CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Poursuivons l’échange entrepris avec Jean Starobinski, au printemps 2000 [1], par l’exploration de quelques problèmes d’histoire sémantique relatifs à la monnaie et à sa falsification, notamment quand il y a mensonge sur le nom qui désigne de la valeur partagée : littéralement, mensonge « au nom de » la valeur commune [2]. Finances invisibles et profits occultes fragilisent alors le lien social, le transforment en tissu mensonger. Silencieux, ce type de dissimulation sape les formes implicites du partage, les liens de l’échange. Trahir les mots de la langue, mentir sur la monnaie que tous croient pouvoir reconnaître au premier coup d’œil, c’est porter atteinte à des signes « politiques » qui marquent les faits et les gestes de la vie au quotidien.

2Aristote rappelle que la voix sonore de la créature animale ne devient vocable articulé que dans la communauté des humains : « créature civique », l’humain est le « seul d’entre les animaux » qui a de « la parole » [3]. Quant au métal de la monnaie, élément naturel, il est marqué d’un súmbolon[4] qui le transforme en signe de reconnaissance destiné à garantir l’échange. Les mots passent ainsi de bouche à oreille comme la monnaie circule de mains en mains [5] : la fausse monnaie, comme les mots mensongers, blesse tout un chacun et grippe les mécaniques sensibles de l’échange social.

« La voix… comme l’argent »

3Au détour d’une page de la thèse de Nadine Vanwelkenhuyzen [6], on croise un capucin calabrais, Lorenzo da Brindisi. Proclamé tardivement docteur de l’Église par Jean XXIII, le 19 mars 1959, Lorenzo, qui lit l’hébreu, rédige un commentaire de la Genèse dans les années 1580 – sans doute entre 1584 et 1590. Après avoir rappelé qu’« Adam a inventé et institué » (ab Adam inventam ac institutam) [7] la « très sainte langue » [8] pour nommer les créatures, il écrit, s’inspirant d’Aristote : « Par sa nature même, la voix n’est rien d’autre qu’un son animal (sonus animalis) localisé dans la bouche, résultant de la percussion de l’air dans la gorge ou le larynx [9] […] ».

4Nous éclairant à propos des métaphores monétaires de la langue, le savant capucin poursuit : « La voix est la matière de la signification comme l’argent est celle de la pièce de monnaie et du vase [10]. »

5Comme l’argent devient « vase ou monnaie » (vas aut numisma) [11], lorsqu’un artisan lui imprime sa forme, la voix devient signe sonore quand l’homme l’articule de manière signifiante. Dieu a fait don du langage et non de tel ou tel idiome ; ainsi a-t-Il créé le métal précieux sans lui donner de forme spécifique. Adam, premier humain, est artisan linguiste : il façonne de la langue comme le potier sa cruche. L’articulation de la voix forme la parole humaine qui donne lieu à la nomination. Cette action de nommer se trouve inscrite dans les imageries du vocabulaire grec et latin désignant la monnaie. Ranimant au début du Moyen Âge une tradition déjà ancienne, Isidore, évêque de Séville (+ 636), écrit dans ses Étymologies :

6

« Moneta, la monnaie, tire son nom de monet [qui met en garde et avertit (monere)] contre toute fraude altérant le métal de sa composition ou son poids. Nómisma [la dénomination grecque de la monnaie], une pièce d’or, d’argent ou de bronze, est dite nómisma (nómisma dicitur) parce qu’elle porte la signature du nom et l’effigie du prince » [12].

7La volonté étymologique d’associer la monnaie et la signature du nom souligne l’importance de la frappe sémantique : l’identification de la pièce à son nom d’usage, un sou, un denier, une obole, une livre… La passion étymologique est un précieux témoin. Elle peut éclairer des mécanismes intellectuels mettant en œuvre des associations communes qui contribuent à former une mémoire sociale [13] – ici monétaire.

8Avant de donner son nom à la pièce de monnaie chez Horace, Martial, ou plus tard chez Isidore, le latin nomisma fait partie du vocabulaire grec ancien. Dérivé du verbe nomízein, qui signale chez Hérodote l’emploi d’un mot dans son usage ordinaire [14], nómisma entretient de vieux liens de parenté avec nómos, ce qui est en partage, ce dont on fait un usage courant, enfin la loi. Ce qui caractérise le champ sémantique formé par les associés de nomízein, c’est la notion commune de « valeur reconnue officiellement » [15] dans un partage légal. Voilà pourquoi Platon, au livre II de la République, associe la monnaie, nómisma, à súmbolon, tout insigne de reconnaissance, au moment où il décrit un premier noyau dur de la polis : pour qu’il y ait une cité, il faut nécessairement un marché, agorá, et nómisma súmbolon, « une monnaie, signe de la valeur des objets échangés » [16].

Moneta, la déesse au nom sonore

9Sans évoquer les divers aspects d’enquêtes en cours [17], venons-en à la figure de Moneta – une déesse dont les signaux d’alerte évoquent l’étymologie lue chez Isidore : « Moneta, la monnaie, tire son nom de monet [qui met en garde et avertit (monere)] » [18]. Moneta, la déesse, dispose d’une sphère mythique en étroite association avec Junon dont elle est un surnom, Juno Moneta. Ovide [19] rappelle, avec d’autres, que la déesse Monnaie a son sanctuaire sur les hauteurs de l’arx Capitolina – où se trouve aujourd’hui l’église de l’Arcoeli. Tite-Live précise qu’un atelier était attaché à son temple (aedes atque officina) [20] où l’on pouvait frapper de la monnaie.

10Mais Moneta n’est pas uniquement spécialiste des finances [21]. La déesse au nom sonore est aussi une parole de vérité qui annonce un danger imminent quand Cicéron dit qu’un jour on a entendu une voix sortant du temple de Junon, prévoyant une catastrophe : un tremblement de terre [22]. Depuis, on surnomma cette déesse de l’alerte Juno Moneta. Une scholie fait allusion au célèbre épisode du Capitole sauvé de l’invasion gauloise, en 390 av. l’ère chrétienne, par le cri des oies qui furent peut-être élevées dans l’enceinte du temple de La Monnaie [23].

11Aux côtés d’une tradition présentant Juno Moneta comme une déesse de la mise en garde, d’autres textes l’identifient à la Mémoire. Moneta n’est-elle pas une transposition latine de Mnēmosúnē, la Mère des Muses [24] ? Cicéron associe encore la déesse Monnaie, bonne conseillère qui donne l’alerte, à d’autres figures abstraites divinisées : Honneur, Bonne Foi et Concorde [25] – cette dernière, la Concorde, est décrite par Ovide en « déesse radieuse, (dont le) temple blanc comme neige » [26] se trouve non loin du sanctuaire de La Monnaie.

12Moneta est donc une déesse à deux faces : entre mémoire du passé et présage de périls futurs. Monnaie prévoyante, Moneta évoque en effet le verbe monere : à la fois faire se souvenir du passé et songer à l’avenir, éclairer en instruisant, avertir pour mieux prévenir en lançant l’alerte. Associant du singulier au commun, de l’alerte vigilante à de l’action publique, Moneta figure de l’anticipation.

« Nigra moneta – La noire monnoie »

13Ce sont là quelques-unes des valeurs sémantiques de moneta que l’on retrouve au xive siècle, associées à la figure du Prince, garant de la Monnaie, dans un Traité de Nicole Oresme – auteur que Jean Starobinski qualifie de « génial » dans son livre sur le couple sémantique Action et réaction[27].

14Évêque de Lisieux où il meurt en 1382, mathématicien, physicien, Nicole Oresme traduit et commente Aristote à la demande de Charles V à qui il avait dédié son Traité des monnaies. D’abord rédigé en latin vers 1355, il le traduit sans doute lui-même en français sous le titre de Petit Traictie de la première invention des monnoies. Nous lirons ici l’une et l’autre version qui ne sont pas toujours identiques [28]. Dans le Prologue, ce Professeur de théologie sacrée dit son intention, sans détour :

15

« […] il semble à plusieurs que aucun Roy ou Prince puisse, de sa propre auctorité, de droit ou de previlège, franchement muer les monnoyes en son Royaume courans et en ordonner à sa volunté et plaisir, et avec ce, sur icelles prendre gaing et émolument tel et autant qu’il luy plaist. A aucuns autres semble le contraire et que telle auctorité ne luy a oncques esté octroyée. Pour laquelle controversie et débat, j’entens en ce petit présent Traictie, quelle chose, selon philosophie et principalement selon les raisons d’Aristote […] [29].

16Le rôle de l’œuvre novatrice d’Oresme, l’importance de l’histoire économique de son temps ont été étudiés par les historiens de l’économie et plus récemment par Sylvain Piron [30]. Nos incursions dans le Traité sont ici ponctuelles : elles se limitent à une mise en perspective de ces lieux communs que sont les mots, la monnaie, les notions de chose publique et d’« utilité commune » (6).

17D’emblée, le titre du premier chapitre du Traité d’Oresme pose la question : « Pour quelle cause monnoie fut premier trouvée » (propter quid monetas sit inventa : pourquoi la monnaie fut inventée). Ce commencement eut lieu à la suite de la séparation des fils d’Adam (1). Après une période où ils « commencèrent [à] communiquer et eschanger leurs richesses ensemble, sans monnoie » (mercari sine moneta : commercer sans monnaie), les hommes eurent l’idée d’un instrument d’échange (Intsrumentum permutandi). Cet « instrument pour marchander » (instrumentum mercaturae 3) suppose « de faire monnoie » (invenire monetae 1). Celle-ci ne fut pas donnée « aux seulz princes, c’est assavoir, à noz premiers parens […] mais aussi à toute leur postérité et génération » (6). Pour cette raison, « la monnoie est moult utile et nécessaire pour le bien de la communaulté publicque » (numisma est valde utile bonae communitati civili 1).

18Il faut donc que la juste monnaie porte un nom approprié : ainsi les sicles qu’Abraham donne en Genèse XXIII à Éphron le Hittite pour lui acheter le tombeau de Sarah, « quatre cents sicles d’argent en monnaie courante » [31]. Oresme rappelle que le sicle est à la fois le nom d’une monnaie et le nom d’un poids (nomen monetae, nomen ponderis 4) : shequel, le sicle en hébreu, vient en effet du verbe peser.

19Voilà pour la bonne monnaie. Quant à la fausse monnaie, elle se caractérise par une altération de son poids, par la composition d’un alliage illicite ou par la mutation des noms, la fausse appellation [32]. On ne peut pas appeler « or ce qui n’est pas or, et livre ce qui n’est point livre connue » (aurum vocare… libra 19). Changer le nom d’une monnaie « pour néant » (frustra 11), en vain, par tromperie, serait « moult grant scandale » (scandalum 19). Cela devrait inciter à « condamner et pugnir les faulx monnoyers » (falsos monetarios), rendre visible la honte qui fait rougir (erubescere). Autrement dit, on ne peut pas donner le nom d’une bonne monnaie en transformant de manière frauduleuse sa valeur : une telle mutilation scélérate (16) ne peut que « troubler l’ordre de raison » (rationis ordinem pertubare). C’est alors le règne de l’alliage illicite, de « la noire monnoie » (nigra moneta 13) [33]. La fraude est d’autant plus sournoise et « sophistiquée » qu’elle est imperceptible. « La noire monnoie », nuisance qui lèse la communauté (laedere communitatem), porte atteinte au nom même de moneta. Dans ces pages, Oresme souligne que la monnaie est signe par excellence de ce qui ne trompe pas : ni sur le métal, ni sur le poids (metallo vel pondere) [34]. Sa puissance sémantique est telle que son nom commun en est le garant ; moneta « avertit » qu’il n’y a ici aucune fraude (fraus) puisque monnaie vient de moneo, « j’avertis » (moneta dicitur a moneo – et dans le français d’Oresme : « Monnoie est dicte de ammonester »).

20La fraude (fraus) sur la monnaie, l’atteinte portée à l’intégrité (integritas) du nom sèment de la confusion et perturbent (turbantur) l’ordre du monde (16). Car tromper sur la composition de la matière monnayée, sur les poids et les mesures, c’est porter atteinte à « Dieu (qui fit) toutes choses en mesure en poix et en nombre ». Falsifier le nom, altérer la valeur des monnaies, c’est déroger « à Dieu et à nature » (Deo et naturae derogat). Cette « mutacion fraulde », cette triche sur la monnaie lui fait perdre le caractère de mesure commune fiable qui la fonde [35] : il y va conjointement de l’ordre invisible de l’univers et de la mutation de valeurs sensibles qui font et défont les pratiques du quotidien.

Fausse monnaie et viol de l’intime

21Oresme poursuit : dans une communauté il est des maux, quelquefois nécessaires, qu’on ne peut pas éviter. Par exemple : afin que rien de « pis n’aviengne et pour éviter scandalle, on permect […] bordeaulx publiques » – les lupanars publics (lupanaria publica 18). Mais, pour ce qui est de la « mutation de monnoie pour y prandre gaing » (mutatione monetae pro lucro), on ne peut éviter le trouble puisque c’est précisément par cette altération monétaire, qui profite au prince en lui apportant du gain, que le scandale arrive. Oresme établit ainsi une hiérarchie. Le mal suprême résulte de la fraude sur la monnaie. Une « telle mutation de monnoie » entraîne en effet un « scandalle » inévitable. Celui-ci suscite un désordre qui atteint non seulement la chose monétaire mais l’ensemble du système de valeurs religieux, politique et sensible, où cette mesure commune puise sa légitimité.

22Rien n’est donc « pire » (pejus ; pejor 17) que « la mutacion des monnoies » (mutatio monetae). Pis même que ce monstre stérile, contre nature (monstruosum est et contra naturam, 16), qui a pour nom « usure ». Ce passage s’inspire de l’argumentation d’Aristote [36] : « chose monstrueuse est et contre nature que la chose non apte à porter enfante, ne que la chose stérile et seiche de toute espèce fructifie ou multiplie de soy mesme, si comme est pecune ou monnoie ».

23Si tirer un profit (lucrum 16) de la transformation des monnaies constitue à ce point une « exaction frauduleuse » (actio fraudulenta 17), un pillage violent (violenta praedatio), c’est que cela se fait « oultre et pardessus toute la communaulté ». En effet, ce qui caractérise le bon usage de la monnaie c’est d’en faire l’acquisition non pas pour la consommer, ni pour la conserver indéfiniment, mais pour la transmettre à autrui. Quel que soit le degré de thésaurisation, c’est de sa puissance d’échange que la monnaie tire sa valeur.

24Au chapitre VI du Traité, qui s’intitule « A qui est et doit appartenir icelle monnoie » (cujus sit ipsa moneta), Oresme insiste : c’est « pour l’utilité commune [utilitate communi] [que] le Prince ait à signer la monnoie » (signare numisma 6). Si la communauté lui confère ainsi l’autorité d’apposer le poinçon officiel [37], il n’est cependant ni maître (dominus), ni propriétaire (proprietarius) de la monnaie qui circule dans sa principauté. Personne ne peut d’ailleurs accorder au Prince le privilège (privilegium 23) de faire de la monnaie comme bon lui semble : ni l’empereur, ni le pape ne s’accorderaient pareille licence (23-24). Chose d’utilité publique, « la monnaie appartient à la communaulté et aux personnes singulières » (6). Concéder au Prince le droit de s’approprier du bien de tous serait comme l’autoriser, dit Oresme, à me dépouiller, me mettre à nu : « il me pourroit oster ma robbe » (15 : mihi tunicam amovere).

25Pour toute chose utile, le froment ou le sel, il ne peut y avoir de « monopole de monnoie » (monopolium monetarum : 10) ; celui-ci serait d’autant « plus vraye tyrannie » qu’il ne répondrait pas à ce qui est « nécessaire à la communaulté » (cujuscumque rei necessariae communitati). Porter atteinte à la monnaie appauvrit tout un chacun : « La mutacion de la monnoie » entraîne des « inconvéniens » qui « touchent et regardent toute la communaulté » (20).

26À propos de ces « inconvéniens », Oresme pose la question suivante : « la communaulté à laquelle appartient et est la monnoie » (quod communitas cujus est moneta 24) peut-elle décider de se « despouiller de son droit » en l’abandonnant totalement au Prince ? Dans sa réponse, catégorique, il compare l’atteinte à l’intégrité de la monnaie publique à un abus de l’intégrité corporelle des femmes :

27

« Item, la chose qui appartient à aucun, comme de droit naturel (de jure naturali), ne peult aucune foiz estre transportée justement à autruy, comme la monnoie appartient de droit à la communaulté, si comme assez appert par les chapitres dessus-diz. Si comme donc la communaulté ne peult octroyer au Prince (communitas non potest concedere principi) qu’il ait la puissance et auctorité d’abbuser des femmes de ses cytoiens (auctoritatem abutendi uxoribus civium) à sa voulenté et desquelles qu’il luy plaira, pareillement elle ne luy peult donner previleige de faire à sa voulenté des monnoies » (24) [38].

28La violence faite aux femmes, épouses de citoyens, la falsification des monnaies sont des abus qui « blessent la communauté » [39] et transforment irrémédiablement la politique du Prince en tyrannie. Arrivé au terme de son Traité[40], citant toujours Aristote mais aussi Cicéron, Sénèque, Plutarque, Cassiodore et les prophètes bibliques, Oresme veut montrer combien le déséquilibre des richesses engendre une pathologie sociale monstrueuse.

« La mélodie de la politique »

29Ici, comme dans le discours des Anciens [41], la cité est souvent conçue « comme ung corps humain » (corpus humanum 25), avec ses équilibres fragiles toujours menacés par les dérèglements. Si le corps est malade, que « les excessives humeurs surhabondent » (quando humores excessive fluunt) dans un de ses membres, celui-ci est enflé et les autres se dessèchent en se réduisant : un tel corps ne peut pas « longuement vivre » (25). Ce déséquilibre est identique à celui d’une communauté où les dirigeants accroissent tant leurs richesses par rapport à leurs sujets qu’elle devient « comme ung monstre à nature [sicut monstrum], si comme ung corps duquel la teste est si grosse que le residu d’icelui est si foible qu’il ne la peut soustenir. » (25). Un tel homme ne peut être ni heureux, ni survivre longtemps, pas plus que « la communaulté ou royaume duquel le prince tire à soy richesses excessivement, comme par mutacions de monnoies » (in excessu, sicut fit per mutationes monetae).

30Oresme propose ensuite une métaphore politique de la voix, pour dire la nécessité des harmoniques et le péril d’une communauté sonore où régnerait la discorde. L’équilibre doit résulter d’un art bien tempéré qui se tient au milieu, à l’écart des extrêmes. Il ne faut ni trop d’égalité, ni trop de disparité : la modération du bon prince se trouve au « milieu » (in medio 25) [42]. Ainsi, dans le mélange des voix (mixtione vocum), on recherche une différence bien proportionnée et mesurée qui garantit les modulations séduisantes d’un chœur joyeux (laeti blanda modulamina chori). Il en va de même, « universellement » (universaliter), pour toutes les composantes « de la communaulté » (partes communitatis) : trop d’égalité, dans les possessions ou la puissance, ne convient pas et ne sonne pas bien (non convenit nec consonat), mais « trop grande disparité discipe et corrumpt l’armonie et doulceur de la chose publicque » (disparitas harmoniam reipublicae dissipat et corrumpit). L’exécution d’une telle partition dépend à l’évidence du Prince lui-même qui est, dans la royauté, comme le ténor et la voix principale du chant (ipse princeps qui est in regno veluti tenor et vox prinicipalis in cantu). Si donc le Prince excède (excedat) la mesure, s’il entre en discordance (discordat) avec le reste de la communauté, alors le chant, la mélodie de la politique royale (regalis politiaie melos) sera troublée. Ici, comme à Babel, la dissonance résulte d’une politique de l’orgueil despotique. Le gouvernement du Prince sombre alors dans la tyrannie, le gouvernement de la violence.

« Un Mensonge tacite »

31Plus encore. Pour l’évêque de Lisieux, si « muer est falsifier la monnoie » (13 ; mutare… falsificare), cela ne suppose pas uniquement un esclandre social et politique. Car il existe des pièces où se trouve inscrit « le nom de Dieu ou d’aucun Sainct, et le Signe de la Croix ». Or, ce type d’inscription a été institué anciennement « en tesmoing de la vérité de la monnoie » (testimonium veritatis monetae) pour attester de la conformité « en matière et poix ». Si donc le Prince change matière ou poids, préservant l’inscription, il commet un mensonge tacite (tacite mendacium) [43], un parjure, et fournit un faux témoignage (falsum testimonium) ; il devient prévaricateur (praevaricator) en transgressant le divin commandement : « tu ne prendras point le nom de ton Dieu en vain » [44]. Ce mensonge sur le nom de Dieu, ce mensonge tacite, écrit Oresme, « peult nuyre et blessier la communaulté ».

32Récapitulons. Faire de « la noire monnoie » (13), transformer les proportions d’un alliage en silence, « ceste chose n’est permise ne licite à aucun prince […] ; car l’impression et figure de la monnoie est le signe de la vérité de la matière » (signum veritatis materiae). Falsifier la monnaie, mentir sur son nom, son poids ou sur le signe de sa matière portent atteinte à ce qui fonde de la mesure commune au quotidien.

33Mais la pratique monétaire implique également des usages tangibles, notamment tactiles, visibles, sonores. La triche sur la monnaie désagrège ainsi les normes sensibles qui instituent du tissu social. Tout un chacun est alors lésé, pris dans la tourmente d’un déficit public portant atteinte à ce qui structure des formes politiques de l’intime. Cette formulation ne suppose ici nul anachronisme. Il ne s’agit pas d’une psychologie mais d’une politique de l’intime : l’opprobre, l’humiliation publique, la honte qui fait rougir, la douleur s’insinuent dans les interstices du social ; l’impudeur aussi qui résulte d’une forme politique de l’obscène.

34Les divers aspects de la triche sur le bien commun, la mutation illicite des alliages portent donc atteinte à l’ensemble du système de valeurs, explicites et implicites, que suppose le fait monétaire. Les connotations sensibles de ce type de crise se trouvent formulées plus tard, notamment quand l’astronome polonais Nicolas Copernic, en 1526, dans son Traité sur la frappe de la monnaie[45], dit la nécessité, pour « les modes de constitution de la monnaie […], du consentement commun » (modi constitutionis monete […] communis consen-sus). La falsification de la monnaie, Copernic l’associe alors à de la honte, de la douleur (pudet ac dolet).

35Quand une telle politique du mensonge tacite s’impose à tous dans une complicité silencieuse, chacun est atteint dans ce qui constitue un lieu de partage, un espace commun jalonné par des appropriations singulières où peut se reconnaître une part visible de l’intime : l’obscène marque alors le sens ordinaire des choses. D’Oresme à Copernic, telle est la « blessure » sociale qui résulte de la sape de tout « consentement » possible [46]. Voilà comment le Prince peut induire la ruine de ce socle d’abstractions que sont les valeurs sociales qui dictent honneur, justice et pudeur. Du mensonge politique, qui se nourrit de silence, à la frappe d’une fausse monnaie, ce sont aussi les repères du quotidien qui sont mis en péril.

36Le partage de valeurs suppose que « le commun peuple » (vulgus 9) puisse distinguer entre la bonne et la mauvaise monnaie. Du mensonge invisible à la découverte de la fraude, de la fausse parole à la fausse monnaie [47], le viol public entame la confiance de chaque citoyen. Les usages sociaux transgressés, les liens du commun volent en éclats.

« L’empreinte de Dieu le Père »

37Mais les faux-monnayeurs ne se trouvent pas seulement dans l’Enfer de Dante (XXX,61), comme ce « maître Adam » qui fut brûlé vif en 1281 pour avoir fait battre deux faux florins d’or, contrefaisant ceux de Florence. Les faux-monnayeurs furent de tous temps, pour les Pères de l’Église, des monnayeurs « infidèles » – ceux qui fabriquent de fausses valeurs, ceux qui font commerce de valeurs visibles. Celles-ci résultent de simulations ; elles sont décrites comme des valeurs trompeuses.

38Une source ancienne apporte à ce propos une notation monétaire éclairante. Il s’agit d’un texte attribué à Ignace. Cet évêque d’Antioche, en Syrie, qui meurt martyr, sans doute en 108, dit qu’il ne faut pas confondre visible et invisible, ni « l’évêque de tous » (le Père de Jésus-Christ) [48], « qui est l’évêque invisible » (àóratos), avec « l’évêque visible » (blepómenon). Ignace associe la vie, la mort et la monnaie – ce métal estampillé d’une empreinte authentique, ce tiers non exclu qui garantit de la valeur commune, autorisant tout échange.

39« De même qu’il y a deux monnaies (nomísmata dúo), celle de Dieu et celle du monde (theou/kósmou), et que chacune d’elles a son empreinte (autrement dit son inscription, son propre caractère – ídion charaktē̂ra), les infidèles portent celle de ce monde, mais les fidèles, dans la charité par Jésus-Christ, portent l’empreinte de Dieu le Père ».

40Un autre emploi de la métaphore monétaire se trouve dans un passage du De Trinitate d’Augustin pour figurer ce que Dieu a d’immuable et d’intemporel. Souvent sollicité au fil des siècles, ce texte [49] pose le problème du rapport entre l’accident temporel et l’intemporel – ou comment Dieu, inscrit dans l’histoire des hommes, notamment quand il est qualifié par eux de « Seigneur », demeure pourtant à l’abri de toute temporalité ? ou encore pourquoi « Dieu échappe-t-il à toute qualification accidentelle ? ». La réponse est catégorique : « Par cela seulement que sa nature échappe à tout ce qui la pourrait modifier […] » (p. 464). Autrement dit, en devenant « Seigneur », et ainsi qualifié, « Dieu » n’est pas pour autant transformé par la relation que les humains entretiennent avec Lui. Un tel rapport « relatif » à Dieu ne l’entame en rien. « La preuve » [50], Augustin veut l’apporter en se servant de la « pièce de monnaie », de « son être », de sa « forme » :

41

« Par exemple, “ami” est une désignation relative. On ne commence à être ami qu’en commençant à aimer : il se produit donc un changement de la volonté pour qu’on puisse parler d’ami. Mais une pièce de monnaie, qu’on dise : “c’est le prix de…”, prend un nom relatif, pourtant elle n’est pas changée en devenant ce prix [51] ; et pas davantage avec le mot de “caution” et mots semblables. Eh bien, si une pièce de monnaie (nummus) peut, sans changer aucunement, recevoir si souvent une qualification relative, sans que, en la recevant ou la perdant, son être ou sa forme de pièce de monnaie en soit modifiée (natura vel forma, qua nummus est, mutationis fiat), avec quelle plus parfaite aisance devons-nous admettre, à propos de cette immuable substance de Dieu, qu’elle puisse recevoir un qualificatif relatif à la création, sans mettre l’accident au compte de la substance elle-même de Dieu, malgré la nouveauté temporelle de son qualificatif, mais à celui de la créature que ce qualificatif concerne ? » (464-466)

42Si la monnaie n’est pas créditée d’une immuable « substance » divine, Augustin souligne néanmoins combien le principe monétaire n’est pas modifiable par les relations que la pièce peut induire, ni par les qualifications qu’on peut lui attribuer.

43La théologie fait ici un bon usage rhétorique de la garantie monétaire. Ailleurs, en un autre temps, un autre lieu, nous l’avons vu chez Ignace, c’est la marque divine de la monnaie qui peut se trouver dans une formule qui est aussi une figure : « l’empreinte de Dieu le Père » (charaktē̂ra theoû patrós) [52], qui évoque l’Épître aux Hébreux (I,3) où au charaktḗr du grec néotestamentaire correspond le latin figura[53].

44Sans doute est-ce à cette marque divine que songe Oresme en faisant allusion au verset de l’Exode XX, 7, quand il écrit que la falsification de la monnaie est parjure (13), blasphème et mensonge tacite. Mais pour Oresme, Aristote n’est jamais loin, quand ce même terme grec, charaktḗr, signifie, dans la Politique, l’empreinte de la monnaie « comme signe (sēmeîon) de la quantité de métal » [54]Politique d’Aristote traduite en français par Oresme dans les années 1370. Cette traduction, le choix d’avoir « translaté de latin en françois » [55] son Traité de la monnaie ont enrichi la langue de mots résultants du transfert de nouveaux concepts, contribuant ainsi à accorder au français de son temps un statut de langue savante. Pour Oresme, fidèle lecteur d’Aristote, le propre de la langue, comme celui de la monnaie, se trouve dans leur inscription politique : elles sont avant tout l’affaire d’une communauté sociale.

« Le langage est un État démocratique »

« L’usage, toutefois, est le maître le plus sûr du parler et on doit traiter le langage comme une monnaie qui est marquée au coin de l’État. »

45L’enquête à peine esquissée permet-elle d’associer langue et monnaie dans une logique métaphorique où l’analogie régnerait sans partage ? Je ne le pense pas. Du moins jamais de manière systématique [57].

46Il n’empêche. Nombreux sont les discours, anciens et modernes, qui ont conçu des images monétaires de la langue – l’inverse, semble-t-il, est plus rare [58]. Avant de suspendre cet échange de « sémantique monétaire » avec Jean Starobinski, j’évoque librement quelques-unes encore de ces innombrables images où langue et monnaie se trouvent associées diversement.

47Notamment pour penser la langue comme un « métal d’alliage ». Ainsi Rivarol considère-t-il que les racines des mots sont « comme une monnaie que chaque peuple a chargée de son empreinte [59] ». S’il n’est pas seul à considérer que « les langues sont les vraies médailles de l’histoire », il ne pense pas, comme tant d’autres depuis la Renaissance, qu’on puisse y déceler les étymologies qui portent la marque de « cette monnaie primitive ». S’opposant résolument à ceux qui veulent concevoir les langues hors de toute historicité pour y déceler de l’inaltérable, Rivarol poursuit sa métaphore monétaire : « Les langues les plus simples et les plus près de leur origine sont déjà très altérées. Il n’y a jamais eu sur la terre ni sang pur ni langue sans alliage ». Et les mots sont « comme les monnaies : ils ont une valeur propre avant d’exprimer tous les genres de valeur ».

48Monnaies et langues peuvent encore être rapprochées pour souligner divers types de temporalité, pour formuler des registres d’historicité spécifiques. Associant les mots au rythme des saisons, Horace compare, dans son Art poétique, la création d’un vocable avec la frappe d’une nouvelle monnaie :

49

« Il a toujours été permis, il le sera toujours, de mettre en circulation un vocable marqué au coin du moment. »

50C’est ainsi que se trouve « enrichi l’idiome “national” (sermonem patrium) et mis au jour, pour les idées, des vocables nouveaux ». On a voulu voir ici une allusion aux Triumviri monetales qui, chaque année, changent l’empreinte des monnaies, quand Horace écrit (nous venons de le lire) : « Licuit semperque licebit/signatum praesente nota producere nomen » [60]. En effet, signare et notare appartiennent au champ sémantique de la « marque » qui signe, qui scelle et légitime ; signator peut désigner « le monnayeur » et, nota, l’empreinte de la monnaie.

51La langue, la monnaie : deux insignes notables de la patrie. L’importance de ces mots nouveaux qui enrichissent (le verbe est ditare) la langue, c’est de permettre l’expression « des idées restées jusqu’alors dans l’ombre » [61]. Horace se sert ici de la marque monétaire – comme tant d’autres poètes et écrivains le feront au fil des siècles.

52La consécration de la nouveauté par l’usage se retrouve, bien plus tard, dans de tout autres contextes historiques et sociaux. Quand des écrits modernes insistent sur la primauté « démocratique » des usages du langage contre un pouvoir linguistique despotique, celui du Prince ou du Savant.

53Dans sa Dissertation intitulée De l’influence des opinions sur le langage, et du langage sur les opinions, le philosophe et théologien orientaliste J. D. Michaelis écrit en 1762 que dans les langues vivantes « tout est Démocratique : les mots ne sauraient perdre leur signification reçue par le consentement du peuple […] [62] ». Pour être bien compris, il ajoute ceci :

54

« Le langage est un État démocratique : le Citoyen savant n’est point autorisé à abolir un usage reçu avant qu’il ait convaincu toute la nation que cet usage est un abus […] ».

55Un siècle auparavant, dans une situation politique où la sphère publique se transforme [63], le jésuite et grammairien Dominique Bouhours, qui avait lu Vaugelas, s’interroge sur la légitimité des mots nouveaux, soulignant combien nulle prise de pouvoir linguistique n’est admissible. Ni le Prince, ni le créateur d’un sabir, accédant soudain au statut de jargon à la mode, ne peuvent imposer une langue artificielle :

56

« Deux personnes qui veulent se parler par chiffre […] peuvent se faire un jargon à leur mode […]. Mais dès qu’on veut parler la Langue ordinaire, on ne peut user que des paroles communes ; et une personne particulière, de quelque qualité qu’elle soit, fûst-ce un Prince et un Souverain, bien loin de pouvoir ajoûter des mots à la langue, ne peut pas mêsme ajoûter une lettre à l’Alphabet [64]. »

57Jaloux de son autorité, le Public protège son droit d’usage qu’il ne veut « partager avec personne ». Bouhours insiste sur la légitimité de ce pouvoir en des termes qu’il vaut la peine de citer :

58

« […] pour ce qui est des mots tout nouveaux, je ne pense pas qu’aucun particulier ait droit de les établir. Cela n’appartient qu’au public ; c’est à luy à les recevoir, et à leur donner cours dans le monde. […] Comme la parole est le lien de la société, et que la langue qu’une nation parle est commune à toute la nation ; le public seul peut déterminer ce qui regarde la parole. Il faut qu’un mot, pour être reçu, ait les suffrages du peuple qui doit s’en servir [65] ».

59Le peuple doit être garant de la valeur publique des mots – comme il doit chez Oresme veiller à l’intégrité du poids spécifique des composants d’un alliage. On ne peut pas plus confisquer les mots de la langue que la monnaie publique. Celle-ci comme ceux-là ne sont la propriété de personne : c’est le rapport induit par la puissance de l’usage et de la circulation qui fait leur valeur.

60Au regard des théologiens, d’une manière générale et dans la longue durée, Dieu a créé le matériau linguistique pour en faire don à l’homme qui l’imprime de significations diverses – comme le métal devient monnaie, par la marque du Prince au nom de l’intérêt public. Le Prince ne peut pas battre monnaie à sa guise ; si le poète et le savant peuvent vouloir inventer des mots, seul l’usage commun détermine leur carrière. La monnaie n’est donc pas la propriété de celui qui détient l’autorité légitime de la frappe ; le mot tire sa légitimité du public qui le consacre par l’usage et non pas en raison de l’auteur qui l’a forgé. Ce que dit encore Bouhours de manière imagée en affirmant que le Public est rebuté par les mots dont un particulier se déclare « l’inventeur, ou le patron » […] [66] :

61

« Au contraire, il (le Public) accepte volontiers les mots dont les Auteurs ne paroissent point […] ; dont l’origine est obscure. De sorte que les mots qui réüssissent, ressemblent en quelque façon à ces enfans dont on ne connoist point les pères, mais qui sont nez sous une constellation heureuse, et que le Chancelier Bacon appelle les enfans et les favoris de la fortune. »

Le signifiant linguistique, super-monnaie

62Innombrables sont les textes anciens et modernes qui se saisissent de « la pièce de monnaie » pour tenter de dire « la fabrique » du langage, pour cerner la notion de valeur [67]. De Platon et d’Aristote à Saussure en passant par Augustin, des théories du signe, ou, plus simplement, des propos sur le fonctionnement linguistique, ont pu mobiliser des figures du monétaire. Dans la dernière partie de cet exposé, qui a pris une forme exploratoire, voici un échantillon de sources qu’il ne faudrait pas classer sous une même rubrique, tant elles sont d’époques, de provenances et de catégories différentes. Je les privilégie pourtant, parmi d’autres, parce que ces écrits témoignent de l’insistance des liens entre langue et monnaie ; et que ces textes permettent de voir à l’œuvre certains mécanismes d’association mentale liant entre eux ces « insignes de reconnaissance », ces « symboles » [68] qui produisent de la valeur sociale à l’intersection du particulier et du commun.

63Dans un passage de son œuvre inachevée, Wilhelm von Humboldt, qui meurt au printemps 1835, dit l’importance de la « combinaison de l’élément phonétique et de la forme linguistique interne » :

64

« Il n’y a pas d’élément, si liminaire qu’il soit, où la production de la langue ne manifeste un pouvoir de synthèse au sens le plus authentique du terme – la synthèse créant en effet ce qui n’a d’existence propre dans aucune des parties constituantes de la combinaison elle-même. […] Elle (la synthèse) est le produit de la force en jeu dans l’acte producteur de la langue à l’instant même de sa production, et elle en marque très exactement l’intensité. Il en va ici comme d’une pièce de monnaie qui, lorsque la frappe s’est émoussée, peut bien restituer les traits et les détails de la forme, mais sans l’éclat qui naît de la parfaite netteté de la frappe [69] ».

65Quand plus tard, dans un univers conceptuel différent, Saussure dit ce que peut signifier « la valeur d’un mot » [70], pour préciser les aspects de « la valeur linguistique », il se sert d’« une pièce de cinq francs ».

66

« Ainsi pour déterminer ce que vaut une pièce de cinq francs, il faut savoir : 1° qu’on peut l’échanger contre une quantité déterminée d’une chose différente, par exemple du pain ; 2° qu’on peut la comparer avec une valeur similaire du même système, par exemple une pièce d’un franc, ou avec une monnaie d’un autre système (un dollar etc.). De même un mot peut être échangé contre quelque chose de dissemblable : une idée ; en outre, il peut être comparé avec quelque chose de même nature : un autre mot » [71].

67Ce qui rapproche ici la « pièce de cinq francs » du mot « pain », c’est qu’il faut, pour caractériser la valeur de l’un et l’autre signe, monétaire et linguistique, du « dissemblable » et du « similaire » [72]. Poursuivant son exploitation de la métaphore monétaire, Saussure s’interroge alors sur « la valeur linguistique considérée dans son aspect matériel » [73] :

68

« Toutes les valeurs conventionnelles présentent ce caractère de ne pas se confondre avec l’élément tangible qui leur sert de support. Ainsi ce n’est pas le métal d’une pièce de monnaie qui en fixe la valeur ; un écu qui vaut nominalement cinq francs ne contient que la moitié de cette somme en argent ; il vaudra plus ou moins avec telle ou telle effigie, plus ou moins en deçà et au-delà d’une frontière politique. Cela est plus vrai encore du signifiant linguistique ; dans son essence, il n’est aucunement phonique, il est incorporel, constitué, non par une substance matérielle, mais uniquement par les différences qui séparent son image acoustique de toutes les autres [74]. »

69Comme l’indiquent les notes publiées par Rudolf Engler, ce qui importe à Saussure, à cette étape de la démonstration, c’est de poser la « nature incorporelle des mots » :

70

« “les mots sont des entités corporelles” / “nous voyons apparaître l’entité incorporelle : comme fond de ce qui fait un mot”/ “en même temps nous voyons apparaître la nature incorporelle des mots, des unités quelles qu’elles soient” [75]. »

71Cette nature incorporelle s’applique évidemment tant au signifié qu’au signifiant.

72En terme de valeur, le signifiant linguistique apparaît ici, de par sa nature incorporelle, comme une super-monnaie.

La Gazeta de Venise

73Comme Nicole Oresme, Turgot rêve de réformes économiques et s’investit dans une trajectoire faite de liens intenses entre mots, monnaie et politique. Contrôleur général des finances de Louis XVI (1774-1776), auteur de l’article Étymologie dans l’Encyclopédie[76], il est également l’auteur de pages demeurées en friche sur Valeurs et monnaies. En raison de l’importance de ce texte, en voici ses premiers paragraphes. Nous sommes vers 1768 :

74

« La monnaie a cela de commun avec toutes les espèces de mesures, qu’elle est une sorte de langage qui diffère, chez les différents peuples, en tout ce qui est arbitraire et de convention, mais qui se rapproche et s’identifie, à quelques égards, par ses rapports, à un terme ou étalon commun.
Ce terme commun qui rapproche tous les langages, et qui donne à toutes les langues un fond de ressemblance inaltérable malgré la diversité des sons qu’elles emploient, n’est autre que les idées mêmes que ces mots expriment, c’est-à-dire les objets de la nature représentés par les sens à l’esprit humain et les notions que les hommes se sont formées en distinguant les différentes faces de ces objets et en les combinant en mille manières.
C’est ce fond commun, essentiel à toutes les langues indépendamment de toute convention, qui fait qu’on peut prendre chaque langue, chaque système de conventions adoptées comme les signes des idées, pour y comparer tous les autres systèmes de conventions, comme on les comparerait au système même des idées qu’on peut interpréter dans chaque langue, ce qui a été originairement exprimé dans toute autre, qu’on peut en un mot traduire[78].
[…] Le terme commun auquel se rapportent les monnaies de toutes les nations est la valeur même de tous les objets de commerce qu’elles servent à mesurer. Mais cette valeur, ne pouvant être désignée que par la quantité même des monnaies auxquelles elle correspond, il s’ensuit qu’on ne peut évaluer une monnaie qu’en une autre monnaie : de même qu’on ne peut interpréter les sons d’une langue que par d’autres sons [77]. »

75Tiraillé entre ce que deviennent les « objets de la nature représentés par les sens à l’esprit humain », l’historicité des signes, ce que serait un « terme ou étalon commun » à toutes les langues, « un fond de ressemblance inaltérable », Turgot ranime en quelque sorte la vieille idée d’une « Raison commune » à toutes les langues [79]. Cette vision, à la fois humaniste et théologienne, voudrait que, depuis la dispersion des sons et des sens à Babel, une Ratio linguistique, commune à toutes les langues, ait résisté à toute érosion temporelle [80]. Notons enfin que ce « fond commun » et « inaltérable », Turgot l’« identifie » avec « la monnaie [qui] est une sorte de langage ».

76Cependant que les savoirs linguistiques en devenir cohabitaient avec de vieux souvenirs bibliques, science et théologie s’épaulant souvent, d’autres monnaies ont depuis longtemps marqué les œuvres poétiques. Comme si entre le monétaire, le poétique et le politique, il y avait plus qu’une résonance sémantique [81].

77Veut-on une autre icône liant mot, monnaie et « démocratisation », qui pourrait illustrer, dans une très longue durée, ce dont parle Jean-Pierre Vernant en 1962, dans ses Origines de la pensée grecque, lorsqu’il montre les liens nécessaires, dans la cité grecque, entre monnaie, parole publique, démocratisation, écriture et « exigence de publicité » [82] ? veut-on une image presque anecdotique, incertaine historiquement, une de ces rumeurs curieuses qui éclairent le dessous des choses ? C’est le mot même de « gazette », la gazeta frappée à Venise en 1539, pièce de monnaie – dont se servait encore Casanova [83] – qui aurait, dit-on, donné son nom à une gazette vénitienne [84], avant que ces feuilles ne s’envolent vers toute l’Europe [85]. Voltaire l’affirme en rédigeant l’article Gazette pour l’Encyclopédie : « On appella ces feuilles qu’on donnoit une fois par semaine, gazettes, du nom de gazetta, petite monnoie revenante à un de nos demi-sous, qui avoit cours alors à Venise » [86]. Et il ajoute que si « ces feuilles » sont « souvent remplies de fausses nouvelles, elles peuvent cependant fournir de bons matériaux pour l’Histoire ; parce que d’ordinaire les erreurs d’une gazette sont rectifiées par les suivantes » […]. Version optimiste, en quelque sorte « paléo-démocratique », de l’information écrite, publique et politique : payée en monnaie par le libre choix des citoyens qui veulent lire leur gazette.

De la « blessure » monétaire

78Dans l’ordre de l’échange, mot et monnaie, nous l’avons vu, ont pu être traités comme signes équivalents [87]. Le spectre sémantique de la monnaie opère, semble-t-il, dans la très longue durée. Un coup d’œil sur des textes plus récents permet de mesurer la puissance d’évocation de Moneta, Mère des Muses [88], quand le poète Claude Royet-Journoud met en œuvre « l’argent liquide pour mémoire » [89]. Valéry a pu inscrire à l’ordre du jour une anthropologie de la logique de la Fiducia[90] en déclinant le rôle du langage dans ses liens avec la valeur fiduciaire. Le champ métaphorique liant mots et monnaies se retrouve ainsi chez poètes et philosophes. Pour insister sur l’aspect ordinaire, le faux-semblant que peut véhiculer toute monnaie, Derrida, lecteur de Baudelaire, tresse un réseau d’associations où, partant de « La fausse monnaie » [91], il constitue une dramatique en « titre, homonyme troublant de toute autre locution identique, de toute autre fausse monnaie ». La dramatique de « la pièce fausse » donne lieu alors à une réflexion sur « le titre de l’histoire racontée (histoire de fausse monnaie) ou de la fiction narratrice (récit comme fausse monnaie) ».

79Entre la monnaie qui passe de main en main et les mots de la langue, les auteurs ont pu souligner l’élément commun – y compris pour tenter de s’y soustraire. La dévalorisation de la monnaie va-t-elle de pair avec celle de l’impalpable éclat de l’usage des mots – « la littérature exceptée » ? Mallarmé, on le sait, réplique sans détour, dans une page titrée Or, où il oppose « la clarté radieuse avec des mots », que profère l’écrivain, au « défaut de la monnaie à briller abstraitement » [92]. Pour affirmer la dimension radicale de la littérature, Mallarmé l’oppose à l’emploi économique de la langue : « à chacun suffirait peut-être pour échanger la pensée humaine, de prendre ou de mettre dans la main d’autrui en silence une pièce de monnaie […] » [93]. Il vaut la peine de noter que dans les débats publics de l’an 2000, portant sur l’importance de la littérature dans l’enseignement en France, les signataires d’une pétition ont choisi de citer Mallarmé, et son image monétaire de la langue ordinaire, pour exprimer la « plate transmission de la plus élémentaire pensée » [94].

80Autre chose. Il m’est arrivé d’évoquer la blessure linguistique chez Paul Celan [95]. On a sans doute beaucoup écrit sur la relation « impossible » du poète avec sa langue maternelle, l’allemand. Pour lui, après 1945, le terme désignant une rose ne pouvait plus correspondre au vocable « rose » ; voilà comment elle est devenue Niemandsrose – Rose de personne. Il importe de souligner l’aspect politique du rapport à la langue chez Celan. Cette relation, liée notamment à la disparition de la langue de la mère, il faut éviter de la réduire à une aventure singulière, mystique, tant elle est sans doute également, comme pourrait l’indiquer précisément la blessure monétaire, une expérience politique liée à une poétique d’une humanité commune. Écrivant à sa femme Gisèle le 21 mai 1952, Celan parle de l’Allemagne : « […] je sens combien ce pays m’est étranger. Étranger malgré la langue, malgré beaucoup d’autres choses… » [96]. Plus explicite, le 26 septembre 1955, il écrit : « […] je suis tout à fait dépaysé dans ce pays, où, assez bizarrement, on parle la langue que ma mère m’a apprise… ».

81Chez Celan encore, on trouve de la marque monétaire. Notamment pour dire le souffle vital de la langue dans la Niemandsrose, où on lit :

82

« Brich dir die Atemmünze heraus
aus der Luft um dich und den Baum ».
« Arrache la monnaie de ton souffle
à l’air autour de toi et l’arbre » [97]

83Dans le passage de la lettre citée de Celan affleure l’étrangeté soudaine liée au plus intime, à « la langue que (sa) mère (lui) a apprise ».

84Pour les usages politiques de la langue maternelle, pour toutes réflexions historiques sur de la langue « nationale », sur de la « patrie » linguistique, il vaut sans doute la peine de prendre ou de reprendre le traité sur « la langue maternelle » [98] de Dante, le De vulgari eloquentia – texte écrit au tout début de ce xive siècle où Oresme compose son Traité des monnaies.

85Dans sa préface à Action et Réaction, Jean Starobinski insiste sur un point : « Pour comprendre notre époque et notre situation présente, il y a beaucoup à attendre de l’histoire de la langue, parce que celle-ci est inséparable de l’histoire des sociétés, des savoirs, des pouvoirs techniques, et qu’à ce titre elle a valeur d’indice. Elle nous aide à reconnaître en quoi nous différons [99]. »

86Ce sont quelques-uns de ces indices sémantiques qui peuvent témoigner, me semble-t-il, du moins dans certains cas et pour certaines images sensibles, des lieux communs de l’intime. Oresme met ainsi en évidence ce que serait une « blessure » monétaire. Il souligne combien la fausse monnaie, comme menace publique, peut atteindre le corps dans ses figures sociales : mettre à nu le citoyen (« il me pourroit oster ma robbe ») [100], porter atteinte à l’intégrité du corps féminin (« abbuser des femmes »).

87Quand la monnaie devient le lieu d’une triche invisible, d’un mensonge tacite, le déficit de cette mesure des valeurs « peult nuyre et blessier la communaulté ».

Notes

  • [1]
    Colloque dédié à l’œuvre de Jean Starobinski, dont l’ouverture a eu lieu le 26 mai 2000, à la Maison de l’Amérique latine. Publication in Starobinski en mouvement, colloque de la Sorbonne Nouvelle (Paris-III), sous la dir. de M. Gagnebin et C. Savinel, Seyssel, Champ Vallon, 2001 (p. 318-330). Ces questions furent ensuite examinées au colloque Fondamenta à Venise, dans un échange amical avec Carlo Ossola, publié dans Globo conteso. Testi. Fondamenta Venezia Città di Lettori, éd. D. del Giudice, Venise, Comune di Venezia, 2000, p. 90-96 (trad. fr : Revue des Deux Mondes, mars 2003, p. 93-104). Mes séminaires à l’École des hautes études en sciences sociales ont porté sur des problèmes de sémantique entre « langue et monnaie » : Annuaires des années 2001-2002 (p. 163-167) et 2002-2003 (p. 155-158). Je me sers ici librement de ces travaux en cours, conservant la conception orale de l’exposé fait à l’Université de Genève, le 9 décembre 2000, en réponse à l’invitation d’Olivier Pot.
  • [2]
    Pour la suite de cet échange, voir plus loin p. 551.
  • [3]
    Aristote, Politique I, 10, 1253 a 7-8 et 1253 a 9-10 : « L’homme est une créature civique » (« politikòn o ánthrōpos zō̂on ») ; seul d’entre les animaux l’homme a la parole (« lógon dè mónon ánthrōpos échei tō̂n zṓon »). Il est encore question de la voix (phōnè) des animaux, à ne pas confondre avec la voix articulée (diálektos), notamment : ibid., 1253 a 10 ; Aristote, Histoire des animaux, IV, 9, 535 a 26 sq.
  • [4]
    Voir plus loin et note 16.
  • [5]
    Mallarmé, cf. infra, note 93.
  • [6]
    Thèse soutenue au printemps 2000 à l’Université libre de Bruxelles, sous la conduite de Daniel Droixhe, sous le titre : « L’étymologie romane en France et en Italie à l’âge classique. Les conditions d’un savoir ». Et voir dans le présent volume l’article de Nadine Vanwelkenhuyzen, p. 200.
  • [7]
    Lorenzo da Brindisi, Opera Omnia, vol. III, Explanatio in Genesim, Padoue, Ex Officina Typographica Seminarii, 1935, p. 239. Pour plus d’informations sur ce capucin et une généreuse bibliographie, voir la notice de Julien-Eymard d’Angers, s.v. « Laurent de Brindes (Saint) », (supplément au) Dictionnaire de Théologie catholique, Tables générales 12, 1965, col. 2900-2907.
  • [8]
    La lingua sanctissima n’est pas ici nécessairement l’hébreu : hebraica lingua probabilissime (ibid. p. 239).
  • [9]
    Lorenzo, Opera Omnia III, ibid., p. 549 ainsi que pour la suite. Aristote est mis à contribution : De l’âme, II, 8, 420 b ; Histoire des animaux IV, 9 (voir supra note 3). Lorenzo cite Aristote dans au moins une trentaine de passages de son Explanatio
  • [10]
    Lorenzo, Opera Omnia III, ibid., p. 549 : […] vox ipsa veluti materia est significationis, ceu argentum denarii et vasis.
  • [11]
    Lorenzo, Opera Omnia III, ibid., p. 549.
  • [12]
    Moneta appellata est quia monet, ne qua fraus in metallo vel pondere fiat. Nomisma est solidus aureus, vel argenteus, sive aereus, qui ideo nomisma dicitur quia nominibus principium effigisque signabatur. Isidore de Séville, Étymologies, XVI, XVIII, 287-288, 8-9 (Patrologie Latine 82, col. 585). À ce propos, H. Bloch, Étymologie et généalogie. Une anthropologie littéraire du Moyen Âge français, Paris, Éditions du Seuil, 1989, p. 224 sq.
  • [13]
    M. Olender, « Politiques de l’étymologie », in Colloque de Cerisy. Au nom du sens. Autour de l’œuvre d’Umberto Eco (dir. J. Petitot et P. Fabbri), Paris, Grasset, 2000, p. 215-228. D’autres faits étymologiques à paraître dans Les Royaumes intermédiaires. Autour de J.-B. Pontalis, Gallimard, coll. « Folio essais », 2007.
  • [14]
    Hérodote, I, 142, 7-8.
  • [15]
    E. Laroche, Histoire de la racine NEM- en grec ancien (némō, némesis, nomós, nomízō), Paris, Klincksieck, 1949, p. 231-233 ; É. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, t. 1, Paris, Les Éditions de Minuit, 1969, p. 84-86.
  • [16]
    Platon, République II, XII, 371 b : Agorà dē ēmîn kaì nómisma súmbolon tē̂s allagē̂s (échange) éneka genḗsetai ek toútou. Pour le súmbolon chez Augustin, cf. infra note 51.
  • [17]
    À mes enquêtes préliminaires citées supra, note 1, on peut joindre : « Poétiques du politique », dans Yves Bonnefoy et l’Europe du xxe siècle. Textes réunis et présentés par Michèle Finck, Daniel Lançon et Maryse Staiber, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, 2003, p. 23-47.
  • [18]
    Cf. supra note 12.
  • [19]
    Ovide, Fastes VI, 183. Voir aussi, notamment, ibid., I. 638. Et Macrobe, Saturnales, I. 12, 30.
  • [20]
    Tite-Live, VI, 20, 13. Voir encore, ibid., VII 28, 2-6.
  • [21]
    Pour cet aspect « financier », voir une allusion chez Cicéron, dans sa missive à Atticus (VIII, 7) CCCXLI, in Correspondance t. V, Paris, CUF, 1964 (éd. J. Bayet), p. 179 : Ad Philotimum scripsi de viatico sive a Moneta (nemo enim soluit) […] ; « J’écris à Philotime pour les frais de voyage ; qu’il s’adresse à la Monnaie (puisque personne ne paie). »
  • [22]
    Cicéron, De Divinatione. I, 101.
  • [23]
    L’association entre l’oie (et même « une oie d’argent ») et l’épisode du Capitole est bien attestée : voir Lucrèce, De la Nature IV, 683, pour une oie au blanc plumage (candidus anser) ; Virgile, Énéide VIII, 655 parle d’une « oie d’argent » (argenteus anser) qui annonce à grands cris l’arrivée des Gaulois : dans la scholie à ce vers 655, Servius écrit qu’une oie en argent, consacrée au Capitole, évoquait le souvenir de cet événement (éd. G. Thilo, 1881 (1961), t. 2, p. 294, 655). Voir encore, notamment, Tite Live V,47,4 ; Properce III,3,12. Une seule mention signale incidemment un lien possible, mais incertain, avec Juno Moneta, chez Lucain, La Guerre civile (La Pharsale) I, 379-380, où il est question de « divinités de la monnaie » (numina[…]monetae). C’est la scholie au vers 380 qui a induit une telle lecture « légendaire« chez les philologues, associant alors la déesse Moneta aux oies du Capitole : Adnotationes super Lucanum, éd. I. Endt, 1909 (réimpr. 1969), p. 23, I. 380.
  • [24]
    Hygin, Fabulae, Pise, 1976, p. 27,10 et p. 29,12. D’autres sources dans E. Marbach, Realencyclopädie der classischen Altertumswissenschaft (Pauly-Wissowa), XVI,1 (1933) s.v. Moneta, col. 113-119.
  • [25]
    Cicéron, De natura deorum, 3, 47. D’autres figures divines monétaires, comme « Pecunia, une de ces déesses minuscules », chez Augustin, Cité de Dieu, VII,XI, 289 (éd. B. Dombart et A. Kalb, 1959, BA 34, p. 154).
  • [26]
    Ovide, Fastes I, 637-639.
  • [27]
    J. Starobinski, Action et réaction. Vie et aventures d’un couple, Paris, Éditions du Seuil, 1999, évoque ainsi le nom d’Oresme (p. 25).
  • [28]
    H. Laurent, « Le problème des traductions françaises du Traité des monnaies d’Oresme dans les Pays-Bas bourguignons (fin xive-début xve siècle) », Revue d’histoire économique et sociale, XXI, 1933, p. 13-24. Pour le texte français du Traité, je me sers de la première édition moderne de M. L. Wolowski, Paris, Librairie De Guillaumin et Cie, 1864, (réimpr. Slatkine, Genève, 1976) ; pour le texte latin, éd. Charles Johnson, éd. bilingue latin-anglais, Londres-Édimbourg-Paris-Melbourne-Toronto-New York, Th. Nelson and Sons Ltd, 1956. Il existe une édition trilingue (latin, français, anglais), destinée notamment aux étudiants en sciences économiques, publiée par J. A. Fau en 1990, aux éd. Cujas (Fascicule MESA, n° 6. Recherches Panthéon-Sorbonne, université de Paris-I). Existe encore : Traité des monnaies de Nicolas Oresme, et autres écrits monétaires du xive siècle, textes réunis par C. Dupuy, traduits par F. Chartrain, Lyon, La Manufacture, 1989.
    Je cite le texte français (Wolowski) et le texte latin (Johnson) en signalant, le cas échéant, les passages existant uniquement dans l’une des deux versions originales. Sans autre indication, mes références renvoient à ces deux éditions. Pour les différences, quelquefois significatives entre les versions latines et française de ce Traité, où le texte français peut paraître quelquefois plus hardi que le texte latin, voir E. Bridrey, La théorie de la monnaie au xive siècle. Nicole Oresme. Étude d’histoire des doctrines et des faits économiques, Paris, V. Giard et E. Brière, 1906, p. 272-273. On reconnaîtra le vieux français d’Oresme, le seul cité entre guillemets. En outre, pour certains passages, je donne le latin, avec traduction ou paraphrase en français (sans guillemets donc). Une citation sans référence renvoie au même lieu dans la source précédente.
  • [29]
    Certains considèrent qu’un roi ou un prince (rex aut princeps) peut, de sa propre autorité (propria auctoritate), en vertu d’un droit naturel ou d’un privilège concédé (de jure vel privilegio), changer librement les monnaies (mutare monetas) ayant cours dans son royaume […] et en tirer du profit (lucrum). D’autres cependant sont à l’opposé de cette conception. Voilà pourquoi j’ai l’intention d’écrire un traité à ce propos […] en suivant la philosophie d’Aristote.
  • [30]
    S. Piron, Nicolas Oresme : violence, langage et raison politique, European University Institute, Badia Fiesolana, San Domenico di Fiesole, 1997, un volume de 104 pages. Les problèmes généraux qui se nouent entre théories linguistiques et monétaires chez les Anciens, au Moyen Âge ou à l’âge moderne, ont été abordés dans de nombreuses publications dont on ne peut donner ici la bibliographie. Outre les travaux plus anciens qui ont servi de point de départ à mes séminaires (notamment ceux de M. Mauss, F. Simand, M. Bloch et F. Braudel, E.Will, M. Godelier, etc.), parmi les travaux plus récents, deux dossiers : l’un dans les Annales HSS (55, 6, 2000), l’autre dans L’Homme (162, 2002). Voir encore, parmi tant d’autres titres, M. Aglietta et A. Orléan, La Monnaie souveraine, Paris, O. Jacob, 1998.
  • [31]
    Genèse XXIII, 15-16. Le latin de la vulgate parle ici de « quadringentos siclos argenti et probati monetae publicae ».
  • [32]
    Pour la bonne et la mauvaise monnaie, voir notamment 17 ; 19 ; 20 ; 21.
  • [33]
    À ce propos, pour l’alliage frauduleux, et la monnaie de billon, voir Bridrey, op. cit., p. 208, 276-278.
  • [34]
    Expression courante, voir ici chez Isidore de Séville, supra note 12. Ainsi que pour la suite.
  • [35]
    À ce propos, voir parmi d’autres les commentaires de H. Laurent, op. cit., p. 15. Plus récemment, J. Kaye, Economy and Nature in the Fourteenth Century. Money, Market Exchange, and the Emergence of Scientific Thought, Cambridge, New York, Melbourne, Cambridge University Press, (Cambridge Studies in Medieval Life and Thought, fourth series), 1998, p. 137-138, p. 150-151 et p. 208-210 (voir à l’index « monney as mesure » aux divers autres auteurs concernés). Et plus loin, pour la mesure commune chez Turgot, note 77.
  • [36]
    Oresme, 16 : usura est praeter naturam. Voir Aristote, notamment Politique I, 1258b 7-8, où l’usure, exécrée, se dit tokos (du verbe tikto, enfanter, produire) « parce que les êtres engendrés sont semblables à leurs parents, et l’intérêt est de l’argent d’argent (tókos gínetai nómisma nomísmatos) ; aussi l’usure est-elle de tous les modes d’acquisition le plus contraire à la nature » (parà phúsin). D’autres aspects sur l’usure dans le Moyen Âge chrétien, J. Le Goff, La Bourse et la Vie. Économie et religion au Moyen Âge, Paris, Hachette, 1986 (coll. « Pluriel », 847, 1997).
  • [37]
    Voir aussi à ce propos le chapitre v, « À qui appartient faire le denier »(Cui incumbit facere numisma). Réponse : « […] par une personne publicque (persona publica) et députée par plusieurs de la communaulté […] ». Comme « le prince de la région est personne la plus publicque (persona magis publica) et de plus grande auctorité, il est plus convenant et convenable (conveniens) qu’il, pour toute la communaulté (pro communitate), face forger la monnoie, et icelle signée de l’impression […] ». Voir encore chap. xxiv. Sur ce point, S. Piron, « Monnaie et majesté royale dans la France du 14e siècle », Annales HSS, mars-avril 1996, n° 2, p. 346-347.
  • [38]
    Sicut ergo communitas non potest concedere principi quod ipse habeat auctoritatem abutendi uxoribus civium quibuscumque voluerit, ita non potest ei dare tale privilegium monetarum […], p. 40 (éd. Johnson). E. Amann choisit de citer ce même passage dans son article consacré à Oresme dans le Dictionnaire de théologie catholique, t. 11 (1932), col 1408-1409.
  • [39]
    Pour cette expression chez Oresme (13), voir plus loin p. 531.
  • [40]
    Les deux derniers chapitres du Traité portent sur le fait qu’un tyran ne peut se maintenir longtemps au pouvoir (XXV) et que tirer un gain du changement des monnaies porte préjudice à la puissance royale tout entière (XXVI).
  • [41]
    Voir par exemple, E. Terray, La Politique dans la caverne, Paris, Éditions du Seuil, 1990, chapitre ii.
  • [42]
    Pour la notion de « milieu » chez les Anciens, cf. N. Loraux, « Solon au milieu de la lice », dans Aux origines de l’hellénisme. Mélanges Henri Van Effenterre, Paris, 1984, p. 199-214 (repris dans La Tragédie d’Athènes. La politique entre l’ombre et l’utopie, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 145-160).
  • [43]
    Cette formulation uniquement dans le texte latin : Johnson, chap. xiii, p. 22.
  • [44]
    Citation extraite de Exode, XX, 7. Pour ce passage d’Oresme, voir encore H. Bloch, op. cit., p. 225.
  • [45]
    Copernic a consacré un ouvrage à la frappe de la monnaie, aux idées proches de celles d’Oresme : Monete cudende ratio, 1526. M. L. Wolowski, a édité ce texte, en latin et en français, à la suite du texte français d’Oresme (voir supra note 28), Paris, 1864, p. 48-79 (réimpr. Slatkine, 1976). Pour les citations qui suivent, p. 75-77, p. 60.
  • [46]
    Partant de Platon et d’Aristote pour penser du « consentir » aujourd’hui, voir l’article de P. Loraux, qui porte ce titre, dans Le Consensus, nouvel opium ?, Le Genre humain, 22, 1990, p. 151-171.
  • [47]
    Commentant le Lévitique (XXV, 17), un passage talmudique souligne les liens entre « le préjudice causé par des paroles » et « le préjudice en matière d’argent »(Baba Metsi’a 58b 12. Voir aussi ibid 11. Traduction française par Arlette Elkaïm-Sartre, Aggadoth du Talmud de Babylone, Verdier, 1982, p. 884-885). Le terme hébreu qui signale ce type de préjudice est « onaa », qui peut donc signifier la blessure par la parole, le dommage causé par la fraude monétaire, la tromperie, l’injustice – comme dans l’injuria latin, suivant les époques et les usages. Merci à Henri Atlan, qui prépare un ouvrage sur « Le monde de l’Onaa. Fraudes et blessures verbales », d’avoir attiré mon attention sur ce commentaire talmudique.
  • [48]
    Pour les citations d’Ignace d’Antioche, voir Aux Magnésiens III-V, éd. et trad. P. Th. Camelot, Paris Cerf, (1945), nouvelle éd. 1998, p. 82-83 (SC 10bis). Voir encore infra note 52.
  • [49]
    Le passage qui nous intéresse se trouve dans Augustin, De Trinitate V, XVI, 17, éd. et trad. M. Mellet, Th. Camelot, 1955, BA 15 (réimpr. 1997), p. 462-467. (J’indique entre parenthèses dans le texte la page latine citée de cette édition bilingue). Voir les commentaires éclairants d’Irène Rosier-Catach, La Parole efficace. Signe, rituel, sacré, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Des Travaux », 2004, p. 108-112 ; et encore p. 103-108 (à propos de ce qu’écrit le dominicain anglais Richard Fishacre qui meurt en 1248).
  • [50]
    Peu auparavant, dans le même texte, Augustin s’interroge : […]« comment prouverons-nous (le verbe est ici obtinere : donc plutôt soutenir, maintenir une opinion ; l’établir fermement, etc.) que ces relatifs non plus ne sont pas des accidents, puisque rien de temporel n’arrive en Dieu qui est étranger au changement […] » (ibid.p. 462).
  • [51]
    Augustin, ibid., p. 464 : Nummus autem cum dicitur pretium, relative dicitur, nec tamen mutatus est cum esse coepit pretium. Pour d’autres métaphores monétaires chez Augustin, et son approche du súmbolon, voir le livre de Milad Doueihi sur saint Augustin et Spinoza, Solitude de l’Incomparable. Élection et Grâce, le chapitre « Nous sommes tous des monnaies de Dieu » (à paraître au Seuil en 2008).
  • [52]
    Ignace d’Antioche, op. cit., V. 2 (p. 82).
  • [53]
    Novum Testamentum Graece et latine, éd. A. Merk, (1933) 1992, Rome, Editrice Pontificio Istituto Biblico, p. 710.
  • [54]
    Aristote, Politique I, 1257 a 40-41 : o gàr charaktḕr etéthē toû posoû sēmeîon.
  • [55]
    Traité des monnaies, op. cit., p. 1. Pour le choix de la langue française : S. Piron, Nicolas Oresme : violence, langage et raison politique, op. cit., p. 5-6 ; 8-9 ; 91-92 et 101. Voir aussi Stella Baruk, Dictionnaire de mathématiques élémentaires, Paris, Éditions du Seuil, 1992, qui n’a pas oublié Oresme : p. 810-812.
  • [56]
    « Consuetudo vero certissima loquendi magistra, utendumque plane sermone, ut nummo, cui publica forma est ». Quintilien, Institution oratoire I, 6, 3 (trad. J. Cousin, 1975).
  • [57]
    Voir Marc Shell, Money, Language, and Thought. Literary and Philosophical Economies from the Medieval to the Modern Era, Berkeley, Los Angeles, Londres, University of California Press, 1982, notamment pour Marx, p. 106 sq. Pour divers types d’association langue/monnaie, à propos de la nature et des fonctions du langage, chez Bacon, Hobbes et Leibniz, lire M. Dascal, « Language and Money. A Simile and its Meaning in the 17th Century Philosophy of Language », in Studia Leibnitiana, VIII/2, 1976, p. 187-218. Et encore pour “Münze und Wort. Untersuchungen an einem Bildfeld” : H. Weinrich, Sprache in Texten, Stuttgart, Klett, 1976, p. 276-290.
  • [58]
    Mais voir par exemple, voir plus loin Turgot, infra, note 77.
  • [59]
    Notes de 1797 éditées en annexe à la Dissertation de 1784, répondant à la triple question de l’Académie royale des Sciences et Belles-Lettres de Berlin (« Qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle ? Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative ? Est-il à présumer qu’elle la conserve ? »), plus connue aujourd’hui sous le nom de Discours sur l’universalité de la langue française. Je cite ici des notes à ce Discours, publiées par Rivarol dans l’édition de 1797, à Hambourg, réimprimée à Paris, Obsidiane, 1991, coll. « Se trouve à la Bibliothèque nationale » pour les citations, cf. p. 58-59. Je cite en outre également des passages de « Fragments et pensées littéraires » de 1788 dans un volume de Mélanges de Rivarol, Paris, Société du Mercure de France, 1906, p. 122-126.
  • [60]
     : Art poétique, vers 59-60. D’autres précisions dans M. Olender, « Quelques images problématiques du temps des langues », Colloque de l’EHESS, Le Genre humain, n° 35, « Actualités du contemporain », hiver 1999-printemps 2000, Éditions du Seuil, p. 273-290.
  • [61]
    Horace, ibid., vers 49. L’idée est courante : par exemple, Cicéron, De oratore, LXII, 211 : […]« quand il faut donner un nom à une chose qui n’en avait pas avant […], la nécessité nous oblige ou à fabriquer un mot nouveau (novum facere verbum) ou à l’emprunter d’une chose semblable (aut a simili mutuari).
  • [62]
    Beantwortung der Frage von dem Einfluss der Meinungen eines Volks in seine Sprache und der Sprache in die Meinungen, Berlin, chez Haude et Spener, 1760. Cette dissertation a remporté le prix de l’Académie royale des Sciences et Belles Lettres de Prusse, en 1759. Je cite la traduction française, faite par J. B. Merian et A. P. Le Guay de Prémontval, De l’influence des opinions sur le langage, et du langage sur les opinions, éditée à Brême, en 1762, chez Louis Förster : ici p. 168, ensuite p. 148. L’édition française, revue et augmentée par l’auteur, contient de nombreux additifs. La traduction anglaise (Londres, 1769) a été faite d’après le texte français. Il existe une impression anastatique, faite en 1974, chez Friedrich Frommann, à Stuttgart-Bad Cannstatt, préfacée par H. E. Brekle, avec un commentaire de H. Manke.
  • [63]
    Voir notamment, H. Merlin, La langue est-elle fasciste ? Langue, pouvoir, enseignement, Paris, Éditions du Seuil, 2003, à l’index s.v. « Public ».
  • [64]
    Dominique Bouhours, Doutes sur la langue françoise, Paris, chez Sébastien Mabre-Cramoisy, 1674 (réimp. Genève, Slatkine, 1972), p. 49-50. Merci à mon collègue et ami Milad Doueihi d’avoir orienté mes lectures vers Bouhours.
  • [65]
    Bouhours, ibid., p. 48.
  • [66]
    Bouhours, ibid., p. 50 ainsi que pour la suite.
  • [67]
    Pour des matériaux modernes, G. Hassler, Der semantische Wertbegriff in Sprachentheorien vom 18. bis zum 20. Jahrhundert, Berlin, Akademie Verlag, 1991 ; Eric Achermann, Worte und Werte. Geld und Sprache bei G. W. Leibniz, J. G. Hamann und A. Müller, Tübingen, Max Niemeyer, 1997.
  • [68]
    Voir supra note 16 et note 51.
  • [69]
    Wilhelm von Humboldt, Über die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaues und ihren Einfluß auf die geistige Entwicklung des Menschengeschlechts, éd. D. DI Cesare, Paderbon, 1998, p. 218-219 : Von dem ersten Elemente an ist die Erzeugung der Sprache ein synthetisches Verfahren, und zwar ein solches im ächtesten Verstande des Worts, wo die Synthesis etwas schafft, das in keinem der verbunderen Theile für sich liegt (§ 12, 102 p. 218) […]. Sie ist das Product der Kraft im Augenblicke der Spracherzeugung, und bezeichnet genau den Grad ihrer Stärke. Wie eine stumpf ausgeprägte Münze zwar alle Umrisse und Einzelnheiten der Form wiedergiebt, aber des Glanzes ermangelt, der aus der Bestimmtheit und Schärfe hervorspringt, ebenso ist es auch hier. (ibid., 103, p. 219). Je cite ici de la traduction de P. Caussat, Introduction sur le kavi et autres essais, Paris, Éditions du Seuil, 1974, p. 241-242. Merci à Anne-Marguerite Fryba-Reber d’avoir attiré mon attention sur cette page.
  • [70]
    F. de Saussure, Cours de Linguistique générale, publié par Ch. Bally, A. Sechehaye avec la collaboration de A. Riedlinger (1916), éd. T. De Mauro, Paris, Payot, 1972 (postface de J.-L. Calvet), p. 158. Sans référence, la citation renvoie à la même page que la précédente.
  • [71]
    F. de Saussure, ibid., p. 159-160.
  • [72]
    F. de Saussure, ibid., p. 159.
  • [73]
    F. de Saussure, ibid., p. 163.
  • [74]
    F. de Saussure, ibid., p. 164.
  • [75]
    F. de Saussure, Cours de linguistique générale, éd. critique par Rudolf Engler, t. 1. Wiesbaden, Otto Harrassowitz, 1968, p. 267, n° 1920. Merci une fois de plus à Anne-Marguerite Fryba-Reber d’avoir guidé mes lectures saussuriennes.
  • [76]
    À ce propos, des éléments dans les deux articles cités supra, note 13.
  • [77]
    Œuvres de Turgot et documents le concernant, avec Biographie et Notes par G. Schelle, Paris, F. Alcan, 1913-1923 (5 vol.). Pour le texte cité, t. 3, 1919, p. 79-80. J.-Cl. Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, Paris, Éd. de l’EHESS (Civilisations et sociétés, 85), 1992, p. 118-121 pour Turgot ; et p. 119, note 67 pour la date quasi certaine de 1768.
  • [78]
    Tous les italiques des passages cités le sont dans l’édition de G. Schelle.
  • [79]
    À ce propos, D. Droixhe, « Le primitivisme linguistique de Turgot », in Primitivisme et mythes d’origines dans la France des Lumières, 1680-1820, Paris, Presses de l’Université de Paris Sorbonne, 1989, p. 59-87. Voir encore du même auteur « Turgot : l’économie du langage poétique » dans son livre De l’origine du langage aux langues du monde. Études sur les xviie et xviiie siècles, Tübingen, Gunter Narr Verlag, (Lingua et traditio t. 9), 1987, p. 40-54.
  • [80]
    Pour ce type de conception d’une Raison linguistique (développée par Th. Bibliander en 1548), voir M. Olender, « Quelques images problématiques du temps des langues », op. cit. (supra n. 60), p. 275-278 et p. 286, notes 15-17 pour de la bibliographie sur Bibliander.
  • [81]
    M. Olender, « Poétiques du politique », dans Yves Bonnefoy et la culture européenne du xxe siècle, op. cit. (supra note 17).
  • [82]
    J.-P. Vernant, Les Origines de la pensée grecque, Paris, PUF (1962), 1969, p. 46.
  • [83]
    Casanova, Histoire de ma vie, I, vol. 2, chap. iv, p. 322, Paris, Robert Laffont, 1993.
  • [84]
    Une minuscule enquête ne m’a pas permis d’éclaircir les faits. L’ouvrage récent de Mario Infelise, Prima dei giornali. Alle origini della pubblica informazione (secoli XVIe XVII) Laterza, Rome-Bari, 2002, p. 12-18, rappelle qu’il y a bien une monnaie nommée « gazeta » à Venise en 1539. Quant au journal qui porte ce nom, sa première attestation se trouverait dans une publication en dialecte de Savoie, en 1568, imprimée sous le titre « La gazeta de la guerra de zay, zay su zay, zay la vella et zay la Comba » (p. 14). (Merci à Michelina Borsari et à Enrica Manenti de la Fondazione San Carlo de Modène pour leurs conseils de lecture.) F. Braudel fait une brève allusion à la gazette monétaire à Venise, dans La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II (Paris, Armand Colin, édition de 1990), t. 1, note 4, p. 474-475. Quel que soit l’avenir de cette tradition historiographique, Edwy Plenel a raison de souligner les liens entre l’information (le temps) et l’argent (la monnaie), en pointant cette occurrence sémantique dans sa préface à Un temps de chien, en poche (Paris, Gallimard, coll. « Folio actuel », 1996), repris dans Le Journaliste et le Président, Paris, Stock, 2006, p. 424-425.
  • [85]
    Hors de Venise, voir M. Morineau, Incroyables Gazettes et fabuleux métaux. Les retours des trésors américains d’après les gazettes hollandaises (xvie-xviiie siècle), Paris-Londres-New York-Rochelle-Sydney-Melbourne, Éd. de la Maison des Sciences de l’Homme, 1985.
  • [86]
    Encyclopédie ou Dictionnaire universel raisonné des connaissances humaines, t. VII, (éd. 1767), (s.v. Gazette), p. 534 ainsi que pour la suite.
  • [87]
    Méditant à ce propos sur les rapports et les écarts entre Sade et Fourrier, voir P. Klossowski, La Monnaie vivante, Paris, Terrain Vague, Eric Losfeld, 1970. Repris dans la coll. « Petite Bibliothèque », Paris, Rivages poche, 1997, N° 230 (augmentée d’une lettre de Michel Foucault). Pour langage et monnaie, notamment p. 57-67 et le chapitre intitulé « La monnaie vivante », p. 69-77.
  • [88]
    Cf. supra note 24.
  • [89]
    Claude Royet-Journoud, Les Natures indivisibles, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1997, p. 58. Pour quatre autres occurrences du mot « argent », voir Eric Pesty, Les Mots de la tétralogie. Concordance du texte de Claude Royet-Journoud. Paris, éd. 003, 2002, p. 46 (et p. 215 pour « monnaie »). Voir encore Michèle Cohen-Halimi, Seul le renversement, Bordeaux, Éditions de l’Attente/Cuisines de l’Immédiat, 2006.
  • [90]
    À ce propos, Jean-Michel Rey, Paul Valéry, L’aventure d’une œuvre, Paris, Éditions du Seuil, 1991, p. 137 sq. Du même auteur : La part de l’autre, Paris, PUF, 1998, p. 129, sq. ; Le temps du crédit, Paris, Desclée de Brouwer, 2002. Pour les liens entre foi et crédit, E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, t. 1, op. cit., p. 171-179 (« Créance et Croyance »).
  • [91]
    Charles Baudelaire, « La Fausse monnaie », dans Le Spleen de Paris, Flammarion, GF 478, 1987, p. 136-137 ; J. Derrida, Parages, Galilée, 1986, p. 227 sq. Voir encore Donner le temps 1. La fausse monnaie, Galilée, 1991.
  • [92]
    Œuvres complètes, éd. H. Mondor et G. Jean-Aubry, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1945, p. 399. Voir aussi J. Starobinski, Largesses, Paris, RMN, 1994, p. 161 (Gallimard, 2007, p. 150) ; B. Marchal, La Religion de Mallarmé, Paris, José Corti, 1988, p. 403-444 (un chapitre sur l’or).
  • [93]
    Mallarmé, op. cit., p. 368 (extrait de Crise de vers). Pour ce passage, voir B. Marchal, op. cit., p. 479 et p. 498.
  • [94]
    « C’est la littérature qu’on assassine rue de Grenelle », texte signé par plus d’une centaine d’écrivains et enseignants, dans Le Monde, 4 mars 2000, page 18.
  • [95]
    « Au cœur de l’intime, l’étrange » : texte (inédit) prononcé à la Maison de l’Amérique latine, le 27 mai 2001, lors d’une journée consacrée à la Correspondance entre Paul Celan et Gisèle Celan-Lestrange, qui venait alors de paraître, et dont le maître d’œuvre est Bertrand Badiou, (Paris, Éditions du Seuil, 2 tomes, 2001). À propos de la « blessure linguistique », mon avant-propos, ibid., p. 7-9.
  • [96]
    P. Celan-G. Celan-Lestrange, Correspondance, ibid., t. 1, lettre 9, p. 22 et pour la suite, lettre 67, p. 80 (contextes et commentaires de B. Badiou dans le tome 2 aux numéros des lettres).
  • [97]
    Dans La Contrescarpe, Die Niemandsrose, La Rose de personne, Nouveau Commerce, trad. M. Broda, 1979, p. 136-137 ; dans le même recueil, Es ist alles anders/ Tout est autrement, p. 140-141 (repris par Corti en 2002 ; Éditions du Seuil, coll. « Points Poésie », n° 1652, en 2007). D’autres poèmes de Celan portent la marque monétaire, notamment dans Atemwende, Renverse du souffle, trad. J.-P. Lefèbvre (Seuil, 2003), p. 11 (IN DIE RILLEN/DANS LES CANNELURES) et ibid., p. 63/64 (WENN DU IM BETT/QUAND DANS LE LIT) ; Lichtzwang, Contrainte de lumière, trad. B. Badiou, J.-Cl. Rambach (Belin, 1989), p. 84-85 (WAS ES AN STERNEN BEDARF/CE QU’IL FAUT D’ÉTOILES). Merci à Bertrand Badiou d’avoir amicalement guidé mes lectures de Celan.
  • [98]
    C’est ainsi que le De vulgari a pu être traduit en allemand : Über das Dichten in der Muttersprache, Darmstadt, 1925. Une nouvelle édition bilingue du De vulgari doit paraître en France, établie par Irène Rosier-Catach et Ruedi Imbach, dans la coll. « Points » (bilingue), aux Éditions du Seuil.
  • [99]
    J. Starobinski, Action et réaction, op. cit., p. 11. À propos de J. Starobinski, pour une approche singulière de son livre, voir M. Olender, « De la responsabilité sémantique », dans La Chasse aux évidences, Paris, Galaade, 2005, p. 210-216.
  • [100]
    Cf. ci-dessus, p. 529 et pour la citation suivante ibid.
Maurice Olender
Olender Maurice est archéologue et historien (EHESS, Paris) ; ses travaux portent à la fois sur la mythologie des Anciens et sur des problèmes d’archéologie linguistique. Il a publié notamment Les Langues du Paradis, préface de Jean-Pierre Vernant (Gallimard-Le Seuil, coll. « Hautes Études », 1989). Traduit en une dizaine de langues, couronné par l’Académie française (1990), ce livre a donné lieu à une édition revue et augmentée, en 2002, au Seuil, coll. « Points Essais » (n° 294). Dernier livre : La Chasse aux évidences. Sur quelques formes de racisme entre mythe et histoire. 1978-2005, Paris, Galaade, 2005. Nouvelle édition de ce volume à paraître à Cambridge, Harvard University Press, sous le titre Race and Erudition.
Mis en ligne sur Cairn.info le 03/11/2017
https://doi.org/10.3917/lgh.045.0523
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