impliquant l’Iran et ses Pasdarans font rage, en Syrie et surtout au Yémen, où la communauté internationale ne semble guère émue par une guerre quasiment orpheline. La présence à Fallouja du général Qassem Soleimani, commandant de la force Al Qods des Gardiens de la Révolution, confirme que l’Iran est à la pointe de la reconquête de ce fief sunnite irakien tombé il y a deux ans aux mains des jihadistes. Cette apparition remarquée constitue vraisemblablement un message à l’intention de la coalition dirigée par Washington, pour rappeler à l’administration américaine que l’Iran n’entend pas lui abandonner tout le terrain irakien. À Sanaa, l’Iran s’affronte à l’Arabie séoudite en soutenant la rébellion houthiste contre le président Abd Rabbo Mansour Hadi. Après deux ans de conflit sanglant, le pays est en proie au chaos : l’État islamique progresse dans le sud du Yémen à coup d’attentats, tandis que la population subit les frappes de la coalition dirigée par Riyad.

6La déclaration du président Hassan Rohani indiquant qu’il ne s’opposerait pas à une reprise des négociations entre Israéliens et Palestiniens marque également un tournant dans la direction de la diplomatie iranienne, qui ambitionne de redonner à Téhéran sa place de puissance régionale de premier rang.

7Cette relance du processus de paix sous l’égide de la France marque aussi le retour de notre diplomatie à son rôle de passerelle, même si aujourd’hui les principaux intéressés n’ont pas été conviés aux premières négociations. D’ailleurs, Israéliens et Palestiniens donnent la préférence à des négociations bilatérales loin des médias plutôt qu’aux conférences internationales privilégiées par Paris. Mais l’un n’empêche pas l’autre : on peut mener sa barque dans les tempêtes du Proche-Orient en s’accrochant à l’un et à l’autre et se faisant, en les rapprochant.

Antoine Sfeir
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Mis en ligne sur Cairn.info le 05/01/2017
https://doi.org/10.3917/lcdlo.123.0003
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