CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L'image du Brésil, en 2017, est fortement dégradée dans les médias internationaux qui se livrent régulièrement à un véritable matraquage (Brazil bashing), comme ils l'avaient déjà fait en 2016. La situation leur paraît si mauvaise que l'hebdomadaire britannique The Economist avait choisi la crise au Brésil comme thème de sa première couverture de 2016, où sous le titre « La chute du Brésil » et une image de la présidente Dilma Rousseff tête basse, il annonçait une « année désastreuse » à venir. Ce n'était pas là la première couverture consacrée au pays, leur séquence étant révélatrice du changement de son image dans la presse internationale. Trois d'entre elles représentaient le Christ du Corcovado qui domine la baie de Rio de Janeiro : sur la première (en novembre 2009) il décollait comme une fusée et le titre était « Le Brésil décolle ». Sur la seconde (en septembre 2013) il retombait en vrille, et le titre était « Le Brésil a-t-il tout gâché ? ». Sur la troisième (en avril 2016) la statue levait des deux bras une pancarte marquée « SOS » et le titre était « La trahison du Brésil »

2 Qu'en est-il en réalité ? Comment peut-on analyser la conjoncture économique et politique – effectivement médiocre – où il se trouve ? Puis la relativiser en rappelant quelques-uns des atouts dont dispose le pays, comme son immensité et ses abondantes ressources agricoles, la fenêtre démographique que lui offre la jeunesse de sa population et l'indépendance énergétique qu'il a su conquérir. On pourra alors réévaluer la situation du Brésil dans le monde en observant sa position intermédiaire dans le commerce international et les niveaux de violence.

Récession, dévalorisation, inflation

3 La conjoncture économique jusque-là très favorable au Brésil qui avait largement échappé à la crise entamée en 2008, s'est retournée avec le ralentissement de la demande chinoise, le premier client du Brésil, à qui il vendait d'énormes quantités minerai de fer et de soja. Le prix de ces commodities a chuté avec la baisse des commandes passées par la Chine pour satisfaire la demande de ses propres clients (réduite par la crise économique), et affecté, par rebond, les rentrées de devises du Brésil. L'impact a toutefois été atténué par la dévalorisation du Real brésilien par rapport au dollar, ses exportations – libellées en dollars – se traduisant par des totaux moins minorés une fois transformés en monnaie nationale. De surcroît, la place des exportations dans le PIB brésilien est faible, le marché intérieur en représentant plus de 80 %, ce qui réduit l'effet des fluctuations de la conjoncture internationale.

4 Ce PIB a diminué pour la deuxième année consécutive en 2016, de 3,6 % selon l'Institut brésilien de géographie et de statistique (IBGE, équivalent brésilien de l’Insee). Le pays était de ce fait en dessous de la moyenne mondiale (+3,2 %), plus encore de celle des pays émergents (+4,1 %) et même de celle de l'Amérique latine et des Caraïbes (-0,5 %). Pour 2017 la situation semble toutefois s'améliorer, le ministre de l'Économie, Henrique Meirelles, ayant indiqué en mai que l'économie brésilienne s'était redressée : au premier trimestre le PIB a connu une croissance de 0,7 % à 0,8 %. On constate, de fait, une reprise de la production, selon l'IBGE : si l'on prend un indice 100 pour 2012 la production industrielle était en mai à 85, à 76 pour les biens de capital, à 84 pour les biens intermédiaires et à 87 pour les biens de consommation.

5 Toutefois, malgré ces signes de reprise la situation sociale reste mauvaise, le taux de chômage est passé de 10,9 % en mars 2016 à 13,7 % en mars 2017, avec de sensibles variations régionales : en 2016 il était de 7,3 % dans le Sud mais de 11,4 % dans le Sudeste (le centre économique du pays) et de 12,8 % dans le Nordeste, la région la plus pauvre. En réalité, la cause principale de la crise économique est l'incertitude politique, qui persiste après la chute de la présidente Dilma Rousseff en 2016, et les constantes révélations sur la corruption qui minent la confiance des consommateurs et des entreprises.

La chute de « Dilma »

6 Dilma Rousseff avait été choisie pour lui succéder par Luís Inácio « Lula » da Silva, le charismatique président des fastes années 2000 dont l'aura et la popularité étaient longtemps demeurées fortes, jusqu’à la crise de juin 2013 et la vague de manifestations qui a alors déferlé dans tout le pays. Passant du prix des transports urbains à une contestation du coût de la Coupe du Monde 2014 et à des revendications plus générales comme la lutte contre la corruption, elles avaient témoigné d’un mécontentement de l’opinion, jusque-là peu apparent. Après cette alerte, la fin du mandat de Dilma Rousseff avait été difficile, et sa popularité avait continué à baisser jusqu’à l’élection présidentielle de 2014, la plus disputée de l’histoire brésilienne, la présidente n'ayant été réélue qu'avec 51,64 % des voix (contre 56,05 % en 2010). La première année de son mandat, 2015, a été marquée par divers scandales et l’aggravation de la conjoncture économique qui firent chuter encore davantage sa popularité. En février 2016, un sondage estimait les opinions favorables sur son gouvernement à 5 %, tandis que 79 % des sondés jugeaient que son bilan était mauvais ou très mauvais.

7 C’est dans ce contexte que, le 2 décembre 2015, le président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, a accepté (comme il était seul, ès qualités, à pouvoir le faire) l’une des sept demandes de mise en accusation déposées sur son bureau contre la présidente, pour pedaladas fiscais (manœuvres comptables douteuses) dans le budget fédéral. Sa propre crédibilité était déjà entachée depuis que l'on avait découvert qu'il avait caché l'existence de plusieurs comptes en Suisse qui lui ont valu d’être mis en cause devant la commission d'éthique de la chambre des députés. Selon beaucoup d'observateurs, c'est le refus du gouvernement de le soutenir et de faire voter les députés du PT (Parti des Travailleurs) en sa faveur qui l'ont amené à ouvrir le processus d'impeachment (comme est généralement appelée au Brésil le processus de destitution du président de la République).

8 Celui-ci a été ouvert en avril, la Chambre autorisant, en séance plénière, l'envoi au Sénat (seul habilité à prononcer la destitution) à la majorité des deux tiers, requise en la circonstance. Le 12 mai le Sénat a alors ouvert le processus de mise en accusation, également à la majorité des deux tiers. La présidente a donc été écartée du pouvoir pour six mois, et son vice-président, Michel Temer, l'a remplacée, à titre provisoire, une situation ensuite confirmée le 31 août pour le reste du mandat (jusqu'à la fin de 2018). Dilma a toutefois évité la perte de ses droits politiques, car personne ne mettait en doute son honnêteté personnelle et si, dans son éditorial de janvier, The Economist lui attribuait la responsabilité de l'échec économique, il indiquait déjà que ceux qui voulaient la renverser étaient « à bien des égards pires ». On ne saurait lui donner tort.

9 De fait, le ministère formé dans les jours suivants par Michel Temer a été aussitôt critiqué pour être exclusivement formé d'hommes, tous blancs, presque tous âgés, et pour bon nombre d'entre eux impliqués dans divers scandales. Dans le mois qui a suivi les mises en cause ont continué, le gouvernement a perdu deux ministres (du Plan et de la Transparence), et d'autres ont suivi, six en à peine plus de sept mois : les ministres de la Planification, de la « Transparence, du suivi et du contrôle » (sic), du Tourisme, de la Culture, du Secrétariat du gouvernement, ainsi que l'Avocat Général de l'Union, qui a rang de ministre. Les causes des démissions ont été diverses, mais pour la plupart elles étaient liées au scandale dit Lava-Jato (lavage express).

L'opération Lava-Jato

10 Lancée en mars 2014 et portant initialement sur une modeste station de lavage de voitures (d'où son nom) dans l'État du Paraná, cette vaste opération a permis l’inculpation de centaines de personnes pour corruption active ou passive. Au total il s’agirait de plus de 40 milliards de Reais (2,5 milliards d’euros), dont 10 milliards en rétrocommissions et pots-de-vin.

11 L'enquête a peu à peu mis à jour une tentaculaire corruption centrée sur le pillage de la compagnie pétrolière Petrobras : des dizaines d'informateurs coopérant avec les enquêteurs en échange de réductions de peine et les dénonciations ont fait apparaître de graves collusions entre des directeurs nommés par le Parti des Travailleurs ou ses alliés et les grandes firmes de travaux publics sous contrat avec la Petrobras. Des dizaines d’hommes d’affaires – dont les patrons des principales firmes de BTP – ont été mis en prison, ainsi que quelques hommes politiques, dont le trésorier du PT. Cependant, ce parti n'a pas été le seul mis en cause. Il était en première ligne puisqu'il était au pouvoir sous les mandats de Luíz Inácio Lula da Silva (2003-2006 et 2007-2010) et de Dilma Rousseff (2011-2014 et 2015-2016) mais il est vite apparu que les malversations étaient le fait de la plus grande partie de la classe politique.

12 Le juge fédéral Sérgio Moro, qui dirige l'opération, a ainsi mis en examen (et pour beaucoup d'entre eux en détention provisoire) des ténors de la politique brésilienne, dont l'ancien président de la Chambre des députés, Eduardo Cunha, condamné à quinze ans de prison pour avoir reçu des pots-de-vin afin de faciliter la signature de contrats d'exploration pétrolière au Bénin, les comptes bancaires en Suisse servant à blanchir l'argent détourné. Deux anciens responsables de la Casa Civil (faisant grosso modo fonction de Premier Ministre) et deux anciens gouverneurs de l'État de Rio ont également été inculpés et placés en détention provisoire. Et pas moins de cinq plaintes ont été déposées contre l'ancien président Lula, qui aurait bénéficié d'avantages en nature, comme l'usage d'une maison de campagne et d'un appartement triplex dans la station balnéaire de Guarujá, l'une et l'autre dans l'État de São Paulo.

13 La plupart des accusations reposent sur les témoignages de dizaines de responsables de la firme de travaux publics Odebrecht, faisant suite à des accords de réduction de peine en échange d'informations. Plusieurs centaines de députés, sénateurs, maires et autres responsables politiques ont été ainsi mis en cause, et d'autres noms ont commencé à surgir avec des dépositions provenant d'autres firmes : en mai 2017 les propriétaires de la chaîne d'abattoirs JBS (premier exportateur mondial de viande) ont ainsi mis en cause 1 900 politiciens aux niveaux fédéral, des États et des communes…

14 Malgré les tentatives menées pour arrêter la marche de l'opération, celle-ci continue car elle a manifestement le soutien de l'opinion publique, des millions de Brésiliens sont descendus dans les rues dans au moins 300 villes le 13 mai, la plus grande manifestation dans l'histoire du pays. Selon la police, 3,5 millions de personnes y auraient participé, près de 7 millions selon les organisateurs.

Incertitudes politiques

15 L'avenir du gouvernement Temer est donc bien incertain. Il a réussi à faire passer une loi visant à limiter la croissance des dépenses obligatoires ; un plafond a été établi afin de limiter les dépenses publiques pour les vingt prochaines années. Il est maintenant (juin 2017) engagé dans une réforme qui rendrait plus strictes les règles de la retraite. Si elle est approuvée, les Brésiliens devraient contribuer plus de 40 ans pour en obtenir le plein bénéfice, l'âge minimum de la retraite serait de 65 ans, pour les femmes comme pour les hommes.

16 Par ailleurs, plusieurs États brésiliens connaissent de graves difficultés financières, ce qui retarde le paiement des salaires des fonctionnaires et perturbe des services de base comme la santé et la sécurité. Le pire cas est celui de Rio de Janeiro qui a été déclaré en situation de calamité financière et a reçu une aide de 2,9 milliards de Reais (880 millions d'Euros) du gouvernement fédéral, ce qui a provoqué un débat houleux lors de la discussion du projet de loi visant à renégocier les dettes des États envers l'Union.

17 On peut y ajouter l'épidémie de virus Zika qui a été responsable, selon l'Organisation Panaméricaine de la Santé, de 211 770 cas de contamination dans 2 280 communes, et la naissance de centaines d'enfants microcéphales. Les élections municipales d'octobre ont été marquées par l'affaiblissement du PT, qui a perdu 386 municipalités et n'a gardé le contrôle que d'une seule capitale d'État. Les Jeux Olympiques de Rio de Janeiro se sont heureusement déroulés sans problème majeurs, confirmant la capacité du Brésil à organiser de grands évènements sportifs. Mais, décidément, l'année 2016 n'a pas été monotone au Brésil, et 2017 peut réserver encore bien des surprises.

18 Peut-être la crise politique n'est-elle pourtant que l'écume soulevée par la tempête dans le verre d'eau de Brasília. Pierre Monbeig racontait volontiers que, quand il y vivait dans les années 1930 on disait déjà : « Le Brésil grandit la nuit pendant que les politiciens dorment »…

19 C'était bien sûr une boutade, mais de fait les citoyens ont pris l'habitude de ne rien attendre – sinon le pire – de la classe politique, et la conjoncture politique est bien en rapport avec des structures politiques lourdes, issues de la façon dont le pays a été modelé. Pendant plus de trois siècles, depuis la « découverte » de 1500, il a été une colonie soumise à un pillage intensif par une étroite minorité de grands propriétaires terriens comptant sur la main-d'œuvre esclave pour s'enrichir au plus vite et sans scrupule. Après l'indépendance, en 1822, le régime impérial (1822-1888) et la « Vieille République » (1889-1930) n'avaient pas sensiblement changé la donne. Le régime autoritaire de Getulio Vargas (1930-1945) et la dictature militaire (1964-1985) ont certes bousculé les vieilles structures, mais en fermant les yeux sur la corruption et sans respecter les principes démocratiques. Ceux-ci ne régissent donc le pays, en dehors du bref épisode de l'après-guerre, que depuis un peu plus de trente ans. C'est peu sur plus de 500 ans, et il est tout de même encourageant de voir que les institutions républicaines semblent solides : somme toute la crise actuelle a confirmé leur bon fonctionnement puisque l'impeachment s'est fait grosso modo dans les règles constitutionnelles. Plus généralement la justice a pu faire son travail et mettre en cause sans entraves chefs d'entreprise, députés, sénateurs et ministres, et l'on peut espérer que ce grand nettoyage ira à son terme, soutenu par une opinion publique qui semble avoir pris conscience que le pays ne serait vraiment développé que quand il aurait modernisé et réellement démocratisé sa vie politique.

20 Ce ne sera qu'alors que pourront pleinement jouer les atouts fondamentaux de ce pays généralement qualifié d'« émergent » et qu'en fait on peut déjà dire « émergé ».

Les atouts du Brésil

21 Parmi les facteurs structurels qui justifient un certain optimisme à long et même à moyen, terme, on peut citer l'immensité de son territoire (huit millions et demi de kilomètres carrés, soit seize fois la France, qui en fait le cinquième pays au monde en superficie. Y contribuent également ses abondantes ressources naturelles, en particulier celles qui lui permettent d'être un grand producteur et exportateur agricole. Ajoutons-y la jeunesse de sa population, qui lui assure une confortable « fenêtre démographique », et son indépendance énergétique grâce à de récentes découvertes pétrolières, à l'hydroélectricité et aux nouvelles énergies. On conviendra que bien des pays au monde aimeraient pouvoir en dire autant…

Immensité et ressources agricoles

22 Le Brésil dispose d’un des plus grands potentiels mondiaux de terres arables disponibles ; de ce point de vue c'est l’un des pays les mieux dotés au monde. Selon des données de l’Embrapa (équivalent brésilien de l’INRA) et de l’IBGE, sur les 851 millions d’hectares du pays, en tenant compte des surfaces déjà réservées pour la protection de la nature et les réserves indiennes, 402 millions sont cultivables, alors que seulement 62 millions sont actuellement utilisés par l’agriculture (dont 35 % par des cultures annuelles et 65 % par des cultures permanentes).

23 Il resterait donc près de 340 millions d’hectares à cultiver, dont 90 millions immédiatement disponibles, trois fois la surface agricole utile française. Ce sont en grande partie des terres non forestières (formations herbacées, savanes, etc.) mais il y aurait évidemment des enjeux environnementaux à arbitrer. Ce ne serait en revanche pas le cas pour les terres déjà cultivées qui pourraient porter la seconde récolte annuelle qu’autorise le climat tropical : seuls 26 millions d’hectares sur les 62 millions cultivés la produisent effectivement. Et moins encore de la récupération des terres dégradées : on estime que les seuls pâturages dégradés par un usage peu soigneux représentent 600 000 km2, soit plus que la superficie totale de la France métropolitaine.

24 Sans même compter sur ces réserves, le Brésil est déjà un très grand pays agricole car il dispose d’immenses avantages comparatifs : de l’espace, du soleil, de l’eau, de la main-d'œuvre d’exécution et d’encadrement, plus les industries d’amont et d’aval qui enserrent l’agriculture dans un puissant complexe agro-industriel, ce qui fait aujourd’hui toute la différence. On y produit déjà à peu près toute la gamme des denrées agricoles mondiales, car l'étendue du pays en latitude (38 degrés, de 5°15' Nord à 33°45' Sud) permet d'y cultiver aussi bien les plantes tropicales que celles du monde tempéré. L'élevage bovin et le palmier à huile apprécient le climat chaud et humide de l’Amazonie, les climats tropicaux qui occupent le centre du pays permettent de jouer à la fois sur les denrées tropicales (canne à sucre, café, arachide) et sur les grains (maïs, soja). Les climats subtropicaux du Sud autorisent les fruits et les légumes de climats tempérés (pommes de terre, blé, avoine, raisin, pommes).

25 Le Brésil se classe donc aux tout premiers rangs mondiaux pour toute une série de denrées et de productions animales (cf. Tableau 1). On notera toutefois qu'il a perdu le monopole du caoutchouc naturel qui avait fait la richesse de l'Amazonie lors du boom du début du xxe siècle, et qu'il été dépassé par la Bolivie pour la production de noix du Brésil…

26 De surcroît, il y existe non pas une mais deux agricultures, d’une part une petite agriculture familiale qui a des parentés avec ses homologues européennes, d’autre part un agrobusiness qui n’a rien à envier à ses équivalents nord-américains. Le partage des tâches et des cultures – qui ne va pas sans conflits, souvent violents – entre paysannerie et agrobusiness est clair : la première fournit l’essentiel de l’alimentation du pays, le second les produits d’exportation. La preuve en est que le pays comptait encore récemment deux ministères de l’agriculture, le ministère de l’Agriculture, de l’Élevage et du Ravitaillement (Ministério da Agricultura, Pecuária e Abastecimento), qui s’occupe d’appuyer le puissant secteur agro-industriel, et le ministère du développement agraire (Ministério do Desenvolvimento agrario), chargé d’encadrer la petite agriculture et de promouvoir la réforme agraire. L'actuel gouvernement a intégré le second au ministère du développement social et agraire, ce qui indique bien la fonction qu'il remplit et met en évidence que l'agriculture brésilienne associe des systèmes de production très différents.

Tableau 1

Les scores agricoles du Brésil

Produit Rang mondial en 2014 Production en 2014 (tonnes) % du total mondial 2014
Canne à sucre 1 736 108 487 39
Bovins (têtes) 1 212 366 132 14
Oranges 1 16 928 457 23
Café vert 1 2 804 070 32
Soja 2 86 760 520 28
Papayes 2 1 603 351 13
Feuilles de tabac 2 862 396 12
Noix du Brésil 2 39 000 36
Maïs 3 79 881 614 8
Porcs (têtes) 3 37 930 307 4
Haricots secs 3 3 294 586 12
Manioc 4 23 253 514 9
Poulets (1 000 têtes) 4 1 320 749 6
Poivre 4 42 339 9
Caoutchouc naturel 11 192 389 1
figure im7

Les scores agricoles du Brésil

Source : FaoStats2014.

La fenêtre démographique

27 Le Brésil comptait 190 755 799 habitants au recensement de 2010, et 207 660 929 à l'estimation officielle de l'IBGE au 1er juillet 2016, ce qui le met, et de loin, au premier rang en Amérique du Sud, devant la Colombie et l’Argentine (respectivement 46 et 40 millions), et au cinquième rang mondial, après l’Indonésie et avant le Pakistan. C’est le résultat d’une progression encore forte, mais qui a déjà commencé à ralentir : avec un rythme d’accroissement de 1,15 % par an le Brésil fait encore partie des pays à croissance relativement soutenue, par opposition aux pays d’Europe et à certains de ses voisins, comme l’Argentine et l’Uruguay. Mais il n'est plus dans une situation d'explosion démographique, comme naguère, et l’évolution classique de la transition démographique y est clairement en cours. Jusqu’en 1960, la natalité avait peu baissé, restant stable autour de 45 ‰ depuis le premier recensement, en 1872, alors que la mortalité avait chuté de 30,2 ‰ à 13,4 ‰ dans les années 1950 : le taux de croissance était alors passé de 1,63 % à 2,99 % par an, soit un doublement de la population en 25 ans au lieu de 44 ans. Autour de 1960, la tendance s’est inversée, la mortalité a continué à baisser légèrement (elle est actuellement à 6,7 ‰ grâce à la jeunesse de la population plus qu’à ses conditions de vie), mais la natalité a baissé plus encore, ce qui a fortement réduit l'accroissement naturel.

28 Comme ce ralentissement de la croissance est récent, la structure par âge de la population reste marquée par la prépondérance des jeunes (la moitié des Brésiliens ont moins de 29 ans, contre 39 ans en France), mais le vieillissement de la population est amorcé (cette même médiane était de 19 ans en 1980). C'est pourquoi des réformes ont été engagées pour revoir un système des retraites jusque-là assez généreux pour ceux qui avaient la chance d’avoir un emploi régulier, mais sans doute les partisans des réformes radicales déjà citées ont-ils aussi en vue d'ouvrir un marché pour les assurances-retraites privées. Car malgré ce léger vieillissement – à peine engagé – le Brésil a la chance d’avoir devant lui une « fenêtre démographique » : la population d’âge actif y sera, pour une vingtaine d’années au moins, plus nombreuse que l’inactive, tant celle des jeunes (grâce à la réduction de la natalité) que celle des vieux, puisque l’âge moyen de la population reste bas. À plus long terme il y aura un jour beaucoup de vieillards pour un nombre réduit d’actifs, un problème général pour les pays qui sortent de la transition démographique. C’est donc bien une « fenêtre », qui se fermera un jour, mais d'ici là le Brésil bénéficie d'un avantage que beaucoup de pays déjà vieillis, en Europe notamment, peuvent lui envier.

29 Cette population est toutefois loin d'être également distribuée sur tout le territoire. Il persiste une nette opposition entre les régions littorales et intérieures, qui reflète aujourd'hui encore les effets du processus de colonisation et de peuplement : les premières sont très peuplées alors que les secondes ne sont que très faiblement occupées. Une modeste correction est apportée par l'évolution récente, comme le montre la Figure 1, entre 2000 et 2016 les – rares – cas de diminution concernent toutes des régions rurales proches du littoral, dans le Nordeste, et des frontières, dans l'extrême Sud. À l'opposé, les progressions les plus rapides (de +50 à +281 %) signalent les fronts pionniers encore actifs en Amazonie, au long de l'« arc du déboisement », et dans l'extrême Nord.

Figure 1

Répartition et évolution 2010-2016 de la population brésilienne (par commune)

figure im1

Répartition et évolution 2010-2016 de la population brésilienne (par commune)

L'indépendance énergétique

30 Le Brésil dispose d’un avantage décisif, également enviable, dans la compétition mondiale : une indépendance énergétique presque totale, grâce au pétrole qu’il a pu trouver sur son territoire, à l’hydroélectricité fournie par ses fleuves et aux ressources de la biomasse, principalement l’alcool combustible tiré de la canne à sucre dont il est le premier producteur mondial. C’est le résultat de deux décisions prises par le régime militaire (1964-1985) lors des chocs pétroliers des années 1970 : chercher de nouveaux gisements sur le territoire national et développer un programme d’alcool combustible, initiatives qui ont toutes les deux été couronnées de succès.

31 Le Brésil produit du pétrole depuis longtemps : découverts en 1939, les gisements de la région du Recôncavo, à proximité de Salvador de Bahia, sont encore en exploitation, mais ils ne produisent plus, avec les gisements découverts ultérieurement dans le Sergipe et l’Alagoas, que 7 % du total national. Sous la pression de la crise pétrolière, le gouvernement militaire avait ouvert une brèche dans le monopole de la Petrobrás, la compagnie nationale créée en 1952, après un grand débat entre nationalistes et partisans de compagnies pétrolières étrangères. Il avait signé avec ces dernières, à partir de 1975, des « contrats de risque » qui les associaient aux bénéfices en cas de découverte. Malgré cela, la Petrobras a investi, depuis des années (avant la crise actuelle), près du tiers de son budget dans la prospection, ce qui avait déjà permis des découvertes de gaz et de pétrole au large de Campos (Rio de Janeiro) et de Santos (São Paulo).

32 Les découvertes d’immenses gisements offshore profonds, en 2007, ont complètement changé la perspective. Grâce à elles, le Brésil n’a plus besoin d’importer de pétrole, tout au plus d’échanger de petites quantités de telle ou telle qualité en fonction des usages recherchés (diesel, essence, kérosène, etc.). Elles ont été rendues possibles par le développement de techniques de forage en eau profonde qui ont permis à la Petrobras (une des rares compagnies au monde à savoir forer en eaux très profondes) et à ses associés de mieux valoriser les ressources du plateau continental. C’est là, sous 2 000 mètres d’eau et 5 000 mètres de sédiments, qu’a été découvert le gisement dit pré-sal (« pré-sel », ainsi nommé parce qu’il est piégé sous une épaisse couche de sel), qui pourrait, s’il tient ses promesses – et tout donne à penser que ce sera le cas, puisqu'une exploitation expérimentale a déjà commencé – donner au Brésil la sixième réserve mondiale de pétrole et faire du pays – s’il le souhaite – l’un des grands exportateurs mondiaux. L'exploitation commerciale de ce pétrole pré-sal ne sera toutefois rentable qu’avec un cours du pétrole assez haut, ce qui n'est pas le cas actuellement, et par ailleurs les revenus théoriques de ce gisement ont déjà fait l’objet d’un âpre marchandage sur le meilleur usage à en faire (le mettre en réserve comme l'a fait la Norvège, le réserver à l'éducation, le partager entre l'Union et les États), le débat n'est pas clos.

33 L'une des ressources énergétiques principale est toutefois ailleurs, et en rapport avec le gigantisme du pays : pour sa production d'électricité le Brésil dispose d’un formidable potentiel hydroélectrique, qui en assure plus de 70 %. Il n’est que partiellement utilisable en l’état actuel des techniques, environ 160 000 MW semble-t-il, soit plus que la totalité du parc installé en France (130 000 MW, dont 63 000 de thermique nucléaire et 21 000 de thermique fossile pour à peine 25 000 d'hydraulique). Le Paraná est de loin le fleuve le plus important, son potentiel est colossal, et un effort d’aménagement massif a été consenti en raison de sa proximité – relative – des centres consommateurs. Les compagnies de production électrique du Minas Gerais et de São Paulo (les plus importantes d’Amérique latine) associées et interconnectées, ont réalisé quelques très grands aménagements, mais les complexes du Rio Grande (3 400 MW) et d’Urubupunga (4 600 MW) sont passés au second plan avec la construction du barrage d’ltaipú. En 2015, ce barrage a produit 89,2 TWh, a fourni au Brésil 17 % de l’énergie électrique qu’il a consommée (et au Paraguay près des trois quarts de la sienne). Sa puissance installée (14 000 MW) en fait la deuxième usine hydroélectrique mondiale, car si le barrage chinois des Trois-Gorges a un potentiel installé supérieur (18 200 MW), sa production est limitée par les irrégularités du débit du Yangtse.

Tableau 2

La matrice énergétique brésilienne

Part en % 1940 1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2015
Combustibles fossiles                  
Pétrole, gaz naturel et dérivés 6 13 26 38 49 44 51 48 56
Charbon et dérivés 6 5 3 4 5 7 7 5 1
Énergies renouvelables                  
Hydraulique et hydroélectricité 1 2 3 5 10 14 16 14 11
Bois et charbon de bois 83 78 64 48 27 20 12 10 9
Canne à sucre et dérivés 2 3 4 5 8 13 11 18 18
Autres énergies renouvelables et uranium       0 1 2 3 5 5
figure im8

La matrice énergétique brésilienne

Source : Balanço energético nacional 2016, EPE/MME.
Figure 2

Évolution de la matrice énergétique brésilienne

figure im2

Évolution de la matrice énergétique brésilienne

Source : Balanço energético nacional 2016, EPE/MME.

34 En fonction de ces deux évolutions, découvertes pétrolières et ressources hydroélectriques, la matrice énergétique brésilienne (cf. Tableau 2 et Figure 2) montre donc une double évolution, D'un côté, une hausse de la part du pétrole, qui remplace à la fois le charbon (qui a toujours été modeste), le bois et le charbon de bois (encore utilisé par la sidérurgie). De l'autre, une croissance continue de la part des énergies renouvelables, hydroélectricité et énergies nouvelles.

35 Parmi ces dernières, c'est l’utilisation de l’alcool de canne à sucre comme combustible qui a obtenu le plus net succès. Mélangé à l’essence dans une proportion d’environ 20 %, l’alcool réduit la nécessité d’ajouter à l'essence des additifs au plomb, ce qui diminue la pollution. Et surtout, on peut désormais l’utiliser seul dans des voitures aux carburateurs spécialement modifiées, que tous les constructeurs installés au Brésil savent produire depuis les années 1970. À la suite du plan Proalcool de 1973, plus de 3 millions de voitures équipées de moteurs à alcool avaient circulé dans le pays, et leur proportion à la sortie des chaînes de montage avait atteint jusqu’à 90 %, avant de retomber ensuite quand les subventions gouvernementales avaient été réduites, et avec elles la production d’alcool.

36 Une innovation technique a relancé, à partir de 2003, l’intérêt pour l’alcool, les moteurs dits flex-fuel qui fonctionnent à l’essence, à l’alcool ou à n’importe quelle combinaison des deux. La possibilité d’utiliser indifféremment les deux combustibles a tout changé et les ventes ont décollé dès que les véhicules ont été lancés, en septembre 2003 : dès 2012 elles représentaient près de 90 % des nouvelles voitures vendues au Brésil (les 10 % restant étant pour l'essentiel des véhicules importés).

37 Des recherches sont en outre en cours pour utiliser le ricin – une production mieux intégrée à l’économie paysanne, et qui permet l’utilisation de micro-distilleries dispersées – et d’autres huiles végétales (soja, arachide, palmier à huile) pour remplacer, au moins en partie, le combustible des moteurs diesel (pour les bus et les camions). Pour le moment, elles ne débouchent pas vraiment car les autres usages de ces huiles (alimentaires, industriels) offrent de meilleurs débouchés aux producteurs et le secteur de l’alcool lui-même est en crise avec une diminution du nombre d’usines, en raison notamment de la baisse des cours du pétrole.

38 Ces avantages une fois pris en compte, on peut repenser la place du Brésil dans le monde, qui est nettement celle d'une puissance intermédiaire.

Le Brésil dans le monde

39 Deux indicateurs peuvent être ici pris en compte, le commerce extérieur et les niveaux de violence. D'autres seraient possibles, flux aériens, tourisme, soft power (Théry, 2014b) mais ces deux-là ont été choisis parce qu'ils donnent des indications sur la position économique du pays et sur un des aspects qui fait le plus de tort à son image internationale.

40 Le commerce extérieur du Brésil montre bien les orientations de ses échanges, leurs évolutions récentes et la place du pays dans le monde d’aujourd’hui. Les partenaires principaux sont les voisins du Mercosul (principalement l’Argentine), les États-Unis, l’Europe, et de plus en plus la Chine, dont le poids était très limité il y a dix ans. Elle a aujourd’hui largement dépassé le Japon comme principal partenaire asiatique, grâce à ses achats massifs de minerai de fer, de soja, de viande et de sucre, en échange d’une foule de produits manufacturés, des plus banals (textiles de bas de gamme) aux plus sophistiqués (électro-ménager et informatique).

41 Le solde est néanmoins positif pour le Brésil, comme il l’est avec la Russie, plusieurs pays du Moyen Orient (le Brésil ayant acquis son autosuffisance en pétrole) et avec ses voisins d’Amérique du Sud, à l’exception de la Bolivie à qui il achète du gaz sans pouvoir lui vendre beaucoup en échange, en raison de sa faible population et plus encore de son faible pouvoir d’achat. En revanche les soldes sont négatifs avec les États-Unis et l’Europe, qui vendent au Brésil des produits à haute valeur unitaire et lui achètent principalement des minerais et des denrées agricoles, à la notable exception des avions de l’Embraer.

42 Le Brésil a donc une position spécifique dans la division internationale du travail. Pour la fabrication des produits technologiques, il a un solde positif avec les pays moins développés que lui en Amérique du Sud, en Afrique et au Moyen-Orient, et des soldes négatifs avec les grandes puissances économiques. Cela signifie qu’il occupe une position intermédiaire entre les pays développés du « centre » (auxquels il achète des produits manufacturés, ainsi que des services, qui n’apparaissent pas ici, et vend des produits primaires), et les pays plus périphériques que lui (voisins sud-américains, producteurs de pétrole d'Afrique et du Moyen-Orient), auxquels il vend des biens manufacturés et achète des produits primaires.

Un pays intermédiaire

Tableau 3

Postes principaux du commerce extérieur brésilien en 2016

Catégories Exportations
(%)
Importations
(%)
Solde
(milliard $)
Produits végétaux 16,2 3,7 24,9
Produits des industries alimentaires 13,2 2,0 21,6
Animaux vivants et produits animaux 7,5 1,6 11,7
Minerais 15,1 12,1 11,4
Matériel de transport 10,7 9,4 6,9
Cellulose et papier 4,0 0,8 6,3
Produits métallurgiques 7,2 5,3 6,1
Produits textiles 1,2 3,1 -2,0
Plastiques et caoutchoucs 2,8 6,1 -3,3
Instruments d'optique et de précision 0,5 3,6 -4,1
Produits chimiques 5,0 21,0 -19,7
Machines et équipements 8,0 27,7 -23,2
figure im9

Postes principaux du commerce extérieur brésilien en 2016

Source : SECEX/MDIC 2016
Tableau 4

Principales exportations et importations en 2016

  Exportations Importations  
  dont % dont %
Animaux vivants et produits animaux   7,5   1,6
  Viandes 6,8   0,2
Produits végétaux   16,2   3,7
  Café 2,8   0,1
  Céréales 2,2 Céréales 1,7
  Graines oléagineuses 10,6   0,2
Produits des industries alimentaires   13,2   2,0
  Sucre et alcool 5,7   0,0
  Résidus et déchets 3,0   0,2
Minerais   15,1   12,1
  Minerais 8,5   0,7
  Huiles et combustibles 6,3 Huiles et combustibles 11,0
Produits chimiques   5,0   21,0
    1,8 Inorganiques 1,3
    1,0 Organiques 6,1
    0,6 Pharmaceutiques 4,6
    0,1 Engrais 4,4
Plastiques et caoutchoucs   2,8   6,1
Cellulose et papier   4,0   0,8
  Cellulose 3,0   0,2
Produits textiles   1,2   3,1
    0,1 Fibres synthétiques 0,8
Produits métallurgiques   7,2   5,3
    4,3 Fer, acier 1,0
    0,7 Produits sidérurgiques 1,5
    0,5 Cuivre et produits à base de cuivre 0,8
    0,5 Aluminium 1,0
Machines et équipements   8,0   27,7
Matériel de transport   10,7   9,4
    5,9 Automobiles et pièces détachées 7,2
    2,6 Avions et pièces détachées 1,2
figure im10
figure im11

Principales exportations et importations en 2016

Source : SECEX/MDIC 2016, Dollars FOB.
Figure 3

Le commerce extérieur brésilien en 2016

figure im3

Le commerce extérieur brésilien en 2016

Tableau 5

Les principaux partenaires commerciaux du Brésil en 2016

  Exportations Importations Solde
  (milliards de $) % (milliards de $) % (milliards de $)
  185,2   137,6   47,7
Chine 35,1 19,0 23,4 17,0 11,8
États-Unis 23,2 12,5 23,8 17,3 -0,6
Argentine 13,4 7,2 9,1 6,6 4,3
Pays-Bas 10,3 5,6 1,8 1,3 8,5
Allemagne 4,9 2,6 9,1 6,6 -4,3
Japon 4,6 2,5 3,6 2,6 1,0
Chili 4,1 2,2 2,9 2,1 1,2
Mexique 3,8 2,1 3,5 2,6 0,3
Italie 3,3 1,8 3,7 2,7 -0,4
Belgique 3,2 1,7 1,5 1,1 1,7
Inde 3,2 1,7 2,5 1,8 0,7
Corée du sud 2,9 1,6 5,4 4,0 -2,6
Royaume-Uni 2,8 1,5 2,3 1,7 0,5
Singapour 2,8 1,5 0,4 0,3 2,4
Uruguay 2,7 1,5 1,3 0,9 1,5
Espagne 2,6 1,4 2,6 1,9 0,0
Arabie Saoudite 2,5 1,3 1,3 0,9 1,2
Canada 2,4 1,3 1,9 1,4 0,5
France 2,3 1,2 3,7 2,7 -1,4
Russie 2,3 1,2 2,0 1,5 0,3
Hong Kong 2,3 1,2 0,5 0,3 1,8
Émirats Arabes Unis 2,2 1,2 0,4 0,3 1,9
Colombie 2,2 1,2 0,9 0,7 1,3
figure im12

Les principaux partenaires commerciaux du Brésil en 2016

Source : SECEX/MDIC 2016, Dollars FOB.

43 À ces avantages massifs et incontestables on pourrait ajouter des aspects industriels et technologiques (comme le succès de l'Embraer, qui dispute avec Bombardier la place de troisième avionneur mondial, derrière Airbus et Boeing. Un aspect jette toutefois une ombre sinistre sur l'image du Brésil, le niveau de violence qui y règne et qui en fait un des pays les plus violents au monde.

La violence

44 Le Brésil est, selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, un des pires pays au monde. Pour la dernière année disponible dans ses statistiques mondiales, 2013, il arrivait avec un peu plus de 40 000 morts à peu près à égalité avec l’Inde (dont la population est six fois plus nombreuse) mais devant le Mexique, l'Éthiopie, l'Indonésie, le Nigeria et l’Afrique du Sud. En calculant le nombre d’homicides par 100 000 habitants, il n’était toutefois, en 2014, qu’au dixième rang avec un taux de 24,6, loin derrière le Honduras (74,6), le Salvador (64,2), le Venezuela (62), l'Afrique du Sud (33) et la Colombie (27,9).

45 Des données plus récentes sont plus inquiétantes : selon le forum brésilien sur la sécurité publique, en 2015, 58 000 personnes ont été tuées dans le pays (en moyenne une toutes les neuf minutes). Plus de gens meurent assassinés au Brésil que dans des pays en guerre : en Syrie 256 000 personnes sont mortes en quatre ans, au Brésil, près de 279 000…

Tableau 6

Les pays les plus violents au monde

Pays Nombre d'homicides
2013
Taux par
100 000 hab.
2013 /2014
 
Brésil 40 974 24,6
Inde 40 752 3,2
Mexique 25 757 15,7
Éthiopie 20 239 8
Nigeria 18 422 10
Afrique du Sud 15 940 33
Colombie 15 459 27,9
Russie 14 574 9,5
figure im13

Les pays les plus violents au monde

*Taux d'homicide par pays selon la dernière année disponible selon l'UNODC. Source : Office des Nations unies contre la drogue et le crime 2015.

46 Cette réalité tragique ne paraît pourtant pas être une préoccupation majeure pour les pouvoirs publics et l’opinion brésilienne qui semblent la considérer comme une sorte de fatalité. Reste à espérer qu’une prise de conscience se produira et mènera l’ensemble de la société à prendre les mesures nécessaires pour réduire ce fléau, un peu comme ce qui s’est produit en France – mutatis mutandis – quand il est devenu inacceptable de voir plus de 10 000 personnes mourir tous les ans sur les routes. Une série de campagnes de sensibilisation et des mesures, parfois impopulaires, ont permis de réduire ces pertes de plus de la moitié. Il s'agissait, certes, d'un problème essentiellement technique, moins difficile donc qu’un problème social et culturel, mais il a tout de même fallu changer habitudes et mentalités, espérons qu'il en sera de même au Brésil

Figure 4

Homicides dans le monde

figure im4

Homicides dans le monde

Deux images en guise de conclusion

47 Au total, la crise actuelle souligne les lignes de faiblesse de ce modèle de développement : place excessive des exportations, ces dernières années, des minerais et des denrées agricoles, corruption de la classe politique, mais l'on peut espérer que ce sera l'occasion d'y remédier. Dans les premières années de ce siècle, tous les observateurs classaient le Brésil parmi les « pays émergents » promis à un brillant avenir. Sans doute l’analyse était-elle de toute façon un peu abusive, car il occupe une place singulière parmi eux. Si l'on emprunte – le temps d'une métaphore – le vocabulaire de la géomorphologie, on pourrait dire que pour lui l'émergence ne tient pas de l'isostasie – la lente remontée à un niveau ancien – comme la Chine et l'Inde, qui retrouvent leur rang de grands pays après la disparition de la chape de glace glacée qu’a été pour eux la colonisation ou la soumission à l'Occident. Pour lui, c'est une vraie surrection, similaire à celle qui soulève progressivement les Andes, sous la pression d'une dérive des continents d'échelle planétaire, une montée lente, mais irrésistible et durable.

Figure 5

Préoccupations, ou non…

figure im5

Préoccupations, ou non…

Figure 6

figure im6

Français

La conjoncture économique et politique du Brésil en 2017 est médiocre en raison d'une série de scandales politico-judiciaires qui ont mené à la destitution de la présidente Dilma Rousseff, son successeur, Michel Temer, étant à son tour menacé par les mêmes scandales qui affectent toute la classe politique. Ce constat de crise peut être relativisé en rappelant quelques-uns des atouts dont dispose le pays, comme son immensité et l'abondance de ses ressources agricoles. On peut y ajouter la fenêtre démographique que lui offre la jeunesse de sa population et l'indépendance énergétique qu'il a conquise. On peut alors réévaluer la situation du Brésil dans le monde en observant sa position intermédiaire dans le commerce international et les niveaux de violence, pour confirmer qu'il est toujours un pays émergent, voire déjà émergé.

Mots-clés

  • Brésil
  • crise politique
  • commerce international
  • ressources
  • violence
English

Brazil in 2017

Brazil's economic and political situation in 2017 is poor, due to a series of politico-judicial scandals that led to the impeachment of the President of the Republic Dilma Rousseff. And the same scandals, affecting the entire political class, threaten her successor, Michel Temer, However, one must relativize this crisis by recalling some of the country's assets, such as its immensity and the abundance of its agricultural resources. One can add the demographic window offered by the youth of its population and the energy independence it has managed to conquer. Brazil's position in the world can then be re-evaluated by observing its intermediate position in international trade and levels of violence, and confirming that it is still an emerging, or even emerged, country.

Keywords

  • Brazil
  • political crisis
  • resources
  • international trade
  • violence
Português

A situação económica e política do Brasil em 2017 é ruim, por causa de uma série de escândalos político-judiciais que levaram ao impeachment da Presidente da República Dilma Rousseff, e seu sucessor, Michel Temer, é por sua vez ameaçado pelos mesmos escândalos, que afetam toda a classe política. No entanto, esta crise deve-se relativizada recordando algumas das vantagens dos quais o país dispõe, como sua vastidão e seus abundantes recursos agrícolas. Podemos acrescentar a janela demográfica proporcionada pela juventude da população e a independência enérgica que ele soube conquistar. Podemos então reavaliar a situação do Brasil no mundo, observando a sua posição intermediária no comércio internacional e nos níveis de violência, e confirmar que ele ainda é um país emergente ou até já emergido.

Palavras-chaves

  • Brasil
  • crise política
  • recursos
  • comércio internacional
  • violência

Bibliographie

  • La revue L'Espace politique a publié, dans son numéro 31 | 2017-1, un dossier sur « Géographie politique et géopolitique brésilienne au xxie siècle », https://espacepolitique.revues.org/4110
  • La revue Echogéo a lancé un appel à communications pour un dossier « Brésil, disparités et dynamiques », disponible à l'adresse https://echogeo.revues.org/14745. Le dossier lui-même sera publié dans le numéro 41, en septembre.
  • Théry H., de Mello-Théry, Neli A. (2017), Atlas do Brasil, Disparidades e dinâmicas do território, EDUSP, São Paulo.
  • Théry H. (2016a), Le Brésil, pays émergé, Paris, Armand Colin, coll. « Perspectives géopolitiques ».
  • Théry H. (2016b), « Scènes de guerre dans les favelas de Rio de Janeiro », in Béatrice Giblin (ed.) Les conflits dans le monde, approche géopolitique, Paris, Armand Colin, p. 51-60.
  • Théry H. (2016c), « Brésil 2016, l'écume et les courants profonds », EchoGéo, Sur le Vif, 2016, ISSN 1963-1197, http://echogeo.revues.org/14645
  • Théry H. (2015), « Une photo pour penser les inégalités », Justice spatiale | Spatial justice, n° 7 janvier 2015, http://www.jssj.org
  • Théry H. (2014a), « Les populations du Brésil, disparités et dynamiques », Espace populations sociétés, 2014/2-3, http://eps.revues.org/5733.
  • En ligne Théry H. (2014b), Diplomatie, commodities et soft power, la projection mondiale du Brésil, Problèmes d'Amérique latine, 93, (2), p. 75-87. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01202393/document
  • Théry H. (2012), Le Brésil, Paris, Armand Colin, 6e édition.
Hervé Théry
directeur de recherche émérite au CNRS, Professeur à l'Universidade de São Paulo (USP).
hthery@aol.com
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/01/2018
https://doi.org/10.3917/lig.814.0010
Pour citer cet article
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