CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans le contexte de l’industrialisation, la prise en charge de la question alimentaire par un patronat à la recherche de la paix sociale et d’une plus grande efficacité au travail est un fait bien documenté [1]. C’est donc avec une pointe d’étonnement que l’on constate que les témoignages des pèlerins du Creusot, ceux qui ont fait le voyage vers « la plus grande usine d’Europe » [2], passent rapidement sur la question, préférant mettre l’accent sur le logement et le jardin, l’éducation et la santé, le secours mutuel et l’épargne, présentés comme les piliers de la politique sociale de l’entreprise. Tout juste relève-t-on ici ou là quelques indications sur le fait que l’approvisionnement de la ville était bon et qu’on y mangeait bien, tandis que la plupart des études dénoncent le néfaste cabaret, louent le prospère jardinet et exaltent la figure de la ménagère attendant son mari l’assiette fumante sur la table [3]. Les nombreux travaux sur le paternalisme au Creusot ne soulèvent pas davantage le problème, comme si l’acte de manger était de l’ordre de « l’intime » [4] et comme si les Schneider n’y avaient accordé qu’une attention discrète.

2L’évolution des formes prises par l’organisation de l’alimentation constitue pourtant un observatoire privilégié pour penser les « trois âges » du paternalisme et ses reconfigurations entre le milieu du XIXe siècle et la période dite des « Trente Glorieuses ». Comme tous les patrons soucieux d’enraciner leur main-d’œuvre et d’éviter les conflagrations sociales, les Schneider ne se désintéressent pas, loin de là, de la question alimentaire, mais les réponses qu’ils y apportent ne privilégient pas la restauration collective. Ce n’est qu’à de rares occasions, et pour des catégories déterminées, que les cantines et les réfectoires trouvent une place dans leur dispositif industriel et social. L’usage n’en devient plus ordinaire, et encore, qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, comme s’il existait une longue rémanence du paternalisme dans la société creusotine. Écrire cette histoire permet donc de réinterroger l’évolution de l’autorité du maître dans l’entreprise en relation avec les transformations des rapports entre les ouvriers et les patrons en même temps que celle des stratégies et des formes d’encadrement de la main-d’œuvre. Entre ouvriers et patrons, la période voit intervenir un troisième partenaire, l’État, dont les préoccupations alimentaires sont révélatrices des transformations économiques et sociales en cours.

Penser le paternalisme : entre soumission et résistance

3Les étapes de l’industrialisation du Creusot sont bien connues. Née en 1837, la société Schneider frères et Cie fabrique d’abord des fers et des tôles indispensables au développement des chemins de fer. Les années 1860 marquent un premier tournant dans son histoire avec l’ouverture des échanges commerciaux qui pousse à d’importants investissements et à l’internationalisation du groupe. Une deuxième inflexion a lieu à la fin du XIXe siècle avec l’extension de la mécanisation, l’arrivée de l’électricité, la réorganisation des espaces productifs. La dernière est liée, dans les années 1950, au redémarrage industriel de l’après-guerre.

4Les auteurs qui ont travaillé sur le paternalisme ont montré la coïncidence entre les politiques sociales et les transformations générales du processus de production. Gérard Noiriel a proposé, à la fin des années 1980, une analyse qui distinguait trois stades du paternalisme : le temps du patronage, celui du paternalisme proprement dit et enfin celui du management [5]. S’intéressant surtout au passage du patronage au paternalisme, à la veille de la Grande Guerre, il a montré comment l’éloignement du patron dans son château, les mutations des méthodes de production, les transformations de la main-d’œuvre et la naissance du syndicalisme conduisent à une rupture du consensus « paternel » de la première période dont la multiplication des mouvements sociaux est le symptôme. Le patron est conduit à adopter une politique plus ferme qui repose sur un encadrement « total » des ouvriers, du berceau à la tombe, un système « intégral », pour reprendre la formule d’André Gueslin, qui implique que l’entreprise paternaliste est un système clos, le plus possible imperméable aux « mauvaises » influences extérieures, celles du socialisme, du syndicalisme ou de l’État. Le patron s’efforce de les tenir à distance en installant toutes sortes de frontières plus ou moins virtuelles [6].

5Dans les années qui ont suivi la publication de l’article de Gérard Noiriel, les débats ont moins porté sur la chronologie et la nature des pratiques que sur les motivations du patron et surtout le degré d’adhésion des salariés. André Gueslin écrit au début des années 1990 que « l’historien ne peut plus admettre en bloc les thèses qui soutiennent qu’un groupe humain accepte sans réagir des années, voire des décennies durant, des démarches coercitives qui iraient à l’opposé complet de sa volonté » [7]. L’acceptation du paternalisme tient à de multiples causes. Elle s’explique notamment par la persistance d’une culture rurale traditionnelle, phénomène encore renforcé au Creusot par le fait qu’on se trouve dans une île industrielle rendant difficile l’évasion de la main-d’œuvre. De nombreuses recherches récentes ont cependant insisté sur l’autonomie du monde du travail, qui résisterait plus qu’on ne l’a pensé aux politiques patronales et obtiendrait par différents moyens de pression des concessions négociées. Avec d’autres, Patrick Fridenson a ainsi mis en cause ce qu’il appelle « la lecture foucaldienne » de Gérard Noiriel qui tendrait à faire de l’ouvrier la victime « aliénée » des systèmes d’éducation et de surveillance patronaux [8]. Le consentement n’est jamais total et la subordination toujours incomplète ; les stratégies patronales ne fonctionnent que de manière imparfaite, le paternalisme n’empêchant pas le turn-over des ouvriers, quoi qu’en aient dit les patrons [9]. À partir de l’exemple du Creusot, Yves Cohen a également montré comment s’inventait la figure du chef dans le monde industriel de la première moitié du XXe siècle, comment les Schneider imposent leur commandement à travers d’incessantes « batailles d’autorité » et de multiples négociations entre la hiérarchie de l’entreprise, l’État et les pouvoirs publics et l’affirmation de l’autorité de la main-d’œuvre et des syndicats [10].

6Le débat porte donc sur le degré de liberté des ouvriers et sur la manière dont ils (se) jouent des pratiques patronales. Chez Schneider, le discours patronal et ses relais ne laissent pas de doute sur la réussite du projet et bien des études récentes sont allées dans le sens de l’acceptation. « On n’avait pas le choix », disent encore les ouvriers [11]. Se pencher sur les pratiques alimentaires au Creusot permet de soumettre la question à l’épreuve d’une réalité peu explorée. Si le premier regard semble confirmer l’idée d’une adhésion, ou du moins d’une rencontre entre nécessité patronale et besoins ouvriers, dans la logique suggérée par Michelle Perrot et en partie reprise par Gérard Noiriel, il est possible de s’interroger à la fois sur les libertés que prennent les ouvriers par rapport aux pratiques paternalistes et sur les rythmes de l’évolution, la banalisation de la cantine pouvant signaler la mort d’un paternalisme longtemps réticent à toutes les pratiques collectives.

7Au Creusot, à toutes les époques de l’histoire de l’entreprise, la subsistance est assurée avec soin, le patron s’efforçant de garantir les approvisionnements et de tenir sous contrôle le commerce local, suscitant des coopératives et incitant les ouvriers à vivre sur leur jardin, les invitant à regagner leur domicile à chaque repas. La restauration collective est longtemps réservée à des catégories limitées, les mineurs de Saint-Georges-d’Hurtières, les célibataires, les étrangers ; encore sont-ils incités à se loger et donc à se nourrir chez l’habitant. Les cantines n’apparaissent réellement à grande échelle qu’au cours des deux guerres mondiales, le patron comprenant la nécessité, dans ces situations d’urgence, pour des raisons économiques autant que sociales, d’encadrer davantage l’approvisionnement et la distribution de nourriture. Les efforts pour maintenir les dispositifs ne se poursuivent guère une fois la crise passée ; l’on en revient alors à l’exaltation du modèle familial. De leur côté, les ouvriers fréquentent les cantines parce qu’ils y ont intérêt et, dès que possible, en reviennent à des pratiques individuelles faisant peu de place aux établissements privés, cafés, crémeries et autres restaurants ouvriers. Ni le patron ni les ouvriers n’ayant intérêt à la cantine, la greffe ne prend pas avant les lendemains de la Seconde Guerre mondiale, quand la pression syndicale, celle de l’État et les mutations de la société conduisent à une substitution des politiques contractuelles aux politiques patronales traditionnelles.

Au temps du patronage : la cantine à la marge dans la seconde moitié du XIXe siècle

8Les Schneider se portent acquéreurs en 1836 des établissements du Creusot alors en faillite et une société en commandite est créée le 1er janvier 1837 avec l’appui des Sellières et des Boigues. Adolphe et Eugène Schneider, actionnaires minoritaires au départ, en sont les gérants. Ils vont en faire en quelques décennies l’une des toutes premières entreprises sidérurgiques et métallurgiques de France et d’Europe. L’entreprise connaît une croissance rapide, le nombre de hauts fourneaux passe de quatre en 1837 à dix en 1857, et la production de fer de 30 000 tonnes en 1851 à 110 000 dès 1866. Le traité de libre-échange de 1860 joue un rôle d’accélérateur, poussant Eugène Schneider à d’importants investissements. Les usines changent de dimension, les extensions industrielles sortent des limites de la commune, le groupe acquiert une dimension nationale et internationale alors que l’entreprise se tourne vers les « produits spéciaux » et la production pour l’armée [12]. L’ampleur des structures de production, les distances de plus en plus importantes qui séparent les ateliers constituent d’ailleurs des problèmes structurels pour l’organisation matérielle des repas collectifs ; même lorsqu’ils sont mis en place pendant les guerres, l’éloignement des cuisines et des lieux de service constitue un frein à l’organisation des cantines.

9Sans revenir davantage sur « l’aventure » industrielle du Creusot, bien connue, il importe d’observer la croissance rapide de la population, en particulier ouvrière, de ce qui n’était à l’origine qu’un simple lieu-dit de la commune de Montcenis. Entre 1830 et 1866 la population passe de 1 300 habitants à plus de 23 000. Elle se stabilise autour de 30 000 habitants à la fin du siècle, niveau qu’elle conserve jusque dans les années 1980 avec deux anomalies notables : une très forte hausse au lendemain de la Grande Guerre, avec 40 000 habitants dans les années 1920, et un affaissement dans la décennie suivante (29 500 habitants en 1936, 24 100 en 1946), qui ne sera compensé qu’à la fin des années 1950 [13]. Le fait que le Creusot soit un exemple caractéristique de ces cités-usines qui naissent au milieu des champs dans le contexte de la première industrialisation [14] n’est pas négligeable pour le sujet qui nous importe. Recrutée d’abord dans la campagne environnante et, plus largement, dans les zones rurales du département de Saône-et-Loire, c’est une population d’ouvriers-paysans qui peuple l’usine à ses débuts. Tous les auteurs ont montré que c’était l’une des premières clés du paternalisme qui, de manière pragmatique, pour stabiliser la main-d’œuvre, doit la loger, la nourrir, l’éduquer et la soigner. Son origine même conditionne son rapport à l’alimentation et, dans ce domaine comme dans d’autres, le patron s’appuie sur le modèle paysan pour ancrer son système.

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Le Creusot en 1900[15]

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Le Creusot en 1900[15]

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Le Creusot en 1919[15]

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Le Creusot en 1919[15]

10Au moment où le patronage schneidérien connaît son apogée, dans la seconde moitié du XIXe siècle, le système alimentaire du Creusot repose d’abord sur un petit commerce de détail et sur des marchés quotidiens qui se tiennent tour à tour dans deux quartiers de la ville, le boulevard du Guide et la place de l’Église. L’approvisionnement se fait dans les « fertiles pays environnants », grâce à « des jardiniers venus des environs de Chalon et de Beaune [qui] apportent, en grand nombre, des légumes frais et variés, suivant la saison, tandis que les habitants des villages plus rapprochés accourent vendre volailles, laitage et pommes de terre » [16]. Comme dans bien des cités industrielles, le petit commerce indépendant est largement placé, pour des raisons économiques, sociales et morales, sous le contrôle de l’entreprise. Les études sur le paternalisme et la philanthropie ont montré que les élites éclairées se sont très tôt inquiétées des pratiques usuraires et ont cherché à en protéger les couches populaires en s’efforçant de faire baisser les prix, en imposant le paiement comptant, en faisant la promotion de l’épargne et en multipliant les conseils en matière d’« économie domestique ». Dans cette logique, au Creusot comme ailleurs, l’entreprise met en place des économats puis, quand la législation les interdit en 1910, des coopératives, qui visent à « faire l’éducation du commerce local », pour reprendre la formule d’Émile Cheysson, ingénieur et directeur des forges, dans une brochure exaltant, à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867, les réalisations des Schneider [17].

11Ce procédé ordinaire de contrôle du petit commerce – qui commence dans l’usine puisque le règlement intérieur interdit à tout employé de tenir un commerce alimentaire [18] – passe donc essentiellement par ce que l’entreprise désigne comme des « coopératives », mais sur la nature desquelles il est permis de s’interroger et dont il a existé plusieurs types. Ainsi, la Société coopérative du Creusot, créée en janvier 1868, regroupe une cinquantaine de commerçants ayant signé avec l’entreprise un protocole qui leur reconnaît officiellement la qualité de « fournisseurs de l’usine ». Ils doivent afficher leurs prix, accorder à tout acheteur payant au comptant ou à trente jours, soit le délai entre deux paies, une remise de 5 % pour la viande et le vin, de 10 % pour la rouennerie, la mercerie et l’épicerie. Après trente jours, l’ouvrier rentre dans les conditions ordinaires et n’a plus droit au moindre escompte [19]. En parallèle, l’usine suscite et finance un réseau de boulangeries, de boucheries et d’épiceries coopératives dont le nombre dépasse la quinzaine dans les années 1880 et dont la gestion est confiée à des ouvriers-sociétaires [20].

12Cette logique d’approvisionnement permet de s’interroger plus directement sur les pratiques de l’alimentation au travail. On sait peu de choses sur l’alimentation dans l’atelier même. Selon la propagande de l’entreprise, déployée au moment des grandes expositions universelles et après, la direction n’aurait pas attendu la législation de 1894 et 1904 sur l’hygiène dans les ateliers pour mettre en place des « réfectoires destinés à permettre aux ouvriers de prendre leur repas à l’usine en dehors de l’atelier quand ils habitent trop loin pour retourner chez eux » [21], comme l’affirme un livre publié à la gloire des Schneider en 1912. Les deux photographies qui illustrent ce propos n’ont toutefois pas été prises au Creusot mais à Chalon-sur-Saône et à Champagne-sur-Seine. L’habitude de manger dans l’atelier, à la pause, semble d’ailleurs se maintenir durablement, comme le souligne le journaliste Jules Huret, nettement moins complaisant à l’égard du patron, qui mentionne en 1897 ceux « qui mangent sans appétit, à deux pas des brasiers, assis sur des tas de métaux, le pain que leurs mains noircissent, que la poussière poivre, que l’horrible fumée empeste » [22].

13En fait, l’entreprise a durablement privilégié l’alimentation domestique. Les règlements d’atelier ménagent d’ailleurs une longue coupure au milieu de la journée qui explique que, « deux fois par jour, un grand mouvement [ait] lieu ; à onze heures du matin et à six heures du soir, la cloche sonne, c’est l’heure de la soupe ; les ouvriers sortent à flots pressés de l’usine, marquant leur passage par un bruit inaccoutumé qui, bientôt, cesse et s’éteint. Chacun rentre chez soi pour prendre son repas et retourner au travail ou se livrer au repos si la journée est terminée » [23].

14Comme beaucoup de patrons proches des théoriciens de la réforme sociale, Frédéric Le Play ou Albert de Mun, les Schneider exaltent sans cesse l’harmonie qui règne dans la sphère domestique [24] et font de la famille le pilier de leur système. Les femmes sont invitées à rester au foyer et à s’occuper de la cuisine, hormis celles qui travaillent au triage et qui sont « surveillées » de près [25]. Après les grandes grèves de 1899-1900, les jeunes filles sont d’ailleurs dirigées vers un enseignement ménager qui vise officiellement à « éloigner les femmes de l’usine, lieu de débauche », et à leur faire « jouer un rôle de premier plan dans un souci de paix sociale » [26]. Le paternalisme se resserre alors dans son modèle familial et, parmi tout l’arsenal domestique, la gestion du repas, dans lequel doit entrer « le ragoût de la nouveauté et le condiment de la variété » [27], n’est pas complètement absente de la réflexion menée sur le confort ouvrier qui doit tempérer les ardeurs militantes. La famille constitue donc, autour de la production de son jardin, le lieu par excellence de l’alimentation, ce qui rencontre sans doute la culture paysanne de nombre d’ouvriers. Dans les années 1930 encore, le géographe Maxime Perrin remarque que

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« la journée d’usine terminée, l’ouvrier est heureux de pouvoir soigner son jardin ou son petit champ. Généralement, le jardin est attenant à la maison ; il y cultive les légumes ; il y a construit volière et clapier, abrités par quelques arbres fruitiers. Mais, très fréquemment, il s’occupe en outre d’un autre jardin plus vaste ou d’un petit champ qu’il tient en location de la Compagnie ou d’une grosse ferme située en bordure de la ville ; c’est là qu’il plante des pommes de terre et des choux ; qu’il sème des fourrages rapidement venus et vivaces. Souvent le soir on le voit ramener dans son “chariot” à deux roues ou sa brouette les légumes pour la maison, le trèfle ou la luzerne pour les lapins » [28].

16Il est difficile de déterminer le contenu de l’assiette de l’ouvrier creusotin, même si les Schneider n’ont pas complètement négligé l’éducation alimentaire de leurs employés. Soucieux de l’efficacité de leur main-d’œuvre et de sa stabilisation sociale, ils ont diffusé le modèle alimentaire mixte, rural-urbain, qui comporte « le régime habituel de toutes les villes habitées par des gens aisés ; l’usage du pain blanc, de la viande et du vin ; toutefois, il se fait une grande consommation de viande de porc, qu’il est dans les habitudes des ouvriers d’abattre eux-mêmes » [29].

17Les ouvriers du Creusot, comme ceux des forges de Montataire, dans l’Oise, bien étudiés par Le Play, préfèrent donc, de manière plus ou moins spontanée, l’alimentation en famille et seuls les groupes « marginaux » fréquentent les premiers dispositifs de restauration collective [30]. Les célibataires et les nouveaux venus ont toujours été l’objet d’une attention particulière. À partir des années 1880, des « maisons alimentaires » sont organisées pour eux, à l’image de celle ouverte dans le quartier de la Villedieu [31]. L’ouvrier, qui est un pensionnaire inscrit – on ne peut pas fréquenter autrement ce type d’établissement –, a droit au menu affiché et peut prendre des rations supplémentaires, sa dépense étant directement prélevée sur son salaire. Les menus disponibles pour l’année 1880 confirment ce que nombre d’études montrent sur l’évolution des habitudes alimentaires : le déjeuner ordinaire est un ragoût de viande avec des pommes de terre, du riz ou des pâtes alimentaires et le dîner une soupe ou un bouillon avec de la viande. Le pain est compris dans le prix des repas, fixé à 0,50 fr., mais pas le vin, vendu 0,50 fr. le litre. Cette formule, moins élaborée que dans nombre de bouillons, restaurants coopératifs et soupes populaires de l’époque, est particulièrement répétitive, l’entreprise faisant appel à des prestataires de service extérieurs qui sont en concurrence pour la fourniture des repas. L’entreprise préfère cependant à ces maisons alimentaires la pension chez l’habitant. Le pensionnaire, « l’inévitable pensionnaire », est un type creusotin que beaucoup d’observateurs ont décrit. L’ingénieur Louis Simonin l’évoque par exemple lorsqu’il mentionne « l’ouvrier célibataire qui trouve là les joies de la famille sans en avoir les inconvénients », qui « partage à prix débattu le repas et le gîte » et qui, « comme le soldat en route, [a] place au feu et à la chandelle et outrepasse volontiers ses droits » [32].

18La cantine comme lieu d’alimentation collective pendant le temps de travail n’est donc pas une réalité du Creusot. On la rencontre au XIXe siècle chez Schneider uniquement sur des sites extérieurs, acquis au fil du temps, disposant de leurs propres logiques internes comme les mines de Decize dans la Nièvre, d’Allevard dans l’Isère ou de Saint-Georges-d’Hurtières en Savoie [33]. La question alimentaire est cependant suffisamment importante pour que la direction de l’entreprise se tienne informée de ce qui se fait chez ses concurrents européens, en particulier dans la sidérurgie belge ou allemande [34]. Un réfectoire a été mis en place très tôt chez Cockerill à Seraing [35] et l’organisation de l’économat Krupp à Essen impressionne suffisamment les Schneider pour qu’ils y diligentent une grande enquête en 1901 [36]. Comme pour les aspects techniques et industriels, leur force vient de leur connaissance des pratiques des autres et de leur capacité à les adapter à la situation creusotine en les améliorant.

La naissance de la cantine au Creusot : une question de circonstances

19Au XIXe siècle, les Schneider n’aiment pas les cantines ou, plutôt, n’en ressentent pas le besoin. Dans les entreprises où elles sont introduites, elles visent d’abord à résoudre les problèmes posés pas l’éloignement entre le domicile et le lieu de travail et à accroître l’efficacité et la rationalisation de la production. Or, au Creusot, beaucoup d’ouvriers habitent à quelques pas des ateliers et les méthodes de travail changent lentement entre la fin du XIXe siècle et les années 1940. Les cantines n’apparaissent donc que lorsque les conditions familiales ne sont plus remplies ou quand l’approvisionnement de la ville devient difficile, comme lors des deux guerres mondiales avec l’arrivée massive de travailleurs d’origine étrangère et d’une main-d’œuvre temporaire moins qualifiée, souvent célibataire. Dans tous les cas, la décision du patron reste naturellement motivée par l’intérêt bien compris de ses affaires. Aider ou protéger ses ouvriers, c’est protéger l’entreprise contre cet extérieur qui en menace l’efficacité et la pérennité ou, plus exactement, l’efficacité et la pérennité du contrôle du maître de forges.

20L’ouverture d’un premier « restaurant ouvrier » a lieu en août 1917 [37]. Elle ne peut se comprendre sans être replacée dans le contexte de la politique nationale déployée autour des usines de guerre, orchestrée par le socialiste Albert Thomas, sous-secrétaire d’État puis ministre en charge de l’armement, qui en profite pour esquisser une politique contractuelle [38]. L’usine du Creusot se trouve évidemment dans une position stratégique et les plus hautes autorités de l’État lui rendent visite tout au long de la guerre, Raymond Poincaré le 16 juin 1915, Albert Thomas en septembre 1915 et surtout le 17 avril 1916, où il prononce un important discours sur la mobilisation ouvrière à un moment où, sur le plan national, la multiplication des grèves signale son affaiblissement [39]. Il n’est pas impossible que la question alimentaire ait été évoquée lors de ces visites, l’approvisionnement des usines de guerre étant au centre des préoccupations du ministre qui réfléchit à la fois en termes d’efficacité au travail et d’amélioration de la condition des travailleurs. Comme il l’écrit en 1917 :

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« Quand une usine occupe un nombre considérable d’ouvriers et d’ouvrières, dont une bonne partie […] se trouve dans l’impossibilité d’aller manger chez eux, l’usine doit leur procurer le moyen de prendre leurs repas à un prix qui ne soit pas excessif et dans des conditions de confort acceptables. […] Sans ces restaurants, l’usine est incomplète : ce n’est pas une sorte d’annexe qu’elle peut posséder ou non, selon les idées ou les tendances de la direction, c’est un organe essentiel, qui fait partie intégrante de l’usine et dont elle ne peut absolument pas être privée » [40].

22La nécessité d’ouvrir un restaurant pour les ouvriers est apparue au Creusot à la fin de l’année 1916 lorsque les affectés spéciaux ont commencé à rentrer du front [41]. Les effectifs de l’usine atteignent des sommets en 1917. Pour la première fois dans l’histoire de l’entreprise, des femmes travaillent en nombre dans les ateliers et l’on a recours, aux côtés des prisonniers de guerre, à une main-d’œuvre originaire du Sud de l’Europe ou des colonies : Portugais, « Chinois » et « Kabyles » pour reprendre la nomenclature de l’époque [42]. Un dernier élément intervient sans doute de façon déterminante dans la décision de la direction : la guerre est une nouvelle occasion pour les milieux ouvriers de tenter de battre en brèche l’autorité patronale. Malgré l’échec retentissant d’une coopérative de production ouvrière dont Jaurès avait pourtant posé la première pierre en 1900, ils cherchent à créer une coopérative alimentaire ouvrière. Le 20 janvier 1917, un meeting présidé par Achille Daudé-Bancel, secrétaire général de la Fédération nationale des coopératives de consommation, pourtant proche du modéré Charles Gide, réunit plus de 200 personnes au Creusot avec pour objectif « la création prochaine d’un restaurant coopératif » [43], ce qui est alors en parfaite harmonie avec les souhaits gouvernementaux.

23Les choix de la direction sont donc révélateurs à la fois de la nécessité immédiate et d’une forme de résistance à ce qui est vécu comme une double menace de l’État et de la base ouvrière. La structure qui se met en place n’est pas une coopérative ouvrière à l’image de celle qui a ouvert ses portes chez Renault, à Billancourt, et dont Albert Thomas ne cesse de faire la promotion. Après de longues enquêtes menées en Grande-Bretagne et à Lyon, la grande métropole toute proche, Schneider fait le choix d’un restaurant confié à un concessionnaire lyonnais, la maison Castanet-Lebrat [44]. L’établissement est situé rue de la Gare, au plein cœur de la ville, à proximité de tous les ateliers. C’est un vaste bâtiment de plus de mille places dans lequel hommes et femmes, employés, contremaîtres et ouvriers fréquentent des salles différentes selon l’usage de l’époque.

24Le « restaurant ouvrier » fournit entre 1 024 et 1 322 repas par jour d’octobre 1917 à février 1918 [45]. Lieu d’alimentation, il est aussi, dans une logique voulue par tous les réformateurs sociaux de la fin du siècle, le lieu d’une sociabilité et de loisirs très contrôlés. Des salles de lecture, placées à chaque extrémité, permettent la lecture des journaux sélectionnés par la direction ; des salles pour les jeux de boule et de quilles sont aménagées pour la détente. Le restaurant ne nourrit cependant qu’une partie limitée de la population ouvrière creusotine et chaque communauté « extérieure » dispose de ses propres cantines dans une logique qui signale les multiples lignes de ségrégation existant dans l’usine en guerre. Le restaurant de la rue de la Gare n’accueille en janvier 1918 que 17 % des ouvriers « nourris par la société », les plus nombreux à être pris en charge étant les « Chinois » (35 %), suivis des prisonniers de guerre (34 %), des « Kabyles » et des Portugais [46].

Ill. 3

Le projet de cantine de la rue Anatole France[47]

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Le projet de cantine de la rue Anatole France[47]

Collection Académie François Bourdon.

25Si le restaurant ouvrier ne prend pas la forme coopérative rêvée par le ministre, la question de l’approvisionnement de la ville inquiète suffisamment l’entreprise pour qu’elle crée la Société générale d’approvisionnements économiques (SAPECO), chargée de coordonner l’ensemble des activités de l’usine dans ce domaine et qui place de fait, et jusque dans les années 1960, les différentes coopératives sous sa tutelle [48].

26Albert Thomas avait l’ambition de mettre en place un dispositif d’alimentation ouvrière qui constituerait « les premières assises d’un vaste édifice destiné à durer même après la guerre » [49]. L’avenir du restaurant ouvrier du Creusot laisse penser que le patron ne partageait pas son analyse. En effet, si l’établissement ne disparaît pas immédiatement après l’armistice, son activité diminue rapidement et les pratiques familiales redeviennent la norme, même pour les populations d’origine étrangère qui ne représentent jamais plus de 10 % de la population, soit bien moins que dans nombre de centres industriels [50]. Aux « Chinois », Algériens et Portugais arrivés pendant la guerre, mais qui repartent en grande partie, s’ajoutent au lendemain du conflit des Italiens, des Russes et des Polonais. Cette population, arrivée dans le cadre de conventions d’État à État, est davantage composée de familles, ce qui permet de développer des pratiques domestiques et l’on voit, par exemple, à ce titre, apparaître des boulangeries et des boucheries polonaises [51]. Si les célibataires sont classiquement logés par l’usine ou chez l’habitant, le restaurant ouvrier pâtit de leur progressive intégration, les mariages mixtes n’étant pas rares. Il n’accueille plus que quinze à vingt pensionnaires à la fin des années 1920 et ferme en janvier 1931 [52].

27La Seconde Guerre mondiale est l’occasion du retour de la restauration collective dans le paysage creusotin. Le poids des circonstances, les injonctions du gouvernement de Vichy et des autorités allemandes l’expliquent largement. Depuis 1936-1937, les activités militaires du Creusot sont nationalisées et l’usine Schneider – qui produit essentiellement du matériel ferroviaire – est suffisamment stratégique pour être placée sous contrôle militaire allemand. La Mission de contrôle allemande chargée de surveiller l’usine pendant la guerre fait d’ailleurs pression pour que le repas de midi soit pris en commun. La direction refuse de céder à ces exigences au nom de « l’habitude » que les ouvriers ont de « déjeuner en famille », en arguant que cela provoquerait un important « mécontentement » parmi la main-d’œuvre [53]. Pendant la guerre, la population ouvrière diminue sensiblement du fait de la réduction de l’activité ainsi que de l’absence de nombreux prisonniers de guerre. Mais les femmes reprennent le chemin des ateliers et, surtout, dans un lieu menacé par les bombardements – la ville est touchée à deux reprises, le 17 octobre 1942 et le 20 juin 1943 –, la main-d’œuvre est invitée à se mettre à l’abri auprès de parents ou à la campagne, ce qui rend indispensable, en un temps de pénuries croissantes, la mise en place de dispositifs d’alimentation collective à proximité du lieu de travail [54].

28La situation du Creusot n’est pas originale et correspond à celle qui a été très bien décrite pour la région parisienne ou le Nord. Entre le 1er janvier 1941 et le 15 avril 1942, 65 nouvelles cantines d’usine sont créées dans les industries métallurgiques et mécaniques de la région parisienne. En novembre 1943, plus de 400 000 rationnaires pouvaient y fréquenter une cantine d’entreprise, 50 000 en Seine-et-Oise. Dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais, on comptait, fin 1942, 800 cantines d’entreprise et 18 restaurants à prix réduits financés par des entreprises [55]. Ces créations sont largement le produit d’une demande gouvernementale qui reprend les circulaires édictées pendant la Grande Guerre mais avec des intentions bien différentes, la production dans les usines françaises devant être maintenue, par fierté nationale et surtout pour satisfaire les demandes allemandes. Ainsi, une circulaire du secrétaire d’État au Travail, René Belin, datée du 16 août 1940, recommande aux patrons d’« encourager au sein des entreprises la création de cantines où les travailleurs pourraient trouver, à un prix modique, une nourriture saine », un texte à comprendre dans le contexte d’un durcissement du rationnement et dans l’esprit de ce que sera la Charte du Travail [56].

29Au Creusot, le système du « ravitaillement en commun » ou de la « nourriture en commun » commence le 6 octobre 1941. En 1942, trois cantines sont recensées dans le bassin, le restaurant ouvrier de la rue Anatole France (ex rue de la Gare), une cantine à l’usine du Breuil, dans les immenses ateliers de construction mécanique construits pendant la guerre précédente (le réfectoire du service de construction mécanique, 1re division), et une dernière à l’usine Henri-Paul à Montchanin (le réfectoire du service fonderies). Ces établissements ne fonctionnent pas tous selon la même logique. Comme pendant la première période de son histoire, la cantine de la rue Anatole France est concédée à un exploitant [57] alors qu’au Breuil, le cantinier Thomas est un salarié de l’entreprise [58]. Dans l’été 1942, elles servent plus de 1 100 repas par jour à des ouvriers qui doivent être préalablement inscrits [59].

30La Chambre professionnelle départementale de l’industrie hôtelière est chargée du ravitaillement et l’alimentation distribuée porte la marque du rationnement. La situation se dégrade au début de l’année 1942, même si les archives témoignent des efforts inlassables de la direction pour améliorer les rations et obtenir davantage de cartes de travailleurs de force. L’entreprise tente donc d’atténuer les difficultés des populations ouvrières en multipliant au plus près des ateliers les réfectoires et les « réchauffoirs » ainsi qu’en créant de nombreux jardins familiaux. Mais ces initiatives n’empêchent pas les récriminations, comme cette protestation de 108 ouvriers du Breuil le 11 mars 1942 ou celle de 354 ouvriers qui se plaignent, le 19 septembre 1942, du prix et du contenu des assiettes. Pourtant, nombreuses sont les familles qui, tout en n’appartenant pas à l’usine, réclament d’avoir accès aux cantines. En effet, la situation devient critique pour toute la population creusotine après le bombardement de juin 1943. Une cantine du Secours national est alors mise en place pour l’ensemble des sinistrés et reste ouverte jusqu’au 1er janvier 1944. Ces mesures demeurent très largement insuffisantes et la tension croissante au fil des mois dans la ville explique en grande partie les grèves qui éclatent en 1944 ; c’est pourquoi plusieurs des dispositifs organisés durant le conflit sont maintenus pendant de longs mois après la fin de la guerre [60].

Ill. 4

Le restaurant ouvrier du Creusot en 1917 : salle à manger[61]

Ill. 4

Le restaurant ouvrier du Creusot en 1917 : salle à manger[61]

Collection Académie François Bourdon.
Ill. 5

Le restaurant ouvrier du Creusot en 1917 : cuisine[61]

Ill. 5

Le restaurant ouvrier du Creusot en 1917 : cuisine[61]

Collection Académie François Bourdon.

La cantine, l’économie contractuelle et la sortie du paternalisme

31Après 1945, un nouvel âge industriel s’ouvre pour le Creusot. L’entreprise connaît d’importantes transformations de son organisation en lien avec la reconstruction de l’après-guerre et les mutations de l’industrie sidérurgique. Elle abandonne son activité d’armement, se recentre sur le transport, se diversifie dans le domaine du BTP et surtout de l’électricité, puis du nucléaire. Immédiatement après la Libération, l’entreprise étend encore ses capacités de production et participe aux grands programmes d’équipement du pays. Parallèlement, l’arrivée en 1942 à la tête de l’entreprise de Charles Schneider, animé par un esprit très différent de celui de son père, constitue un tournant dans la gestion de l’entreprise. Figure majeure de la reconstruction du pays, il développe une politique commerciale active pour exporter les produits du Creusot vers les pays en voie de développement. Il importe des États-Unis de nouvelles méthodes de rationalisation et de modernisation qui débouchent sur une diminution des effectifs de l’usine et la transformation de son équipement. Dès 1949-1950, les hauts fourneaux disparaissent et les aciéries sont électrifiées [62].

32Ces mutations industrielles et familiales s’accompagnent de profondes transformations du cadre juridique de la société. En 1949, face à la peur des nationalisations et pour permettre à la famille de conserver sa mainmise sur le groupe, la société Schneider et Cie est transformée en holding dont une filiale, la Société des forges et ateliers du Creusot (SFAC), regroupe la plus grande partie des activités sidérurgiques [63]. Outre les usines du Creusot, la nouvelle entreprise exploite les établissements d’Anzin, Chalon-sur-Saône, Lormont, en Gironde, et Saint-Étienne. À partir des années 1950, elle absorbe ou participe à diverses autres sociétés pour résister à la concurrence internationale et diversifier ses activités. Même si la mainmise de la famille sur le groupe se maintient et si l’ancien paternalisme subsiste, ce dernier entre progressivement en crise, ce qui amène à une réorganisation des façons de penser l’alimentation au travail [64].

33La période dite des « Trente Glorieuses » commence au Creusot avec la reconstruction de la ville et des ateliers, ce qui correspond par ailleurs, comme dans le reste de la France, avec l’affirmation de l’État social et l’évolution des relations au sein de l’entreprise. Comme à Clermont-Ferrand chez Michelin, les innovations ne font pas table rase des institutions antérieures et ne semblent pas bouleverser radicalement les relations entre l’usine et sa main-d’œuvre [65]. L’ordonnance du 22 février 1945 et la loi du 16 mai 1946 qui instituent les comités d’entreprises ne réalisent pas l’ambitieux projet de démocratie économique et sociale contenue dans le programme du Conseil national de la Résistance. L’objectif est d’abord d’accroître les rendements en associant les ouvriers à la gestion de l’entreprise. Dans le domaine social il s’agit de remplacer « la démarche d’assistance individuelle et privée, gérée par le patron seul » par une forme de protection davantage institutionnalisée et contrôlée par les ouvriers [66]. Les comités d’établissement se voient d’ailleurs reconnaître la gestion des œuvres sociales de l’entreprise, notamment celles qui ont trait à l’accroissement du bien-être des ouvriers, qu’il s’agisse des cantines, du logement, des colonies de vacances ou des loisirs. La gestion de l’entreprise change lentement, le paternalisme fait de la résistance alors que les syndicats ouvriers connaissent un essor remarquable dans le sillage de la Résistance. L’entreprise Schneider semble se « normaliser », bien que la période de l’après-guerre au Creusot demeure mal connue et réclame de nouvelles recherches. En matière alimentaire, le tissu de la période antérieure se maintient cependant durablement autour des coopératives de quartier et de la SAPECO, qui ne disparaissent vraiment qu’avec la révolution commerciale des années 1960-1970 et l’ouverture des premiers supermarchés [67]. La cantine de la rue Anatole France, désormais gérée par le comité d’établissement, devient un lieu important d’alimentation collective, en particulier au moment de la reconstruction de la ville.

34La modernisation de ses locaux s’impose. Dès le début des années 1950, les responsables du comité d’établissement soulignent un état de vétusté tel « qu’il n’est plus possible d’envisager des réparations » et proposent « de construire un nouveau bâtiment sur un emplacement situé à côté du bâtiment actuel » [68]. Alors que la ville tout entière est un vaste chantier, en particulier le quartier du Guide et celui des ateliers, la réflexion sur la reconstruction de la cantine s’inscrit dans la logique d’un nouvel urbanisme [69]. Son maintien sur son emplacement originel, central, souligne la pertinence du choix initial et la permanence de son utilité pratique. Des plans sont établis en 1954 pour la construction d’une salle à manger de taille plus modeste que la précédente, comportant 480 places et obéissant à des normes de construction radicalement nouvelles [70]. Contrairement aux bâtiments qui l’avaient précédé, érigés dans l’urgence des guerres, le restaurant inauguré le 20 février 1956 est une construction soignée dont l’aménagement intérieur et extérieur a longuement été débattu, et pas seulement pour des raisons financières. La séparation entre hommes et femmes, ouvriers et employés n’est plus de circonstance et les salles de lecture ou de détente disparaissent. Le bâtiment fonctionnel doit se réduire efficacement à son usage alimentaire.

35Dans les années 1950 et jusqu’au début des années 1960, cet établissement suffit à satisfaire les besoins locaux, ouvriers et employés continuant à privilégier l’alimentation domestique ou à apporter leur gamelle dans les réfectoires aménagés au plus près des ateliers [71]. Une évolution sensible se dessine au cours des années 1960. En 1962 l’entreprise lève les limitations qui pesaient depuis l’origine sur le travail des femmes. « Jusqu’à cette date, rappelle Camille Dufour, l’entreprise licenciait les femmes mariées après six mois de mariage » [72], dans une logique qui était celle de leur maintien au foyer et de leur mise à l’écart des ateliers « mal fréquentés ». À partir de ce moment, le restaurant d’entreprise, jusqu’alors essentiellement fréquenté par des hommes célibataires, accueille de plus en plus de couples mariés [73].

36Cette situation nouvelle, qui accompagne une sensible évolution des modes de vie et témoigne de l’évolution de la place des femmes dans la société et des nouveaux rapports au travail, explique que l’on envisage une augmentation de l’offre de restauration collective. L’une des premières initiatives du Comité interentreprises de gestion des œuvres sociales du site du Creusot (CIEGOS), apparu en 1970, quelques mois avant la naissance de Creusot-Loire, est de mettre à l’étude la construction d’un nouveau restaurant, rue de Chanzy, qui fonctionne encore aujourd’hui [74].

37Pendant le long siècle de son existence, le paternalisme schneidérien s’est donc globalement montré hostile au dispositif de la cantine qu’il n’a adopté que de mauvaise grâce pendant les périodes de crises exceptionnelles qu’ont été les deux guerres mondiales. En temps de paix – et de paix sociale –, l’entreprise privilégie le repas à domicile et un modèle familial fondé sur le rôle nourricier des ménagères ; la cantine est surtout destinée aux travailleurs étrangers, aux jeunes célibataires et aux travailleurs situés à la marge.

38C’est donc au moment même où la restauration collective dans les entreprises tend à se normaliser sous l’égide de l’État dans le cadre d’une économie contractuelle que l’ancien paternalisme commence à disparaître. En France, le décret du 5 octobre 1960 impose en effet aux entreprises de plus de vingt-cinq salariés de mettre à leur disposition un local de restauration, ce qui favorise la multiplication des restaurants d’entreprise.

39L’année 1960 marque un nouveau tournant dans l’histoire du paternalisme creusotin : la mort de Charles Schneider, le dernier dirigeant charismatique de l’entreprise, ouvre en effet une nouvelle phase au cours de laquelle celle-ci passe progressivement aux mains des financiers. Par ailleurs, la crise montante des industries sidérurgiques dans les années 1960-1970 amène une réorganisation du groupe, un désengagement de l’État et une marginalisation progressive du site du Creusot, manifeste notamment en 1970 avec la disparition de la SFAC et la naissance de la société Creusot-Loire. Les difficultés financières se succèdent ensuite jusqu’au dépôt de bilan en 1984.

40Alors même que le souvenir du passé usinier de la ville demeure particulièrement présent et se trouve réinvesti sous la forme de musées et d’associations, aucune mémoire locale de la cantine ne semble subsister. Pour la main-d’œuvre réticente comme pour le patronat, la cantine, à la différence des écoles, voire des activités sportives, n’était qu’un pis-aller.

Notes

  • [*]
    Maîtres de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier (UMR 7366).
  • [1]
    A. Lhuissier, Alimentation populaire et réforme sociale. Les consommations ouvrières dans le second XIXe siècle, Paris, Éd. de la Maison des sciences de l’homme/Éd. Quae, 2007.
  • [2]
    Le Tour de la France par deux enfants intitule de cette façon le paragraphe consacré au « Creuzot » (selon une orthographe en usage) tout en nuançant immédiatement dans le texte : « l’une des plus grandes ». Mais l’exaltation patriotique des années 1880 vaut bien une petite simplification pédagogique.
  • [3]
    Sur le paternalisme schneidérien on lira par exemple : C. Beaud, « Les Schneider au Creusot : un modèle paternaliste en réponse aux impératifs du libéralisme et à la montée du mouvement socialiste », in E. Aerts, C. Beaud et J. Stengers (eds.), Liberalism and paternalism in the 19th century, Louvain, Leuven University Press, 1990 ; R.-P. Parize, Le paternalisme et son influence politique au Creusot de 1899 à 1939, thèse de doctorat d’histoire sous la dir. de R. Trempé, Université Toulouse-II, 1980 ; D. Reid, “Schools and the Paternalist Project at Le Creusot, 1850-1914”, Journal of Social History, Vol. 27, No. 1, Autumn 1993, p. 129-143 ; C. Georgel, « L’économie sociale au Creusot : patronage ou paternalisme ? », in D. Schneider, C. Mathieu, P. Noteghem et B. Clément (dir), Les Schneider, Le Creusot, une famille, une entreprise, une ville (1836-1960), Paris, Fayard/Réunion des musées nationaux, 1995, p. 318-331 ; K. Bretin-Maffiuletti « Les loisirs sportifs en milieu de grande industrie : sport, patronat et organisations ouvrières au Creusot et à Montceau-les-Mines (1879-1939) », Le Mouvement Social, n°226, janvier-mars 2009, p. 49-66.
  • [4]
    Selon la formule de Jean Frégnac, spécialiste de la rationalisation du travail et conseiller de la direction de Schneider à la Libération. Témoignage recueilli au Creusot le 15 mars 2013.
  • [5]
    Dans l’ordre chronologique du débat : M. Perrot, “The Three Ages of Industrial Discipline in Nineteenth-Century France” in J. Merriman (ed.), Consciousness and Class Experience in Nineteenth-Century Europe, New York, Holmes & Meier, 1979, p. 149-168 ; Y. Schwartz, « Pratiques paternalistes et travail industriel à Mulhouse au XIXe siècle », Technologies, idéologies et pratiques, vol. 1, n°4, octobre-décembre 1979, p. 9-77 ; D. Reid, “Industrial Paternalism : Discourse and Practice in Nineteenth-Century French Mining and Metallurgy”, Comparative Studies in Society and History, Vol. 27, No. 4, October 1985, p. 579-607 ; G. Noiriel, « Du “patronage” au “paternalisme” : la restructuration des formes de domination de la main-d’œuvre ouvrière dans l’industrie métallurgique française », Le Mouvement Social, n°144, juillet-septembre 1988, p. 17-35 ; A. Gueslin, « Le paternalisme revisité en Europe occidentale (seconde moitié du XIXe, début XXe siècle) », Genèses, n°7, mars 1992, p. 201-211.En ligne
  • [6]
    A. Gueslin, « Le paternalisme revisité… », art. cité, p. 202.
  • [7]
    Ibid., p. 205.
  • [8]
    P. Fridenson, « Les transformations des pratiques de subordination dans les entreprises et l’évolution du tissu productif en France », in H. Petit et N. Thévenot (dir.), Les nouvelles frontières du travail subordonné. Approche pluridisciplinaire, Paris, La Découverte, 2006, p. 21-46.
  • [9]
    Deux exemples parmi d’autres de ces relectures : A. Cottereau, « Droit et bon droit. Un droit des ouvriers instauré puis évincé par le droit du travail (France, XIXe siècle) », Annales HSS, n°6, novembre-décembre 2002, p. 1521-1557 ; P. Lefebvre, L’invention de la grande entreprise. Travail, hiérarchie, marché, France, fin XVIIIe-début XXe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2003.
  • [10]
    Y. Cohen, Le siècle des chefs. Une histoire transnationale du commandement et de l’autorité (1890-1940), Paris, Éd. Amsterdam, 2013, p. 244-245.
  • [11]
    Témoignage de Camille Dufour, ouvrier et militant syndical (CFTC-CFDT) chez Schneider, puis maire socialiste du Creusot (1977-1995). Témoignage recueilli au Creusot le 15 mars 2013.
  • [12]
    C. Devillers, Le Creusot : naissance et développement d’une ville industrielle, 1782-1914, Seyssel, Champ Vallon, 1981 ; C. Beaud, « L’innovation des établissements Schneider (1837-1960) », Histoire, économie et société, vol. 14, n°3, 3e trimestre 1995, p. 501-518 ; L. Bergeron, Le Creusot : une ville industrielle, un patrimoine glorieux, Paris, Belin/Herscher, 2001 ; J.-P. Passaqui, La stratégie des Schneider : du marché à la firme intégrée (1836-1914), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006.
  • [13]
    Voir les enquêtes de Patrice Bourdelais : « L’industrialisation et ses mobilités (1836-1936) », Annales ESC, n°5, septembre-octobre 1984, p. 1013 ; id., « Rythmes et modes de formation de la population du Creusot, 1836-1876 », in J.-P. Bardet, F. Lebrun et R. Le Mée (dir.), Mesurer et comprendre. Mélanges offerts à Jacques Dupâquier, Paris, Presses universitaires de France, 1993, p. 45-64.
  • [14]
    A. Dewerpe, « Travailler chez Schneider », in D. Schneider et al. (dir.), Les Schneider, Le Creusot…, op. cit., propose un tableau de l’évolution des effectifs ouvriers des usines du Creusot : de 1 850 ouvriers en 1838 à 11 884 en 1929. Source : Académie François Bourdon [désormais AFB], Dd 12-030, Étude démographique sur le Creusot, avril-mai 1929.
  • [15]
    Source : M. Perrin, « Le Creusot », Annales de géographie, t. 43, n°243, 1934, p. 255-274. Nous avons ajouté sur le second plan la localisation du restaurant ouvrier rue de la Gare, rebaptisée Anatole France.
  • [16]
    N. Vadot, Le Creusot, son histoire, son industrie, Le Creusot, Pautet, 1875, p. 159-160. Voir aussi É. Cheysson, Le Creusot. Condition matérielle, intellectuelle et morale de la population, institutions et relations sociales, Paris, Impr. de P. Dupont, 1869, p. 7.
  • [17]
    É. Cheysson, Le Creusot…, op. cit., p. 7.
  • [18]
    Voir le témoignage de J. Forest, L’Emprise, Paris, La Pensée universelle, 1971.
  • [19]
    AFB, SS 0229-02, Avis aux consommateurs ; projet d’organisation d’une société coopérative au Creusot (1867-1868).
  • [20]
    AFB, SS 0282-A-12, Pain, maisons alimentaires.
  • [21]
    Schneider et Cie, Les Établissements Schneider. Économie sociale, Paris, Impr. de Lahure, 1912, p. 100 : « Les réfectoires […] sont aménagés de manière à en rendre le séjour aussi pratique et hygiénique que possible. Ils comportent des séries de casiers pour déposer les “paniers”, des lavabos et des appareils, de systèmes divers, permettant de cuire ou de réchauffer certains mets. La propreté de ces réfectoires est assurée par un agent spécial ; les tables qui doivent être lavées après chaque repas sont en ciment armé ou bien recouvertes de zinc. »
  • [22]
    J. Huret, Enquêtes sur la question sociale en Europe, Paris, Perrin, 1897, p. 21-22.
  • [23]
    N. Vadot, Le Creusot…, op. cit., p. 159. Alain Dewerpe a examiné le règlement des ateliers de construction de 1850 : « Travailler chez Schneider », in D. Schneider et al. (dir.), Les Schneider, Le Creusot…, op. cit., p. 199.
  • [24]
    Schneider et Cie, Les Établissements Schneider…, op. cit.
  • [25]
    É. Cheysson, Le Creusot…, op. cit., p. 11.
  • [26]
    J. Fontaine, La scolarisation et la formation professionnelle des filles au pays de Schneider (1844-1942), Paris, L’Harmattan, 2010, p. 12 et 224. L’école ménagère du Creusot fonctionne de 1906 à 1942 : quatre écoles sont ouvertes en 1906, 1909, 1910 et 1912.
  • [27]
    Schneider et Cie, Les Établissements Schneider…, op. cit., p. 75. Citation d’un article du Radical de 1902.
  • [28]
    M. Perrin, « Le Creusot », art. cité, p. 272-273.
  • [29]
    N. Vadot, Le Creusot…, op. cit., p. 160.
  • [30]
    Ainsi l’enquêteur leplaysien écrit-il : « La cantine est peu fréquentée par les ouvriers stables, qui préfèrent prendre leurs repas en famille ou apporter de chez eux les aliments qu’ils doivent consommer pendant la durée du travail. Elle est surtout utile aux ouvriers nouveaux et aux célibataires isolés ; encore ces derniers sont-ils très attirés par les logeurs, qui cherchent toujours à fournir à leurs locataires la nourriture et les boissons, parce qu’ils y trouvent une source de gros profits ». M. Bertheault, « Charron des forges et fonderies de Montataire (Oise) », in F. Le Play (dir.), Les Ouvriers des deux mondes. Études sur les travaux, la vie domestique et la condition morale des populations ouvrières des diverses contrées et sur les rapports qui les unissent aux autres classes publiées par la Société internationale des études pratiques d’économie sociale, 2e série, t. 1, 1887, p. 147 et 170-171.
  • [31]
    AFB, SS 0282-A-12, Pain, maisons alimentaires. Nous disposons d’un inventaire : AFB, 01 GO 896, Inventaire au 1er mai 1887.
  • [32]
    L. Simonin, La grande industrie française. L’usine du Creusot, Paris, E. Lacroix, 1866, p. 26-27.
  • [33]
    AFB, 187 AQ 522, Cantines aux mines d’Allevard et de Saint-Georges. La concession de Decize est acquise en 1869, celle d’Allevard en 1874 et celle de Saint-Georges en 1875.
  • [34]
    U. Thoms, “Industrial canteens in Germany, 1850-1950”, in M. Jacobs et P. Scholliers (eds.), Eating Out in Europe : Picnics, Gourmet Dining and Snacks Since the Late Eighteenth Century, Oxford, Berg, 2003, p. 351-372.
  • [35]
    Anonyme, Résultats de l’enquête ouverte par les officiers du corps des mines sur la situation des ouvriers dans les mines et les usines métallurgiques de la Belgique, Bruxelles, Bruylant-Christophe, 1869.
  • [36]
    AFB, SS 0804-02, Descriptif de l’économat de la maison Krupp, 1901 ; E. Monthaye (Lieut.-col.), Krupp à l’exposition de Chicago de 1893, Bruxelles, C. Mucquardt, 1894, p. 137.
  • [37]
    M. Baum, Le restaurant ouvrier Schneider du Creusot en 1917 : de la mesure de guerre à l’œuvre paternaliste, mémoire de Master 1 sous la dir. de S. Gacon, Université de Bourgogne, 2011.
  • [38]
    Voir l’article de Xavier Vigna dans ce numéro.
  • [39]
    Nous disposons de nombreux comptes rendus de ces visites et en particulier de deux albums photographiques de la collection privée d’Albert Thomas déposés à la Bibliothèque nationale de France (département Estampes et photographie, 4 VE 1524 et 1525) et consultables en ligne sur Gallica : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84328468/ et http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84324479/.
  • [40]
    Bulletin des usines de guerre, 6 août 1917. Une commission pour l’organisation des cantines des usines de guerre présidée par André Citroën est en place en 1917.
  • [41]
    Sur les travaux préparatoires et les enquêtes, la source principale est AFB, SS 0575-04. Une loi adoptée le 26 juin 1915 renvoie en effet à l’arrière, comme « affectés spéciaux » dans les usines d’armement considérées comme stratégiques, environ 500 000 ouvriers qualifiés mobilisés en 1914.
  • [42]
    Sur Le Creusot pendant la guerre : D. Schneider et al. (dir.), Les Schneider, Le Creusot…, op. cit., p. 188 ; sur la mobilisation des femmes pendant la guerre : L. Lee Downs, L’inégalité à la chaîne. La division sexuée du travail dans l’industrie métallurgique en France et en Angleterre (1914-1939), Paris, Albin Michel, 2002, p. 81-86.
  • [43]
    AFB, SS 0575-04, Schneider et Cie, restaurants ouvriers : convention relative à l’exploitation d’un restaurant ouvrier ; états mensuels ; rapport de mission ; bâtiment, tarifs, recettes. 1916-1938.
  • [44]
    Voir AFB, SS 0575-04, et M. Baum, Le restaurant ouvrier Schneider du Creusot, op. cit., p. 55-63.
  • [45]
    AFB, SS 0575-04.
  • [46]
    Chiffres cités par M. Baum, Le restaurant ouvrier Schneider du Creusot, op. cit., p. 146.
  • [47]
    AFB, SS 1108.
  • [48]
    AFB, 187 AQ 538-C-28, Direction administrative, comptabilité centrale, service trésorerie. Sociétés diverses : Société générale d’approvisionnements économiques (SAPECO), gestion de la participation de Schneider et Cie (1917-1961).
  • [49]
    Bulletin des usines de guerre, 6 août 1917.
  • [50]
    M. Perrin, « Le Creusot », art. cité, p. 270-271.
  • [51]
    Ibid.
  • [52]
    M. Baum, Le restaurant ouvrier Schneider du Creusot, op. cit., p. 108.
  • [53]
    AFB, SS 0824-02, Procès-verbal de la réunion du 21 août 1941, 27 août 1941 ; SS 0937-04, Schneider et Cie, affaires sociales : mission allemande, 1942-1943 ; SS 0642, Schneider et Cie, guerre : cantine pour l’usine, 1941-1945.
  • [54]
    C. Capuano, « Travailler chez Schneider sous l’Occupation. Le cas des usines Schneider du Creusot », in C. Chevandier et J.-C. Daumas (dir.), Travailler dans les entreprises sous l’Occupation, actes du colloque de Dijon et Besançon, juin et octobre 2006, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, Les Cahiers de la MSH Ledoux, 2007, p. 187-207 ; F. Berger, « La société Schneider face au travail obligatoire en Allemagne », ibid., p. 67-86.
  • [55]
    F. Grenard, « La question du ravitaillement dans les entreprises françaises : insuffisances et parades », ibid., p. 395-410.
  • [56]
    AFB, SS 0642.
  • [57]
    Le concessionnaire s’appelle Jean Bouillon. AFB, SS 0642.
  • [58]
    AFB, SS 0642, Note de service du 24 septembre 1941. On sait qu’il touche un salaire mensuel de 1 800 francs en novembre 1941. La cantine de l’usine Henri-Paul semble exploitée directement, bien que les archives ne permettent pas de trancher sur ce point.
  • [59]
    AFB, SS 0642. En juillet 1942, on dispose d’une note qui indique 1 123 repas par jour soit 26 726 par mois.
  • [60]
    AFB, SS 0642. Une note du 11 septembre 1945 précise le fonctionnement des cantines, qui reste sensiblement celui qui a existé pendant toute la guerre.
  • [61]
    AFB, SS 0576-03, Schneider et Cie, usine du Creusot, œuvres sociales, gestion du personnel ; restaurant ouvrier rue de la Gare au Creusot, l’une des deux grandes salles à manger, le 27 avril 1918.
  • [62]
    T. de la Broise et F. Torrès, Schneider, l’histoire en force, Paris, De Monza, 1996.
  • [63]
    Les archives de la SFAC sont en partie conservées au Centre des archives du monde du travail à Roubaix, sous la cote 167 AQ, et à l’AFB, au Creusot, sous la cote 187 AQ.
  • [64]
    N. Mauchamp, « Paternalisme et sortie du paternalisme au Creusot », in T. et N. Lowit, D. Martin et al., Modernisation des entreprises en France et en Pologne : les années 1980, Paris, L’Harmattan, 1996, p. 83-101.
  • [65]
    P. Quincy-Lefebvre, « Le système social Michelin de 1945 à 1973 ou l’épuisement d’un modèle », in A. Gueslin (dir.), Les hommes du pneu : les ouvriers Michelin à Clermont-Ferrand de 1940 à 1980, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1999, p. 93-219.
  • [66]
    Au Creusot, où les usines appartiennent à un grand groupe, on parle de comité d’établissement. Sur les CE : M. Bertou, M. Cohen, J. Magniadas, Regards sur les CE à l’étape de la cinquantaine, Montreuil, Vie Ouvrière éd., 1997 ; J.-P. Le Crom, L’introuvable démocratie salariale. Le droit de la représentation du personnel dans l’entreprise (1890-2002), Paris, Syllepse, 2003 ; A. Leménorel, « Les comités d’entreprise et le social : paternalisme, néopaternalisme, démocratie (1945-1990) », in A. Gueslin et P. Guillaume (dir.), De la charité médiévale à la sécurité sociale, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 1992, p. 248.
  • [67]
    Témoignage de Camille Dufour recueilli au Creusot le 15 mars 2013.
  • [68]
    AFB, SS 1108, Cantine et coopérative rue Anatole France (1952-1958).
  • [69]
    M. Bouillon, Le Creusot. Regards sur le passé, t. 4, La reconstruction (1945-1970), Le Creusot, Nouvelles éditions du Creusot, 2008.
  • [70]
    Le comité d’établissement du 5 novembre 1953 examine les plans et propose des aménagements, en particulier au niveau de la cuisine. AFB, SS 1108, loc. cit.
  • [71]
    On dispose par exemple d’un plan de réaménagement du vestiaire et du réfectoire du « refuge central » daté du 10 février 1948 : AFB, SS 1103, Équipement social usine du Creusot (1947-1948). Il s’agit cependant d’un local de très faible taille ne réservant que quelques places aux ouvriers qui pouvaient faire réchauffer leurs plats et trouvaient une table.
  • [72]
    Correspondance avec les auteurs du 25 juin 2013.
  • [73]
    Sur le plan de 1954, on compte deux cabines de WC pour les femmes contre six pour les hommes…
  • [74]
    AFB, 01 MDL 0079, Comité interentreprises de gestion des œuvres sociales du site du Creusot (CIEGOS) : mise en place, statuts, procès-verbaux des réunions, frais de fonctionnement, convention de location des bureaux rue de Chanzy et du restaurant d’entreprise de Chanliau, règlement intérieur du comité d’établissement de l’usine du Creusot du 15 janvier 1969. AFB, 01 D 0133-03, Creusot-Loire : permis de construire n°50610 pour le restaurant d’entreprise Chanliau (rue de Chanzy).
Français

L’évolution des formes prises par l’organisation de l’alimentation constitue un observatoire privilégié pour penser le paternalisme et ses reconfigurations entre le milieu du XIXe siècle et la période dite des « Trente Glorieuses ». Au Creusot, le paternalisme des Schneider s’est globalement montré hostile au dispositif de la cantine qu’il n’a adopté que de mauvaise grâce pendant les périodes de crises exceptionnelles, notamment les deux guerres mondiales. Durant les périodes de paix sociale, l’entreprise privilégie le repas à domicile et un modèle familial fondé sur le rôle nourricier des ménagères. La cantine est surtout destinée aux travailleurs étrangers, aux jeunes célibataires et aux travailleurs situés à la marge. C’est donc au moment même où la restauration collective dans les entreprises tend à se normaliser sous l’égide de l’État dans le cadre d’une économie contractuelle que l’ancien paternalisme commence à disparaître. En France, le décret du 5 octobre 1960 impose en effet aux entreprises de plus de 25 salariés de mettre à leur disposition un local de restauration, ce qui favorise la multiplication des restaurants d’entreprise.

Stéphane Gacon
François Jarrige [*]
  • [*]
    Maîtres de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne, Centre Georges Chevrier (UMR 7366).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 12/06/2014
https://doi.org/10.3917/lms.247.0027
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