Selon les lieux que le voyageur traverse, le paysage s’en trouve modifié. Non le spectacle du paysage, les choses que l’on voit, le décor. Mais les topos mêmes de l’ouvert, de l’infini, les confins insoupçonnés.
L’Océan grec, cette plaine bouclée que remuait Poséidon, mais aussi le désert des monothéismes sont des infinis. Le chemin se fait là où aucune piste ne nous guide. D’immanquable façon, des accidents de ces paysages sont comme des butées ou des abris. Les grottes sont des lieux de révélation, ou parfois les sommets, à qui s’aventure seul et dans la plus vive attente anxieuse d’une rencontre de la transcendance. Mais c’est encore dans les détails que gîtent les périls, Friedrich Nietzsche, que reprit Theodor Reik, ajouta que c’est bien le diable qui se trouve dans les détails. Ce diable qui égare, qui fait que l’anachorète se fige dans une fantasmagorie qui le ravit, l’encombre, l’enivre et l’égare ; dans sa tentation, Saint Antoine est exilé de son désir d’exil, de son désir de métamorphose et d’initiation et il se trouve livré à un déluge pulsionnel dont il deviendra la marionnette mélancolique et vaine. Mais, dans les accidents des parcours des voyages initiatiques, nous trouvons aussi ces lieux d’alliance dans lesquels la transcendance se manifeste et noue alors le prophète ou le fondateur des lignées à un autre rapport à la parole, c’est-à-dire à la Vérité.
C’est en cela que le voyage initiatique n’est pas balisé. Il ne saurait être le privilège du touriste, toujours pressé de considérer le monde comme un coffre à jouets, ou celui de l’explorateur avide de s’approprier l’autre sans se soucier de se désapproprier de lui-même, de s’exiler enfin de son corps, ce massif et arrogant continent de certitudes inertes et triomphantes…