CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Si les incendies demeurent la hantise des sociétés du XIXe siècle, leur ampleur et leurs caractéristiques évoluent en profondeur au cours de la période. Alors que le nombre et la gravité des grands incendies urbains tendent à diminuer avec l’évolution des matériaux de construction et la généralisation des dispositifs de protection, de nouvelles menaces accompagnent l’avènement de l’âge industriel [1]. L’apparition des usines, à côté des ateliers artisanaux et des petits métiers, multiplie en effet les risques en concentrant dans un même lieu un grand nombre de machines, de substances inflammables, d’ouvriers et de capitaux. L’incendie de ces vastes espaces productifs menace l’économie et les hommes, et impose rapidement le développement de régulations et d’instruments de lutte pour y faire face. Chaque secteur d’activité possède ses risques spécifiques en fonction des forces motrices utilisées ou des matériaux manipulés. À côté des usines à gaz, des usines chimiques ou des poudreries, les usines textiles – notamment les filatures, qui sont au cœur des débuts de l’industrialisation – sont celles qui brûlent le plus fréquemment. La prise en compte de ce risque, de son ampleur comme de sa régulation, nous plonge au cœur du fonctionnement des sociétés industrielles naissantes au milieu du XIXe siècle. Elle permet d’explorer, notamment en France, les conditions de naturalisation de l’usine dans des sociétés encore largement dominées par les activités rurales et artisanales.

2Jusqu’ici, la question des incendies a surtout préoccupé les historiens du fait urbain ou de la conflictualité politique et a davantage retenu l’attention des historiens anglo-américains et ceux de l’époque moderne. Elle constitue pourtant un excellent laboratoire pour penser l’invention de l’usine au XIXe siècle [2]. À travers l’incendie, ses causes, ses effets, les formes diverses de sa prise en charge, ce sont en effet les conditions d’acclimatation de l’industrie qui surgissent, en dépit des risques et menaces croissantes qui accompagnent son développement [3]. Comment l’expérience de l’incendie a-t-elle façonné les espaces productifs et les rapports sociaux de travail au début de l’industrialisation ? Comment l’incendie met-il à l’épreuve les techniques et les hommes ? Cette enquête, menée à partir de données concernant les principales régions textiles de l’époque, invite à interroger l’ampleur de ce risque, ses coûts mais aussi ses modes de gestion et de prise en charge par le capitalisme industriel naissant.

L’impossible mesure ?

3En dépit des mentions fréquentes d’incendies d’usines textiles au XIXe siècle, il existe peu de travaux explorant de façon systématique cette question. L’histoire des incendies a peu retenu l’attention des historiens de l’industrie et des mondes du travail. Cette question, pourtant présentée comme centrale dans le fonctionnement de l’industrie textile tout au long du XIXe siècle, n’est le plus souvent évoquée qu’à travers quelques mentions parcellaires dans les monographies locales ou d’entreprise. L’une des rares thèses traitant de l’incendie en Alsace, l’une des principales régions textiles du XIXe siècle, le fait à travers la question de l’assurance incendie. Toutefois, elle exclut délibérément les usines et le risque industriel de son enquête, au nom de la « spécificité » de sa prise en charge par des compagnies spécialisées et de la classification particulièrement complexe des « produits industriels » [4]. Serge Chassagne est celui qui a évoqué avec le plus de précision cette thématique en lui consacrant quelques pages décisives de son ouvrage sur l’industrie du coton. Il remarquait que « les sinistres effectivement survenus [étaient] encore mal recensés faute de sources centralisées » [5]. La question des sources est en effet essentielle pour expliquer le désintérêt pour ces incendies industriels, alors même qu’ils ont suscité des travaux novateurs et importants outre-Manche, fondés notamment sur les archives abondantes des compagnies d’assurances qui apparaissent très tôt au Royaume-Uni [6].

4Faute d’archives consistantes émanant des compagnies d’assurances et compte tenu du faible nombre d’archives d’entreprises textiles pour cette époque, l’essentiel de l’information provient des rapports des autorités locales. Pour pallier l’absence de données agrégées au niveau national, nous avons choisi d’explorer les rapports des maires et de la police conservées dans les archives départementales en sélectionnant cinq des principaux départements textiles de l’époque : le Haut-Rhin, le Bas-Rhin, le Nord, la Seine-Inférieure et l’Eure. Ce choix impose évidemment des renoncements. Les informations sont difficiles à collecter car très dispersées et parfois lacunaires [7] : c’est seulement après 1884, lorsque s’impose une obligation plus stricte de déclaration des incendies, que les rapports s’étoffent. Pourtant, avant même cette date, les maires, les commissaires de police et les gendarmes sont très attentifs au risque d’incendie et rendent souvent compte des événements de ce type. Une multitude de rapports sur les sinistres de toute nature, parmi lesquels les incendies, sont ainsi conservés dans la série M de l’administration préfectorale. Son dépouillement permet d’extraire de la masse des sinistres ceux affectant l’industrie textile.

5Cette exploration des incendies industriels textiles – qui ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité – confirme l’importance du risque et la fréquence des sinistres : plus de 750 incendies d’ampleur variable ont ainsi été recensés dans les décennies centrales du XIXe siècle, une centaine dans la Seine-Inférieure entre 1815 et 1870, près de 300 dans les deux départements alsaciens, et près de 350 entre 1850 et 1870 dans le seul département du Nord [8].

Tableau 1

Incendies d’usines textiles recensés dans cinq départements industriels au XIXe siècle

Tableau 1
Département Période Nombre d’incendies Haut-Rhin 1849-1870 58 Bas-Rhin 1816-1870 230 Nord 1849-1870 345 Seine-Inférieure 1804-1870 116 Eure 1828-1864 14 Total 763

Incendies d’usines textiles recensés dans cinq départements industriels au XIXe siècle

6Au milieu du XIXe siècle, le textile demeure la première industrie du pays par le volume de l’emploi et la valeur de la production. La période s’étendant de 1830 à 1870 voit à la fois l’accélération et l’intensification de l’industrialisation en France, l’essor des probabilités et de l’économie politique, mais aussi l’invention de nouveaux modes de régulations du risque et de nouveaux rapports sociaux au travail. À la différence de la Grande-Bretagne où domine la concentration de la production – coton dans le Lancashire et laine dans le Yorkshire –, la dispersion caractérise en France l’activité textile que l’on trouve presque partout, même si des mutations commencent à se dessiner avant 1870 : le recul du textile à Paris, le déclin de la production dans l’Ouest et le Midi et son dynamisme dans l’Est et le Nord. Après 1815, le prix élevé de la main-d’œuvre parisienne et le manque de ressource énergétique locale entraînent la dispersion des fabriques de coton en province. Il ne reste plus que douze filatures de coton dans la capitale en 1848 et plus aucune en 1860. Loin d’être un grand centre textile, Paris se spécialise dans la fabrication des tissus et étoffes de qualité dans de petites structures moins soumises aux risques d’incendie [9]. En dépit de la dispersion persistante, les usines comme les filatures tendent à se concentrer dans trois pôles principaux retenus pour notre enquête : la Normandie, le Nord et l’Alsace.

Quand les usines brûlent : ampleur globale du risque

7Il convient d’abord de cerner plus précisément la nature du risque, son ampleur, et d’interroger la notion même d’« incendie industriel ». Que recouvre cette expression ? L’ampleur des pertes estimées est un bon indicateur, qui permet de distinguer plusieurs types d’incendies, depuis les plus petits, sans gravité, jusqu’aux plus catastrophiques. La majeure partie des sinistres provoquent des dégâts limités, quelques milliers de francs tout au plus lorsque des métiers, des produits ou une partie des bâtiments sont endommagés. Sur 664 incendies dont les pertes sont connues avec précision, seuls 73 dépassent la somme de 100 000 francs, alors que 66 % n’excèdent pas 10 000 francs. Au-delà des quelques incendies spectaculaires, abondamment relayés par la presse, comme celui qui frappe l’« usine monstre » de Motte-Bossut à Roubaix dans les années 1860, de nombreux incendies plus anodins, moins médiatisés, ont donc façonné le quotidien des fabricants et des travailleurs, modelé les chemins et les rythmes de l’industrialisation comme les formes d’organisation concrètes du travail.

Tableau 2

Répartition des incendies recensés selon le coût des pertes

Tableau 2
Ampleur des pertes estimées Nombre d’incendies Moins de 10 000 francs 440 De 10 000 à 100 000 francs 151 Plus de 100 000 francs 73 Total 664

Répartition des incendies recensés selon le coût des pertes

8Parmi les incendies les plus spectaculaires, qui éclatent surtout après 1850, retenons quelques cas qui ont particulièrement frappé les contemporains. À Roubaix, en 1866, celui de l’usine Motte-Bossut (80 000 broches), provoqué par la poussière de coton enflammée au contact d’un bec de gaz, atteint 2,5 millions de francs de pertes. C’est le plus grave de la période en France, mais ce n’est pas le premier dont ait été victime la famille Motte : en 1843 Louis Motte-Bossut, de retour de Manchester avec de nouvelles méthodes de fabrication, fait édifier à Roubaix, au bord du canal récemment ouvert qui permet d’acheminer le charbon à bon marché, une vaste filature de coton de cinq étages, très rapidement surnommée « l’usine monstre ». Dès l’année suivante, elle est ravagée par un incendie, reconstruite puis à nouveau incendiée à plusieurs reprises [10]. D’autres feux, comme celui survenu dans une filature de laine d’Elbeuf en 1855, atteignent plusieurs centaines de milliers de francs. Le vaste établissement d’une longueur de cent mètres avait été inauguré l’année précédente. La cause du sinistre, accidentelle, est attribuée à l’échauffement de laines imprégnées d’huile. De même, en 1867, l’incendie de la filature dite de la porte du Miroir à Mulhouse, fondée en 1826, l’une des plus importantes de France sous la monarchie de Juillet, détruit presque totalement les ateliers et les machines, mettant plus de 50 000 broches hors d’usage.

9La notion d’incendie recouvre donc une grande diversité de situations. L’incendie d’usine n’a pas le même sens au début du siècle lorsque l’usine est balbutiante et dans les années 1860 lorsqu’elle est triomphante. En 1811 à Baromesnil (Seine-Inférieure), par exemple, l’habitation d’un tisserand à domicile brûle avec son matériel pour une somme de 3 000 francs. Il s’agit là d’un type d’incendie caractéristique d’un monde proto-industriel où l’atelier n’est pas séparé du domicile et dans lequel le coût des destructions demeure limité, même si cette perte pouvait évidemment être catastrophique pour la victime. Jusqu’au Second Empire, les petits ateliers ruraux demeurent nombreux, même dans les trois régions où la concentration textile est précoce : dans le Bas-Rhin, en 1840, la transformation du chanvre mobilise toujours plusieurs dizaines de milliers de fileuses à domicile et environ 5 000 tisserands ; par ailleurs, le tissage à bras du coton ou des tissus mélangés demeure très répandu dans la sphère d’influence de Sainte-Marie-aux-Mines, dans les cantons du sud de Bas-Rhin [11]. Plus encore que le coton alsacien, la draperie normande reste longtemps modelée par la persistance des structures proto-industrielles [12].

10Comme on pouvait s’y attendre, le risque croît avec le nombre et la taille des usines et les situations varient en fonction des caractéristiques propres à l’industrie textile de chacun des départements concernés. Ainsi, le risque concerne davantage les filatures, activité qui se concentre et se mécanise précocement, alors que le tissage demeure plus souvent rural et dispersé. Ce sont les filatures qui brûlent le plus fréquemment : dans le Nord près de 50 % des incendies recensés les concernent (170 sur 343 incendies) ; dans la Seine-Inférieure, elles représentent 34 % du total (35 sur 92). Seule l’Alsace présente une situation quelque peu différente, peut-être en raison des lacunes dans la conservation des archives et du grand nombre de réponses « diverses » apportées aux enquêtes des préfets et des maires. Les incendies semblent concerner un spectre plus large : la catégorie « divers » englobe des activités aussi variées que les droguistes, le maniement des métiers à tisser, le nettoyage de laine, les tailleurs d’habits, tondeurs de draps, bonnetiers, fabricants d’ouate, de fil retors, de toile peinte, d’étoffes de soie, de fil de coton, l’impression d’étoffes, l’imprimerie sur rouleaux, les marchands d’étoffes, ou encore le séchage des cotons.

11Quoi qu’il en soit, entre les années 1820 et 1860 le nombre d’incendies tend à augmenter et leur distribution spatiale se concentre. Les usines flambent davantage l’hiver, en raison du chauffage et de l’éclairage, et en juillet, les grosses chaleurs favorisant les départs de feu : dans le Nord, 40 incendies ont ainsi lieu en juillet et 35 en décembre contre seulement 16 en mai. Globalement, le nombre d’incendies croît au cours de la période, même si le manque de données avant 1848 peut conduire à relativiser cette conclusion. Trois phases semblent se dessiner : avant 1828, les incendies industriels recensés sont peu nombreux ; à cette époque, ils ne sont pas réellement distingués des autres incendies ruraux et urbains et la faiblesse des pertes et des dommages ne conduit pas les autorités à des recensements exhaustifs. Un premier accroissement s’observe sous la monarchie de Juillet, mais le risque s’intensifie surtout après 1848 avec quelques pics incendiaires à la fin de la période, entre 1864 et 1868. Le nombre d’incendies semble augmenter durant les périodes de crise, celles de 1828-1832, 1846-1852, ou celle qui frappe le Nord vers 1867 à la suite de la baisse des prix du coton et de la fermeture du marché américain.

Graphique 1

Incendies recensés dans le secteur textile dans cinq départements (1804-1870)

Graphique 1

Incendies recensés dans le secteur textile dans cinq départements (1804-1870)

12Dans notre corpus, l’augmentation du nombre des incendies suit celle de la production et du nombre des usines ; la nature du risque est modelée par les caractéristiques socio-techniques de l’industrie locale. En Normandie, le travail du coton, déjà ancien, ne cesse de s’intensifier : 960 000 broches en activité en 1834, 1,2 million en 1847 et 1,4 million en 1859. À cette date, sur 800 000 habitants en Seine-Inférieure, 200 000 travaillent soit directement soit indirectement (mécanique, chimie) pour le textile où domine une production commune et bon marché. Le secteur se caractérise par un équipement et un outillage relativement anciens comparés aux autres régions : en 1847, il reste 83 filatures mues à bras ou grâce à des manèges de chevaux, alors qu’elles ont presque disparu ailleurs, les nombreux cours d’eaux ont favorisé l’usage de l’énergie hydraulique – moins risquée – qui perdure longtemps en Normandie. La zone formée par l’Alsace et les Vosges était quant à elle, selon Claude Fohlen, « la plus active, la plus prospère, la plus dynamique » des régions textiles [13]. Si la Normandie l’emporte par l’ampleur de la production et le nombre des métiers, l’Alsace s’impose par la qualité des productions, la valeur et la variété des produits. Le coton domine mais, contrairement à la Normandie, il s’agit au début du XIXe siècle d’une activité récente, stimulée par l’abondance des capitaux, la présence de nombreuses rivières et l’utilisation précoce des machines à vapeur. L’autre originalité de l’Alsace réside dans la mécanisation poussée et précoce du tissage – le modèle alsacien se rapproche à cet égard du modèle anglais –, dans l’importance des indienneries et de l’impression des toiles ainsi que dans l’existence précoce de grandes entreprises intégrées (réunissant filature, tissage, etc.). Dans le Nord, enfin, l’une des régions textiles les plus récentes et les plus dynamiques, caractérisée par la multiplicité de ses activités textiles (coton, laine, lin, chanvre), le coton connaît une croissance remarquable dans la région de Lille-Roubaix-Tourcoing. À Lille, onze filatures sont créées entre 1852 et 1854 avec un total de 120 000 broches [14]. En raison de la diversité des fabrications et de la persistance du tissage rural, les entreprises du Nord sont plus rarement intégrées qu’en Alsace.

13Comment ces spécificités de l’appareil productif local modèlent-elles la forme et l’intensité des incendies industriels ? La géographie du risque dans l’industrie textile française correspond d’abord, et assez logiquement, aux places fortes de l’industrialisation. Sur le plan national, la Seine-Inférieure connaît ainsi un nombre sensiblement plus bas d’incendies que les départements du Nord et de l’Est, caractérisée qu’elle est par la persistance d’une structure proto-industrielle, une moindre mécanisation et une taille plus restreinte des entreprises : alors qu’au début des années 1860 le nombre moyen d’ouvriers dans les filatures était déjà de 300 dans le Haut-Rhin (situation comparable à celle du Lancashire), il n’était que de 134 dans le Nord et de 80 dans la Seine-Inférieure [15].

14À l’intérieur de l’espace régional, les usines de la Seine-Inférieure flambent plus que celles de l’Eure, département plus rural, et celles du Nord plus que celles du Pas-de-Calais. Seule anomalie, le nombre d’incendies est plus élevé dans le Bas-Rhin que dans le Haut-Rhin (147 incendies recensés entre 1849 et 1870 pour l’un, 58 pour l’autre), alors même que l’industrialisation a commencé au sud de l’Alsace, autour de Mulhouse et Sainte-Marie-aux-Mines, où la main-d’œuvre disponible et les sites hydrauliques des vallées vosgiennes étaient abondants. L’industrie textile alsacienne est donc essentiellement haut-rhinoise alors que les incendies recensés sont surtout localisés dans le Bas-Rhin. Mais cette anomalie est sans doute d’abord le résultat d’un biais de sources et de l’inégale conservation des documents [16]. À l’intérieur de chaque département, c’est évidemment dans les communes les plus industrialisées que le nombre d’incendies est le plus important. Leur répartition spatiale révèle les pôles principaux, les centres secondaires, la persistance de logiques proto-industrielles. Ainsi, l’arrondissement de Lille, de loin le plus industrialisé du département, compte-t-il 62 % du total des 215 incendies industriels répertoriés dans le Nord, tandis que 84 (40 %) ont eu lieu à Roubaix et Tourcoing. Dans ce « Manchester français », comme l’appelait dès les années 1840 le Journal de Lille, la croissance industrielle a été particulièrement spectaculaire et ce « complexe industriel » représentait déjà 30 % des ventes françaises de tissus de laine en 1869 [17]. De même, en Seine-Inférieure, l’arrondissement de Rouen, qui comprend les principales villes textiles comme Elbeuf ou Darnétal, concentre à lui seul 90 % des incendies survenus dans le département. Pour éclairer plus précisément les réactions des autorités et des populations, il conviendrait encore d’examiner systématiquement la localisation de l’usine, au cœur de la ville ou plus à l’écart, ce que ne permettent pas les sources utilisées.

Risques et fragilités des techniques industrielles

15En cas d’incendie, l’imputation des responsabilités et la recherche des causes surgissent vite. Le maire et les autorités policières lancent des enquêtes, interrogent les protagonistes, les riverains, la main-d’œuvre comme le propriétaire de l’usine, mais les termes utilisés pour caractériser l’origine du sinistre sont souvent ambigus : « accident », « négligence », « imprudence », ces catégories qui reviennent le plus fréquemment peuvent recouvrir des réalités diverses. Dans les rapports de gendarmerie, elles ne sont jamais définies et rien ne permet de préciser ce que les gendarmes et les maires mettaient sous le mot « accident ». À côté de l’ampleur des causes inconnues et des non-réponses (de 40 % à 53 % environ), un autre fait vient obscurcir l’interprétation des causes : celles-ci évoluent et varient dans le temps. Ainsi, au début du XIXe siècle, la malpropreté, l’imprudence dans « le transport du feu », les toits en chaume et l’usage du bois dans les constructions sont les causes d’incendie les plus fréquentes [18]. Peu à peu, avec le développement des usines et la professionnalisation de la gestion du risque, d’autres facteurs émergent comme le stockage de grandes quantités de matières inflammables ou le travail des machines. De plus en plus de traités et d’enquêtes sont publiés au cours du siècle pour mettre en garde les industriels contre ces risques nouveaux. L’inspecteur d’assurances Meunier publie ainsi en 1864 l’un des premiers « ouvrage[s] utile[s] aux usiniers, aux inspecteurs et agents d’assurances, aux constructeurs d’usines » [19]. Quelques causes principales peuvent être distinguées : causes accidentelles (notion floue qui revient souvent) liées à l’imprudence des ouvriers, vices de construction et problèmes techniques. On peut en revanche noter que les incendies volontaires, dus à la « malveillance », demeurent peu nombreux.

Tableau 3

Principales causes des incendies selon les autorités (toutes périodes confondues)

Tableau 3
Causes % du total Nord Alsace Seine-Inférieure Accidentelle 30.8 40.9 23 21.3 Imprudence, négligence 12 9 12.3 19.7 Malveillance 5.4 4.3 6.2 6.5 Pas de malveillance 2.1 1.7 3.4 Vice de construction 3.8 3.5 5.5 Non réponse 23.4 28.7 27 Inconnue 22.5 11.9 22.6 52.5 Total 100 100 100 100

Principales causes des incendies selon les autorités (toutes périodes confondues)

16Les incendies sont parfois décrits comme des risques « naturels », liés aux orages ou aux aléas climatiques. En 1811, l’habitation d’un tisserand à domicile à Baromesnil est ainsi incendiée par le « tonnerre » [20]. À Brionne (Eure), en juin 1861 « la foudre est tombée sur la filature de Monsieur Duret », elle « s’est introduit[e] dans les ateliers où elle a mis le feu en plusieurs endroits aux cordages de plusieurs métiers en fer » [21]. La fréquence des incendies s’explique surtout par l’incertitude des techniques mises en œuvre au début de l’industrialisation. L’entretien des machines et des bâtiments ainsi que les multiples mises au point à travers lesquelles se construit le rapport quotidien aux objets a encore peu retenu l’attention. Le manque de sources et la prépondérance accordée aux grandes innovations, souvent spectaculaires, rendent invisibles les incertitudes technologiques comme les bricolages ordinaires qui s’opèrent dans les ateliers et les usines [22]. C’est cette fragilité du monde technique que donne à voir le moment de l’incendie. Le plus souvent, en effet, l’incendie résulte d’abord des spécificités des matières travaillées et de la complexité des opérations productives.

17Dans les enquêtes menées à l’époque, la filature de coton est généralement décrite comme le secteur le plus risqué en raison des opérations préalables de « battage » du coton, de la présence de nombreux déchets gras dans les ateliers, de « l’échauffement des arbres de transmission, prisonniers, poulies, etc., par manque de graissage », ou encore en raison du « chauffage par des poêles » [23]. Dans l’industrie textile, l’usage de sources d’énergie et d’éclairage inflammables associé au travail de matières très sensibles à la chaleur (lin, coton, laine) provoque fréquemment des départs d’incendie. En novembre 1864 par exemple, du lin s’étant introduit dans les « lanternes dites marines suspendues par des fils de fer » utilisées par les ouvriers qui battaient les lins, l’écanguerie a été totalement détruite pour un coût de 100 000 francs [24]. Les autorités et les enquêteurs attribuent parfois l’incendie à la « combustion spontanée » des matières textiles, notamment la laine qui doit être graissée avant d’être travaillée. L’ingénieur Michel Alcan affirme ainsi qu’en Normandie « la fermentation » de la laine huilée peut « occasionner une combustion spontanée ; les exemples d’incendies ne sont que trop communs dans les villes manufacturières, et notamment à Elbeuf. Il suffit quelquefois d’un tassement très peu prolongé pour causer ces accidents » [25]. Dans ce cas, c’est la nature même des matières travaillées qui est en cause. « Les perfectionnements de l’industrie » peuvent d’ailleurs accroître ces risques, comme le remarque Adolphe d’Andiran-Koechlin en 1875, alors que de plus en plus de fileurs et de tisseurs utilisent des « huiles minérales, dites fluides », à la place des anciennes huiles végétales et animales ; or ces huiles, obtenues par la distillation de goudron d’houille ou de schiste – meilleur marché –, sont plus inflammables que celles employées auparavant [26].

18L’incendie est souvent lié à l’aspect balbutiant des techniques employées. De façon générale, on met souvent en cause les défauts des constructions usinières, les risques inhérents à l’agencement des bâtiments et des systèmes techniques. Les machines à vapeur notamment, dont l’usage en France demeure pourtant très lent et inégal, semblent être une cause réelle de danger. L’installation des premières « pompes à feu » à Elbeuf sous la Restauration s’opère ainsi de façon anarchique, sans remettre en cause l’organisation des bâtiments ni le paysage industriel, ce qui accroît le risque [27]. En 1866, l’incendie d’une fabrique d’ouate en Alsace est attribué au « tuyau des machines à vapeur » ; en 1862, « la chaleur provenant des tuyaux à vapeur » du « calorifère », utilisé dans un « séchoir à air chaud », met le feu à une poutre puis à la charpente d’une fabrique, causant près de 600 000 francs de dégâts [28]. Le séchage de la laine, opération qui intervient après la teinture, nécessite des précautions particulières, d’autant que l’ancien séchage au soleil et à l’air est de plus en plus concurrencé par l’usage de la vapeur qui permet d’accélérer et de mieux contrôler le processus, mais en accroissant fortement le risque d’incendie [29]. Les machines à vapeur sont également une cause d’incendie en cas d’explosion : en avril 1868 celle d’un générateur dans le Nord tue cinq personnes et en blesse huit autres avant de provoquer un incendie [30].

19Le risque qui naît des cheminées, dans les usines actionnées par la vapeur, semble particulièrement important. En Alsace, l’incendie d’une draperie à Strasbourg en 1841 et celui d’une filature à Bischwiller en 1853 leur sont ainsi attribués [31]. En Normandie, une fabrique brûle à Elbeuf en 1832 à cause d’une « poutre trop voisine de la cheminée de la machine à vapeur », et l’année suivante c’est le tour d’un hangar appartenant à un teinturier de Darnétal, à cause « des flammèches échappées d’une cheminée et qui auraient mis le feu » [32]. Ce type d’événement révèle les nombreux problèmes de construction qui accompagnent l’invention de l’usine. Dès les années 1830 les débats sont vifs sur la forme des cheminées d’usine ; dans le Nord, elles sont souvent construites en cuivre, ce qui accroît encore les risques par rapport aux constructions en briques [33].

La responsabilité des ouvriers et l’invention de la discipline

20La ligne de partage entre défauts techniques et responsabilité humaine est souvent floue. Pour éviter une remise en cause de la technique, les industriels signalent en effet l’incapacité des ouvriers à l’utiliser. Serge Chassagne notait que les contemporains dénoncent la « négligence, l’imprévoyance, et le “manque de soins” – des ouvriers, s’entend – comme la cause la plus fréquente des sinistres en stigmatisant leurs coutumes et habitudes. Aussi lutte-t-on également contre la destruction du capital fixe par un renforcement de la discipline industrielle. » [34] À l’ère des révolutions et du surgissement de la question sociale, la main-d’œuvre est de plus en plus perçue avec méfiance, comme une « classe dangereuse » nécessitant un contrôle et une surveillance étroits.

21Les questions de la responsabilité des ouvriers et du rôle des menaces d’incendie dans l’émergence de la discipline industrielle et de nouvelles formes de coordination de la main-d’œuvre sont donc ici essentielles. Les ouvriers mettent le feu soit en approchant la lumière trop près des produits, soit en fumant dans les ateliers, soit en s’endormant au travail. Les récits leur imputant la responsabilité des accidents sont nombreux. Le commissaire de police de Pont-Audemer constate ainsi en 1861 que l’incendie du bâtiment dépendant de la Veuve Baril « est le résultat de l’imprudence d’un sieur Manoury, Louis, Pierre, âgé de 19 ans, demeurant à Pont-Audemer, occupé comme batteur dans la dite filature. Il lui avait été recommandé de ne pas toucher à la lampe dans l’atelier. Malgré cette défense, la lumière étant charbonneuse, il voulut raser la mèche qui tomba enflammée sur le coton et communiqua le feu si promptement qu’il fut obligé de se sauver » [35].

22Le travail de nuit constitue en effet une des causes les plus fréquentes d’incendie à une époque où la durée journalière de travail atteignait douze, voire treize et quatorze heures dans certains endroits. Les « poêles » et « quinquets » pour le chauffage des ateliers, et surtout les lanternes et bougies mal éteintes ou mal tenues déclenchent souvent des départs de feu qui se propagent ensuite rapidement dans un environnement de travail rempli de matières inflammables. Le spectre de l’incendie accompagne d’ailleurs les débats sur la durée du travail, son intensification et sa régulation [36]. Les incendies provoqués par des lampes renversées poussent à l’extension de l’éclairage au gaz mais aussi à la surveillance accrue de la main-d’œuvre.

23Le cas de l’incendie de Roubaix en 1866 permet d’éclairer de plus près les conditions dans lesquelles le feu se déclare [37]. Le récit et les témoignages qu’a suscités cet incendie exceptionnel permettent d’entrer dans l’intérieur de l’atelier et ainsi de mieux cerner le fonctionnement des premières usines. Le contremaître Fassin raconte qu’il devait surveiller deux salles de l’usine, situées aux deuxième et troisième étages. Il arrive un quart d’heure avant le début du travail fixé à 6 heures, passe chez le concierge pour prendre un bec de gaz au moyen duquel il doit ensuite allumer ceux des salles dont il a la charge ; pendant ce temps les fileurs et leurs aides arrivent progressivement pour commencer le nettoyage des métiers, comme tous les samedis. Une jeune rattacheuse de 14 ans raconte la scène :

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« mon fileur prenait son temps avant la mise en mouvement de la machine en nettoyant d’avance l’arbre de transmission et la poulie de renvoi, passant horizontalement au-dessus des métiers, à cet effet avec une brosse à la main, il nettoya l’arbre dans le sens de sa longueur, poussant ainsi vers la poulie les poussières qui se massèrent et finirent par former un petit volume. Avant que Lesnier eut le temps d’achever son nettoyage, la machine se mit en mouvement et dut se retirer aussitôt, mais l’arbre de transmission, en tournant, projetait l’amas de poussière que le fileur avait accumulé, le lança juste sur un bec de gaz situé au-dessus du métier n°34 ; […] la poussière s’enflamma et tomba de là sur le métier, mit le feu au coton. J’en prévins tout de suite mon fileur qui […] se précipita aussitôt sur ce qui brûlait déjà, mais le feu marchait si vite qu’il n’en fut pas maître […] moi je courus prévenir le contremaître puis saisie de frayeur, je me suis sauvée en répandant l’alarme. C’est tout ce que je puis dire. »

25Normalement le nettoyage devait se faire « à plein jour », de 11 à 13 heures, mais le fileur prend l’initiative de nettoyer son métier avant l’heure indiquée par le règlement. Il se justifie en affirmant qu’auparavant, il était fréquent de nettoyer le métier le soir à la lumière du gaz. L’incendie est étroitement lié à des questions d’organisation du travail, de coordination de la main-d’œuvre et des tâches dans l’atelier. Ici, le fileur demeure un travailleur largement autonome. Beaucoup de travaux ont souligné, à l’instar de ceux de William Reddy, que les travailleurs au XIXe siècle se sont longtemps considérés comme des petits producteurs plutôt que comme des prolétaires vendeurs de leur force de travail [38]. Le contrôle des capitalistes sur le travail demeure fragile, souvent indirect, et les fileurs disposent d’une grande autonomie pour organiser leur journée. Dans la première moitié du siècle, souvent payés à la tâche, ils embauchent et rétribuent eux-mêmes leurs aides. Ils payent souvent pour l’usage des moyens de production (les machines, la vapeur, les bougies pour éclairer) et ces retenues leur apparaissaient comme une marque d’indépendance plus que d’exploitation. Ce système offrait une relative liberté aux ouvriers, leur permettant de gérer l’intensité de leur travail. D’ailleurs, l’usine elle-même n’était pas encore un univers clos et contrôlé, on pouvait entrer et sortir assez facilement [39].

26C’est notamment pour atténuer les dangers associés à ces pratiques que les industriels renforcent peu à peu la surveillance et la discipline dans les ateliers. La multiplication des contremaîtres dans les usines textiles après 1830 doit répondre à ce besoin de sécurité [40]. Certains fabricants instaurent aussi des systèmes de surveillance de nuit, pas toujours efficaces. À Bischwiller (Haut-Rhin), une vaste usine de drap qui avait déjà brûlé en juillet 1853 est complètement détruite par un incendie en juillet 1857. Entre-temps l’industriel avait pourtant embauché « deux gardiens » qui habitaient l’usine et étaient « spécialement chargés de veiller la nuit pour parer au feu » [41]. De même, en 1861, un incendie éclate dans la fabrique de Mercier à Authouillet (Eure), mais sa cause « reste ignorée » car le « surveillant de nuit [qui] couchait dans cet établissement était endormi et ne peut donner de renseignement » [42].

27La frontière entre l’imprudence et la « malveillance » est parfois floue. L’incendie criminel demeure une préoccupation constante des autorités même s’il s’agissait d’un phénomène assez rare et difficile à prouver. L’incendie semble rarement utilisé comme une arme pour faire pression sur le patronat ou comme outil de protestation collective [43]. L’incertitude peut cependant planer, comme au Houlme en 1822, après l’incendie de la filature Ricard, l’une des « plus belles du département » de la Seine-Inférieure. Le préfet souligne qu’« on n’a pu découvrir les causes de ce funeste événement que quelques personnes attribuent à la malveillance, sans que cependant l’on n’ait encore aucune preuve à cet égard » [44]. En 1834, le maire de Malaunay, non loin de Dieppe, attribue l’incendie de la grande filature de sa commune à la « malveillance », sans précision ; le contexte d’agitation sociale dans le pays – et la vague d’incendies criminels dans les campagnes normandes autour de 1830 [45] – favorisent peut-être ce type d’opinion. Dans quelques cas, comme en 1837 à Heugleville, toujours dans l’arrondissement de Dieppe, un incendie limité, qui fait pour 2 000 francs de dégâts, est attribué « à la malveillance et des soupçons s’élèvent sur un nommé Pascal Podevin, domicilié à Auffay, lequel aurait proféré des menaces envers Boulet qui avait fait arrêter sa femme, dernièrement, pour vol de coton » [46]. En Alsace aussi, plusieurs cas sont difficiles à documenter précisément. Les préfets écartent d’ailleurs l’hypothèse d’un acte de malveillance lorsque le patron jouit d’une bonne réputation.

L’incendie, un fléau à combattre

28Si, au début de l’industrialisation, les incendies révèlent les fragilités des techniques et modes d’organisation du travail, leur coût humain et financier oblige les manufacturiers à multiplier les mesures pour combattre et prévenir ce fléau toujours menaçant. La question des pertes et des coûts liés aux incendies doit d’abord être envisagée d’un point de vue comptable. Le coût financier des sinistres s’accroît en effet au cours de la période, comme le montrent les pertes totales cumulées, en dépit de fortes variations diachroniques.

Tableau 4

Pertes causées par les incendies recensés dans cinq départements (Eure, Nord, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Seine-Inférieure)

Tableau 4
Pertes totales (en francs) Pertes moyennes (en francs) 1804-1805 0 0 1806-1810 12 000 6 000 1811-1815 45 600 15 200 1816-1820 42 480 5 310 1821-1825 468 300 58 538 1826-1830 657 554 19 340 1831-1835 847 840 40 373 1836-1840 934 131 23 353 1841-1845 1 103 056 34 471 1846-1850 1 076 400 12 969 1851-1855 3 779 100 54 770 1856-1860 2 141 790 35 697 1861-1865 5 485 263 32 266 1866-1870 16 454 827 85 258 Total 33 048 341

Pertes causées par les incendies recensés dans cinq départements (Eure, Nord, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Seine-Inférieure)

29Si les pertes financières sont importantes, peu de morts et de blessés sont en revanche à déplorer parmi la main-d’œuvre ou les pompiers qui tentent d’arrêter l’incendie. Plus que les brefs rapports des autorités, c’est la presse locale qui relaie l’ampleur des drames humains. À Roubaix, en 1845, par exemple, elle décrit la panique qui s’empare « des ouvriers répandus dans les ateliers » de l’usine Motte, « dépourvus de moyens efficaces pour arrêter l’incendie » et songeant d’abord « à leur propre salut » : « Plusieurs de ces malheureux poussaient des cris lamentables, d’autres voulaient se précipiter par les fenêtres. On en vit un se laisser glisser adroitement d’étage en étage et parvenir jusqu’à terre sans accident. […] Quelques-uns descendirent au moyen des cordes enlevées à leurs métiers » [47]. La principale conséquence des incendies mise en avant par les autorités concerne le chômage. Celui-ci s’invente progressivement et devient un spectre majeur dans le monde du travail. Les autorités précisent fréquemment les effets du sinistre pour l’emploi local, comme ce commissaire de police qui s’« empresse de dire [au sous-préfet] que rien en fait de matériel n’a été brûlé, par conséquent pas de chômage », ou les autorités de Maronne précisant en 1877 que « ce sinistre ne va occasionner aucun chômage » [48].

30Dans la première moitié du siècle, le chômage n’existe ni comme catégorie statistique d’État ni comme champ d’intervention des autorités, même si les préfets disposent de budgets pour secourir ceux qui se retrouveraient dans la misère à la suite d’une calamité naturelle et peuvent autoriser les ouvriers et artisans sans ressource à mendier pour subsister. L’intérêt croissant pour le chômage occasionné par les incendies est à relier à la montée de la conflictualité ouvrière et au spectre des « classes dangereuses ». La mise au chômage de la main-d’œuvre risque en effet d’aggraver les tensions sociales dans la ville. En Alsace, les rapports des autorités présentent fréquemment un bilan des incendies en termes d’emploi : dans le Haut-Rhin, l’incendie du tissage mécanique d’Astruc entraîne 600 000 francs de perte pour le patron et prive de travail 439 personnes (dont 239 femmes) [49]. Pendant l’été 1867, alors que les grèves se multiplient dans le pays depuis plusieurs mois – notamment à Roubaix –, 320 ouvriers se retrouvent au chômage par suite de l’incendie d’une filature de lin [50]. En 1866, le grand incendie qui touche la filature Motte-Bossut à Roubaix et celle de Paul Bossut, mitoyenne, fait un mort, plusieurs blessés mais frappe aussi « 1000 ouvriers [qui] vont se trouver sans travail ». « On espère que la semaine prochaine le plus grand nombre trouvera de l’ouvrage dans d’autres établissements » [51]. À Roubaix, trois types de secours sont mis en place pour aider les ouvriers sans travail : l’embauche dans les autres établissements, « où le travail est assez abondant », la conjoncture locale étant en effet favorable après la crise du début des années 1860 ; le secours par le bureau de bienfaisance pour « ceux qui ne pourraient se placer immédiatement » [52] : les autorités locales sollicitent ainsi du ministère de l’Intérieur « une allocation spéciale pour donner au bureau de bienfaisance les moyens de satisfaire à cette augmentation de charges qui étant l’imprévu et qui pourra être très lourdes (sic), les familles des ouvriers étant généralement nombreuses » ; enfin, les secours privés des autorités : l’Empereur a ainsi « daigné accorder un secours de 5 000 francs aux ouvriers de Roubaix victimes de l’incendie », le patron lui-même accorde 500 francs à la famille du contremaître Jean Fassin mort dans l’incendie. À la Belle Époque, ces logiques philanthropiques sont de plus en plus concurrencées par la prise en charge de ces chômages collectifs par des organisations syndicales. À Tourcoing, au tout début du XXe siècle, les ouvriers mis au chômage par un incendie sont ainsi replacés par la Bourse du travail locale, alors qu’un débat s’engage sur la création d’une caisse d’assurance indemnisant les ouvriers victimes d’une interruption de travail par suite d’un incendie [53].

31Le feu est également l’occasion de mettre à l’épreuve la cohésion de la population locale. Parfois, des lectures politiques de l’incendie peuvent surgir. L’attitude des populations préoccupe tout particulièrement les édiles locaux. Loin d’être toujours actifs, les habitants modulent en effet leur ardeur à combattre l’incendie suivant la nature des biens incendiés et l’identité de leur propriétaire [54]. Au début du mois de novembre 1851 par exemple, le feu se répand dans les bâtiments de la filature Jean Dolffus, Mieg et Cie, récemment construits à Mulhouse, et alors l’un des plus grands établissements industriels de la région. La population « est restée inactive face au feu » et, « sans le concours de la garnison, on aurait difficilement arrêté les progrès du feu ». L’usine venait à peine d’ouvrir, seule une soixantaine d’ouvriers y travaillaient, toutes les machines n’étaient pas encore installées : cette passivité est sans doute le témoignage d’un ressentiment à l’égard du grand patron mulhousien, frère du maire de la ville de 1843 à 1848, président de la Société industrielle locale et grande figure du libéralisme alsacien [55]. Le plus souvent, toutefois, les rapports officiels louent le « zèle » de la population locale, son dévouement. Une fois l’incendie découvert, le tocsin est sonné ; là où il n’y a pas de corps de pompiers, c’est la population qui se précipite, encadrée par le maire ou les autorités policières.

32Même si les recherches comparatives manquent, les équipements et les corps de professionnels luttant contre les incendies semblent d’abord apparaître à l’époque moderne en Europe du Nord, où les nombreuses constructions en bois les avaient rendus nécessaires. Mais c’est surtout au XIXe siècle que la professionnalisation de la lutte contre les incendies se développe. En 1804, une circulaire demande aux préfets et aux maires de rechercher les moyens de remédier aux désastres causés par les incendies et de favoriser l’installation de sapeurs-pompiers. Face aux fortes disparités régionales, une nouvelle circulaire généralise le corps des pompiers en 1815, même s’il faut attendre la loi de 1831 sur la Garde nationale pour voir un nouvel élan dans la constitution de ces corps [56]. Les autorités profitent parfois du sinistre pour exiger l’installation d’une pompe à incendie dans leur ville [57]. Peu à peu apparaissent également des services de surveillance et de lutte contre l’incendie propres aux usines. À Elbeuf, dès le début du siècle, la fréquence des incendies de fabrique pousse les autorités locales à acquérir des pompes à incendie et à engager un pompier chargé de leur usage et de leur entretien [58]. Il semble que les entreprises mulhousiennes soient ici en pointe. Après 1825, il devient fréquent d’y trouver une « pompe à incendie » et les indienneurs en importent de Suisse [59]. La ville de Saint-Quentin (Aisne) est dotée dès la fin de la Restauration de « guetteurs », ou surveillants municipaux de nuit, qui sont chargés de repérer des départs de feu ; ce dispositif manque à Rouen et l’ingénieur civil Bresson en réclame la création en décembre 1843 [60]. Le risque d’incendie pousse aussi à l’organisation de corps de sapeurs-pompiers permanents et à la surveillance constante à l’intérieur et à l’extérieur des établissements industriels. Jules Albert Schlumberger, important patron textile de Mulhouse, était également capitaine des sapeurs-pompiers de la ville, car « ces fonctions n’échapp[ai]ent pas vraiment aux préoccupations de l’homme d’affaires, tellement les dangers d’incendies étaient grands dans les manufactures mulhousiennes » [61]. Dans la seconde moitié du siècle, tout un marché de la lutte contre l’incendie se développe progressivement et de multiples inventions entendent prévenir ou résorber le risque, à l’image des Sprinklers [62], des extincteurs automatiques, des aspirateurs de poussières et des révélateurs d’incendie. Tous ces dispositifs, qui ne pénètrent que lentement dans les usines, sont mis au point surtout après 1870. Avant cette date, les équipements anti-incendie demeurent rares et coûteux.

33La plus grande probabilité d’incendie dans les filatures et dans les indienneries – classées dans la catégorie des établissements à gros risques comme les raffineries de sucre, les verreries ou les blanchisseries – ainsi que l’accroissement des sinistres effectivement survenus, poussent à l’amélioration des constructions, notamment l’abandon des toits « en paille » et des murs en planches. Le risque d’incendie devient aussi l’un des principaux facteurs qui incitent à la modernisation des bâtiments industriels [63]. La lutte contre les incendies fait l’objet d’un apprentissage progressif et d’une régulation étatique croissante en lien avec la législation sur les établissements dangereux et insalubres. Dans les fabriques, le bâtiment qui abrite la pompe à feu doit ainsi avoir au moins un mètre d’épaisseur et ne pas jouxter d’autres habitations afin de diminuer le risque. Dans les teintureries les plus modernes, comme celle construite par Charles Flavigny à Elbeuf à la fin des années 1850, les laines importées sont, selon l’enquête de Julien Turgan, entreposées dans de vastes magasins « divisés en plusieurs compartiments séparés par des cloisons de briques à l’épreuve du feu » [64].

34Élaborée en Angleterre dès la fin du XVIIIe siècle, l’architecture industrielle dite fire proof se répand sur le continent au milieu du siècle suivant, en Belgique comme en France [65]. Les expériences et initiatives commencent à se multiplier en France : la société d’Émulation de Rouen propose de décerner en 1848 un prix pour récompenser l’établissement d’« un bâtiment à usage de filature de coton, entièrement à l’abri de l’incendie, et dont le prix de revient n’excède pas de plus d’un tiers celui d’un bâtiment de même dimension, construit dans les conditions ordinaires » [66]. C’est surtout par l’importation de méthodes britanniques que s’opèrent les innovations. Les industriels attribuent d’ailleurs le retard français dans l’adoption des normes de construction fire proof à la différence énorme des prix du métal entre les deux pays. Or « pour faire un bâtiment à l’épreuve du feu, il faut beaucoup de métal » [67]. Outre-Manche, la question des techniques de construction d’usines résistant au feu occupe les ingénieurs dès les années 1790. L’ingénieur écossais de Manchester, William Fairbairn, spécialiste de la résistance des matériaux et célèbre pour son rôle dans le développement de la marine à vapeur, joue un rôle important à cet égard. Sollicité en 1847 par les autorités normandes pour rédiger un rapport sur ce sujet [68], il publie sept ans plus tard un traité sur la question, traduit dès 1856 en France [69]. La première usine « Fire-proof », celle dite de La Foudre, est construite en 1846 au Petit-Quevilly près de Rouen selon les indications de Fairbairn [70]. Turgan évoque les dimensions monumentales de cette filature : 147 m de long, 25 m de haut, murs en briques et en pierres, le sol est carrelé et repose sur des voûtes en briques que supportent des colonnes en fonte. Le bâtiment est totalement à l’épreuve du feu et ne renferme pas de bois dans sa construction ; il est bâti sur le principe des bâtiments anglais mais, précise Turgan, il « a sur ces derniers l’avantage d’une stabilité et d’une élégance qu’on ne trouve dans aucune construction britannique » [71].

Illustration 1

Bâtiments à l’épreuve du feu de l’usine La Foudre[72]

Illustration 1

Bâtiments à l’épreuve du feu de l’usine La Foudre[72]

La généralisation des assurances incendies

35Sans s’étendre ici sur une histoire des assurances par ailleurs en plein développement, il convient néanmoins, pour terminer, d’examiner comment s’est opérée leur généralisation. Les rapports des autorités locales livrent de nombreuses informations sur la prise en charge croissante du risque par les compagnies d’assurance. Au tout début du siècle, ces documents mentionnent rarement la présence d’assurances, dont les opérations demeurent suspectes [73]. Ce sont les logiques philanthropiques et les secours privés qui l’emportent, comme les aides ministérielles réparties par les préfets. Avant l’âge des assurances, les victimes d’incendies sont les tisserands ruraux ou les petits artisans qui demandent des secours ou l’autorisation de quêter dans le département. Ce type d’assistance charitable locale subsiste parfois tardivement : en 1839 encore, le maire d’Oissel, près de Rouen, donne une lettre à un filateur victime d’un incendie, un père de six enfants qui s’occupe de ses deux vieux parents, invitant les « personnes charitables de bien vouloir lui donner l’assistance » [74].

36Si les assurances incendies apparaissent en France plus tardivement qu’en Angleterre, elles se généralisent pourtant dans les années 1830. Après 1840 presque tous les industriels sont assurés auprès d’une ou de plusieurs compagnies. L’accroissement de la valeur des « usines », qu’elles soient de filature, de tissage ou d’impression, tend à augmenter en rendant le risque d’incendie de plus en plus obsédant [75]. Dès la fin des années 1820, en dépit de la fragilité des données disponibles, il semble que presque tous les ateliers et usines textiles mentionnent la présence d’assurances. Les industriels cotonniers, particulièrement exposés aux risques, sont d’ailleurs au premier rang pour utiliser les services des grandes compagnies nationales comme des compagnies départementales mutuelles. La première de celles-ci, créée sous forme de société anonyme en avril 1818, est celle du Haut-Rhin, qui groupe dès sa fondation 491 sociétaires (dont 380 de Mulhouse, 26 de Colmar et 25 d’Altkirch). En Normandie, la compagnie d’assurance mutuelle « contre l’incendie de la Seine-Inférieure et de l’Eure » dépose ses statuts un mois après celle du Haut-Rhin et est autorisée par ordonnance royale du 22 juillet 1818. De ses 23 membres fondateurs, trois sont des indienneurs et six sont des cotonniers [76].

Tableau 5

Répartition de 745 incendies recensés entre établissements assurés et non assurés

Tableau 5
Périodes Assuré Non assuré/non réponse Total 1800-1830 18 (30 %) 41 (70 %) 59 (100 %) 1831-1850 111 (72 %) 43 (28 %) 154 (100 %) 1851-1870 388 (73 %) 144 (27 %) 532 (100 %) Ensemble 517 228 745 (100 %)

Répartition de 745 incendies recensés entre établissements assurés et non assurés

Tableau 6

Répartition de 745 incendies recensés entre établissements assurés et non assurés

Tableau 6
Périodes Non assuré 1 cie 2 cies ou plus Assuré mais nb de cies inconnu Non réponse 1800-1830 1 8 1 9 40 1831-1850 8 80 13 18 35 1851-1870 44 223 130 35 100 Ensemble 53 311 144 62 175

Répartition de 745 incendies recensés entre établissements assurés et non assurés

37Alors que le nombre de compagnies d’assurances s’accroît en France au début de la Restauration, les mentions d’usines assurées se multiplient à la fin des années 1820 et surtout après 1830. Au début du XIXe siècle, les compagnies hésitent encore à assurer les filatures et les usines textiles, sur lesquelles elles éprouvent des pertes [77] : en 1826, par exemple, la compagnie La Royale a perdu depuis sa fondation, en 1817, 80 000 francs nets. Un seul accident peut renverser la tendance : dans un rapport au conseil d’administration, son directeur, Fleury de Chaboulon, constatait ainsi que sur les cinq exercices examinés, quatre étaient bénéficiaires, le déficit n’ayant été entraîné que par un seul sinistre, celui de la grande filature de Defontenay-Dibon et Cie, à Louviers, en 1824. À cette date, Le Phénix accusait des pertes plus sévères encore. Début février 1827, les filatures lui avaient coûté 400 000 francs pour 280 000 francs de primes, soit un déficit net de près de 120 000 francs. Face à la crise qui démarre en 1826, les compagnies d’assurances prennent des mesures draconiennes pour renforcer leur sécurité. Elles augmentent les primes et décident de ne plus assurer les risques les plus dangereux. Le président du conseil d’administration du Phénix l’explique aux actionnaires : « Nous nous sommes rendu compte de ce que nous avait produit et coûté chaque nature de risques principaux et cela nous conduit à augmenter considérablement la prime des plus dangereux, tels que les filatures de coton, les raffineries, etc. Nous préférons laisser à la concurrence ces sortes de risques dont le passé nous a appris tous les dangers ». L’historiographie récente des assurances a montré combien les compagnies rechignaient à prendre en charge le risque industriel, notamment celui des filatures équipées de « pompes à feu » [78].

38À partir de la Restauration, l’obligation statutaire de faire assurer les immeubles et le mobilier industriel tenus en location ou hypothéqués apparaît dans tous les baux et contrats notariés. Dès lors, l’assurance se généralise. Il semble aussi que les compagnies d’assurances et les mutuelles départementales laissent de plus en plus le risque industriel aux compagnies à primes et aux mutuelles spécialisées dans ce marché comme la Clémentine, fondée en 1840, ou la Mulhousienne, en 1862. À partir de 1840 apparaissent donc des sociétés d’assurances spécifiquement dédiées aux usines textiles. La « société d’assurances mutuelles mobilières et immobilières entre les propriétaires d’usines, fabricants et manufacturiers la Clémentine » a été constituée à Paris, pour trente ans, par ordonnance du 7 juillet 1840. Elle n’assurait d’abord que dans les départements de la Seine, de la Seine-Inférieure, de l’Oise et de la Somme. Son siège est déplacé à Rouen et ses opérations étendues à d’autres départements. Elle est autorisée, par ordonnance du 21 octobre 1848, à assurer les usines dans toute la France, ce dont témoignent nos sources : la Clémentine apparaît effectivement dans tous les départements après 1850.

39Cette généralisation des assurances au milieu du XIXe siècle a également contribué à modeler les pratiques de travail comme l’organisation des usines. Rapidement, les conseils d’administration des grandes compagnies s’efforcent en effet de limiter leurs risques financiers en imposant des normes, en encourageant la modernisation et la rationalisation des techniques. En Normandie le banquier Odier proclame dès 1830 son refus d’« assurer dorénavant les filatures travaillant avec de vieux métiers » [79]. En 1852, un article du Journal de l’assureur et de l’assuré, qui paraît depuis 1848, affirme que « la Clémentine est parvenue à établir, dans les usines qu’elle assure, une véritable police et des moyens préservatifs contre l’incendie » ; elle a notamment imposé des mesures préventives simples, comme l’installation, « près du batteur [d’]une cuve remplie d’eau, dans laquelle trempe une toile d’assez grande dimension pour couvrir ce batteur » en cas d’incendie. Par ailleurs les compagnies salarient des inspecteurs chargés de contrôler l’application de ces normes, « si bien », conclut l’auteur de cet article de 1852, « que l’on prétend que les filatures assurées par la Clémentine ne brûlent pas » [80], ce qui est évidemment faux.

40Risques d’incendies et industrialisation entretiennent de nombreux liens au milieu du XIXe siècle. Comme le note le sous-lieutenant des pompiers Victor Frond peu avant d’être déporté en Algérie après le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, « les progrès de la civilisation moderne, en imprimant aux découvertes des sciences, de l’industrie et des arts, un développement si fécond et si rapide, semblent avoir multiplié les chances d’incendie, sans avoir organisé, dans la même proportion les moyens de lutter avec avantage contre son invasion » [81]. Durant cette période de transformations décisives, traversée de crises industrielles et de nombreuses secousses sociales et politiques, l’incendie demeure un spectre persistant qui hante les fabricants. Alors que l’usine surgit dans les paysages et les discours, l’incendie constitue une préoccupation constante qui modèle les pratiques patronales au quotidien, comme la forme et la localisation des usines. Même si l’exploration mérite d’être poursuivie afin d’obtenir un tableau plus précis et plus complet, dans le temps comme dans l’espace, du nombre et des effets de ces incendies d’usines textiles, ceux-ci apparaissent comme l’un des témoins caractéristiques et trop négligés de la rationalisation capitaliste du XIXe siècle. Le feu a façonné les chemins de l’industrialisation, il a accompagné l’invention de l’usine, dans sa dimension tout autant matérielle que sociale. Alors que les capitaux mobilisés s’accroissent et que les installations industrielles tendent au gigantisme, les industriels tentent de se prémunir des incendies en se tournant vers les assurances, mais aussi en rationalisant le travail des hommes et des machines, en accentuant la surveillance et la normalisation des comportements et celle des bâtiments au nom de l’impératif industrialiste.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier (UMR 7366 CNRS).
  • [**]
    Directrice de recherche au CNRS, Institut de recherche en sciences sociales (IRISSO), UMR 7170 Université Paris-Dauphine.
  • [1]
    C. Sillans, « L’incendie dans les villes françaises du XIXe siècle : de la vulnérabilité à la maîtrise du phénomène », in G. Massard-Guilbaud, H. Platt et D. Schott (dir.), Cities and catastrophes. Villes et catastrophes, Francfort, Peter Lang, 2002, p. 205-222.
  • [2]
    Sur l’histoire des incendies, voir notamment : C. Rosen, The Limits of Power : Great Fires and the Process of City Growth in America, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 ; S. Ewen, Fighting Fires : Creating the British Fire Service, 1800-1978, Basingstoke, Palgrave-Macmillan, 2010 ; G. Bankoff, U. Lübken et J. Sand (eds.), Flammable Cities : Urban Conflagration in the Making of the Modern World, Madison, The University of Wisconsin Press, 2012. Sur la France : J.-C. Caron, Les feux de la discorde. Conflits et incendies dans la France du XIXe siècle, Paris, Hachette Littératures, 2006 ; F. Vion-Delphin et F. Lassus (dir.), Les hommes et le feu de l’Antiquité à nos jours : du feu mythique et bienfaiteur au feu dévastateur, Besançon, Presses universitaires de Franche Comté, 2007.
  • [3]
    Voir J.-B. Fressoz, L’Apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, Paris, Le Seuil, 2012 ; Th. Le Roux, « Accidents industriels et régulation des risques : l’explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 58, n°3, 2011, p. 34-62.
  • [4]
    J.-L. Vonau, Contribution à l’histoire de l’assurance en France : l’assurance-incendie en Alsace, XIXe-XXe siècle, thèse de droit, Université de Strasbourg-III, 1979.
  • [5]
    S. Chassagne, Le coton et ses patrons, France (1760-1840), Paris, Éd. de l’EHESS, 1991, p. 478-483.
  • [6]
    R. Pearson, Insuring the Industrial Revolution : Fire Insurance in Great Britain 1700-1850, Aldershot, Ashgate, 2004.
  • [7]
    Nos recherches dans les archives départementales du Pas-de-Calais se sont ainsi révélées infructueuses en raison du mauvais état de conservation des documents relatifs aux sinistres survenus dans le département et de l’absence de précision concernant la nature des sinistres. Dans le Bas-Rhin le dépouillement des archives locales n’a permis de recenser que 58 feux d’usine et ce à partir de 1849, ce qui est très peu, compte tenu de l’importance de l’industrie textile dans ce département.
  • [8]
    Si ces dépouillements ne permettent pas d’obtenir des séries continues et complètes, ils offrent néanmoins des échantillons que l’on peut considérer comme représentatifs.
  • [9]
    D. Pinkney, « Paris, capitale du coton sous le Premier Empire », Annales ESC, vol. 5, n°1, 1950, p. 55-60 ; B. M. Ratcliffe, « Manufacturing in the Metropolis : the Dynamism and Dynamics of Parisian Industry in the Mid-Nineteenth century », The Journal of European Economic History, Vol. 23, No. 2, 1994, p. 263-328.
  • [10]
    C. Petillon, La population de Roubaix : industrialisation, démographie et société, 1750-1880, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2006, p. 53.
  • [11]
    N. Stoskopf, « L’industrie textile en Alsace vers 1840 », in O. Kammerer (dir.), Atlas historique d’Alsace, 2004-2012 : http://www.atlas.historique.alsace.uha.fr/epoque-contemporaine.
  • [12]
    J.-C. Daumas, Les territoires de la laine. Histoire de l’industrie lainière en France au XIXe siècle, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2004, p. 99 sq.
  • [13]
    C. Fohlen, L’industrie textile au temps du Second Empire, Paris, Plon, 1956, p. 205.
  • [14]
    Ibid., p. 228.
  • [15]
    P. Verley, Entreprises et entrepreneurs du XVIIIe au début du XXe siècle, Paris, Hachette, 1994, p. 54-55.
  • [16]
    M. Hau, L’industrialisation de l’Alsace (1803-1939), Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1987.
  • [17]
    J.-C. Daumas, Les territoires de la laine…, op. cit., p. 217.
  • [18]
    Le Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale recensait en 1809 les « causes les plus communes d’incendies » : « 1°) la construction trop élevée des cheminées et autres foyers, et leur malpropreté ordinaire ; 2°) les toitures en chaumes et en bois ; 3°) les entrepôts inconsidérés de matières combustibles, et l’entassement de celles qui peuvent s’échauffer et s’enflammer spontanément ; 4°) l’imprudente inattention dans le transport du feu ».
  • [19]
    E. M. Meunier, Traité des causes des sinistres dans les usines. Guide pratique du manufacturier pour l’emploi des moyens préventifs des incendies dans les établissements industriels, Lille, L. Lefort, 1864 ; J.-B. Lecart, Moyens de prévenir et de combattre les incendies dans les usines et les filatures. Notice sur l’assurance contre l’incendie des établissements industriels, Paris, Imprimerie nouvelle, 1898.
  • [20]
    AD Seine-Maritime, 4 M 167, le sous-préfet de Dieppe au préfet, 5 mai 1811.
  • [21]
    AD Eure, 6 M 1227, le commissaire de police de Brionne, 17 juin 1861.
  • [22]
    P. Fridenson, « L’histoire de l’incertitude technique et ses enjeux », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 59, n°3, 2012, p. 7-18.
  • [23]
    C. Labrousse, Les incendies dans les usines et établissements industriels : moyens préventifs et d’extinction, Lille, Danel, 1879, annexe A.
  • [24]
    AD Eure, 6 M 1227, Évreux, 2 novembre 186. Dans l’industrie du lin, l’écangueur est l’ouvrier qui écangue, c’est-à-dire qui broie la tige du lin pour séparer les parties ligneuses de la filasse.
  • [25]
    M. Alcan, Essai sur l’industrie des matières textiles, Paris, Mathias, 1847, p. 181.
  • [26]
    M. d’Andiran-Koechlin, « Mémoire sur les moyens de prévenir les incendies dans les bâtiments à étage – séance du 5 mars 1875 », Bulletin de la société industrielle de Rouen, 1875, p. 73.
  • [27]
    Voir A. Becchia, La draperie d’Elbeuf des origines à 1870, Rouen, Publications de l’Université de Rouen, 2000, p. 474-475 ; F. Concato et P. Largesse, « Évolution d’un paysage textile : le quartier du Puchot à Elbeuf (1770-1870) », in Société historique de Tourcoing, Villes et villages textiles, 1985, p. 96-111.
  • [28]
    AD Bas-Rhin, 3 M 1128, Sarre-Union, 12 juin 1866, et 3 M 1136, Bischwiller, 23 septembre 1862.
  • [29]
    M. Alcan, Essai sur l’industrie des matières textiles, op. cit., p. 177.
  • [30]
    AD Nord, M 184/64, accidents graves, 1868-1870.
  • [31]
    AD Bas-Rhin, 3 M 1121 et 3 M 1136.
  • [32]
    AD Seine-Maritime, 4 M 173, rapport du maire d’Elbeuf, s. d. (1832) ; 4 M 174 56, Darnétal, rapport du préfet au ministre, 23 octobre 1833.
  • [33]
    « Des cheminées métalliques et des inconvénients de leur emploi dans l’industrie manufacturière, par M. Kuhlmann, professeur de chimie à Lille » (mémoire lu à la Société royale des sciences, de l’agriculture et des arts de Lille et inséré dans les Mémoires de cette société, pour l’année 1836, p. 286), Bulletin de la société libre d’émulation de Rouen, 1er semestre 1838.
  • [34]
    S. Chassagne, Le coton…, op. cit., p. 483.
  • [35]
    AD Eure, 6 M 1227, rapport du commissaire de police de Pont-Audemer au préfet, 1er août 1861.
  • [36]
    F. Jarrige et B. Reynaud, « La durée du travail, la norme et ses usages en 1848 », Genèses. Sciences sociales et histoire, n°85, « Temps de travail », décembre 2011, p. 70-92.
  • [37]
    AD Nord, M 184/63, procès-verbal du commissaire de police Gaser, 1er arrondissement de Roubaix. Le commissaire a recueilli le témoignage des ouvriers présents sur place lors de l’incendie, notamment celui du contremaître Fassin avant qu’il ne meure de ses blessures.
  • [38]
    W. M. Reddy, The Rise of the Market Culture : The Textile Trade and the French Society, 1750-1900, Cambridge, Cambridge University Press, 1984 ; id., « Modes de paiement et contrôle du travail dans les filatures de coton en France, 1750-1850 », Revue du Nord, n°248, 1981, p. 135-146.
  • [39]
    P. Lefebvre, L’invention de la grande entreprise. Travail, hiérarchie, marché (France, fin XVIIIe-début XXe siècle), Paris, Presses universitaires de France, 2003.
  • [40]
    F. Jarrige et C. Chalmin, « L’émergence du contremaître : l’ambivalence d’une autorité en construction dans l’industrie textile française (1800-1860) », Le Mouvement Social, n°224, juillet-septembre 2008, p. 47-60.
  • [41]
    AD Bas-Rhin, 3 M 1136, rapport du maire de Bischwiller, 15 juillet 1857.
  • [42]
    AD Eure, 6 M 1227, statistiques des événements malheureux, grêles, inondations, orages, incendies, 1851-1865 ; rapport du commandant de la gendarmerie de l’Eure, Évreux, 19 juin 1861.
  • [43]
    On connaît cependant quelques cas spectaculaires comme le vaste incendie de l’usine Croutelle à Reims après 1848, déclenché à la suite d’une émeute, mais hors de notre corpus. Voir F. Jarrige, Au temps des tueuses de bras. Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009, p. 191-193.
  • [44]
    AD Seine Maritime, 4 M 173, rapport au préfet, Rouen, 28 janvier 1822.
  • [45]
    Voir J. Merriman, “The Norman Fires of 1830 : incendiaries and fear in rural France”, French Historical Studies, Vol. 9, 1976, p. 451-466.
  • [46]
    AD Seine-Maritime, 4 M 168, arrondissement de Dieppe, rapport du préfet sur l’incendie d’une filature de coton à Heugleville, 20 avril 1837.
  • [47]
    L’Indicateur de Tourcoing, 20 juillet 1845.
  • [48]
    AD Seine-Maritime, 4 M 169 : rapport du commissaire de police de Lillebonne au sous-préfet, 4 août 1864 ; 4 M 174, Maronne, 1er décembre 1877.
  • [49]
    AD Bas Rhin, 1 M 138.
  • [50]
    AD Nord, M 184/63, incendie, filature de lin et de coton, Lille, août 1867.
  • [51]
    AD Nord, M 184/63, rapport de la direction du commerce intérieur, département de l’industrie, au ministre, incendie Roubaix, décembre 1866.
  • [52]
    Institués sous le Directoire en l’an V (27 novembre 1796), les bureaux de bienfaisance se développent de façon inégale en France, financés en partie par la taxe sur les spectacles et des subventions municipales. En 1847, on en dénombre moins de 10 000 pour 38 000 communes. De nombreuses communes ne peuvent les financer et leur répartition est inégale : la Bretagne fait ainsi partie des régions les moins bien loties, les œuvres charitables privées et catholiques prenant alors le relais. La loi du 15 juillet 1893 rend obligatoire la création d’un bureau d’assistance dans toutes les communes.
  • [53]
    H. Duquesne, Paix, travail, liberté. Chez les jaunes, par le conseil fédéral de la Fédération syndicale de l’industrie tourquennoise [F. Lotte, A. Dumez, H. Duquesne, E. Degueselle], 1906.
  • [54]
    J.-C. Caron, Les feux de la discorde…, op. cit., p. 54.
  • [55]
    AD Bas-Rhin, 1 M 132.
  • [56]
    Voir V. Frond, De l’insuffisance des secours contre l’incendie et des moyens d’organiser ce service public dans toute la France, Paris, Dupont, 1851 ; H. Lussier, Les sapeurs-pompiers au XIXe siècle. Associations volontaires en milieu populaire, Paris, L’Harmattan, 1987.
  • [57]
    AD Seine Maritime, 4 M 172, Deville, le 24 janvier 1821, rapport du maire Henry Barbet au préfet après l’incendie de la manufacture d’indiennes du fabriquant Gérard.
  • [58]
    Cité par A. Becchia, La draperie d’Elbeuf…, op. cit., p. 411.
  • [59]
    Archives du CNAM, A 122-143, importations de pompes à incendie de Suisse par des indienneurs mulhousiens ou alsaciens, à des prix variant de 1 200 à 3 000 francs l’unité.
  • [60]
    BSLE, 1843, p. 51, cité par S. Chassagne, Le coton…, op. cit., p. 484.
  • [61]
    N. Stoskopf, Les patrons du Second Empire, t. 4, Alsace, Paris ; Le Mans, Picard / Cénomane, 1994, p. 214.
  • [62]
    Les têtes de Sprinklers désignent des extincteurs : une fine pellicule de métal soudée doit fondre avec la chaleur et ainsi libérer des jets d’eau. Cette invention apparaît dans les années 1870 aux États-Unis, dans le secteur cotonnier. Le modèle définitif date de 1881, mais il se diffuse lentement en France. Voir C. Sillans, « Au service du diable » : pour une histoire de la gestion des risques. Incendies et organisations de secours, Lyon, 1852-1913, thèse d’histoire sous la dir. d’Y. Lequin, Université de Lyon-II, 2000.
  • [63]
    Voir B. Lemoine. L’architecture du fer, France, XIXe siècle, Seyssel, Champ Vallon, 1986.
  • [64]
    J. Turgan, Les grandes usines de France. Tableau de l’industrie française au XIXe siècle, Paris, Michel Lévy frères, 1865, t. V, p. 78 ; A. Becchia, La draperie d’Elbeuf…, op. cit., p. 474.
  • [65]
    I. Wouters et M. de Bouw, “The Development of Fireproof Construction in Brussels Between 1840-1870”, Industrial Archaeology Review, Vol. XXVIII, No. 1, 2006, p. 17-31.
  • [66]
    Prix pour « un bâtiment à usage de filature de coton, entièrement à l’abri de l’incendie », Bulletin de la société libre d’émulation de Rouen, 1er semestre 1846, p. 71.
  • [67]
    Conseil supérieur de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, Enquête, traité de commerce avec l’Angleterre, Paris, Imprimerie Impériale, t. IV, Le coton, 1861, p. 58-62.
  • [68]
    W. Fairbairn, Filature rouennaise de lin et de chanvre, rapport de M. W. Fairbairn… à MM. les gérants de la société, Paris, P. Dupont, 1847.
  • [69]
    W. Fairbairn, On the application of cast and wrought iron to building pruposes, Londres, J. Weale, 1854.
  • [70]
    S. Chassagne, « Aux origines de l’usine géante de la Foudre », Études normandes, n°1, 1993, p. 19-30.
  • [71]
    J. Turgan, Les grandes usines : études industrielles en France et à l’étranger, Paris, Michel Lévy, 1868-1884, vol. 3, p. 131.
  • [72]
    Ibid., p. 137.
  • [73]
    F. Ewald, L’État providence, Paris, Grasset, 1986, p. 185.
  • [74]
    AD Seine Maritime, 4 M 174, Oissel, rapport du préfet, 3 décembre 1839.
  • [75]
    En Normandie, leur valeur tourne entre 1815 et 1840 autour de 200 000 francs, sans compter les matières premières ou marchandises, qui en doublent souvent la valeur.
  • [76]
    Cité par S. Chassagne, Le coton…, op. cit., p. 478-483.
  • [77]
    N. Laveau, « Au bonheur des crises : les assurances dans la tourmente économique de 1830 », in « Journées internationales d’histoire du droit (1983) », Études d’histoire du droit à l’époque contemporaine, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p. 79-118.
  • [78]
    C. Lion, La Mutuelle de Seine-et-Marne contre l’incendie de 1819 à 1969. Mutualité, assurance et cycles de l’incendie, Bruxelles, Peter Lang, 2008, p. 85 et 238-239 ; P. Martin, Deux siècles d’assurance mutuelle. Le groupe Azur, Paris, Éd. du CTHS, 2009.
  • [79]
    Cité par S. Chassagne, Le coton…, op. cit., p. 482.
  • [80]
    Journal de l’assureur et de l’assuré, 1852, t. V, p. 29.
  • [81]
    V. Frond, De l’insuffisance des secours contre l’incendie, et des moyens d’organiser ce service public dans toute la France, Paris, Paul Dupont, 1851, p. ii.
Français

La question des incendies offre un excellent laboratoire pour penser l’invention de l’usine au XIXe siècle et les conditions d’acclimatation de l’industrie, en dépit des risques et menaces croissantes qui accompagnent son développement. Comment l’expérience de l’incendie a-t-elle façonné les espaces productifs et les rapports sociaux de travail au début de l’industrialisation ? Cette enquête, menée à partir des rapports des autorités locales de cinq des principaux départements textiles entre 1800 et 1870, invite à interroger l’ampleur de ce risque, ses coûts mais aussi ses effets. Les incendies apparaissent comme l’une des sources majeures de la rationalisation capitaliste du XIXe siècle. Durant cette période de transformations décisives, également traversée de crises industrielles et de nombreuses secousses sociales et politiques, l’usine surgit dans les paysages et les discours. Les spécificités régionales de l’industrialisation modèlent la forme et l’ampleur du risque. Celui-ci façonne en retour les chemins pluriels de l’industrialisation, il accompagne l’invention de l’usine, dans sa dimension tout autant matérielle que sociale. Face à l’accroissement des capitaux mobilisés, au gigantisme des installations, il devient en effet nécessaire de normaliser le travail des hommes et des machines pour affronter un risque omniprésent.

François Jarrige [*]
  • [*]
    Maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier (UMR 7366 CNRS).
Bénédicte Reynaud [**]
  • [**]
    Directrice de recherche au CNRS, Institut de recherche en sciences sociales (IRISSO), UMR 7170 Université Paris-Dauphine.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 26/11/2014
https://doi.org/10.3917/lms.249.0141
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