CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« […] lorsqu’on commence à se souvenir du fondamental de l’existence, autrement dit de sa finitude, […]. »
[…]
« C’est dans la part implicite du poème que la poésie accède à la conscience de soi. »
[…]
« Et aux époques où une foi religieuse impose de vivre selon ses lois, lesquelles sont encore du conceptuel, empêchant le croyant de pleinement assumer sa finitude, la poésie privée de pouvoir même tenter au plan manifeste d’élucider sa nature pourra préserver sa conscience de soi dans cette épaisseur du texte, par des métonymies et des métaphores, caractéristiques de ce niveau. La religion ? C’est la rhétorique qu’elle aime, malgré la qualité poétique de certaines œuvres qui s’en réclament, en cela plutôt inconséquentes. La religion a besoin de la rhétorique pour plus d’éloquence dans le discours d’exposition de ses dogmes. Autre raison pour la poésie de se refuser à la rhétorique. »
Yves Bonnefoy, « Les sonnets de Shakespeare et la pensée de la poésie », présentation aux « Sonnets » de Shakespeare, précédés de « Vénus et Adonis » et du « Viol de Lucrèce », Paris, Galimard, coll. « Poésie/Gallimard », 2007, p. 11-12.

1Tout en soulignant les liens entre le poétique et le religieux, Yves Bonnefoy fait l’hypothèse d’une « autonomie du poétique ». Celle-ci est d’autant plus problématique qu’au fil des siècles le poétique et le religieux se sont épaulés, s’enchevêtrant mutuellement au point souvent de ne plus former qu’une entité aux aspects indistincts.

2Prenons Vico pour guide. S’il indique que « l’histoire sacrée permet de déterminer l’origine et le développement de l’histoire universelle [1] », il précise aussitôt : « Même si l’on exclut les certitudes supérieures à toute démonstration que donne la foi en Dieu (divina fide), des arguments humains (humanis argumentis) peuvent nous en donner la démonstration, dans la mesure où l’on suppose la vérité d’événements démontrés aussi proche que possible du vrai de la géométrie [2]. »

3Vico poursuit ainsi sa construction d’un « monde civil [3] », traçant les voies d’une archéologie des usages et des pratiques commune aux premiers peuples de l’humanité :

4

Si les mathématiques précédèrent l’écriture, les usages précédèrent de beaucoup les lois.
Et les usages furent des exemples.
Et les exemples furent les premières lois (primas leges).
[…] Et ces lois, par leur nature propre (natura ipsa) plutôt qu’à dessein, furent des poèmes (carmina) qui, avant l’invention de l’écriture (scriptura nondum inventa), se fixaient plus facilement dans la mémoire parce qu’elles étaient des formules chantées (cantu dictatae).
[…]
Ainsi les poètes furent-ils les premiers législateurs
(sic poetas fuisse primos legislatores) [4].

5Pour le Vico du De constantia jurisprudentis (ouvrage de 1721 où se lit une première cristallisation de sa Scienza nuova en devenir) [5], « la langue des lois » (legum linguam) [6] et « les premières lois » furent donc des poèmes (carmina). La loi, nomos, était alors un chant poétique, du son et du sens : un rythme sonore. Et les anciens chantaient la loi afin qu’elle devienne scansion du mémorable et source de droit commun. Nous y reviendrons.

Poser un problème : « l’autonomie du poétique »

6Dans sa lettre du 26 octobre 2001 destinée aux participants du colloque de la Fondation Hugot [7], Yves Bonnefoy souligne divers problèmes, faisant des « remarques » pour nous « inciter à y répondre » et à réfléchir sur « la nature de la poésie, de sa fonction ». Il s’interroge sur la manière d’apporter quelques éclairages sur « beaucoup de non-dit ». Il s’agirait de « la tâche d’une réflexion directe sur la poésie » ; de « donner priorité à la théorie d’ensemble du poétique ».

7Dans ces pages, une préoccupation : l’« autonomie du poétique ». Quelle que soit la pluralité possible des « conceptions du poétique », celles-ci supposent néanmoins qu’on y reconnaisse de l’autonomie, l’« autonomie du poétique » – une « hypothèse » à prendre « au sérieux ». Mais de quoi s’agit-il ? D’« une forme de connaissance qui n’est qu’à elle », enracinée dans « du son et des rythmes ». Et encore : « du savoir de la finitude ». Autrement dit, un ensemble de points qui pourrait contribuer à dessiner une carte, aux frontières sans doute incertaines, signalant quelques aspects de la spécificité du poétique.

8Il faut pour cela, poursuit Yves Bonnefoy, « l’adoption, qui me paraît nécessaire, d’un point de vue que je dirais relativement normatif dans l’étude des œuvres particulières ». Il ne s’agit pas pour autant de juger les œuvres en partant de valeurs normatives. On ne trouve pas plus ici de critère simple, ni absolu, disant ce que serait, ou ne serait pas, l’essence du poétique dans le temps et dans l’espace, traversant cultures et civilisations. L’idée d’une norme, nous le verrons, suppose au préalable la conception d’un bien commun, d’un système de signes donné en partage, qui ne résulte pas d’un geste arbitraire, d’un lieu où tout un chacun pourrait se reconnaître, se retrouver : d’une monnaie commune.

9Dans son courrier, Yves Bonnefoy note d’autres aspects liés à l’histoire des textes poétiques quand il évoque certains pièges – notamment celui des « représentations fantasmatiques et réductrices du féminin » que j’ai abordées ailleurs [8]. Je n’en dirai donc rien ici.

10La même lettre souligne enfin un autre problème, crucial : « […] au cœur même de la création poétique, et qui doit donc être présent aussi dans la réflexion sur cette dernière, est celui de la croyance. » Ou, dans une formulation plus explicite encore : « Le rapport du poétique et du religieux est peut-être le plus fondamental de tous dans l’étude de la conscience de soi de la poésie. » Ce type de problème requiert une « sorte de discussion sur le fond, ou presque ». Interrompant ses propos, Yves Bonnefoy dit encore qu’il s’agit là pour lui d’« une invite [qui] porte sur le plus radical ».

11Lisant des textes récents d’Yves Bonnefoy, j’y ai trouvé des développements que, me semble-t-il, on peut rattacher aux propos de cette lettre de l’automne 2001, et des éclaircissements, quand il établit des liens entre le Goya des « peintures noires » et Leopardi. Dans ces pages, il montre la difficulté qu’il y a eu – qu’il y a sans aucun doute toujours – à rompre avec certaines formes de romantisme arrimées à « l’époque théologique [9] ». Le peintre et l’écrivain, pourtant si différents, se sont défaits dans leurs œuvres des vestiges anciens pour s’inscrire dans une modernité qui précède celle de Mallarmé, de Nietzsche.

12Dans son Leopardi, Yves Bonnefoy écrit :

13

Nous aimons toujours la poésie romantique […] Nous l’aimons mais nous ne pouvons plus nous en satisfaire, parce qu’une croyance y demeure vive que nous ne pouvons plus faire nôtre. Aussi dégagés soient-ils du discours théocentrique d’auparavant, on voit bien que les poètes romantiques continuent d’éprouver que l’esprit humain est au centre de l’univers, ils se sentent toujours en rapport direct, par l’intérieur d’eux-mêmes, avec le dieu qui n’a refermé son livre que pour mieux leur parler dans leurs poèmes. Un anthropocentrisme est toujours vivace, chez Chateaubriand ou Wordsworth, que nous devons tenir pour naïf, nous qui savons que le cerveau et ses rêves ne sont qu’un moment fugitif dans les mouvements aveugles de la matière [10].

14Et encore :

15

[Leopardi] a su s’élever bien avant Mallarmé ou Nietzsche à cette lucidité qui est le seuil nécessaire de la modernité de l’esprit. Et c’est donc bien de lui qu’il faut que procède toute poétique qui se voudra vérité autant que beauté.

16Si Yves Bonnefoy dit le prix de la lucidité, celle d’une fiction créatrice par laquelle le langage « se donne un monde [11] », s’il souligne à deux reprises combien « le ciel de Leopardi est vide [12] », il dit aussitôt que jamais on ne trouve ici de passion nihiliste.

17Ces propos permettent peut-être de mieux cerner le passage de la lettre où il est question de cette forme spécifique de croyance qu’on assigne généralement au « religieux ». Quant à l’« invite [qui] porte sur le plus radical », on peut sans doute l’entendre comme ce qui renvoie notamment à l’étoffe sémantique des mots, à la langue poétique et ses rythmes sonores, à la mesure des chants, aux vocables et aux images qui en dessinent de possibles contours toujours inscrits dans leurs lieux historiques.

18Ce sont ces « remarques » qui nous ont incité à une excursion sémantique. En prenant pour guides – plutôt que comme arguments démonstratifs – des textes de Vico et leurs sources anciennes. Cet exercice, banal en apparence, est d’autant plus périlleux qu’il se livre dans l’amitié, tâtonnant parmi les mots de la langue, à l’écart de toute « théorie d’ensemble du poétique ». Autrement dit, il s’agit d’une tentative d’archéologie du poétique, dans ses divers registres sémantiques, où le chant a pu devenir un lieu géométrique, signalant une alliance entre le religieux et le politique.

Chanter la loi

19En ces temps lointains, la loi était un chant. Quand Apollon le sonore s’y associait [13]. Quand la scansion était au service de l’ordre solidaire du partage et le poétique, une forme de juridiction : une grammaire des rythmes qui construit des formes et donne du sens à la vie commune. Les Pères de l’Église ne considèrent-ils pas le texte mosaïque, le Pentateuque, comme les cinq livres d’un nomothète inspiré ? À partir du xviiie siècle, notamment avec Robert Lowth, et après lui avec Herder, on veut lire l’Écriture sainte comme une poétique du Sublime [14]. Or, ne s’agit-il pas d’une loi chantée par les premiers chrétiens dans un lieu où l’on se retire, pour s’assembler, que la Septante nomme sunagôgè ? Dans cet espace de partage, la loi commune trouve son sens pratique dans un chant hébraïque, à voix haute, quand la psalmodie articule d’invisibles voyelles, non inscrites dans le Texte – ce qui a donné lieu à la guerre des voyelles, problème d’exégèse qui a enrichi l’histoire des controverses judéo-chrétiennes [15].

20Reprenons le cours de nos lectures en compagnie de Vico. Il affirme en 1721 que « les premières lois […] furent des poèmes qui, avant l’invention de l’écriture, se fixaient plus facilement dans la mémoire parce qu’elles étaient des formules chantées (cantu dictatae) [16] ». Il souligne encore, comme un événement majeur, ce qui peut paraître de simples observations lexicales :

21« Le mot (grec) nomos signifie donc en même temps lex et cantus (la loi et le chant) […] ; il est vrai aussi que par la suite, les lois furent appelées ainsi à cause de legere, lire (leges a legendo appelari) [17]. »

22Consultons quelques textes anciens pour en savoir plus sur ces mots grecs et latins, et entrevoir ainsi ce qu’il en est d’une telle lecture de la loi – cette approche poétique d’une scansion politique. Ensuite, à propos de ce que seraient certaines formes de croyance, jetons un coup d’œil sur son versant religieux : romain et chrétien [18]. Peut-être pourrait-on ainsi, à l’écart des romantiques, montrer l’importance de sources rendant possible une archéologie intellectuelle des questions posées par Yves Bonnefoy. En faisant un détour, chez les Grecs d’abord.

23Pour examiner quelques emplois d’un nomos poétique, il n’est pas nécessaire de faire appel au début de la Théogonie d’Hésiode, ni de citer ces vers, que certains pensent interpolés, où les Muses chantent les lois (nomous) [19]. Ni de s’associer à l’inquiétude philologique liée à la dédicace de l’Hymne homérique à Apollon à propos d’une leçon où, au vers 20, en raison d’une accentuation incertaine, on ne sait si nomos désigne le « pâturage » ou un type de chant – même si on penche pour « une profusion de chants [20] ».

24Pour Hérodote et Aristophane, nul doute : nomos indique un genre poético-musical. Racontant un moment étonnant de la vie (en tô bio thauma) d’Arion le citharède, « le premier à notre connaissance qui ait composé des dithyrambes [21] », Hérodote dit comment ce poète à succès, soudain enrichi, est kidnappé par des pirates. Pour survivre, il se jette à l’eau, où un dauphin le sauve. Cette saynète donne lieu à une ruse poétique d’Arion : profitant de sa réputation de « meilleur chanteur qui fût au monde », il prit sa cithare pour charmer les bandits et détourner ainsi leur vigilance en interprétant un nomos. Ce terme désigne ici un hymne liturgique, de structure régulière, dit « nome orthien » (nomon ton orthion) [22], une invention de Terpandre, dont le nom est associé aux origines de la lyrique grecque au viie siècle [23]. Ce nome orthien, au rythme vif et entraînant, Aristophane précise qu’on le reconnaît des autres modes aussi aisément qu’on distingue « le blanc du noir [24] ».

25Le mode, la norme mélodique, la mesure régulière que suppose toute poétique se trouvent évoqués dans un fragment du poète grec Alcman (viie siècle) quand il veut reconnaître « les nomoi de tous les oiseaux [25] » : ce que François Lasserre comprend comme « les mélodies particulières à chaque oiseau, ou à chaque espèce ». Un tel « usage normatif » de nomos pourrait désigner un trait commun à la variété des chants d’oiseaux, une forme de régularité identifiable dans les nomoi mélodieux des oiseaux. Transposé chez les humains, nous aurions un système mélodique où nomos signifie l’unité d’une règle prosodique qui préside à tel ou tel genre musical [26].

26Qu’en est-il de la loi dans ce contexte poétique ? Ethnographe, Strabon, nous informe. Lors d’une de ses incursions au cœur de la lointaine Cappadoce, en sa « position la plus centrale », chez les Mazacéniens, il décrit les mœurs politiques de cette population :

27

Les Mazacéniens ont pour Constitution les lois (nomoi) de Charondas, mais ils élisent en outre un nomodos qui a pour tâche de leur indiquer les lois (exegetes tôn nomôn), comme chez les nomikoi à Rome [27].

28Hermippe de Smyrne, grammairien et historien au iiie siècle, écrit que Charondas, législateur de Catane, était l’auteur de lois qui se chantaient (eidonto) [28]. La loi a donc besoin d’un exegetes[29], d’un guide éclairé, d’un expert de la formule appropriée pour qu’elle soit bien entendue. Cet homme est désigné comme « le chantre des lois » : le nomodos. Pourquoi donc faudrait-il que les ancêtres des jurisconsultes romains soient des chantres ? Que l’exegetes de la loi soit doué d’un sens poétique et mélodique ? Le corpus aristotélicien nous aide à penser l’anthropologie poétique chez les Anciens, si l’on veut bien y jeter un œil :

29

Pourquoi appelle-t-on nomoi les nomes chantés (nomoi […] aidousin) ? C’est parce que, avant d’avoir l’écriture (grammata), on chantait les lois (èidon tous nomous) pour ne pas les oublier [30], comme cela se pratique encore chez les Agathyrses [31]. Par la suite, on a donné aux premiers chants (ôidôn tas protas) le même nom qu’aux chants primordiaux (tas prôtas) qu’étaient alors les lois [32].

30Avant de fixer les lois par écrit, les prescriptions pouvaient donc être scandées par des rythmes mélodiques. Aussi ne fallait-il pas oublier la loi chantée dans l’enfance. En la récitant, on apprenait par cœur la loi commune ainsi associée à une poétique de la mémoire. N’est-ce pas dans ce but que les Crétois ordonnaient (ekeleuon) aux enfants libres d’apprendre les lois (nomous) à l’aide d’un chant (meloidia) [33] ? Au début du iiie siècle, Elien sait que la loi s’enseigne et se retient mieux quand la mémoire (mnéme) est conduite par de la musique (mousiké). Ainsi, commettant une action interdite, nul ne pourra plus donner comme raison de son méfait l’ignorance (agnoia) de la loi.

31Ce chant de la loi paraissait déjà pourtant bien incertain à Cicéron quand, dans son De legibus, il évoque une enfance lointaine :

32

Quand nous étions enfants, nous apprenions le texte des XII Tables comme un chant nécessaire (carmen necessarium) : aujourd’hui personne ne l’apprend plus (iam nemo discit) [34].

33Lecteur de Cicéron, Vico veut fonder sa Scienza nuova sur de nouvelles pratiques politiques à l’aide d’une méthode philologique. En l’inscrivant dans une jurisprudence qui aurait conservé les « origines de l’expression poétique, […] du nombre, du chant et du vers [35] ». Voilà sans doute pourquoi Vico choisit de citer ces pages d’Elien et de Cicéron, soulignant l’importance de cette « coutume romaine mentionnée par le même Cicéron, d’après laquelle les enfants chantaient cette loi des XII Tables “tanquam necessarium carmen”, pour reprendre ses propres mots ». La loi comme « chant obligatoire [36] ».

34Nomos : une mélodie où Alcman veut entendre non plus le piaillement désordonné des oiseaux mais un système sonore en identifiant un type de régularité commun au chant des oiseaux ; nomos : un premier chant commun, un mode poétique où le sens épouse un rythme sonore, une loi qui requiert son exegetes et ses chantres. Et la « nécessaire » mémoire des enfants.

Un lieu commun sémantique

35Élargissons l’enquête pour cerner d’autres aspects du terme nomos en suivant quelques pistes indiquées par le verbe nemo et ses associés. Cette famille sémantique, avec sa racine Nem-, a été explorée en 1949 par Emmanuel Laroche. On y trouve des vocables soulignant le sens de ce qui est donné en partage, quand chacun y a sa part. Comme pour nomisma, la monnaie [37]. Il s’agit d’une institution politique assurant en principe une évaluation commune dans l’échange et le partage, un instrument qui se veut de juste mesure. Car nomisma est d’abord le signe d’une mesure : dans les Thesmophories, Aristophane se sert de ce vocable pour dénoncer celui ou celle qui trompe, qui triche « sur la mesure officielle [38] » : une telle transgression évoque précisément la « démesure », et, pour la désigner, le verbe lumaino, associé ici à nomisma, exprime la souillure sociale, la corruption.

36On entrevoit combien l’idée de juste mesure peut être commune à l’univers juridique (où l’on ne cesse de prendre des mesures), au monde des poids et mesures que suppose le fait monétaire archaïque, enfin au mode poétique rythmé par des mesures et des scansions. Socrate ne dit-il pas que la poésie est d’abord « musique (melos), rythme (ruthmon) et mètre (metron) » [39] – une manière, sans doute négative ici, de dégager une forme d’autonomie ou du moins une valeur spécifique au poétique par rapport au logos platonicien ?

37À la même famille sémantique que nemein appartient aussi ce qui relève de la coutume, ce qui est conforme à l’usage, aux règles communes [40] : celles-ci supposent un partage qui ne résulte pas d’une décision arbitraire [41] mais d’un impératif lié à ce qui convient, à une convention. Autrement dit, la coutume ordonne la mise en application d’une décision concertée, non du bon plaisir personnel. Cet ensemble de valeurs sémantiques induit dans certains textes, comme au livre IV chez Hérodote, l’idée d’une opinion partagée, d’une « manière commune de dire [42] ». Enfin, nomos trouve son sens le plus courant : une coutume ayant force de loi.

38Dans de belles pages sur la frugalité qui suppose une juste distribution des biens entre tous, une justice distributive (nemesis), Plutarque dit ce que serait une politique où le bien commun (koinon) l’emporterait sur idion, la cause personnelle [43]. Lors de repas pris en commun, n’est-ce pas l’envie du luxe qui empêche une distribution équitable des mets ? Et l’excès de gourmandise qui interdit un partage égal « des gâteaux, des soufflés, des sauces […] et des épices » ? Pour faire comprendre ce que la communauté doit aux lois, dès lors que celles-ci fixent des « limites à la propriété personnelle », et à la convoitise, Plutarque souligne la valeur spécifique de nomos et son pouvoir sémantique d’imposer le partage, la distribution :

39

Les lois […] doivent précisément leur nom (nomoi) à cette capacité et à ce pouvoir de répartir (nemousès) également ce qui appartient en commun à tous (koinon).

40Appartenant à une même sphère de significations, sans qu’on puisse retracer son histoire sémantique, ni établir son étymologie [44], nomos, la loi, est un dérivé de nemein, répartir, distribuer, qui a pu d’abord signaler une pratique qu’aucune loi n’ordonnait alors : la distribution des terres dans les colonies grecques [45].

41Mais il est encore un autre sens du verbe nemein, que le Dictionnaire étymologique de Chantraine ne donne pas [46] ; nemein peut signifier lire et la lecture à haute voix : tel est sans doute le cas dans le fragment 144 de Sophocle [47]. C’est Jesper Svenbro, helléniste au CNRS et auteur d’une œuvre poétique en langue suédoise [48], qui en 1988 attire notre attention sur cette « préhistoire “orale” de nemein » – quand ce verbe signifie « citer », « réciter », pour donner lieu à une « distribution orale [49] ». En effet, avant d’être inscrite, la loi est proclamée à haute voix. Nomos, nom d’action de nemein, dit comment il convient d’entendre ce verbe : lire (nemein) à haute voix pour diffuser la loi (nomos) au plus grand nombre. Nous sommes ici dans des sociétés où l’oral et l’écrit se chevauchent ; où nomos est d’abord du sonore afin que tous l’entendent. Une voix commune, sans doute articulée par le Magistrat de la cité, mais une voix dont la légitimité n’appartient à personne. Jesper Svenbro écrit : « Le nomos est une voix. Une voix en quelque sorte auto-nome : dans l’absence de son auteur mortel, il est une voix immortelle […] [50]. » Si le nomos des oiseaux diffuse une mélodie où Alcman sait distinguer des formes de régularité, la loi, nomos, exprime ce qui passe par la voix lors d’une distribution commune. Si donc nomos désigne la lecture sonore, rien ne s’oppose à ce qu’on y entende à la fois « la bouche des magistrats lecteurs [51] » et le chantre des lois.

42Nomos : une mesure poétique, le mode d’un chant, la lecture de la loi.

La loi, la lecture…

43Il existe un couple latin formé par lex (legis), « la loi », et le verbe legere, qui signifie « cueillir, rassembler, ramener à soi », mais aussi « choisir » (par exemple des juges) [52], enfin « lire [53] » : lire des yeux, lire à haute voix. Alors que le verbe grec legein donne logos (parole) et lexis (action de parler), ces termes ne signifient pas la loi que désigne nomos – même si le verbe nemein appartient sans doute désormais au registre de la lecture. Pour exprimer le rapport entre la loi et la lecture, on ne trouve donc pas de symétrie entre le latin (lex/legere) et le grec (nomos/legein). Le couple sémantique latin s’est en quelque sorte réfugié, de manière discrète, dans le grec nomos/nemein[54].

44Cicéron insiste ainsi, dans son De legibus, sur l’opposition entre nomos et lex, le terme grec disant la répartition, la part assignée d’office (tribuendo), là où la loi latine signifie une décision, un choix délibéré (legendo) [55]. Ailleurs, partant de lex (la loi) et de legere (cueillir, rassembler, choisir, lire), Cicéron nous entraîne sur un autre terrain quand il examine le substantif religio, le rattachant à legere. Plus tard, chez Vico, tout en occupant des plans distincts, lex et religio vont s’associer dans une source commune : la lingua poetica[56].

… et « la vraie religion »

45La longue durée du compagnonnage entre le religieux et le poétique recommande l’évocation d’une dispute sémantique deux fois millénaire. Son objet : les puissances diffuses de religio.

46Depuis l’Antiquité, les querelles sur religio ne sont pas uniquement philologiques. Il s’agit de savoir s’il faut rapprocher religio de (re)legere, cueillir, ramasser, choisir, ou de (re)ligare, lier, relier, se lier, attacher, joindre, unir : autrement dit, suivre Cicéron ou Lactance – et leurs innombrables successeurs. « C’est encore, écrit Émile Benveniste en 1969, entre legere et ligare que se partagent les auteurs d’aujourd’hui [57]. »

47Le texte de Cicéron où il est question de superstitio et de religio[58] se trouve au livre II du De natura deorum.

48« Ceux qui reprenaient (retractarent) (ceux qui examinaient) diligemment et en quelque sorte relegerent (recueillaient) toutes les choses qui se rapportent au culte des dieux, ceux-là ont été appelés religiosi de relegere, comme elegantes (élégants) dérive de eligere (choisir) et diligentes (méticuleux) de diligere (prendre soin). Tous ces mots ont en effet le même sens de legere (recueillir, ramasser, choisir) que religiosus[59]. »

49Plutôt qu’une incitation au culte, l’usage latin de religio dit à la fois le choix, le scrupule, la retenue liée au souci de faire comme il faut en matière rituelle, en somme le contraire du négligé (neg-legere) [60]. Il s’agit ici d’une forme d’orthopraxie plutôt que d’une orthodoxie liée à un type de relation au divin : une pratique plutôt qu’une foi ou une croyance. Une telle analyse ne doit pas faire oublier que relegere peut encore signifier « recueillir, ramener à soi, reconnaître », une manière de « reprendre pour un nouveau choix, revenir sur une démarche antérieure » : c’est là, écrit encore Benveniste, « une bonne définition du ‘scrupule’ religieux [61] ».

50Que la réception savante de ce dossier « religio » présente Cicéron et Lactance comme un couple de sémanticiens se disputant n’est pas fortuit. En effet, Lactance, maître de rhétorique converti au christianisme au début du ive siècle, convoque d’emblée Cicéron en citant le passage du De natura deorum[62] que nous venons de lire. Pour mieux fonder son étymologie de religio, l’apologiste de la nouvelle foi, qui veut faire abroger l’ancienne loi [63], affirme ceci : « C’est par ce lien de piété (vinculo pietatis) que nous sommes rattachés et reliés à Dieu (obstricti Deo et religati sumus). C’est de là que la religion a reçu son nom (religio nomen accepit), et non pas, comme Cicéron l’a expliqué, du mot relegere (a relegendo) [64]. » Suit la citation de Cicéron qu’il qualifie d’« explication stupide (inepta) ». En conclusion de la dizaine de paragraphes consacrés à cette question, Lactance écrit : « Le terme religio a été tiré du lien de la piété, parce que Dieu se lie l’homme (Deus religaverit) et l’attache par la piété (pietate constrinxerit) [65] » – passage toujours cité dans ce débat.

51Après avoir souligné que seuls les auteurs chrétiens ont voulu expliquer religio par ligare (une impossibilité linguistique), Benveniste rappelle le nom des savants qui suivent Lactance. Parmi eux, Ernout et Meillet, les auteurs du Dictionnaire étymologique de la langue latine, qui choisissent plutôt religare pour dire les liens de la piété divine [66].

52La religio romaine est « subjective », là où la nouvelle foi du chrétien se veut dépendante d’un lien avec son Dieu ; c’est dans ce lien que se renforce sa piété. Ce « concept de religio est remodelé sur l’idée que l’homme (chrétien) se fait alors de sa relation à Dieu (écrit Benveniste) ; idée toute différente de la vieille religio romaine et qui prépare l’acception moderne [67] ».

53Aujourd’hui encore, semble-t-il, les spécialistes ne s’accordent pas. Cela dit, il faut préciser que le problème n’est pas ici de trouver « la véritable étymologie », comme si celle-ci guidait vers l’origine et le sens de la « vera religio[68] » dont parle Lactance. Ce qui nous intéresse plus que la généalogie supposée du mot, ce sont ses emplois, ses usages, dont le sens est donné par des contextes explicites. Or ces textes sont assez nombreux, cités par Benveniste, Scheid et Borgeaud [69]. Il n’est donc pas question ici, sous prétexte d’éclairer tel ou tel aspect du champ sémantique de religio, de produire de l’originaire par la grâce de l’étymologique.

54Il n’empêche. La rationalité, philologique et linguistique, ne doit pas occulter l’histoire des valeurs sémantiques. Or, en termes d’impacts culturels, il existe « une bonne version » pour religio : celle que donne saint Augustin. Il faut entendre ici « bonne version » en termes de réception – celle qui l’a le plus souvent emportée au fil des temps et des lieux. On peut alors reconnaître que l’Occident lettré a généralement compris religio en se servant du prisme anthropologique dessiné par Augustin.

55Dans le De vera religione, Augustin écrit : « À notre époque, la religion chrétienne (christiana religio) est celle dont la connaissance et la pratique apportent le salut avec le plus de sécurité et d’assurance [70]. » Par la suite, dans ses Révisions, il enrichit sa vision en lui conférant plus de relief encore : « Je me suis exprimé ainsi d’après le mot (hoc nomen) et non la réalité (non […] rem) que le mot désigne. Nam res ipsa… Car, en effet, la réalité même qu’on appelle maintenant religion chrétienne (christiana religio) existait jadis, même chez les anciens (apud antiquos) ; dès l’origine (ab initio), elle (christiana religio) n’a pas fait défaut au genre humain jusqu’à ce que vienne le Christ dans la chair (ipse Christus veniret in carne) ; et c’est alors que la vraie religion (vera religio), qui existait déjà, a commencé à être appelée chrétienne (unde vera religio quae iam erat, coepit appellari christiana) [71]. »

56Plus loin, commentant un autre lieu de son De vera religione[72], Augustin se souvient de l’argument de Cicéron : « L’explication que j’ai donnée ici de l’origine du mot religio est celle qui me plaît davantage (plus mihi placet). Car je n’ignore pas qu’une autre origine de ce mot a été proposée par les auteurs latins : religio serait ainsi appelée parce qu’elle est relue (religitur) ; ce verbe est composé de lire (a legendo), c’est-à-dire de élire (eligendo), et ainsi en latin relire a le même sens que lire (religo sicut eligo) [73]. »

57Les formulations d’Augustin pourraient faire penser à un simple problème d’appellation. De fait, c’est une anthropologie chrétienne qui se constitue ici. Et pour longtemps. Dans sa thèse sur saint Augustin, l’historien Henri-Irénée Marrou insiste sur l’importance de l’auteur de la Cité de Dieu[74], qui n’a jamais cessé d’être « notre » contemporain. Ce qui est peut-être aussi la part non dite d’une vision efficace : la christiana religio est là, depuis toujours, ab initio. Ainsi comprise, on peut observer que ce type d’usage historiographique de religio s’est prolongé jusque dans les sciences humaines modernes [75].

58Vico pourtant a choisi de suivre Cicéron plutôt qu’Augustin, quand il affirme sans état d’âme : « “Religio” doit son nom au soin de “relegere”, recueillir […], et non à l’action de “religare”, relier [76]. » Il insiste même en précisant qu’il ne change pas d’avis à ce propos, qu’il l’a même déjà écrit ailleurs, tel quel [77].

« La barbarie de la réflexion »

59Avant d’interrompre, nous retrouvons ainsi Vico qui indique les liens contagieux qu’entretiennent les puissances de la langue poétique avec le religieux au sein d’un trio que ces deux instances forment avec le politique.

60Vico : « Les poètes qui jadis parlaient la langue même des anciennes lois utilisent donc des expressions désormais anciennes [78]. » Ce qui fait des jurisconsultes de savants linguistes et des « grammairiens » (grammatici) ; grâce à leur science des lois, mieux que les Grecs, « les Romains conservèrent plus religieusement les origines de la langue » (linguae origines). Dans cette même deuxième partie du De constantia jurisprudentis, Vico écrivait encore, en 1721 : « La première langue des peuples fut poétique » (Prima gentium lingua poetica). Si « les premiers poètes furent aussi les premiers écrivains », ils n’ont pourtant pas su reconnaître « que la langue poétique fut la première langue des peuples, qui fonda leurs premières lois et leurs premières religions [79] ». Ce paragraphe, Vico l’introduit ainsi : Error est… « C’est une erreur de penser que la langue des poètes (linguam poetarum) leur était toujours propre (propriam) » ; la langue des poètes a pu être « une langue commune (communem) [80] ».

61Dans cette phrase, propria ne correspond pas au terme idion, que Plutarque utilise pour stigmatiser l’intérêt personnel au détriment d’autrui, en l’opposant à koinon, ce qui est en communauté et suppose un partage nécessaire [81]. Pour Vico, les règles « propres » de la poésie, différentes du prosaïque, ne peuvent pas gommer ce qui caractérise une première humanité dont la langue poétique est « commune ».

62En poétique, comme en politique, nous avons vu que le champ sémantique de nomos est étroitement associé aux idées de « distribution », de « partage », de « lieu commun ». Or, dans la poétique de Vico, « la langue commune » – celle du poète, des lois et de la religion – n’apparaît pas de manière accidentelle dans ces pages de 1721. Le principe d’un « sens commun », qui s’affirme universel, civil et historique, est ici capital. Rappelons que le titre complet de La Scienza nuova précise, dès 1730, qu’il s’agit d’un ouvrage relatif « à la nature commune des nations [82] ».

63À propos de ce que serait pour lui « le sens commun », Vico martèle l’« axiome [83] » que voici : « Le sens commun (senso comune) est un jugement sans aucune réflexion, senti en commun par tout unordre, par tout un peuple, par toute une nation ou par le genre humain en son entier [84]. » Si tel est le cas, c’est parce que la « providence divine » enseigne aux nations un « sens commun » à l’ensemble du genre humain [85]. Sans perdre de vue son programme linguistique, Vico poursuit : « De là provient le dictionnaire mental (dizionario mentale) qui permet de donner leurs origines à toutes les langues articulées […] [86]. » Ainsi le genre humain construit-il, quelquefois à son insu (la providence y veille), du « sens commun ». Quant aux maux qui naissent des intérêts particuliers, des « vices propres [87] », ils précipitent les nations dans la barbarie, la pire de toutes : « la barbarie de la réflexion » (la barbarie della riflessione), bien plus cruelle que « la barbarie des sens » (barbarie del senso), qui a au moins pour elle d’avoir la « férocité généreuse ». Voilà ce qui met en péril les peuples qui désertent les rigueurs du « sens commun » pour s’adonner « comme des bêtes à ne plus penser à rien d’autre qu’aux propres utilités particulières de chacun (particolari propie utilità di ciascuno) [88] ».

64Dans un court texte, postérieur à sa Scienza de 1730, intitulé « Pratique de cette science » (Pratica di questa scienza), Vico insiste sur ce que serait la condition humaine conçue dans les limites d’une humanité des nations, dans un monde commun où le genre humain reconnaîtrait sa dimension sociale. Mais il faudrait pour cela que « les maîtres de la sagesse » enseignent aux jeunes « comment on descend du monde de Dieu et des esprits (come dal mondo di Dio, e delle menti, si discenda) au monde de la nature, pour vivre ensuite une honnête et juste humanité dans le monde des nations [89] ». Et que les académies se décident enfin à « enseigner à la jeunesse que la nature du monde civil (natura del mondo civile), qui est le monde qui a été fait par les hommes, possède la même matière et la même forme (tal materia, e tal forma) que les hommes eux-mêmes [90] ».

65Langue commune, langue poétique. Si Vico n’envisage pas l’hypothèse d’une autonomie du poétique, il distingue néanmoins le principe d’une poétique inscrite dans la double dimension d’une humanité fabriquée par une mémoire linguistique dont les outils conceptuels furent le droit et la religion : « La langue poétique est celle de la religion et des lois (lingua poetica est religionis et legum). Pour les premiers peuples, la langue poétique fut celle de la religion et des lois (Et lingua poetica primis gentibus fuit lingua religionis et legum) [91]. »

66Comme pour sa vision d’une histoire humaine faite par les hommes et pour les hommes, quand bien même la providence divine les guide à leur insu, Vico attribue aux poètes une « langue commune » : lieu d’une pratique de la mémoire partagée où le poétique se trouve étroitement associé au politique – ce terme supposant ici un espace commun au juridique et au religieux. L’institution d’un langage poétique qui est dit en 1721 « langue commune », et l’évocation dans la Scienza d’un « dictionnaire mental », deviennent en quelque sorte le garant d’un substrat commun assurant « la nature du monde civil qui est le monde qui a été fait par les hommes [92] ».

67Dans ses écrits foisonnants [93], à peine évoqués, Vico indique ce qui lui apparaît comme un passage périlleux du stade divin au stade civil, tout en préservant les mystères de la providence. Il invite alors, nous l’avons vu, « les maîtres » à enseigner aux jeunes « comment on descend du monde de Dieu […] dans le monde des nations [94] ». S’arrimant aux constructions poétiques d’une langue commune, Vico formule une hypothèse qui se veut ancrée dans une pratique politique de la nécessité. Comme ce carmen necessarium associé au champ sémantique de nomos[95].

« Aucun substrat ontologique »

68Yves Bonnefoy a lu Leopardi, qui fut un lecteur attentif de Vico [96]. Peut-on pour autant mettre en évidence certains écrits de Leopardi, philologue historien, pour éclairer, toujours sur un mode archéologique, ce que pourrait être, sinon une « autonomie du poétique », du moins une ébauche de « poétique civile » ? On pourrait le penser, en lisant Yves Bonnefoy. Pour évoquer ce qui ne relèverait plus d’une foi romantique, il écrit dans son Leopardi :

69

« […] si le fait humain ne repose sur aucun substrat ontologique, aucun étayage au dehors qu’il puisse dire réel et non illusoire, l’être parlant n’en a pas moins mis en place, par l’institution du langage, un lieu de représentations, de significations, de valeurs où chaque être qui parle est présent à la présence de tous les autres d’une façon si immédiate et accaparante, si cohérente aussi et indéfiniment praticable, qu’il n’y a pas de raison pour ne pas tenir ce champ d’existence pour une réalité en soi, à laquelle il sera loisible de conférer une valeur absolue. […] Une réalité, proprement humaine, un lieu où l’être est, parce que nous décidons qu’il sera. Et d’évidence une tâche, pour la parole : élaborer ce sens, le nourrir des aspects du monde auxquels nous trouvons du prix. Faire, en somme, de la lucidité radicale, la clef d’un être-au-monde enfin proche du corps, enfin libre [97]. »

70Une telle écriture poétique, voulue par Edgar Poe et Charles Baudelaire, puis par Stéphane Mallarmé, « cette révolution qui ouvrait effectivement des perspectives très neuves [98] », Yves Bonnefoy en aiguise « la modernité » tout en montrant que celle-ci demeure hantée par les « grandes structures de la pensée archaïque [99] ». Cette tension, ces contradictions, il les retrouve dans les premiers écrits de Mallarmé, qui ne cesse « de crier son horreur de la finitude ».

71Dans sa réflexion sur ce que serait « l’autonomie du poétique », face aux « lectures conceptuelles » qui n’ont pas à s’y substituer, Yves Bonnefoy dit que nous n’avons pas à être privés « du savoir de la finitude, laquelle, étant inhérente à tout ce qui est, est notre condition même [100] ». La poésie en est le lieu possible qui ne peut « se chercher qu’en amont de toute lecture conceptuelle ». Et encore ceci : « Armée du son et des rythmes qui l’enracinent dans le rapport immédiat de la personne à son lieu et à autrui », la poésie aboutit « à une forme de connaissance qui n’est qu’à elle ».

72Accordant de l’autonomie au poétique, Yves Bonnefoy s’inscrit dans une tradition qu’il revendique tout en s’en dégageant. Peut-être que Vico pourrait y occuper une position « archéologique » – et pas uniquement parce qu’il a été lu par Leopardi. À condition de reconnaître à Vico la volonté de caractériser l’humain comme un hybride à trois pattes : le poétique, le religieux, le juridique. La démarche de cet animal composite, toujours en quête d’un sens dont il semble oublier qu’il est l’unique détenteur, serait liée, nécessairement, à une poétique de « la langue commune » comme lieu politique pour une constitution éphémère d’un « monde civil ».

73Yves Bonnefoy, dans l’exercice de sa poétique (dans ses poèmes comme dans sa prose), a exprimé récemment une inquiétude liée au monde contemporain tel qu’il apparaît, quand, après avoir évoqué Rimbaud, il écrit dans son Leopardi :

74

[…] écoutons-le et entendons-le, au seuil d’années difficiles où l’illusionnement risque d’être facilité, à nouveau, par les situations de détresse. Pour échapper aux périls qui sont dans l’esprit il nous faudra bien et sa lucidité et sa capacité d’aimer, cette naïveté fondatrice.

75Tels sont les derniers mots de L’Enseignement et l’exemple de Leopardi[101]. Bonnefoy choisit de conclure son livre sur le temps présent, avec ses « années difficiles », soulignant les périls de l’« illusionnement », la nécessité de « lucidité » soudée à celle de la « capacité d’aimer ».

76Il n’est pas impossible que dans ses « Paroles d’introduction » de 2002, publiées ici (p. 377-387), se trouve un même questionnement lorsqu’il discerne deux sortes de relation au langage qui peuvent induire deux types de poésie :

77

« Mais devant l’énigme du temps, disons, ou le mystère de la beauté, dont rien ne peut faire qu’elle n’existe, ou l’illumination que l’amour apporte, on peut bien penser que le langage n’est qu’un moyen dont on peut tirer parti, certes, mais qui reste en deçà de cet univers où l’humanité a cherché, peut-être illusoirement, à s’inscrire. »

78C’est en ce lieu précis de ses Paroles de 2002 qu’Yves Bonnefoy, enchaînant, va situer le « poète chrétien » face au poète qui ne le serait pas :

79

Le poète chrétien ne pense pas ainsi, cependant. Pour lui l’insuffisance de la langue humaine, son inaptitude à toucher le fond, à y saisir le grand objet dont son eau mouvante brise la forme, cela n’est que relatif, au pire, du fait d’un verbe divin plus réel que notre langage mais sur lequel celui-ci peut prendre appui. Ce poète a foi en un point de passage entre langue et verbe, en un gué où le dieu personnel vient au-devant de sa créature, comme l’ange combat Jacob. Et existent pour lui des textes sacrés dans sa langue même.
Tandis que pour l’autre poète, le non-chrétien, c’est sa conviction qu’il n’y a rien au-delà des mots, pas de verbe divin, rien sinon un impénétrable du monde auquel on ne peut s’abreuver qu’en en recherchant le silence, lequel ne lui semble d’ailleurs rien vivifier davantage, dans ses paroles, que celles des situations ordinaires : hasards, drames et bonheurs de l’existence vivant sa finitude.
L’intuition qu’il a de la transcendance, c’est-à-dire de l’Un, ce n’est pas pour lui la preuve d’un enracinement de la parole dans l’être, c’est simplement le levier qui lui permet de critiquer les constructions du concept – lequel produit de l’objet, et réifie le désir – pour établir sur terre un lieu plus favorable aux besoins de cette finitude, qui est celle aussi du savoir.
Moins nombreux furent ces poètes-là pendant des siècles, ou moins libres, pour des raisons historiques, d’accéder à la pleine expérience d’eux-mêmes, mais ils sont tout aussi grands que les autres, au moins certains, et les fondateurs de la modernité poétique. […]
Des poètes chrétiens, et d’autres pour qui il n’y a rien sous les apparences, par conséquent.

80« Si le fait humain ne repose sur aucun substrat ontologique », s’il est un lieu où « l’être est parce que nous décidons qu’il sera », si nous avons en commun l’institution d’un langage qui formule un accès au monde, on peut discerner chez Yves Bonnefoy une pratique de l’« autonomie du poétique » ouvrant d’innombrables trajectoires. Toutes seraient reliées par un fil aussi ténu que la conscience d’une responsabilité sémantique [102]. Ou d’une poétique du politique qui peut se discerner dans certains poèmes de Pierre écrite (1965).

81

Une pierre
Il désirait, sans connaître,
Il a péri, sans avoir.
Arbres, fumées,
Toutes lignes de vent et de déception
Furent son gîte.
Infiniment
Il n’a étreint que sa mort.

82

Une pierre
Ta jambe, nuit très dense,
Tes seins, liés,
Si noirs, ai-je perdu mes yeux,
Mes nerfs d’atroce vue
Dans cette obscurité plus âpre que la pierre,
Ô mon amour ?
Au centre de la lumière, j’abolis
D’abord ma tête crevassée par le gaz,
Mon nom ensuite avec tous pays,
Mes mains seules droites persistent.
En tête du cortège je suis tombé
Sans dieu, sans voix audible, sans péché,
Bête trinitaire criante.

Les os de la cité

83Nomos, on l’a vu, désigne quelque règle que ce soit liée à une procédure commune. Car il en faut pour permettre aux uns de s’entendre avec les autres en jouant ensemble. Sans règlement, pas de jeu de dés [103].

84Nomos est aussi distribution sonore de la justice, dans un monde où la voix de la loi est celle du chantre. Hésiode construit ainsi dikè, la justice, en lui donnant la fonction d’un complément d’objet direct du verbe nemein : « dispenser la justice [104] ». Dans ce même passage des Travaux et les Jours, Hésiode dit à son frère Persès, akoue dikês : « écoute la justice ». Telles sont les puissances politiques [105] d’un « nomos originel [106] ».

85Mais dans ses plus anciennes mentions, nomos exprime d’abord une conduite obligatoire, une manière d’être qui appartient en propre à chaque espèce. Nomos dit alors la part nécessaire des hommes, celle des bêtes : aux premiers, la loi (nomos) attribue en don la justice (dikè) de Zeus : les autres, poissons, fauves et bêtes ailées, se trouvent assignés à un mode d’existence où ils se dévorent entre eux. Donné en commun aux humains, nomos suppose la justice qui est oubli de la violence [107].

86Se souvenant de ce passage d’Hésiode, à la fin du iie siècle de l’ère chrétienne, Sextus Empiricus veut sauver la cité des entreprises rhétoriques en affirmant l’absolue nécessité des lois : « Les lois (nomoi) sont pour les cités une ossature, et comme l’âme (psuchè) est détruite une fois que le corps (sômatos) a été complètement détruit, ainsi, quand les lois ont disparu, les cités aussi meurent [108]. »

87Après avoir rappelé que nulle cité ne peut échapper au corps des lois sans perdre son âme, Sextus confie à Orphée l’« exégèse » de la leçon hésiodique – un Orphée « éthologue », dans le rôle du chantre des lois [109]. C’est pourquoi le connaisseur des mœurs Orphée (èthologos Orpheus) laisse entrevoir le caractère nécessaire (anagkaion) des lois quand il dit :

88

Il fut un temps où les humains tiraient leur subsistance les uns des autres,
En s’en prenant à la chair, et le mortel plus fort faisait du plus faible son festin [110].

89En effet, comme aucune loi ne régnait, chacun plaçait le droit dans sa force, à la manière

90

des poissons, des bêtes sauvages et des rapaces ailés,
à qui toute liberté a été laissée
de se manger entre eux, puisqu’il n’existe pas de justice parmi eux […] [111].

91Dans son sens peut-être le plus ancien, nomos signifie alors une norme implicite, une règle de conduite adéquate à chaque espèce, une pratique de la nécessité. Et, pour les humains, ce qu’une « langue commune » doit au consentement, au verbe consentir [112], à ce « jugement sans aucune réflexion » dont parle Vico [113].

92Ce que le politique doit au poétique.

Je remercie pour leur lecture vigilante et amicale Philippe Borgeaud, Paolo Cristofolini, Charles Malamoud, Alain Pons, Jesper Svenbro et Jean-Pierre Vernant (1914-2007).

Notes

  • [1]
    Giambattista Vico, De constantia iurisprudentis (1721), éd. F. Nicolini, Bari, Laterza, 1936, II, VII, 2, p. 341 (p. 101). Une traduction française de C. Henri et A. Henry, préfacée par J.-L. Schefer, a été publiée à Langres par Café Clima éditeur, 1983, sous le titre Origine de la poésie et du droit. Tout en modifiant la traduction, j’indique, entre parenthèses, les pages correspondantes à cette édition française. Le De constantia, cité ainsi par la suite, fait partie de l’ensemble intitulé Il Diritto Universale, 1720-1722. Pour de la bibliographie sur Vico, voir les volumes de Contributo alla bibliografia vichiana, suppléments du Bolletino del Centro di studi Vichiani, à Naples.
  • [2]
    De constantia, II, VIII, 4, p. 342 (p. 102).
  • [3]
    Voir infra, notes 90 et 92.
  • [4]
    De constantia, II, XV, 1-7, p. 389 (p. 145).
  • [5]
    Pour l’importance du De constantia et son rôle dynamique dans l’œuvre de Vico, voir P. Cristofolini, Vico et l’Histoire, Paris, PUF, 1995, p. 8 sq. Je fais le choix, dans cet exposé, de m’appuyer principalement sur les textes du De constantia. Cela dit, les problèmes posés, dans les pages suivantes, sur les rapports entre poésie, religion et institutions sociales et politiques, sont traités avec ampleur dans les différentes versions de la Scienza nuova. À ce propos, Alain Pons (voir infra n. 35), que je remercie pour sa lecture attentive, me confirme que « l’essentiel est déjà dit, et bien dit, dans le De constantia ».
  • [6]
    De constantia, II, XIV, 10, p. 388 (p. 144) et, pour la suite de la phrase, supra note 4.
  • [7]
    Quelques passages de cette lettre, inédite alors, ont été cités en 2003 dans mon article in Michèle Finck, Daniel Lançon et Maryse Staiber (dir.), Yves Bonnefoy et l’Europe du xxe siècle, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2003, p. 23-47. Je reprends ici ce texte, modifié et amplifié, tout en lui conservant le mode oral de l’exposé présenté à la fondation Hugot du Collège de France, le jeudi 24 janvier 2002. La lettre du 26 octobre 2001 se trouve à présent à la fin du volume, dans les Annexes, p. 371-375. Pour une mise en perspective de ces rencontres de la fondation Hugot, voir l’article de Jacqueline Risset, dans un volume des Cahiers de l’Herne, autour de l’œuvre d’Yves Bonnefoy (à paraître).
  • [8]
    Notamment dans le traitement de sources chrétiennes, relatives à des problèmes de poétique orphique, à propos de l’étrangeté de la figure sexuée de Baubô : « Aspects de Baubô. Textes et contextes antiques », Revue de l’histoire des religions, CCII-1, 1985, p. 3-55. Récemment encore, Yves Bonnefoy, à propos de la « distorsion », de la « dépréciation » des femmes, otages de représentations phantasmées, entre « devoir de procréation » et « lubricité », et sur « le fait du stéréotype » ; voir « Les sonnets de Shakespeare et la pensée de la poésie », présentation aux Sonnets de Shakespeare, précédés de Vénus et Adonis et du Viol de Lucrèce, Paris, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 2007, p. 25-29.
  • [9]
    Yves Bonnefoy, L’Enseignement et l’exemple de Leopardi, Bordeaux, William Blake & Co., p. 17.
  • [10]
    Ibid., p. 13 et p. 15 pour la suite.
  • [11]
    Yves Bonnefoy, « Comment interpréter les peintures noires », conférence au Prado, Madrid, 2001, in Avec Yves Bonnefoy. De la poésie, Saint-Just-la-Pendue, Presses universitaires de Vincennes, 2001, p. 118. Depuis, voir son livre Goya, les peintures noires, Bordeaux, William Blake & Co., 2006.
  • [12]
    Id., L’Enseignement et l’exemple de Leopardi, op.cit., p. 33 et p. 44.
  • [13]
    Outre L’Apollon sonore et autres essais. Esquisses de mythologie, de Georges Dumézil, Paris, Gallimard, 1982, voir plus loin pour un autre Apollon, note 29.
  • [14]
    Des éclaircissements à ce propos dans M. Olender, Les Langues du paradis (1989), préface de J.-P. Vernant, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points Essais », n° 294, 2002, p. 64 sq.
  • [15]
    Maurice Olender, Les Langues du paradis, op.cit., le chapitre intitulé « Les voyelles de la Providence », p. 51 sq. ; des indications bibliographiques, p. 58, note 11.
  • [16]
    De constantia, II, XV, 3-5, p. 389 (p. 145). Extrait d’un passage cité supra n. 4.
  • [17]
    De constantia, II, XV, 6 et 9, p. 389-390 (p. 145). À propos des liens entre lex, la loi, et legere, lire, voir plus loin, pages 143 sq. et notes 50, 53-55 et 57.
  • [18]
    Voir plus loin, « La loi, la lecture et la “vraie religion” ».
  • [19]
    Hésiode, Théogonie, vers 66. Auteurs grecs et latins sont généralement cités dans les textes et traductions (quelquefois modifiées) de la Collection des universités de France, Paris, Société d’édition Les Belles Lettres. Dans les autres cas, l’édition sera précisée.
  • [20]
    Jesper Svenbro, Phrasikleia. Anthropologie de la lecture en Grèce ancienne, Paris, La Découverte, 1988, p. 126.
  • [21]
    Hérodote, I, 24.
  • [22]
    Hérodote, I, 25.
  • [23]
    Des indications sur Terpandre et le nome poético-musical, notamment, chez G. Nagy, Pindar’s Homer. The Lyric Possession of an Epic Past, Londres et Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1990, p. 86-94 ; p. 358. Voir encore l’index sv. nomos. Voir aussi la note suivante.
  • [24]
    Aristophane, Cavaliers, vers 1279 ; Acharniens, vers 16. Pour le nome orthien, François Lasserre, « L’Éducation musicale dans la Grèce antique », une étude qui précède son édition de Plutarque, De la musique, Olten & Lausanne, Urs Graf Verlag, 1954, p. 24 sq. Ce nomos est une combinaison rythmique ternaire, composée de trois longues valant chacune quatre temps, le frappé tombant sur la seconde. Pour une présentation sans doute un peu vieillie de l’histoire du nome musical, de Terpandre, Arion et les autres, de la rivalité entre la cithare et la flûte, voir Alfred et Maurice Croiset, Histoire de la littérature grecque, t. II (par A. Croiset), Paris, E. De Boccard, 1933 (3e éd.), le chapitre ii sur « Le nome ancien », p. 51-88.
  • [25]
    Fragment conservé par Athénée (IX, 374 d). Dans l’édition de D. L. Page, Poetae Melici Graeci (1962), Oxford, Clarendon Press, 1975, p. 46 fr. 40 : oida d’ornichôn nomôs pantôn ; dans l’édition plus récente de Cl. Calame, Alcman, Rome, Ateneo, 1983, fr. 140, p. 141-142 (et p. 548-549 pour le commentaire). Pour la suite, voir F. Lasserre, « L’éducation musicale dans la Grèce antique », art. cit., p. 22. Mais surtout J. Svenbro, Phrasikleia, op. cit., p. 125.
  • [26]
    Pour d’autres textes, voir notamment les ouvrages cités de F. Lasserre et de J. Svenbro. Dans l’histoire des notations musicales, pour les significations du « neume » au Moyen Âge avant qu’il ne soit identifié à la « note », voir Olivier Cullin, L’Image musique, Paris, Fayard, 2006.
  • [27]
    Strabon, XII, 2, 9 (traduction modifiée). Ces nomikoi, hommes de loi parlant le grec et le latin, connaissent les lois locales des cités (nomoi) et le droit romain. Ils ont pour mission de traduire, en les interprétant, les réalités juridiques grecques pour résoudre des litiges. Ce métier de nomikos, un équivalent du jurisconsulte dans l’Orient romain, apparaît à partir du ier siècle avant l’ère chrétienne. À ce propos, et pour des sources, voir « Nomikos : un juriste originaire du Pont à Smyrne », une étude d’Emmanuelle Collas que je remercie (à paraître). Pour ce passage, voir encore J. Svenbro, Phrasikleia, op. cit., p. 131. Platon (République X, 599 e) et Aristote (Politique I, 1252 b 14) évoquent aussi ces lois de Charondas de Catane. À propos de ce nomothète, que Platon assimile à Solon, G. Camassa, « Aux origines de la codification écrite des lois en Grèce », in Marcel Detienne (dir.), Les Savoirs de l’écriture. En Grèce ancienne, Arras, Presses universitaires de Lille, 1988, p. 137-138.
  • [28]
    Hermippe conservé par Athénée (XIV, 619b) : F. Wehrli, Hermippos der Kallimacheer, Bâle et Stuttgart, Schabe & Co., 1974, p. 36, fr. 88. À ce propos, J. Svenbro, Phrasikleia, p. 131.
  • [29]
    Pour cet exegetes, qui ne signifie pas l’exégète au sens moderne, voir J. Svenbro, op.cit., p. 132-136. Voir encore les « exégètes » en légitimes serviteurs d’Apollon, dans la cité platonicienne, chez M. Detienne, Apollon le couteau à la main, Paris, Gallimard, 1998, p. 172-174.
  • [30]
    Le verbe est ici epilanthanô : mè epilathôntai.
  • [31]
    Il s’agit d’un petit peuple de la Sarmatie d’Europe : Hérodote, IV, 48, 104.
  • [32]
    Aristote, Problèmes, XIX, 28, 919 b 38-920a3, 1993 (traduction modifiée). À ce propos, F. Lasserre, « L’éducation musicale dans la Grèce antique », art. cit., p. 26. Pour une discussion sur ce passage, et d’autres textes relatifs aux poètes et musiciens législateurs, voir Françoise Ruzé, « La loi et le chant », in J.-P. Brun et Ph. Jockey (dir.), Technai. Techniques et sociétés en Méditerranée, Hommage à Marie-Claire Amouretti, Paris, Maisonneuve & Larose, 2001, p. 709-716 (merci à Marcel Detienne qui m’a signalé cette étude).
  • [33]
    Elien, Varia historia, II, 39, éd. R. Hercher, Leipzig, Teubner, 1887, p. 34. Pour une traduction française par A. Lukinovich et A.-F. Morand, Paris, Les Belles Lettres, 1991.
  • [34]
    Cicéron, De legibus, II, XXIII, 59.
  • [35]
    Giambattista Vico, Principi di scienza nuova (1744), II, V, § 456, Opere, éd. Andrea Battistini, Milan, Mondadori, coll. « I Meridiani », 1990, t. I, p. 620. Voir à présent La Science nouvelle, traduit et présenté par A. Pons, Paris, Fayard, 2001, p. 207. On utilise ici la numérotation devenue « universelle » de l’édition de F. Nicolini (1928) reprise en 1990 par Battistini. A. Pons fait de même dans son édition française, dont j’adopte la traduction. Dans la suite, après l’indication du paragraphe et de la pagination de l’édition italienne, on trouve, entre parenthèses, la page de cette édition française.
  • [36]
    Id., La Scienza nuova, op. cit., I, II, V, § 469, p. 626 (p. 213).
  • [37]
    Dans une bibliographie richissime, sans cesse renouvelée, ou historiens (Annales H, SS 55 n° 6, novembre-décembre 2000) et anthropologues (L’Homme, 162, avril-juin 2002 ; Journal des anthropologues, n° 90-91, 2002) prennent une part importante, notons les analyses du développement de la monnaie grecque d’E. Will, « De l’aspect éthique des origines grecques de la monnaie » (1954) et « Réflexions et hypothèses sur les origines du monnayage » (1955), aujourd’hui deux chapitres dans le recueil Historica Graeco-hellenistica. Choix d’écrits 1953-1993, Paris, De Boccard, 1998, p. 89-110 et p. 111-123 ; J.-P. Vernant, quand il repense en 1962 Les Origines de la pensée grecque, Paris, PUF, 1969, p. 92 sq. Récemment, les mises au point de G. Le Rider, La Naissance de la monnaie. Pratiques monétaires de l’Orient ancien, Paris, PUF, 2001.
    Pour les premiers éléments d’un travail en cours entamé dans mes séminaires à l’EHESS sur « La monnaie des langues », voir « Mot, monnaie et démocratie : lieux communs de l’intime », dans Origines du langage. Une encyclopédie poétique, sous la direction d’Olivier Pot, dans Le Genre humain, Paris, Éd. du Seuil, 2007, no 45-46, p. 523-549 (suivi d’un « échange » avec J. Starobinski, p. 551-555).
  • [38]
    Aristophane, Thesmophories, vers 348.
  • [39]
    Platon, Gorgias, 502 c.
  • [40]
    Emmanuel Laroche, Histoire de la racine nem- en grec ancien, Paris, Klincksieck, 1949.
  • [41]
    Émile Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, t. 1, Économie, parenté, société, Paris, Éd. de Minuit, 1969, p. 85.
  • [42]
    Hérodote, IV, 39. Faut-il préciser qu’une telle « manière commune de dire » ne suppose pas une moderne « opinion publique » ? Pour son émergence récente, voir notamment Arlette Farge, Dire et mal dire. L’opinion publique au xviiie siècle, Paris, Éd. du Seuil, 1992.
  • [43]
    Plutarque, Œuvres morales, t. IX, 1, Propos de table, II, 10, 644 b-d : « […] celui qui rétablit l’usage de la distribution (nemêsin) ressuscite en même temps la frugalité(euteleian). Tu diras peut-être que là où se trouve la propriété personnelle (idion) disparaît la communauté (koinon). C’est vrai, si l’égalité (ison) n’y règne pas. »
  • [44]
    J. Svenbro, Phrasikleia, p. 123.
  • [45]
    G. Camassa, loc. cit. (supra note 27), p. 137 ; J. Svenbro, Phrasikleia, p. 123-124.
  • [46]
    P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque. Histoire des mots, Paris, Klincksieck, 1968-1980, t. III (1974), p. 742-744. L’observation est de J. Svenbro, Phrasikleia, p. 8 ; pour la suite, je suis les propositions de J. Svenbro, p. 124 sq.
  • [47]
    A. Nauck (supplément de B. Snell), Tragicorum graecorum fragmenta, Hildesheim, G. Olms, 1964, fr. 144, p. 163 (néme).
  • [48]
    Jesper Svenbro a publié depuis 1966 neuf recueils de poèmes, tous aux éditions Albert Bonnier, à Stockholm. Un volume, en traduction anglaise, de Selected Poems (Three-Toed Gull) se trouve à la Northwestern University Press (États-Unis), 2003. Sur l’œuvre poétique de J. Svenbro, voir la thèse de Karin Nykvist, Poesi sim poetik. Idéen om iktkonst i Jesper Svenbros lyrik (Poetry as Poetics. Ideas on the Lyrics in the Works of Jesper Svenbro), Lund, Nordic Academic Press, 2002, 304 p.
  • [49]
    J. Svenbro, Phrasikleia, p. 8.
  • [50]
    À ce propos, Platon, Lois, IV, 715 d. Et pour la citation de J. Svenbro, Phrasikleia, op. cit. p. 137 ; voir encore notamment p. 129, p. 138, p. 143, p. 147. D’autres aspects dans J. Svenbro, « La lecture à haute voix. Le témoignage des verbes grecs signifiant “lire” », in Cl. Baurin, C. Bonnet, V. Krings (dir.), Phoinikeia Grammata. Lire et écrire en Méditerranée, Liège-Namur, Société des études classiques, 1991, p. 539-548. Lecture, écriture et loi encore : M. Detienne, « L’espace de la publicité : ses opérateurs intellectuels dans la cité », in M. Detienne (dir.), Les Savoirs de l’écriture, op. cit. (supra note 27), p. 29-81.
  • [51]
    J. Svenbro, Phrasikleia, op.cit., p. 130. Mais le champ du légal est vaste. Il n’est donc pas inutile de jeter un œil au Vocabulaire européen des philosophies (dir. B. Cassin), Éd. du Seuil, Le Robert, 2004, p. 710 sq. (Lex/Jus, dike, nomos…). Sans oublier thesmos, ainsi que ses associés, parmi lesquels Themis. « Guidé » par Vico et son nomos, sollicité par les interrogations d’Yves Bonnefoy, je me limite ici à une tentative d’« archéologie poétique ». Il faut le préciser, car « la loi » ne résulte donc pas toujours d’un partage en commun (nemein). Elle peut aussi bien être imposée par une majorité, en assemblée. « Sa » règle devient alors « la règle ». Merci à Marcel Detienne pour sa lecture vigilante.
  • [52]
    Cicéron, Philippiques 5, 15 (judices legisset).
  • [53]
    Voir chez Vico, supra note 17, et, chez Augustin, infra note 73.
  • [54]
    Ici encore, l’observation est de J. Svenbro, Phrasikleia, op. cit., p. 123 sq.
  • [55]
    Cicéron, De legibus I, 6, 19 : « eamque rem illi Graeco putant nomine nomon a suum cuique tribuendo appellatam, ego nostro a legendo. Nam ut illi aequitatis, sic nos delectus vim in lege ponimus, et proprium tamen utrumque legis est » (« cette chose qui, pensent-ils, a reçu sa dénomination grecque nomos, du fait de la répartition due à chacun de ce qui lui appartient, nous lui donnons, je pense, le nom de loi (lex) du fait de choisir (legere) ; car de même qu’ils placent dans la loi l’idée essentielle de “partage égal”, nous y mettons, nous, celle de “choix distinct” : tous deux étant des caractères de la loi »). À propos de lex, nom d’action de legere, « lire », la lecture et le nomos grec, voir J. Svenbro, « La lecture à haute voix… », loc. cit. (supra note 50), p. 542 sq.
  • [56]
    Giambattista Vico, De constantia, II, XIII, 19, p. 382 (p. 138) : Lingua poetica est religionis et legum (tout ce passage est cité plus loin, page 148 et note 91).
  • [57]
    Émile Benveniste, Le Vocabulaire de institutions européenne, t. II, Pouvoir, droit religion, Paris, Éd. de Minuit, 1969, p. 268-272. Les choses en sont toujours là. À ce propos, Philippe Borgeaud, « Religion romaine et histoire des religions : quelques réflexions », Archiv für Religionsgeschichte, 5, 2003 ; Aux origines de l’histoire des religions, Paris, Éd. du Seuil, 2004, notamment p. 203-206. Pour ce qu’on sait, et surtout ce qu’on ne sait pas, des étymologies et des rapports linguistiques entre legere et ligare et leurs dérivés, voir notamment ces mises au point de Benveniste et de Borgeaud.
  • [58]
    Pour cette problématique, J. Scheid, Religion et piété à Rome, Paris, La Découverte, 1985, p. 133-146. Voir aussi sa Leçon inaugurale à la chaire de religion, institutions et société de la Rome antique, le jeudi 7 février 2002, Paris, Collège de France, 2002. Depuis, son livre Quand faire c’est croire. Les rites sacrificiels des Romains, Paris, Aubier, 2005.
  • [59]
    Cicéron, De natura deorum, II, 28, 72 (éd. H. Rackham, 1933, coll. Loeb Classical Library, n° 268). En la modifiant à peine, je reprends la traduction d’É. Benveniste, Le Vocabulaire de institutions européenne, t. II, op. cit., t. II, p. 268 ; voir p. 270-271 pour la suite. Il existe depuis peu une nouvelle traduction de La Nature des dieux par Cl. Auvray-Assayas, Paris, Les Belles Lettres, 2002.
  • [60]
    É. Benveniste, op. cit., t. II. p. 271 ; voir aussi Ph. Borgeaud, loc. cit.
  • [61]
    É. Benveniste, op. cit., t. II, p. 271.
  • [62]
    Supra note 59.
  • [63]
    H. Moureau, « Abrogation de la loi mosaïque » in Dictionnaire de théologie catholique, contenant l’exposé des doctrines de la théologie catholique, leurs preuves et leur histoire, t. I, Paris, Letouzey et Ané, 1903, col. 129-133. D’autres indications d’un cheminement possible à propos de l’abrogation de la loi par la foi, dans mon résumé de l’Annuaire. Comptes rendus des cours et conférences, 1998-1999, Paris, EHESS, p. 160-162.
  • [64]
    Lactance, Institutions divines 4, 28, 3-16, édition et traduction par P. Montat, Paris, 1992, p. 232-237 (Sources chrétiennes 377). Les modifiant, je me sers à la fois de la traduction de Montat et de celle de Benveniste, op. cit., t. II, p. 272.
  • [65]
    Lactance, Institutions divines 4, 28, 12, op. cit., p. 236.
  • [66]
    Alfred Ernout et Antoine Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine. Histoire des mots (1932), Paris, Klincksieck, 1970, p. 569 ; É. Benveniste, op. cit., t. II, p. 268-272. Pour l’impossible explication de religio par ligare, divers exemples, ibid., p. 271.
  • [67]
    Émile Benveniste, ibid., p. 272.
  • [68]
    Lactance, Institutions divines 4, 28, 1, op. cit., p. 232. Toujours pour la vera religio, voir infra notes 70-75. Quelques autres « politiques de l’étymologie » dans M. Olender, « Les mots voyageurs », in Les Royaumes intermédiaires. Autour de J.-B. Pontalis, Colloque de Cerisy-la-Salle, Paris, Gallimard, coll. « Folio essais », 2007, p. 399-415 et 492-497.
  • [69]
    Voir supra, notes 57-58.
  • [70]
    Augustin, De vera religione, 10, 19, (éd. J. Pegon), Paris, DDB, 1951 (Bibliothèque augustinienne, 1re série, 8), p. 50-51. Mais j’adopte la traduction de G. Bardy, dans Les Révisions (voir note suivante).
  • [71]
    Texte latin d’Augustin, Retractionum I, XIII, 3, p. 37 (éd. A. Mutzenbecher), Turnhout, Brepols, 1984 (Corpus christianorum, Série latine, LVII). Pour la traduction française (légèrement modifiée) de G. Bardy, Les Révisions, Paris, DDB, 1950 (Bibliothèque augustinienne, 1re série, 12), p. 343.
  • [72]
    Augustin, De vera religione, 55, 111, op. cit., p. 186.
  • [73]
    Retractionum I, XIII, 9, op. cit., p. 40-41. Traduction française (à peine modifiée) de G. Bardy, Les Révisions, op. cit., p. 353. La question de savoir « d’où vient le mot religio » se retrouve encore dans Augustin, Cité de Dieu X, III, 2 (éd. G. Bardy, Bibliothèque augustinienne, 5e série, vol. 34, 1959), p. 434-436.
  • [74]
    Henri-Irénée Marrou, Saint Augustin et la Fin de la culture antique (1938), avec sa Retractatio de 1949, Paris, De Boccard (1958), 1983. Il vaut la peine de relire ces pages où Marrou montre combien Augustin a orienté l’historiographie moderne, notamment la fin du chapitre intitulé « La science chrétienne au travail », p. 463-467. Sans oublier sa conclusion : « On voit comment le dogme chrétien amène saint Augustin à esquisser toute une philosophie de l’histoire : à qui ai-je besoin de rappeler tout ce que les idées que se font les hommes de notre temps sur l’évolution de l’humanité et jusqu’à cette idée même, doivent à l’auteur de la Cité de Dieu ? » (p. 467). Pour une biographie intellectuelle de Marrou, voir P. Riché, Henri-Irénée Marrou historien engagé, préface par R. Rémond, Paris, Éd. du Cerf, 2003.
  • [75]
    Voir par exemple comment le « comparatiste » Fr. Max Müller se sert de ce même passage des Révisions d’Augustin (I, XIII, 3 ; voir. supra note 71) pour fonder sa nouvelle « Science de la religion », dans M. Olender, Les Langues du Paradis, op. cit., p. 175.
  • [76]
    Giambattista Vico, De constantia, II, XX, 21, p. 420 (p. 177).
  • [77]
    Dans son De uno universi juris principio et fine uno (1720), Bari, éd. Nicolini, 1936, t. I, CXLIX, 4, p. 145.
  • [78]
    Giambattista Vico, De constantia, II, XIII, 33, p. 385 (p. 141) ; et, pour la suite, ibid., II, XIV, 11, p. 388 (p. 144). Cicéron faisait observer que la langue des lois est un conservatoire « d’expressions anciennes » (verborum vetustas prisca) : De oratore I, 43, 193.
  • [79]
    Id., De constantia, II, XII, 2, p. 363 (p. 121) : primos scriptorum poetas quoque fuisse ; […] poeticam primam gentium fuisse linguam, qua primae ipsarum leges et religiones fundatae sunt. Pour le « poema legale » et les rapports entre loi et poésie chez Campanella, voir les pages éclairantes de C. Ossola, « Ah, vivre librement ou mourir ! », dans son prochain livre.
  • [80]
    Id., De constantia, II, XII, 2, p. 363 (p. 121) : Error est quod putarint linguam poetarum semper propriam, nunquam communem fuisse.
  • [81]
    Voir supra note 43 ; mais aussi infra notes 87-88, pour ce qui oppose les « vices propres » au « sens commun ». Pour un autre horizon sur les liens archaïques entre koinon, le « bien commun », et ce que le politique doit à la loi écrite, M. Detienne, Les Maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, Maspero (1967), 1973, p. 90-91. Depuis, du même auteur, « L’espace de la publicité… », loc. cit., (supra note 50), p. 48-56 (la section est intitulée « La chose écrite en son autonomie »).
  • [82]
    Principi d’una Scienza Nuova d’intorno alla comune natura delle nazioni (1730), cette dernière formule ne faisant pas partie du titre de la première édition de 1725 où il est question de « la nature des nations » (alla natura delle nazioni). Pour les étapes de l’élaboration de l’œuvre de Vico et les « matériaux » qui la composent, voir toujours P. Cristofolini, Vico et l’Histoire, op. cit., p. 8 sq., ainsi que son Introduzione à la nouvelle édition des cinq livres de la Scienza de 1730 (infra, note 89).
  • [83]
    Le terme utilisé est degnità, effectivement « axiome », qu’Alain Pons traduit par « dignité ». À ce propos, voir le Glossaire de son édition française, déjà citée, p. XXXV.
  • [84]
    Giambattista Vico, (1744), Scienza nuova, I, II, XII, § 142, p. 498-499 (p. 89). Pour la suite, ibid., § 145, p. 499 (p. 89).
  • [85]
    Pour cette « humanité des nations », entre Spinoza et Vico, lire les précieuses indications de P. Cristofolini, dans son Vico et l’Histoire, op. cit., notamment p. 21-41.
  • [86]
    Giambattista Vico, Scienza nuova, I, II, XIII, § 145, p. 499 (p. 89). D’autres indications sur une théorie de la « Raison commune à toutes les langues » (1548) de Theodor Bibliander : M. Olender, « Quelques images problématiques du temps des langues », Actes d’un colloque de l’EHESS dans Le Genre humain, n° 35, 1999-2000 (Actualité du contemporain), Paris, Éd. du Seuil, p. 276-277.
  • [87]
    Giambattista Vico, La Scienza nuova (1744), op. cit., Conclusion, § 1105-1106, p. 967 (p. 536-537). Ainsi que pour la suite.
  • [88]
    Ibid. Voir à ce propos les commentaires d’Alain Pons dans sa « Présentation » à la traduction française, op. cit., p. XXII-XXIII.
  • [89]
    Je remercie Paolo Cristofolini de m’avoir confié ces pages de la Pratica di questa scienza, publiées depuis (avec Manuela Sanna) dans sa nouvelle édition de La Scienza nuova 1730, à Naples, chez Alfredo Guida editore, 2004, p. 511-514.
    Les quelques pages de cette Pratica, rédigées entre 1730 et 1731, Vico a choisi de ne pas les intégrer à son édition de 1744 – ce qui n’enlève rien à leur intérêt. Pour le statut de ces pages, voir l’Introduzione de Cristofolini à cette nouvelle édition de La Scienza de 1730, op. cit., p. 4. On peut trouver les pages de la Pratica à la suite de La Scienza nuova (1744), dans l’édition de F. Nicolini, Opere, Milan-Naples, Riccardo Ricciardi Editore, 1953, p. 875-877 (passage cité, § 1407, p. 876) ; et, en français, dans l’édition de Pons, p. 543-547 (passage cité, p. 544-545).
  • [90]
    Voir ibid., § 1407 (p. 545). Et les observations de P. Cristofolini, Vico et l’Histoire, op. cit., p. 22-27, notamment à propos du De antiquissima italorum sapientia de 1710, où Vico développe des thèses sur la part de Dieu, la part de l’homme, dans le « faire de l’histoire ».
  • [91]
    Giambattista Vico, De constantia, II, XIII, 19, op.cit., p. 382 (p. 138).
  • [92]
    Voir supra, note 90. Sur sa Scienza comme « teologia civile », Vico écrit : « C’est pourquoi cette Science, sous l’un de ses aspects principaux, doit être une théologie civile raisonnée de la providence divine, qui semble avoir fait défaut jusqu’ici » : Scienza nuova, op. cit., I, I, IV, § 342, p. 548 (p. 137). À ce propos, les pages de K. Löwith dans Histoire et Salut. Les présupposés théologiques de la philosophie de l’histoire (1949, 1953), traduit de l’allemand par M.-Ch. Challiol-Gillet, S. Hurstel et J.-Fr. Kervégan, Paris, Gallimard, 2002, notamment p. 158-161 (pour le passage cité ; le chapitre consacré à Vico, p. 149-174).
  • [93]
    La bibliographie l’est également. Je renvoie ici au Bolletino del Centro di studi Vichiani, voir supra note 1.
  • [94]
    Supra note 89.
  • [95]
    Voir supra p. 141 et notes 34 et 36. Pour d’autres liens entre nomos et anagkaion, voir infra notes 110-112.
  • [96]
    Giacomo Leopardi, Zibaldone, éd. R. Damiani, Milan, Mondadori, collection « I Meridiani », (3 vol.), 1997. Vico, cité par Leopardi, notamment : t. I, n° 946, p. 682 ; t. II, n° 4379, p. 2946 ; t. II, n° 4392-4396, p. 2956-2960.
  • [97]
    Id., L’Enseignement et l’exemple de Leopardi, op. cit., p. 46-47.
  • [98]
    Id., « La clef de la dernière cassette », Sous l’horizon du langage, Paris, Mercure de France, 2002, p. 182.
  • [99]
    Id., ibid., p. 179 et p. 181 pour la suite.
  • [100]
    Extrait de la lettre du 26 octobre 2001 (supra, note 7 et ici p. 371-375), ainsi que pour la suite de ce paragraphe. Sur « la finitude », soulignant son interrogation à propos des liens problématiques entre la religion, la croyance et « l’essence du poétique », voir récemment Yves Bonnefoy, Ce qui alarma Celan, Paris, Galilée, 2007, p. 35-37 et p. 42-43. Ou encore, parmi d’autres lieux, en exergue ici (supra p. 135).
  • [101]
    Yves Bonnefoy, L’Enseignement et l’exemple de Leopardi, op. cit., p. 48. Et encore, « l’Être s’est évaporé avec Leopardi (…) » (plus loin, p. 386). Pour d’autres aspects des problèmes abordés ici, à propos des liens entre le poétique et le religieux, relisant notamment des pages de Jouve, voir l’article de J. Risset cité supra note 7.
  • [102]
    À ce propos, voir encore les paroles de 2002 (ici p. 377-387) et, notamment : « De la responsabilité sémantique. Jean Starobinski », dans M. Olender, La Chasse aux évidences, Paris, Galaade, 2005, p. 210-216.
  • [103]
    Aristophane, Assemblée des femmes, vers 987-988. À ce propos, M. Ostwald, op. cit., p. 53.
  • [104]
    Hésiode, Les Travaux et les Jours, vers 213-224.
  • [105]
    Il s’agit bien ici des malheurs de la cité (polis : vers 222) quand la justice déserte « les demeures des hommes ».
  • [106]
    La formule est empruntée à J. Svenbro, Phrasikleia, p. 128, comme son analyse de ce passage.
  • [107]
    Hésiode, Les Travaux et les Jours, vers 275-285.
  • [108]
    Sextus Empiricus, Contre les rhéteurs, 31. Je suis le texte traduit du grec par Brigitte Pérez, Contre les professeurs, édition bilingue, sous la direction de P. Pellegrin, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Points Essais » n° 489, 2002, p. 261.
  • [109]
    Pour le nomodos, voir plus haut, notamment notes 27 sq.
  • [110]
    Il s’agit du fragment 292 chez O. Kern, Orphicorum Fragmenta, Berlin, Weidmann, 1922, p. 302-303. Mais je suis ici le texte grec donné par l’édition de P. Pellegrin, cité supra note 108.
  • [111]
    Sextus Empiricus, Contre les professeurs, op. cit., 32, cite le passage déjà signalé (supra note 107) d’Hésiode, Les Travaux et les Jours, vers 277-278. Je suis ici la traduction de l’édition de Sextus, p. 263.
  • [112]
    À ce propos encore, M. Ostwald, op. cit., p. 40. Et les pages de P. Loraux, « Consentir », Le Genre humain, n° 22, Le consensus, nouvel opium ?, Paris, Éd. du Seuil, 1990, p. 151-171.
  • [113]
    Voir supra note 84.
Maurice Olender
Olender Maurice est archéologue et historien (ehess, Paris) ; ses travaux portent à la fois sur la mythologie des Anciens et sur des problèmes d’archéologie linguistique. Il a publié notamment Les Langues du Paradis, préface de Jean-Pierre Vernant (Gallimard-Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1989). Traduit en une dizaine de langues, couronné par l’Académie française (1990), ce livre a donné lieu à une édition revue et augmentée, en 2002, au Seuil, coll. « Points Essais » (n° 294). Dernier livre : La Chasse aux évidences. Sur quelques formes de racisme entre mythe et histoire. 1978-2005, Paris, Galaade, 2005. Nouvelle édition de ce volume à paraître à Cambridge, Harvard University Press, sous le titre Race, Myth and Erudition.
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/11/2017
https://doi.org/10.3917/lgh.047.0135
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