CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1C’était en 1995, en plein mois de novembre. Une initiative originale voyait enfin le jour : le partenariat euro-méditerranéen. Les pays de l’Union européenne et les pays riverains du sud et de l’est de la Méditerranée décidaient de se retrouver pour une grande initiative internationale commune. C’était une forme d’euphorie, ou en tout cas d’espérance. Dans le sillage de la chute du mur de Berlin et du processus de paix israélo-palestinien, l’idée était enfin apparue qu’il fallait donner un cadre institutionnel aux relations entre l’Europe et la Méditerranée. Les accords de Barcelone étaient signés autour de trois principaux volets : politique et sécurité, avec en perspective la signature d’une charte définissant le cadre pour des relations de confiance politiques et militaires ; économique, avec en perspective la mise en place d’une zone de libre-échange à horizon 2010 ; social, culturel et humain, avec l’idée de rapprocher les cultures et les sociétés.

2Ce dispositif, d’emblée un peu lourd et complexe, géré par une Commission européenne sans vision politique, dont le penchant procédurier et bureaucratique n’a pas cessé de s’affirmer depuis, vient de sombrer.

3Dix ans après la première conférence, un sommet était en effet prévu en présence de tous les chefs d’Etat pour relancer le processus de Barcelone. Ce “sommet” s’est tenu le 27 novembre 2005, mais il a semblé plutôt désertique ! Curieuse impression d’un partenariat sans partenaires, où tous les chefs de gouvernement européens étaient représentés, mais où ils n’ont trouvé pour homologues que Mahmoud Abbas, pour la Palestine, et Recep Tayip Erdogan, pour la Turquie.

4La langue de bois diplomatique a pu alors être débitée en stères, et la prime revient sans doute à Javier Solana, le haut représentant de l’Union européenne pour la politique étrangère, qui a osé parler d’un “succès significatif”… Pas de déclaration finale des partenaires, un vague “code de conduite contre le terrorisme” et un plan d’action à cinq ans sans portée politique : comme relance, voire comme refondation, du partenariat euro-méditerranéen, on peut difficilement faire pire !

5Ce qui est encore plus impressionnant dans ce naufrage, c’est qu’il se produit dans une indifférence quasi générale. Notre avenir vient d’être amputé d’une part significative, une question stratégique majeure va rester pour longtemps sans réponse, et cela glisse dans le flot des nouvelles comme si de rien n’était.

6Il se joue pourtant là, entre Europe et Méditerranée, dans les vingt ans qui viennent, rien de moins que la question de la guerre et de la paix, de la discorde et de la concorde, de la violence et de la civilisation. Deux grands ensembles de 400 millions d’habitants environ chacun se dessinent à l’échelle régionale. Il faudrait être autiste et aveugle pour ne pas prendre la mesure des défis qui s’annoncent, à la fois démographiques et migratoires, identitaires et culturels, politiques et de sécurité [1], sans parler des écarts de richesse ! Or quelles réponses à ces défis faute d’une stratégie originale et ambitieuse ?

7Le vide serait annonciateur d’une grande violence, la citadelle Europe serait à peu près aussi efficace que la ligne Maginot hier ; reste donc à imaginer et à bâtir une véritable Communauté euro-méditerranéenne.

8Nous en sommes encore bien loin aujourd’hui : raison de plus pour commencer tout de suite !

Notes

  • [1]
    Pour une analyse plus approfondie, voir notamment Les Défis et les Peurs entre Europe et Méditerranée et Paix et guerres entre les cultures (coll. “Etudes méditerranéennes”, Actes Sud, parution en novembre 2005). (NDA.)
Thierry Fabre
Rédacteur en chef
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2008
https://doi.org/10.3917/lpm.017.0004
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