CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La création en 1982 de l’Institut du Pacifique puis la publication un an après de l’ouvrage « Le Pacifique nouveau centre du monde » (Gomane et al., 1983) ont contribué pour la première fois à centrer la focale des médias français sur cette région du monde. Comme le souligne Groothaert (1992) : « L'immense Océan Pacifique, vaste comme deux fois l'Atlantique, est en réalité une "nouvelle Méditerranée", dont les rivages sont habités par près de six habitants de la planète sur dix, créant une communauté de fait vers laquelle s'opère un glissement du centre de gravité économique mondial. » Près de trente ans plus tard, le bassin Pacifique est qualifié de centre du nouvel ordre mondial (Guibert et Haber, 2018) avec l’émergence de la Chine comme nouveau géant économique mondial. Paradoxalement, ce décentrement du monde vers le Pacifique tend à occulter le caractère périphérique de l’immense part de l’espace maritime de ce bassin Pacifique qui couvre une superficie de plus de 165 millions de kilomètres carrés. Environ 17 500 km séparent les façades occidentale (Philippines) et orientale (Panama) de ce bassin. Ici l’Océan règne en maître et l’homme n’occupe qu’une myriade d’îles d’une superficie souvent inférieure à la centaine de kilomètres carrés. Communément appelé Pacifique Sud (Doumenge, 1966 ; Antheaume et Bonnemaison, 1988) ou Océanie (Guilcher 1970 ; Antheaume, Bonnemaison 1995), plus rarement Pacifique insulaire ou Océanie insulaire, cet espace est délimité au nord par l’atoll de Midway et au sud par l’île Stewart, à l’extrémité méridionale de la Nouvelle-Zélande. Plus de 8 000 km séparent ces deux terres.

2Ce numéro de L’Information géographique ne s’articule pas autour d’une approche thématique particulière mais se focalise sur cet espace géographique peu connu de l’Océanie insulaire et plus spécifiquement les territoires ultramarins français du Pacifique sud-ouest. Rares sont les revues en géographie consacrant un numéro complet à cette partie du monde et nous ne pouvons que remercier les éditeurs de nous donner l’opportunité de partager quelques recherches sur ces régions du territoire français qui ne s’arrête pas aux frontières de l’hexagone. Sur les trois collectivités d’Outre-mer situées en Océanie, la Polynésie Française, la Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna, les deux dernières sont ici particulièrement mis en avant avec un éclairage notamment autour des enjeux de développement, de la gestion et la prévention des risques naturels, ou encore de la gouvernance et de l’évolution des littoraux.

3Rédigé par Gilbert David, géographe de la mer et des îles, comme il se plaît à le dire, le premier texte introduit une approche réflexive du système Île en mettant plus particulièrement en avant une (re)lecture de l’île océanienne qu’il aborde en tant « qu’hérésie géographique ». Après avoir rappelé que les géographes français ont une approche plurielle de l’île, l’auteur s’interroge, sur les invariants du système insulaire, c’est-à-dire les caractères communs à toutes les îles, au-delà de leur diversité géographique, et ce à partir d’une entrée privilégiant les logiques d’acteurs. Ainsi, la « coutume », socle de l’identité océanienne ou encore la gestion traditionnelle du risque, qu’il soit naturel ou alimentaire, sont proposés et argumentés comme invariants majeurs des sociétés océaniennes. L’article rappelle par la suite que les îles océaniennes sont déjà confrontées aux changements globaux et qu’elles le seront davantage dans les années à venir. Elles devront alors relever deux défis majeurs : l’enjeu alimentaire et l’enjeu migratoire.

4Le second article, proposé par Pascal Dumas, géographe et enseignant-chercheur à l’Université de Nouvelle-Calédonie s’intéresse aux enjeux et perspectives de développement de la Nouvelle-Calédonie. Pour ce territoire français d’Outre-mer, engagé dans un processus progressif de décolonisation négociée, formalisé entre autres par les Accords de Matignon en 1988 puis de Nouméa en 1998, la question des modalités de développement, dont l’économie repose principalement sur l’exploitation des ressources minières et les transferts financiers de l’État français, doit se poser. L’auteur après avoir rappelé le poids de l’industrie minière, principal moteur du développement et de l’organisation socio-spatiale du pays, s’interroge sur les opportunités de diversification de l’économie calédonienne. Il dresse dans ce sens, un panorama des principaux pôles d’activité porteurs susceptibles de stimuler l’économie dans les années à venir. Tour à tour un focus est alors présenté sur le tourisme, la pêche, l’aquaculture et l’agriculture.

5Le troisième texte est proposé par un collectif d’auteurs mené par Matthieu Le Duff ayant présenté sa thèse de doctorat en géographie en 2018 sur la thématique des risques naturels côtiers aux îles Loyauté. Cet article s’intéresse ainsi aux risques naturels et plus précisément à leur prévention sur l’archipel néo-calédonien. Sur ce sujet, le cadre institutionnel particulier du territoire empêche une mise en application simple de la règlementation métropolitaine et d’outils véritablement structurants tel que le Plan de Prévention des Risques Naturels (PPRN). La Nouvelle-Calédonie étant une région exposée aux aléas naturels notamment de type cyclone ou tsunami, cette question de la prévention des risques naturels est nécessaire. L’objet de l’article a pour ambition de contribuer à la réflexion sur ce sujet essentiel de la stratégie à construire dans ce domaine. Pour y tendre, une approche géo historique des modalités de gestion des risques en Nouvelle-Calédonie tant du point de vue institutionnel que culturel est proposé afin de mieux saisir les lignes de forces et de faiblesses des stratégies déployées sur ce territoire au fil de l’histoire.

6Le quatrième article, portant de nouveau sur l’archipel néo-calédonien, est rédigé par deux anthropologues : Marlène Dégremont et Catherine Sabinot. En s’appuyant sur des approches ethnoécologiques et anthropologiques, leur article a pour ambition d’examiner comment les formes de territorialisations kanak plutôt réticulaires, s’articulent avec les dispositifs de politiques publiques touchant le lagon et l’océan. Pour ce faire, les auteures s’intéressent tout d’abord au continuum terre-mer, concept éminemment structurant pour les sociétés océaniennes et exposent plus spécifiquement comment ce dernier est vécu et pensé par les populations kanak ou comment l’organisation territoriale maritime constitue le reflet de l’organisation sociale terrestre. Par la suite, une analyse des transformations institutionnelles contemporaines et de l’arène d’acteurs des territoires marins et terrestres permet de comprendre les enjeux multiples de gestion auxquels les espaces marins sont aujourd’hui confrontés. Enfin la dernière partie de l’article se focalise sur l’examen des processus de mise en politique de l’environnement marin particulièrement au travers des aires marines protégées et des espèces animales marines emblématiques.

7Enfin le cinquième et dernier article, fait place à Michel Allenbach qui partage ses recherches consacrées au territoire de Wallis et Futuna. La problématique posée évoque l’évolution du littoral et du lagon d’Uvea, l’île principale de l’archipel de Wallis, confrontés aux spécificités océaniennes dans le contexte transgressif lié aux changements globaux. Après avoir abordé les modalités de la gestion traditionnelle et coutumière de ces espaces, où la réglementation française est inapplicable, et décrit l’environnement météo-océanologique, l’article met en exergue les actions anthropiques qui déstabilisent le trait de côte et les petits fonds littoraux. Sont alors détaillés l’occupation « sauvage » de la frange littorale par la poldérisation, l’extraction de sables de plage ou encore les pollutions terrigène et organique du lagon. Enfin, l’auteur, après avoir proposé des solutions de remédiation, rappelle que le territoire de Wallis possède des facteurs réels de résilience et qu’il n’est pas fortement menacé à court et moyen termes à condition de ne pas répéter les erreurs de gestion de son espace littoral.

  • Antheaume B., Bonnemaison J. (1988), Atlas des îles et des États du Pacifique sud. Montpellier, Publisud/GIP Reclus, 126 p.
  • Antheaume B., Bonnemaison, J., Bruneau M., Taillard C. (1995). Asie du Sud-Est Océanie. Géographie universelle. Paris-Montpellier, Belin/Reclus, 480 p.
  • Doumenge F. (1966), L'homme dans le Pacifique Sud. Paris : Publication de la Société des Océanistes, n° 19, 634 p.
  • Gomane JP., Guibert JL, Martin-Pannetier A, Ordonnaud G. (1983), Le Pacifique, nouveau centre du monde, Paris/Montréal, Berger-Levrault/Boréal Express, 308 p.
  • En ligneGroothaert J. (1992), Le Nouveau Monde du Pacifique, Civilisations, 40-1, p. 25-41.
  • Guibert JL, Haber D. (2018), Le bassin Pacifique, centre du nouvel ordre mondial. Paris, l’Harmattan, 226 p.
  • Guilcher A. (1969), L’Océanie. Paris, P.U.F., coll. « Magellan », 295 p.
Pascal Dumas
Maître de conférences en géographie, Université de la Nouvelle-Calédonie
ISEA, Institut des Sciences Exactes et Appliquées (EA 7484)
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 08/05/2020
https://doi.org/10.3917/lig.841.0008
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