CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Les traitements psychanalytiques pour les différencier des autres modes d’approches psychothérapiques ont pu être définis par le fait qu’un processus analytique doit s’y développer (H.M. Bachrach, 1995). Mais qu’est-ce qu’un processus analytique ? Est-il le même dans la cure-type que dans les psychothérapies analytiques ? Par processus analytique, Bachrach et al. (1985) avaient entendu une collaboration étroite entre analyste et analysant dans laquelle, à la faveur des techniques d’association libre, l’étude itérative du transfert et des résistances à la libre association, on aboutisse au développement d’une névrose de transfert et à sa résolution ; la poursuite du travail analytique devant permettre son analyse et la mise au jour ainsi que la maîtrise des conflits intra-psychiques inconscients, afin d’obtenir des changements structuraux.

2Mais une recherche menée assez récemment et publiée en 1997 dans l’International Journal of Psychoanalysis, démontre déjà que le terme de processus analytique recueille un consensus beaucoup moins évident que les analystes en général le pensent (Susan Vaughan et al., 1997). Ces auteurs introduisent ainsi un trouble dans l’esprit.

3Peut-on alors aussi se tourner vers les notions d’ “analysabilité” et “d’alliance thérapeutique”? Elles trouvent en effet leur origine dans l’effort de préciser le domaine d’application des traitements analytiques, qu’il s’agisse d’une psychanalyse proprement dite ou d’une psychothérapie psychanalytique.

Qu’entend-on par analysabilité ?

4Une des questions posée par le concept d’analysabilité est qu’il risque parfois d’être réduit à une simple notion de “possibilité de traitement” rassemblant des notions telles que celle de processus thérapeutique (possibilité pour le thérapeute de se référer à une “technique analytique” avec ses caractéristiques propres - mais avec quelles caractéristiques ? S’il s’agit de l’apparition d’une névrose de transfert et sa résolution, on ne peut pas attendre cela de toutes les psychothérapies analytiques comme le montre les thérapies des border-line), effets thérapeutiques (modifications obtenues à la suite de la technique, partant du principe que l’effet est le témoin de l’existence du processus) et adhésion à la technique (possibilité pour le patient d’être réceptif à la technique et de l’utiliser), menant ici à la question de l’alliance thérapeutique. Or chacun sait que l’analysabilité ne se confond pas avec la possibilité pour un sujet donné d’être capable d’être traité (R.S. Wallerstein, 1996).

5L’étude de l’analysabilité a été initialement proposée par Freud sous la forme bien connue d’un “traitement d’essai”. Dans La Technique Psychanalytique, Freud indique qu’il avait pris l’habitude avec ses nouveaux patients, de pratiquer un traitement d’essai de une à deux semaines dans le but d’“effectuer un sondage permettant de mieux connaître le cas et de décider s’il se prête ou non à une psychanalyse”. Il rajoute : “Il n’existe d’ailleurs aucune autre sorte d’épreuve possible. Les entretiens même fréquents et prolongés, les interrogatoires au cours de consultations ordinaires, ne le remplaceraient pas. Cet essai préliminaire constitue pourtant déjà le début d’une analyse et doit se conformer aux règles qui la régissent ; la seule différence est peut être que le psychanalyste laisse surtout parler le patient sans commenter ses dires plus qu’il n’est absolument nécessaire à la poursuite de son récit … / …”(Chapitre IX, Le début du traitement, p 81). La psychothérapie psychanalytique serait-elle un “traitement d’essai” dont l’objectif explicite parfois, plus souvent implicite dans l’esprit de l’analyste, serait de permettre au maximum de patients de déboucher sur une cure-type dans la suite ou dans un deuxième temps ? Pour ceux qui considéreraient ce projet comme trop ambitieux ou irréaliste, la psychothérapie prendrait souvent une forme mixte entre une approche psychanalytique et une psychothérapie de soutien.
On connaît à ce propos le débat aux États-Unis entre ceux qui refusent toute intervention de soutien dans les psychothérapies analytiques comme Otto Kernberg et ceux qui acceptent l’idée que dans les psychothérapies analytiques des interventions de soutien sont tout à fait possibles comme Glen Gabbard, Robert Wallerstein, Lerna Torowictz ou pour tout dire avec 90% des analystes américains qui pratiquent la psychothérapie. La question se pose alors de la distinction entre une psychanalyse proprement dite et une psychothérapie psychanalytique. Rappelons à ce propos le point de vue d’Otto Kernberg qui affirme que sur le plan théorique, il n’y a pas d’opposition, à proprement parler entre l’une et l’autre pratique mais que par contre les objectifs qu’ elles visent sont différents. L’objectif de la psychanalyse est la résolution, aussi complète que possible, du conflit inconscient qui est à l’origine des troubles du patient. La psychothérapie psychanalytique vise davantage, dans une situation semblable, la résolution partielle du conflit psychique.

Le concept d’alliance thérapeutique

6Si nous savons aujourd’hui, grâce à plusieurs recherches, que l’alliance thérapeutique représente l’un des meilleurs facteurs prédictifs de l’issue thérapeutique (Luborsky, McLellan, Woody, O’Brien & Auerbach, 1985), qu’il s’agisse de cure-type ou de psychothérapie, la définition de l’alliance demeure l’objet de controverse. Toutes s’accordent cependant pour penser qu’elle concerne la collaboration entre le patient et le thérapeute et qu’elle se compose, au moins, de quatre aspects fondamentaux : la négociation (être d’accord sur le cadre thérapeutique dans l’alliance précoce et ensuite s’accorder ou construire une signification partagée), la mutualité (agir de concert et se coordonner), (de Roten Y., 2000), la confiance et l’acceptation plus ou moins implicite d’influencer (pour le thérapeute) et de se laisser influencer (pour le patient), (Beitman B.& Klerman G., 1991). Plusieurs chercheurs (Luborsky, 1976 ; Gomes-Schwartz, 1978 ; Hartley & Strupp, 1983 ; Marziali, 1984 ; Horwath & Greenberg, 1989 ; Marmar, Weiss & Gaston, 1989) ont développé des outils de mesures pour valider ce concept et en évaluer la qualité.

7D’un point de vue général, il est admis que les paramètres impliqués dans ces quatre aspects du développement de l’alliance sont nombreux. Parmi ceux-ci, on distingue à nouveau quatre groupes de facteurs : soit les caractéristiques du patient, soit les caractéristiques du thérapeute, soit les échanges intersubjectifs entre le patient et le thérapeute, soit enfin la technique utilisée par le thérapeute. C’est surtout ce dernier point qui nous intéresse ici.

8Du côté du thérapeute, la difficulté concernant l’alliance tient à ce qu’il doit être attentif à découvrir les éléments de la personnalité du patient et y répondre de façon à ne pas susciter une importante montée d’angoisse. Du point de vue clinique, il est admis de considérer les défenses avant d’offrir des interprétations, susceptibles parfois d’alarmer le patient. Les défenses représentent un point de repère qui aide le clinicien à évaluer les risques de déclencher un signal d’angoisse chez le patient. Lorsque les patients utilisent des défenses plus archaïques, la tâche du thérapeute se complique. Dévoiler trop rapidement certaines défenses risque de confronter le patient à des niveaux de conflit qu’il n’est pas en mesure d’assumer. Les premières séances peuvent être l’occasion d’offrir au patient la possibilité de se départir de ses représentations erronées mais les impairs qui sont commis lors des premières rencontres sont beaucoup plus déterminants que ceux qui ont lieu plus tard lorsque le processus est engagé. Il est fréquent d’observer par exemple, après une seule séance, l’affaiblissement ou l’affermissement de la confiance du patient. Le fait de ne pas se présenter au deuxième rendez-vous par exemple met en acte la non rencontre entre le patient et le thérapeute. Les premières séances peuvent être un moment “d’apprentissage” de ce qu’est une psychothérapie et le travail qui s’y fait dans la mesure où le patient parvient à renoncer momentanément à ses symptômes et à ses défenses. Enfin, que ce soit en termes d’investigation ou d’apprentissage de la psychothérapie, il est reconnu qu’au-delà de leur valeur exploratoire, les premières séances possèdent un effet thérapeutique. Le but demeure d’aider le patient à s’engager dans un travail thérapeutique tout en lui permettant d’en saisir le sens (Gilliéron, 1994). Concernant l’intérêt accordé au sujet des défenses et des interventions, la différence entre les patients anaclitiques et introjectifs est intéressante (Despars, Kiely, Perry, 2001). En effet, cette distinction est définie sur la base de configurations défensives différentes (Blatt, 1992). Les premiers utilisent des défenses d’évitement telles que le déni, le désaveu, le retrait, la répression et le déplacement. Ces personnes se montreraient plus sensibles à l’aspect interpersonnel et donc à une approche plus “psychothérapique”. Les principales défenses des patients introjectifs sont plutôt l’intellectualisation, la formation réactionnelle, la rationalisation, l’annulation rétroactive et la projection. Davantage intéressés à développer un concept de soi, ces patients répondraient mieux aux interprétations et donc à une approche plus “purement psychanalytique”.

9L’ensemble de ces considérations marquent bien les contours de la question. Dans quelle mesure le développement de l’alliance thérapeutique est-il déterminé par l’ajustement des interventions du thérapeute et donc à une approche plus ou moins “purement psychanalytique” aux défenses du patient ?

10Il est évident que par le biais de ses interventions, le thérapeute manifeste d’une part son savoir et d’autre part dévoile à certains moments des réactions de l’ordre de son contre-transfert. Concernant le savoir du thérapeute, une des tâches de celui-ci est de saisir les émotions du patient, la qualité de son moi et d’être conscient des défenses de celui-ci. Lorsque le thérapeute n’éprouve pas trop de difficultés à identifier ces éléments, il favorise certainement une meilleure qualité dans la rencontre. Il s’agit donc pour le thérapeute de se pencher sur les types d’intervention étudiés selon les deux grandes catégories reconnues classiquement, c’est-à-dire en termes d’interprétation et de confrontation ou en termes de soutien et de clarification. Doser les interventions entre le soutien et l’interprétation n’est pas toujours une tâche simple. Le travail délicat que cela représente est parfois banalisé. La présence du contre-transfert chez des thérapeutes est à certains moments observable. Il apparaît en effet parfois problématique d’offrir des interventions de soutien, avec par exemple le risque de se sentir coupable (Gabbard, Horowitz, Allen, Frieswyk, Newsom, Colson & Coyne, 1994). Cette difficulté à s’adapter et à offrir du soutien lorsque cela semble indiqué est associée à une croyance longtemps valorisée selon laquelle l’interprétation représente l’outil de travail sacré, celui stricto sensu de la cure-type. Le risque dans ces cas est que la problématique contre-transférentielle aboutisse à une escalade dans l’interprétation pour tenter de réduire le malaise du thérapeute et mène en fait à une rupture du traitement.
En définitive, l’émergence d’une bonne alliance peut être comparable à une réaction chimique favorable ou néfaste dans laquelle certains composants jouent des rôles différents. Les conséquences de tout cela n’est-il pas qu’en ce qui concerne l’alliance thérapeutique, une distinction trop formelle, du moins dans un premier temps de traitement analytique, entre la psychanalyse proprement dite et la psychothérapie psychanalytique serait artificielle ? Les recherches dites “programmées” permettent-elles d’éclairer toutes ces questions ?

Recherches programmées sur l’analysabilité et les résultats du traitement

11En 1936, Jones, suivant en cela Freud, notait que “l’importance de la rémission des symptômes n’est pas la meilleure preuve de succès thérapeutique. Les buts thérapeutiques doivent s’orienter vers l’impression subjective de solidité du patient, la confiance en soi et l’impression de bien être…”.

12Par bénéfice thérapeutique, on entend en fait dans tout traitement psychanalytique qu’il s’agisse d’une psychanalyse ou d’une psychothérapie psychanalytique, l’amélioration non spécifique des symptômes et les progrès effectués dans l’économie psychique des patients. Certains patients utiliseront ainsi le cadre thérapeutique dans le sens d’un holding, à travers lequel ils pourront évoluer, bien qu’ils n’auront pas développé de processus analytique, comme pourra en témoigner leur mode de relation et de communication avec l’analyste. Certains patients obtiendront des bénéfices thérapeutiques alors que la névrose de transfert n’aura pu être interprétée.
Ces constats vont évidemment dans le sens qu’une distinction initiale trop technique entre psychanalyse et psychothérapie psychanalytique serait artificielle.

Etude rétrospective

13Une importante étude dans ce domaine, est l’étude rétrospective du Columbia Psychoanalytic Center où l’analysabilité a été définie rétrospectivement non pas selon qu’il s’agisse d’une technique ou d’une autre mais comme la capacité à développer trois axes en évaluant les données d’un questionnaire relatif au processus analytique :

  1. Le maniement d’ insight psychologique (par exemple rêves, fantasmes, auto-observation)
  2. L’utilisation des ressources personnelles à la fin du traitement
  3. Les manifestations transférentielles durant le traitement.
Ainsi, un patient considéré comme “analysable”, c’est-à-dire comme ayant développé un processus analytique était évalué comme suit : “Le patient a apporté des éléments psychologiques au sein du traitement parce qu’il a reconnu que ces éléments pouvaient permettre compréhension et soulagement”. “Le patient a reconnu qu’il avait des ressources et a appris à utiliser ces ressources pour parachever son adaptation au réel aussi bien que pour apaiser ses souffrances”. “Le patient a souvent utilisé l’insight acquis au cours de la relation transférentielle pour mieux élaborer et remodeler sa vie quotidienne et ses relations inter-personnelles.”

14De plus, dans cette étude portant sur une population de 76 patients, les 31 cotés comme ayant développé un processus analytique, donc considérés rétrospectivement comme analysables, obtenaient les bénéfices thérapeutiques les plus nets, avec une différence significative par rapport à ceux n’en ayant pas développé (p<0.05). Pour Bachrach donc, ces résultats montraient qu’il existait non seulement un lien entre le développement d’un processus analytique et les bénéfices thérapeutiques mais qu’également, l’importance de cette corrélation était liée à la capacité à développer consciemment un insight. Or cette capacité de développer un insight ne peut être réduite à la seule cure-type.

Etudes prospectives

15L’étude de Erle et Golberg (1984) a pour une bonne part été motivée par le manque de différenciation existant entre le concept d’analysabilité et celui de bénéfice thérapeutique. Cet amalgame donnait naissance à l’argument qui consiste à dire que les progrès d’un patient sont le reflet du succès et du déroulement d’un processus analytique, rejetant a priori le fait que le bénéfice pourrait résulter d’un traitement qui ne serait pas techniquement une analyse. Erle et Goldberg ont donc envisagé une étude prospective basée sur l’interrogation des analystes qui avaient posé l’indication de traitement.

16Ces auteurs ont donc demandé à un groupe de psychanalystes expérimentés de tenter de définir comment ils avaient, pour certains de leurs cas, posé l’indication d’une psychanalyse. Le but était de voir comment les analystes pensaient avoir pris leur décision, quels poids ils donnaient aux différents facteurs, quels étaient les facteurs considérés comme significatifs et pourquoi.

17En cours et en fin de traitement, l’étude devait mettre en évidence s’il existait des liens entre ces critères et le développement d’un processus analytique et/ou le bénéfice thérapeutique.

18Les 33 analystes contactés, avaient tous une pratique analytique supérieure à 5 ans. 27 acceptèrent de participer à l’étude et seulement 16 menèrent leur participation à terme. On étudia une période de 5 ans, les inclusions se firent entre janvier 1973 et décembre 1977. Deux ans après la clôture de l’étude, un suivi fut fait parmi les patients qui continuaient leur prise en charge. Durant ces 5 années, 16 analystes rapportèrent 160 cas. Les séances étaient en moyenne de 50 minutes, 38% des patients étaient vus 5 fois par semaine, 62% 4 fois. La durée des prises en charges allait de 2 ans minimum à plus de 12 ans, avec une moyenne à 5 ans. Considérant que la fréquence de trois séances par semaine ne permettait pas un développement d’un processus analytique aussi complet que souhaité, Erle et Golberg exclurent tous ces cas.

19Tous les analystes évaluèrent les aspects de la structure de la personnalité, la force du moi, la nature des conflits intrapsychiques, la prise de conscience des conflits, les motivations, les capacités d’insight. Ils évaluèrent également, l’ancienneté des troubles, la présence de pathologie chez les parents, l’existence de traitements antérieurs. Certains insistèrent sur les éléments absents : absence de psychose, absence de risque de passage à l’acte, absence de contre indication. D’autres insistèrent beaucoup sur les motivations du patient, les capacités à tolérer les frustrations, les capacités à tolérer l’angoisse… Peu insistèrent sur leur propre intérêt au cas, leur dépendance à l’égard de l’analyste “prescripteur”, leur besoin de clientèle, etc… Certains acceptèrent des prises en charge qu’ils considéraient comme “héroïques”, guidés plutôt par la non indication des autres types de prise en charge, considérant l’analyse comme la dernière possibilité offerte au patient. Dix-neuf autres cas furent pris en psychothérapie d’inspiration psychanalytique.
Les descriptions des analystes furent classées en 4 catégories :

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  1. Analysabilité
  2. Survenue en cours de traitement de données modifiant l’estimation initiale
  3. Bénéfice thérapeutique
  4. Comparaison des prédictions et des résultats
L’analysabilité était donc étudiée au travers de la description du traitement et du processus analytique centré sur le transfert, les résistances, les défenses et les interprétations.

21Une distinction était faite entre développement et analyse du transfert. Le traitement était considéré comme un processus progressif faisant appel à un matériel de plus en plus profond à travers le temps (rêves, fantasmes, mémoire, reconstruction, conflits conscients et inconscients).

22Le bénéfice thérapeutique fut évalué au travers de l’évolution des symptômes, de l’évolution des défenses et des relations d’objet, de l’estime de soi et des traits de caractère.
Les bénéfices furent eux-mêmes répartis en 4 classes:

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  1. Bénéfice considérable, important ou excellent: 29%
  2. Bénéfice bon ou modéré: 36%
  3. Bénéfice minime: 26%
  4. Bénéfice non significatif : 9%
Les auteurs s’attachèrent ainsi à comparer la prédictibilité de l’analysabilité avec le développement d’un processus analytique, c’est-à-dire l’analysabilité prévue à “J 0” et l’analysabilité à “J fin”. L’hypothèse selon laquelle il n’existait pas de corrélation entre analysabilité et bénéfice thérapeutique fut vérifiée mais aucun des cas d’analysabilité ne fut évalué en deçà d’un “bénéfice modéré”. Par contre, 16 cas considérés inanalysables furent cotés A ou B. La totalité des cas ayant été cotés D avaient été évalués inanalysables à J 0.

Résultats

tableau im1
Prédiction Analysable Limite, ou technique modifiée Inanalysable Analysable (N=59) 55 % 20 % 25 % Analysable avec difficulté (N=35) 26 % 43 % 31 % Doute important (N=48) 25 % 31 % 44 % Indication de psychothérapie (N=19) 37 % 26 % 37%

24Ce tableau récapitulatif montre que 25% des cas jugés à J 0 très difficilement analysables se sont révélés en cours de traitement analysables, c’est-à-dire capables de développer un processus analytique. 26% de ceux dont l’analysabilité était réservée ne se montrèrent pas difficiles à traiter.

25Erle et Golberg regrettèrent que bon nombre de cas ne purent être évalués en fin de traitement mais simplement en fin d’étude. De ce fait, les résultats peuvent être considérés comme intéressants mais non significatifs.
Un suivi après clôture fut réalisé durant les années 1981 et 1982 où sur 160 cas, 62 continuaient toujours leur traitement. Parmi eux 61 % étaient cotés analysables de façon identique à l’analysabilité de fin d’étude, 8% étaient cotés moins analysables, 27% des cas étaient terminés avec une analysabilité identique à celle de J fin, 1 avait rompu du fait d’un déménagement et 1 dernier était passé à 3 séances par semaine. Les auteurs concluaient donc qu’avec leurs critères, l’analysabilité était difficilement prédictible. Il semblait important de considérer l’analysabilité avec ou sans modification de technique, et d’avoir à l’esprit qu’analysabilité n’est pas synonyme de bénéfices thérapeutiques.

L’analysabilité du côté de l’analyste

26Un groupe de recherche mis en place par Daniel Widlöcher a entrepris depuis une dizaine d’année une recherche souhaitant mieux définir les critères explicites mais aussi implicites que se forge sur l’analysabilité de ses patients ce qu’on pourrait appeler le préconscient de l’analyste, préconscient particulièrement bien étudié récemment par Victoria Hamilton (1996). Cette analysabilité concernait indistinctement les indications de cure-type et de psychothérapie psychanalytique.

Notre recherche

27Notre démarche a été ainsi d’utiliser un angle d’observation différent. Nous avons ainsi tenté non pas d’observer de l’extérieur ce qui se passait mais plutôt d’utiliser un observateur interne, constitué par le psychanalyste lui-même qui retransmet ce qu’il a entendu des premières rencontres avec son patient.

28Nous nous sommes donc interrogés sur le comment de la décision de prise en charge, considérant que très tôt, le psychanalyste organise de façon préconsciente la trame de travail qu’il pense suivre avec son analysant. Notre projet était de rendre plus objectivable l’implicite du thérapeute dans ses premières rencontres avec un patient donné et de le comparer avec ce qu’il pense explicitement de ces rencontres.

29Nos questions étaient :

  • quels étaient les indicateurs retenus pour poser une indication ?
  • quels étaient leurs liens ?
  • ces indicateurs étaient-ils dépendants de la pratique du thérapeute ?
Un questionnaire (le QPPS) a été construit et mis en place par un groupe de psychanalystes cliniciens puis validé par une étude de fidélité inter-juges entre les créateurs de ce questionnaire et des chercheurs “néophytes”.

30Nous avons d’abord montré qu’il était possible d’obtenir une fidélité correcte sur un “instrument psychodynamique” complexe.

31Nous souhaitions dans un second temps interroger des cliniciens d’obédience théorique différente afin de mettre en évidence des particularités dans l’utilisation des indicateurs. Notre appartenance à un groupe de recherche d’une certaine orientation théorique a facilité la rencontre avec certains thérapeutes alors qu’il nous a été difficile d’en rencontrer d’autres moins disposés à ce type d’investigation.

32Nous nous sommes donc orientés vers le recueil de données auprès de thérapeutes d’obédience théorique similaire mais de durée de pratique différente. Les données ont ainsi été recueillies auprès de deux groupes de thérapeutes, un groupe de pratique inférieure à 5 ans et un groupe de pratique supérieure à 10 ans.

33Nous avons montré que la fréquence d’utilisation des différents indicateurs était sensiblement la même dans les deux groupes, nous avons par exemple montré que le pourcentage de référence à la théorie dans le discours du thérapeute concernant ses premiers entretiens n’était quantitativement pas différent dans le groupe des “jeunes” ou dans celui des “expérimentés”, sauf sur un point : les jeunes cliniciens, au contraire des expérimentés semblaient ne pas prêter attention aux capacités de métacommunication du patient, c’est-à-dire à sa capacité de donner un sens à ses propos ou à ses affects qui dépassent celui de leur simple contenu. De ce fait, cette capacité de métacommunication du patient n’était pas prise en compte dans le système de pensée du jeune clinicien qui pose son indication alors qu’elle semblait faire partie intégrante du système de pensée du clinicien expérimenté. En cela, il semblait que le système de pensée préconscient des deux groupes de cliniciens était spécifique selon qu’ils aient peu ou beaucoup de pratique.

34Nous souhaitons que cette première étude réalisée sur un nombre de cas relativement faible, puisse être poursuivie. Pour ce faire, nous proposons d’augmenter notre échantillon et de retravailler la variable métacommunication autour de laquelle nous avons montré une bonne part des différences significatives de nos deux groupes. Notre questionnaire a été de ce fait à nouveau étayé par une nouvelle série de questions explorant la métacommunication.
Les réflexions qui ont vu jour à partir de notre travail, au point où nous en sommes, autour du concept de métacommunication, permettent d’imaginer que l’enseignement et en particulier la supervision devraient favoriser d’emblée une meilleure connaissance de l’analysabilité et une meilleure observation de ce qui se passe chez le patient pour lequel l’indication de traitement analytique est envisagé. L’intérêt pour la question soulevée dans cet article repose sur le fait que ce résultat est valide quelque soit le type de traitement. Une fois de plus la distinction cure-type / psychothérapie psychanalytique n’est pas ici opérante, qui plus est sur un critère généralement considéré comme “spécifique” de la psychanalyse : la méta-communication.

Conclusion

35A partir de données issues de ce domaine, les recherches portant sur deux repères fondamentaux utilisés par les psychanalystes contemporains : l’alliance thérapeutique et l’analysabilité amènent à soutenir un point de vue “uniciste”, c’est à dire celui refusant une distinction trop franche entre psychothérapie psychanalytique et psychanalyse proprement dite. Il ne s’agit que d’une facette apportée à ce débat qui confirme l’idée que, du moins au début des traitements psychanalytiques, il peut parfois être artificiel ou trop artificiel de distinguer a priori cure-type de psychothérapie analytique. Que penser sur l’abord de cette large question par le biais de certaines recherches ? Widlöcher, Dantchev et Rappard (1995) ont noté par ailleurs qu’une objection souvent faite à la recherche en psychanalyse tenait à la minceur des conclusions que l’on peut tirer de ces recherches au regard de la richesse des expériences de la pratique. “Toute pratique, qu’elle s’applique au monde des choses ou à celui des relations entre les humains, repose sur un univers de signes, sans commune mesure avec les indicateurs retenus dans une étude planifiée. Le praticien doit être attentif à la complexité des faits, le “savant” doit la réduire. En revanche, une pratique qui négligerait toute validation scientifique risquerait de stagner, et un approfondissement des connaissances sur les états mentaux qui constituent les fondements des expériences subjectives observées est probablement à long terme source d’enrichissement”.

Français

Résumé

Une réflexion et les recherches psychanalytiques sur l’analysabilité et l’alliance thérapeutique, deux références utilisées par de nombreux psychanalystes contemporains, amènent à soutenir un point de vue “uniciste”, refusant une distinction trop franche a priori entre la cure-type et les psychothérapies psychanalytiques.

Mots-clés

  • Psychanalyse
  • psychothérapie
  • alliance thérapeutique
  • analysabilité

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Dr Alain Braconnier
Psychiatre, psychanalyste
ASM 13, Paris
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/09/2010
https://doi.org/10.3917/lcp.083.0030
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