CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Comme Etienne Klein l’a développé dans ses ouvrages et au cours de cet entretien, le cours du temps est lié à la notion de causalité qui rend impossible un voyage dans le temps. La flèche du temps, par contre, montre la possibilité qu’ont les systèmes physiques de devenir, de connaître, au cours du temps, des transformations qui les empêcheront à jamais de revenir à leur état initial. Le temps diffère donc du devenir ; mais il est aussi autre chose que les phénomènes physiques qui s’y déroulent. D’un côté, on a donc l’impossibilité de remonter le temps, et de l’autre côté celle de retrouver dans le futur un état physique qu’on a connu dans le passé.

2Le physicien croit que la confusion tient au langage. On doit l’épurer parce que, trompeur, il peut faire obstacle à la découverte d’un réel qui ne se présente jamais tel qui est, mais qui ne se présente à l’observateur que par ce qu’il est en train de chercher, dans un processus où il modifie ce qu’il cherche déjà par le seul fait d’y être.

3Le système de la physique, déchiré par l’incompatibilité des formalismes de la physique quantique et de la relativité générale, ne parvient pas à se resserrer autour d’une théorie, d’une théorie de l’Un ; il a donc recours à plusieurs théories en voie d’expérimentation (la théorie des supercordes, par exemple). La physique quantique, en introduisant la question de l’observateur comme étant un participant actif dans la mesure même, inclut l’observateur dans le système de mesure : ce qui veut dire que lui-même pourrait participer à la mesure de ce réel en cause. Étienne Klein soutient que ce n’est pas un hasard si la physique quantique a été entièrement mise sur pied par des physiciens européens ; il pose la question de savoir s’il y a un rapport, et si oui lequel, entre la culture occidentale, le système de la langue occidentale, et la découverte de la physique quantique.

4Une telle perspective introduit à la question du rapport du physicien avec la découverte scientifique. Je poserais même la question ainsi : y a-t-il un rapport direct entre l’inconscient du physicien et sa découverte ?

5Dans Il était sept fois la révolution, Etienne Klein raconte une série d’« anecdotes » de la vie de sept physiciens. J’ai été très frappée par les très fortes coïncidences entre la découverte et la vie propres à chacun.

6Deux exemples que tout semble opposer illustrent ce point.

7Paul Dirac était un homme qui ne parlait presque pas, taciturne, presque autiste. Un homme qui était aussi connu pour avoir peur des femmes, qui ne pouvait leur parler. Mais s’il ne parlait pas, s’il ne pouvait pas s’exprimer lui-même, Dirac a su par contre faire parler ses formules : il a fait dire à son équation ce qui était le plus difficile à exprimer. Cet homme qui ne parlait pas et voulait joindre « l’autre monde », a découvert une équation qui a ouvert le champ à « l’autre monde », à l’antimatière. Cette découverte lui a fait gagner le prix Nobel tout en le plongeant dans l’angoisse : comment affronter les média ? Sa mère l’a accompagné, pour faire écran entre la presse et lui.

8Erwin Schrödinger, lui, a trouvé l’équation éponyme à l’issue « d’un épisode érotique fulgurant et tardif » avec l’une de ses maîtresses. Il voulait à tout prix découvrir le secret de la féminité, et cela l’avait amené à un comportement sexuel qu’on peut qualifier de « très actif ». Je précise que tout, de cette femme, est resté inconnu, jusqu’à son prénom même…

9On est donc face à une physique qui donne une place active à l’observateur, au point d’en faire le maître de la mesure, non sans risquer de devenir lui-même un morceau de réel à mesurer. La physique, qui ne voudrait d’autre langage que celui des mathématiques, doit ainsi penser le lien entre ses découvertes et la structure langagière de la culture dont elle est issue. Une physique où se révèle aussi pour le physicien un réel dont il ignorait l’existence, qui se retrouve être en connexion directe avec la ‘particularité’ de sa propre vie.

10D’où la question : le réel en physique est-il déjà inscrit dans la nature, ou bien est-ce le physicien qui inscrit un langage mathématique sur un réel innommé ? Mais qui est alors le physicien ?

Giorgia Tiscini
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2017
https://doi.org/10.3917/lcdd.072.0202
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