CAIRN.INFO : Matières à réflexion

INTRODUCTION

1 Le mot livre est un mot-vedette de la sémantique lexicale et plus spécialement de la problématique polysémique. La raison principale en est, comme l’ont noté tous les commentateurs, sa possibilité de se combiner avec des prédicats « abstraits » comme dans :

2

Ce livre analyse les causes du succès de la presse people

3 et des prédicats « concrets » comme dans :

4

Ce livre pèse un kilo

5 Dans le premier cas, le prédicat concerne le texte ou le contenu informationnel, dans le second il porte sur l’objet concret matériel tridimensionnel, le contenant ou « volume ». Un énoncé comme :

6

Ce livre est beau

7 est ouvert aux deux interprétations, le prédicat beau pouvant s’appliquer au volume ou au texte. La question qu’entraîne un tel constat est, bien entendu, celle du traitement de cette variation interprétative qui fait que livre apparaît, sur le plan ontologique, comme un nom qui renvoie à deux entités appartenant à deux types (concret vs abstrait) jugés normalement incompatibles.

8 Les réponses oscillent entre polysémie [1] et monosémie [2], la plupart optant pour un fait de polysémie tout à fait particulier. D’un côté, il s’agit d’une variation sémantique proche ou ressemblant à de la polysémie, puisque les interprétations « volume » et « texte » apparaissent bien de manière séparées, présentent un degré d’autonomie assez élevé et, comme on vient de le rappeler, renvoient à des entités jugées incompatibles. Mais de l’autre, il s’agit d’une polysémie [3] qui n’en est pas vraiment une, dans la mesure où les deux interprétations « volume » et « texte » ne peuvent pas être considérées comme étant des sens totalement autonomes, totalement dissociés, puisque leur unification, c’est-à-dire l’apparition d’une interprétation globale renvoyant en même temps aux deux est tout à fait possible, comme le montrent des énoncés tels que :

9

Ce livre épais, qui pèse plus d’un kilo, raconte l’histoire de la Révolution française
C’est un livre très intéressant, mais difficile à manipuler

10 Ce phénomène de pluralité de sens trouve sa place dans les polysémies ouvertes, opposées aux polysémies fermées, de Deane (1988), apparaît comme étant une métonymie dense pour Nunberg (1995), reçoit chez Langacker (1984) une explication en termes de zones actives[4], Pustejovsky (1995) introduit la notion de paradigme conceptuel lexical ( « lexical conceptual paradigm ») pour rendre compte du fait qu’un même item lexical peut réunir ou agglomérer différent sens de telle sorte qu’il puisse présenter à la fois chacun des sens agglomérés et l’ensemble des sens. Sa notion d’objet complexe ou pointé (dotted object) est reprise par Asher et Lascarides (2003) qui parlent de polysémie constructionnelle. Cruse maîtrise la question en postulant un type de sens particulier, les facettes de sens (Cruse, 1996 et Croft et Cruse, 2004)  [5].

11 Nous aurions pu reprendre le débat à ce niveau-là, comme nous l’avons fait en 1996 lorsque nous avons discuté la notion de facettes de Cruse, et examiner ainsi la validité des propositions faites depuis en les confrontant à notre propre solution, non polysémique, en termes de métonymie intégrée[6], que nous avons proposée, à de multiples reprises [7], pour rendre compte, de façon plus générale et plus globale, de la régulation des variations interprétatives de la combinaison argument-prédicat, sans recourir ni à un changement de sens, ni même à un changement de référent. Mais cela nous aurait obligé à des redites et aurait entraîné des discussions théoriques pointues pas forcément productives.

12 Nous procéderons donc cette fois-ci de manière un peu différente. Tout en partant de l’opposition faite entre les deux « Stück » sémantiques qu’on attribue, comme nous venons de le voir, habituellement à livre, nous ne traiterons le problème posé par cette bipartition que de façon indirecte, en nous intéressant, comme l’indique le titre, à la relation entre le N livre et le N volume. Nous essaierons, à travers une série de manipulations, essentiellement des substitutions, parfois insolites, voire même incongrues, de parcourir la dimension quantitative et matérielle de la sémantique de livre. Avec trois objectifs : mettre au jour quelques aspects de la sémantique d’un N non standard comme volume, montrer que la sémantique de livre est beaucoup plus complexe que ne le donnent à penser les analyses classiques et battre en brèche l’hypothèse de l’autonomie compositionnelle qui assigne à livre l’interprétation « volume » avec les prédicats « concrets » et l’interprétation « texte » avec les prédicats « abstraits ». On prouvera ainsi que les facettes « volume » et « texte » n’ont pas les propriétés d’autonomie que leur prête Cruse et qu’elles ne méritent donc pas le statut de variation sémantique particulière qui leur est accordé.

1. OÙ ON ESSAIE DE REMPLACER LIVRE PAR VOLUME : PRÉDICATS « CONCRETS » ET PRÉDICATS « ABSTRAITS »

13 Partons de l’analyse standard livre = objet matériel tridimensionnel ( « volume ») + objet abstrait informatif ( « texte ») et acceptons aussi qu’elle trouve sa légitimité dans l’opposition entre des énoncés à prédicats « concrets », qui impliquent que leur argument ait forme et/ou matière et qui donc sélectionnent l’interprétation ou la facette « volume »  [8] pour livre :

14

Ce livre est déchiré / plein de poussière / moisi / lourd / volumineux / neuf
C’est un livre épais / rouge / de plus de 2000 pages / un gros livre
Une pile de livres
Peser / feuilleter / ouvrir / fermer / relier / toucher / apercevoir / tenir / abîmer / brûler un livre
Ce livre a une couverture en cuir / a 200 pages
Le livre est sur la table
Au début / au milieu / à la fin du livre
Le papier de ce livre est fin / a jauni

15 et des énoncés à prédicats « abstraits », qui exigent un argument qui soit un « objet idéel »  [9] ou contenu conceptuel, c’est-à-dire non matériel et non spatial, et qui donc activent l’interprétation « contenu » ou la facette « texte » de Cruse :

16

Ce livre parle de / traite de / raconte / commente / montre / prouve / analyse…
C’est un livre sérieux / facile / triste / obscur / clair / dense / amusant / difficile à comprendre
C’est un livre plein d’idées / qui regorge de jeux de mots / qui déborde de métaphores
Écrire / lire / analyser / résumer / raconter / commenter un livre

17 Remplaçons à présent livre dans ces deux séries d’énoncés par le N volume, en nous fondant sur le fait qu’il est souvent utilisé pour marquer le composant « concret » de la dualité ontologique de livre. Soulignons encore, pour justifier notre tentative, que l’objet matériel tridimensionnel activé par les prédicats, donc la facette « volume », correspond bien à un des sens de volume, les lexicographes enregistrant cette équivalence en parlant, pour la partie matérielle de livre comme pour volume, d’assemblage ou de réunion d’un assez grand [10] ou d’un certain nombre de feuilles ou de pages [11]. La définition de volume semble donc répondre à l’intuition que l’on a de l’objet matériel auquel renvoie livre. Du coup, on peut s’attendre à ce que la substitution envisagée soit possible pour volume dans la première série, mais non dans la seconde.

2. EN SÉRIE « CONCRÈTE »

2.1. Résultats

18 Les résultats ne répondent toutefois pas totalement aux prévisions. Si l’on prend volume, on s’aperçoit avec une certaine surprise que, mise à part la position attributive, il ne convient guère dans la première série, la « concrète », celle qui active l’interprétation de livre- « volume ». Soit qu’il entraîne un énoncé mal formé, soit qu’il ne renvoie plus au livre du SN de départ, mais uniquement à un de ses… volumes. Le remplacement s’avère ainsi plus ou moins bancal dans :

19

Une pile de livres —> ? Une pile de volumes
Peser / feuilleter / ouvrir / fermer / relier / toucher / apercevoir / tenir / abîmer / brûler un livre —> ? Peser / feuilleter / ouvrir / fermer / relier / toucher / apercevoir / tenir / abîmer / brûler un volume
Le livre est sur la table —> ? Le volume est sur la table
Au début / au milieu / à la fin du livre —> ? Au début / au milieu / à la fin du volume

20 S’il réussit dans les séquences suivantes, c’est avec à la clé la perte de l’équivalence référentielle ce volume = ce livre :

21

Ce livre est déchiré / plein de poussière / moisi / lourd / volumineux / neuf —> Ce volume est déchiré / plein de poussière / moisi / lourd / épais / volumineux / rouge / a 200 pages / neuf
Ce livre a une couverture en cuir / a 200 pages —> Ce volume a une couverture en cuir / a 200 pages
Le papier de ce livre est fin / a jauni —> Le papier de ce volume est fin / a jauni

22 Les SN ce volume ne renvoient en effet plus au livre auquel réfère le SN substitué ce livre, parce qu’ils ne sont pertinents que dans une interprétation qui suppose l’existence d’autres volumes pour un même livre. Ils ne peuvent donc renvoyer au livre de départ s’il n’a qu’un volume, et s’il en a plusieurs, ils n’y renvoient plus non plus, puisqu’ils ne réfèrent pas au référent entier, mais uniquement à un des volumes qu’il comporte, c’est-à-dire uniquement à une de ses différentes parties reliées ou brochées à part. Volume connaît donc deux emplois (ou deux sens ?)  [12] différents, reliés de façon étroite, un emploi « non partitif », où il renvoie à l’objet matériel tridimensionnel constitué par l’assemblage d’un certain nombre de feuilles, et un emploi « partitif » ou « dépendant », où il sert à désigner chacune des parties issues de la division matérielle d’un livre en plusieurs objets matériels tridimensionnels du type dénoté dans le premier emploi, soit, selon la définition du Petit Robert, où il renvoie à « chacune des parties, brochées ou reliées, à part, d’un ouvrage ».

23 Cette analyse se trouve confortée par le constat que le remplacement du défini ou de l’indéfini par un démonstratif contrastif dans la série « bancale » rend disponible une interprétation partitive et permet donc l’emploi partitif de volume :

24

Peser / feuilleter / ouvrir / fermer / relier / toucher / apercevoir / tenir / abîmer / brûler ce volume
Ce volume est sur la table
Au début / au milieu / à la fin de ce volume

25 Il nous reste à traiter la situation attributive qui constitue, comme annoncé, un cas à part. Ce n’est en effet qu’en position attributive, donc non référentielle, que la substitution livre —> volume dans la série « concrète » est possible, sans supposer un emploi partitif pour volume :

26

C’est un livre épais / rouge / de plus de 2000 pages / un gros livre —> C’est un volume épais / rouge / de plus de 2000 pages / un gros volume

27 Ici, volume ne s’interprète pas partitivement comme étant un des volumes d’un ouvrage donné, le SN attributif un volume épais… servant précisément à qualifier soit un livre ne faisant qu’un volume :

28

Les Misérables, c’est un volume épais / rouge / de plus de 2000 pages

29 soit le volume d’un livre en comportant plusieurs :

30

Le second volume, c’est un volume épais/ rouge / de plus de 2000 pages

31 On notera encore – fait significatif – que le N volume ne saurait prétendre au statut de mot approprié (Harris, 1976 : 113)  [13] dans ces énoncés à prédicats « concrets »  [14], qui ne concernent donc que le côté ‘volume’ du livre. Alors qu’un énoncé comme :

32

Paul est bronzé

33 qui ne porte que sur le corps et plus précisément que sur la peau de Paul peut être mis en correspondance avec un énoncé comportant explicitement le mot renvoyant au référent sélectionné par le prédicat :

34

La peau de Paul est bronzée

35 une telle mise en correspondance est exclue pour les énoncés de la série « concrète ». On n’a pas face à SN (livre) V une structure du type SN (volume) de SN livre V :

36

Ce livre est déchiré / plein de poussière… —> ? Le volume de ce livre est déchiré / plein de poussière…
Peser / feuilleter / ouvrir / fermer / tenir / abîmer… un livre —> ? Feuilleter / ouvrir / fermer / tenir / abîmer… le volume d’un livre
Ce livre a une couverture en cuir —> ? Le volume de ce livre a une couverture en cuir
Le livre est sur la table —> ? Le volume du livre est sur la table
Au début / au milieu / à la fin du livre —> ? Au début / au milieu / à la fin du volume de ce livre
Le papier de ce livre est fin / a jauni —> ? Le papier du volume de ce livre est fin / a jauni

37 Là encore une structure binominative réunissant volume et livre n’est possible que si volume a une interprétation partitive :

38

Un des volumes de ce livre a une couverture en cuir
Tous les volumes de ce livre sont abîmés

2.2. Explication des résultats

39 Les résultats obtenus au cours de notre premier exercice en territoire « concret » amènent tout naturellement trois questions :

40

  1. Pourquoi, en position référentielle, n’est-il pas possible de remplacer salva veritate livre par volume avec les prédicats « concrets » ?
  2. Pourquoi la substitution est-elle possible en cas d’interprétation partitive de volume ?
  3. Pourquoi l’emploi attributif rend-il la substitution possible ?

41 Pour répondre à la première question, nous partirons d’une situation comme celle de :

42

Cherche-moi deux livres pour caler la table !

43 où ni le contenu ou texte ni l’identification du livre ne jouent de rôle, puisque les deux livres ne sont requis que pour leur épaisseur et donc ne s’avèrent décisifs que les volumes qu’ils représentent. On peut en effet exécuter la demande en apportant deux livres identiques (deux exemplaires d’un même livre) ou deux livres différents ou encore deux volumes d’un livre qui en comporte trois par exemple. On constate toutefois qu’un contexte aussi favorable n’autorise pas l’emploi de volume, l’ordre :

44

* Cherche-moi deux volumes pour caler la table !

45 suscitant des réponses du type :

46

Qu’est-ce que tu entends par « volume » ? / Tu veux dire deux bouquins ?…

47 La raison ? C’est qu’il n’y a pas de volume sans que ce soit obligatoirement un livre, un ouvrage, un livret, etc., ou que ce soit un volume d’un livre en comportant plusieurs. Il n’y a pas d’artefact[15] qui soit un volume, c’est-à-dire d’assemblage de feuilles dont le rôle se limiterait à celui d’être un assemblage de feuilles. Il s’y ajoute toujours une fonctionnalité, celle de contenir ou de renfermer un contenu informationnel, ce qui fait que c’est l’objet matériel tridimensionnel fabriqué fonctionnel (livre, livret, revue, cahier, carnet, etc.) qui est censé exister comme objet autonome et non seulement l’objet matériel qu’est le volume, c’est-à-dire le seul assemblage d’un certain nombre de pages. L’objet matériel tridimensionnel qu’est le volume, parce qu’il s’agit d’un objet fabriqué, n’a pas d’existence en dehors de l’objet fonctionnel pour lequel il a été fabriqué, c’est-à-dire en dehors du livre. Dit encore autrement, il n’y a qu’un objet fabriqué, c’est livre, même si sa réalisation suppose celle d’un « volume » ou celle de « volumes ». Ce statut particulier de volume par rapport à livre se manifeste dans l’impossibilité de faire de volume un hyperonyme de livre. Même si un livre est d’une certaine manière prototypiquement ou par défaut… un volume, puisqu’on peut le définir comme étant un volume ou un ensemble de volumes comportant un texte, il n’y a pas de hiérarchie-être lexicale entre les deux N, parce que les volumes n’existent pas en dehors des livres, c’est-à-dire sans comporter de texte :

48

? Un livre est un volume

49 Volume n’est pas pour autant une « partie » de livre, comme on pourrait être tenté de le croire : un livre (en un volume) n’a pas un volume, il est un volume comportant… Cette impossibilité de dissocier partialement les deux se traduit par l’impossibilité d’avoir des SN du type :

50

* Le volume d’un livre / le volume de ce livre

51 avec volume renvoyant à l’objet matériel tridimensionnel [16] que constitue un livre.

52 On comprend à présent pourquoi on ne peut pas utiliser volume pour référer directement à l’objet qu’il dénote : il faut passer par l’entremise de sa relation à livre. Ceci explique pourquoi il n’est pas naturel de demander ex abrupto à quelqu’un de chercher deux volumes pour caler la table. Ceci explique aussi pourquoi, dans notre série « concrète », volume ne peut servir en position référentielle à la place de livre : l’emploi de une pile de volumes supposerait qu’il y ait des volumes, c’est-à-dire des « assemblages d’un certain nombre de feuilles » qui ne soient pas des livres ou autres ouvrages. Il suffit que le contexte active la notion de « livre » pour ouvrir la voie à des emplois non partitifs de volume et permettre une focalisation sur la quantité et l’espace :

53

La bibliothèque possède 450 000 volumes
On peut ranger 15 volumes sur cette étagère
La maison d’édition X sort quinze volumes par an
Pierre possède tous les volumes de la Collection Verte

54 La réponse à la deuxième question, celle qui demande à ce que l’on explique pourquoi volume peut fonctionner en emploi partitif, se trouve déjà donnée dans la première. L’emploi partitif présuppose l’existence d’un livre comportant plusieurs volumes. La référence passe donc obligatoirement par le livre en question et n’est donc pas directe. Mais surtout un tel emploi, par son caractère partitif, fournit la dissociation entre l’unité totale (le livre) et ses parties, les différents volumes qui le constituent. Est permise ainsi la référence à une des parties, référence qui ne peut se faire que par volume et non plus par livre sous peine d’équivoque. On notera une différence essentielle entre les deux emplois de volume. En emploi non partitif, le contenu informationnel ou « texte » ne joue pas, mais en emploi partitif, si, puisque un volume, dans le sens partitif, correspond, non pas seulement à une partie matérielle du livre, mais aussi à une partie de son texte. C’est pour cette raison que les différents volumes d’un livre en comportant plusieurs sont ordonnés :

55

Le premier / troisième / dernier volume des Misérables

56 L’utilité de volume en emploi partitif est claire : si l’on entend exprimer qu’un des volumes d’un ouvrage ne fait que 200 pages, l’on ne saurait recourir à livre, car celui-ci conduirait erronément vers une interprétation de totalité.

57 Dernière question, pourquoi en position attributive, l’emploi non partitif de volume est-il possible à la place de livre, alors qu’il n’en va pas ainsi dans les autres séquences ? La réponse tient au caractère non référentiel de la position qui fait que le SN attributif ne désigne pas un référent, mais qualifie un référent déjà identifié soit comme livre, soit comme volume d’un livre. Et du coup, la contrainte mise en relief dans la première réponse se trouve satisfaite : le SN attributif se trouve dans la portée de livre par l’intermédiaire du sujet auquel il s’applique.

3. EN SÉRIE « ABSTRAITE »

3.1. Résultats

58 Voyons à présent ce que donne le remplacement de livre par volume dans la série « abstraite ». On observe qu’à une différence près l’on obtient le même résultat que pour la série « concrète » : volume ne réussit à se substituer à livre qu’en emploi partitif en position attributive. C’est ainsi que si on met volume à la place de livre dans l’énoncé :

59

Ce livre parle de / traite de / raconte / commente / montre / prouve / analyse… —> Ce volume parle de / traite de / raconte / commente / montre / prouve / analyse…

60 la commutation réussit, certes, mais ne se conçoit que dans le cadre d’une interprétation partitive, où volume renvoie à un volume particulier au sein d’autres volumes d’un même livre. La commutation échoue par contre dans l’énoncé avec SN indéfini :

61

Écrire / lire / analyser / résumer / raconter / commenter un livre —> ? Écrire / lire / analyser / résumer / raconter / commenter un volume

62 à moins de faire, comme dans la série « concrète », de un volume un SN indéfini fort ou partitif, c’est-à-dire un indéfini qui présuppose un ensemble d’extraction déjà restreint de volumes (un volume = un des volumes). Troisième situation enfin, en position attributive, le remplacement livre —> volume sans qu’il y ait nécessité d’assigner à volume un emploi partitif est possible, mais avec une différence intéressante par rapport à la situation correspondante du côté « concret », qui fait que la substitution ne peut se faire salva veritate :

63

C’est un livre sérieux / facile / triste / obscur / clair / dense / amusant / difficile à comprendre —> C’est un volume sérieux / facile / triste…
C’est un livre plein d’idées / qui regorge de jeux de mots / qui déborde de métaphores —> C’est un volume plein d’idées / qui regorge de jeux de mots…

64 Cette fois-ci le sujet ne peut plus être un livre ne comportant qu’un volume. Il faut que le « volume » sur lequel porte le SN attributif soit un volume d’un livre comportant plusieurs volumes. Autrement dit, avec un prédicat « abstrait », la situation « partitive » est exigée pour le « volume » que qualifie le SN attributif un volume + Modificateur abstrait. On a en effet du mal à avoir, comme avec les prédicats concrets, une situation du type volume unique :

65

? Les Misérables, c’est un volume sérieux / triste / obscur / clair / dense / amusant / difficile à comprendre

66 La pluralité partitive par contre rend une telle prédication possible :

67

Le second volume, c’est un volume sérieux / triste / obscur / clair / dense / amusant / difficile à comprendre `

68 Et on comprendra qu’il est difficile d’avoir une combinaison comme :

69

* Ce livre est un volume sérieux / triste / obscur / clair / dense / amusant / difficile à comprendre

70 S’il ne s’agit que d’un livre en un seul volume, le défaut de contexte partitif rend la séquence inappropriée et s’il s’agit d’un livre en plusieurs volumes, il y a contradication quantitative.

3.2. Explication des résultats

71 Passons à l’explication des résultats. L’échec de volume en position référentielle semble aller de soi dans une approche de type autonomie compositionnelle : si on accepte que le prédicat abstrait sélectionne la facette textuelle, donc non matérielle de livre, on explique en effet aisément pourquoi volume donné comme « concret » ne peut faire l’affaire. La réponse est peut être trop facile. Il nous semble que l’explication avancée pour rendre compte de l’échec dans la série « concrète » est plus pertinente, d’une part parce qu’on observe comme en situation « concrète » que le passage à volume-partitif rétablit la situation et, d’autre part, surtout parce que, comme nous le verrons ci-dessous, il n’est pas du tout sûr que livre ne fonctionne qu’avec la facette « contenu » dans ces énoncés.

72 En second lieu, la possibilité d’avoir volume avec des prédicats « abstraits » en remplacement de livre, même si ce n’est qu’en emploi partitif, a de quoi surprendre, puisqu’on ne s’attend pas a priori à une telle combinaison. Elle n’a toute-fois rien d’énigmatique, puisque, comme nous l’avons noté ci-dessus, en emploi partitif, c’est-à-dire comme partie d’un livre, volume renvoie également à du texte.

73 Troisièmement, l’exigence, pour l’emploi attributif, d’un sujet qui corresponde à un volume d’un livre en comportant plusieurs – exigence qui n’était pas de mise dans la série « concrète » – peut intriguer. Là aussi, il n’y a plus rien de mystérieux si on fait intervenir le fait que le volume sujet, en tant que partie d’un livre, présente le côté « contenu » nécessaire pour que le prédicat puisse s’y appliquer, alors que s’il s’agit d’un livre ne comportant qu’un volume, l’absence de contenu rend difficile une qualification abstraite.

74 Il est un quatrième résultat, qui peut passer inaperçu, mais qui n’est pas sans conséquences pour la thèse de l’autonomie compositionnelle qui nous a servi de point de départ. Le fait qu’avec les prédicats « abstraits » livre puisse commuter avec volume, même si c’est en emploi partitif, prouve que livre dans ces combinaisons ne renvoie pas seulement à la facette « texte », mais également au côté « volume » ou matériel. En effet, la variation quantitative qu’entraîne le choix de volume ou celui de livre prouve que ce n’est pas seulement le « contenu » ou le « texte » qui est en cause. En s’appliquant dans l’énoncé :

75

Ce volume raconte, traite de…

76 à ce volume le prédicat ne peut pas s’appliquer de façon indépendante à la facette « texte » et délaisser la facette « volume », puisque l’interprétation de ce volume, c’est-à-dire l’interprétation « un des volumes », fait intervenir de manière décisive le conditionnement, donc le facteur matériel et quantitatif. Ceci est également prouvé par la restriction sur l’emploi attributif de volume, qui implique également, comme nous venons de le voir, la dimension « concrète ».

4. AUTRES PROBLÈMES DE VOLUMES ET DE LIVRES

4.1. Un livre en deux volumes

77 C’est cette voie que nous continuerons pour terminer notre histoire de livres et de volumes en prenant cette fois-ci comme point de départ :

78

Un livre en deux volumes[17]

79 Acceptons toujours que livre puisse renvoyer à l’objet matériel tridimensionnel seul comme au texte seul, autonomie utilisée, rappelons-le, pour légitimer le statut sémantique particulier accordé à ce phénomène. On s’attendrait donc à ce que l’on puisse substituer à volume le N livre portant sur la facette « volume ». Or, le résultat n’est pas fameux :

80

? Un livre en deux livres

81 Il en va de même pour :

82

Ce livre est trop gros, on aurait dû le diviser en deux volumes

83volumes ne se laisse pas trop bien remplacer par livres :

84

? Ce livre est trop gros, on aurait dû le diviser en deux livres[18]

85 Considérons à présent l’interprétation du N livre de notre syntagme. La facette « volume » ne saurait intervenir, puisqu’elle conduit à une contradiction :

86

* Un volume en deux volumes

87 Avec la facette « texte », la contradiction est évitée. Livre aurait pour référent l’objet « texte » et le syntagme tout entier exprimerait que l’unité « texte » ou le contenu est du point de vue de la facette « volume » en deux volumes. Le gênant dans l’histoire est que le remplacement de livre par texte ou contenu donne des résultats qui, une nouvelle fois, incitent à penser qu’il n’en va pas tout à fait ainsi et que la dissociation interprétative « texte »- « volume » que suppose cette analyse ne se fait pas aussi facilement :

88

? Un texte / un contenu en deux volumes

89 On peut certes invoquer la répétition de livre pour expliquer l’échec d’un syntagme comme ? un livre de deux livres. Soit, mais si l’on remplace le premier livre par dictionnaire ou ouvrage[19], le résultat n’est pas meilleur :

90

Un dictionnaire / ouvrage en deux volumes —> ? Un dictionnaire / ouvrage en deux livres Ce dictionnaire / cet ouvrage est trop gros, on aurait dû le diviser en deux volumes —> ? Ce dictionnaire / cet ouvrage est trop gros, on aurait dû le diviser en deux livres

91 Et si l’on ellipse le second livre, le SN obtenu :

92

? Un livre en deux (livres)

93 donne lieu à la même difficulté interprétative [20] que le SN sans ellipse un livre de deux livres. Un tel syntagme ellipsé, comme nous le verrons ci-dessous avec le SN inverse Deux livres en un, devrait pourtant être possible dans le cadre d’une approche en termes de facettes, le numéral un trouvant à s’appliquer à la facette « texte » et le numéral deux à la facette « volume » :

94

Un livre ( « texte ») en deux (livre- « volume »)

95 S’il n’en est rien, c’est qu’en fait livre ne change pas d’interprétation en passant de un à deux, mais ne connaît que son interprétation globale, d’où la difficulté de résoudre dans ce cas la contradiction que pose un tel SN.

96 L’échec du remplacement de volume par livre dans les séquences traitées et l’impossibilité d’avoir des SN du type ? un livre en deux confortent l’idée que les facettes « volume » et « texte » de livre ne sont pas assez fortes pour s’imposer interprétativement de façon indépendante, même dans un contexte a priori favorable comme celui d’un livre comportant plusieurs volumes.

97 Envisageons à présent la situation inverse de celle de Un livre en deux volumes, c’est-à-dire celle où nous avons un livre comportant plusieurs textes. Le SN équivalent à cette situation et correspondant à la structure de Un livre en deux volumes n’existe pas, bien entendu, pour des raisons liées au sémantisme de la préposition en, qui rappellent que la relation de « volume » à livre est différente de celle qui lie « texte » à livre :

98

* Un livre en trois textes[21]

99 Mais il existe bien des structures pour exprimer qu’un livre peut avoir un contenu pluriel. Considérons pour commencer un énoncé comme :

100

Ce livre comporte / présente / réunit / rassemble deux textes de X / deux récits / deux romans

101 On voit immédiatement qu’il est hors de question de remplacer textes, récits, etc., par livre, sauf si, bien entendu, il s’agit de livres qui ont réellement déjà été publiés comme livres [22] :

102

* Ce livre comporte / présente deux livres

103 L’échec de la substitution, pour trivialement maladroite que cette dernière puisse paraître, montre qu’avec livre il n’est pas possible d’isoler le contenu du contenant, d’avoir la facette « texte » sans la facette « volume ». Autrement dit, d’avoir livre uniquement pour le contenu. On remarquera que le prédicat étant un prédicat « abstrait », il devrait sélectionner la facette « texte » de livre. Or, on observe ici le même phénomène que l’on a déjà relevé ci-dessus : volume en emploi « partitif », peut se combiner avec un prédicat « abstrait ». Il est, en effet, possible d’avoir ici, à la place de livre, le N volume, auquel on ne saurait pourtant refuser le trait « concret », ce qui est un nouvel argument pour ne pas postuler des interprétations « éclatées » de livre :

104

Ce volume / ce tome comporte / présente deux textes de X / deux récits / deux romans

105 L’élément intéressant est que, même dans un tel énoncé, livres ne saurait remplacer textes, alors que la présence de volume aurait pu faciliter la sélection de la facette « texte » pour livre dans le prédicat :

106

* Ce volume / ce tome comporte / présente deux livres

107 Soulignons, pour appuyer notre raisonnement, qu’on n’a pas de SN tels que * un livre de trois livres, * un volume de trois livres pour signifier qu’un livre- « volume » est constitué de trois livres- « textes »  [23]. Et ajoutons, pour compliquer la chose, que, si dans Ce livre / ce volume comporte deux textes de X, livre comme volume ne peuvent se réduire ni à la seule facette « volume » ni à la seule facette « texte », l’emploi de livre ne signifie pas nécessairement, comme on pourrait le penser, qu’il s’agit d’un seul volume, ainsi que le montre la possibilité d’insérer notre SN de ci-dessus livre en deux volumes :

108

Ce livre en deux volumes comporte / présente deux textes de X / deux récits / deux romans

4.2. Deux livres en un

109 Tout ceci nous conduit tout naturellement à un des exemples-clés sur lesquels s’appuie Cruse (Croft et Cruse, 2002 : 118) pour justifier l’autonomie compositionnelle des facettes « volume » et « texte » :

110

Deux livres en un

111 Ce SN constitue apparemment un contre-exemple assez fort à notre analyse, puisqu’il semble bien qu’on ait là la situation d’un livre- « volume » avec deux livres- « textes », combinaison de deux facettes différentes que nous avons refusée ci-dessus au SN elliptique : ? Un livre en deux (livres). Pour Cruse, l’exemple « is interesting because the numerals two and one, respectively, modify different facets », sans donner lieu à un zeugma (Croft et Cruse, 2002 : 118). Il ne précise pas quelle facette modifie deux et quelle facette modifie un, mais on peut penser qu’il s’agit du cas où deux s’applique à la facette « texte » et un à la facette volume[24], de telle sorte que l’on a bien affaire à la situation d’un livre- « volume » comportant deux livres- « textes » :

112

Deux livres ( « texte ») en un (livre- « volume »)

113 Nous sommes bien d’accord qu’il n’y a pas de construction zeugmatique, mais c’est parce que, comme postulé à propos de ? Un livre en deux, il n’y a pas d’attelage entre livre- « texte » et livre- « volume ». Autrement dit, il ne nous semble pas que les adjectifs numéraux s’appliquent à des facettes différentes de livre. Apparemment, la situation nous donne tort, puisqu’on ne peut nier qu’il n’y ait qu’un volume et que l’on dise de ce livre- « volume » qu’il contient deux livres qui ne peuvent bien évidemment plus être deux livres- « volumes », sinon on retrouve une contradiction ( « deux volumes en un volume »  [25]) comme celle évoquée ci-dessus à propos de un livre en deux volumes qui ne peut signifier ‘un volume en deux volumes’. Il nous semble toutefois que l’effet paradoxal de la construction repose précisément sur l’identité et non sur la différence : comment peut-on avoir deux N en un (N) ? Si on établit un sens différent pour N selon le numéral, le paradoxe quantitatif du deux en un disparaît. Or, il est nécessaire de postuler l’identité sémantique de N pour que se déclenche le calcul pragmatique qui permet de résoudre la contradiction de la formule : comment peut-on avoir deux N en un ? Il est bien entendu acquis dès le départ que l’on n’a pas affaire à deux N, mais à un seul N, mais on cherche alors à propos de ce N unique ce qu’il peut avoir de particulier pour qu’on puisse dire qu’il y a deux N en lui. Que cela n’est pas lié aux N à « facettes » est prouvé par le fait que la plupart des N peuvent apparaître dans une telle construction. Un bon vendeur de voitures, pour décrocher une vente, peut fort bien dire au client intéressé par une petite break :

114

C’est deux voitures en une

115 pour marquer qu’il aura en même temps une voiture pour aller en ville et une voiture utilitaire pour la campagne. On voit bien que voiture ne change pas de sens ou d’interprétation en passant de deux à un : l’évocation de deux voitures conduit bien à imaginer deux voitures entières et non deux « composants » de voiture. Ce qui est vrai, mais là nous nous plaçons sur un autre terrain, c’est que le client, s’il l’achète, n’aura évidemment en réalité qu’une seule voiture. Revenons à notre deux livres en un pour dire que livre a son sens global dans les deux occurrences et qu’avec deux livres en un on n’exprime pas seulement, contrairement à ce que fait penser l’analyse de Cruse, que c’est un volume avec deux textes. Une des interprétations possibles est que c’est un livre qui peut rendre le service normalement rendu par deux livres séparés (par exemple livre pour apprendre à lire et livre pour apprendre à calculer). Que cela est dû au contenu ou texte est évident, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut assigner à deux livres uniquement la facette « texte ».

116 Tout cela peut paraître inutilement trivial et compliqué, nous en convenons fort bien, puisque c’est volontaire, mais il nous semble néanmoins que cela prouve assez fortement qu’il n’est pas aussi aisé de considérer séparément les deux composantes prêtées à livre et que donc l’hypothèse d’interprétations indépendantes de chacune des deux facettes n’est pas aussi pertinente que le postulent la plupart des analystes.

CONCLUSION

117 Notre conclusion sera plutôt une invitation à poursuivre l’investigation, entreprise ici avec livre et volume, sur le terrain des exemplaires et des textes. Si nous avons en effet plus ou moins bien rempli les objectifs que nous nous sommes fixés, aussi bien sur le plan de la sémantique de volume, où nous avons mis en relief l’importance de l’emploi partitif, que sur celui de la sémantique de livre, où nous avons montré que l’autonomie compositionnelle de livre- « volume » et livre- « texte » se trouvait mise en défaut par la complexité « quantitative » de livre, il reste encore bien des histoires linguistiques à raconter sur le fonctionnement sémantique de livre. Du côté des exemplaires et du côté du « texte ». Les exemplaires sont nécessaires pour résoudre des énigmes comme celle que constituent des phrases telles que :

118

Ne lui achète pas ce livre, il l’a déjà[26]

119 et pour expliquer pourquoi il y a un zeugma dans :

120

? Ce livre est très intéressant, mais il est plein de poussière

121 mais non dans :

122

Ce livre est très intéressant, mais il est difficile à manipuler

123 Il faut se pencher de plus près sur la facette « texte », car elle-même présente, à côté du versant « abstrait », le contenu informationnel, un versant « concret » qui lui est propre et qui n’est pas celui de l’objet matériel tridimensionnel, comme le montrent les énoncés :

124

C’est un livre de 300 pages / imprimé en gros caractères
C’est un texte de 300 pages / imprimé en gros caractères

125 Mais tout ceci est déjà l’objet d’un autre livre, pardon… d’un autre article.

Notes

  • [1]
    Cruse (Croft et Cruse, 2004) signale que le dictionnaire d’Oxford donne deux entrées séparées. Le Petit Robert opte pour la polysémie en distinguant le sens matériel de volume du sens abstrait textuel : 1° « Volume imprimé d’un nombre assez grand de pages (opposé à brochure, plaquette) ; à l’exclusion des périodiques (opposé à revue) » et 2° « Ensemble des signes contenus dans un livre ; texte reproduit dans un certain nombre d’exemplaires ».
  • [2]
    Nous avons nous-même (Kleiber, 1990, Kleiber et Riegel, 1989) dans notre débat avec Kayser (1987 et 1989) sur la nécessité ou non de maintenir des « sens uniques », plaidé pour une option non polysémique.
  • [3]
    Même s’il recourt au terme de polysémie, et en l’occurrence de polysémie logique, Pustejovsky (1995 : 90-92) n’assimile pas pour autant ce cas aux polysémies standard. Il insiste bien sur le fait qu’il s’agit, non pas de sens différents, mais d’aspects différents (logical expressions of different aspects to the meta-entry). Asher et Lascarides (2003 : 258), suivant en cela Copestake et Briscoe (1995), ne parlent pas non plus de « sense extension », mais considèrent que livre a une seule entrée lexicale.
  • [4]
    Livre apparaît aussi dans le cadre des zones actives de Langacker à propos du problème sémantico-syntaxique que pose un énoncé comme Paul a commencé le livre (pour une analyse critique, Kleiber, 1999).
  • [5]
    Cruse a adouci sa position en 2004, ne voyant plus qu’un type de sub-sense, dont la particularité, par rapport aux full-senses, est de présenter des propriétés proches du sens (near-sens properties). Pour une évaluation de la position de 1996, voir Kleiber (1996).
  • [6]
    Formulé comme suit : « certaines caractéristiques de certaines parties peuvent caractériser le tout » (Kleiber, 1999 : 143).
  • [7]
    Voir Kleiber (1990, 1991, 1994, 1995, et 1999).
  • [8]
    « Tome » chez Cruse (1996). Nous laissons de côté l’expression tome parce qu’elle peut ne pas correspondre à un volume, comme le rappelle Le Petit Robert avec l’exemple L’édition originale de « La Princesse de Clèves » divisée en quatre tomes se trouve habituellement en deux volumes.
  • [9]
    L’expression est de Meleuc (1999) qui présente une intéressante étude distributionnelle de la polysémie lexicale de livre.
  • [10]
    Comme l’a rappelé Pierre Larrivée (dans son appel à contributions), l’UNESCO en 1964 a recommandé de n’employer le terme livre que pour des ouvrages comportant au moins 49 pages, pages de couverture non comprises.
  • [11]
    Le Petit Robert donne pour livre : « assemblage d’un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être lus » et pour volume : « réunion d’un certain nombre de cahiers (notamment imprimés) brochés ou reliés ensemble ». Et pour le sens matériel de livre il recourt, comme nous l’avons vu en note ci-dessus, explicitement à volume : « volume imprimé d’un nombre assez grand de pages ».
  • [12]
    Nous laissons la question ouverte. Le Petit Robert opte pour deux sens différents.
  • [13]
    Le mot approprié « n’apporte guère d’information dans la phrase et peut avoir zéro pour variante » (Harris, 1976 : 113).
  • [14]
    C’est dire aussi qu’on ne pourra considérer les SN avec livre de telles phrases comme des beheaded noun phrases (Borkin, 1972).
  • [15]
    Pour la spécificité des noms d’objets fabriqués, voir Flaux et Van de Velde (2000).
  • [16]
    Les SN le volume d’un livre et le volume de ce livre sont en effet parfaitement possibles, mais volume y a le sens quantitatif et non plus le sens d’objet matériel réunissant des feuilles.
  • [17]
    Le SN ? Un livre en un volume paraît étrange, tout simplement parce que, par défaut ou prototypiquement, un livre, c’est un volume (cf. C’est un livre en un seul volume)
  • [18]
    Rappelons ici que livre a pu fonctionner comme dénomination des parties d’un livre. Comme le rappellent Picoche et Rolland (2002 : 503), « une œuvre importante, même imprimée en un seul volume, la Bible, certaines épopées, peut être divisée en plusieurs livres qui sont ses parties principales. Le premier livre de l’Enéide raconte la tempête qui jeta Enée sur la côte de Carthage. ». On pense aussi au Quart Livre de Rabelais.
  • [19]
    Ouvrage est très proche de livre et une grande partie du développement accordé à livre ici lui convient également.
  • [20]
    Si le SN un livre en deux correspond, non à une ellipse de livre, mais répond à l’interprétation ‘un livre divisé en deux (parties)’, il en va évidemment différemment.
  • [21]
    À noter que la construction en de n’est pas bien meilleure : ? Un livre de trois textes.
  • [22]
    Cf. Ce livre / volume de la Pléiade contient tous les livres publiés par X.
  • [23]
    Mais avec texte, le SN ne semble pas bien formé non plus : ? Un livre de trois textes.
  • [24]
    Il serait toutefois possible d’envisager a priori l’inverse, à savoir que deux modifie « texte » et un « volume », le SN signifiant alors qu’on a affaire à un texte en deux volumes (situation examinée ci-dessus).
  • [25]
    Sauf si le premier deux volumes renvoie à l’emploi partitif et donc qu’il s’agit de deux volumes d’un ouvrage qui en comporte plusieurs.
  • [26]
    Voir notre analyse de 1990, où nous avons essayé de mettre en relief le statut ontologique de livre, dont la particularité est de présenter des occurrences individuelles qui ont elles-mêmes des occurrences, les exemplaires.
English

The heterogeneity of the semantic aspects of a noun such as livre « book » is approached in this paper through a systematic comparison with the near synonym volume « volume ». The latter implies a partitive interpretation that warrants its reference to content and not only to the material support. This is in line both with our endeavours on part / whole relations as a structuring factor of lexical meaning, and of the meronymic integration principle. A metonymic relation integrates the different aspects of meaning of nouns such as livre and book, that cannot be separated as autonomous entities. The view demonstrated in several earlier publications is argued to provide a better account of new arguments by Croft and Cruse, and the sequence Two books in one supposes an access to both information and material shape.

Bibliographie

  • ASHER, N. et LASCARIDES, 2003, Logics of Conversation, Cambridge, Cambridge University Press.
  • En ligne BORKIN, 1., 1972, « Coreference and Beheaded NP’s », Papers in Linguistics, 5, 28-45.
  • En ligne COPESTAKE, A. et BRISCOE, T., 1995, « Semi-productive polysemy and sense extension », Journal of Semantics, 12, 15-67.
  • CRUSE, D. A., 1996, « La signification des noms propres de pays en anglais », in Rémi-Giraud, S. et Rétat, P. (éds), Les mots de la nation, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 95-102.
  • En ligne CROFT, W. et CRUSE, D. A., 2004, Cognitive Linguistics, Cambridge, Cambridge University Press.
  • En ligne DEANE, P. D., 1988, « Polysemy and Cognition », Lingua, 75, 325-361.
  • FLAUX, N. et VAN DE VELDE, D., 2000, Les noms en français : esquisse de classement, Paris, Ophrys.
  • HARRIS, Z. S., 1976, Notes du cours de syntaxe, Paris, Seuil.
  • En ligne KAYSER, D., 1987, « Une sémantique qui n’a pas de sens », Langages, 87, 33-45.
  • En ligne KAYSER, D., 1989, « Réponse à Kleiber et à Riegel », Linguisticae Investigationes, XIII : 2, 419-422.
  • KLEIBER, G., 1990, « Sur la définition sémantique d’un mot. Les sens uniques conduisent-ils à des impasses ? », in Chaurand, J. et Mazière, F. (éds), La définition, Paris, Larousse, 125-148.
  • KLEIBER, G., 1991, « Paul est bronzé versus La peau de Paul est bronzée. Contre une approche référentielle analytique », in Stammerjohann, H. (éd.), Analyse et synthèse dans les langues romanes et slaves, Tübingen, Gunter Narr, 109-134.
  • KLEIBER, G., 1994, Nominales. Essais de sémantique référentielle, Paris, Armand Colin.
  • En ligne KLEIBER, G. 1995, « Polysémie, transferts de sens et métonymie intégrée », Folia Linguistica, XXIX, 1-2, 105-132.
  • En ligne KLEIBER, G., 1996, « Cognition, sémantique et facettes : une histoire de livres et de… romans », in Kleiber, G. et Riegel, M. (éds), Les formes du sens. Études de linguistique française médiévale et générale offertes à Robert Martin à l’occasion de ses 60 ans, Louvain-la-Neuve, Duculot, 219-231.
  • KLEIBER, G., 1999, Problèmes de sémantique. La polysémie en questions, Villeneuve d’Ascq, Presses du Septentrion.
  • En ligne KLEIBER, G. et RIEGEL, M., 1989, « Une sémantique qui n’a pas de sens n’a vraiment pas de sens », Linguisticae Investigationes, XIII / 2, 405-417.
  • En ligne LANGACKER, R., 1984, « Active Zones », Proceedings of the annual Meeting of the Berkeley Linguistic Society, 10, 172-188.
  • MELEUC, S., 1999, « Etude distributionnelle de deux polysémies lexicales. Référence, prototypie et prédication », LINX, 40, 90-115.
  • En ligne NUNBERG, G., 1995, « Transfers of Meaning », Journal of Semantics, 17, 109-132.
  • PICOCHE, J. et ROLLAND, J.-C., 2002, Dictionnaire du français usuel, Bruxelles, De Bœck-Duculot.
  • PUSTEJOVSKY, J., 1995, The Generative Lexicon, Cambridge, The MIT Press.
Georges Kleiber
Université Marc Bloch et EA 1339 LILPA-Scolia
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2010
https://doi.org/10.3917/lang.172.0014
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...