CAIRN.INFO : Matières à réflexion
FRANC-MAÇONNERIE ET EUROPE.
LA TRAHISON ?
par Paul Bachelard
Editions Véga, 210 p., 18 €

Trahison peut-être, mais qui a trahi quoi ?

1Un sous-titre aussi fort que celui de «trahison», même atténué par l’interrogation, retient l’attention. Le titre intrigue et égare : car il ne s’agit pas ici de la franc-maçonnerie en Europe mais, discrètement suggéré, du rapport que peut avoir l’Europe du traité de Rome avec les valeurs de la franc-maçonnerie.

2Lors du débat qui a entouré la préparation du texte de la Constitution Européenne, sont remontés au jour les rapports ambigus et souvent mal compris qui ont marqué les origines, au siècle des Lumières, de la première tentative pacifique de fondement d’un espace européen.

Contradictions maçonniques

3Le survol historique proposé par Paul Bachelard permet de comprendre la situation de la franc-maçonnerie face aux institutions ainsi que les nuances, voire les contradictions, très vite apparues au sein du monde maçonnique moderne.

4C’est aussi l’occasion pour l’auteur de dresser un panorama du paysage maçonnique et sa mise en perspective dans l’évolution d’une Europe des princes à l’Europe des nations.

5La trahison annoncée est-elle alors celle du pacte originel avec les intellectuels du siècle des Lumières, ou désigne-t-elle une rupture au sein de l’Ordre Maçonnique? Les traditionalistes se sont-ils éloignés des libéraux au moment du projet de constitution ?

6Paul Bachelard va plus loin. Il avance l’échec relatif de la mise en place, par les obédiences, de différentes et successives structures de réflexion et note qu’elles n’ont pas atteint dans l’action les objectifs souhaités. Les points de vue et les spécificités des différentes obédiences étaient difficilement conciliables en un projet global.

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Un socle de valeurs à promouvoir

7Devant le constat de cette difficulté, et conscient de l’urgence des dispositions à prendre, l’auteur consacre la dernière partie de son ouvrage à l’idée de promouvoir un socle de valeurs communes, non à travers un lourd appareil de structures générateur de concurrence, mais dans un catalogue programmatique établi par consentement mutuel et soutenu par des francs maçons partout où ils auront leur mot à dire. Sur cette base a minima, sera-t-il possible de réunir ce qui est épars ? Non pas, comme ce qui n’est écrit nulle part, « tout » ce qui est épars mais, de façon plus pragmatique, «ce» qui est épars ?

8La lecture du livre fait naître le sentiment que l’évolution de l’Europe dans la crise née de l’échec du projet pourrait bien ouvrir un nouveau champ d’action aux franc-maçonnes et aux francs-maçons, leur permettant de rassembler réellement ce qui est épars, au-delà des différences, des vieilles frontières et d’une renaissance des intolérances culturelles ou religieuses.

Des moyens réalistes d’agir

9Il existe des moyens réalistes d’agir. Des programmes pluriannuels rendus publics sont avancés à Bruxelles sur les points fondamentaux agréés par les Etats membres pour servir de cadres à de futures réglementations. Il convient de les étudier, d’en réorienter par des actes, au cours des débats, les dispositions contraires aux principes essentiels déjà énumérés au siècle des Lumières et qui restent encore au centre de l’actualité d’une opinion apparemment désemparée, en fait en mouvance rapide, à la recherche d’un sens commun au projet initial de l’Europe.

10L’approche intégrée de l’égalité oblige aujourd’hui à décrypter les fondements des normes législatives ou réglementaires. L’analyse des rapports sociaux est devenue la clé de voûte pour mieux appréhender les soubassements culturels, ainsi que les mécanismes qui contribuent à la perpétuation des inégalités.

11C’est un chantier qui ne peut laisser aucun de nous indifférent et qui replace nos valeurs au service des femmes et des hommes et ne se limite pas à la conquête d’avantages matériels immédiats, souvent générateurs de divisions et de surenchères.

12Le succès des Lumières était issu de la naissance d’une opinion publique de l’époque. A l’heure de la «surmodernité» marquée par l’abondance indifférenciée des informations, la puissance des images chocs et l’exacerbation des individualités, l’opinion n’est plus limitée aux exigences de groupes restreints, toutes les couches de la société sont concernées.

13Trahir serait donc d’abord, pour les maçonnes et maçons, oublier le message initial des fondateurs, basé sur la confiance mutuelle. La franc-maçonnerie, en son état actuel, peut se ressaisir. Elle sait que le processus de construction personnel et collectif vécu ensemble est éloigné de l’enfermement dans des différences qui nous séquestreraient dans nos particularismes.

Un allié : le temps

14Avec le temps et par un effort continu, des synergies viendront elles-mêmes créer les conditions d’une mise en œuvre de notre méthode dont le secret est de n’être soumise à aucun dogmatisme. Et ainsi, de vecteur de transmission, pourra-t-elle se faire entendre et devenir vecteur de changement.

15Il n’est pas utopique de croire que la Franc-Maçonnerie dominera, alors qu’il en est temps, ses propres contradictions ! N’est-elle pas porteuse, dans les cœurs des femmes et des hommes qui l’animent, d’une conscience humaniste européenne ?

16■ M.-F. P.

Marie-France Picart
Expert en communication et médias.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/05/2021
https://doi.org/10.3917/cdu.039.0005
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