CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Droit et politique devraient pouvoir naturellement cohabiter dans tous les Etats de la planète.

2Hélas, on ne le sait que trop bien, ces deux concepts coexistent dans une minorité de pays.

3Quels que soient les excès commis au Liban depuis maintenant plus de 30 ans, il demeure étonnant que les dirigeants de ce pays quels qu’ils soient continuent à vouloir sauvegarder les apparences d’une telle cohabitation tout en bafouant au quotidien l’un et l’autre, l’un ou l’autre de ces concepts.

4Ainsi, en mai 2008, l’attaque du Hezbollah contre Beyrouth-Ouest tenue par les sunnites de Saad Hariri, a fait comprendre au reste de la population que les chiites du Hezbollah avaient une suprématie militaire dans cette partie du Liban. Ce qui va entraîner les accords de Doha qui, par le biais de la diplomatie du chéquier chère aux dirigeants qatariens, ont entériné de facto la situation sur le terrain et permis l’élection d’un chef de l’Etat consensuel au Liban. La politique qui sera dès lors suivie ne remettra pas en cause la suprématie militaire du Hezbollah ; celui-ci ne se considère pas, d’ailleurs, comme une milice privée mais comme une armée de résistance nationale. Ainsi, au Liban, la seule puissance militaire prime-t-elle sur tout le reste. Une fois de plus, le droit apparaît comme la force. Dans cet ordre d’idées, il sera intéressant d’observer le déroulement des élections législatives de juin prochain.

5De même, la guerre de 2006 entre le Hezbollah et l’armée israélienne a laissé sans défense une population assiégée par les bombes. Les droits de la population libanaise du sud du pays ont été bafoués à la fois par le Hezbollah qui a pris l’initiative des combats, et par l’armée israélienne, qui a étendu le champ de bataille en bombardant les principaux sites stratégiques de tout le pays. C’est ainsi que la politique de l’Etat hébreu et celle du Hezbollah ont toutes les deux eu des conséquences désastreuses pour la population libanaise alors que le gouvernement légal de Beyrouth était impuissant à imposer un cessez-le-feu. Là aussi le droit a été représenté trente trois jours durant par la force.

6En 2005, l’assassinat du Premier ministre et chef de l’Exécutif, Rafic Hariri, alors que sa politique était en phase avec les aspirations de la majorité de la population libanaise qui recherchait le retrait de l’armée syrienne du Liban, a bafoué les droits de cette population à vouloir choisir son avenir. Reste l’espoir ténu d’un Tribunal International qui éclaircirait les responsabilités de chacun… Mais que pourra cette incarnation du droit sans la force ?

7Dans les autres pays arabes du Moyen-Orient, les régimes forts ne laissent aucun espace démocratique à une opposition quelle qu’elle soit. A cela il faut ajouter la succession de Hosni Moubarak en Egypte qui se profile au profit du… fils du dirigeant actuel égyptien pour réaliser qu’au Moyen-Orient, les régimes ont inventé les dynasties républicaines ! Les monarchies régionales (Arabie séoudite, Jordanie et Maroc) sont dirigées par des castes qui ne remettent pas en cause la légitimité de leur gouvernement notamment par des élections au suffrage universel. Là aussi le droit c’est la force, sous une autre forme certes que la seule force des armes !

8La guerre de 2008-2009 entre l’armée israélienne et le Hamas n’a pas répondu outre mesure aux aspirations de la population civile. En effet, après un cessez-le-feu qui a duré six mois sur le front de Gaza, le mouvement Hamas refuse de renouveler l’accord (en décembre 2008). Cette trêve reposait sur l’ouverture des « portes » de cette prison en plein air qu’était devenue Gaza, ouverture qui n’a jamais eu lieu. La population palestinienne a été prise en otage et ses droits ont été bafoués au nom d’une politique qui fait appel, côté israélien, au droit de l’Etat hébreu à assurer sa propre sécurité et, côté palestinien, au droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Le faible écho du Hamas auprès de la population de Cisjordanie prouve par ailleurs que ce parti ne représente pas toutes les sensibilités du peuple palestinien. Là encore la force a instrumentalisé le droit !

9Ainsi, au Liban et dans les pays arabes du Moyen-Orient, la force prime sur le droit. Quelles que soient les circonstances – guerres, élections, revendications, opposition…– on a tendance à oublier que le droit sans la force – celle d’un Etat de préférence – est impuissant ; mais que la force sans le droit est, elle, toujours injuste.

Antoine Sfeir
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2016
https://doi.org/10.3917/lcdlo.094.0003
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