CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Selon Valentine Moghadam, la révolution algérienne – à savoir la lutte (armée) contre le colonialisme français – illustre un type particulier de révolution, le « woman-in-the-family model [1] », qui exclut ou marginalise les femmes des définitions et constructions de l’indépendance. Ce modèle construit un lien idéologique entre les valeurs patriarcales, le nationalisme et l’ordre religieux. Il assigne les femmes au rôle d’épouse et de mère, les associe non seulement à la famille mais aussi à la tradition, à la culture et à la religion. Cette catégorisation correspond très largement à l’idéologie en vigueur chez les indépendantistes partisans de Messali Hadj, pionnier du nationalisme algérien [2], qui promeuvent, à travers leurs activités et leurs journaux, un féminisme à dimension caritative, différentialiste, ancré dans la tradition arabo-islamique. En réponse au déclenchement de la lutte armée le 1er novembre 1954, c’est paradoxalement la propagande colonialiste qui, mettant en avant l’émancipation féminine comme un bienfait lié à la domination française, favorise une redéfinition du rôle assigné aux Algériennes, voire une critique explicite du patriarcat chez les militantes messalistes.

2Ce phénomène, dont nous allons interroger plus finement les conditions d’émergence, les formes d’expression et les limites, se manifeste avec plus de vigueur dans l’émigration algérienne en France, très largement composée à l’origine d’ouvriers non qualifiés et dont le caractère familial s’affirme au cours de la révolution [3]. Son cadre institutionnel est fourni par l’éphémère Union des syndicats de travailleurs algériens (USTA) [4], fondé en 1956, lié au Mouvement national algérien (MNA), mais dont l’activité s’inscrit dans un cadre légal, contrairement à celle du parti politique messaliste, semi-clandestine. Sa fédération de France qui, contrairement à la branche politique, agit dans la légalité, favorise l’intervention publique des ouvrières algériennes émigrées. Ces syndicalistes, préoccupées autant par l’émancipation féminine que par l’indépendance nationale ou les revendications ouvrières, permettent au mouvement messaliste de présenter une image progressiste à leurs interlocuteurs, journalistes, militants anticolonialistes, ou représentants des autorités françaises. En reprenant à leur compte le mot d’ordre d’émancipation, les messalistes se démarquent de leurs concurrents du Front de libération nationale (FLN) dont les dirigeants semblent moins sensibles à cette question. Ils présentent des figures de la féminité qui ne sont pas celles d’activistes agissant au sein du réseau des poseurs de bombes d’Alger [5], sans pour autant être associées au régime colonial à l’instar de Nafissa Sid Cara, députée d’Alger-banlieue en novembre 1958 avant d’être nommée secrétaire d’État en charge des Affaires sociales algériennes [6].

3La question de l’engagement des Algériennes dans la lutte de libération nationale a connu une relative effervescence historiographique depuis le début des années 1990 [7]. Cette période correspond en effet au dixième anniversaire du Code de la famille promulgué en 1984 [8] et se situe également au cœur de la guerre civile dans laquelle les femmes furent des cibles particulièrement visées [9]. Ces travaux tendent à rappeler le rôle effectif des Algériennes dans la révolution anticoloniale tout en soulignant leur marginalisation dans le mouvement indépendantiste puis dans l’Algérie indépendante. Malgré leurs approches différentes, ils se focalisent souvent sur le FLN. Accordant une attention particulière à l’expérience du maquis, ils s’attardent moins sur l’action militante des femmes dans l’émigration. Les écrits de Frantz Fanon sur le voile servent également de référence théorique [10]. Enfin, ces travaux s’appuient essentiellement sur des entretiens réalisés avec d’anciennes activistes.

4Le présent article s’appuie pour sa part sur la presse du courant messaliste – L’Algérie libre, organe du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD) [11], La Voix du peuple, organe du MNA, La Voix du travailleur algérien, organe de la Fédération de France de l’USTA –, les archives du mouvement messaliste – déposées pour une large part au Centre d’études et de recherches sur les mouvements trotskyste et révolutionnaires internationaux –, ainsi que celles des services de surveillance français. Ces sources nous permettent de restituer à la fois la propagande du mouvement indépendantiste mais aussi les griefs exprimés dans des correspondances adressées à Messali. Elles mettent d’une part en lumière les remises en question des frontières de genre, ethniques ou confessionnelles auxquelles les colonisées étaient renvoyées [12], et, d’autre part, soulignent à quel point l’« émancipation contrôlée » des Algériennes tend à les maintenir dans leur rôle de gardiennes de la tradition [13], à l’instar de leurs homologues indiennes [14].

5Si le statut des Algériennes constituait effectivement un enjeu pour le régime colonial ainsi que pour les dirigeants indépendantistes [15], nous montrerons que l’appropriation par les messalistes du terme « émancipation » – tout comme celui de l’« autodétermination » à la même période – s’inscrit dans une identique stratégie d’extraversion [16] au moment où ce courant politique perd définitivement le terrain au profit du FLN. Nous étudierons dans un premier temps la construction d’un féminisme différentialiste à référentiel arabo-islamique au sein du mouvement indépendantiste. Nous aborderons ensuite la reconnaissance contrariée de l’engagement féminin au cours de la révolution. Enfin, nous analyserons plus spécifiquement l’appropriation de la thématique de l’émancipation par les femmes syndicalistes émigrées.

La construction d’un féminisme différentialiste à référentiel arabo-islamique

6Dans une première période du mouvement indépendantiste, les femmes ne s’expriment qu’en cas de circonstances exceptionnelles – c’est le cas du discours prononcé à la Mutualité par Émilie Busquant-Messali alors que son époux est en prison [17]. On observe, à la suite de la création en juillet 1947 de l’Association des femmes musulmanes algériennes (AFMA) présidée par Mamia Chentouf, l’apparition de la rubrique « La Musulmane algérienne » dans L’Algérie libre, organe du MTLD. Le journal va relayer l’activité caritative de l’AFMA mais aussi se faire l’écho des actions de Bint al-Nîl (La Fille du Nil), l’organisation féministe égyptienne dirigée par Doria Shafik, ou revenir sur le parcours de la féministe indonésienne Raden Ajeng Kartini. Il publie plusieurs articles sur le « rôle de la femme » dans le monde arabo-musulman, rédigés par des étrangères – comme la Libanaise Anbara Salam al Khaldi – ou par des Algériennes – c’est ce qu’on peut déduire du nom de leurs auteurs.

7Les entretiens réalisés par Danièle-Djamila Amrane-Minne avec une « pionnière du militantisme » comme Fatima Benosmane sont précieux pour comprendre les ressorts de cet engagement [18]. Née en 1928, elle accompagne son père, militant du Parti du peuple algérien (PPA) [19], dans les maisons où se tiennent des réunions politiques. Elle adhère au PPA à 18 ans et participe à la création de l’AFMA. Les femmes hébergeaient les militants de passage à Alger et préparaient les gâteaux pour les fêtes. Dans certaines soirées de l’AFMA, des sketches portaient sur le mariage et critiquaient des institutions comme la dot. Ces militantes demeurent associées aux tâches domestiques et leur activité ne doit pas contrevenir au patriarcat. Leur présence ne semble d’ailleurs tolérée qu’à l’interstice entre privé et public. Leur engagement politique est ainsi légitimé par la promotion des « qualités attachées à leur rôle sexué dans la sphère privée [20] ».

8Les textes publiés dans L’Algérie libre nous permettent de saisir l’importance accordée à l’action féminine par la direction du parti nationaliste. Le premier des onze articles consacrés à l’activité de l’AFMA rend compte d’une distribution de vêtements et d’un goûter au profit des victimes de la répression et des nécessiteux, suivis d’un discours de la présidente de l’association à l’occasion de la fête du Mouloud [21]. Le texte indique les objectifs de l’AFMA : il s’agit de « faire prendre conscience à nos femmes de leur personnalité et du rôle qu’elles ont à jouer aussi bien dans leur famille que dans le pays », aussi bien que d’organiser les Algériennes et de les sortir de l’infériorité dans laquelle les a plongées « un siècle d’obscurantisme associé au colonialisme [22] ». Au cours d’un gala qui se tient le 24 février 1954 à l’Opéra d’Alger, Nefissa Hamoud et Mamia Chentouf prennent la parole [23]. Cette dernière critique ceux qui, au nom de l’islam, « s’opposent à la libération de la femme musulmane ». En tant qu’organisation gravitant dans l’orbite du MTLD, l’AFMA s’associe ponctuellement aux campagnes politiques du mouvement nationaliste, en particulier quand il s’agit de protester contre la répression. On peut mentionner le télégramme adressé aux députés français pour l’amnistie des détenus politiques signé, entre autres, par Mamia Chentouf [24].

9L’activité de l’AFMA doit être mise en rapport avec la publication, de novembre 1949 à septembre 1950, dans L’Algérie libre, de la rubrique intitulée « La Musulmane algérienne ». Chapeautant les articles de cette rubrique, une illustration représente le profil de deux femmes dont les regards se font face : l’une est tête nue et l’autre porte un haïk (voile). Le premier des six articles de la série permet de cerner le rôle assigné à la femme : « noyau de la famille [25] », elle est « responsable de toutes les charges du foyer » et sa fonction première est « l’éducation des enfants ». L’auteur déplore toutefois l’impossibilité pour l’Algérienne de « remplir son rôle d’éducatrice » à cause de la « misère et de l’ignorance soigneusement entretenues par l’impérialisme ». Mais les Algériennes auraient compris que :

10

Lorsque le pouvoir sera aux mains des Algériens, lorsque les lois seront faites par des Algériens, la femme algérienne pourra reprendre la place qui lui est due et assumer les responsabilités qui lui incombent dans la famille et dans la nation.

11Ainsi, la division sexuelle des prérogatives est clairement notifiée : aux hommes le pouvoir législatif, aux femmes les responsabilités familiales. Le dernier article de la série, signé Mlle Zyneb K., affirme que « les peuples ne peuvent se rénover et s’épanouir qu’avec le concours de la femme [26] ». L’auteur souligne l’importance exceptionnelle du « problème de la femme » à son époque. Elle déplore la mise à l’écart de la femme dans la vie sociale et ironise sur le statut du mari, « dieu bienfaisant du foyer ». Elle souhaite que la femme puisse exercer des « responsabilités adaptées à sa nature » afin de soulager l’homme, et quitter son statut d’« enfant irresponsable ». La femme doit « reprendre la place qui lui est due » dans la mobilisation du peuple algérien et se tourner vers ses sœurs maghrébines.

12La rubrique reproduit également le texte d’une conférence de la féministe libanaise Anbara Salam Al Khalidi [27]. Elle y déclare que la civilisation arabe aurait toujours accepté la participation des femmes et critique les récits réduisant la femme arabe à un objet ou l’enfermant dans un harem. Elle cite en exemple l’épouse du prophète Mohammed, Aïcha, pour sa participation à une expédition guerrière, ou encore l’érudite Um ad-Darda [28]. La femme arabe peut tirer profit de ses voisins occidentaux sur le plan de l’organisation et de la technique. Mais la femme occidentale, qui évolue dans un monde « sans repos où la matière règne en maître », est invitée à s’inspirer de la culture orientale, son mysticisme et sa religion [29]. Ce registre appartient à celui des « premières féministes musulmanes [30] ». L’objectif de ces militantes était d’accéder à l’égalité dans l’espace public, sans penser à l’égalité des genres au sein de la famille.

13La référence à des féministes étrangères se retrouve à plusieurs reprises dans l’organe nationaliste. C’est le cas de Bint al-Nîl, l’association de Doria Shafik, qui adresse un message aux Algériennes à l’occasion de l’anniversaire du PPA [31]. Un autre message est envoyé à l’occasion de la quinzaine de lutte contre la répression en Algérie [32]. La grève de la faim des féministes égyptiennes pour une représentation parlementaire est également relayée par le périodique messaliste [33]. L’allocution de Fatima Izet, cadre du Parti féministe national égyptien, à l’occasion de la journée pour l’Afrique du Nord, est publiée par L’Algérie libre[34]. On remarque que le texte est toujours assorti de photographies des dirigeantes égyptiennes.

14Les controverses internationales sur le « rôle de la femme musulmane dans les affaires publiques » préoccupent le mouvement indépendantiste qui traduit le point de vue progressiste de l’Indien Maulana Azad contre le mufti d’Égypte, opposé au vote des femmes [35]. La féministe turque Halide Edib Adivar vante les droits accordés aux femmes par l’islam, en particulier la propriété économique [36]. Elle critique deux « coutumes fâcheuses » – réclusion de la femme et polygamie – et, tout en prônant un « féminisme moderne », défend l’institution familiale. L’enseignante irakienne Sarah Almidfa’i – dont l’article est repris d’une publication anglophone, The Islamic Review – rappelle les droits des femmes musulmanes, cite des figures savantes féminines et se réfère au mouvement de Doria Shafiq qui lui apparaît en accord avec les prescriptions coraniques [37]. Un portrait de Raden Adjeng Kartini, publié par l’organe du MTLD, revient sur ce « symbole du mouvement féministe indonésien [38] ». Dans la même édition, on trouve l’extrait d’un discours de la princesse marocaine Lalla Aïcha sur le « rôle de la femme » où elle rend hommage aux mères, maîtresses de ménage ou éducatrices.

15À la veille du déclenchement de la lutte armée, la direction du MTLD ne propose pas de perspective aux Algériennes en dehors du cadre arabo-islamique. Pourtant, les militantes égyptiennes comme l’intellectuelle féministe Doria Shafik [39] ont été formées à la Sorbonne et sont parfaitement francophones. Les messalistes apparaissent contraints, en raison de la colonisation, de faire un détour par l’Orient pour mobiliser des cadres de pensée associés à l’Occident. Tandis que les militantes algériennes semblent ne pas se revendiquer explicitement du féminisme, elles se réfèrent au même discours différentialiste des diplômées africaines qui « insiste sur la complémentarité des sexes comme sur les capacités et les qualités des femmes [40] ».

La reconnaissance contrariée de l’engagement féminin

16Après le 1er novembre 1954, l’organe du MNA se fait l’écho de la violence exercée par les forces de répression à l’encontre des femmes et traite, dans un nouveau contexte mais avec moins de régularité qu’avant 1954, du « rôle de la femme dans la révolution algérienne ». Au-delà de ce travail de propagande, il convient de questionner la place qu’occupent les femmes dans l’activité « visible » du mouvement, ainsi que la portée de la promotion de l’émancipation féminine par les militants masculins de ce courant. En effet, il existe toute une série d’actions « invisibles » relevées par les services de renseignements et dans lesquelles des femmes sont impliquées comme dans l’achat et l’acheminement d’armes depuis le Luxembourg ou la Sarre [41].

17Avec le déclenchement de la lutte armée, la violence subie par les femmes prend une tout autre ampleur. Selon Raphaëlle Branche, les viols subis par les Algériennes n’auraient pas été instrumentalisés par les nationalistes algériens [42]. La lecture de La Voix du peuple indique pourtant que ces actes sont dénoncés par les messalistes, en particulier de février 1955 au début de l’année 1957. Les crimes cités se sont déroulés aux douars Zellatou, Ichmoul et Yabous, dans l’arrondissement de Tizi Ouzou, puis le 17 février 1956 au douar Toudja (Bougie) [43]. Le 26 mars 1955, au douar Ouldja (Khenchela), Yamina bent Amar, veuve et mère de deux enfants, est violée [44]. C’est le seul cas où une victime est nommée. Un parallèle est établi avec le climat de terreur de 1945 : « Des femmes musulmanes étaient violées puis égorgées, d’autres enceintes étaient éventrées par des soldats français pour connaître le sexe de l’enfant à naître [45] ». On trouve enfin la photographie d’une Algérienne nue, encadrée par deux militaires français en uniforme, ainsi légendée : « Photo prise sur un para français fait prisonnier par l’ALN. Elle montre une Algérienne déshabillée et violée par les ‘pacificateurs’ [46] ». La violence subie par les Algériennes conduit à la reconnaissance de leur engagement pour la cause nationale. Le MNA relate le cas de la militante Nassiba Kebal, « première patriote arrêtée pour son activité révolutionnaire ». Sténodactylo au gouvernement général à Alger, elle a été maltraitée avant sa mise sous mandat de dépôt le 12 décembre 1955. Son exemple sert un argumentaire indépendantiste et égalitaire :

18

Algériennes et Algériens, fraternellement unis dans un même combat, nous bâtirons une Algérie libre et indépendante où nous serons enfin chez nous, tous égaux en droits et en devoirs [47].

19Aïcha Bahri reçoit à son tour les honneurs du MNA. Victime de plusieurs attentats du FLN, elle est présentée comme une « prolétarienne qui se rend tous les jours à l’usine pour gagner dignement les petits moyens de son existence [48] ». Si son militantisme est reconnu, elle est explicitement renvoyée à son rôle de mère : « Elle s’occupe également des enfants qu’elle éduque et qu’elle entraîne dans la voie du patriotisme et du devoir national ». On lit dans son portrait élogieux une critique en creux des égéries du FLN, jeunes, étudiantes, médiatisées et poseuses de bombes comme Zohra Drif, responsable de l’attentat du Milk Bar le 30 septembre 1956 à Alger [49]. On peut relever deux autres cas de femmes ayant joué un rôle particulier dans le mouvement messaliste. On trouve tout d’abord Yamina Bensouna, née en 1930 à Montagnac, qui s’est vu confier le drapeau algérien, le 9 mars 1956 à Paris, en tête de la manifestation contre les pouvoirs spéciaux. On peut ensuite citer Djemila Ben Mohamed. Son cas est popularisé par les soutiens français du MNA. Son arrestation et sa détention en mars 1957 sont dénoncées. Maurice Clavel, journaliste à Combat et écrivain pro-messaliste, lui consacre également un roman [50].

20Trois articles sur la question féminine sont publiés entre 1960 et 1962 par les messalistes. Le premier souligne la spécificité du mouvement féminin algérien en raison de la colonisation, rendue responsable de « l’obscurantisme [51] ». La révolution est présentée comme un bouleversement : « La femme a participé à la lutte en devenant le chef de famille ». Les femmes auraient compris qu’elles étaient faites non seulement pour « éduquer, élever et préparer la nation » mais aussi pour un combat quotidien, loin de se limiter aux aspects vestimentaires : « l’évolution n’était pas une affaire de haïk ou de jupe courte ». Les Algériennes demeurent donc les garantes des identités culturelles ou nationales à l’instar d’autres déclinaisons du « féminisme colonial [52] ». Un deuxième article rappelle le rôle de l’Étoile nord-africaine dans la politisation des Algériennes [53]. Par sa participation à la lutte, la femme a ainsi gagné sa liberté dans l’Algérie future mais son rôle est aussitôt rappelé : « Sur ses genoux d’épouse et de mère, elle formera les nouvelles générations ». Le dernier article prend acte de la situation ouverte par la révolution puisque la femme compte « régler son sort par elle-même et pour elle-même [54] ». Selon l’auteur, l’Algérienne ferait entendre sa voix sans contrarier la loi coranique ou déroger à son statut personnel. « Sœur, épouse ou mère », elle aurait balayé un passé rempli de préjugés, toujours « dans le sens de la religion ».

21Ainsi, les dirigeants messalistes prennent acte de l’évolution de la place occupée par les femmes dans la société en raison de la lutte armée. Mais ils tiennent à leur rappeler leurs rôles de mères et d’épouses. Cela ne se fait toutefois pas toujours sans contestation de la part de militantes qui, tout en acceptant le discours des dirigeants du parti, cherchent à ne pas être exclues de ses activités. Pour la période 1959-1962, les archives de Messali Hadj conservent vingt-sept lettres qui lui ont été adressées par des femmes, algériennes ou européennes. Ainsi, l’épouse belge de Mohammed Djouani écrit à Messali ne plus être « européenne » mais « arabe » :

22

Comme mon mari je suis arabe et j’en suis fière, croyez-moi, et ce n’est pas peu de chose que d’être fière d’être arabe. Je suis allée vous voir à Chantilly et comme ces Algériens et ces Algériennes, je vous ai attendu impatiemment, acclamé chaleureusement avec frénésie si j’ose m’exprimer ainsi et même j’étais heureuse de vous avoir donné l’accolade, et je l’ai fait du plus profond de mon cœur [55].

23La ferveur partagée avec les autres messalistes lors des rassemblements en l’honneur du président du MNA autorise l’arabisation de cette Belge, synonyme de naturalisation. Mme Carmen Rorive-Hessaïne, épouse d’un « grand militant » de Quaregnon, dans le Hainaut belge, a pour sa part déjà rendu visite deux fois à Messali Hadj à Gouvieux. Elle lui déclare son « amour » ainsi que sa pratique des préceptes islamiques :

24

Malgré ma nationalité belge je vous aime de tout mon cœur d’épouse franche et honnête. Cette année, j’ai fait carême, pour la première fois, et j’ai été très contente de prier, ainsi que mon mari, pour la liberté de votre peuple et aussi pour les vaillants militants et combattants qui sont internés dans des camps [56].

25La vie partagée avec un Algérien conduit à la conversion religieuse de cette femme qui ne renie pas sa nationalité belge, tout en rejoignant la famille messaliste. Mme Khelifa-Sapin écrit quant à elle « au nom de toutes les femmes belges qui depuis des années partagent la vie de vos frères en exil [57] ». Elle ajoute : « Messali, nous serons fières de compter parmi les enfants de ton pays si fier et de lui donner des fils que nous élèverons dans le sens de l’honneur et du devoir accompli ». Cette Belge accepte et revendique le rôle de mère algérienne en adhérant au discours différentialiste et patriarcal du mouvement qui cherche à organiser les femmes. Le 24 janvier 1960 se tient une réunion des femmes à Gouvieux au cours de laquelle Messali prononce un discours. On retrouve dans ses archives des lettres excusant l’absence de compagnes européennes d’Algériens. Ainsi Mme Suzanne Baton explique avoir entendu dire que les femmes non mariées vivant avec des Algériens ne seraient pas les bienvenues à cette occasion [58]. Elle explique vivre depuis 1946 avec le délégué principal de l’USTA, avoir toujours reçu un accueil chaleureux de la part de Messali et se considère comme une bonne militante du MNA. Elle demande par conséquent des explications sur ce changement d’attitude. Mme Carmen Rorive envoie une lettre dans le même sens [59]. Elle explique ne pas être mariée, mais observer toutes les règles de l’islam, et considère les Algériens et Algériennes comme ses frères et sœurs. Messali tient à les rassurer : « Nous n’avons jamais refusé personne au Manoir de Toutevoie et bien moins encore nos amies françaises qui vivent et partagent les souffrances avec mes frères Algériens [60] ». Le bruit était un faux selon lui. Mais il demeure révélateur de l’obstruction de certains Algériens à la participation des Européennes. C’est encore une autre lettre, signée par trois Algériennes résidant en Meurthe-et-Moselle, qui attire notre attention sur les obstacles dressés sur la voie de l’engagement des femmes :

26

Nous aimerions recevoir, de votre personne même, quelques renseignements.
Pouvons-nous nous présenter dans des réunions, en particulier dans celles qui se tiennent à la maison même, car à chaque occasion qui se présente, nous sommes toujours chassées par nos hommes !! Pour quelles raisons ? Je vous prie, cher père, de nous faire connaître au plus vite votre réponse, pour savoir à quoi nous en tenir [61].

27Messali, qui au moins depuis les années 1940, affirme « son intention de tout mettre en œuvre pour moderniser la condition des femmes musulmanes [62] », est sollicité pour arbitrer un litige qui met aux prises logiques politiques et contraintes domestiques. En effet, certaines réunions du MNA se déroulent au domicile de leurs membres pour des raisons de sécurité au lieu du café, espace traditionnel du politique. Cette intrusion des affaires publiques dans une sphère privée censée être le domaine réservé des femmes suscite l’incompréhension de ces dernières lorsqu’elles s’en trouvent exclues. L’inversion du « monde renversé [63] » où l’homme exerçait jadis ses activités à l’extérieur ne semble pas favoriser l’inclusion des femmes. C’est plutôt dans le cadre syndical que l’engagement féminin va trouver un espace plus favorable à son expression.

L’appropriation de l’« émancipation » par les syndicalistes émigrées

28La Fédération de France de l’USTA se fait l’écho d’une nouvelle expression féminine, ouvrière et émigrée qui vient briser le quasi-monopole masculin de la représentation du nationalisme algérien. En effet, en dépit de quelques exceptions, l’activité et la propagande du courant messaliste donnent essentiellement à voir des hommes engagés dans le combat contre le colonialisme. Le syndicat n’échappe d’abord pas à cette tendance, n’évoquant les femmes qu’à travers les revendications liées aux allocations familiales ou à la sécurité sociale. L’Algérienne est encore celle qui est restée au pays et ne s’exprime pas en son nom propre. Le compte rendu du meeting du 1er mai 1957 à Lyon illustre l’évolution à l’œuvre dans l’émigration. Avant l’ouverture du meeting, les travailleurs auraient été « surpris » par la présence d’une jeune donatrice algérienne qui offre généreusement 1 000 francs. La noblesse de son geste et son courage sont ainsi salués :

29

Cette sœur Algérienne a su nous donner l’image réelle, l’image vivante de l’Algérie de demain où l’étudiant, le fonctionnaire et le fellah, l’ouvrier et l’intellectuel, la femme et jeune fille travailleront côte à côte fraternellement, dans la voie du progrès social [64].

30Cette déclaration enthousiaste, qui se conjugue au futur et prédit un avenir radieux, marque le point de départ d’une expérience de cinq ans qui va donner une voix aux aspirations des travailleuses émigrées et dont le premier événement significatif a lieu au cours du premier congrès de la Fédération de France de l’USTA qui se déroule à Paris du 28 au 30 juin 1957. Les photographies, publiées dans le numéro de juillet 1957 de La Voix du travailleur algérien, signalent la présence de femmes. On les montre participant aux travaux, aux côtés de leurs camarades, voire présentes à la tribune. Mais c’est d’abord la parole des hommes qui est reproduite. Un rapport de surveillance consacré à la première journée du congrès note que la séance s’ouvre en présence de 250 personnes environ « dont une délégation comprenant quelques femmes musulmanes [65] ».

31Un militant, travaillant dans le bâtiment à Lyon, « regrette l’éloignement des familles des travailleurs algériens et l’impossibilité de les faire venir en France. » Il aborde également le problème de la prostitution en Algérie, le déclarant lié au régime colonial. Un autre rapport de surveillance relève qu’un syndicaliste « regrette que le Congrès n’ait pas souligné suffisamment ‘la misérable condition’ de la femme musulmane qui, dès son jeune âge, est vouée aux travaux les plus pénibles et qui, à partir de 17 ans, se trouve dans l’obligation de revenir chez ses parents ou de se livrer à la prostitution [66] ». Ces interventions d’hommes, qui parlent de femmes notamment à travers le prisme de la prostitution, sont révélatrices de la condition qui caractérise leurs compatriotes mais aussi du rapport aux femmes qu’ils entretiennent en exil. Cela se comprend dans la mesure où les prostituées algériennes étaient « soumises aux feux croisés » des indépendantistes et des forces de répression [67] et où la critique de la domination française est associée à celle d’un phénomène organisé par les autorités coloniales [68].

32Si la prostitution est également abordée par des Algériennes, il n’est pas le seul objet de leurs préoccupations. Le discours de la déléguée féminine de Roubaix, désignée par ses initiales « M. K. », est ainsi retranscrit par l’organe syndical messaliste [69] :

33

Il faut avouer que certaines personnes ont été étonnées de voir présente à ce Congrès une délégation de femmes algériennes. Cela est normal car cette apparition est sans aucun doute la première qu’ait effectuée la femme algérienne pour sortir de l’ombre où elle a été volontairement plongée. À ceci nous pouvons affirmer, comme l’a déclaré une sœur hier, que le colonialisme n’y est pas étranger.

34Le discours très politique de cette déléguée souligne la surprise que constitue la présence féminine dans cette réunion essentiellement masculine. En désignant l’ennemi commun – le colonialisme français – elle apporte le soutien des femmes aux hommes déjà engagés dans la lutte en soulignant l’exploitation dont sont victimes les femmes. Ahmed Bekhat, secrétaire général de l’USTA, commente cette intervention : les Algériennes participent à la libération de leur patrie et méritent un sort meilleur. « Il est nécessaire d’établir l’égalité des sexes, consacrée par l’Islam », une égalité qui s’appliquera aux droits politiques et civiques. Une « résolution sur la libération de la femme algérienne » est adoptée lors de ce premier congrès [70] :

35

La libération de la femme algérienne présuppose sur le plan économique toute une série de mesures permettant à l’Algérie de sortir de ce moyen âge économique où vit l’écrasante majorité du peuple algérien et qui ne sert qu’à asseoir la domination économique d’une infime minorité de gros colons et de féodaux musulmans.

36Ce texte constitue une prise en compte inédite de revendications spécifiques aux femmes, liant la libération de la femme algérienne aux réformes économiques et, plus largement, à la remise en cause du statu quo colonial. Par ailleurs, parmi les 24 membres élus de la commission exécutive du syndicat figure une femme, Kheira Moujahadi, une exception dans l’organigramme messaliste [71]. « L’éducation syndicale de la femme musulmane » constitue l’une des six priorités du programme de l’USTA [72]. L’enjeu est d’autant plus grand que les autorités coloniales mettent en avant l’émancipation des Algériennes à partir de janvier 1957, pour mieux souligner les aspects « progressistes » de la présence française en Algérie [73]. Aussi les syndicalistes messalistes se réapproprient-ils ce thème, qu’ils articulent au changement politique. En avril 1958, un article paru dans La Voix du travailleur algérien et signé Yamina B. s’interroge sur le contenu à donner à la revendication de l’émancipation féminine [74]. Sans y répondre directement, le texte décrit les conditions de travail de deux adhérentes de l’USTA, ouvrières du textile dans le Nord. Il y est question de bas salaires et de précarité. Souvent, le salaire du mari ne suffit pas à faire vivre la famille :

37

Bien des opinions, qui parfois diffèrent beaucoup les unes des autres, sont émises par les Algériens à propos du rôle de la femme algérienne au foyer, à l’usine, dans la cité. Des controverses s’établissent : les uns sont attachés au passé traditionnel, les autres imaginent l’avenir. Quel contenu à donner à ces mots qui désormais résonnent à toutes les oreilles : « ÉMANCIPATION DE LA FEMME ALGÉRIENNE » ?…

38Sans s’aventurer sur le terrain politique, ce texte constitue un témoignage précieux sur l’expérience de l’usine par des ouvrières algériennes. Il fait toutefois écho, en creux, aux débats relatifs à l’émancipation féminine auxquels sont attentifs les membres de l’USTA. À l’occasion des meetings syndicaux du 1er mai 1958, ces Algériennes manifestent leur présence dans des localités nordistes où les messalistes demeurent solidement implantés. C’est notamment le cas à Valenciennes où Mme Haliche figure au présidium aux côtés des responsables de l’union locale USTA. Après avoir dénoncé les « diviseurs de la classe ouvrière algérienne » et la lutte fratricide entre les groupes armés du FLN et du MNA, elle affirme la volonté d’action des travailleuses algériennes [75] :

39

Nous voulons assurer de notre soutien la classe ouvrière algérienne. Dorénavant, quelles que soient les circonstances, la femme se trouvera à ses côtés et prête à lutter afin de faire échec à nos exploiteurs.

40Une fois encore, l’oratrice témoigne de la rupture avec le passé militant de l’émigration algérienne en France et exprime le soutien des femmes au combat de la classe ouvrière masculine. À Roubaix, Fatma Mezrag, la première femme à prendre la parole dans un meeting de l’USTA, déclare :

41

Oui, camarades, la femme algérienne est capable de lutter pour défendre ses intérêts, elle est capable de reprendre la place à laquelle elle a droit. Ses revendications seront entendues. Elle criera au monde entier sa soif pour la liberté.

42L’intervention de Fatma Mezrag articule revendications et plaidoyer anticolonialiste. Sa prise de parole, qui souligne la capacité de l’Algérienne à défendre ses revendications propres, est saluée d’une « ovation enthousiaste ». La Voix du travailleur algérien mentionne également le discours offensif que Baya Maanane prononce au cours de la même réunion :

43

Nous avons jugé qu’il était de notre devoir de nous associer à nos compagnons pour leur éviter de rester isolés et de les encourager à persévérer dans la lutte contre notre ennemi commun : le colonialisme-capitalisme.

L’itinéraire singulier de Fatma Mezrag

L’ascension dans l’appareil syndical de Fatma Mezrag – nièce de Rabah Hammouche, membre de l’union locale USTA de Roubaix – semble avoir été accélérée par une lettre envoyée au secrétaire général de l’USTA, Abderrahmane Bensid, en janvier 1958. Cette « jeune Algérienne de 17 ans », comme elle se présente, interpelle le dirigeant messaliste sur la signification du terme « autodétermination » employé dans l’organe syndical de décembre 1957 [76].
Abderrahmane Bensid lui répond cinq jours plus tard, pour lui proposer de devenir, du fait de son instruction, correspondante de La Voix du travailleur algérien[77]. Conformément à la résolution adoptée lors du premier congrès, l’organe de l’USTA a pour projet d’ouvrir une rubrique réservée aux problèmes de « la femme algérienne à l’usine ». Le secrétaire général du syndicat messaliste invite la jeune Algérienne à rendre visite aux travailleuses de sa région, à « faire des enquêtes sur le travail, l’hygiène, le salaire ainsi que leurs revendications » et éventuellement à les organiser en sections. Quant à l’explication du terme « autodétermination », Abderrahmane Bensid affirme qu’il a la même signification que les expressions « indépendance » ou « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Il s’agit simplement de ne pas heurter l’opinion publique occidentale par des mots trop explicites.
Fatma Mezrag interpelle Messali Hadj dans un autre courrier qui ne laisse pas de doute sur son affiliation au parti messaliste. La jeune Algérienne dit avoir rencontré le leader indépendantiste le 23 février 1959. La militante sollicite Messali pour un nouvel entretien avant son intervention prévue le 8 mars à Gouvieux. Dans la liste des 37 candidats à la commission exécutive de l’USTA, on retrouve son nom avec celui d’Adjilla Azzi après le second congrès du syndicat messaliste [78]. Les deux femmes sont confirmées dans leurs fonctions lors d’une réunion de la commission exécutive qui comprend 26 membres à l’été 1961 [79]. Si Fatma Mezrag incarne à sa façon la politique de l’organisation messaliste en faveur de l’émancipation féminine en intervenant publiquement de 1957 à 1962, on ne trouve plus ensuite de trace de son activité militante dans les archives de Messali Hadj.

44En s’adressant à des audiences masculines, les femmes syndicalistes font œuvre de pédagogie et démontrent la légitimité de leur action politique autant que syndicale en raison de leur opposition commune au « colonialisme-capitalisme ». Cette rhétorique caractéristique du tournant des années 1957-1958, qui correspond aux premiers pas des Algériennes dans l’arène militante en situation d’émigration, évolue rapidement vers un argumentaire autrement plus critique quant au sort que leur réservent leurs « frères » et « camarades » algériens.

45Lors du deuxième congrès de la Fédération de France de l’USTA qui se déroule à Lille du 27 au 29 novembre 1959, 351 délégués sont présents, dont dix femmes. L’une d’elles, désignée dans La Voix du travailleur algérien par son prénom, Zohra, figure au présidium. Le rapport moral et d’activité consacre six lignes aux femmes algériennes. Leur héroïsme est salué sans pour autant que soient abordées leurs situations concrètes ou revendications. Trois femmes syndicalistes interviennent au cours des assises [80]. Hedjila, travaillant dans le secteur de l’alimentation en région parisienne, regrette que « le problème de la femme » demeure à ce point marginal pour la centrale algérienne. Cette intervention pointe le traitement insuffisant de la question des femmes par la direction de l’USTA. Elle critique les « coutumes d’un autre âge » de la société algérienne, dénonce l’impact social du régime colonial et décrit la progression du salariat féminin. Si l’oratrice s’approprie le mot d’ordre d’émancipation, elle demeure très critique quant à la mise en scène des dévoilements de femmes lors des manifestations de mai 1958 [81], qu’elle qualifie de « mascarades ». Dehbia, syndiquée à Roubaix, souligne quant à elle le rôle éducatif de l’organisation dans sa propre expérience de jeune ouvrière et salue les femmes victimes de la répression en raison de leurs activités politiques. Enfin, Fatma Mezrag, membre de l’Union locale de Roubaix, met en lumière le rôle de l’éducation dans un discours faisant l’éloge de la modernité. L’oratrice souligne l’influence décisive de la révolution algérienne qui permettrait aux femmes de s’affirmer tout en regrettant que celle-ci soit associée au recours à la violence. Les griefs envers les hommes, qualifiés d’« égoïstes », « convoiteurs » et « oppresseurs », dépassent les critiques réservées au régime colonial. Le nouveau secrétaire général de l’USTA, Abderrahmane Bensid, revient sur les critiques exprimées :

46

Les femmes ont protesté ; elles ont raison. Nous leur avons réservé six lignes ; cela est vrai. Mais est-ce une raison de dire que ce problème ne nous préoccupe que secondairement ? Non ! Camarades, le rôle de la femme, notre moitié, nous ne le sous-estimons pas, l’USTA l’envisage concrètement dans les faits et non démagogiquement ainsi que le font d’autres.

47Le congrès de l’USTA de 1959 adopte une « résolution sur l’émancipation de la femme algérienne » reprenant les revendications formulées lors du congrès précédent. Elle demande notamment à ce que les efforts portent sur la formation professionnelle et se traduisent, par exemple, par l’octroi de bourses d’études pour les femmes. L’intitulé de cette résolution reflète un changement qualitatif puisque si le congrès de 1957 parlait de libération de la femme algérienne, celui de 1959 souligne l’appropriation du mot d’ordre d’émancipation. Les débats qui accompagnent cette réunion montrent que, pour la première fois, des Algériennes osent critiquer ouvertement leurs « frères » et « camarades », et qu’elles témoignent par la même occasion d’une relative impatience voire d’une certaine insatisfaction malgré les espoirs qu’elles continuent de placer dans leur organisation. Cette évolution dans le discours des femmes messalistes doit également être rapportée aux réformes initiées par les autorités françaises pour faire évoluer le statut des Algériennes au cours des années 1958-1959 [82]. Contrairement à la propagande du FLN qui rejette ces mesures, notamment l’ordonnance relative au mariage, les syndicalistes messalistes adhèrent au projet émancipateur en lui donnant toutefois un contenu social et sans faire l’économie d’un procès du colonialisme.

48L’organisation par l’USTA des meetings du 1er mai 1960 vient illustrer une tendance paradoxale caractérisant alors le syndicat messaliste : sa politique de promotion de la femme semble se renforcer au moment où il perd largement le terrain dans l’émigration. Les réunions ont lieu dans les dernières places fortes du messalisme [83] : Lille, Roubaix, Tourcoing, Sous-le-Bois, Valenciennes, Douai, Lens, mais aussi Longwy, Sedan, Lyon ou encore Clermont-Ferrand. Baya Maanane, membre du bureau local USTA, prend place à la tribune du meeting de Lille. À Roubaix, Fatma Mezrag, membre de la commission exécutive de l’USTA, et Yamina Lounici sont aussi à la tribune. Fatma Mezrag met en avant le thème de l’union et de la réconciliation des Algériens sans aborder la question de la femme travailleuse, réservée à Yamina Lounici qui livre un plaidoyer politique associant émancipations féminine et nationale :

49

L’émancipation de la femme algérienne ne peut se concrétiser que dans une ALGÉRIE LIBRE ET DÉMOCRATIQUE, ce qui revient à dire que, quelles que soient les réalisations sociales qui nous assureront le bien-être, rien ne pourra nous détourner de notre volonté inébranlable d’arracher notre liberté politique.

50Le sort des Algériennes est désormais lié à la nature du futur régime algérien puisque l’indépendance ne fait plus de doute aux yeux des militants, l’année où s’amorcent les premiers contacts officiels du gouvernement français avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne. L’exigence démocratique se conjugue avec l’émancipation féminine au moment où l’hégémonie du FLN inquiète les derniers messalistes. Au total, le syndicat messaliste a mobilisé, pour le 1er mai 1960, sept militantes dans cinq localités qui se situent toutes dans le Nord. On observe une division du travail dans la mesure où les oratrices n’ont pas toujours abordé des questions spécifiquement féminines quand une autre intervenante prenait en charge cette thématique. Par contre, on ne remarque plus de prise de parole sur cette problématique de la part des hommes.

51Les problèmes d’organisation auxquels est confrontée l’USTA se traduisent par l’irrégularité de la parution de La Voix du travailleur algérien, qui l’empêche de rendre compte des meetings du 1er mai 1961. Il faut attendre l’édition du 1er mai 1962 pour mesurer l’évolution de la participation des femmes à ces manifestations annuelles tandis que le mouvement messaliste connaît de nombreuses crises et défections. Il se replie sur son bastion du Nord où vivent deux des trois oratrices auxquelles l’USTA donne la parole deux mois avant la proclamation de l’indépendance de l’Algérie.

La fin d’une expérience limitée dans le temps

52Au seuil de l’indépendance, le courant messaliste n’a toutefois pas le monopole de l’action politique en faveur de l’émancipation féminine. En effet, de l’été 1961 à août 1962, la Fédération de France du FLN a également organisé une section des femmes « qui visait à mettre l’émancipation des femmes au cœur du programme révolutionnaire destiné à construire, dans un avenir proche, la société de l’après-indépendance [84] ». Aussi éphémère que fût cette organisation, son existence témoigne de l’appropriation par des dirigeants et militants algériens – au-delà de leur appartenance politique – de la thématique de l’émancipation et permet de réinterroger l’engagement des émigrées algériennes dans la lutte pour l’indépendance nationale.

53Le syndicat messaliste, pour sa part, semble avoir joué le jeu de la promotion des femmes, prenant au sérieux le mot d’ordre d’émancipation [85]. Son statut légal et son rôle d’interface avec les militants ouvriers français – plus particulièrement des syndicalistes enseignants et réformistes – a sans doute favorisé cette orientation plus avancée sur ce plan que celle du MNA [86]. Déployées au sein du dispositif messaliste dans sa lutte pour l’indépendance de l’Algérie et dans sa concurrence avec le FLN, les militantes de la Fédération de France de l’USTA ont exprimé un nationalisme d’exilés, inscrit dans un réformisme ouvrier commun aux organisations syndicales françaises dans lesquelles les cadres masculins se sont formés avant le déclenchement de la lutte armée, et un certain féminisme, inséré dans un discours arabo-islamique dont le mouvement indépendantiste s’est fait régulièrement l’écho dans sa propagande. Il n’en constitue pas moins un reflet progressiste de la révolution algérienne en propulsant sur le devant de la scène des visages féminins qui répondent à la fois aux figures du FLN et à celles du régime colonial. Cette expérience illustre le dilemme auquel était confronté, au plus fort de la lutte de libération nationale, un mouvement messaliste qui, bien qu’en perte de vitesse sur le plan organisationnel, a tenté de s’approprier en actes les mots d’ordre d’émancipation et de libération.

Notes

  • [*]
    Docteur en science politique, chargé d’enseignement à l’INALCO.
  • [1]
    V. M. Moghadam, « Gender and Revolutions », in J. Foran (dir.), Theorizing Revolutions, Londres, Routledge, 1997, p. 137-167.
  • [2]
    B. Stora, Messali Hadj (1898-1974), Paris, Hachette Littératures, 2004.
  • [3]
    M. Cohen, « Des familles invisibles. Politiques publiques et trajectoires résidentielles de l’immigration algérienne (1945-1985) », thèse de doctorat d’histoire, sous la direction d’Annie Fourcaut, Université Paris 1, 2013.
  • [4]
    B. Stora, « L’Union des syndicats des travailleurs algériens USTA : la brève existence du syndicat messaliste (1956-1959) », Le Mouvement social, n° 116, 1981, p. 95-122.
  • [5]
    N. Vince, Our Fighting Sisters : Nation, Memory and Gender in Algeria, 1954-2012, Manchester, Manchester University Press, 2015.
  • [6]
    W. Guéraiche, Les femmes et la République. Essai sur la répartition du pouvoir de 1943 à 1979, Paris, Les Éditions de l’Atelier-Éditions Ouvrières, 1999, p. 172-174.
  • [7]
    D. Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre d’Algérie. Entretiens, Paris, Karthala, 1994 ; C. Bouatta, « Feminine Militancy : Moudjahidate During and After the Algerian War », in V. Moghadam (dir.), Gender and Nationality : Women and Politics in Muslim Societies, Londres, Zed Books, 1994, p. 18-39 ; M. El Korso, « La mémoire des militantes de la Guerre de libération nationale », Insaniyat, n° 3, 1998, p. 25-51 ; M. Gadant, Le nationalisme algérien et les femmes, Paris, L’Harmattan, 1995 ; S. Slyomovics, « ‘Hassiba Ben Bouali, If You Could See Our Algeria’. Women and Public Space in Algeria », Middle East Report, n°192, 1995, p. 8-13.
  • [8]
    F. Lalami, Les Algériennes contre le code de la famille. La lutte pour l’égalité, Paris, Presses de Sciences Po, 2012.
  • [9]
    M. Turshen, « Algerian Women in the Liberation Struggle and the Civil War : From Active Participants to Passive Victims ? », Social Research, vol. 69, n° 3, p. 889-911.
  • [10]
    F. Fanon, L’an V de la révolution algérienne, Paris, Maspero, 1959.
  • [11]
    Le MTLD est le parti officiel du mouvement messaliste après la Seconde Guerre mondiale. Il a été dissous par les autorités françaises en novembre 1954 à la suite du déclenchement de la lutte armée pour l’indépendance.
  • [12]
    N. Vince, « Transgressing Boundaries : Gender, Race, Religion, and ‘Françaises Musulmanes’ during the Algerian War of Independence », French Historical Studies, vol. 33, n° 3, 2010, p. 445-474.
  • [13]
    M. Gadant, Parcours d’une intellectuelle en Algérie. Nationalisme et anticolonialisme dans les sciences sociales, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 11.
  • [14]
    N. Chaudhuri, « Femmes indiennes entre nationalisme et féminisme, des années 1880 à 1947 », Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, n° 33, 2011, p. 85-106.
  • [15]
    F. Lalami, « L’enjeu du statut des femmes durant la période coloniale en Algérie », Nouvelles Questions Féministes, vol. 27, n° 3, 2008, p. 16-27.
  • [16]
    J.-F. Bayart, « L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion », Critique internationale, n° 5, 1999, p. 97-120.
  • [17]
    « Discours de Mme Messali à la Mutualité », El Ouma, n° 29, décembre 1934.
  • [18]
    D. Amrane-Minne, Des femmes dans la guerre d’Algérie, op. cit., p. 19.
  • [19]
    Le PPA a été créé par Messali Hadj le 11 mars 1937 après la dissolution de l’Étoile nord-africaine par le Front populaire. Fondé dans l’émigration en France, il développe son audience en Algérie et contribue à la diffusion des thèses indépendantistes.
  • [20]
    L. Bereni et A. Revillard, « Un mouvement social paradigmatique ? Ce que le mouvement des femmes fait à la sociologie des mouvements sociaux », Sociétés contemporaines, vol. 85, n° 1, 2012, p. 22.
  • [21]
    « Nos femmes au service des déshérités », L’Algérie libre, n° 7, 15 janvier 1950.
  • [22]
    Ibid.
  • [23]
    M. Chakib, « Gala de l’association des femmes musulmanes algériennes. ‘L’émancipation de la femme est une obligation religieuse et une nécessité sociale’, déclare Mme Chentouf », L’Algérie libre, n° 101, 5 mars 1954.
  • [24]
    L’Algérie libre, n° 59, 15 décembre 1952.
  • [25]
    « La femme algérienne sous le joug colonialiste », L’Algérie libre, n° 3, 19 novembre 1949.
  • [26]
    Zyneb K., « La femme et la lutte nationale », L’Algérie libre, n° 21, 1er septembre 1950.
  • [27]
    « Le rôle de la femme dans la société arabe », L’Algérie libre, n° 4, 1er décembre 1949.
  • [28]
    « Aïcha dirige une expédition guerrière », L’Algérie libre, n° 6, 1er janvier 1950.
  • [29]
    « Le rôle de la femme arabe », L’Algérie libre, n° 12, 1er avril 1950.
  • [30]
    M. Badran, « Où en est le féminisme islamique ? », Critique internationale, vol. 46, n° 1, 2010, p. 27. En ligne
  • [31]
    « Avec Doria Shafik, la femme égyptienne participe à l’anniversaire du Mouvement National », L’Algérie libre, n° spécial, 11 mars 1952.
  • [32]
    L’Algérie libre, n° 84, 23 octobre 1953.
  • [33]
    « Pour une représentativité parlementaire des femmes égyptiennes font la grève de la faim », L’Algérie libre, n° 104, 26 mars 1954.
  • [34]
    « Au cours de la Journée pour l’Afrique du Nord organisée par le Parti féminin égyptien : un cri de vérité de Fatima Izet », L’Algérie libre, n° 49, 15 juin 1952.
  • [35]
    « La femme politique et ses droits politiques », L’Algérie libre, n° 51, 2 août 1952.
  • [36]
    K. Edib Hanem « Les femmes dans l’Islam », L’Algérie libre, n° 58, 1er décembre 1952.
  • [37]
    S. Almidfa’i, « La femme au Moyen-Orient », L’Algérie libre, n° 65, 1er avril 1953 ; « Women in the Middle East », The Islamic Review, nov. 1952, p. 34-36.
  • [38]
    L’Algérie libre, n° 76, août 1953.
  • [39]
    C. Nelson, Doria Shafik, Egyptian Feminist. A Woman Apart, Le Caire, The American University in Cairo Press, 1996.
  • [40]
    P. Barthélémy, Africaines et diplômées à l’époque coloniale (1918-1957), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 262.
  • [41]
    Archives de la préfecture de police de Paris, carton HA 25, dossier « Armement des nationalistes algériens en métropole (1957-1958) », rapport du 25 janvier 1957.
  • [42]
    R. Branche, « Des viols pendant la guerre d’Algérie », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n ° 75, 2002, p. 124.
  • [43]
    « Lettre ouverte du MNA aux députés français », La Voix du peuple, n° 5, 1er février 1955 ; « Les événements d’Algérie », La Voix du peuple, n° 6, 16 février 1955 ; « Le MNA lance un appel aux organisations internationales », La Voix du peuple, n° 22, juin 1956.
  • [44]
    « Les événements d’Algérie », La Voix du peuple, n° 8, avril 1955.
  • [45]
    « À Alger le MNA lance un appel au peuple pour agir contre la répression », La Voix du peuple, n° 7, 16 mars 1955.
  • [46]
    La Voix du peuple, n° 28 [janvier 1957].
  • [47]
    « Nassiba Kebal, militante du MNA, arrêtée », La Voix du peuple, n° 17, 3 janvier 1956.
  • [48]
    « Honneur à Aïcha Bahri », La Voix du peuple, décembre 1961.
  • [49]
    « Soixante-trois blessés dont une centaine grièvement par deux attentats à la bombe en plein centre d’Alger », Le Monde, 2 octobre 1956.
  • [50]
    M. Clavel, Le Jardin de Djemila, Paris, Julliard, 1958.
  • [51]
    Houria, « Le rôle de la femme musulmane dans la révolution algérienne », La Voix du peuple, novembre 1960.
  • [52]
    S. Latte Abdallah, « Le féminisme islamique, vingt ans après : économie d’un débat et nouveaux chantiers de recherche », Critique internationale, vol. 46, n° 1, 2010, p. 13.
  • [53]
    « La femme algérienne dans la révolution », La Voix du peuple, octobre 1961.
  • [54]
    « Le vrai visage de la femme algérienne », Bulletin intérieur du MNA, Alger, n° 1, janvier 1962.
  • [55]
    Archives de Messali Hadj, lettre de Mme Mohammed Djouani à Messali, Quaregnon, 6 juin 1959.
  • [56]
    Ibid., lettre de Mme Carmen Rorive-Hessaïne à Messali, Quaregnon, 2 juillet 1959.
  • [57]
    Ibid., lettre de Mme Khélifa-Sapin à Messali, Quaregnon, 20 septembre 1959.
  • [58]
    Ibid., lettre de Mme Suzanne Baton à Messali, Gouraincourt, 24 janvier 1960.
  • [59]
    Ibid., lettre de Carmen Rorive à Messali, Quaregnon, 24 janvier 1960.
  • [60]
    Ibid., lettre de Messali, Gouvieux, 1er février 1960.
  • [61]
    Ibid., lettre de Mmes Boufellah Fatma, Zohra et Rachida à Messali, Valleroy, 29 avril 1960.
  • [62]
    Service historique de la défense, carton 1H2861, Renseignements, Alger, 4 novembre 1946, 10e RM/2e Bureau.
  • [63]
    P. Bourdieu, Esquisse d’une théorie de la pratique, précédé de Trois études d’ethnologie kabyle, Paris, Le Seuil, 2000, p. 61-82.
  • [64]
    « Le Premier Mai 1957 : les Algériens en lutte », La Voix du travailleur algérien, n° 4, juin 1957.
  • [65]
    Archives du ministère des Affaires étrangères, secrétariat d’État aux Affaires Algériennes, carton 28, dossier USTA, rapport à la direction des affaires d’Algérie, 29 juin 1957.
  • [66]
    Ibid., rapport à la direction des affaires d’Algérie, 30 juin 1957.
  • [67]
    E. Blanchard, « Encadrer des ‘citoyens diminués’. La police des Algériens en région parisienne (1944-1962) », thèse de doctorat d’histoire, sous la direction de Jean-Marc Berlière, Université de Bourgogne, 2008, p. 435.
  • [68]
    C. Taraud, La prostitution coloniale. Algérie, Tunisie, Maroc (1830-1962), Paris, Payot, 2003.
  • [69]
    La Voix du travailleur algérien, n° 5, juillet 1957.
  • [70]
    1er congrès de la Fédération de France de l’USTA. Résolutions adoptées, adresse à Messali Hadj, supplément au n° 5 de La Voix du travailleur algérien.
  • [71]
    Archives du ministère des Affaires étrangères, secrétariat d’État aux Affaires algériennes, carton 28, dossier USTA, rapport de surveillance de la séance de clôture du congrès pour la direction des affaires d’Algérie, 1er juillet 1957.
  • [72]
    Archives nationales d’outre-mer, GGA 40 G 104, USTA, Renseignements généraux, Alger, 25 février 1958, « Union syndicale des travailleurs algériens (USTA) ».
  • [73]
    N. MacMaster, « The Colonial ‘Emancipation’ of Algerian Women : the Marriage Law of 1959 and the Failure of Legislation on Women’s Rights in the Post-Independence Era », Stichproben. Wiener Zeitschrift für kritische Afrikastudien, n° 12, 2007, p. 94.
  • [74]
    Yamina B., « La femme algérienne sur le front du travail », La Voix du travailleur algérien, n° 10, avril 1958.
  • [75]
    « Valenciennes, une belle réunion », La Voix du travailleur algérien, mai 1958.
  • [76]
    Archives de Messali Hadj, lettre de Fatma Mezrag à Abderrahmane Bensid, Wattrelos, 3 janvier 1958.
  • [77]
    Ibid., lettre d’Abderrahmane Bensid à Fatma Mezrag, Paris, 8 janvier 1958.
  • [78]
    Ibid., liste des candidats à la commission exécutive.
  • [79]
    Ibid., compte rendu de la réunion de la commission exécutive de l’USTA tenue à Paris le 2 juillet 1961.
  • [80]
    La Voix du travailleur algérien, décembre 1959.
  • [81]
    M. Rahal, « Les manifestations de mai 1958 en Algérie ou l’impossible expression d’une opinion publique ‘musulmane’ », in J.-P. Thomas, G. Le Béguec et B. Lachaise (dir.), Mai 1958 : le retour du général de Gaulle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 39-58.
  • [82]
    D. Sambron, « La politique d’émancipation du gouvernement français à l’égard des femmes algériennes pendant la guerre d’Algérie », in J.-C. Jauffret (dir.), Des femmes et des hommes en guerre d’Algérie, Paris, Autrement, 2003, p. 226-242.
  • [83]
    « Plus de 700 personnes à la Salle des Fêtes de Fives-Lille », La Voix du travailleur algérien, n° 17, mai 1960.
  • [84]
    N. MacMaster, « Des révolutionnaires invisibles : les femmes algériennes et l’organisation de la Section des femmes du FLN en France métropolitaine », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. 59, n°4, 2012, p. 164-190.
  • [85]
    Archives départementales du Nord, carton 1022 W 14, procès-verbal de la réunion régionale, 16 février 1960 (document transmis par Nordine Amara).
  • [86]
    À titre indicatif, on trouve dans les archives de Messali Hadj – qui regroupent également celles de l’USTA – une brochure intitulée La femme dans le mouvement syndical (publiée par Étienne Rose, Paris, CGT-FO, 1948) et le « Procès-verbal de la Conférence internationale pour les questions de la femme au travail, tenue du 11 au 22 octobre 1959 à Genève » publié par l’Union internationale des syndicats des industries de l’alimentation et du tabac.
Français

La révolution algérienne illustre un type particulier de révolution, le woman-in-the-family model, qui exclut ou marginalise les femmes des définitions et constructions de l’indépendance, de la libération et de la liberté. Cette catégorisation correspond très largement à l’idéologie en vigueur chez les partisans de Messali Hadj qui promeuvent, à travers leurs activités et leurs journaux, un féminisme différentialiste, ancré dans la tradition arabo-islamique et à dimension caritative. En réponse au déclenchement de la lutte armée et à une propagande colonialiste qui met en avant l’émancipation féminine, le contexte devient favorable à une redéfinition du rôle assigné aux Algériennes musulmanes. Ce phénomène, dont nous interrogeons les conditions d’émergence et la portée, se manifeste avec plus de vigueur dans l’émigration algérienne en France et trouve son cadre institutionnel dans l’éphémère syndicat messaliste, l’Union des syndicats de travailleurs algériens (USTA). Ces syndicalistes, préoccupées autant par l’émancipation féminine que l’indépendance nationale ou les revendications ouvrières, permettent au mouvement messaliste de présenter des visages acceptables par leurs interlocuteurs français et de se démarquer de son concurrent du Front de libération nationale (FLN).

Nedjib Sidi Moussa [*]
  • [*]
    Docteur en science politique, chargé d’enseignement à l’INALCO.
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/07/2016
https://doi.org/10.3917/lms.255.0103
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