CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Il est sans doute important, aujourd’hui, de prendre du recul vis-à-vis des démarches éducatives consistant à promouvoir l’éducation plurilingue. Définie de différentes façons par divers courants de la recherche, la didactique du plurilinguisme, autrement appelée approches plurielles des langues (Candelier 2005) ou éducation langagière globale (Coste 2008), a sans conteste besoin d’être critiquée scientifiquement pour être affinée et surtout pour ne pas s’instituer comme doxa pédagogique dont les protagonistes principaux, apprenants et enseignants, ne comprendraient ni les tenants ni les aboutissants.

2 Récemment, dans la communauté scientifique, des voix critiques salutaires se sont fait entendre. Elles émanent par exemple de sociolinguistes qui problématisent les nouvelles catégorisations liées à l’émergence du discours sur la diversité et le plurilinguisme (Duchêne 2010 ; Canut et Duchêne 2010), ou qui en analysent les dimensions socio-économiques en termes de marchandisation ou d’exploitation (Kahn et Heller 2006 ; Blommaert 2010 ; Duchêne 2011). Des didacticiens des langues, dont certains sont d’ailleurs fortement impliqués dans ce type de démarche éducative, soulignent l’émergence de discours convenus (Clerc et Rispail 2008) ou d’une « incontournabilité » dont on doit questionner les enjeux (Castellotti 2010), ou encore mettent en garde contre les positionnements parfois trop angélistes de ces démarches (Huver et al. 2011). Certains questionnent l’apparente évidence entre éducation plurilingue et cohésion sociale (Forlot, à paraître) ou rappellent l’importance de l’appropriation d’une langue de référence – celle de scolarisation ou celle des origines – pour que les apprentissages plurilingues aient une réelle pertinence (Lucchini 2006). Le terrain de l’interculturel n’est pas en reste : des travaux récents soulignent depuis quelque temps les limites ou les détournements de ce que l’on appelle l’interculturel (Blanchet et Coste 2010 ; Dervin 2012) ou l’altérité (De Robillard 2008).

3 Le livre de Bruno Maurer, que je souhaite placer ici au centre du débat [1], arrive donc à point nommé pour étayer une « mise en critique » des liens entre l’enseignement des langues, la didactique du plurilinguisme et la construction d’une idéologie éducative européenne. Cet ouvrage a reçu en France quelques échos favorables, dont ceux de Christian Puren (2012) et de Pierre Frath (2012), qui dénoncent les mêmes travers dans des principes éducatifs conçus à l’échelle européenne.

4 Je voudrais, dans ce court texte, expliquer mon désaccord avec bon nombre des positionnements de Bruno Maurer. Il me semble en effet ici que l’on se trompe de cible, que l’on fait un mauvais procès à l’éducation plurilingue et interculturelle. L’ouvrage de Maurer n’est en fait ni une étude de sociolinguistique, ni un travail de didactique critique vis-à-vis de ce courant éducatif devenu important, mais un essai, ou plutôt un pamphlet politique construit autour de l’hypothèse qu’une idéologie néolibérale, diffusée par les institutions européennes, serait sous-jacente à l’éducation au plurilinguisme. Certes, on comprend bien que tout projet (ou démarche) pédagogique reflète des choix et des positionnements politiques et sociologiques, et il est fort possible que le projet éducatif européen ne corresponde pas aux options de bon nombre de citoyens-chercheurs de France ou d’ailleurs. Mais il m’apparaît imprudent, scientifiquement, de réduire de façon trop simple et binaire l’éducation plurilingue et interculturelle aux velléités – fussent-elles néolibérales – de quelques consultants, bureaucrates et politiciens européens.

1) Plurilinguisme, enseignement des langues et CECR

5 Maurer, soutenu en cela par Ch. Puren (2012), brosse tout d’abord un intéressant panorama de la didactique des langues jusqu’à la publication du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) en 2000-2001. L’auteur, renommant le Cadre par un nouveau sigle (CEUR : « Cadre européen unique de référence pour les langues », p. 79), explique que ce document s’est institué comme dogme pédagogique incontournable dans l’enseignement linguistique en Europe, devenant un des outils centraux de la domination pédagogique ayant cours actuellement dans le champ de la didactique des langues. Il reproche à ce texte de ne pas être un véritable outil d’enseignement, alors que les auteurs du Cadre eux-mêmes rappellent, depuis plus de dix ans, que cet outil n’a pas pour vocation d’être une méthode ou un manuel, mais vise à donner des pistes méthodologiques pour enseigner et apprendre les langues et évaluer ces apprentissages. Convenons ici que le CECR est passé dans les mœurs, que tous les enseignants y font référence, mais que sa mise en pratique sur le terrain n’est pas toujours des plus aisée. Que l’on pense par exemple à la mise en place souvent dysfonctionnelle des groupes de compétences en langues dans l’enseignement secondaire (français), inspirée de la philosophie du CECR, mais souvent convertie en l’établissement de groupe de niveaux « à l’ancienne ».

6 Mais l’ouvrage de Maurer, notamment dans sa première partie, sème la confusion. Il me semble important de souligner que l’erreur fondamentale de l’auteur est de dire, dans toute cette première partie de l’ouvrage, que le Cadre – et les autres outils publiés par le Conseil de l’Europe – ont pour but de substituer à l’enseignement-apprentissage des langues une éducation plurilingue et interculturelle. Rappelons ici quelques faits :

7 (a) Personne, surtout pas les concepteurs du Cadre, n’a affirmé où que ce soit que l’éducation au plurilinguisme devait remplacer les apprentissages structurels de la langue. Relire le chapitre 2 du Cadre suffit à s’en convaincre :

8

la compétence à communiquer langagièrement peut être considérée comme présentant plusieurs composantes : une composante linguistique, une composante sociolinguistique, une composante pragmatique (…) La compétence à communiquer langagièrement d’un sujet apprenant et communiquant est mise en œuvre dans la réalisation d’activités langagières variées pouvant relever de la réception, de la production, de l’interaction, de la médiation (notamment dans les activités de traduction et d’interprétation), chacun de ces modes d’activités étant susceptible de s’accomplir soit à l’oral, soit à l’écrit, soit à l’oral et à l’écrit (CECR, p. 17-18).

9 (b) Sur le terrain éducatif, de l’école primaire à l’université, on peut difficilement accuser la partie du CECR dédiée au plurilinguisme (chapitre 8 : diversification linguistique et curriculum) d’être en position dominante et hégémonique ! Tous ceux qui fréquentent le terrain scolaire français constatent que ce projet est au contraire, le plus inconnu, voire le plus occulté, de la part des apprenants, des enseignants et des formateurs d’enseignants. La focalisation des premiers comme des seconds demeure encore très largement – comme le rappelle Maurer lui-même – portée sur l’apprentissage du linguistique. On est donc bien loin des dangers supposés de sa disparition (p. 26).

10 L’ouvrage, fortement marqué par une rhétorique axiologique, révèle des craintes un peu paradoxales : en même temps que l’auteur explique les bienfaits de la pluralité et de la diversité, il stigmatise une éducation dont il présente les objectifs comme étant, linguistiquement parlant, ceux de la dilution du structurel dans une philosophie interculturelle floue. De surcroît, il est pour le moins étrange de voir dans cette éducation plurilingue l’émergence d’une idéologie dominante, alors que la réalité du terrain éducatif français est celle d’une domination sans partage de l’apprentissage linguistique, inscrite dans une idéologie tout à fait monolingue et centrée autour de l’apprentissage du français langue de scolarisation. Il faut relire le Socle commun de compétences et de connaissances (2006), ainsi que les programmes de 2008 de l’enseignement primaire pour s’en rendre compte. En France, le retour à une pédagogie de l’enseignement dit rigoureux de la langue, dans ses aspects morphosyntaxiques et lexicaux, ainsi que le débat récent autour du français langue d’intégration, ne devrait-il pas faire disparaître les craintes de Maurer et Puren au sujet d’un affaiblissement du structurel au profit de l’interculturel ?

11 L’ouvrage de Maurer dérange par un autre aspect. Sa critique d’une supposée disparition de la dimension linguistique ne s’appuie que sur la lecture (ou en tout cas sur la citation) de quelques études de référence, dont celles de Starkey (2002) et de Lenz et Berthele (2010), dont il tire de longs extraits qu’il ne commente que brièvement. On se demande ici, encore une fois, où est la réalité du terrain scolaire, français par exemple, puisque l’auteur prend appui sur celui-ci pour construire son propos. Maurer, avec l’appui sans réserve de Puren (2012), critique la multiplicité de ces études de références, publiées par des experts du Conseil de l’Europe, dont ils mettent tous les deux en cause la légitimité scientifique. L’erreur n’est-elle pas plutôt de prendre ces études pour argent comptant, de supposer qu’elles ont un impact significatif dans les décisions des états de l’Union en matière d’éducation ? Dire, par exemple, que le projet plurilingue européen accentue, « au sommet, des compétences cognitives » et qu’« en bas, minorées et à peine mentionnées [se trouvent] les compétences linguistiques » (Maurer, p. 31) relève soit de l’erreur grossière d’interprétation des principes de l’éducation plurilingue, soit de la mauvaise foi. Toute aussi imaginaire me semble être l’affirmation (p. 45-46) que la formation des enseignants serait en passe de se tourner vers l’éducation plurilingue et interculturelle. Il suffira à tout un chacun de relire les rapports, anciens et nouveaux, des concours de recrutement des enseignants du secondaire en France. Au mieux, l’approche plurilingue et interculturelle n’est que très succinctement abordée dans quelques masters en éducation actuels, et encore, ceux orientés vers l’enseignement primaire.

2) L’éducation plurilingue et interculturelle comme doctrine

12 J’ai dit que Bruno Maurer admettait l’intérêt de ces approches, tout en leur reprochant d’être au service de la diffusion d’une idéologie néolibérale européenne dont les effets seraient de faire peu à peu disparaître le rôle de l’école, de marchandiser les cours de langues, de transformer la profession des enseignants (p. 31-37). Il est soutenu en cela par C. Puren (2012) et P. Frath (2012). Certes, il est vrai que les échelles de compétences (de A1 à C2) proposées par le Cadre européen ont créé une niche pour les organismes privés de formation et d’évaluation et pour les concepteurs de cours de langues, mais il ne me semble pas que la pédagogie des langues ait attendu les réflexions des experts du Conseil de l’Europe pour initier sa marchandisation. Le Goethe Institut, vénérable institution de promotion de la langue allemande, propose ses certifications depuis des décennies et c’est dans les années 1960, l’Educational Testing Service (ETS), organisme privé américain, a créé le célèbre TOEFL. La langue comme objet de marché et de commerce n’est donc pas chose nouvelle (cf. Delamotte 1999 et la postface que lui offre Louis Porcher).

13 Mais je reconnais volontiers ici que quelques arguments et craintes de l’auteur sont parfois pertinents, notamment sa critique du principe de l’apprentissage hors l’école ou tout au long de la vie, qui, au mieux, ressortit de l’utopie pédagogique, ou au pire place les élèves de familles défavorisées en position de désavantage face à l’accès à ces supposés services éducatifs.

14 L’ouvrage de Maurer a des intentions idéologiques à peine masquées, s’intéressant finalement moins à la question de l’enseignement-apprentissage des langues et d’une supposée doctrine plurilingue qu’à la dénonciation d’une certaine vision libérale de l’éducation. Si ce positionnement politique est tout à fait légitime, ce qui l’est moins, c’est d’attribuer à la mouvance éducative promouvant un enseignement plurilingue et interculturel une possible complicité dans la genèse des dysfonctionnements du milieu scolaire : inégalité devant les apprentissages, disparition des enseignements linguistiques ou marchandisation des langues.

15 D’autre part, l’ouvrage me paraît pécher sérieusement par le choix d’analyser la doctrine plurilingue et interculturelle en ne l’abordant que par le biais de quelques études de référence publiées par le Conseil de l’Europe, alors que bon nombre de chercheurs adoptent eux-mêmes des postures scientifiques, plus ou moins favorables, à ces démarches pédagogiques. Or, si l’auteur fait souvent des louanges aux écrits de Puren, qui expose lui aussi depuis longtemps ses doutes vis-à-vis des travaux européens en didactique des langues (cf. les écrits publiés sur son site internet), on serait en droit d’exiger en contrepartie des références aux travaux de D. Coste, de V. Castellotti, de M. Matthey, de M. Candelier, de N. Auger, de J. Billiez, de Ch. Perregaux, de D. Moore et de tant d’autres chercheurs, avec lesquels on peut ne pas être d’accord, mais dont on ne peut questionner la légitimité scientifique.

16 Au lieu de cela, l’auteur s’attaque à un discours qu’il qualifie de politiquement correct et débusque, un peu facilement, des propos d’un angélisme qui frise parfois le ridicule dans certains rapports ou études de référence du Conseil de l’Europe (cf. son analyse, p. 60-61, de Lenz et Berthele, 2010), dont on rappellera qu’elles sont la plupart du temps inconnues sur le terrain éducatif. Non seulement ceci ne fait pas avancer le débat, mais cela fait aussi regretter, dans cet ouvrage, l’absence de réflexions sur les concepts qu’il prétend mobiliser, tels que ceux d’interculturalité, de multiculturalité, de domination ou d’idéologie. Maurer ne s’approprie pas du tout ce champ critique. Par exemple, puisque l’auteur disserte en termes de domination, on souhaiterait entrer, au-delà de quelques relations de cause à effet supposées, dans la complexité sociologique des liens entre développement de la concurrence et d’une économie ultra-libéralisée et projet éducatif, plutôt que de lire une simple juxtaposition de phénomènes qui n’éclaire pas vraiment la construction d’une dynamique d’hégémonie ou de domination.

3) Droit au monolinguisme et lutte pour les Lumières

17 Bruno Maurer développe l’idée que la « doctrine » de l’éducation plurilingue et interculturelle est un des outils soutenant le développement d’inégalités sociales et scolaires et assigne à des locuteurs une prétendue identité ou citoyenneté européenne. Critique, entre autres, vis-à-vis des écrits de J.-C. Beacco et de T. Skutnabb-Kangas, il explique que tout enfant a le droit de rester monolingue et que ce n’est pas une tare (p. 69). Il y a là encore un étiquetage sociolinguistique un peu rapide : l’auteur omet par exemple de mentionner que ceux qu’ils appellent les monolingues connaissent eux aussi la variation linguistique.

18 Mais ce n’est pas ici, selon moi, que le problème se pose. Sortons, pour enrichir ce débat, de l’idée que l’éducation plurilingue et interculturelle est un précepte éducatif fondé et diffusé par le Conseil de l’Europe. Quoi qu’on en pense, cette philosophie, dont une forme précoce fut introduite par les Italiens dans leur système éducatif à la fin des années 1970 sous le nom d’Educazione linguistica (cf. De Mauro 1983), doit être interprétée non comme une inculcation pédagogique doctrinaire, mais comme une ouverture, un éveil à la diversité, au même titre que le sont la découverte du monde, l’histoire, les arts, etc. Aussi, adhérer ici à la démonstration de Maurer équivaudrait à dire que devoir apprendre les langues étrangères (ou être sensibilisé à une éducation diversifiante des langues) à l’école constitue une violation du droit à rester monolingue.

19 Il sera peut-être difficile à des Non Français de deviner que ce livre se situe clairement dans une mouvance antilibérale « hexagonale ». Des références aux changements structurels dans la société française y sont exposées : par exemple, à divers endroits du livre, l’auteur décortique longuement la mise en place du processus de Bologne se traduisant en France par la loi Licence-Master-Doctorat dans les années 1990. Plus loin, on lit moult détails sur les tendances au dumping fiscal et la mise en concurrence des états dans l’Union Européenne actuelle. En plus de s’interroger objectivement sur la pertinence des liens que tout cela pourrait avoir avec l’éducation plurilingue, le lecteur devinera des tendances souverainistes et jacobines, notamment lorsque qu’il tente de démontrer que le projet plurilingue est inscrit dans une acception multiculturaliste, donc communautariste et « anti-Lumières » (p. 84-85). Il est étonnant, dans un ouvrage universitaire, de voir aborder avec tant de légèreté un concept philosophique et sociopolitique aussi complexe que celui de multiculturalisme, pourtant champ d’analyse fertile de la philosophie politique occidentale (de Ch. Taylor à W. Kymlicka, en passant par M. Walzer ou J. Habermas) et de lui voir régler son compte dans un simple binarisme « Lumière-anti-Lumières ».

4) Projet plurilingue et construction européenne : confusion des genres ?

20 J’ai été particulièrement dérangé par la facilité avec laquelle l’auteur perçoit dans l’éducation plurilingue et interculturelle une sorte de complicité dans tous les maux affectant l’Europe actuellement. Personne ne disconviendra que ces maux, de nature économique et sociale, sont bel et bien réels, et Maurer ne va pas jusqu’à dénoncer le projet plurilingue comme en étant responsable, mais puisque ce projet est central à la construction européenne, il semble associé à la construction d’une domination et à la perte de souveraineté des états de l’Union. Néanmoins, l’auteur se rend-il compte que l’on ne peut pas tout demander à un projet comme celui d’une éducation langagière plurielle, que la montée des extrémismes de droite (p. 132) la permanence du racisme et la cohésion sociale en péril (p. 134) ne peuvent trouver leur solution dans un projet éducatif comme celui-ci ? Quoi qu’il s’en défende explicitement (p. 47), concevoir cette éducation plurilingue et pluriculturelle comme étant purement et simplement au service d’une « marchandisation des langues » (p. 122) et d’une « mobilité accrue des travailleurs » (p. 124) me semble difficilement tenable.

21 L’argumentation de Maurer est très injuste pour les chercheurs et pédagogues – dont les positions politiques sont parfois tout aussi antilibérales que les siennes – qui militent pour une éducation inclusive, diversifiante, innovante, plurielle et ouverte sur la diversité de notre société, n’en déplaise à l’auteur, devenue multiculturelle. On notera aussi avec intérêt que l’auteur revient, dans les dernières pages du livre, sur un positionnement qui transparaît dans tout le livre : le projet plurilingue et interculturel, c’est non seulement un ensemble vide de sens, angéliste et œuvrant ni plus ni moins à la promotion d’une Europe néolibérale, mais c’est aussi un « enseignement de l’ignorance », expression que l’auteur emprunte au philosophe J.-C. Michéa, dans lequel « on tourne le dos aux savoirs » (p. 145). L’argument, outre sa dimension conservatrice, est-il celui d’un retour aux valeurs d’antan, où les enfants faisaient des « efforts de compréhension […] mais aussi de mémorisation », où primaient « règles de grammaire, vocabulaire exige[a]nt une attention suivie » ? (p. 145-146) On a peine à croire que l’auteur, sociolinguiste et didacticien des langues lui-même, s’imagine vraiment que les pédagogues et les apprenants d’aujourd’hui ne sont pas conscients des efforts nécessaires à l’apprentissage d’une langue.

22 Je conclurai en disant que cet ouvrage, en liant de façon trop mécanique l’éducation plurilingue et la construction d’une Europe libérale, contribue à déformer le projet de nombreux chercheurs et didacticiens dont le but n’est pas de démontrer une quelconque supériorité du plurilinguisme, mais plutôt, au travers de diverses approches ou techniques pédagogiques innovantes (intercompréhension, éveil aux langues, didactique intégrée, contrastivité métalinguistique, interculturel…), d’ouvrir la porte à la prise en compte de la nature plurielle – linguistiquement et culturellement parlant – de nos sociétés contemporaines. En ce sens, je pense, contrairement à Pierre Frath (2012), qu’il serait imprudent de mettre cet ouvrage entre les mains de tous les enseignants de langues, qui n’y verraient, en toute bonne foi sans doute, que la confirmation de représentations et pratiques pédagogiques inscrites dans l’évidence de la nécessaire séparation et imperméabilité des langues.

Notes

  • [1]
    Bruno Maurer, 2011, Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante, Paris, Éditions des Archives Contemporaines.

Références bibliographiques

  • Blanchet Ph. et Coste D. (2010), « Sur quelques parcours de la notion d’« interculturalité. Analyses et propositions dans le cadre d’une didactique de la pluralité linguistique et culturelle », dans Blanchet Ph. et Coste D., Regard critiques sur la notion d’« interculturalité ». Paris : L’Harmattan, p. 7-27.
  • D. Blommaert J. (2010), The Sociolinguistics of Globalization. Cambridge : CUP.
  • Candelier M. (2005), « L’éveil aux langues : une approche plurielle des langues et des cultures au service de l’extension des compétences linguistiques », dans Prudent, L.-. F., Tupin, F. & Wharton, S. (dir.). Du plurilinguisme à l’école. Vers une gestion coordonnée des langues en contextes éducatifs sensibles. Bern : Peter Lang.
  • Castellotti V. (2011), « Centrer, innover, diversifier ? Quelques paradoxes pour une éducation à / par la dé-centration ». Les Cahiers de l’ACEDLE 8/1, p. 115-134.
  • En ligne Clerc S. & Rispail M. (2008), « Former aux langues et aux cultures des autres, une gageure ? », Études de Linguistique Appliquée, n° 151, p. 277-292.
  • Coste D. (2008), « Éducation plurilingue et langue de scolarisation ». Les cahiers de l’ACEDLE 5/1, p. 91-107.
  • Delamotte É. (1999), Le commerce des langues. Paris : Didier.
  • De Mauro, T. (1983), Sette lezioni sul linguaggio e altre interventi per l’educazione linguistica. Milan : Franco Angeli Ed.
  • Duchêne A. (2010), « Des sociolinguistes au travail : Plurilinguisme, idéologies et processus sociaux » dans Huck, D. & Choremi, Th. (éds). Parole(s) et langue(s), espaces et temps. Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg, p. 287-298.
  • — (2011), « Néolibéralisme, inégalités sociales et plurilinguismes : l’exploitation des ressources langagières et des locuteurs ». Langage & Société, 136 : 81-106.
  • Forlot G. (à paraître), « Pluralité linguistique et cohésion sociale, ou l’art de la prophétie auto-réalisatrice ? » dans Goletto, L., Troncy, Ch. et Kervran, M (dir.). Les approches plurielles des langues et des cultures : démarches et réflexions didactiques. Rennes : PUR.
  • Frath P. (2012), Compte rendu de Bruno Maurer, Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. Les Langues Modernes 2012/1.
  • Huver E., Duchêne A., Lambert P., Taleb-Ibrahimi K. et Trimaille C. (2011), « Conceptions de la diversité linguistique et formation des enseignants. Enjeux, questions et propositions ». Table-ronde au colloque du Réseau francophone de sociolinguistique, Alger, juin 2012.
  • Kahn E. et Heller M. (2006), « Idéologies et pratiques du multilinguisme au Québec : luttes et mutations dans un site de la nouvelle économie », Langage et société 118, p. 43-63.
  • Lenz P. et Berthele R. (2010), Prise en compte des compétences plurilingues et interculturelles dans l’évaluation. Strasbourg : Conseil de l’Europe.
  • En ligne Lucchini S. (2006), « Langues et immigration dans l’enseignement en Communauté française de Belgique », dans Conseil supérieur de la langue française et Service de la langue française de la Communauté française de Belgique (éds) : Langue française et diversité linguistique. Bruxelles : De Boeck-Duculot, p. 117-131.
  • Maurer B. 2011. Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. Paris : Éditions des archives contemporaines.
  • Puren Ch. (2012), Compte rendu de Bruno Maurer Enseignement des langues et construction européenne. Le plurilinguisme, nouvelle idéologie dominante. http://www.christianpuren.com/mes-travaux-liste-et-liens/2012a/
  • Robillard D. de (2008), Perspectives alterlinguistiques (2 vol.), Paris : L’Harmattan.
  • Starkey H. (2002), Citoyenneté démocratique, langues, diversité et droits de l’Homme. Strasbourg, Conseil de l’Europe.
Gilles Forlot
Université de Picardie-Jules Verne /IUFM
gilles.forlot@u-picardie.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 11/06/2012
https://doi.org/10.3917/ls.140.0105
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Éditions de la Maison des sciences de l'homme © Éditions de la Maison des sciences de l'homme. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...