CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La Syrie est à feu et à sang depuis plus de trois ans : depuis le début des événements, nos dirigeants occidentaux nous demandent de choisir entre la peste et le choléra.

2Entretemps, la Russie et l’Iran, avec leurs hommes liges du Hezbollah, se sont rangés aux côtés de Bachar Al Assad. Puis est apparu le tristement célèbre Daech (État islamique) qui devait arriver en 2014 à l’auto-proclamation d’un nouveau califat sur la Syrie et l’Irak, en ressuscitant les wilayât d’Alep et de Mossoul.

3Est-ce par ignorance ? Est-ce par méconnaissance ? Ou tout simplement par stupidité que les Occidentaux se sont laissés enfermer dans une sorte de spirale infernale face à une situation somme toute moins complexe qu’on veut bien nous le dire. Le président français Hollande déclare en Irak qu’il veut éradiquer à la fois Daech et Bachar Al Assad, tout en apportant son soutien à l’opposition démocrate en exil. Outre le fait que cette opposition est aujourd’hui dominée par les Frères musulmans, elle est perçue par la population locale comme une « opposition cinq étoiles » se promenant entre les hôtels de Doha, de Paris (qataris de préférence) et d’Istanbul.

4L’auteur de ces lignes, tout en ne pouvant être suspecté d’empathie avec le régime des Assad – ayant subi dans sa chair les foudres du père, et ayant été interdit de séjour en Syrie pendant sept ans – a du mal à comprendre pourquoi la France a décidé de couper tout lien avec ce régime. Il est facile de parler avec des alliés ; la diplomatie est faite, au contraire, pour discuter avec des adversaires. Pourquoi, avec tout ce que Poutine fait subir aux Occidentaux, ne rompent-ils donc pas les relations diplomatiques avec le nouveau tsar de Russie ?

5Le danger qui menace la région avec le plus d’acuité est sans aucun doute cette vague d’islam radical qui nous renvoie quatorze siècles en arrière. Il est faux de la considérer, comme beaucoup de nos collègues dans la presse, uniquement comme de la barbarie : il s’agit bien de l’imitation du Prophète par les salafistes. Le salaf, le vrai, le pur, l’originel, regroupe ceux qui, parmi les musulmans et dans la droite ligne du hanbalisme [1], veulent revenir à la société mise en place par Mohammad et ses premiers compagnons. Il se trouve qu’à la bataille des Fossés, perdue en 627 par le Prophète et ses fidèles guerriers contre les Mekkois, celui-ci s’étonna de cette défaite alors « qu’Allah (était) avec lui ». Ses proches lui affirmèrent qu’il avait été trahi par la tribu juive des Banou Qurayzah, restée à Médine. Une expédition punitive fut menée contre cette tribu, raflant près de huit cents prisonniers. Après avoir pris pour concubine l’une des captives, Rayhana, le Prophète demanda à son entourage : « Et que ferons-nous des prisonniers ? ». Son fils adoptif Zeid Bin Thabet lui répondit : « La tradition veut qu’on décapite les hommes et qu’on fasse des femmes des esclaves sexuelles ! – Alors, dit le Prophète, décapitons ». Voilà d’où vient la sanglante tradition que les salafistes-jihadistes se sont réappropriée.

6Pour éradiquer l’État islamique en Irak et en Syrie, il faut avoir une vision politique claire : or la coalition réunie à Paris le 15 septembre dernier est hybride et ne présente même pas un objectif commun : chaque pays ayant des priorités différentes de celles de son voisin. Et toute opération militaire dépourvue de vision politique est vouée à l’échec.

7Nous ne pouvons aujourd’hui nous offrir le luxe de mettre au ban de la coalition des États comme l’Iran, directement impliqué dans cette lutte contre l’islam radical et jihadiste. Cette diabolisation des Iraniens est contre-productive. Disons-le tout net : nous le faisons uniquement pour ne pas déplaire aux Séoudiens et aux Qataris, ceux-là même qui investissent dans certains pans de nos économies, ceux-là même qui ont nourri les salafistes en leur sein, qui les ont financés et portés sur les fonts baptismaux.

8Nous avons tout faux ! N’est-ce pas normal lorsqu’à la diplomatie d’une grande puissance devenue moyenne, on place un ministre qui ne rêvait que du portefeuille de l’Économie et pour lequel les Affaires étrangères ne sont qu’un pis-aller ?

Notes

  • [1]
    Le hanbalisme est l’une des quatre écoles de la pensée religieuse sunnite, et la plus rigoriste. Sa doctrine peut se résumer en une seule phrase : « Après le Prophète, rien de nouveau ».
Antoine Sfeir
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2016
https://doi.org/10.3917/lcdlo.116.0003
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