CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Cette méthode, pourtant largement plébiscitée, est le plus souvent proposée par des établissements privés hors contrat, c’est-à-dire réservée à une élite. Dans une banlieue défavorisée de Lyon, une école publique expérimente ses principes depuis cinq ans.

1 École maternelle Ambroise-Croizat, Vaulx-en-Velin. Il est 8 h 20, la classe est prête. Sur les petits meubles s’aligne harmonieusement le fameux matériel en bois imaginé par le médecin italien Maria Montessori : lettres rugueuses pour se familiariser avec le tracé, plateau de transvasement pour développer la motricité et l’attention, clochettes métalliques pour l’éveil musical, etc. Dans un coin sont enroulés les tapis individuels avec lesquels les élèves délimiteront leur espace de travail personnel. Du mobilier jusqu’aux balais et serpillières, tout ici est adapté aux mains enfantines. Ni bureau de maître, ni fenêtre à la vue inaccessible, ici ce sont les enfants qui accueillent les adultes.

2 Pour original qu’il soit, ce matériel n’est pas hors de prix : « On pense souvent que le plus compliqué est de financer le matériel. En réalité, il est facile d’en construire une partie soi-même. Pour le reste, notre budget est le même que celui des classes ordinaires », explique Alexis Gascher, professeur des écoles. Pas d’étiquette pour les prénoms, pour éviter la lecture globale, déconseillée par les chercheurs en sciences cognitives ; pas de jouets d’imitation, conformément aux principes montessoriens, selon lesquels les enfants font « pour de faux » faute de pouvoir faire « pour de vrai ».

3 Peu à peu, les élèves s’installent : ici, une enfant de petite section manipule les cubes de taille croissante de la « tour rose » ; là, un garçon de moyenne section tourne et retourne des barres de différentes longueurs. Plus loin, deux élèves de grande section s’interrogent mutuellement sur leur connaissance des lettres. Chacun vaque à ses occupations, sort et range le matériel nécessaire à ses activités de manière autonome. Sans jamais battre le rappel, le maître passe d’un élève à l’autre, tantôt pour présenter un nouveau matériel, tantôt pour rappeler à l’ordre ou évaluer les progrès : « La pédagogie Montessori exige un changement radical de posture de la part de l’enseignant : on n’est plus celui qui planifie la progression d’une classe entière mais celui qui observe chaque élève et l’accompagne individuellement selon ses besoins », précise l’enseignant.

4 Plébiscitée pour son matériel axé sur la découverte sensorielle et son respect des rythmes de l’apprentissage, la pédagogie Montessori est de surcroît réputée capable de révéler au mieux le potentiel intellectuel de chaque enfant.

Un des principes de la méthode : associer l’action du corps à l’apprentissage intellectuel.

Un enseignement destiné aux enfants des quartiers populaires

5 Ici, tout a commencé en 2011, du désir d’un petit groupe de maîtres de développer une pédagogie plus rationnelle : « Nous venions de regarder une conférence du psychologue cognitiviste Stanislas Dehaene dans laquelle il faisait remarquer, à raison, que les enseignants ignoraient comment le cerveau apprenait », raconte Alexis Gascher. La petite troupe décide d’appliquer les connaissances des sciences cognitives, via la pédagogie Montessori, considérée par Stanislas Dehaene comme la méthode le plus en adéquation avec les données de la recherche. Encouragés par leur chef d’établissement et soutenus par l’inspecteur pédagogique de leur circonscription, les enseignants mettent sur pied un projet d’expérimentation encadré par la Coordination académique recherche-développement, innovation et expérimentation du rectorat de Lyon (Cardie) : « Contrairement à ce qu’on entend souvent, il est tout à fait possible d’innover au sein même de l’Éducation nationale dès lors qu’on ne se lance pas seul tête baissée », explique Alexis Gascher, aujourd’hui coordinateur du projet. À partir de la rentrée 2013, trois puis quatre classes mélangeant les trois niveaux de maternelle s’ouvrent au sein de l’école, avec l’objectif de tester un maximum de principes et d’outils issus de la pédagogie Montessori. Le lieu même, une zone d’éducation prioritaire, est emblématique : « La réduction des inégalités sociales est la plus urgente mission de l’école publique française. Du reste, c’est pour ces enfants-là que Maria Montessori a développé ses outils, au début du XXe siècle », rappelle l’enseignant.

Accompagnés individuellement par leur enseignant, les élèves sont autonomes dans le choix de leurs activités mais doivent attendre que le matériel dont ils ont besoin se libère. À eux de remettre chaque outil pédagogique a sa place après utilisation.

Démystifier la méthode

6 Pour audacieux qu’il soit, le projet ne se situe pas moins aux antipodes de ceux qui présentent la pédagogie Montessori comme une panacée : « Dès le début, on a cherché un moyen d’évaluer si nos actions étaient réellement bénéfiques au développement cognitif des élèves. On souhaitait que notre expérimentation fasse des émules, mais pas sur la seule foi d’enseignants enthousiastes ! » martèle Alexis Gascher. Un partenariat a donc été établi en 2014 avec l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod : régulièrement, des chercheurs viennent évaluer les 25 élèves des quatre classes Montessori, mais aussi ceux des cinq autres classes de l’établissement ainsi que ceux d’une école privée Montessori du centre-ville de Lyon, à titre de comparaison. L’entrée dans un dispositif de recherche a apporté un réel soutien : il a notamment permis de financer vingt-six semaines de formation à la pédagogie Montessori pour Alexis Gascher, désormais chargé de former ses collègues. Mais il a aussi imposé des contraintes : répartition aléatoire des enfants, encadrement de la communication avec les parents… L’enjeu était en effet de limiter l’effet placebo, les progrès des enfants pouvant résulter d’un fort engouement parental : « On a longtemps évité de parler explicitement de pédagogie Montessori devant les parents. Cela commence tout juste à se savoir », précise Sandra Pineiro, directrice de l’école et ancienne enseignante au sein du projet. Impatiente de pouvoir pleinement associer les parents, l’équipe attend donc de pied ferme les premiers résultats des chercheurs, annoncés pour l’automne 2019 : « Nous sommes fiers de ce que nous faisons : nos élèves dépassent les minimums exigés par les programmes, de nombreux enfants sont déjà lecteurs en dépit d’un contexte social difficile, nos collègues de CP vantent l’autonomie des élèves qui viennent de chez nous. Nous avons vraiment hâte de voir ces constatations confirmées scientifiquement ! »

Le point sur la recherche

Depuis la parution, en 2016, de l’ouvrage de Céline Alvarez Les lois naturelles de l’enfant (Les Arènes), la pédagogie Montessori concentre tous les espoirs. Il faut dire que les résultats que cette enseignante rapporte sont spectaculaires : enfants lecteurs dès la petite section de maternelle, en avance de plusieurs années en mathématiques et en français. Aurions-nous enfin découvert la panacée pédagogique ?
La communauté scientifique n’est pas aussi catégorique. Édouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève, a recensé l’essentiel des travaux scientifiques sur le sujet1. Si les sciences cognitives se sont intéressées à la pédagogie Montessori dès la fin des années 1960, les études de qualité sont encore peu nombreuses. En majorité, elles mettent en évidence ses effets bénéfiques. La plus célèbre, publiée en 2006 dans la prestigieuse revue Science, a suivi 112 élèves durant plusieurs années. Elle relevait chez eux, à l’âge de 5 ans, de meilleures compétences mathématiques et langagières ainsi que de meilleures aptitudes cognitives (flexibilité) et de meilleures compétences sociales. Des effets positifs étaient encore constatés à 12 ans, avec notamment une plus grande créativité et de meilleures compétences sociales. D’autres études ont mis en lumière une plus grande motivation intrinsèque, une plus grande capacité d’attention ou encore une plus grande mobilité des élèves instruits en pédagogie Montessori.
Reste que ces résultats ne sont pas homogènes d’une étude à l’autre. Édouard Gentaz l’explique par la présence de nombreux biais : degré d’application des principes de la pédagogie inégal selon les établissements, absence fréquente de groupe témoin et surtout effet placebo, lié à l’enthousiasme des parents et des enseignants. Par ailleurs, les scientifiques ignorent si les outils Montessori conservent leur efficacité quand ils sont utilisés isolément ou si cette dernière est tributaire d’une application intégrale de la méthode.
B.K.
1. S. Dénervaux et É. Gentaz, « Les effets de la “méthode Montessori” sur le développement psychologique des enfants : une synthèse des recherches scientifiques quantitatives », ANAE n° 139, 2015.
Béatrice Kammerer
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 06/12/2018
https://doi.org/10.3917/epar.629.0052
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