CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1De la Belle Époque au Front populaire, les midinettes  [1] ont marqué l’imaginaire masculin avant de conquérir une place de premier plan dans les escarmouches de la lutte des classes que présente par le menu L’Humanité dans ces années 1930 qui précèdent l’arrivée d’une majorité de Front populaire à la Chambre. Elles annoncent, par leur mouvement victorieux de 1935, les grandes grèves de mai-juin 1936, au même titre que les métallurgistes construisant dans le secteur de l’aéronautique un rapport de force durable avec le patronat. Figures oubliées du prolétariat, elles se fondent dans la grande image de la classe ouvrière qu’incarne le métallurgiste triomphant de l’après-guerre, retournant à cet imaginaire qui (re)deviendra une forme de repoussoir pour le féminisme le jour où, célébrant son centenaire, Le Nouvel Observateur publiera une photo de Beauvoir nue, suscitant un article vengeur de Sylvie Tissot, « la midinette aux ongles faits  [2] ». Elles entreront dans le folklore en se figeant en catherinettes lorsque, vingt-cinq ans passés, elles n’auront pas trouvé de mari  [3].

2 Comment expliquer cette épopée étonnante dans le siècle des révolutions prolétariennes à l’Est, sexuelles à l’Ouest ? Ces métamorphoses des midinettes accompagnent, il me semble, cette découverte du travail qui se noue autour de la formalisation du contrat de travail dans cette France 1900, jusqu’à en devenir les figures centrales de ce cas d’école que l’on désigne alors sous le vocable de « sweating system ». Le retour sur les midinettes est donc aussi l’occasion de mieux saisir comment « le travail ne devient communément objet d’une sociologie ou d’une économie propres que lorsqu’il a été isolé et spécifié par l’entreprise et par le droit spécifique qui le vise à travers le contrat salarial  [4] ». Il fournit une occasion de sortir d’une naturalisation de la « question sociale », sous la figure de l’ouvrier opprimé par l’autorité patronale dans la soi-disant « modernité libérale » héritée de la Révolution, selon Castel  [5]. Il permet de contribuer au renouvellement d’une sociologie du travail qui « s’est jusqu’à présent principalement préoccupée du labeur salarié, négligeant par méthode bien d’autres situations contraintes et d’efforts qui sont vécues elles aussi comme des besognes. L’identification du travail avec l’activité obtenue par un contrat de subordination, et contre salaire, est si essentielle qu’elle peut être oubliée au cours de l’analyse, ce qui conduit à des erreurs de perspectives persistantes, et même à une naturalisation des attributs et du contrat de travail. Paradoxalement, le salariat, parce qu’il définit implicitement l’objet de l’étude, disparaît de son observation.  [6] ». Dans une perspective tournée vers les développements contemporains, il s’agit pour Rolle de concevoir « le salariat, au-delà du contrat », en mettant au jour les phénomènes de marchandage que donnent à voir l’externalisation dans la sous-traitance et l’intérim. En revenant au cas des midinettes, il s’agirait ici de concevoir « le salariat, en deçà du contrat de travail ».

3 Après être revenu sur son travail et sa place dans l’imaginaire masculin, nous verrons la midinette en arrière-plan de la réflexion juridique sur le contrat de travail, avant de devenir une actrice de premier plan dans la conquête de ses droits.

1. Les midinettes à l’ouvrage

4 La midinette est restée dans la langue française comme « jeune fille simple et frivole, à la sentimentalité naïve », laissant derrière elle son sens originel, présenté comme « vieilli » par le Trésor de la langue française : « Jeune ouvrière ou vendeuse qui travaillait dans une grande maison de couture ou de mode à Paris ». Dans les années 1900, la couturière ou la modiste ne travaillent pas nécessairement pour une « grande maison », mais se trouve associée au monde du « travail en chambre » approvisionnant notamment les grands magasins en confection. Il s’agit là d’un des moyens de gagner sa vie pour une femme selon Régnal  [7] dans une époque fondamentalement différente de ce temps où « Jadis, le Travail, surtout pour la Femme, était considéré par les hautes classes comme une déchéance. Les filles de qualité lui préféraient le couvent. Cette retraite, dont l’austérité n’offrait rien d’excessif, valait peut-être mieux, en somme, que l’âpre et cruelle lutte à laquelle se voient condamnées nos contemporaines. Dans la paix, notre sœur d’autrefois coulait une existence calme, digne, pure… Elle passait sur la terre, semblable à la fleur du vallon, ignorante de son propre destin, inconsciemment subi  [8] ». La couture est une voie parmi d’autres selon Régnal, qui enchaîne une série de portraits parmi lesquels « les femmes de lettres », « la doctoresse », la « femme de théâtre », l’infirmière, les chimistes pharmaciennes, la « femme sculpteur », l’institutrice, l’employée de bureau, les « colonies », les « inspectrices », le « Professeur de beauté » ou « le tabac et ses ouvrières ». Le travail ouvre à une vie plus indépendante, mais soumise à des tentations pouvant ébranler la pureté que garantissait le couvent. Il permet malgré tout de prendre l’air, ce que font les jeunes couturières qui ont l’habitude de « faire dînette » sur les bancs publics à midi, conduisant à les désigner comme des « midinettes »  [9].

1. 1. Les couturières parisiennes

5 La couture est initialement moins un travail qu’une activité domestique. Elle tend à prendre une dimension professionnelle avec l’ouverture de « cours de couture » « et l’on parle d’instituer un examen d’apprentissage »  [10]. Elle peut s’exercer « chez les autres », dans de « grandes maisons », où s’opère une spécialisation pour celles qui font partie du « noyau ». Ici, l’apprentissage commence à douze ans, pour une enfant « ayant déjà des connaissances élémentaires  [11] », et qui s’apprête à devenir une « petite main ». Dans ce cadre, l’ouvrière devient « jupière, corsagière, manchière, garnisseuse…  [12] ». Elle intègre une hiérarchie où les « secondes dirigent une table » et « les « premières » sont bien payées »  [13]. Mais « sauf les ouvrières supérieures, aucune ne gagne sa vie  [14] », « le chômage est terrible — les ouvrières qui ne font pas partie du “ noyau ” ne sont jamais sûres du lendemain. Elles ne travaillent que par intermittence.  [15] ». Ainsi, lorsque la morte-saison arrive, l’ouvrière qui ne fait pas partie de ces catégories supérieures « s’estime heureuse d’accepter du travail des Entrepreneuses qui fournissent le gros et font l’article de “ série ” pour les grands magasins ou l’exportation  [16] ». Comme les Entrepreneuses elles-mêmes gagnent peu, elles se trouvent obligées de « se montrer féroces à la moindre faute, pour la moindre imperfection  [17] ». Pour Régnal, la « couture chez soi » est finalement moins exposée à ces aléas et à cette exploitation :

6

« Quand la couturière a le moindre goût ; la plus mince habileté à se maintenir dans le mouvement, à suivre la mode, elle a toujours du travail plus qu’elle n’en peut faire. — Les prix modiques tentent même les belles dames qui lui font copier les modèles des grands fournisseurs.  [18] »

7 Il reste à maîtriser son ambition pour ne pas étendre l’affaire dans des proportions démesurées, et se trouver confrontée aux difficultés des « grandes maisons » et des « Entrepreneuses ».

8 Hormis les très grandes maisons, la couture se pratique dans des ateliers familiaux ou à domicile. Pour le secteur du vêtement, le travail à domicile est la règle pour le finissage des produits qui ne nécessitent pas de machines importantes, mais connaît un accroissement lié à la machine à coudre, qui de plus est parfois électrique. Il est général dans le domaine du sous-vêtement féminin. Ce secteur se révèle difficile à observer, tant par la dispersion des travailleuses(eurs), que par l’hétérogénéité des statuts, entrepreneuses(eurs), travailleuses(eurs) aux pièces et travailleuses(eurs) au temps. Cela justifie pour Du Maroussem  [19] une enquête monographique inspirée par les enseignements de Le Play en cohérence avec un univers, celui du « vêtement », proche de ce que Le Play nomme la « fabrique collective » :

9

« Ici, c’est le grand magasin (nous négligeons intentionnellement les gradations et les nuances) ; c’est la Belle Jardinière, cette fabrique de “ confection ” pour vêtements d’hommes, qui, par son initiative déjà ancienne, a troublé la prospérité des tailleurs-drapiers et, en s’annexant les commerces accessoires, est devenue un vaste bazar de l’habillement ; c’est Le Louvre, Le Bon Marché, Le Printemps et d’autres encore, tous comptoirs de tissus à l’origine, qui se sont accrus peu à peu d’un rayon de fabrication. En résumé, tout en haut, le grand commerce intérieur, d’après le plan généralisé par notre civilisation occidentale ; au-dessous, çà et là, dans un éparpillement sans possibilité de statistique rigoureuse, les petits ateliers, mansardes, loges de concierge, voire même groupement de plus d’importance, gravitant autour de ces centres fameux où leurs débouchés se condensent.  [20] »

10 Mais, se fondant sur les statistiques de l’Inspection du travail en 1902, Fagnot  [21] apporte quelques données sur l’« industrie de l’aiguille » : 1,3 million de travailleurs à l’échelle nationale, comptant 86 % de femmes, et 650 000 travailleurs « en chambre » dans cet ensemble. 170 000 travailleurs dans cette industrie à Paris, dont 85 000 « en chambre » et, là encore, de manière très majoritaire, des femmes.

11 Cette situation connaîtra une certaine évolution avec l’ouverture de grands ateliers comme ceux des Galeries Lafayette à partir des années 1910, mais « le système des grands ateliers, conçus afin d’approvisionner massivement les rayons des grands magasins en vêtements de qualité, atteignit rapidement ses limites. Ce qui avait été mis en place comme un moyen de court-circuiter les apiéceurs qui travaillaient pour une multitude de clients fut rapidement supprimé en faveur d’un retour au système de la sous-traitance, qui permettait de répondre sur-le-champ aux changements de la mode  [22] ».

12 Face à un univers soumis à tous les abus en matière de conditions de travail (salubrité des locaux, salaires, durée), revient de manière courante la mise en cause des habitudes de consommation des femmes elles-mêmes. « La grande coupable est la cliente qui exige des tours de force, lorsqu’elle est prête à les payer » souligne Régnal  [23] qui ajoute « J’aime à croire que mieux instruite, la femme ne voudra plus, dans un temps prochain, traiter sa sœur en esclave  [24] ». La mauvaise conscience est le ressort de l’action de la Ligue des Acheteuses qui mène elle aussi l’enquête sur les conditions de travail, transformant les dames patronnesses en sociologues le playsiennes. Ces militantes fourbissent alors leurs armes dans les dîners mondains, comme le rapporte l’une d’entre elles, Mme Moll-Weiss, lançant à une convive :

13

« Cet admirable corsage de bal vert d’eau, que votre fille, brillante fleur de nos salons, mettra demain soir au bal des B…, Madame, c’est une jeune fille comme elle, du même âge qu’elle — 22 ans — mais émaciée par les privations, mais rongée par la phtisie, qui l’a terminée cette nuit sur une couche d’agonie. Dans quelques semaines, la petite ouvrière se reposera définitivement de ses peines et de ses misères ; dans quelques mois, votre fille ne dansera plus, et jamais plus vous ne la verrez admirée et charmante, captiver tous les regards ; elle se reposera du bal comme la jeune couturière se repose du travail trop dur ; ni l’une ni l’autre n’auront plus aucun besoin.  [25] »

14 La justice bactérienne veille, selon une argumentation bien éprouvée par le registre « classe laborieuse, classe dangereuse », l’insalubrité des pauvres contaminant bientôt la douce vie bourgeoise.

1. 2. L’insoutenable légèreté des mœurs ou la midinette comme étrange objet du désir masculin

15 La bourgeoise n’est pas la seule responsable de la misère de la midinette, qui se suffit à elle-même pour accélérer sa déchéance physique et morale. C’est un fait, elle ne gagne pas de quoi vivre. Mais « on crée des maisons philanthropiques où le logement est à très bas prix. — Mais la jeune femme a besoin de gaîté, a une inconscience pour laquelle il faut vraiment un peu d’indulgence. Elle éprouve la faiblesse de préférer à un repas hygiénique et sain, à une chambrette claire et propre, le fruit vert, la charcuterie grignotée en plein air, le logement insalubre, mais sa liberté enfin !… sa pauvre liberté dont elle finit si souvent par être la victime  [26] ». Les ateliers eux-mêmes peuvent devenir des lieux de perdition pour des jeunes filles célibataires, quand la « Première » n’est pas de bonne moralité. Il en résulte que :

16

« Tout conspire à corrompre celle qui en fait partie : fâcheux propos, mauvais conseils, pernicieux exemples. — Les unes sont troublées par la vue des élégantes qui humilient leur pauvreté ; les autres succombent au besoin d’argent. — Tous les galants, sachant l’état de perpétuelle tentation dans laquelle vit la Midinette, rôdent à l’entour de celle-ci… Parfois, un petit cœur sentimental palpite en écoutant parler d’amour sincère… Hélas ! Il arrive que le Faust de cette Marguerite est le vulgaire délégué d’une maison rivale qui, en la courtisant, n’a voulu que surprendre, par ses confidences, le secret de son atelier : assurer ses patrons que le célèbre Chose va employer la rayure, alors que l’illustre Machin a l’intention de lancer le carreau !  [27] »

17 La midinette a l’amour facile, elle lit des feuilletons et elle se promène en jupe légère, émerveillant les hommes et fixant pour longtemps un imaginaire masculin de la femme. Ainsi Proust dans La Prisonnière :

18

« Je pensais que, par ce dimanche-là, des petites ouvrières, des midinettes, des cocottes, devaient se promener au Bois. Et avec ces mots de midinettes, de petites ouvrières (comme cela m’était souvent arrivé avec un nom propre, un nom de jeune fille lu dans le compte rendu d’un bal), avec l’image d’un corsage blanc, d’une jupe courte, parce que derrière cela je mettais une personne inconnue et qui pourrait m’aimer, je fabriquais tout seul des femmes désirables, et je me disais : “ Comme elles doivent être bien ! ” »

19 Les insinuations sur la moralité de la midinette pouvant difficilement subvenir à ses besoins par son activité professionnelle, vont rarement jusqu’au thème explicite de la prostitution normalement cantonnée aux maisons closes. Cela tient peut-être à l’indulgence des forces de police à l’égard d’une légèreté difficilement assimilable au « commerce de la débauche », mais pouvant être mise à profit ponctuellement dans les périodes de morte-saison. Ainsi, aux dires du préfet Lépine :

20

« Les femmes mariées trompant leurs maris, celles qui “ se vendent pour un cadeau ” ou pour satisfaire un besoin de luxe, les ouvrières en morte-saison, les midinettes […] forment l’armée des “ insoumises ” et une prostitution intermittente, beaucoup plus saine que celle des “ femmes inscrites ”, parce que ces femmes, qui ne sont pas dans la dernière misère, ne se donnent pas au premier venu.  [28] »

21 Intermittentes dans leur activité professionnelle, les midinettes apparaissent tout aussi intermittentes dans une prostitution occasionnelle qui vient limiter les effets de la morte-saison.

22 La chanson contribue cependant à maintenir la réputation de la midinette, dont le « corps frêle et élégant  [29] » est mis en valeur par cet art populaire. Elle s’y présente comme une jeune femme, souvent rapprochée de la fleur, sous une « apparence soignée ». De son anatomie, on retient les jambes découvertes, en ne s’attardant pas sur les mains abimées par le travail. Rêveuse et prise dans ses amourettes, elle pense finalement au mariage et à son installation pour créer une famille. La vertu est donc sauve et la prostitution ramenée au rang des médisances. Le « théâtre de Mimi Pinson  [30] » donne à ces jeunes ouvrières que célèbrent les chansons, l’occasion de s’essayer aux arts du spectacle, sans céder aux dérives du cancan.

2. Les midinettes saisies par le droit

23 Dans une France traumatisée par le massacre de Fourmies, où les festivités du 1er mai 1891 ont donné lieu à la répression féroce de la troupe, faisant 9 morts et de nombreux blessés, la République découvre le « travail » comme une réalité à laquelle vont se trouver rattachées les midinettes et leur sourire légendaire. Le Conseil supérieur du travail créé en janvier 1891, se dote d’un Office du travail en juillet pour constituer les bases de connaissances devant alimenter ses débats. Le socialisme entre de manière plus massive à la Chambre et l’un des députés socialistes, Arthur Groussier, élabore un « Code du travail » de 1896 à 1898 dans lequel il instille nombre de mesures du groupe en les rapportant à la législation existante. Ce projet est repris par le ministre du Commerce et de l’Industrie, l’ex-socialiste Alexandre Millerand, dans une Commission de codification des lois ouvrières et de prévoyance sociale débouchant, en 1905, sur l’adoption d’un code du travail par la Chambre, dont le premier livre entrera en vigueur en 1910. Dans le même temps, une société de juristes, la Société d’études législatives entend préciser les contours de ce « contrat de travail » que le code du même nom a mis à l’ordre du jour, pour remettre en cause la catégorie de « louage d’ouvrage » du Code civil.

24 Le « travail en chambre » est au cœur de ces débats, poussant à l’extrême cette forme de « marchandage » que le Code civil institue. En effet, le Code napoléonien articule sous le « louage d’ouvrage », deux types de contrat. Le premier est le « louage d’ouvrage et d’industrie » (article 1787 à 1799) qualifiant les rapports juridiques des ouvriers travaillant aux pièces en les considérant comme « entrepreneurs en ce qu’ils font » (art. 1799). Sous cette qualification, l’ouvrier aux pièces s’engage à livrer son ouvrage à des négociants, en recourant, le cas échéant, aux membres de sa famille et à d’autres ouvriers qu’il engage en « louage de services ». Ce second type de contrat, défini par l’article 1780, désigne ceux qui s’engagent « pour un temps ou une entreprise déterminés ». Ce dualisme juridique autorise une sous-traitance en cascade qui se révèle, dans toute son ampleur, pour le cas de l’industrie de l’aiguille. Les employés commissionnés des grands magasins font appel à un ensemble d’intermédiaires, qui à leur tour sous-traitent l’ouvrage aux « Entrepreneuses » et à des couturières à domicile entrant sous la catégorie du « louage d’ouvrage et d’industrie » et se trouvant rangées dans le monde des ‘entrepreneurs’. De plus, cet ensemble d’activités productives échappe à la réglementation protectrice qu’institue une « législation industrielle » réservée, comme son nom l’indique, aux établissements industriels.

25 Dès lors, l’enjeu est de concevoir un « droit du travail » qui s’étendrait aux travailleurs à domicile, à partir d’un « contrat de travail » conçu comme liant un salarié à un « employeur ». Cet enjeu rencontre ici la critique virulente du « sweating system » analysé par Marx dans Le Capital, repris par Béatrice Webb pour dénoncer les conditions insalubres de ces travailleurs à domicile que l’on rencontre dans les grandes métropoles du monde industrialisé. En France, cette « question sociale » — qui se caractérise moins par la tyrannie patronale imposant sa discipline aux ouvriers que par l’absence de patron identifiable laissant les ouvriers livrés au libre jeu de la concurrence et à la multiplication des intermédiaires — est au centre des pensées d’un catholicisme social préoccupé par ce constat d’une misère matérielle et morale qui concerne en premier lieu des femmes.

2. 1. Le diagnostic : le travail à domicile comme sweating system

26 Si la midinette n’apparaît sous la plume de Karl Marx que pour qualifier l’innocence avec laquelle Fourrier appréhende le travail, le « travail à domicile moderne » est un des points centraux du livre 1 du Capital, notamment dans le chapitre 13 sur « la machinerie et la grande industrie ». Cela tient à ce que le développement du capitalisme, de la production villageoise et corporative, à la « fabrique » mécanisée, en passant par la « manufacture » prise comme premier regroupement des tâches dans la réalisation de marchandises, n’a pas aboli les stades initiaux sur lesquels il s’est fondé. Au contraire, le développement de la fabrique mécanisée s’accompagne d’une dégradation des conditions du travail à domicile au vu des enquêtes menées par le Parlement britannique. Cela conduit Marx à critiquer l’action du législateur britannique qui se limite, comme dans la France des années 1890, à la fabrique usinière :

27

« La nécessité de généraliser la loi sur les fabriques, de faire d’une loi d’exception destinée aux filatures et aux tissanderies, qui sont les premières formes concrètes de la mécanisation, une loi s’appliquant à toute la production sociale, provient, comme nous l’avons vu, du cours pris par le développement historique de la grande industrie : à l’arrière-plan de celle-ci, la figure traditionnelle de la manufacture, de l’artisanat et du travail à domicile est complètement bouleversée, la manufacture se renverse continuellement en fabrique, l’artisanat en manufacture, et enfin les sphères de l’artisanat et du travail à domicile prennent, dans un laps de temps dont la brièveté étonne, la forme de cavernes infernales où l’exploitation capitaliste donne libre cours à ses monstruosités les plus folles.  [31] »

28 Le « travail aux pièces » qui le caractérise, mais que l’on retrouve aussi dans les formes d’industrie les plus modernes  [32], de la mine à la sidérurgie, peut même apparaître comme la forme la plus rationnelle d’une exploitation se déployant au sein même de la classe ouvrière et en tirant une légitimité difficile à remettre en cause. C’est ici qu’apparaît la caractérisation de cette organisation, sous la dénomination de « sweating system » :

29

« Comme la forme et l’intensité du travail sont ici contrôlées par la forme du salaire elle-même, celle-ci rend superflue une bonne part de la surveillance du travail. C’est pourquoi elle constitue aussi bien la base du travail à domicile moderne précédemment décrit, que celle d’un système d’exploitation et d’oppression structuré hiérarchiquement. Ce dernier comprend deux formes fondamentales. D’une part, le salaire aux pièces facilite l’intrusion de parasites entre le capitaliste et l’ouvrier salarié, le sous-affermage du travail (subletting of labour). Le gain des intermédiaires découle exclusivement de la différence entre le prix du travail que paie le capitaliste et la partie de ce prix qu’il fait parvenir réellement à l’ouvrier. Ce système porte en Angleterre le nom caractéristique de « sweating system ». D’autre part, le salaire aux pièces permet au capitaliste de conclure avec l’ouvrier principal — dans la manufacture, avec le chef de groupe, dans les mines avec le haveur, dans la fabrique avec l’ouvrier mécanicien proprement dit — un contrat à tant la pièce, à un prix pour lequel l’ouvrier principal se charge lui-même de recruter et de payer ses auxiliaires. L’exploitation des travailleurs par le capital se réalise ici au moyen de l’exploitation du travailleur par le travailleur.  [33] »

30 Ainsi, contrairement à une idée reçue, Marx ne prédit pas l’avènement général de la fabrique mécanisée dans Le Capital, mais analyse au contraire la dégradation des conditions de travail dans les formes subsistantes de la manufacture et la croissance contre-intuitive du « travail à domicile moderne » à l’âge de la fabrique mécanisée. Il me semble ici nécessaire de dissiper le contresens que je trouve sous la plume de Green quand elle écrit que « Marx prédisait que la machine à coudre allait transformer les ateliers en grandes usines de production  [34] ».

2. 2. Le sweating system, nouvelle question sociale

31 Les circonstances dans lesquelles la question du sweating system émerge ne sont pas anodines pour notre propos. En effet, cette forme de travail est liée par les observateurs à une dimension essentielle du capitalisme, que les tenants de la Révolution industrielle et de la discipline de la grande entreprise laissent fréquemment de côté, la dimension du commerce et du grand magasin. C’est précisément autour du grand magasin que se cristallise une chaîne de sous-traitance dans le domaine des « nouveautés » et, plus particulièrement, dans la « nouveauté » par excellence que représentent la mode et son dérivé, la confection. Nouvelles formes de commerce et de consommation qui, loin de conduire au développement de « productions de masse », aboutissent à une intensification de la concurrence sous la forme d’un travail à domicile. Ce retour du travail à domicile tient, pour partie, au fait qu’il échappe à toute réglementation et qu’il se confond avec l’activité domestique dévolue aux femmes. Il en résulte une interrogation sur les origines de ces produits qui rendent le luxe accessible, avec la conscience diffuse que le bon marché des marchandises a pour revers la misère de celles qui les produisent. On voit s’esquisser, face à la difficulté de cerner la division du travail qui est à la source de ces produits, une forme de « responsabilité sociale » qu’incarne en France la Ligue sociale des acheteuses, en écho aux ligues américaine et britannique, avec la volonté de mener l’enquête pour mettre au jour les petites mains qui sont derrière ces vêtements.

32 Avec le travail à domicile, ce marchandage que 1848 voulait prohiber prend une proportion catastrophique, que l’on exhibe dans des expositions annoncées comme des « musées des horreurs économiques  [35] » pour contrer l’enthousiasme des expositions universelles, en dressant le tableau des conditions de production des marchandises dans les grandes villes occidentales. En France, le mécanisme est démonté par Pierre Du Maroussem, enquêteur de l’Office du travail sur « le travail à domicile dans l’industrie de la lingerie » qui, bien avant cette enquête publiée en 1909, dans un article de 1893, part du cas du Bon Marché, selon une inspiration proche de celle de Zola. Certes, les employés du Bon Marché, comme plus tard ceux de La Samaritaine, bénéficient de conditions évoquant un paternalisme voisinant une forme d’esprit coopératif, avec une participation aux bénéfices faisant figure d’exemple. Mais ces employés sont pour nombre d’entre eux « commissionnés », c’est-à-dire des commerçants (faisant acte de commerce) par délégation. L’achalandage des rayons fait des chefs de rayon les premiers maillons d’une chaîne de marchandage qui pousse la « concurrence » à un degré extrême. Il en résulte que :

33

« Incontestablement, les grands magasins ont une très large part de responsabilité dans la question du sweating system. Rois incontestés du marché des objets fabriqués d’ordinaire à demeure, ils imposent, par leurs commis intéressés, les rabais qui leur plaisent ; ils écrasent de plus en plus les petits fabricants à court de crédit ; et ceux-ci, par le fait, se voient contraints de pressurer à leur tour la main-d’œuvre, partant d’accroître le sweating system.  [36] »

34 Le marchandage prend alors les traits d’une exploitation sauvage, par une sous-traitance en cascade qui échappe à toute maîtrise :

35

« La même organisation [que celle décrite dans la construction maritime] se retrouve dans les grands magasins. Des ouvriers « à façon » se chargent de toute une livraison, par exemple, de vêtements. Le prix est fixé à la pièce. Le magasin fournit tout, drap, doublure, jusqu’aux aiguilles. Reste la main-d’œuvre. Les façonniers utilisent des ouvriers à la journée, qu’ils embauchent sous le nom de compagnons et paient eux-mêmes. Quelquefois, ils vont jusqu’à remettre tout ou partie de leur ouvrage à d’autres ouvriers à la tâche ou à la pièce qui prennent le nom de sous-marchandeurs. Dans la confection, beaucoup de marchandeurs font travailler leurs ouvriers dans l’atelier même de l’entrepreneur général ou du fabricant, avec ses outils, son éclairage, son chauffage, le prix du forfait étant fixé en conséquence.  [37] »

36 Le genre a son importance dans la division du travail, avec des hommes qui distribuent l’ouvrage à des femmes. Béatrice Webb  [38] dénonce ainsi les middle men qui profitent de leur situation pour obtenir les faveurs des travailleuses. Cette situation de « domination masculine » conduit les observateurs à retrouver les accents de Villermé, sur la dépravation morale des classes ouvrières de la première moitié du XIXe siècle.

37 Partant de la situation du travail à domicile parisien, les analyses de telles pratiques mettent en évidence leur diffusion sous diverses formes. La première est celle de son extension aux campagnes, en particulier « dans les montagnes du Centre et des Vosges »  [39], bénéficier de la main-d’œuvre féminine en période de morte-saison agricole. La deuxième est celle de son extension à une main-d’œuvre étrangère, par exemple dans les pays d’immigration comme les États-Unis ou l’Australasie, mais aussi en France, avec l’arrivée de populations juives persécutées dans les pays d’Europe orientale et en Russie (populations immigrées au centre de l’analyse de Green [1998])  [40]. La troisième est une extension mondiale de la sous-traitance, qui donne au problème du sweating system une dimension internationale  [41].

38 La dénonciation du sweating system conduit à une interrogation large sur la nature des rapports de travail qui s’y nouent. Elle radicalise le rejet du marchandage engagé depuis 1848, en suscitant parfois des propositions d’interdiction totale d’une telle pratique au profit de la production manufacturière. Mais la revendication la plus fréquente est celle d’une intervention du législateur en vue de clarifier la nature juridique de ces rapports, afin d’établir une relation entre le commerçant et le travailleur. Cette revendication se fonde sur l’incapacité des acteurs patronaux, syndicaux et de ce que l’on nommerait aujourd’hui les « parties prenantes » incarnées par les Ligues sociales d’acheteurs, à endiguer le phénomène. Le résultat en est une série de propositions de lois venant tout à la fois du côté socialiste et républicain, et de celui du catholicisme social sous l’impulsion de sa figure de proue, le Comte Albert de Mun. Le diagnostic est le suivant selon Boyaval :

39

« La suppression pure et simple de l’intermédiaire n’est guère possible ; il semble bien qu’il y aurait intérêt à orienter les efforts vers une autre réglementation du marchandage, afin d’en réprimer les abus, par exemple, ainsi qu’on l’a parfois proposé, en rendant plus effective, en ces matières, la responsabilité directe des grands magasins.  [42] »

2. 3. Aux sources du contrat de travail

40 Si le travail industriel inspire une volonté de protection de l’ouvrier à l’égard du pouvoir patronal qui s’affirme dans la diffusion des « règlements d’atelier », la réflexion législative engagée par les juristes de la Société d’études législatives sur le contrat de travail, entre 1904 et 1908, s’inscrit également dans une conjoncture dominée par cette dénonciation du marchandage et du sweating system. Définir le contrat de travail signifie définir la condition du travailleur et l’objet de la transaction qu’il qualifie : cet échange entre « prestation de travail » et rémunération. La chose n’est pas aisée dans le cas de ces couturières allant d’une maison à l’autre, ou, pire encore, prenant de l’ouvrage à domicile. On hésite alors à les qualifier d’ouvrières, louant leurs services, ou d’« entrepreneuses » (surtout quand elles font travailler d’autres ouvrières) s’engageant à réaliser un ouvrage. De plus, cet ouvrage à domicile se distingue peu des tâches domestiques réservées aux femmes, dans lesquelles la confection de vêtements pour les membres de la famille tient une place importante. Néanmoins, pour donner à la catégorie de « contrat de travail » l’extension qui lui permettra de conférer à ce « travail à domicile » l’identité claire d’un « travail », les juristes de cette société entendent se dégager d’une conception du contrat de travail comme reconnaissance de la relation d’autorité et de surveillance qui se noue entre le travailleur et l’employeur, que l’on retrouve dans la loi belge de 1900.

41 Ainsi, en 1906, cette Société regroupant l’élite des juristes français arrive à cette étrange définition :

42

« Article Premier. Le contrat de travail est le contrat par lequel une personne s’engage à travailler pour une autre qui s’oblige à lui payer un salaire calculé, soit à raison de la durée de son travail, soit à proportion de la quantité ou de la qualité de l’ouvrage accompli, soit d’après toute autre base arrêtée entre l’employeur et l’employé.
« Ne sont pas soumis aux dispositions du présent titre les contrats passés par les personnes qui offrent leur travail non à un ou plusieurs employeurs déterminés, mais au public.  [43] »

43 Point important, le contrat de travail est un contrat entre deux personnes, portant sur l’activité de l’une d’entre elle, l’« employé » (pris dans un sens large) s’engageant à travailler pour l’autre nommé « employeur ». La personne « s’engage », et donc n’est pas engagée. Le contrat de travail ne se réduit pas à l’autorité de l’employeur, il suppose ce que l’on nommera aujourd’hui une « prestation personnelle de travail », prérequis indispensable à la qualification de contrat de travail, avant même le constat d’une éventuelle « subordination juridique »  [44]. Autre point important, le contrat de travail se distingue de la fourniture de travail « au public » qualifiée, elle, de « contrat d’entreprise ». Exit la confusion des catégories du Code civil, et notamment de l’article 1799 au terme duquel un ouvrier travaillant aux pièces doit être considéré comme un « entrepreneur ».

44 On aurait pu imaginer que les couturières à domicile ou dans des ateliers familiaux soient évoquées à propos du « contrat d’équipe » (chapitre 4 du projet), permettant d’intégrer les différents éléments de la sous-traitance en cascade par laquelle elles obtiennent de l’ouvrage, en établissant un lien juridique de contrat de travail entre le donneur d’ordres principal et tous les individus qui participent à la sous-traitance. Mais leur cas apparaît dans les discussions ayant trait à l’« abus de faiblesse » (art. 11  [45]), dans les propos du rapporteur Camille Perreau :

45

« Je me bornerai à vous rappeler le très beau livre dans lequel Jules Simon signalait éloquemment la situation misérable des ouvrières en couture, trop souvent réduites, pour vivre, à demander à la prostitution le complément nécessaire d’un salaire de famine. Des faits de cette nature ont provoqué dans certains pays, en Angleterre notamment, de grandes enquêtes officielles. En France même, les cas ne sont pas rares, dans la petite et la moyenne industrie, d’ouvriers réduits à des salaires infimes par suite de l’intervention néfaste d’intermédiaires successifs abaissant le prix de la main-d’œuvre. Il est nécessaire, pour lutter contre de semblables abus, d’inscrire dans la loi une menace et d’établir une garantie en faveur de quiconque peut être victime de l’exploitation abusive de sa situation particulière, de son ignorance économique, de son besoin excessif.  [46] »

46 Le cas des couturières revient dans les débats sur les effets de la rupture et de la suspension du contrat, à propos de l’article 25 du projet, prévoyant que « Lorsque par le fait de l’employeur, l’employé payé à la pièce, à la tâche ou à l’entreprise est maintenu sans occupation à la disposition de l’employeur sur les lieux de travail, à l’atelier ou ailleurs, il a droit, malgré toute convention contraire, à une indemnité correspondant au préjudice qui lui a été causé ». L’enjeu est celui des aléas que fait peser sur l’ouvrage des couturières le bon vouloir des intermédiaires et l’alternance des périodes de presse et de morte-saison. Le rapporteur précise ainsi :

47

« En général, l’employé occupé au temps aura beaucoup plus à souffrir de l’excès de travail que de l’inaction, et si la loi doit intervenir en sa faveur ce sera moins pour lui obtenir du travail que pour réduire la durée de celui qui lui est imposé. C’est pourquoi la Commission n’a pas cru devoir sanctionner par un texte spécial le droit au travail de l’employé payé au temps. Il n’en est plus de même pour l’employé payé à la tâche, à la pièce, à l’entreprise, en un mot pour tous les employés qui ne sont payés que dans la proportion où on les occupe. Sans doute l’employeur sera fréquemment intéressé à les occuper le plus possible pour développer sa production. Mais il peut se faire aussi qu’il soit intéressé à la ralentir provisoirement sans vouloir cependant perdre ses ouvriers. Dans ce cas, si l’employeur est peu scrupuleux, s’il s’agit par exemple d’un de ces sweaters qui exploitent le travail à domicile, il s’efforce de maintenir ses employés à sa disposition en les faisant travailler le moins possible. Il procédera ainsi avec une lenteur excessive et calculée, parfois avec des interruptions habilement ménagées, à la distribution de la matière première ou à la réception de l’ouvrage achevé. […] Le principe de la réciprocité des obligations de l’employeur et de l’employé doit recevoir ici son application, mais il existe, spécialement à l’égard des travailleurs à domicile, de la part de certains grands magasins, et généralement de la part des commerçants qui centralisent les produits de ces travailleurs pour les vendre aux consommateurs, des abus caractérisés, réguliers, organisés, profondément choquants et d’autant plus fâcheux que l’habitude tend à les rendre inconscients, contre lesquels il est essentiel de réagir.  [47] »

48 Ce projet de loi sera sans lendemain immédiat, en dehors de la loi sur la convention collective qui en est directement repris par le ministre du Travail, René Viviani, dans le projet spécifique qu’il présente à la Chambre en 1910 et qui sera adopté par celle-ci en 1913, avant que le Sénat ne l’adopte à son tour en 1919  [48]. Il contribue cependant à renouveler en profondeur le regard sur les rapports de travail, en invitant les acteurs à surmonter la partition entre louage de services et louage d’ouvrage et d’industrie, pour la subsumer sous la partition entre salarié et « employeur ». En ce sens, il accompagne la réforme des conseils de prud’hommes prévoyant en 1907 une extension de la juridiction, au-delà des seuls ouvriers, aux employés, et reconnaissant les femmes non seulement comme justiciables de cette juridiction, mais aussi comme membres éligibles du corps électoral prévu pour l’élection des conseillers. Les débats auxquels donnent lieu cette réforme permettent de voir comment le droit du travail participe à une forme d’égalisation des conditions juridiques de l’homme et de la femme, qui demeure cependant pour nombre de juristes et de syndicalistes, un pis-aller par rapport au souci de préserver la cellule familiale en maintenant la mère de famille au foyer. Ainsi de Raoul Jay, juriste très engagé dans le catholicisme social :

49

« Une tâche urgente s’impose aux pouvoirs publics comme aux particuliers : ils ont le devoir de faire les plus grands efforts afin d’obtenir que le salaire de l’ouvrier soit enfin assez élevé pour permettre à la jeune fille et à la femme de rester au foyer domestique. Pour atteindre ce résultat, je compte avant tout sur l’action combinée de la loi et des organisations professionnelles.  [49] »

3. Le droit saisi par les midinettes

50 La Belle Époque est sensible à la condition des midinettes soumises aux abus du sweating system, tout en suivant les processions de catherinettes d’un air amusé. Mais parallèlement, les midinettes s’organisent, sous l’impulsion notamment de syndicalistes chrétiens comme Marie-Louise Rochebillard qui crée un syndicat d’ouvrières à Lyon en 1899 et forme une des représentantes des couturières à l’Association nationale pour la Protection légale des Travailleurs, Andrée Butillard  [50]. Les courses sportives de midinettes que L’Humanité relate en 1904 cèdent la place à des manifestations. La guerre marque alors un tournant, avec les avancées exceptionnelles de 1915 et 1917, où le mouvement des midinettes conduit à des lois qui inaugurent le mécanisme fondamental de la négociation collective en France, l’extension des accords par arrêté préfectoral à l’ensemble de la profession. Sortant de la rubrique mondaine, les midinettes entrent dans la chronique sociale, luttant au cours de l’entre-deux-guerres pour leurs salaires et inaugurant en 1935 la série des grandes grèves victorieuses qui mèneront au mouvement de mai-juin 1936.

3. 1. Les lois de 1915 et de 1917 sur l’industrie du vêtement

51 Pendant que les débats juridiques suivent leur cours, les midinettes se révèlent sous un autre jour dans la grande grève de 1910. Elles font la une du Temps, en septembre 1910, dans un article du 6 qui en dit long sur la surprise de la bourgeoisie masculine face à une grève de plus de dix jours et aux manifestations qui s’ensuivent. Dans une adresse « Aux Midinettes », l’article présente le mouvement dans les termes suivants :

52

« Pauvres “ midinettes ” ! Leurs réclamations sont peut-être justes ; même légitimes, elles paraissent suspectes à cause de la forme même dans laquelle elles sont présentées. Les “ midinettes ” ne sont pas faites pour la rue. […] À vouloir être trop semblables aux hommes, les femmes en général ne gagnent rien ; elles restent en deçà ou vont au-delà, mais ne les égalent jamais ; dans cet effort d’imitation, elles appauvrissent leurs avantages propres et deviennent inférieures à elles-mêmes. […] Plus que les autres femmes, les “ midinettes ”, sur ce terrain, perdent de leur charme et de leur séduction. Quand leur cortège joyeux déambule, au jour de la Sainte-Catherine, à travers les rues et les carrefours de Paris, les Parisiens applaudissent heureux à cette promenade de “ bouches en cœur ” et de jolis sourires ; mais que ces mêmes visages mutins deviennent de méchantes et maussades figures, que les lèvres marivaudeuses profèrent de grossières injures, que les petites mains gentiment et loyalement ouvertes se ferment en poings menaçants, voilà qui gâte le paysage et défraîchit le souvenir. Les “ midinettes ” ne sauraient avoir l’attitude des émeutières féroces de Germinal ; elles n’ont rien de commun d’autre part avec ces femmes qui, dans Paris, ont fait du boulevard leur domicile et que le vice a rendues “ l’âme mauvaise ” de la rue. Les “ midinettes ” sont au contraire l’âme charmante de la rue. Elles doivent plaider leur cause en restant sur ce terrain qui leur est propre ; leur malice et leur ingéniosité leur suggéreront certainement des procédés plus habiles. »

53 La première guerre change la situation de ces travailleuses. En effet, elle implique l’organisation d’une production de grande ampleur pour alimenter le Front et suscite le rapatriement du front des ouvriers spécialistes de l’armement dès la fin 1914. Dans ce contexte, les décrets Millerand de 1899 prévoyant la référence aux conventions collectives dans les marchés publics trouvent un terrain d’application nouveau, sous l’impulsion du ministre de la Guerre, qui n’est autre que Millerand lui-même et de son sous-sécrétaire d’État, Albert Thomas. Le temps est à l’organisation de commissions mixtes pour établir le niveau des salaires dans la métallurgie, où les ouvriers sont en fait fréquemment des soldats privés, par là-même, du droit de grève. Les midinettes, elles aussi, participent à l’économie de guerre, à travers la production des uniformes. Mais elles demeurent libres de faire grève et, par leurs mouvements, précipitent l’adoption de la loi tant débattue jusque-là, sur l’institution d’un salaire minimum dans l’industrie du vêtement.

54 La loi du 10 juillet 1915 institue, dans chaque région et dans chaque spécialité, deux instances de détermination des conditions minimales du travail  [51]. Une première instance, le comité de salaires, détermine le salaire horaire minimum. Une seconde instance, le comité professionnel d’expertise, détermine le temps de réalisation des articles confiés aux ouvrières à domicile de manière à établir, sur la base du salaire horaire initial, un tarif des prix de façon applicables au travail à domicile. Le comité de salaires est « composé du juge de paix ou du plus ancien des juges de paix en fonction au chef lieu du département, président de droit, de deux à quatre ouvriers ou ouvrières et d’un nombre égal de patrons appartenant aux industries visées par la présente loi » (article 33 f du code du travail). Le comité d’expertise est composé de membres « choisis par la réunion des présidents et des vice-présidents de section des conseils de prud’hommes fonctionnant dans le département. En l’absence de conseils de prud’hommes, ils sont désignés par le préfet. » (article 33 g). Les salaires minimum et les tarifs établis par ces comités peuvent ensuite, pendant trois mois, faire l’objet d’un recours devant une « Commission centrale » au ministère du Travail, qui confie à un enquêteur de l’Office du travail la mission d’apporter les éléments permettant de trancher le litige. Une fois le délai de trois mois expiré, un arrêté préfectoral rend les salaires minimums et les tarifs obligatoires. Cette loi prévoit également que « Tout fabricant, commissionnaire ou intermédiaire, faisant exécuter à domicile les travaux ci-dessus visés, doit en informer l’inspecteur du travail et tenir un registre indiquant le nom et l’adresse de chacune des ouvrières ainsi occupées. » (article 33 a). L’ouvrière doit alors remplir un bulletin à souche ou un carnet indiquant la nature des travaux effectués. Il revient également aux ouvrières et aux syndicats de veiller au respect des salaires minimums et des tarifs par une action devant les conseils de prud’hommes. Une loi du 11 juin 1917 complète celle de 1915, en organisant le « repos du samedi après-midi » dans l’« industrie du vêtement ». Elle est le fruit d’un autre mouvement de grève engagé par les ouvrières parisiennes, après la décision prise par les maisons de couture d’arrêter le travail le samedi après-midi sans compensation de salaire. La loi dispose que « Pendant la durée de la guerre et tant qu’une loi générale ne sera pas intervenue, […] le repos pendant l’après-midi du samedi sera assuré aux ouvrières de tout âge dans des conditions déterminées, pour chaque profession et pour chaque région, en tenant compte des besoins du travail dans les diverses saisons, par des règlements d’administration publique, qui se référeront, dans les cas où il en existera, aux accords intervenus entre les syndicats patronaux et ouvriers de la profession et de la région. » (Article premier).

55 Ces deux lois représentent une révolution dans une profession soumise, jusque-là, à un processus de sous-traitance en cascade. Le commanditaire principal doit désormais être clairement identifié et tenu pour responsable du paiement des salaires, ce qui en fait un « employeur ». Les salaires ne sont plus aux pièces, ils prennent une forme horaire. Bref, les midinettes entrent dans l’âge du salariat. Mais il y a plus, les accords collectifs déterminant les niveaux minimums de salaire et le temps de travail (repos du samedi après-midi sans perte de salaire, que l’on nomme également « semaine anglaise ») feront l’objet d’une réglementation publique garantissant leur application à l’ensemble des membres de la profession. Ainsi, les midinettes ouvrent la voie à ce que l’on va nommer l’« extension des conventions collectives », en poussant le sénateur Paul Strauss, président de la Commission mixte de la Seine, à proposer au Sénat un texte radicalement nouveau sur la convention collective prévoyant leur extension par des arrêtés préfectoraux. Le Sénat, sous la fronde de patrons qu’il compte en son sein, se replie prudemment sur le projet adopté par la Chambre en 1913 pour adopter la première loi sur la convention collective en 1919. Mais l’idée demeure et fournira la base de la loi du 24 juin 1936, pour les « conventions de branche ».

3. 2. Les midinettes et le Front populaire

56 Les midinettes n’en ont pas fini avec l’action collective, une fois la guerre finie. Après les grèves de 1915, de 1917 et les lois qui s’en sont suivies, les midinettes se remettent en grève en octobre-novembre 1918. Elles ont droit, au cours de l’entre-deux-guerres, à des articles relatant leurs faits d’armes dans L’Humanité alors que le journal de Jaurès s’en tenait, avant-guerre, à leurs exploits sportifs (avec la course des midinettes à Berlin en 1904) et à la chronique du théâtre de Mimi Pinson. En 1925, la « conférence féminine » qui se réunit pour organiser une grève des femmes de 24 heures contre la guerre du Rif est l’occasion pour une syndicaliste de l’habillement de préciser que « les « midinettes » ont, durant la guerre, démontré ce qu’elles pouvaient faire. Il est donc nécessaire de continuer la propagande, et, ainsi, là comme ailleurs, nous aurons des résultats ». En 1926, le journal relate la grève des « midinettes » de la maison Femina à Fécamp contre des baisses de salaire. En 1928, c’est au tour des midinettes parisiennes de faire face à des baisses de salaire. Au début des années 1930, le chômage frappe. En 1934, le journal annonce la publication, dans l’hebdomadaire Regards, d’un reportage d’Elsa Triolet sur les midinettes intitulé « l’industrie souriante ».

57 Entretemps, la loi sur les assurances sociales adoptée en 1928 a ouvert la vaste question des « assujettis obligatoires », c’est-à-dire des salariés ne pouvant pas échapper à l’assurance et aux cotisations qu’elle implique pour eux et leurs « employeurs ». Le principe de la « subordination » comme critère de l’assujettissement obligatoire est alors avancé par le juriste Paul Pic, à la suite du fameux arrêt Bardou de 1931, pour tenter de mettre à l’écart tout ceux qui ne travaillent pas sous l’autorité directe d’un « employeur ». La situation des gérants de succursales devient incertaine, entre indépendance et salariat, celle des chefs d’atelier de la rubanerie stéphanoise bascule dans l’entreprenariat en scellant le déclin définitif d’une industrie où ces derniers avaient été particulièrement combatifs contre les négociants et aux avant-postes de la négociation de tarifs collectifs. Mais la jurisprudence des années trente est constante pour les « ouvrières à domicile » dont les « employeurs » tentent d’échapper à la « cotisation » en invoquant leur indépendance, les déclarant systématiquement assujetties obligatoires aux assurances sociales et donc les confortant dans leur situation de salariées.

58 C’est dans ce contexte, qu’un mouvement d’une ampleur inédite intervient en mai 1935, à la suite d’une nouvelle diminution de salaire. Plus de 2 000 midinettes parisiennes en grève annonce l’Huma le 20 mai. La victoire est obtenue dans vingt et une maisons sur 24, le 24 mai, avec retrait des baisses de salaire, interdiction du travail aux pièces et absence de sanctions pour faits de grève. Les midinettes organisent un bal pour fêter la victoire le 30 mai. Elles entrent dans l’imaginaire du prolétariat, montrent la possibilité de luttes victorieuses en temps de crise, au congrès de la CGTU qui, en septembre 1935, conduit à la réunification avec la CGT : « Il y a eu plusieurs grèves dans l’habillement, et vous vous rappelez la victoire des midinettes dans la région parisienne, qui a développé l’esprit de lutte des travailleuses et des ouvrières dans l’ensemble de l’habillement de notre région » déclare Eugène Henaff  [52]. Eugène Henaff sait de quoi il parle. Au sein de la CGTU, il est secrétaire général de l’Union régionale des syndicats de la région parisienne et reçoit, à ce titre, en 1935, une délégation des midinettes en grève. Il rencontre alors celle qui va devenir sa femme, Germaine, à cette occasion. Dans L’Huma, les midinettes font l’objet d’une sollicitude nouvelle, ainsi, un article du 11 mai « Quand les midinettes descendent dans la rue », alors que les grèves se diffusent dans l’aéronautique, revient sur l’histoire de leurs luttes. Il commence par un témoignage : « les grèves que nous avons dû mener en 1917 et en 1919 ne sont qu’un épisode de notre lutte revendicative, me dit une vieille ouvrière. Une vieille, parfaitement. En effet, contrairement à ce que l’on croit, les midinettes ne sont pas toutes des jeunes ». L’imaginaire prolétarien s’affronte à l’imaginaire masculin.

59 Viennent les grèves de mai-juin 1936, qui précèdent l’arrivée d’une majorité de Front populaire à la Chambre et celle de Léon Blum à la présidence du Conseil. Au milieu des grèves victorieuses qui s’accumulent, un entrefilet du 12 juin, dans L’Huma, annonce que « 10 000 midinettes sont victorieuses », avec la signature d’un contrat collectif prévoyant notamment la suppression du travail aux pièces et une hausse des salaires de 12 %. Mouvement relativement précoce dans la déferlante des grèves, les midinettes ont leur place dans l’avant-garde ouvrière qui se cristallise autour de la figure du « métallo »  [53]. La convention collective « réglant les rapports entre employeurs de la couture et leurs ouvrières dans les départements de Seine et de Seine-et-Oise » est signée le 10 juin, deux jours avant la convention « modèle » des ouvriers de la métallurgie parisienne. Les midinettes désignent maintenant les travailleuses des maisons de couture, qu’elles travaillent en atelier ou à domicile. Leur convention définit leur travail : « Est considéré comme travail de couture, tout travail nécessitant un ou plusieurs essayages bâtis, sur mannequin ou sur une cliente, et est réglé par ledit contrat » et une classification : « Seules les catégories suivantes seront maintenues : premières mains, secondes mains qualifiées, secondes mains débutantes, petites mains, apprenties de deuxième année et de première année ». La confection fait l’objet d’autres conventions, ainsi de la convention de « l’industrie des faux-cols, manchettes et devants de chemises en gros de la région parisienne » où l’on trouve un ensemble d’articles sur le travail à domicile et sur les « entrepreneurs »  [54], ou de celle de la « confection des vêtements imperméables et caoutchoutés de la Seine ». La sous-entreprise ouvrière et le travail à domicile sont dans la ligne de mire, mais sans pouvoir arriver à sa suppression pure et simple  [55]. Dès lors, le but est de démasquer les « faux artisans », en soumettant cette forme de production aux acquis sociaux du Front populaire comme la semaine de quarante heures ou les congés payés. Sans disparaître immédiatement, le travail à domicile entre dans son déclin  [56] et les midinettes, après avoir porté un coup fatal au sweating system, ont désormais le loisir de se consacrer à la célébration folklorique de la Sainte Catherine en affinant leurs toilettes pour faire tourner la tête des séducteurs.

Conclusion

60 La midinette fait partie de ce monde du travail à domicile que le droit du travail s’est annexé en se constituant comme tel, pour sortir des limites de la « législation industrielle » et surmonter les formes radicales de marchandage liées au sweating system. Victime de sa naïveté dans sa relation aux hommes et aux « intermédiaires », elle est devenue, à partir de la première guerre, un des acteurs de ce droit naissant, contribuant à ouvrir les voies de la convention collective moderne, comme « loi de la profession » s’appliquant par voie de réglementation publique. Elle s’est affirmée dans l’entre-deux-guerres comme une des figures majeures de la classe ouvrière qu’entendait incarner le Parti communiste, jusqu’à devenir l’avant-garde féminine de cette classe dans les grandes grèves du Front populaire. Elle n’est finalement restée que comme figure d’une femme sentimentale dans l’imaginaire masculin — et féminin voire féministe — de notre époque, sous l’effet probable de ce refoulement qui frappe aujourd’hui le travail et son histoire dans la société française.

61 La grande politique du travail initiée par le socialisme naissant dans la jeune République, au cours des années 1890, paraît ainsi bien lointaine, pour ce socialisme du XXIe siècle résolument tourné vers les PME et la création d’entreprises. Fière de sa mission à la Banque publique d’Investissement, Ségolène Royal se présentait ainsi dans une émission de radio  [57], comme la championne de ces femmes qui doivent lutter, plus encore que les hommes, pour mener à bien leur projet de création d’entreprise. On pourrait voir là le retour de ces « Entrepreneuses » qui défrayaient la chronique, un siècle plus tôt, par leur exploitation des midinettes. Mais les désillusions à l’égard d’une gauche qui, à force de se croire « moderne », renoue avec les archaïsmes du marchandage, sont mauvaises conseillères, et je préfère retrouver ces midinettes avant-gardistes sous les traits des ouvrières de Lejaby qui se battent aujourd’hui pour recréer leurs emplois. Il resterait aussi, pour retrouver les formes de cette exploitation subie par les midinettes sous l’empire du « sweating system », à suivre les méandres d’une globalisation sauvage où la politique d’« outsourcing » des grandes marques françaises ou de distributeurs comme Auchan, conduisent au décès d’un millier de travailleurs sous les décombres de leur atelier.

Notes

  • [1]
    Héritières des « grisettes », on les nomme aussi les mimis pinsons en hommage au conte de Musset.
  • [2]
    Sylvie TISSOT, « Une midinette aux ongles laqués », Le Monde diplomatique, février 2008.
  • [3]
    Anne MONJARET, Le Paris des midinettes. Mise en culture de figures féminines XIXe-XXIe siècles, Paris, Rapport de recherche du Centre d’études sur les liens sociaux, 2008.
  • [4]
    Pierre ROLLE, « Le salariat, au-delà du contrat », in François VATIN (dir.), Le salariat. Théorie, histoire et formes, Paris, La Dispute, 2007, p. 81-105, p. 81.
  • [5]
    Robert CASTEL, Les métamorphoses de la question sociale, une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
  • [6]
    Pierre ROLLE, « Le salariat, au-delà du contrat », op. cit., p. 81-82.
  • [7]
    Georges RÉGNAL, Comment la femme peut gagner sa vie, Paris, Taillandier, 1908.
  • [8]
    Ibidem, p. 1.
  • [9]
    Anne MONJARET et Michela NICOLAI, « La midinette en chansons : représentations masculines d’un idéal féminin populaire (1830-1939) », in Jan-Ré MÉLODY, Le genre à l’œuvre, vol. 3, « Représentations », Paris, L’Harmattan, 2012, p. 101-116, p. 104.
  • [10]
    Georges RÉGNAL, Comment la femme peut gagner sa vie, op. cit., p. 49.
  • [11]
    Ibidem.
  • [12]
    Ibid.
  • [13]
    Ibid., p. 50.
  • [14]
    Ibid.
  • [15]
    Ibid., p. 52.
  • [16]
    Ibid., p. 53.
  • [17]
    Ibid.
  • [18]
    Ibid., p. 54.
  • [19]
    Pierre DU MAROUSSEM, La petite industrie (salaire et durée du travail), tome 2, l’industrie du vêtement, Paris, Office du Travail, Imprimerie Nationale, 1896.
  • [20]
    Ibidem, p. 7.
  • [21]
    François FAGNOT, La réglementation du travail en chambre, Paris, Association nationale pour la protection légale des travailleurs, 1904.
  • [22]
    Nancy GREEN, Du Sentier à la 7e avenue. La confection et les immigrés. Paris-New York 1880-1980, Paris, Éditions du Seuil, 1998, p. 112.
  • [23]
    Georges RÉGNAL, Comment la femme peut gagner sa vie, op. cit., p. 52.
  • [24]
    Ibidem.
  • [25]
    Citée in Paul BOYAVAL, La lutte contre le Sweating System. Le minimum légal de salaire, l’exemple de l’Australasie et de l’Angleterre, Paris, Félix Alcan, 1909, p. 73, n° 1.
  • [26]
    Georges RÉGNAL, Comment la femme peut gagner sa vie, op. cit., p. 51.
  • [27]
    Ibidem, p. 54.
  • [28]
    Jean-Marc BERLIÈRE, « Limites et réalités d’une police républicaine, la police des mœurs sous la IIIe République », in CURAPP, Les bonnes mœurs, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 277-291, p. 278.
  • [29]
    Anne MONJARET et Michela NICOLAI, « La midinette en chansons : représentations masculines d’un idéal féminin populaire (1830-1939) », op. cit.
  • [30]
    La figure de Mimi Pinson illustre la figure de la « proto-midinette » (Anne MONJARET et Michela NICOLAI, « La midinette en chansons : représentations masculines d’un idéal féminin populaire (1830-1939) », op. cit.) que l’on nomme « grisette » dans les années 1840, immortalisée par le conte d’Alfred de Musset, Mimi Pinson, Profil de Grisette ».
  • [31]
    Karl MARX, Le Capital, livre 1 (Traduction coordonnée par J.-P. Lefebvre), Paris, Presses universitaires de France, 1993 [1ère publication allemande 1867], p. 551.
  • [32]
    Ibidem, cf. chapitre 19.
  • [33]
    Ibid., p. 620 (souligné par nous).
  • [34]
    Nancy GREEN, Du Sentier à la 7e avenue. La confection et les immigrés. Paris-New York 1880-1980, op. cit., p. 17.
  • [35]
    Paul BOYAVAL, La lutte contre le sweating system. Le Minimum légal de salaire, l’exemple de l’Australasie et de l’Angleterre, op. cit., p. 99.
  • [36]
    Ibidem, p. 178.
  • [37]
    Justin ALLAIS, La question du marchandage, thèse pour le doctorat de droit de l’université de Paris, Épernay, Imprimerie du « Courrier du Nord-Est », 1898, p. 10.
  • [38]
    Dans un rapport présenté au congrès coopératif de Rochdale et traduit sous le titre « Pour en finir avec le sweating system » dans la Revue d’économie politique en 1893.
  • [39]
    Paul BOYAVAL, La lutte contre le sweating system. Le minimum légal de salaire, l’exemple de l’Australasie et de l’Angleterre, op. cit., p. 128.
  • [40]
    On retrouve un schéma qui ne manque pas d’actualité, avec aujourd’hui les ateliers clandestins occupant des travailleurs pakistanais ou chinois sans papiers.
  • [41]
    Pauline BARRAUD DE LAGERIE, « Le salaire de la sueur : un éclairage socio-historique sur la lutte anti-sweatshop », Sociologie du travail, 2012, 54, p. 45-69.
  • [42]
    Paul BOYAVAL, La lutte contre le sweating system. Le minimum légal de salaire, l’exemple de l’Australasie et de l’Angleterre, op. cit., p. 185.
  • [43]
    Société d’études législatives, Bulletin, 1906, p. 507-508.
  • [44]
    Antoine JEAMMAUD, « La Cour de cassation escamote le problème », Semaine Sociale Lamy, dossier spécial « La tentation du contrat de travail », n° 1403, 8 juin, p. 14, 2009.
  • [45]
    « Article 11. Doit être considérée comme illicite toute clause du contrat de travail par laquelle l’une des parties a abusé du besoin, de la légèreté ou de l’inexpérience de l’autre pour lui imposer des conditions en désaccord choquant avec les conditions habituelles de la profession et de la région. » (Société d’études législatives 1906, p. 510)
  • [46]
    Ibidem, p. 170.
  • [47]
    Lucien BROCARD, « Rapport sur les effets et la cessation ou rupture du contrat de travail présenté au nom de la commission », op. cit., 1906, p. 396-397.
  • [48]
    Claude DIDRY, Naissance de la convention collective. Débats juridiques et luttes sociales en France au début du XXe siècle, Paris, Éd. de l’EHESS, 2002.
  • [49]
    Cité in Robert BAFFOS, La prud’homie : son évolution, thèse pour le doctorat en droit, Paris, Arthur Rousseau, 1908, p. 146.
  • [50]
    Marie-Thérèse AVON-SOLETTI, « L’unité comme fondement de l’action des catholiques sociaux dans le monde du travail », in Jean-Pierre Le Crom, Les acteurs dans l’histoire du droit du travail, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004, p. 150.
  • [51]
    Renvoyons pour plus de précision à Colette Avrane, Ouvrières à domicile. Le combat pour un salaire minimum sous la Troisième République, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2013.
  • [52]
    CGTU, Congrès national ordinaire. VIIIe congrès de la CGTU, Issy-les-Moulineaux du 24 au 27 septembre 1935, Paris, p. 121.
  • [53]
    Gérard NOIRIEL, Les ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècles, Paris, Seuil, 1986.
  • [54]
    « Article 41. À compter du jour de la signature du présent contrat et avant délivrance de tout nouveau travail, l’employeur devra aviser individuellement tous ses entrepreneurs par lettre recommandée avec avis de réception que tout travail accepté par ce dernier, à compter de la réception du présent avis, constituera engagement de sa part d’appliquer à tous leurs travailleurs à l’intérieur et à domicile les tarifs prévus au présent contrat. »
  • [55]
    Laure MACHU, Les conventions collectives du Front populaire. Construction et pratiques du système français de relations professionnelles, Nanterre, thèse pour le doctorat en histoire, 2011, p. 447.
  • [56]
    Ce déclin se manifeste dans l’après-guerre, après que cette « forme d’emploi » fut devenue une forme « particulière » d’emploi, au regard de la reconnaissance du contrat de travail comme cadre juridique « de droit commun » pour les rapports de travail (cf. Michel LALLEMENT, Marges du salariat et flexibilité du travail, le cas du travail à domicile dans les pays industrialisés, thèse pour le doctorat de l’Université de Paris 1, 2 volumes, 1998). Il paraît connaître un regain avec la crise des années 1970-1980, sous la forme du « travail au noir », comme le souligne Jean-Pierre Durand pour qui : « Nous pouvons ainsi dire que dans le secteur de la confection féminine, et dans d’autres que nous analyserons plus loin, le travail à domicile, par le biais de la grande industrie et de la sous-traitance érigée en système de gestion, connaît un développement relativement important dans la crise » (cité par Michel LALLEMENT, ibidem, vol. 2, p. 500).
  • [57]
    Comme lors de son passage sur France Inter de 8h à 9h, le 3 mars 2013.
Français

Derrière la midinette, aux amours sincères mais légères, c’est le « sweating system » de la couture à domicile qui se profile. Figure essentielle de la féminité dans l’imaginaire masculin, la midinette est ainsi associée à cette forme de sous-traitance en cascade qui alimente la confection des grands magasins. Au cœur de cette « question sociale » qui hante la fin du XIXe siècle, elle devient un des exemples à partir duquel les juristes de la Société d’études législatives envisagent le « contrat de travail » comme cadre juridique permettant d’imputer au donneur d’ordre principal la qualité d’« employeur ». À partir des années 1910, la midinette ne se définit plus seulement comme la charmante ouvrière que l’on voit déjeuner dans les espaces publics, ou la participante du joyeux cortège des catherinettes. Les cortèges qu’elle fréquente sont ceux de grévistes revendiquant une amélioration de leurs conditions de travail. De la Première guerre au Front populaire, les couturières à domicile apparaissent alors comme les héroïnes d’une épopée ouvrière oubliée, contribuant à des avancées aussi remarquables que l’extension des conventions collectives.

Claude Didry
Institutions et Dynamiques historiques de l’économie - IDHE
ENS Cachan
Mis en ligne sur Cairn.info le 10/03/2014
https://doi.org/10.3917/lhs.189.0063
Pour citer cet article
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