CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis ma naissance j’entends dire que les chrétiens en terre d’islam sont voués à la disparition. Il est vrai qu’en soixante ans les communautés chrétiennes diverses et souvent plurielles ont traversé des périodes pour le moins difficiles et souvent tragiques. Aujourd’hui il subissent un renfermement communautaire similaire à celui que connaissent toutes les communautés ethniques et religieuses dans la région.

2On pourrait se poser la question de savoir pourquoi il y a eu une telle dégradation; on pourrait également trouver de multiples raisons dans la montée de l’intégrisme islamique ainsi que dans la généralisation des régimes forts dans la région, dans la politique américaine cherchant à détruire les États Nations, dans l’absence de démocratie ou tout au moins de pluralisme, ou encore par les fractures politiques, identitaires et sociales…Toutes ces raisons sont réelles mais il me semble fondamental de souligner chez tous ces chrétiens d’Orient une sorte d’attitude suicidaire notamment dans la seconde moitié du XXe siècle dont ils payent les conséquences aujourd’hui. Qu’on me comprenne: je ne cherche en aucun cas à culpabiliser une population aujourd’hui blessée mais en tant que chrétien d’Orient je me dois de rechercher en nous mêmes les germes qui ont participé de cette perte d’influence que nous subissons.

3Ces chrétiens d’Orient ont été le noyau de tous les comités de la fin du XIXe siècle et du début du XXème qui ont entraîné les indépendances des pays de la région et l’érection d’États Nations; ils ont été les architectes de la Nahda, la Renaissance de la langue, de la culture et de la civilisation arabes, charnière de la résistance contre la radicalisation de l’Empire ottoman et sa volonté d’islamiser et de turquifier l’administration de l’Empire. Cela leur a permis d’articuler les élites de ces États Nations; même du temps des débuts de Nasser ils ont été les conseillers privilégiés des premiers pas de la République égyptienne; ils ont occupé des postes de conseillers auprès de tous les régimes arabes y compris ceux des pétromonarchies. Pourquoi n’ont-ils pas pu sauvegarder de telles positions? C’est sans doute une des questions récurrentes que l’on pouvait se poser.

4Certes certains ont profité de leur poste pour avoir une attitude sans doute de népotisme et en tous cas d’ostentation accumulant les privilèges sans pour autant accepter de les partager; d’autres ont pu subir l’ire des régimes pour leurs contacts fréquents avec l’Occident; d’aucuns enfin ont préféré sauvegarder une position dominante notamment en matières économique et financière, se repliant sur des positions à l’étranger plutôt que de renoncer à certains avantages, et assurer un avenir un avenir plus certain.

5Et pourtant malgré les massacres d’Assiout et de Minia et la chute démographique des chrétiens dans ces deux villes, en dépit de la perte d’influence apparente des chrétiens au Liban, de leur silence assourdissant en Syrie, des vexations subies en Algérie, il apparaît de plus en plus qu’on a besoin d’eux dans plus d’un pays. Prenons l’exemple du Liban: les chrétiens se retrouvent dans les coalitions du pouvoir comme dans celles de l’opposition. Nonobstant l’acharnement de certains parmi eux qui veulent, à l’instar des autres communautés, choisir leur représentant au pouvoir, ce qui serait du pur communautarisme, ils sont devenus sans doute malgré leur classe politique les arbitres de tous les scenarii. Mais on ne peut s’empêcher de se demander si ils sauront tirer leurs marrons du feu.

6Penchons-nous sur le cas de l’Egypte: ils président aujourd’hui aux destinées de groupes économiques de taille internationale; ce n’est pas un hasard, le champ politique leur étant réduit sinon interdit, ils ont exprimé toute leur intelligence, tout leur dynamisme, mais aussi tout leur patriotisme dans le domaine de l’entreprenariat, et ils y ont réussi. De nouveau leurs communautés deviennent visibles. A eux aussi on pourrait poser la question de savoir s’ils vont tirer leur épingle du jeu.

Antoine Sfeir
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2016
https://doi.org/10.3917/lcdlo.093.0003
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