CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Le lecteur qui souhaiterait comprendre la situation du judaïsme contemporain et le statut du juif à partir de l’œuvre de Jean-Claude Milner se heurte rapidement à un certain nombre de difficultés. La première est d’ordre épistémologique. Les ouvrages qui composent le triptyque que le philosophe consacre au judaïsme, à savoir Les Penchants criminels de l’Europe démocratique, Le Juif de savoir et L’Arrogance du présent, prolongés par les propos échangés avec Alain Badiou qui reviennent sur la question juive dans Controverse, n’appartiennent en effet ni au domaine proprement dit de la linguistique, ni à celui de l’histoire, encore moins à la philosophie ou à la politique, même s’ils empruntent à chacun. Pourtant si Milner affirme avoir renoncé à la linguistique structurale proprement dite, il continue d’accorder un statut central à la langue au prisme de laquelle il conçoit à la fois la condition de l’homme moderne et celle du juif dans l’histoire. Une seconde difficulté surgit alors. La pensée de Milner, par le jeu de la position critique qu’elle met en place à partir de ses développements linguistiques, partage un certain nombre de traits avec d’autres philosophies, ouvertement adversaires de la démocratie, des États-Unis qui produisent à ce titre une attaque aussi radicale que brutale de la condition juive contemporaine et plus encore d’Israël.

2Moins politique en apparence, la position de Milner n’en confronte pas moins les juifs à l’un des défis les plus importants qu’ils aient connus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Englobé dans une critique de la modernité à laquelle il est identifié à travers notamment l’événement de la Shoah, le judaïsme, s’il veut perdurer – mais on se demande alors sous quel mode –, est sommé de renoncer à toute forme d’expression qui témoigne de son attachement à cette modernité. La théorie du Nom juif dont Milner est l’un des principaux tenants ne se contente pas de réfuter toute position interne à l’histoire et d’exclure les juifs de toute forme d’existence réelle, passée ou présente. En remettant en cause l’ensemble des valeurs à partir desquelles on peut lire l’histoire des deux derniers siècles, elle interdit de lire l’avenir à leur lumière. La question posée par Jean-Claude Milner est donc double : concernant les juifs d’abord : le Juif peut-il encore se reconnaître dans la modernité, peut-il à l’inverse, se concevoir hors de la modernité ? Mais, à travers le juif, c’est en réalité l’humanisme sous sa forme démocratique que cette théorie vient ébranler. On voit donc toute l’urgence qu’il y a en ce début de xxie siècle à décrypter au premier sens du terme le message que certains nous adressent à travers la figure du juif.

I

3Pour saisir l’importance du défi que posent aujourd’hui les théories de Milner à l’inscription des juifs dans la modernité, il faut comprendre tout d’abord la place stratégique qu’occupent ceux-ci dans sa construction philosophique. Cela est d’autant plus important que Milner voisine, on l’a dit, avec des pensées qui, à partir d’un même modèle théorique, condamnent l’État d’Israël et appellent à sa disparition. Il importe donc de faire la différence, en distinguant ce qui ressortit chez lui à une critique de la Raison moderne et de son expression démocratique d’un côté et, de l’autre, à l’exceptionnalité dont il se sert pour qualifier le rapport du juif à la modernité, lui attribuant ainsi un signe positif.

1 – La langue

4S’il réfute désormais la méthode de la linguistique structurale, au prétexte que, trop scientifique, celle-ci laisse de côté de nombreux aspects de la langue, c’est pourtant à cette dernière que Milner attribue encore le pouvoir heuristique le plus important. La langue entendue comme ce qui noue l’individu et la société, le singulier et le collectif, le passé et le présent, la langue qui annule la dimension de l’avenir demeure à ses yeux l’instrument le plus pertinent pour réfléchir à la condition du sujet contemporain et plus particulièrement à la condition juive. Si le juif n’est pas encore présent en 1983 dans Les Noms indistincts[1], il donne figure progressivement à partir des années 2000 à l’un des principaux « noms réels » à travers lesquels celui-ci s’est incarné. La réflexion sur la condition juive qui s’installe alors progressivement au cœur de son œuvre peut donc être abordée d’abord comme l’expression du point de vue d’une linguistique philosophique. Dans la construction d’un usage structural du langage, pour laquelle Milner emprunte au Foucault des Mots et les Choses, la langue devient en effet dépositaire d’une configuration historique et scientifique. Elle devient le lieu autour duquel s’ordonnent les configurations sociales. L’usage qu’il en fait dans sa théorie du moderne, et particulièrement dans sa définition du juif de savoir, va pourtant au-delà de la manière dont Foucault fonde les épistémè dans l’ordre du discours. « Entre assimilation et savoir moderne, s’agit-il d’une coextension strictement contingente ou la relation est-elle de structure ? » s’interroge Milner [2]. C’est dans cet espace de questionnement que se déplie, selon le terme qu’il affectionne, l’interrogation de Milner, nouant en son centre le Nom juif et le savoir.

5Dès lors que la langue fonde la structure d’une époque, il faut s’interroger sur la portée que Milner assigne au Nom juif et sur la nature de la relation que celui-ci entretient avec la modernité. Là encore la définition du Nom juif est le résultat d’une opération philosophico-linguistique, qui oppose l’universel, conçu sous la forme de l’illimité – et de la critique radicale que Milner en fait –, et l’individu. Opération qui est en même temps porteuse d’une philosophie politique, bien que Milner se défende d’accorder une quelconque importance à la politique en tant qu’objet proprement philosophique. Cet usage de l’universel rappelle l’influence de Lacan dans l’œuvre de Milner et la discussion du « tout » dans la mesure où celui-ci, loin de se référer à un agrégat, fait signe vers l’importance du manque [3]. La vérité se dit ici en termes opposés à ceux de la totalité. On aurait tort de voir là une ouverture vers une transcendance. Le « tout » est chez Milner ce qui permet à l’individu qui parle de se penser comme universel sur le mode de l’intensité s’opposant, une fois encore, à la totalité. Or c’est précisément vers l’intensité que fait signe le Nom juif, occupant de ce fait une double place : il constitue un Nom qui, comme le dit Milner, est proféré à la première personne, il joue ainsi comme un universel en intensité et non en totalité, c’est-à-dire qu’il fait signe vers un universel différent par essence de celui autour duquel se définit la démocratie moderne. La théorie du Nom juif s’inscrit donc dans une théorie linguistique plus large. Les noms exercent en effet des fonctions selon la qualité grammaticale qui est la leur. Si la plupart des noms se conçoivent à la troisième personne, dans une sorte de neutralité que vient ensuite remplir celui qui les invoque, une classe plus particulière s’emploie comme désignation dans un rapport de personne à personne. Faisant figure d’insulte, ils doivent s’entendre dans la désignation du « Tu », comme des noms de deuxième personne. Or la principale caractéristique du Nom juif tient au fait qu’il ne se conçoit qu’à la première personne. Autrement dit le Nom juif fait figure de sujet et ne peut avoir le statut de prédicat. Dans l’expression « je suis juif », c’est en réalité « juif » qui définit le pronom.

6Le Nom juif signale donc dans la théorie de Milner une triple rupture. La première est d’ordre ontologique, dans la mesure où il interdit de penser le monde comme une totalité autosuffisante. La deuxième est d’ordre historique. Milner la développe notamment dans Les Penchants criminels de l’Europe démocratique. En révélant l’illusion qui s’attache à toute forme de totalité, le Nom juif agit également comme un obstacle à l’homogénéisation de l’Europe. La culture européenne a longtemps fondé sa continuité sur la reconnaissance d’une question juive partagée et l’idée qu’il fallait y apporter une solution. Tel est le sens du couple que conçoit Milner sous la forme « question/solution ». Le troisième niveau de rupture auquel intervient le Nom juif est propre à sa conception philosophique, à travers l’idée que le lieu où se produit une rupture est celui-là même où s’inscrit une vérité. Cette dernière naît du démenti apporté à l’illusion que représente toute forme de continuité ou de totalité.

7Le Nom juif véhicule ainsi de façon explicite une critique de la modernité démocratique. Sur ce point, il importe d’entrer dans le détail de la théorie de Milner dans la mesure où, comme on l’a dit, celui-ci rejoint un certain nombre de pensées radicalement critiques de la modernité, mais s’en sépare en revanche quant à l’usage que celles-ci font du Nom juif. Ce cadre théorique n’est en effet pas l’apanage du seul Jean-Claude Milner. L’historien Enzo Traverso décrit comment « l’intégration de la Shoah dans la conscience cathartique de l’Europe » a conduit à l’émergence d’une rhétorique qui identifie le destin des juifs occidentaux au nom « juif » [4]. La critique de la démocratie moderne traverse les trois ouvrages que Milner consacre à la question juive. Plus biographique dans le dernier, L’Arrogance du présent, qui revient sur la notion de révolution à la lumière de l’expérience maoïste qui fut celle de Milner après 1968 au sein de la gauche prolétarienne, elle forme l’ossature des Penchants criminels de l’Europe démocratique et se développe encore dans Le Juif de savoir. La rationalité qui conduit la démocratie moderne se trouve ici doublement contestée. D’abord du point de vue de la demande d’universel dont le consensus démocratique, ou du moins sa recherche, est un signe. L’universel, on l’a vu, n’est à ses yeux une notion ni claire ni forcément légitime. D’autre part du point de vue des règles du jeu démocratique. En remettant en cause les lois de la représentation, Milner procède par inversion, légitimant le « dissensus » en place et lieu du consensus, la division au lieu de l’unité. Dès lors, les mots qui véhiculent un humanisme immanent comme « humain » ou « droits de l’homme » apparaissent eux-mêmes comme suspects aux yeux du philosophe.

2 – La question juive, point d’appui de la modernité

8C’est cette critique que Les Penchants criminels de l’Europe démocratique viennent historiciser et articuler directement à la question juive. Rappelons-en la thèse centrale, qui fit scandale au moment de la sortie de l’ouvrage. Face au couple question/solution qui la constitue et ordonne son histoire, l’Europe s’est formée autour de l’idée que la présence des juifs en son sein constituait un problème auquel il lui fallait répondre. La solution finale appliquée par les nazis, comme une des réponses possibles, aurait en réalité été entérinée après 1945 par ceux-là mêmes qui s’étaient prononcés depuis 1789 pour une solution douce, à savoir l’intégration des juifs dans les sociétés majoritaires, leur assimilation. Elle ne traduirait alors rien d’autre que le passage à l’acte de l’idéologie des Lumières. L’Union européenne qui s’est faite après 1945 s’est construite autour de l’élimination des juifs, de leur absence. Le poids de la culpabilité qui a dès lors pesé sur l’Europe a également joué le rôle de ciment, dans la mesure où c’est une faute que tous ont partagée, le poids de cette faute trouvant à s’exprimer dans le soutien apporté d’abord à la création de l’État d’Israël, puis à sa survie, jusqu’à ce que la position européenne trouve au contraire à s’exprimer dans le soutien apporté à la cause palestinienne. Cette lecture de l’histoire de l’Europe est une manière pour Milner de montrer une continuité assumée entre l’Europe des Lumières et le IIIe Reich, d’établir une symétrie dans la manière dont tous deux se sont débarrassés de leurs juifs. Ce qu’il appelle l’« antijudaïsme » ne serait donc pas un accident de l’histoire mais la « religion naturelle » de l’Europe, la marque de fabrique d’un régime démocratique au sein duquel l’illimité, incarné par le Nom juif, fait scandale. En incriminant ainsi la démocratie et la conception de l’individu politique issue de 1789, Milner dresse le plus terrible des actes d’accusation, car ce qui a eu lieu peut à ses yeux très bien se reproduire, dans la mesure où les mêmes causes démocratiques produiront les mêmes effets exterminateurs. Condamnation sans appel de la forme démocratique elle-même, qui place la pensée de Milner en convergence avec des critiques radicales de la démocratie formulées par des penseurs comme Alain Badiou ou Jacques Rancière.

9Dans le dernier dialogue publié qui l’oppose à Badiou, Jean-Claude Milner a tenu à rappeler tout ce qui l’oppose à l’usage polémique et violemment anti-israélien jusqu’à la caricature que celui-ci fait du Nom juif. Dans Circonstances 3. Portées du mot « juif », publié en 2005, Badiou opère, on le sait, une déréalisation du Nom juif, lui déniant toute existence historique, religieuse ou culturelle [5]. Le « Nom juif » devient alors un simple prédicat, une catégorie logique dépourvue de tout rapport à la réalité, autorisant tous les anachronismes et inversions possibles. Ainsi Badiou va-t-il jusqu’à affirmer que le mot « juif » serait une création des nazis, Hitler lui ayant, le premier dans l’histoire, donné un visage collectif. De même il n’hésite pas à dépouiller Israël, au prétexte qu’à travers la violence perpétrée à l’encontre des Palestiniens, l’État d’Israël détruit l’essence du nom « juif ». Israël serait ainsi l’endroit où il y aurait le moins de juifs. Or le risque apparaît grand de voir se mettre en place une semblable opération de déréalisation chez Milner, bien qu’il s’en défende explicitement. Certes, le Nom juif s’accompagne chez lui d’une connotation positive. Le juif est ce qui oppose l’illimité à la totalité. Néanmoins, la typologie qu’il développe dans Le Juif de savoir et prolonge dans L’Arrogance du présent, laquelle superpose de manière la plus floue le « juif d’étude », le « juif de savoir », le « juif de révolution », le « juif de négation » – chacune de ces notions renvoyant à un type anhistorique de relation au judaïsme dont la réalité s’évanouit au profit du rapport qui se noue aux sociétés extérieures –, opère dans le sens d’une déréalisation plus terrible encore. L’insistance avec laquelle les différents textes rappellent les analyses produites par Hannah Arendt sur la condition des juifs en Europe offre de ce point de vue un parallèle éclairant pour saisir la position de Milner. Lui-même se situe d’ailleurs dans cette comparaison. Invoquant La Tradition cachée, ouvrage qui regroupe des articles écrits par Arendt entre 1932 et 1948, Milner rejoint celle-ci dans la manière dont elle oppose le modèle des juifs allemands au xixe siècle à celui des juifs en France. Il s’agit en effet de saisir la condition juive dans un rapport de structures, comme la mise en place d’un dispositif qui distribue chaque fois différemment la langue (le savoir) et la politique et autorise ainsi les comparaisons. Les juifs se trouvent donc en quelque sorte surdéterminés par ce caractère premier. Tout comme ils sont qualifiés de peuple paria chez Arendt, les juifs chez Milner se définissent à la lumière de ce mode structural d’être et d’insertion dans la société. Il se contente d’atténuer le modèle arendtien en déclinant quatre idéaux types, là où celle-ci ne distribuait les cartes qu’entre assimilation et exclusion. Il existe ainsi pour Milner quatre figures principales du juif, qui trouveront à se décliner tout au long des xixe et xxe siècles jusqu’à aujourd’hui, au rythme de leur entrée dans la société. Les études historiographiques sur l’histoire du judaïsme en Occident ont pourtant mis en lumière, depuis un quart de siècle, la manière dont ce modèle faisait fi de la réalité historique, pour des raisons liées à la vision d’Arendt elle-même. L’affinement des chronologies, la notion de transfert culturel, les travaux produits sur les groupes internes aux différentes communautés juives, et plus récemment la prise en compte de temporalités plus longues, incluant le xviie siècle, la Haskala et remontant même aux xvie et xviie siècles, ont montré tout ce que cette vision avait de caricatural. On doit donc admettre que si Jean-Claude Milner a choisi de procéder à l’aide d’un modèle emprunté à Hannah Arendt, même s’il le réaménage, c’est en faisant consciemment fi de toute vérité historique.

10En mettant au centre le rapport à la langue et au savoir, l’analyse qu’il produit en termes structuraux selon l’opposition dehors/dedans ou intérieur/extérieur, Milner choisit pourtant d’inverser la vision arendtienne de l’assimilation. Il prend ses distances avec celle-ci. Il ne s’agit plus en effet pour les juifs de se plier aux règles de la société environnante pour s’en faire accepter, cultivant une forme d’illusion sur leur intégration que l’extermination viendra définitivement lever. Le « juif de savoir » illustre en réalité, aux yeux de Milner, un mode unique d’inscription dans la modernité comme celui qui l’incarne davantage qu’il ne s’y plie, celui qui demeure dans l’exception en raison de la combinaison unique qu’il porte en lui, combinaison qui unit le savoir et l’assimilation. Le processus d’émancipation devient dès lors :

11

une des formes d’arrangement que les juifs élaborent pour se supporter eux-mêmes ; plus exactement pour arraisonner le nom juif dont ils sont porteurs ; plus exactement encore, pour arraisonner le nom juif dont ils sont porteurs en première personne [6].

12Là où Arendt marquait l’assimilation du sceau de la passivité, Milner en fait une forme active. Reste qu’il accorde dans son modèle, comme Arendt avant lui et conformément aux préjugés d’une historiographie depuis longtemps obsolète, une supériorité aux juifs de langue allemande par rapport aux juifs français. Ces derniers auraient troqué leur identité juive contre leur intégration dans la société politique de leur temps. Là encore on pourrait sans difficulté opposer des arguments historiques, depuis l’existence de ceux que J. Berkovitz a qualifiés de « régénérateurs » qui, de S. Cahen, le traducteur de la Bible en français, aux fondateurs de la Revue des études juives à la fin du xixe siècle, n’ont cessé de penser le politique à l’aune de leur identité juive. On pourrait évoquer nos propres travaux sur la science du judaïsme français, ce qui la différencie de la Wissenschaft des Judentums allemande, la place tenue par les juifs dans le développement des sciences humaines en France, précisément parce qu’ils conservaient en arrière-plan comme objet d’étude et de recherche le judaïsme. Il serait vain d’opposer à Milner le fait que ces juifs sont demeurés pour beaucoup d’entre eux dans une pratique ouverte du judaïsme, infirmant l’opposition structurale qu’il définit entre l’étude qu’il assimile à la pratique et l’ethos du savoir. Encore une fois ce n’est pas sur le terrain historique que se place Jean-Claude Milner et il faut donc tenter de comprendre quel plan de discussion est exactement le sien, lorsque, totalement déconnecté de la réalité de l’histoire, il se fonde pourtant sur elle pour articuler le politique et l’identité.

13Il faut ici passer par le troisième volume du triptyque, la mise en lumière de l’analyse de Mai-68 et de l’engagement maoïste qui suivit, pour comprendre quel usage il fait de la scène historique. Car c’est comme scène primordiale que celle-ci est conçue, à la manière dont la psychanalyse reconstitue pour chaque individu et pour le groupe dans son ensemble une scène primitive. La rupture, le trauma qui compose l’exceptionnalité des juifs n’est pas inscrit dans le xxe siècle pour Milner, il ne prend pas place dans la Shoah. Il se situe en amont et confère au patient une dignité immédiate : celle de l’exceptionnalité revendiquée. D’où la définition structurale du savoir. La Wissenschaft, puisque c’est du terme allemand que repart Milner, probablement en raison de la force qu’il véhicule, ne désigne ni une discipline ni même un ethos. C’est avant tout un geste qui troue la société, un écart qui l’empêche de fonctionner comme quelque chose de clos sur lui-même, sans doute ce que Milner appelle par ailleurs un « non-tout ». L’analogie est immédiate avec la place du juif en démocratie. De la même manière que celui-ci représente par son existence même un obstacle au consensus, qu’il déjoue par sa seule présence la loi de la majorité, le savoir, au sens de Wissenschaft, fait signe vers un ailleurs du corps social. Dès lors que le juif se reconnaît dans ce savoir, qu’il s’y identifie, il ne cherche plus, comme le disait Arendt, à se faire accepter par la société, mais se réclame au contraire de la distinction.

14Car il importe pour Jean-Claude Milner que le savoir soit moderne, ce qui le coupe définitivement de l’étude. Qualifié de moderne, le savoir est donc « absolu » au sens que Max Weber donne à ce terme [7], spécialisé sans que cela affecte son absoluité, porté par sa dynamique propre, indifférent aux sujets qui le constituent. C’est précisément ce qui fait sa qualité au regard du juif de savoir. Une fois entré dans le savoir qui le compose, le juif, nous dit Milner, abandonne son identité juive, le savoir se substituant aux deux caractères de l’étude qui constituent selon lui le Nom juif : l’attente et le questionnement. La structure du Savoir est telle, dit-il, qu’elle agit « comme double indifférence du savoir à l’égard de l’objet et à l’égard du sujet », les réduisant tous deux « à des points sans qualité [8] ». La rupture est d’autant plus forte que l’identité juive est depuis toujours ancrée dans le rapport au texte. Selon le schéma établi par Milner, la philologie, science par excellence du savoir moderne, intervient pour marquer la disjonction totale. Ainsi nomme-t-il la critique textuelle qui opère à la fois au cœur du texte et de la religion [9]. Pour que l’opération soit totale, il faut que le Nom juif maintenu par l’étude ait, lui aussi, disparu. Or c’est ici précisément que se nouent l’existence du juif de savoir et l’intrigue de la démocratie, à travers le passage du « quelconque », sa métamorphose de notion négative, comme enjeu du savoir absolu qui ne considère ni son sujet ni son objet en version positive, l’universel. L’exhumation de cette histoire de l’universel, qui distingue un universel moderne de celui défini par les philosophes de l’Antiquité, est récente, dit Milner. Elle date de Lacan et quelques autres. Il y va en réalité de la lecture que l’on peut faire de l’histoire européenne depuis le début du xixe siècle. Il faut pour en comprendre le sens remonter à Paul de Tarse, figure que revisite également Alain Badiou, et au texte de l’Épître aux Galates qui fonde l’humanité en Christ [10]. C’est sur cette vue que se proclame, en dévoyant l’universel impossible dont sa parole se faisait l’interprète selon Milner, l’Église universelle qui, contre la parole de Paul, se fait l’incarnation d’un « universel facile [11] ». Consentir à l’universel, celui qu’assure le Savoir absolu, c’est consentir au christianisme, c’est adhérer à ce qui n’est autre que la version sécularisée du christianisme. Seule condition requise : la négation des Noms et en particulier du Nom juif. Seule l’apostasie effective assure la voie vers l’universel difficile [12]. Dès lors, le xxe siècle signera deux fois la fin des juifs de savoir : en condamnant le savoir, en exterminant le juif. Heidegger les dépouillera du questionnement proprement juif pour le confier aux Grecs. Hitler leur refusa toute possibilité de renoncer au Nom juif en vertu duquel il les extermina. Le juif de savoir se trouve alors ramené à sa pure condition juive retranchée de tout savoir. C’est l’expérience technique de l’extermination – la technique balayant le Savoir – qui interdit désormais toute définition du juif de savoir. De lui ne reste que le Nom juif. Mais cela montre de la même façon que seule l’étude dans tout ce qui l’oppose au Savoir moderne demeure porteuse de ce Nom. Le juif de savoir se trouve supplanté par le juif de négation ou juif de talent qui cherche la reconnaissance. Quant au Savoir absolu, son héritage s’incarne désormais dans le négationnisme, selon Milner. Dans cet affrontement entre l’universel facile et le non-quelconque, dont le retour des Noms – le Nom juif mais aussi l’ouvrier, le Black, le gay –, la démocratie, dont on peut penser qu’aux yeux de Milner elle s’est substituée à l’Église dans son identification à l’universel, s’est interposée. Tout le jeu démocratique consiste en effet à tenter de faire transiger ces deux formes, au nom du meilleur compromis qui soit, à nier toute exceptionnalité, toute force à l’invocation des Noms. Aussi la démocratie équivaut-elle au marché mondial ou à la banalisation de la bien-pensance, à l’effacement du sujet. Mais ce sont aussi les totalitarismes soviétique ou chinois qui se trouvent condamnés par Milner au nom de l’universel difficile. La portée du Nom juif devient ici la marque même de la critique de la démocratie.

II. Le juif hors de l’histoire

15Quelles perspectives offrent les analyses de Jean-Claude Milner ? La complexité qu’elles présentent, l’entrelacement des différents niveaux de discours interdisent de les balayer d’un revers de main. La proximité avec des pensées à la fois critiques de la démocratie – celles que le philosophe Marc Crépon qualifie de « démophobes [13] » – et qui remettent en cause l’existence même de l’État d’Israël participe de ce trouble. Il faut donc en quelque sorte montrer comment, à partir des questions qu’elles posent et qui sont au cœur du judaïsme comme de la modernité démocratique, les réponses qu’apporte Jean-Claude Milner demeurent pour le moins ambiguës, voire dangereuses et hostiles à l’existence juive qu’elles n’acceptent que fossilisée.

3 – L’histoire

16La première piste consiste à prendre la mesure de l’anhistoricité explicite de l’argumentation développée par Milner. On l’a dit. Rien ne sert d’opposer les faits à ses analyses car il se déplace des événements aux structures. Notre argumentation doit s’interroger sur ce que signifie la possibilité d’envisager la condition juive contemporaine en position d’extraterritorialité par rapport à l’histoire. Milner s’inspire-t-il ici des réflexions d’Emmanuel Levinas, qui, dans un texte inclus dans Difficile Liberté, écrivait : « Il y a plus d’un quart de siècle notre vie s’interrompit et sans doute l’histoire elle-même [14] », que Gilles Hanus commente comme une manière de renouer avec une forme d’anhistorisme, une forme d’« anachronisme constitutif de l’existence juive [15] ». Celle-ci peut-elle être mise en relation avec la forme de sortie de l’histoire prônée par Milner ? Pourtant la déception née de la reprise du cours de l’histoire après la Shoah comme si rien ne s’était passé et l’idée de lui opposer l’exigence de l’étude ne sont pas chez Levinas une manière de retour à la tradition. C’est en quelque sorte une réponse au statut de la Shoah elle-même, qui, loin d’être analysée dans la marche de l’histoire, comme le fait Milner, occupe un statut hors de l’histoire, marquant une irrémédiable coupure.

17S’il ne s’agit pas pour Milner de se placer hors de l’histoire, et encore moins de la nier, on peut, pour comprendre la manière dont il appelle l’avènement d’un autre type d’histoire que celui défini par la qualité de la modernité, faire le détour par une autre pensée qui considère, elle aussi, comme problématique le rapport entre identité juive et modernité démocratique plaçant au cœur de cette histoire la négation du « peuple » juif. Dans L’Idéal démocratique à l’épreuve de la Shoah et plus récemment dans Politique du peuple juif, Shmuel Trigano développe l’idée selon laquelle il existe un lien entre la modernité et la Shoah dans une démarche qui se veut « morphologique » et psychanalytique. Pourtant l’idée qui traverse la réflexion de Trigano est, au contraire du pessimisme de Milner, que la démocratie n’a pas encore tiré les leçons de la Shoah, car elle refuse encore de reconnaître la place centrale que joue dans ce débat la dimension de « peuple juif » que la Révolution entendait gommer. C’est faute de penser cette singularité que la Shoah est devenue précisément chez des intellectuels comme Milner ou Badiou « l’abstraction de la condition juive aujourd’hui, une langue de déréalisation, de désincorporation [16] ». Cette singularité, Trigano la situe au sein de la condition même de « peuple » juif auquel la modernité n’a pas su reconnaître sa place. Dès lors, le judaïsme manque cruellement de possibilités de s’incarner formellement, ce dont témoignent les difficultés terminologiques qui entourent l’existence des juifs depuis deux siècles. C’est en cela que modernité et Shoah s’affirment étroitement associées.

18

La modernité politique qui a émancipé les individus juifs n’a pas eu de place en son sein pour le peuple juif. C’est un fait d’évidence. Sans que pour autant ce peuple disparaisse dans les faits, l’antisémitisme qu’elle produit dès ses débuts, par son côté inconscient, démontre objectivement que, dans sa perspective même, le peuple juif continue d’exister, non reconnu et donc voué par une nécessité de fer à tous les errements de l’histoire [17].

19La singularité juive apparaît comme une construction de l’Occident par laquelle celui-ci s’est forgé l’image du « juif », différent du juif réel, nécessaire à sa propre histoire. « Il y a ainsi un “signe juif-de-l’Europe” qui nous renseigne sur l’Europe bien plus que sur les Juifs. L’incompréhensibilité de la Shoah est au carrefour de ces deux histoires [18]. » En apparence, on aurait le même lien – symbolique – chez les deux penseurs entre l’Europe et l’événement de la Shoah. C’est au creux de l’universel paulinien que s’inscrit ici comme chez Milner l’opération de déréalisation du juif. Paul opère une double négation d’Israël, à la fois dans la lettre et dans la chair, dimensions dépassées et rendues caduques par le souffle de l’esprit. L’universel chrétien se construit ici contre le juif, mais, contrairement à la description de Milner, contre un juif réel, historique, incarné. L’histoire n’est jamais chez Trigano objet de confusion. Elle renvoie explicitement aux événements et aux faits. Ainsi prend-il soin de distinguer entre la démocratie comme valeur, comme idéal et la réalité de cette démocratie, et s’il incrimine la réalité démocratique, celle-ci n’obère en rien l’idéal politique lui-même. Il y a donc dans le refus explicite de toute dimension historique comme critique de la modernité chez Milner un présupposé philosophique qui renvoie à l’idée selon laquelle le Nom juif tout entier contenu dans l’étude est l’image d’un judaïsme désincarné ou tout entier dans une tradition qui n’eut jamais d’existence autre que théorique.

4 – L’universel

20Si beaucoup d’écrivains et philosophes, voire penseurs religieux, ont remis en cause la rencontre des juifs et de la modernité depuis un demi-siècle, peu l’ont fait aussi radicalement que Jean-Claude Milner. Sa tentative pour définir le juif contre elle est aussi une tentation de définir la condition juive hors d’elle.

21À partir du postulat véhiculé par le Nom juif, la théorie de Milner reprend un leitmotiv bien connu dans les récentes réflexions sur le judaïsme, celui du creux, de l’oublié, du juif d’écriture, comme on voudra l’appeler, du juif comme symptôme de l’histoire occidentale interprétée sur le mode du déclin dont serait responsable la victoire de la rationalité démocratique ou de l’universel rationnel. C’est donc au sein d’un courant philosophique auquel il appartient, même s’il s’ingénie à multiplier les écarts et les différences, qu’il convient de l’analyser, tout en prenant soin de le dédouaner de la violence et de la haine véhiculées par ceux avec lesquels il lui arrive de polémiquer. Les juifs seraient structurellement porteurs d’une autre vision de l’universel que celle sur laquelle s’appuie la modernité, l’assimilation consistant, comme on l’a vu, à troquer de manière illusoire cet universel contre un autre. C’est ici par la lecture de Benny Lévy et par l’interprétation que celui-ci donne des Réflexions sur la question juive de Sartre qu’il convient de passer. Dans Le Nom de l’homme, Benny Lévy refait effectivement le trajet philosophique qui conduit Sartre d’une interrogation sur la fondation d’une autre morale à sa construction du peuple juif qui ouvrirait à cette possibilité en raison d’une extraterritorialité historique fondée dans son rapport à Dieu. Le peuple juif serait « le “peuple en trop” dans l’histoire universelle pour avoir contracté un rapport avec l’Un [19] ». Traduit dans la pensée de Benny Lévy, cela revient à penser le projet sartrien, par lequel l’individu prend pied dans le monde, à travers le projet abrahamique, par lequel il se trouve investi de la responsabilité du monde par le fait de lui donner un sens, mais renvoyé en même temps à une chaîne de transmission qui n’annule pas sa propre création de soi. L’individu libre de Sartre devrait alors se dire dans le langage de la tradition juive. Milner s’inscrit-il dans cette relecture de Benny Lévy ? La tradition dont il fait son horizon relève en effet d’une construction de l’esprit proche de la manière dont Benny Lévy tente, au sortir de l’engagement politique et de la gauche prolétarienne, de retrouver une identité juive. Identité qui est une pure construction puisque là encore l’histoire est comme effacée, dans la mesure où la tradition qu’il prétend reconstruire est étrangère à tout héritage occidental de la modernité. Plus encore la pensée de Benny Lévy, pensée du retour, cherche à revenir à une tradition éternelle qui serait autant hors du monde qu’elle est extérieure à l’histoire. On retrouve l’hostilité à une formulation philosophique de l’universel.

22Milner est moins opposé à l’attitude philosophique qu’il ne le prétend. Il est en revanche bien plus antidémocrate et, de ce point de vue, corrosif pour cette dernière. Critique de la démocratie qu’il ancre dans une condamnation de l’universel, laquelle s’appuie à son tour sur l’attaque proférée contre l’histoire. Milner s’inscrit dans la ligne de ce qu’il appelle, dans cette ego-histoire du gauchisme qu’est L’Arrogance du présent, le « gauchisme-65 » et qu’il situe antérieurement à Mai-68 [20]. La Révolution culturelle a joué face au marxisme et à Mai-68 un rôle déterminant, en proclamant la fin de cette idée que la Révolution ne pouvait que revêtir la figure de l’universel. « Le savoir avait changé ; la Révolution, peut-être aussi la Révolution culturelle, donnait à le penser [21]. » Mao contre Adorno. Non content d’avoir liquidé la démocratie, Milner se débarrasse ici de la révolution, coupable à ses yeux d’avoir, elle aussi, cherché à effacer le Nom juif. Il explique sa rupture avec la gauche prolétarienne, presque trente ans après, par sa volonté de voir perdurer ce dernier.

23De quelle parure se revêt alors l’universel difficile ? Ou, pour poser la question autrement, quel chemin le Nom juif nous offre-t-il pour nous y mener ? C’est ici que le philosophe s’absente et que la démonstration se fait évanescente. Car on peut s’interroger sur la nature de ce judaïsme dont Milner nous dit qu’il ouvre à un autre universel. Celui-ci ne renvoie à aucun fait, ne s’incarne dans aucun nom. Si le judaïsme joue un rôle dans sa pensée, c’est bien plus comme un simple dispositif formel, ouvrant vers un ailleurs, un autre chose qui n’est jamais précisé, forme vide qui rejette l’immanence mais n’aspire jamais à aucune transcendance. Il n’est en fait que le prétexte au développement d’une pensée passée d’abord par la dispersion des êtres parlants, puis par la déconstruction de l’universel, et qui culmine dans la dénonciation de la politique non seulement comme activité sociale mais comme vision du groupe humain, refus de voir dans le corps collectif un ensemble capable de s’administrer en vue d’un horizon partagé. Ainsi la boucle est-elle bouclée. Sous couvert d’une critique de la modernité, et au-delà de la démocratie, c’est en réalité la vision humaniste de l’individu que met en jeu la critique de Milner. Le livre récemment paru sous le titre Le Sage trompeur. Libres raisonnements sur Spinoza et les Juifs.

24Court traité de lecture I vient compléter à partir de l’interprétation d’un chapitre du Traité théologico-politique de Spinoza ce type de dispositif [22]. Milner affirme lever le voile sur les « vérités indécentes » que Spinoza aurait disposées dans son texte, lorsqu’il s’interroge sur la longévité du peuple juif et sur la recréation possible d’un État juif. Il est très frappant de voir Milner, qui se réclame pour cela du principe de lecture ésotérique prôné par Leo Strauss, s’autoriser de l’idée même d’une lecture iconoclaste pour faire fi de l’ensemble de l’ouvrage, interpoler des passages, voire des textes qui y sont étrangers, procéder à de complets contre-sens historiques au prétexte que telle n’était pas l’intention de Spinoza, bref utiliser le texte dans le sens d’une lecture préalablement établie. Dès lors l’effet est radical, les juifs dont parle Spinoza n’ont plus rien à voir avec ceux de son temps. Tout tient dans l’usage qu’en fait le philosophe dans sa prétendue critique des passions politiques.

25Dans la mesure où les juifs interviennent en réalité davantage comme prétexte, comme une pièce du puzzle, le fait que la construction dont ils sont le résultat n’ait rien à voir avec une quelconque réalité est de peu d’importance pour celui qui en use ; il interdit en revanche à quiconque de s’y reconnaître. Les questions dont il s’empare sont de ce point de vue celles que lui-même s’invente ou qu’il attribue en l’occurrence à Spinoza et dans lesquelles il ne peut que se reconnaître. Elles n’ont rien de commun avec la formulation que pourraient en faire les juifs contemporains, pas même ceux qui se reconnaîtraient dans la critique de la démocratie. Le débat n’a du dialogue que l’apparence dans la mesure où il se déploie dans une œuvre dont les prémisses sont elles-mêmes difficiles à partager tellement leur auteur les masque sous un non-dit, et où ceux qu’il prétend associer n’ont d’autre existence que celle qu’il veut bien leur reconnaître. L’objet du débat n’est donc pas celui qu’on croit. Chez Milner, il n’est question ni des juifs ni de la démocratie. Tout au plus d’une volonté d’interdire le politique comme expression d’une humanité retrouvée. Le juif est cette figure qui masque une circularité de la pensée.

Notes

  • [1]
    Jean-Claude Milner, Les Noms indistincts, Lagrasse, Verdier, « Verdier poche », 1984, réédition 2007.
  • [2]
    Id., Le Juif de savoir, Paris, Grasset, « Figures », 2006, p. 20.
  • [3]
    Id., voir notamment le chapitre intitulé « Les pièges du tout » qui ouvre Les Penchants criminels de l’Europe démocratique, Paris, Verdier, 2003, p. 17 sq.
  • [4]
    Enzo Traverso, La Fin de la modernité juive. Histoire d’un tournant conservateur, Paris, La Découverte, 2013, p. 77.
  • [5]
    Alain Badiou, Circonstances 3. Portées du mot « juif », Paris, Éditions Leo Scheer, 2003.
  • [6]
    Ibid., p. 46.
  • [7]
    Milner reprend ici la conférence donnée par Weber sous le titre « La profession et la vocation de savant », Max Weber, La Science, profession et vocation, trad. I. Kalinowski, Marseille, Agone, 2005.
  • [8]
    Jean-Claude Milner, Le Juif de savoir, op. cit., p. 74.
  • [9]
    Ibid., p. 86-87.
  • [10]
    Ga 3,28.
  • [11]
    Jean-Claude Milner, Le Juif de savoir, op. cit., p. 106 sq.
  • [12]
    Ibid., p. 110.
  • [13]
    Marc Crépon, Élections. De la démophobie, Paris, Hermann, « Le Bel aujourd’hui », 2012.
  • [14]
    Emmanuel Levinas, Noms propres, « Paris, Le Livre de Poche, « Biblio Essais », 1987, p. 142. Ce passage est commenté par Gilles Hanus in Échapper à la philosophie ? Lecture de Levinas, Lagrasse, Verdier, « Philosophie », 2012, p. 27-30.
  • [15]
    Ibid., p. 28.
  • [16]
    Shmuel Trigano, Politique du peuple juif, Paris, Éditions François Bourin, 2013, p. 55.
  • [17]
    Ibid., p. 91.
  • [18]
    Ibid., p. 103.
  • [19]
    Benny Lévy, Le Nom de l’homme, Paris, Verdier, 1984, p. 60.
  • [20]
    Jean-Claude Milner, L’Arrogance du présent. Regards sur une décennie, Paris, Grasset, « Figures », 2009, p. 99.
  • [21]
    Ibid., p. 210.
  • [22]
    Jean-Claude Milner, Le Sage trompeur. Libres raisonnements sur Spinoza et les Juifs. Court traité de lecture I, Lagrasse, Verdier, 2013.
Français

La théorie du Nom juif dont Milner est l’un des principaux tenants ne se contente pas de réfuter toute position interne à l’histoire et d’exclure les juifs de toute forme d’existence réelle, passée ou présente. En remettant en cause l’ensemble des valeurs à partir desquelles on peut lire l’histoire des deux derniers siècles, elle interdit de lire l’avenir à leur lumière. La question posée par Jean-Claude Milner est donc double : le juif peut-il encore se reconnaître dans la modernité ? Peut-il, à l’inverse, se concevoir hors de la modernité ? Mais, à travers le juif, c’est en réalité l’humanisme sous sa forme démocratique que cette théorie vient ébranler.

Perrine Simon-Nahum
Perrine Simon-Nahum est directrice de recherches au CNRS, membre du Centre Raymond Aron de l’École des hautes études en sciences sociales. Elle enseigne à l’École normale supérieure et à l’IEP de Paris. Elle est directrice de collection aux éditions Odile Jacob.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/11/2017
https://doi.org/10.3917/lgh.056.0593
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Le Seuil © Le Seuil. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...