CAIRN.INFO : Matières à réflexion
Nous étions jeunes et larges d’épaules
Bandits joyeux, insolents et drôles
On attendait que la mort nous frôle.
(Bernard Lavilliers, « On the road again »)

1 Ce numéro offre un point de synthèse sur l’héritage et la réappropriation par les générations de jeunes chercheurs de ce que nous nommons « analyse du discours à la française ». Comment la transmission de concepts élaborés dans des conditions sociohistoriques, philosophiques et épistémologiques bien précises est-elle réinvestie dans leurs travaux ? Quels sont les outils hérités de cette histoire dont dispose l’analyse du discours aujourd’hui ? Ces questions certes posées crûment obligent à repenser les études du langage dans le rapport à visée pédagogique et sociétal qu’elles pourraient avoir. Épistémologie d’un côté, outils de l’autre : c’est cette double articulation qui fédère le numéro et ses contributions.

1. Frontières et identité nationale ?

2 Analyse du discours « à la française » (désormais ADF) : la question des frontières disciplinaires se double de celle de ses propres frontières. « Étiquette » problématique, voire contestée par certains représentants de la première AD (Courtine par exemple dans sa communication au colloque de Porto Alegre consacré à l’héritage de Pêcheux, 2003), elle est cependant en usage sous la plume du sociolinguiste Louis Guespin en 1976 qui parle d’« un front scientifique original : l’école française d’analyse du discours » (1976).

3 Pour discutable qu’elle soit, cette étiquette permet cependant de circonscrire un champ d’études à l’origine essentiellement portées sur des écrits émanant d’institutions officielles (discours politique, syndical, puis médiatique), marquées par le marxisme et la psychanalyse. Elle est emblématique d’une conception du discours traversé par d’autres discours qui le constituent en se constituant, et d’un sujet dominé, traversé lui aussi par une altérité irréductible.

4 Si certains aujourd’hui font de l’analyse du discours une « aventure théorique apatride » (Paveau 2010) et qu’il est clair que « l’AD, aujourd’hui, s’inscrit dans un renouveau d’intérêt international » (Mazières 2005, p. 112), de l’Allemagne à l’Amérique du Sud, en passant par la Suisse et le Canada, il n’en reste pas moins qu’historiquement, la considération d’une AD territoriale et « nationale » est cohérente.

2. De l’épistémologie comme sport de combat

5 L’une des caractéristiques de l’ADF, témoignant à la fois de sa plasticité conceptuelle et de ses mouvements théoriques, est sa façon régulière de développer une réflexion épistémologique sur la constitution de son champ d’analyse, sur les ancrages et outils mobilisés à un moment donné dans un contexte donné, de même que sur sa visée historiquement émancipatrice et plutôt orientée aujourd’hui à la satisfaction d’une demande sociale. Les références-socles théoriques oscillent entre mentors philosophes (Foucault, Althusser, Bakthine et aujourd’hui qui ?) et modes linguistiques (comme gage scientifique : modèle de Z. Harris, modèle génératif, modèles informatiques, appareil énonciatif…) mais sont aussi dépendants des aventures individuelles qui construisent (et déconstruisent) des biographies théoriques.

6 Le nombre de revues qui ont consacré un ou plusieurs numéros à une réflexion historique, épistémologique et domaniale autour de l’AD témoigne, nous l’avons dit, d’une caractéristique intrinsèque à ce champ, qui le rend à la fois intellectuellement séduisant mais aussi d’une extrême complexité pour autant qu’on veuille manier les concepts en connaissance de cause. Ces numéros d’origines théoriques diverses aident donc à poser des jalons d’une histoire qui s’écrit et se réécrit, alternant vision d’ensemble (le Que sais-je ? de Francine Mazières paru en 2005) et visions fragmentaires (le dernier numéro de la revue Semen justement intitulé La théorie du discours. Fragments d’histoire et de critique, paru en 2010).

7 Examinons rapidement à titre d’exemple la filiation de quelques numéros de revue emblématiques de ce trait épistémologique constitutif de l’ADF. Symptôme (?), l’emploi récurrent, dès les premiers travaux conséquents menés dans ce cadre, du mot « problème » dans le cadrage théorique : en 1969, année discursive (année de parution de l’Analyse automatique du discours de Pêcheux), le numéro 13 de la revue Langages importe, on le sait, l’expression anglaise discourse analysis en celle française d’analyse du discours et l’introduction du numéro s’intitule : « Problèmes de l’analyse du discours », signée par J. Sumpf et J. Dubois et aborde la question de la place du sens dans la linguistique, en termes de génération au sens chomskyen et se clôt par l’affirmation de la nécessité d’une typologie des discours.

8 Deux ans plus tard, un numéro consacré aux analyses menées sur le discours politique (Langages 23, 1971) s’ouvre par des ajustements :

9

Ce travail se voudrait une mise au point sur les problèmes théoriques et pratiques de l’analyse du discours. En même temps qu’il introduit le présent numéro de Langages, il fera fréquemment référence au numéro 9 de la revue Langue française dont le titre « Linguistique et société » indique une orientation particulière et indispensable, prise aujourd’hui par l’analyse du discours (p. 3).

10 Le numéro de Langue Française qui est ici pris comme référence consacre les liens entre sociolinguistique et analyse du discours en France (binôme qui sera à nouveau utilisé par Josiane Boutet et Dominique Maingueneau dans un numéro de Langage et société de 2005). Se côtoient dans ce numéro les discursivistes comme Denise Maldidier et Denis Slakta et les sociolinguistes comme Jean-Baptiste Marcellesi.

11 En 1975, toujours dans Langages, Pêcheux et Henry exposent les bases d’une sémantique discursive, indépendante de la linguistique. L’année suivante (numéro 41 cité plus haut), Louis Guespin poursuit ces ajustements généalogiques et sa réflexivité historique :

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Six ans après le n° 13 de Langages, consacré par J. Dubois et J. Sumpf à l’analyse du discours, nous pourrions presque nous passer d’introduire l’objet « discours ». De nombreux ouvrages théoriques ou pratiques ont désormais vulgarisé la notion.

13 et de poursuivre :

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La question épistémologique reste posée : à quel stade en sommes-nous ? Le lyrisme hypothético-déductif que l’avènement de la linguistique chomskyenne a semblé autoriser n’est plus de saison (p. 7).

15 Dans Langages 55 (1979) numéro intitulé : « Analyse du discours et linguistique générale », Sumpf, Marandin, Lecerf posent brutalement la question : à quoi peut servir l’analyse du discours ? Répandue et controversée en France, centrée sur l’analyse idéologique, l’AD devient un outil épistémologique nécessaire à l’avancement scientifique.

16 L’AD domaine public ? C’est ce que semble affirmer, avec un désenchantement certain, Pêcheux en 1981 (Langages 62), dans le beau texte « L’étrange miroir de l’analyse du discours » :

17

Dans cet espace incertain où la langue et l’histoire se trouvent mutuellement, en prise et aux prises – le terme d’« d’analyse de discours » a progressivement acquis droit de cité : quelques façades institutionnelles, de l’offre et de la demande, de plus en plus de circulation… (p. 5)

18 L’analyse de Courtine vient sonner le glas de l’homogénéité discursive au profit d’une hétérogénéité faite de bribes et de fragments.

19 Trois ans après la mort de Pêcheux (nous sommes en 1986), Langages 81 poursuit le doute introduit précédemment par l’analyste « inquiet » (pour reprendre Maldidier) : cependant aucun article n’aborde de front une quelconque refondation de l’analyse du discours ; si Denise Maldidier parle d’« objets nouveaux » et « de gestes de descriptions nouveaux », le syntagme même d’analyse du discours est interrogé. Serait-il « hors-jeu » ?

20 En tout cas, il faudra attendre presque dix ans (Langages 117, 1995) pour que Dominique Maingueneau revienne à la charge épistémologique : c’est sans doute lui qui contribuera à ce moment-là à asseoir l’image d’une école française d’analyse du discours, aux contours flous et aux références théoriques multiples. Le passage significatif de l’expression au pluriel (les analyses du discours) montre également un élargissement des corpus étudiés, au-delà du politique : y aurait-on perdu en matière conceptuelle ?

21 Ce sera le dernier numéro épistémologique sur l’AD de Langages. C’est dans d’autres revues françaises notamment comme Marges linguistiques (le numéro 9 coordonné par Maingueneau), Langages et société 114 (2005) ou encore Semen (2010) que cette tendance épistémologique va trouver à se poursuivre et à se renouveler.

3. De bons outils avant toute chose

22 Paul Henry, un mathématicien – grand ami de Michel Pêcheux et animateur avec lui des séminaires des années soixante-dix qui ont été le lieu d’élaboration et de recherche de l’analyse du discours version marxiste et lacanienne – avait publié en 1977 un ouvrage intitulé Le mauvais outil (sous-titré « Langue, sujet et discours »), postfacé par Oswald Ducrot (réponse du pragmaticien français à la charge anti-présupposé, qui supposait pour l’AD qu’on gardait la notion de sens littéral et le sujet). Force est de constater que la modestie affichée de Ducrot (« la recherche linguistique des présupposés […] concerne le mode de présentation des contenus véhiculés par le discours et non leur origine » p. 174) contraste avec l’ambition de l’analyse du discours et c’est la conception même de l’« outil » (le mauvais outil c’est le langage cf. Lacan) qui est posée. De fait, ils n’en cherchaient peut-être pas au sens où leur combat était ailleurs. S’ils professaient de façon pédagogique dans les auditoires (Françoise Soublin [1] raconte comment Pêcheux donnait une phrase où figurait le mot liberté et demandait de lui donner un sens différent selon des énonciateurs et des contextes supposés : un directeur de prison, un patron, etc.), la mise au point d’outils transmissibles n’occupait pas tant leur esprit que les luttes politiques, théoriques, institutionnelles.

23 Pourtant, la quête des bons outils a constitué la préoccupation des analystes du discours en ce sens qu’ils cherchaient une méthode objective pour rendre compte de l’idéologie. L’automatisation des recherches qui a, dès le début, constitué l’objectif de la lexicométrie de Saint-Cloud dont « l’ambition était de ruiner les échafaudages de l’interprétation » (Tournier 1980) et de l’Analyse automatique de discours (AAD) de Pêcheux (1969) a-t-elle rendu justice à l’analyse du discours ? Projet trop réducteur que celui de la lexicométrie ; projet par trop ambitieux que celui de l’AAD pour l’exigeante « théorie du discours » fondée sur l’articulation du discours avec un « impensé de la langue », notamment par le biais de la syntaxe. Ceux qui utilisent des logiciels de lexicométrie et textométrie (Lexico3, Hyperbase…), qui permettent aujourd’hui de caractériser le « poids des mots » (Mayaffre) en usage dans des grands corpus de discours politiques ou littéraires, se revendiquent de cette veine, sur le terrain plus abordable des relations de cooccurrence, lexicales notamment. Il semble malgré tout symptomatique qu’en France, ce champ ait pris le nom de « linguistique de corpus » dans un double oubli à la fois de l’analyse et du discours.

24 Aborder tout à la fois « la mesure et le grain », comme le dit le beau titre du dernier ouvrage de François Rastier, pourrait résumer le programme contemporain de l’analyse de/des discours. Au passage ne remise-t-on pas quelques concepts clefs – vécus comme par trop datés – tels que l’interdiscours, l’idéologie, les formations discursives, aux fondements de l’analyse du discours ? Mais il faut bien avouer que ces concepts demandent un cadre de pensée théorique fort pour garder leur complexité, entre discours et non discours.

25 L’analyse du discours pourrait-elle se replier sur l’« interprétation », en même temps qu’elle devient analyse de/des discours, analyse discursive… alors que l’ADF se revendiquait « expérimentation », terme qui figure dans le sous-titre de l’ouvrage de Guilhaumou, Maldidier et Robin, Discours et archive : expérimentations en analyse du discours (1994).

26 L’AD, nous dit Francine Mazière, est « un processus, un mouvement critique plutôt qu’une école fournissant des concepts opératoires et des méthodes à appliquer » (2005 : 92).

27 La recherche de l’efficacité des outils n’a-t-elle pas fini par recouvrir ce qui constituait l’objet de l’analyse, laissé sur le bord de la route le mouvement critique de l’AD ? À l’inverse, les constants retours épistémologiques n’ont-ils pas arrêté de jeunes chercheurs soucieux de l’efficace d’une analyse formelle ?

28 Qu’en est-il dans les travaux des jeunes chercheurs qui pratiquent l’analyse de discours en 2011 ? Pour le présent numéro, nous avons procédé de la manière suivante : en partant de certaines figures institutionnelles contemporaines qui s’inscrivent et se revendiquent de l’analyse du discours, nous avons rassemblé des doctorants ou des jeunes docteurs ayant travaillé sous la direction de ces représentants de l’AD qui chacun à leur manière illustre l’une des possibilités de (re) configuration du champ des analyses discursives. C’est bien entendu un premier choix et ce numéro devrait par la suite être suivi d’autres qui aborderaient la question du décentrement et de l’internationalisation de l’AD en terres francophones étendues, en milieu anglo-saxon et dans les terres encore mal connues des discursivistes de toutes langues. Puisqu’il y eut des lieux parisiens propres à l’éclosion d’un champ d’analyses discursives, et tout en sachant qu’il y a de bon bec outre la capitale de la France, de jeunes chercheures (Émilie Née et Marie Veniard) attachés institutionnellement au SYLED (Systèmes linguistiques, énonciation et discursivité) dont fait partie le CEDISCOR qui, centrées explicitement sur l’analyse du discours, ont été sollicitées. La première a fait son doctorat sous la direction de Sonia Branca-Rosoff, la seconde avec Sophie Moirand, deux figures théoriques et institutionnelles de l’AD française.

29 Elisa Raschini est attachée au CENEL et effectue son travail de thèse sous la direction de Marie-Anne Paveau qui a renouvelé l’AD par une approche cognitive avec le concept de prédiscours et les corpus polysémiotiques.

30 C’est respectivement à l’université de Montpellier 3 (PRAXILING) et à l’université de Lyon 2 (ICAR) qu’appartiennent deux jeunes chercheuses, Marion Sandré et Marie-Laure Florea. Marion Sandré, fraîche docteure (2010), a travaillé avec Catherine Détrie et Marie-Laure Florea avec Alain Rabatel. Les perspectives énonciatives (dont l’étude du discours rapporté, emblématique de l’AD énonciative chez Authier et Rosier) et les corpus renouvelés (l’oral des débats, les nécrologies) montrent une analyse de discours bien représentée aujourd’hui et également bien ancrée dans une tradition tenace de l’AD française. Les frontières nationales ne correspondant pas heureusement aux frontières théoriques et des chercheurs belges et suisses ont inscrit leurs travaux dans le cadre de l’ADF. Raphael Micheli et Stéphanie Pahud font partie de l’équipe de Jean-Michel Adam, qui, dans son itinéraire d’analyste de discours, a abordé de front la problématique du texte et de son organisation linguistique. Laura Calabrese enfin, dont la thèse a été dirigée par Laurence Rosier, inscrit clairement son approche dans l’ADF telle que pratiquée par Sophie Moirand.

31 Il s’est donc agi d’une gageure pour les jeunes chercheurs sollicités : d’abord leur demander un travail historique et épistémologique puisqu’ils devaient situer leurs recherches actuelles dans une tradition théorique où les reprises, les modifications, les révisions ont été nombreuses ; ensuite présenter, à travers ce prisme-là, leur propre recherche, en tentant de montrer à la fois l’innovation par le corpus et la manière dont ils considéraient que leurs recherches faisaient partie de l’héritage de l’AD.

32 Les jeunes contributeurs de ce numéro ne font pas du passé table rase, bien au contraire, ils ont, dans leurs contributions, mobilisé leur héritage sans avoir ce que Rabatel nommait plaisamment « une conception muséale et sacralisée de l’histoire des idées » (2010 : 357). La réappropriation du territoire de l’analyse du discours par la jeune recherche se manifeste à la fois par un rattachement aux notions qui ont “fait” l’analyse du discours et par leur nécessaire reconfiguration dans la perspective d’une meilleure opérativité d’analyse.

33 • L’ADF, en particulier dans sa « seconde mouture », s’inscrit dans une veine énonciative, héritée de Bally, Benveniste, Maingueneau, Rabatel alors que l’analyse de discours anglo-saxonne est davantage ancrée dans la pragmatique. C’est dans cette veine que se situent les contributions de Florea et de Sandré. Dans un corpus peu exploité encore, celui des nécrologies, Florea revisite le paradigme énonciatif, notamment à travers le phénomène de l’interpellation, en mettant en évidence la solidarité qui lie entre elles les différentes composantes du texte, jusqu’y compris celle d’une hyperstructure textuelle de type tabulaire. De son côté, Sandré analyse les visées argumentatives – convergente ou divergente – des différents procédés citatifs utilisés par les interactants du débat télévisé de l’entre-deux tours de l’élection présidentielle de 2007 en France. Dans les deux cas, les marqueurs énonciatifs, et particulièrement les marqueurs de dialogisme, constituent la matérialité d’accès au discours et sont l’objet d’un retravail en fonction des paramètres contextuels qui jouent un rôle déterminant dans les corpus analysés.

34 • Les travaux fondateurs de Tournier et la revue bien nommée Mots ont ouvert la voie fertile d’une analyse du discours à entrée lexicale qui est toujours florissante et a sans doute encore de beaux jours devant elle. Dans l’imaginaire linguistique, la force du mot est d’être perçu comme un être vivant : la vocation de l’analyse du discours est incessamment de s’attacher à la production, à la circulation, aux rôles sociodiscursifs des mots relayés par des réseaux médiologiques complexes. C’est en effet « par les mots » (insécurité et crise) que Née et Véniard choisissent d’entrer dans le discours, en renouvelant l’Analyse de Discours à Entrée Lexicale dans le projet de « relier le lexique aux autres dimensions de la discursivité ». Les deux auteures s’attellent ainsi au vaste chantier de l’articulation du lexique à l’énoncé et au discours ainsi qu’à celle de la production et de la circulation du sens en ne négligeant pas les aspects prédicatifs et praxéologiques de cette analyse du discours à entrée lexicale/sémantique. Avec l’analyse des nominations d’événements sociaux, calabrese s’attache à montrer le rôle joué par la réception dans la construction des discours sociaux, produits et mis en circulation par les médias, mais renégociés par les acteurs ordinaires que sont les lecteurs, via les nouveaux médias. L’auteure engage ainsi l’analyse du discours sur le terrain de la réception, laissé en friche par l’ADF depuis sa création, et « qui représente pourtant une dimension capitale de la circulation des discours sociaux ».

35 • L’analyse de discours anglo-saxonne, qui s’appuie en partie sur des références fondamentales françaises, comme Michel Foucault par exemple, s’est éloignée de l’analyse proprement linguistique au profit d’une analyse de discours sociaux à l’idéologie marquée (Critical discourse analysis de Fairclough, Van Djik, Van Leeuwen, Wodak). L’analyse textuelle des discours que pratiquent Micheli et Pahud sur les slogans politiques fait apparaître la manière dont l’analyse linguistique à différents niveaux de granularité peut à la fois servir une visée herméneutique et éclairer la dimension idéologique des discours.

36 • L’épineux problème de l’utilité sociale des disciplines a remis en selle les perspectives pratiques de l’ADF (voir par exemple le colloque « Analyse du discours et demande sociale », 2007). L’analyse proposée par Raschini de la fonction « discursivement stratégique » de l’approximation dans le débat bioéthique vient bien démontrer l’utilité sociale de l’AD dans ce type de contexte sans pour autant que cette utilité fasse, en France, l’objet d’une demande sociale explicite dans la sphère sociale en question.

37 Les contributions des jeunes chercheurs dans ce numéro témoignent de l’entreprise de renouvellement des notions fondatrices de l’analyse du discours dans un esprit d’indépendance et de liberté à l’égard de ce qui pouvait sans doute apparaître comme un héritage un peu trop lourd à porter. Cette émancipation se solde par la dissolution de l’engagement politique et d’« une éthique de l’émancipation » (Guilhaumou et Mazière 2010) que les pionniers avaient dévolus au vaste chantier de l’AD « du côté de l’histoire », qui ne signifie pas, comme le rappelle Mazière, « corpus de textes historiquement situés » (2005 : 92) ; pour autant, dans le choix de ses terrains d’étude, la jeune recherche montre qu’elle « n’a pas peur du réel » (Siblot 1990 : 57). Elle ne se refuse pas non plus une certaine forme d’éclectisme, n’hésitant pas à un « bricolage » des précontraintes de l’AD avec d’autres notions émanant de la linguistique du discours, de l’analyse textuelle ou de la sémantique, qu’elle soit lexicale, discursive, interprétative, de la pragmatique, de l’analyse de conversation…

Notes

  • [1]
    Communication personnelle au colloque annuel de l’ASL, 3 décembre 2011, Université Descartes Paris 5.
Français

Cette contribution revient sur l’histoire de l’analyse du discours dite « à la française » selon son identité « géographique », sur sa pratique épistémologique comme trait constitutif, sur l’évolution de ses alliances disciplinaires et de ses mentors théoriques ainsi que sur l’emblématique quête des bons outils, pierre angulaire d’une théorie aux préoccupations pédagogiques et sociétales importantes. Elle observe les modes de réappropriation et de reconfiguration de l’héritage disciplinaire par la jeune recherche se revendiquant aujourd’hui de l’analyse du discours. L’usage hybridé des notions clés de l’analyse du discours avec d’autres notions connexes sur des terrains nouveaux témoigne de la priorité accordée à la quête de l'opérativité d’analyse qui a pour contrepartie le délaissement de la vocation émancipatrice de l’analyse du discours telle que l'avaient pensé ses pionniers.

Mots clés

  • analyse du discours
  • épistémologie
  • interdiscours
Françoise Dufour
Praxiling, université Montpellier 3
francoise.dufour@univ-montp3.fr
Laurence Rosier
ULB/Centre de Linguistique LaDisco
laurence.rosier@ulb.ac.be
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/06/2012
https://doi.org/10.3917/ls.140.0005
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de la Maison des sciences de l'homme © Éditions de la Maison des sciences de l'homme. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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