CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le 15 juillet 1850, l’Assemblée nationale discute d’un amendement à la loi sur la presse proposé par un député catholique et conservateur, M. de Riancey, destiné à taxer d’un centime supplémentaire chaque numéro de journal publiant des romans-feuilletons. Riancey entend ainsi lutter contre cette « littérature bâtarde » qui « a fini par envahir et dominer la presse sérieuse », attaquant non seulement « les dogmes et les croyances » mais aussi « la famille, le foyer domestique, l’autorité paternelle » [1]. Riancey cherche à séparer la presse politique, pour laquelle il se sent « beaucoup d’affection et de respect », de cette « industrie » qui dégrade la presse. Émile de Girardin, député et directeur de La Presse, qui a été le premier, en 1836, à introduire des romans en feuilletons dans ses colonnes, prend la parole pour combattre l’amendement, soulignant qu’il ne s’agit que d’un rétablissement détourné de la censure. Théodore Bac vient l’appuyer mais, au terme d’une brève discussion, l’amendement Riancey, soutenu par le gouvernement, est adopté par 351 voix contre 252.

2Au cours de la discussion, quelques voix se sont élevées des bancs de la gauche pour traiter M. de Riancey de « Rodin ». Ce mot d’esprit, relevé aigrement par le Président de l’Assemblée, renvoie au jésuite maléfique du roman-feuilleton d’Eugène Sue, Le Juif Errant, qui avait été publié dans Le Constitutionnel en 1844-1845. Le qualificatif anticlérical des députés de gauche suggère ironiquement combien, effectivement, et plus encore que ne le dit Riancey, le roman-feuilleton a pu jouer un rôle dans le débat public au cours des dernières années : loin d’être seulement une « industrie très productive » minant la discussion politique, il est intervenu directement, en tant que tel, dans le débat public – en donnant par exemple à une idée la force d’un personnage. Le vote rapide de l’amendement clôt la discussion. Les lois sur la presse des années 1849 et 1850, rognant progressivement la liberté accordée en février 1848, ont été l’occasion de nombreuses passes d’armes entre le parti de l’Ordre et l’opposition – l’un des épisodes les plus célèbres demeurant le discours de Victor Hugo, quelques jours plus tôt, contre l’augmentation du cautionnement et en faveur de la « presse populaire des petits livres », « ce pain à bon marché de toutes les intelligences » [2].

3En ce mois de juillet 1850, un député reste curieusement muet dans le débat : il est pourtant, plus encore que Girardin, interpellé par cette censure politique du roman-feuilleton qui ne dit pas son nom. C’est Eugène Sue, créateur de Rodin et député de Paris depuis le 28 avril : il vote contre l’amendement Riancey, mais ne dit mot, en dépit de l’hommage (et de l’invite ?) rendu par l’apostrophe anti-jésuite de ses collègues.

4Son élection à Paris le 28 avril 1850 contre le candidat du parti de l’Ordre, Leclerc, avait pourtant eu valeur de symbole : obtenue grâce aux arrondissements populaires de la capitale, la victoire du romancier signifiait l’alliance du peuple et de la bourgeoisie républicaine et la possibilité d’une victoire des républicains et des socialistes réunis aux élections de 1852. Dans les faits, elle fut surtout le prétexte à une révision du suffrage universel, votée dès le mois de mai, qui excluait du vote tous les hommes ne pouvant prouver une résidence fixe de plus de trois ans. Quant à Sue, il ne prit jamais la parole à l’Assemblée jusqu’au moment où il la quitta, avec bien d’autres, à la suite du coup d’État.

5Dans l’histoire glorieuse des hommes de plume engagés dans le combat pour la liberté au xixe siècle, le moment parlementaire de la vie d’Eugène Sue constitue donc un événement singulier. À la différence de Hugo et de Lamartine, cet écrivain-là s’est montré incapable de se transformer en tribun. On peut voir dans ce mutisme l’achèvement de l’illusion lyrique qui aurait caractérisé la révolution de 1848. Les explications psychologiques et biographiques ne manquent pas non plus. L’ancien dandy converti au socialisme était, tout d’abord, aux dires de son demi-frère, Ernest Legouvé, un homme réservé : « il était timide ! si timide que […], nommé représentant, il n’osa jamais dire un mot à la Chambre et que, forcé de lire tout haut un rapport d’une demi-page, il supplia un de ses collègues de faire du bruit pendant qu’il parlerait, pour qu’on ne l’entendît pas » [3]. C’est aussi, suppose son biographe Jean-Louis Bory, qu’à 46 ans Sue était déjà un homme fatigué, usé par une vie mondaine et sentimentale intense doublée d’une activité d’écriture incessante et prolifique – la seconde ayant, au juste, remplacé la première au cours des années 1840 [4]. Indépendamment de ces considérations difficilement vérifiables, faute de documentation accessible sur Eugène Sue, le cas du romancier peut conduire à reconsidérer le lien, donné souvent pour évident et caractéristique du premier xixe siècle, entre magistère de plume et action politique, à l’Assemblée ou sur les barricades. Le refus, ou l’incapacité, d’Eugène Sue d’entrer dans le jeu parlementaire, alors même qu’il avait accepté d’être désigné comme le candidat unique d’une élection stratégique pour sa famille politique, interroge de manière aiguë ce lien entre autorité littéraire et autorité politique. La décevante carrière politique de Sue permet de revenir sur les formes et les fondements de l’intervention des écrivains dans le débat public avant 1848, loin des images glorieuses des « mages romantiques » engagés en politique, comme Lamartine et Hugo, auxquels Sue ne s’est jamais identifié [5]. Elle fait également apparaître combien, dès le milieu des années 1840, le sens et les formes de l’engagement politique des écrivains pouvaient être âprement discutés chez les socialistes.

6En 1844, Eugène Sue écrivait de la poésie des ouvriers qu’elle proposait une « représentation poétique » du peuple propre à pallier l’absence de représentation politique [6]. Le terme vaut également pour sa propre écriture, et cette capacité de représentation littéraire du peuple constitue le cœur de son identité d’auteur à partir de la publication des Mystères de Paris en 1842. On verra ici dans un premier temps comment, à partir de 1842-1843, Sue invente une manière très personnelle d’être le représentant du peuple dans le monde de l’écrit. La conquête et la conservation de cette position, qu’il partage notamment avec George Sand, s’appuient sur un certain nombre de liens, de gestes, de pratiques que nous tâcherons ensuite de décrire. Loin de tout sacerdoce et de la verticalité d’aucune élection, Sue s’inscrit dans l’horizontalité des réseaux et des solidarités socialistes, toujours prompt à s’engager pour des causes concrètes, à prêter de l’argent, à donner de sa personne, à se faire propagandiste à coup de brochures et de dialogues pédagogiques. Comme à George Sand, cette activité d’écriture lui donne un rôle dans la nébuleuse socialiste [7] : elle fait de lui, au sens le plus concret du terme, un représentant du peuple dans l’espace médiatique, un intermédiaire avec les puissants. Mais le passage à la représentation politique, sous la Seconde République, n’avait aucun caractère d’évidence, ni pour Eugène Sue ni pour une partie de la famille socialiste.

Eugène Sue, mage romantique ?

7On connaît le modèle proposé par Paul Bénichou : les premières décennies du xixe siècle verraient l’avènement d’un « nouveau pouvoir spirituel laïc », celui des écrivains, venant partiellement se substituer au pouvoir spirituel des prêtres. La parole de Dieu contre la parole du Poète ? Dans cette dernière, c’est l’homme, et non Dieu, qui tient la première place : « l’autorité laïque », qui « peut être considérée, en dernière analyse, comme une dépossession de la religion par la littérature », n’a la force d’aucune autorité spirituelle. S’il y a transfert de sacralité du prêtre vers l’écrivain, c’est donc au prix d’une considérable déperdition d’autorité : la littérature est « le sacerdoce d’un temps qui ne croit plus aux prêtres, qui n’accepte le divin que sous bénéfice de doute et de liberté critique » [8].

8Paul Bénichou trouve dans les volumes de correspondances, dans les mémoires et surtout dans les œuvres littéraires elles-mêmes les traces du « mouvement des idées » qui modifient le statut de l’homme de lettres. Mais il laisse ouverte la question, fondamentale pour l’histoire sociale de la littérature, de « ce que pensaient le ou les publics de chaque moment du passé touchant les types, situations, énoncés de valeurs, axiomes, qui fournissent leur substance aux œuvres littéraires contemporaines » [9]. Dans un raisonnement circulaire qui reprend la conception de la littérature promue par les romantiques eux-mêmes, Paul Bénichou choisit « de prendre la littérature elle-même pour témoin principal des suggestions qu’elle a reçues de l’esprit public » [10]. Voici donc la société plaçant elle-même un nouveau pouvoir entre les mains des écrivains. Quant à la réception de ce magistère proclamé, la question relève des mystères de « la psychologie sociale ». Cependant il faut bien tenter de comprendre ce qui se joue entre ces écrivains qui publient et le public qui lit leurs œuvres pour cerner les contours de cette « nouvelle autorité ». Quelques travaux ultérieurs à ceux de Paul Bénichou sont venus préciser ce processus. Dans une étude centrée sur l’homme de lettres romantique, José-Luis Diaz s’est ainsi attaché à décrire le processus d’engendrement imaginaire de l’écrivain dans les œuvres : les « scénographies auctoriales » fabriquent quantité d’images de l’espace littéraire, de l’identité, des rôles et des fonctions des auteurs comme du public et des lecteurs [11]. Mais on connaît mal la manière dont les lecteurs du premier xixe siècle reçurent les conceptions de la littérature diffusées par les apôtres de la révolution romantique ou ces images grandioses de l’Auteur promues par les œuvres et les discours sur les œuvres (depuis l’appareil paratextuel proliférant des préfaces et autres avertissements au lecteur jusqu’au tout-venant de la critique littéraire dans les journaux).

9Plusieurs séries de traces autorisent à envisager ces processus par le bas : l’histoire de l’imprimé et la bibliographie matérielle, s’attachant à décrire les formes concrètes de publication et de diffusion des œuvres, saisissent, du côté de la presse et de la librairie, la promotion de la figure de l’Auteur. On mesure alors la tension entre l’exaltation de la figure du poète et du ministère politique et social de l’homme de lettres d’une part et les contraintes imposées par le marché de l’imprimé à tous les jeunes aspirants à l’écriture et à la prise de parole publique d’autre part : la difficulté de publier des vers, le primat donné au roman par les libraires dès la Restauration, les servitudes de l’écriture de presse heurtent les espérances de beaucoup et nourrissent, entre autres, les excentricités désenchantées des Jeunes France comme la revendication précoce à l’autonomie de l’art. D’autres sources, insuffisamment explorées, permettraient de décrire des pratiques associées à l’exaltation de la figure de l’écrivain : la collection d’autographes, fréquente dans les albums des femmes de la bonne société, les formes du pèlerinage et de la visite au grand homme ainsi que tous les menus objets de la célébrité, tels les portraits de poètes disséminés par l’industrie de la gravure (et moqués par Balzac, pour leur infidélité effrontée, dans Modeste Mignon[12]) ou les objets de consommation courante inspirés par certains succès littéraires (vaisselle, tabatières, éventails, jeux de société). Autant de modalités matérielles de la présence des écrivains dans l’espace public, qui nous échappent aujourd’hui et qui aideraient à mieux comprendre ce qu’a pu signifier ce nouveau magistère de l’homme de lettres.

10Les courriers de lecteurs « ordinaires » ont, dès la seconde moitié du xviiie siècle, fait partie du répertoire des nouvelles formes de consécration des écrivains [13]. Largement exhibées par Rousseau à l’époque du succès de la Nouvelle Héloïse, ces lettres situent la légitimité de l’homme de lettres non plus dans sa capacité à rendre des services de plume et dans sa relation avec le prince, les puissants ou ses pairs [14], mais dans le lien établi avec le public élargi issu de la diffusion de l’alphabétisation et de la multiplication des moyens d’accès à l’imprimé (salons et cabinets de lecture, formats bon marché, presse). À la suite de Rousseau, bien des écrivains, de Chateaubriand à Balzac ou George Sand, ont valorisé cette pratique : l’autorité de l’écrivain tient alors à son influence, par le seul relais de la feuille imprimée, sur l’expérience individuelle de centaines de lecteurs anonymes. C’est ici que s’articulent la capacité des écrivains à intervenir dans le débat public et le rôle de la littérature dans le processus de promotion de l’individu et du sens de l’intime. L’hypothèse du transfert de sacralité du prêtre vers l’écrivain prend alors tout son sens : en un temps de vacillement collectif des certitudes religieuses, Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre puis George Sand, ont été tenus comme des guides, capables, précisément, de répondre aux tourments moraux et spirituels de leurs lecteurs.

11Le contenu des courriers de lecteurs, les modalités de leur exhibition publique ainsi que les liens noués par l’écrivain avec certains de ses correspondants permettent donc de comprendre la construction et la socialisation de cette nouvelle forme d’autorité « littéraire » – liée au fait d’écrire et de publier des textes reconnus comme littéraires par les contemporains. Dans le cas qui nous intéresse ici, le courrier des lecteurs adressé à Eugène Sue à partir du succès des Mystères de Paris en 1842 renvoie précisément au double aspect des pouvoirs de l’écrivain, engagé dans le débat public en même temps qu’instituteur du « moi » du lecteur. L’épanchement singulier auprès de l’écrivain prend les inflexions de la complainte sociale : identifiant l’auteur des Mystères de Paris au héros principal du roman, le généreux prince Rodolphe, bien des lecteurs imaginent Eugène Sue en prince des malheureux, confident et sauveteur potentiel de toutes les misères et de toutes les injustices [15]. D’autres lecteurs, sensibles à la dimension philanthropique du roman-feuilleton, encouragent Eugène Sue dans sa dénonciation des injustices et dans la promotion de projets réformateurs. Le modèle du mage romantique certes, n’est pas absent, ni chez cette lectrice qui sacre Eugène Sue en « poète », « entre Hugo et Lamartine, ces deux beaux génies du xixe siècle » [16], ni chez les lecteurs socialistes qui célèbrent l’avènement d’un nouveau « prophète », « apôtre » et « poète sacré » [17]. Mais au-delà de ces célébrations, auxquelles Eugène Sue n’a jamais donné écho, c’est sur sa double capacité à recueillir la parole des malheureux et à rendre publiques les injustices que Sue assoit son autorité.

12La manière dont Eugène Sue joue de ce courrier est en effet un élément central de la construction de sa position d’écrivain à partir de 1843. En juin 1842, lorsqu’il commence à publier les Mystères de Paris en feuilleton dans le Journal des Débats, Eugène Sue est un écrivain à la mode, dont le précédent roman de mœurs, Mathilde, a connu un grand succès dans le feuilleton de La Presse. Dandy en vue, fameux pour ses conquêtes féminines et son goût du comfort, Sue a débuté en littérature, au début des années 1830, avec une série de romans maritimes dans le goût de Fenimore Cooper [18]. Rien dans sa position n’indique alors qu’il vise le magistère du grand écrivain : il n’écrit pas de vers, ne participe pas aux débats sur le romantisme, n’intervient ni dans les grandes revues – sauf pour y publier des fictions – ni dans le débat politique. On le voit plutôt faire assaut de modestie, non sans une certaine ironie à l’égard de ses pairs : dans la préface écrite en 1831 pour Plik et Plok, l’auteur prétend vouloir « se glisser inaperçu parmi le monde littéraire » en ce temps de « concentration profonde qui captive tous les intérêts dans un ordre d’idées hautes et graves ». Il n’aspire, affirme-t-il, qu’à « une décente réputation négative », « un certificat de vie littéraire », envisageant avec gourmandise « l’avenir calme, la douce et paresseuse quiétude [des] gras chanoines de la littérature » [19].

13En 1842, les Mystères de Paris, avec leurs représentations des bas-fonds parisiens, leurs personnages à la moralité incertaine et leur argot, font scandale : une grande partie de la presse crie à l’attentat contre la pudeur et le bon goût littéraire, tandis que l’on se désole de l’espèce de frénésie qui semble avoir saisi le public. Pour la majorité de la critique, les outrances morales et langagières de Sue sont bien l’illustration frappante des dérives de la « littérature industrielle » – le terme a été lancé par Sainte-Beuve en 1839 [20] – et la preuve que le feuilleton a tué la littérature. Pour une partie du public, le roman suggère pourtant tout autre chose : c’est la peinture mélodramatique certes, mais vraie, de la condition des classes populaires. Cette interprétation du roman apparaît dans la presse fouriériste dès le mois de juin 1842 et provoque sans doute une rencontre entre Sue et Victor Considérant [21]. Le tableau de la mansarde des Morel, publié en décembre, est considéré comme un vibrant plaidoyer contre les injustices sociales. Lorsque Sue entame la rédaction et la publication de la deuxième partie du roman, en février 1843, il s’adapte à la réception réformatrice de son œuvre et en fait un roman social où toutes les grandes questions du moment sont posées, de la réforme pénitentiaire à l’accès au crédit pour les plus pauvres [22]. Ce faisant, Sue change de stature et se met à intervenir dans le débat public par les moyens de la littérature, avec une efficacité inédite pour un romancier. Le positionnement politique modéré d’Eugène Sue, proche des philanthropes réformateurs, ainsi que la visibilité de son feuilleton et son identité indécise entre article de journal et rubrique littéraire, permettent à l’écrivain de se poser en initiateur du débat sur la question sociale.

14Le courrier des lecteurs de Sue joue un rôle central, et également inédit, dans ce processus d’institution d’un nouvel auteur : d’une part parce qu’il permet à Sue de suivre les réactions des philanthropes, des militants ouvriers et des socialistes convaincus de l’utilité du roman pour leur cause ; d’autre part parce qu’en publiant certaines lettres dans le Journal des Débats, celles des philanthropes les plus sérieux et les plus légitimes, Sue peut opposer au déchaînement hostile des critiques une « bonne » lecture, réflexive et engagée, de son œuvre. Il invente ainsi une forme d’autorité médiatique, alliant une capacité à créer des événements de presse et un pouvoir de publication des opinions. En effet, la publication de lettres de philanthropes commentant des épisodes des Mystères de Paris constitue ceux-ci, rétrospectivement, en événements. Parallèlement, Sue se pose en médiateur du débat public plus qu’en porte-parole d’un parti ou d’une idée.

15Cette situation, qui dure de février à juillet 1843, évolue pourtant insensiblement dans les derniers épisodes du feuilleton. Sue avait fait apparaître l’existence d’un public ouvrier du roman au cours des chapitres consacrés au projet de « banque des travailleurs sans ouvrages » et de Mont-de-piété gratuit. Dans une note, il signalait avoir consulté, pour établir ce projet philanthropique, « plusieurs ouvriers aussi honorables qu’éclairés » [23]. Cette instance en retrait – il s’agit du groupe d’ouvriers saint-simoniens rédacteurs du journal La Ruche populaire et, en particulier du chansonnier Jules Vinçard – bascule au premier plan lors de la publication du dernier feuilleton, le 15 septembre. Dans une « lettre au rédacteur du Journal des Débats » publiée à la suite du dernier épisode, Sue s’éloigne des rivages relativement consensuels de la philanthropie en affirmant que « la plupart des idées émises dans [son] ouvrage » ont dû heurter le public des Débats et en lançant un appel en faveur d’une « tribune populaire », « modeste publication, fondée et exclusivement rédigée par des ouvriers, sous le titre de La Ruche populaire ». L’écrivain se pose dès lors en intermédiaire entre ce petit monde d’ouvriers militants, journalistes et poètes, qu’il patronne, et le lectorat de la presse bourgeoise, « ceux qui s’occupent des affaires publiques » [24]. Ce déplacement, immédiatement salué comme une victoire par tous les ouvriers militants avec lesquels il correspond, dessine la position de Sue dans les années à venir.

Un « représentant » du peuple

16Le succès des Mystères de Paris confère à Sue une position neuve : il est l’homme en vogue du moment. En témoigne, dans toute l’Europe, la multiplication des traductions, imitations, pastiches, parodies, produits dérivés et bonnes actions issues du roman. Un ancien directeur du jardin botanique de Bruxelles, installé à Gand, met au point les tulipes « Rodolphe » et « Fleur de Marie » [25] ; à Breslau, « l’immense sensation produite par [les] Mystères » incite les habitants à réhabiliter l’ancien arsenal, « repaire dégoûtant », boueux et insalubre où s’entassaient les « prolétaires sans asile » de la ville [26]. Le roman inscrit également Eugène Sue dans le cercle des écrivains « humanitaires ». Ce déplacement est marqué par une série de lettres et de visites indiquant de nouvelles alliances : lettres d’admiration de Lamartine, qui le gratifie d’un « cher grand poète en prose », et de George Sand, qui apprécie la manière dont, avec Fleur-de-Marie, le romancier a su faire « entrer le mystère du cœur, dans le mystère de la rue » [27] ; visites de Béranger à Eugène Sue et d’Eugène Sue à Sand. Ce qui arrache à Sainte-Beuve, guère convaincu de la bonne foi de Sue, ce commentaire ironique : « On parle d’une visite que M. Eugène Sue serait allé faire à madame Sand dans le Berry. Rien de plus naturel et de plus légitime. Depuis qu’Eugène Sue est devenu le romancier prolétaire, Béranger le visite, et Mme Sand le reconnaît. Ce sont les grandes puissances qui se traitent désormais d’égal à égal » [28].

17La puissance médiatique d’Eugène Sue est consacrée, fin 1843, par l’achat du Juif Errant par Le Constitutionnel. L’ancien directeur de l’Opéra, Louis Véron, vient de reprendre le journal et, contre La Presse et le Journal des Débats, emporte le roman pour 100 000 francs. Publié entre juin 1844 et juillet 1845, dans un quotidien dont l’abonnement a été ramené à 40 francs comme ses concurrents, le feuilleton de Sue pousse les ventes de 3 600 à 25 000 exemplaires [29]. À la suite de ce succès, Sue signe avec Le Constitutionnel un traité par lequel il s’engage, moyennant 100 000 francs annuels, à fournir l’équivalent de 10 volumes pendant 14 ans [30]. Il cède également pour 110 000 francs à l’éditeur Paulin la vente en librairie du Juif Errant pendant dix ans [31]. George Sand, admirative de cette « affaire considérable », lui demande à voir son traité pour s’en inspirer [32].

18C’est dans ce cadre qu’Eugène Sue consolide sa nouvelle position d’écrivain philanthrope et socialiste tout à la fois. En schématisant, et sans vouloir réduire ces séries d’actions à des stratégies conscientes, on peut distinguer trois domaines d’activité. L’écriture romanesque tout d’abord, puisqu’avec Le Juif Errant le propos politique d’Eugène Sue se fait plus lisible : violemment anticlérical, le roman présente également, avec la fabrique de M. Hardy, une peinture des bienfaits de la vie commune et de l’association des travailleurs sous la houlette d’un entrepreneur éclairé. Eugène Sue développe également une activité philanthropique locale, à la manière de George Sand dans le Berry : l’argent gagné avec ses romans lui a en effet permis d’acquérir en Sologne une métairie qu’il transforme en « cottage », les Bordes. Le courrier qui lui est adressé aux Bordes témoigne de l’intensité de son engagement : il distribue de l’argent aux plus démunis, protège des jeunes gens, règle des conflits [33]. Enfin, à la manière de George Sand également, mais aussi de Béranger ou de Hugo, Sue développe le patronage d’écrivains ouvriers. Il continue d’une part à aider la Ruche populaire, qui signale des « misères ignorées » à l’attention des « riches et des puissants » et prolonge l’entreprise de mise au jour de la misère populaire engagée dans Les Mystères de Paris et poursuivie dans Le Juif Errant. En ces années où les enquêtes sur la misère se multiplient, le comité de La Ruche publie une série intitulée « Mystères des ateliers », dénonçant pêle-mêle les abus des bureaux de placement, les méfaits du chômage forcé et de la concurrence, l’insalubrité de certains métiers, comme ceux des cardeuses de matelas ou des ouvriers en eaux-fortes [34]. Eugène Sue patronne d’autre part l’un des fondateurs de la Ruche et protégé de Béranger, le cordonnier Savinien Lapointe, en préfaçant la publication de son recueil de poèmes, Une voix d’en bas, en 1844 [35].

19En septembre 1843, l’appel en faveur de la Ruche dans les Débats avait constitué, du point de vue des rédacteurs du journal ouvrier, une irruption de la parole ouvrière dans le territoire bien gardé de la parole bourgeoise : « votre main puissante et respectable vient de nous indiquer à la France, aux capitales de l’Europe ; peut-être au Monde, et chacun dit : c’est comme un rêve… » [36]. Mais cet appel en faveur de La Ruche soulignait en même temps la différence radicale existant entre la grande presse et cette presse ouvrière dont la visibilité dans l’espace public – la « publicité » – demeurait problématique. Le lien entre Sue et La Ruche offre alors un exemple de cette alliance que journalistes et écrivains ouvriers tentent de nouer avec des écrivains professionnels capables de les faire accéder à cette publicité [37]. Eugène Sue, nouvel écrivain humanitaire, y gagne une stature de « représentant » du peuple, capable de faire entrer dans l’espace de la représentation médiatique les « humbles » tentatives d’écriture – de représentation – des ouvriers.

20La préface donnée par le romancier au recueil de poèmes de Lapointe explicite tout à la fois cette alliance et la distance demeurant entre l’écriture des humbles et celle de l’écrivain [38]. Sue célèbre en Lapointe ce « poète qui reste artisan » et qui, à ce titre, peut seul « signaler au monde, tantôt avec une amère indignation, tantôt avec une tendre charité, les douleurs, les privations, les droits et les espérances des travailleurs » [39]. La misère du monde du travail est en effet donnée par Sue comme une réalité presque impossible à représenter. D’un côté, il y a ceux qui souffrent et ne peuvent être entendus ; de l’autre, il y a des « esprits élevés qui sympathisent profondément aux douleurs des masses, mais qui ne sont pas nés parmi les artisans, [et] malgré leur généreux dévouement, ignorent mille faits, qui, exposés avec autant de dignité que d’impartialité par le travailleur instruit et lettré, peuvent et doivent seuls donner aux réclamations des masses une autorité irrécusable » [40]. Lapointe peut faire ce lien, à condition de rester cordonnier : « rien ne nous paraît plus touchant, plus beau que de voir des hommes d’une intelligence, d’un talent aussi élevé que M. Savinien Lapointe, rester ouvriers comme leurs frères, vivre de leur vie de rude labeur, afin d’être toujours l’écho de leurs douleurs, de leurs vœux, de leurs espérances, et, à défaut de représentation politique, créer ainsi une représentation poétique, à laquelle la puissance de leur voix donne autant de retentissement que d’importance » [41].

21Pratiquement, pour que cette représentation advienne, il faut donc qu’un écrivain désigne à la fois l’existence de ces poètes ouvriers et le lieu d’où ils parlent, puis les aide à être publiés en accolant à leur nom l’éclat de sa notoriété. Le petit monde des écrivains ouvriers avait été bouleversé, quelques mois auparavant, par le suicide de l’un des leurs, Adolphe Boyer, qui s’était endetté pour publier seul une brochure sur la réforme de l’organisation du travail et des prud’hommes demeurée quasiment sans écho. Tous ceux qui publient, qu’il s’agisse de Lapointe ou d’Agricol Perdiguier, ont besoin de mettre en avant leurs protections : Savinien Lapointe accompagne ainsi ses poèmes non seulement d’une préface d’Eugène Sue, mais également, en appendice, d’une série de lettres d’écrivains célèbres, Léon Gozlan, Victor Hugo et Béranger. Ceux-ci dessinent le même partage que Sue : « Criez de là où vous êtes »… [42]

22En réalité, c’est Eugène Sue, autant que Lapointe, qui réalise cette « représentation poétique » du peuple, par une médiation en forme de patronage redoublant les opérations de mise au jour des misères populaires dans ses romans-feuilletons ; « représentation poétique », cette fois, au sens large de représentation par la littérature et par l’usage de l’espace médiatique. « Représentation poétique » qui, pour les fouriéristes de La Démocratie pacifique, consacre Eugène Sue en quasi-représentant politique.

23En septembre 1845, après l’achèvement de la publication du Juif Errant dans Le Constitutionnel, La Démocratie pacifique cite longuement la conclusion du roman où Sue évoquait notamment le droit au travail, l’insuffisance des salaires et un projet de maison commune d’ouvriers. « Nous voyons et nous honorons dans M. Eugène Sue l’avocat du peuple, commente le journaliste, l’ami du progrès véritable et de l’ordre, le propagateur des idées d’association et d’organisation du travail […] » [43]. C’est la raison pour laquelle La Démocratie pacifique décide de rendre un « hommage public » au romancier en proposant une souscription pour offrir une médaille à Eugène Sue « défenseur des classes sacrifiées et de l’organisation du travail » Le montant proposé est de 50 centimes au minimum par personne. Dans les mois qui suivent, La Démocratie pacifique publie des listes de souscripteurs. Les participations sont parisiennes et provinciales, individuelles et collectives : on voit apparaître ainsi « quatre ouvriers de Fontainebleau », « dix habitants de La Flèche » ou les « employés, chefs d’atelier et ouvriers des forges d’Aron (Mayenne) ». Parmi les donateurs individuels, certains sont des fouriéristes connus, comme Victor Considérant, d’autres obscurs « étudiants en droit ». Tous ne font pas partie des réseaux fouriéristes : c’est ainsi que l’on voit apparaître les noms du patronat textile mulhousien (Schlumberger, Hartmann, Dollfus, Mieg), célèbres pour leur engagement philanthropique.

24Cette souscription, qui s’achève en 1846 avec la remise d’une médaille à Sue, peut sembler anecdotique. Elle ne l’est pas, parce que le soutien à Eugène Sue et cette publication de listes de noms interviennent dans un contexte doublement marqué par l’affirmation d’une exigence d’enquête sur le monde du travail dans la presse ouvrière et socialiste (L’Atelier, Le Populaire) et le lancement par Ledru-Rollin, dans La Réforme, d’un appel à une campagne de pétitions en faveur d’une enquête parlementaire sur la situation du travail. Pour la presse ouvrière, il s’agit surtout de faire connaître les réelles conditions de vie et de travail des classes populaires par des enquêtes directes auprès des ouvriers, à la différence des grandes enquêtes lancées ou récompensées par l’Académie des sciences morales et politiques, comme le Tableau de l’état physique et moral des ouvriers de Villermé (1840), qui s’appuyait largement sur des données administratives et des entretiens avec les autorités locales. L’appel de Ledru-Rollin a une portée plus immédiatement politique – il envisage explicitement la pétition comme substitut au vote : « c’est la voix de l’ensemble, […] une édition des pensées publiques » [44]. Dans tous les cas néanmoins, il s’agit de « faire constater aux yeux de tous la condition générale des travailleurs » en donnant la voix aux « exclus » – le terme vient sous la plume de Ledru-Rollin. L’écriture de Sue apparaît ainsi comme un moyen parmi d’autres de faire connaître la « cause du peuple » en un temps d’intense quête de représentation : la souscription en faveur de la médaille prolonge l’œuvre de publication de la misère et des revendications populaires engagée dans la fiction ; l’enquête dans la presse ouvrière publie les réalités du monde du travail ; la pétition prépare cette publication des mêmes misères en faisant apparaître la masse des exclus.

25Au milieu des années 1840, Eugène Sue apparaît donc comme un « représentant » du peuple au sens le plus littéral du terme : représentant les misères des classes populaires dans ses fictions, il rend audibles les « voix d’en bas » comme celles de Lapointe dans l’espace public. Signalons néanmoins que cette fonction ne lui est pas unanimement reconnue : elle est fortement contestée à la fois par la presse conservatrice, qui estime, depuis les Mystères de Paris, que les « plaies sociales » prétendument dévoilées ne sont au mieux que des exagérations, au pire des obscénités, et par la presse ouvrière radicale, comme L’Atelier, qui tient pout lénifiants les rêves de concorde sociale du romancier.

L’impossible représentation politique

26Les années qui suivent la publication du Juif Errant sont marquées, pour Eugène Sue, par une inlassable activité d’écriture – contrat avec Le Constitutionnel oblige : de Martin l’enfant trouvé en 1846 aux Mystères du Peuple, commencés en 1849 et continués jusqu’à sa mort, en passant par la longue série des Sept péchés capitaux, Eugène Sue poursuit une œuvre de dénonciation des injustices et de propagande en faveur des idées socialistes. Avec la Révolution de 1848 et la préparation des législatives d’avril, la question de la conversion politique de cette écriture engagée se pose rapidement. Eugène Sue, comme George Sand, se se met au service de la République démocratique et sociale : alors que Sand publie La Cause du Peuple et donne des éditoriaux au Bulletin de la République, Sue rédige Le Républicain des campagnes, journal gratuit distribué le samedi au marché de Beaugency [45]. Dans les mois qui suivent, il s’engage dans la campagne pour l’élection présidentielle avec Le Berger de Kravan ou Entretiens socialistes et démocratiques sur la République, les prétendants et la prochaine présidence. La brochure, imprimée par les fouriéristes, combat la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte : « cette funeste candidature si elle réussissait ne donnerait à la France qu’un président ridiculement incapable ou follement usurpateur […] » [46]. Comme dans Le Républicain des campagnes, l’argument s’adresse aux gens simples, en s’appuyant sur la fiction d’une conversation entre l’auteur et un vieux berger de 77 ans, ancien soldat de l’an II. Le propos se veut rassurant et unificateur. Sue en appelle à l’union de tous les républicains pour sauver la Révolution de février et souligne que « la République Rouge » veut avant tout « voir se réaliser dès à présent tous les bienfaits qu’on est en droit d’attendre d’un gouvernement créé par le suffrage universel » [47]. Les « socialistes », rappelle-t-il également à l’intention des paysans, ne sont que « des gens qui, douloureusement frappés de l’atroce misère où sont plongés le plus grand nombre de nos frères, ont cherché et ont trouvé les moyen d’assurer le bonheur de l’homme par son travail » [48].

27Le passage de Sue à la politique était-il la conséquence naturelle de cette écriture engagée ? Aux élections d’avril 1848, les républicains cherchèrent à présenter dans les départements des figures célèbres, propres à contrebalancer le poids des notables : Sue fut le candidat malheureux de la Réforme dans le Loiret. La réussite politique de Lamartine ou de Hugo ainsi que l’histoire de la Révolution de 1848 telle qu’elle s’est écrite après les événements ont tendu à accréditer l’évidence du passage à la représentation et à l’action politiques des écrivains à ce moment-là. Les adversaires les plus acharnés des républicains, dans les années 1850, ont également construit l’image d’une révolution littéraire, où tout un peuple de lecteurs de romans et de spectateurs de théâtre serait directement monté sur les barricades [49]. Le repli des écrivains loin de la politique, des bergeries de George Sand à la prise de distance artiste d’un Flaubert ou d’un Baudelaire [50], a enfin contribué à construire l’image d’un bref moment de fusion entre littérature et politique, où l’aura littéraire aurait pu être immédiatement convertie en autorité politique, et qui se serait défait dès les journées de Juin.

28Le cas d’Eugène Sue signale pourtant combien la question de la contribution des écrivains à la Révolution fut d’emblée âprement discutée chez les socialistes les plus radicaux, comme avait été discuté, quelques années auparavant, le réel apport des romans d’Eugène Sue à la cause du peuple. C’est la candidature de Dumas aux élections législatives d’avril, en Seine-et-Oise, puis aux élections complémentaires de juin, dans l’Yonne, qui offre l’occasion d’un premier débat, notamment parce que Dumas justifie sa candidature par sa contribution, comme producteur intellectuel, au monde du travail. Dans un appel Aux travailleurs ! publié en mars 1848, il propose ainsi des estimations chiffrées des sommes que ses romans auraient fait gagner aux cabinets de lecture, aux journaux et aux libraires ; aux typographes et autres ouvriers de l’imprimerie ; aux acteurs et autres travailleurs des théâtres. Fin mai, la candidature du romancier est vivement attaquée par Proudhon qui publie dans Le Représentant du peuple un long article sur « Ce que la Révolution doit à la littérature » [51]. Reprenant le thème de la majesté des lettres déchue par la littérature « industrielle », Proudhon rejette vivement l’idée que la littérature ait pu préparer la révolution et qu’elle puisse désormais en exprimer « le but, les tendances, la loi ». Il rejette également toute prétention de la littérature de son temps à écrire l’histoire et à décrire la société : « on ne comprend plus rien à la société depuis que les feuilletonistes et les romanciers en ont entrepris la description. […] La science sociale a été, depuis vingt ans, étudiée par d’autres qu’eux ; la révolution a été faite malgré eux […] ». Le magistère politique et social de la littérature est donc violemment remis en cause ; dans la foulée, Proudhon s’en prend aux poètes ouvriers, qui ont placé la « capacité littéraire » au « sommet de l’intelligence » : « Qui travaille de ses mains pense, parle et écrit tout à la fois ; et si, dans la république de l’esprit, il existe des places réservées pour les intelligences supérieures, l’homme de style doit céder la place à l’homme d’action ». Dans ce mouvement, qui peut être décrit comme une forme de politisation du socialisme, le lien entre socialisme et littérature apparaît donc comme une illusion dangereuse. Dumas répond à cette diatribe dans La France nouvelle par un article également intitulé « Ce que la Révolution doit à la littérature » et où il écrit l’histoire dorée d’une révolution littéraire. Le romancier estime en effet, à l’inverse de Proudhon, que la révolution « doit tout » à la littérature : « Elle lui doit tout le passé, elle lui devra tout encore dans l’avenir » [52]. Et de dresser une liste d’écrivains, de Lamartine à George Sand, en passant par Hugo, Lamennais, Michelet, Dumas bien sûr, Eugène Sue et « cent autres » auxquels la Révolution doit « tant de livres qui sont des actions, tant d’œuvres devenues des faits, tant d’idées vaillantes et hardies qui se tenaient debout sur les barricades et combattaient, invisibles, avec les ouvriers comme Minerve avec Ulysse […] ».

29« Des livres qui sont des actions, des œuvres devenues des faits » : la formule de Dumas exprime bien cette croyance dans le pouvoir politique direct de l’écriture littéraire, tenue ensuite pour la marque même du xixe siècle jusqu’à l’affirmation, à l’époque de l’affaire Dreyfus, des « intellectuels » [53]. Le cas de Sue, comme les échecs électoraux cinglants de Dumas (qui doit, bien plus que Sue, convaincre de l’authenticité de son engagement républicain), suggère combien l’abandon de la « représentation poétique » et de l’action par l’écriture au profit de la représentation politique a pu faire problème sous la Seconde République et s’accompagner au contraire d’une déperdition radicale d’autorité.

30Après les barricades du 13 juin 1849 et l’arrestation de nombreux députés de la Montagne, 31 sièges se trouvent de nouveau à pourvoir, dont trois postes à Paris. Les élections se déroulent dans un climat tendu en mars 1850 et la Montagne retrouve 21 des 31 sièges perdus. Vidal, élu à Paris et dans le Bas-Rhin, choisit le Bas-Rhin : demeure donc un siège à pourvoir à Paris. L’élection a une haute valeur symbolique et le Conclave républicain et socialiste, en avril, s’interroge longuement sur le bon candidat. Il choisit finalement Eugène Sue, pourtant peu volontaire, contre Dupont de l’Eure, qui a 80 ans. Le débat du Conclave, retranscrit dans le journal de Proudhon, La Voix du Peuple, fait apparaître des réticences qui vont notamment dans le sens d’une séparation de la sphère de la représentation poétique et de celle de la représentation politique. La première difficulté présentée par la désignation de Sue tiendrait à son socialisme imparfait. Une chose est de dévoiler « les maux de la société » dans des romans, une autre est de produire une œuvre authentiquement socialiste : « je ne crois pas que cette œuvre [Les Mystères de Paris], si éminente qu’elle soit, représente l’expression directe du socialisme », estime l’un des membres du Conclave [54]. « Le citoyen Eugène Sue ne me paraît pas assez sévère dans ses écrits pour représenter le socialisme », ajoute un autre participant [55]. Eugène Sue peut donc bien représenter le peuple dans l’ordre littéraire et médiatique, il ne peut représenter politiquement son parti. Ceux qui le défendent, comme Philip, admettent qu’ils ne soutiennent pas sa candidature « au point de vue politique », mais qu’elle a avant tout l’avantage « d’une popularité facile ». C’est donc que, plus fondamentalement, un écrivain ne peut être un bon candidat. Benjamin Gastineau conclut le cortège des attaques contre Sue : « Je ne dis pas que le citoyen Eugène Sue ne soit pas socialiste, mais je dis qu’il n’est pas politique. L’Europe vous demande une élection politique et c’est une élection romantique que vous allez faire ». « Une élection romantique » : symbolique et sans portée politique réelle. L’expression rappelle sans doute combien Lamartine a déçu parmi les ouvriers, et quelle méfiance suscite désormais l’idée de confier la mission de représenter à des faiseurs de phrases. L’Atelier, après l’élection du 28 avril, ne dit pas autre chose : « nous espérons qu’il [Eugène Sue] ne sera pas, au sein de la représentation nationale, aussi déplorablement stérile que tant d’autres qui prétendaient porter en eux la grande lumière du siècle » [56]. L’élection d’Eugène Sue remplit partiellement ce programme : fortement symbolique, elle provoque un mouvement de panique et la loi électorale du 31 mai, à laquelle l’élection de Sue sert de prétexte, fait craindre à certains une nouvelle insurrection [57]. Mais elle n’a, au-delà, aucune portée politique, puisque Sue se refuse précisément à représenter politiquement le socialisme à l’Assemblée.

31Devenu représentant du peuple, Sue ne joue, on l’a dit, aucun rôle à l’Assemblée mais continue son action par l’écriture, en achevant notamment le cycle des Sept péchés capitaux et en poursuivant Les Mystères du Peuple ; il prévient le bannissement en s’exilant en Savoie après le coup d’État du 2 décembre. Installé à Annecy, il offre l’image parfaite du démocrate en exil : solitaire et triste, il correspond avec Schœlcher, reçoit Ferdinand Flocon, noue une relation intime, quoique ambiguë, avec Marie de Solms, républicaine ardente et petite-fille de Lucien Bonaparte. C’est à elle que l’on doit une première biographie de Sue dans laquelle elle dépeint le romancier en soldat de l’Idée et grand proscrit [58].

32Établi en Savoie à partir de 1853, Sue revient donc à l’écriture de sa gigantesque « histoire d’une famille de prolétaires à travers les âges », Les Mystères du Peuple, de loin son œuvre la plus militante, puisqu’il s’agit de raconter l’histoire de la lutte politique et souvent violente du peuple pour « la réforme religieuse, politique et sociale » [59]. Interdit dès mai 1850 dans certains départements du sud-est, le roman avait été partiellement saisi en septembre 1851 ; le coup d’État explique l’interruption des livraisons entre décembre 1851 et juin 1853. Ces livraisons connaissent ensuite une diffusion erratique et sont de plus en plus menacées, à mesure que le récit d’Eugène Sue, qui débute à l’époque gauloise, se rapproche du temps présent. Tous les volumes du roman sont saisis le 27 avril 1857, quelques semaines avant sa mort (le 3 août). Le 25 septembre 1857, au terme d’un véritable procès politique, les Mystères du Peuple sont condamnés pour « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs », « appel à l’insurrection », « excitation à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres », « excitation à la haine et au mépris du gouvernement », « attaques contre le principe d’autorité » [60]. Le Tribunal correctionnel de Paris en ordonne l’entière suppression : en ce temps de répression et de reflux de la représentation politique, la représentation poétique du peuple a retrouvé toute sa dangerosité supposée, et donc son efficacité.

Notes

  • [*]
    Maître de conférences à l’EHESS (GRIHL, Centre de recherches historiques).
  • [1]
    Le Moniteur universel, supplément au n° du 16 juillet 1850.
  • [2]
    Idem,10 juillet 1850.
  • [3]
    E. Legouvé, Soixante ans de souvenirs, Paris, J. Hetzel, 1886, t. I, p. 358.
  • [4]
    J.-L. Bory, Eugène Sue, dandy mais socialiste [1962], Paris, Mémoire du Livre, 2000, chapitre VI.
  • [5]
    Nous revenons plus loin sur la somme de P. Bénichou, Les Mages romantiques (1988), repris dans P. Bénichou, Romantismes français II, Paris, Gallimard, 2004.
  • [6]
    E. Sue, préface à Une voix d’en bas. Poésies par Savinien Lapointe, ouvrier cordonnier, Paris, Adolphe Blondeau, 1844, p. XV.
  • [7]
    Sur l’écriture politique et littéraire de Sand, voir M. Hecquet, Poétique de la parabole : les romans socialistes de George Sand, 1840-1845, Paris, Klincksieck, 1992 et G. Sand, Politique et polémiques (1843-1850), présentation par M. Perrot, Paris, Imprimerie Nationale, 1997.
  • [8]
    P. Bénichou, Le sacre de l’écrivain, 1750-1830. Essai sur l’avènement d’un pouvoir spirituel laïc dans la France moderne, Paris, José Corti, 1973, p. 473 en particulier.
  • [9]
    Ibid., p. 465.
  • [10]
    Idem.
  • [11]
    J.-L. Diaz, L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique (1770-1850), thèse de doctorat de littérature, Université Paris VIII, 1997 et « L’autonomisation de la littérature (1760-1860) », Littérature, n° 124, décembre 2001, p. 7-22.
  • [12]
    « Vous savez combien sont menteuses ces esquisses, le fruit de hideuses spéculations qui s’en prennent à la personne des gens célèbres, comme si leurs visages étaient des propriétés publiques. » (H. de Balzac, Modeste Mignon dans La Comédie humaine, t. I, Paris, Gallimard, 1976, p. 510).
  • [13]
    Sur ce point, rapidement esquissé ici, nous nous permettons de renvoyer à J. Lyon-Caen, La Lecture et la vie. Les usages du roman au temps de Balzac, Paris, Tallandier, 2006, chapitre II.
  • [14]
    Sur l’histoire de cette relation : A. Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Éditions de Minuit, 1985 et C. Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000.
  • [15]
    Lettre d’Annette Lefort à Eugène Sue, 10 mars 1843 : « Monsieur et si j’osais dire Monseigneur, car vous l’êtes de tous les malheureux […] », publiée dans J.-P. Galvan, Les Mystères de Paris. Eugène Sue et ses lecteurs, Paris, L’Harmattan, 1998, t. I, p. 131.
  • [16]
    Lettre d’Elise Besson à Eugène Sue (à la suite de la lecture d’Arthur), 18 novembre 1841, publiée dans J.-P. Galvan, ibid., t. I, p. 38.
  • [17]
    Ainsi dans le cantique adressé à Eugène Sue par le fouriériste Jean Journet avec sa lettre du 16 juin 1843, ibid., p. 231.
  • [18]
    Sur le roman maritime, voir M. Cohen, « Travelling genres », New Literary History, n° 34, 2003, p. 481-499.En ligne
  • [19]
    Préface pour Plik et Plok (1831, édition collective de Kernok le Pirate et El Gitano), reprise dans E. Sue, Romans de mort et d’aventure, Paris, Robert Laffont, 1993, p. 1309.
  • [20]
    Sainte-Beuve, « De la littérature industrielle », Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1839, p. 675-691.
  • [21]
    « Félicitons M. Eugène Sue d’avoir retracé d’un si chaleureux pinceau les effroyables douleurs du Peuple et les cruelles insouciances de la Société, dans ce même Journal des Débats, dont un des rédacteurs, à tête étroite, osait naguère écrire que tout est pour le mieux, que les afflictions du pauvre sont de pures inventions, qu’il n’y a rien à réformer ». D. Laverdant, feuilleton critique, La Phalange, 25 juin 1842. La rencontre entre Sue et Considérant est rapportée par E. Legouvé, Soixante ans de souvenirs, op. cit., t. I, p. 370.
  • [22]
    Après une interruption au mois de janvier, le roman reprend dans les Débats en février 1843 : le quatrième épisode, intitulé « Saint-Lazare », comporte un hommage vibrant aux visiteuses des prisons et mentionne toutes les « adhésions » au roman de gens charitables « qui ont généreusement compati à certains malheurs qu’ils ignoraient » ; Sue affirme alors que si son livre est sans doute « mauvais du point de vue de l’art », il ne l’est pas « au point de vue moral » (Les Mystères de Paris, Paris, Robert Laffont, 1989, p. 607).
  • [23]
    Idem, p. 1090 (feuilleton du 28 juillet 1843).
  • [24]
    Idem, p. 1309.
  • [25]
    Lettre de Louis Van Houtte à Eugène Sue, de Gand, 18 octobre 1843, dans J.-P. Galvan, Les Mystères de Paris. Eugène Sue et ses lecteurs, op. cit., t. II, p. 104.
  • [26]
    Lettre de Anton Hübner à Eugène Sue, de Paris, 11 janvier 1844, idem, t. II, p. 264-265.
  • [27]
    George Sand à Eugène Sue [Paris, vers le 20 avril 1843], in Correspondance de George Sand, textes réunis, classés et annotés par G. Lubin, t. VI, Paris, Garnier, 1969, p. 108.
  • [28]
    Sainte-Beuve, lettre à Juste Olivier du 6 novembre 1843 et parue dans la Revue Suisse, reprise dans Chroniques parisiennes 1843-1845, Paris, Calmann-Lévy, 1876.
  • [29]
    Sainte-Beuve, Chroniques parisiennes, op. cit., p. 202.
  • [30]
    J.-L. Bory, Eugène Sue…, op. cit., p. 375.
  • [31]
    Revue de Paris, 27 juin 1844.
  • [32]
    George Sand à Eugène Sue [décembre 1843], in G. Sand, Correspondance, op. cit., t. VI, p. 340-341.
  • [33]
    Papiers Eugène Sue, fonds ancien de la Bibliothèque municipale d’Orléans, MS 2379. Voir notamment les lettres de Giraud, chantre de Lailly, « à l’égard de vos chârité que vis avez tant fait dans cette commune [sic] », de Frédéric Guillaut, commis à la mairie de Beaugency, ou du médecin Pellieux.
  • [34]
    Ibid., novembre et décembre 1844.
  • [35]
    S. Lapointe, Une voix d’en bas, op. cit.
  • [36]
    Lettre d’Abel Jacquet [Duquenne] à Eugène Sue, 19 octobre 1843, in J.-P. Galvan, Les Mystères de Paris. Eugène Sue et ses lecteurs, op. cit., t. II, p. 109.
  • [37]
    J. Rancière, La Nuit des prolétaires. Archives du rêve ouvrier, 2e éd., Paris, Fayard, 1989.
  • [38]
    Sur l’événement « poètes ouvriers » dans les années 1840 et leurs relations avec les auteurs « professionnels », voir M. Watrelot, Le rabot et la plume. Le compagnonnage littéraire au temps du romantisme populaire, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2002, et D. Ribard, « De l’écriture à l’événement. Acteurs et histoire de la poésie ouvrière autour de 1840 », Revue d’histoire du xixe siècle, n° 31, 2005/2, p. 79-91.
  • [39]
    Préface à Une voix d’en bas, op. cit., p. XII-XIII.
  • [40]
    Ibid., p. XIV-XV.
  • [41]
    Ibid., p. XV.
  • [42]
    Lettre de V. Hugo in Une voix d’en bas, op. cit., p. 452-453.
  • [43]
    La Démocratie pacifique, 1er septembre 1845.
  • [44]
    La Réforme, 2 novembre 1844.
  • [45]
    Sur ce point, voir P. Chaunu, Eugène Sue et la Seconde République, Paris, PUF, 1948.
  • [46]
    Cité par P. Chaunu, ibid., p. 25.
  • [47]
    Ibid., p. 29.
  • [48]
    Ibid., p. 30.
  • [49]
    J. Lyon-Caen, « Remettre le monde en ordre : les académies et la question de l’influence de la littérature sur les mœurs dans les années 1850 », in H. Millot et C. Saminadayar (dir.), 1848, une révolution du discours, Saint-Etienne, Éditions des Cahiers intempestifs, 2001, p. 27-45.
  • [50]
    D. Oehler, Le Spleen contre l’oubli, juin 1848. Baudelaire, Flaubert, Heine, Herzen, Paris, Payot et Rivages, 1996. L’auteur cite, p. 371, cette phrase de Baudelaire sur juin 1848 : « ce n’est point l’or, mais les paroles dorées qui ont créé tant de crimes. […] Tant de promesses, tant de coups de fusil ! Vous avez décrété l’émancipation absolue et le bonheur immédiat : allons, vite, à l’œuvre ou je vous tue ! […] ».
  • [51]
    P.-J. Proudhon, « Ce que la Révolution doit à la littérature », Le Représentant du Peuple, 28 mai 1848.
  • [52]
    A. Dumas, « Ce que la Révolution doit à la littérature », La France nouvelle, 4 juin 1848.
  • [53]
    C’est par exemple l’histoire qu’écrit M. Winock dans Les Voix de la liberté, Paris, Le Seuil, 1991.
  • [54]
    Intervention de P. Dupont, rapportée dans La Voix du peuple, 15 avril 1850 (je souligne).
  • [55]
    Intervention de Bélize, ibid.
  • [56]
    « Élections », L’Atelier, 30 avril 1850.
  • [57]
    Montalembert, par exemple, éloigne sa famille de Paris. Voir sa lettre à son beau-père, F. de Mérode, le 14 mai 1850, citée par P. Chaunu, Eugène Sue…, op. cit., p. 62.
  • [58]
    M. de Solms, Eugène Sue photographié par lui-même : fragments de correspondance non interrompue de 1853 au 1er août 1857 avant-veille de sa mort, Genève, Sabot, 1958.
  • [59]
    Sur les Mystères du Peuple, voir l’excellente préface de M. Letourneux à son édition du roman (Paris, Robert Laffont, 2003).
  • [60]
    A. Zevaès, Les procès littéraires au xixe siècle, Paris, Perrin, 1924, p. 161-165 et plus généralement Y. Leclerc, Crimes écrits. La littérature en procès au xixe siècle, Paris, Plon, 1991.
Français

Résumé

Le xixe siècle a consacré le mythe de l’écrivain engagé, appuyant sa puissance politique sur son autorité littéraire. Le cas d’Eugène Sue permet de revenir sur la figure de l’écrivain engagé : car si l’auteur des Mystères de Paris voyait bien dans la littérature une « représentation poétique » du peuple capable de pallier l’absence de représentation politique, il fut, après son élection à l’Assemblée en 1850, un représentant du peuple muet, incapable de prendre la parole en public. Les socialistes qui avaient porté sa candidature hésitaient aussi sur la pertinence de ce qui pouvait apparaître comme une « élection romantique », sans portée politique réelle. La décevante carrière politique de Sue permet ainsi de revenir sur les formes et les fondements de l’intervention des écrivains dans le débat public autour de 1848, loin des images glorieuses des « mages romantiques ». Elle fait également apparaître combien, dès le milieu des années 1840, le sens et les formes de l’engagement politique des écrivains pouvaient être âprement discutés chez les socialistes.

Judith Lyon-Caen [*]
  • [*]
    Maître de conférences à l’EHESS (GRIHL, Centre de recherches historiques).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 10/09/2008
https://doi.org/10.3917/lms.224.0075
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