CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Consacrer un numéro des Cahiers de l’Orient au Liban relève du funambulisme ou de l’inconscience. Il a fallu la détermination, la persévérance et sans aucun doute le sourire d’une jeune étudiante française fraîchement débarquée au Liban, Margaux Bonnet, pour emporter la conviction de la rédaction. « Si tu as compris la politique et l’histoire du Liban, c’est qu’on te les a mal expliquées » lui a-t-on répété de mezzés en cafés… Elle a frappé à de nombreuses portes qui, de son propre aveu, se sont pourtant toutes ouvertes.

2Personnellement, j’ai l’habitude de dire que c’est le seul pays de la région auquel j’ai du mal à appliquer des grilles d’analyse ou de compréhension. Depuis bientôt un demi-siècle, le Liban se débat dans des contradictions permanentes, des paradoxes inextricables, des enchevêtrements répétés, des alliances et des contre-alliances interchangeables et, surtout, des interférences extérieures incessantes… Me revient à l’esprit cette injonction hurlée par feu le président égyptien Anouar El Sadate en 1980 : « Oumou aydikon aan Lebnan ! » (« Ôtez vos mains du Liban ! »). Ghassan Tuéni lui-même développait cette idée dans son livre Liban, une la guerre pour les autres[1] ; Georges Corm, qui nous fait l’amitié de nous accorder un entretien, disséquera d’une manière remarquable tous ces paradigmes qui, depuis la guerre, n’ont cessé de saper, lentement mais sûrement, les bases du « vouloir vivre ensemble » qui avaient fait de ce pays plus qu’une nation : un message, comme aimait à le répéter le pape Jean Paul II.

3Aux innocents, les mains pleines. Avec la foi du converti, Margaux Bonnet s’est emparée de son sujet à bras le corps pour coordonner ce dossier. Une fois arrivé au terme de ces lectures, on peut, certes, avoir l’impression de rester sur sa faim… Et pourtant, ce Liban à peine aussi grand que la Dordogne aurait dû en toute logique disparaître. S’il tient encore malgré tous ses écueils, c’est sans doute en raison des Libanais eux-mêmes ; contre vents et marées, ils demeurent avant tout d’inlassables bâtisseurs, qui finissent par reconstruire ce qu’ils ont parfois eux-mêmes détruit. Le Liban génère, malgré plus de cinquante ans d’environnement instable, autant d’étudiants, de professeurs, de chercheurs, de médecins, d’ingénieurs, d’informaticiens et d’entrepreneurs qu’il réussit à exporter brillamment dans le monde entier.

4Sans doute y aura-t-il d’autres numéros des Cahiers de l’Orient consacrés au Liban ; sans doute la reconstruction citoyenne et d’autres tempêtes alimenteront-elles analyses et commentaires ; sans doute enfin les générations futures finiront-elles par comprendre que le socle des valeurs républicaines ne souffre aucune complaisance. Le Liban a besoin d’une citoyenneté qui transcende l’appartenance communautaire, identitaire ou régionale ; d’une égalité des chances qui garantit l’accès de chacun à l’instruction publique ; d’une solidarité infaillible qui ancre dans l’esprit du Libanais que tout ce qui arrive à l’autre concerne la collectivité ; et enfin de la laïcité qui donne à chacun le droit de croire ou de ne pas croire, séparant la foi – démarche intime d’adhésion à une croyance – de la religion, organisation temporelle d’une communauté, qui implique obligatoirement un pouvoir.

Notes

Antoine Sfeir
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2016
https://doi.org/10.3917/lcdlo.112.0009
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