CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1En regardant la carte de Peters publiée dans ce numéro, on ne peut qu’être effrayé par l’éclatement du Proche et Moyen-Orient auquel se réfèrent les auteurs de cette carte. Mais on comprend mieux alors la mort des États-nations à laquelle on assiste depuis le fractionnement de l’Irak en un pays fédéral, la partition du terrain devenue une réalité incontournable, les menaces qui pèsent sur la Syrie depuis plusieurs mois. Cette carte explique également les risques d’affrontement entre tribus et régions en Libye ou au Yémen, qui vit, depuis plusieurs mois, une guerre civile qui ne dit pas son nom.

2Cette région du monde paie-t-elle les erreurs des puissances mandataires depuis le début du XXe siècle : installer des frontières dans une région qui n’en n’avait jamais connues et ériger des États-nations en ignorant les frontières naturelles ? Même si cela était, cet argument ne saurait expliquer l’effritement communautaire que connaît cette région. C’est en ce sens que les différentes contributions de ce numéro cherchent à expliquer les objectifs réels ou perçus des États-Unis ainsi que les moyens mis en place pour les atteindre. En prévoyant le morcellement du monde pakistanais, notamment l’agrandissement de l’Afghanistan, et la création d’un Balouchistan libre au détriment du Pakistan, en laissant croire au démantèlement de l’Arabie séoudite, la carte de Peters nous montre à quel point il pourrait être dangereux de s’opposer aux États-Unis d’Amérique. En revanche l’élargissement de la Jordanie et de la partie chiite irakienne met en exergue les récompenses auxquelles pourraient s’attendre les alliés indéfectibles comme la Jordanie ou les Kurdes.

3Ces bouleversements territoriaux trouvent aux yeux de leurs auteurs une justification cohérente qui est le respect des frontières naturelles et celle de l’autodétermination des peuples, déjà chère au président Wilson en 1920. Dans le même temps, elle assoit l’autorité de puissances régionales dont plus aucune n’est arabe : Israël, la Turquie et l’Iran. Enfin, cela réduirait d’une manière consistante les menaces islamistes en les fractionnant.

4Les plans sont faits souvent hélas pour être mis en échec par un grain de sable : arguer de l’autodétermination des peuples sans les consulter et uniquement pour servir ses propres intérêts ressemble fort à une imposture, comme lorsque la Turquie prétend être un modèle d’un islam modéré. Monsieur Erdogan oublie sans doute que la laïcité est inscrite dans la constitution turque et que dans aucun pays arabe celle-ci n’existe dans les textes constitutionnels. Lorsque Monsieur Erdogan a remporté les élections législatives de juin dernier, il était certainement le seul à se rendre compte de sa victoire à la Pyrrhus, puisque son objectif était de remporter les deux tiers des sièges pour pouvoir changer la constitution. Il n’a pu l’atteindre. De même les Américains peuvent dessiner les plans qu’ils voudraient mais les scénarii sont souvent les premiers à contredire leurs concepteurs. Le grain de sable au Proche-Orient a été, est et restera le conflit israélo-palestinien. En décrochant une place de plein droit à l’Unesco, la Palestine a augmenté ses chances d’être reconnue à l’Assemblée générale des Nations unies malgré un veto américain au Conseil de sécurité. De même une normalisation sécuritaire en Syrie ne suffirait pas à sortir le régime de Damas de son isolement interne, à moins qu’il n’aille jusqu’à faire la paix avec Israël ; le Liban suivrait. Mais alors Monsieur Netanyahou, fort d’une paix signée avec ses voisins, pourrait agir impunément contre les Palestiniens.

5Ces résultats contre-productifs sont légions dans l’histoire. À vouloir trop jouer aux apprentis sorciers, on finit par recevoir en retour la bombe qu’on a soit même lancée. Il faudrait que cette leçon de l’histoire soit inscrite d’une manière pérenne dans tous les manuels de Relations internationales.

Antoine Sfeir
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2016
https://doi.org/10.3917/lcdlo.104.0003
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