CAIRN.INFO : Matières à réflexion
L’on a fait nombre de critiques sur Balzac et parlé de lui de bien des façons, mais on n’a pas insisté sur un point très caractéristique à notre avis ; − ce point est la modernité absolue de son génie. […]
Balzac, comme Gavarni, a vu ses contemporains ; et, dans l’art, la difficulté suprême c’est de peindre ce qu’on a devant les yeux […].
Être de son temps, – rien ne paraît plus simple et rien n’est plus malaisé ! Ne porter aucunes lunettes ni bleues ni vertes, penser avec son propre cerveau, se servir de la langue actuelle, ne pas recoudre en centons les phrases de ses prédécesseurs ! Balzac posséda ce rare mérite. […]
Pour exprimer cette multiplicité de détails, de caractères, de types, d’architectures, d’ameuble­ments, Balzac fut obligé de se forger une langue spéciale, composée de toutes les technologies, de tous les argots de la science, de l’atelier, des coulisses, de l’amphithéâtre même. Chaque mot qui disait quelque chose était le bienvenu et la phrase, pour le recevoir ouvrait une incise, une parenthèse, et s’allongeait complaisamment [1].
Théophile Gautier

1Dans cet extrait de la série d’articles que Gautier consacre à Balzac au printemps 1858 dans L’Artiste, Gautier a su dire l’essentiel du rapport de Balzac à la modernité : de Balzac « peintre de la vie moderne », pourrait-on dire, pour reprendre l’expression que Baudelaire emploiera, en 1863, à propos de « Monsieur G. », le peintre et dessinateur Constantin Guys, « observateur, flâneur, philosophe », qu’il inclut dans la série des « peintres de mœurs », comprenant Gavarni, Daumier et Devéria : autant de « peintres de la circonstance », et donc, selon lui, de « compléments » graphiques ou plastiques « de La Comédie humaine [2]».

2Certes, c’est Baudelaire qui, le premier, avant Gautier, a insisté sur la modernité de Balzac, dans la conclusion du Salon de 1846. Il y fait de Balzac le poète romanesque d’un nouvel héroïsme, « l’héroïsme de la vie moderne », héroïsme en bottes vernies et en habit noir [3], mais aussi le modèle d’un autre romantisme, plus moderne, unissant intimité, sentiment de l’infini, et couleur, qu’il oppose au romantisme académique de Hugo, et qu’il rapproche en revanche de celui de Delacroix.

3Certes, Baudelaire et Gautier ne sont pas les seuls à avoir mis l’accent sur la modernité de Balzac : semblable lecture se retrouve chez d’autres critiques du temps — Émile Deschamps, dès 1831 [4], Taine [5], ou encore Caro [6] en 1858 –, mais aussi chez un ami de Gautier et de Flaubert : Louis de Cormenin [7]. Mais c’est bien Gautier pourtant, qui, dans ces pages senties où il se propose d’« appuyer [8] » sur la « modernité de Balzac », a mis l’accent sur l’essentiel : non tant sur Balzac penseur du monde moderne, ce sur quoi ce sont Caro et Taine qui insistent, mais plutôt sur Balzac « peintre de la vie moderne », observateur mais aussi amoureux de la vie moderne.

4Penser, sentir, peindre le moderne : tels sont les trois aspects complémentaires du rapport de Balzac à la modernité. Penser le moderne : c’est évidemment le projet du Balzac philosophe de l’histoire. Souvent certes antimoderne dans ses prises de position contre une société minée par l’individualisme et la puissance abstraite de l’argent, alors que – sans qu’il lui arrive de mettre le doigt lui-même sur cette contradiction ni que Gautier ne la remarque –, il est en fait une sorte de drogué de modernité, qui, avant de chercher à en traduire les transes sur le plan romanesque, vit plongé dans le stream du moderne, le sent, le voit, l’entend. Ce qui le rend d’autant plus disposé à mettre toutes les ressources de son « esprit de chercherie » (Baudelaire encore [9]) pour en communiquer la vibration à ses lecteurs. Mais ce sur quoi j’aimerais insister ici, c’est sur le binôme : « Sentir/exprimer le moderne », tel que suggéré par Gautier.

5Je me propose donc de prendre Balzac comme manifestant d’abord un rapport immédiat, sensoriel, sensuel, aux choses de la modernité, en particulier côté ville, côté rythmes syncopés de la nouvelle vie urbaine, mais aussi, tout comme « M. G », côté mode et côté femmes. Côté lorettes, côté lionnes, côté « marcheuses », côté rates d’opéra comme les appelle Gazonal dans Les Comédiens sans le savoir. Mais aussi côté « femmes comme il faut », cette dégénérescence moderne de la grande dame [10].

6Ce Balzac-là, qui a des antennes de modernité spéciales, me semble déjà très semblable à cette figure idéale du peintre de la vie moderne que Baudelaire décrira en 1863 comme « un moi insatiable du non-moi », comme « un amoureux de la vie universelle, entr[ant] dans la foule comme dans un immense réservoir d’électricité » ; comme « un kaléidoscope doué de conscience qui, à chacun de ses mouvements, représente la vie multiple et la grâce mouvante de tous les éléments de la vie [11] ».

7Mais ce Balzac-là est aussi celui qui, très tôt, est séduit non seulement par le côté visuel, daguerréoscopique,kaléidoscopique de la vie moderne, en particulier parisienne, mais aussi par ses stéréophonies et ses dissonances. Balzac ne se contente pas en effet de voir le moderne. Il n’est pas seulement un peintre de mœurs, croquant les figures mouvantes que le nouveau décor de la vie sociale propose à son regard d’observateur, se saisissant des corps qui passent, cherchant à en décrypter les mobiles signifiances. Il est aussi quelqu’un qui entend le moderne, sa bande son : qui a une oreille spéciale pour ses gammes orales, pour ses nouveaux ethos, pour ses diverses démarches de parole[12].

8Il est séduit surtout par les sautes et les frasques de la conversation urbaine ; par ses humeurs, ses folies, ses trouvailles. Cela, très tôt, dès Sarrasine, qui commence par une conversation dans le salon des Lanty (1830), dès l’« orgie de paroles » du festin Taillefer de La Peau de chagrin (1831), mais aussi, de manière encore plus résolue, dès Une conversation entre onze heures et minuit (janvier 1832), texte fondateur qu’il retravaillera dans Autre étude de femme, dix ans plus tard, manifestant ainsi la persistance d’un intérêt impossible à satisfaire d’un seul élan. Mais pour remplir le programme d’un Balzac « sténographe de la modernité », c’est surtout sur des textes plus tardifs (1838-1847) que je me propose de mettre l’accent.

9De ces réflexions préliminaires, découle la nécessité de montrer d’abord qu’en effet Balzac, penseur, mais surtout romancier, ou mieux poète romanesque du moderne, a bien déjà adopté cette esthétique de la modernité que Baudelaire, Gautier et quelques autres lui attribueront, et qui les a eux-mêmes inspirés.

10Une fois rappelée cette esthétique, ainsi que ses champs d’application, restera à chercher comment Balzac sténographie le moderne, de manière à donner à son œuvre le sceau vocal de la modernité. Comment donc ce défi est bien le sien : attraper le moderne par ses langages, ses mélopées orales et ses sonorisations. Histoire de démontrer qu’il a bien ce désir de « sténographier » la modernité (mot que j’emprunte à Balzac [13] et à Gautier [14] eux-mêmes), et donc de saisir avec la « vélocité » esthétique nécessaire « l’ondoyant », « le fugitif », « l’infini » de la vie moderne [15].

11Dans un dernier temps enfin, je voudrais commencer à étudier dans le texte ces sténographies du moderne, en prenant pour corpus ces trois récits-conversations que sont La Maison Nucingen (1838), Un homme d’affaires (1846) et Les Comédiens sans le savoir (1846) [16] : cela parce que ces trois textes me semblent non seulement des applications exemplaires du principe énoncé par Gautier, mais plus encore, des cas limites réussis de traduction verbale, sonore et rythmique d’une telle esthétique de la modernité. D’autres récits de la dernière décennie pourraient offrir des modèles complémentaires : La Cousine Bette et LeCousin Pons, La Muse du département, Splendeurs et misères des courtisanes, en particulier son début au bal de l’opéra, ou mieux encore les Petites misères de la vie conjugale, au style encore plus déhanché. Mais les trois nommés se caractérisent par leur décousu et leur vitesse, écrits qu’ils sont, dirait-on, sur le pouce, et faits – au moins pour Les Comédiens sans le savoir – de bribes mises bout à bout, reprises à un recueil de littérature « panoramique » : Le Diable à Paris (1845-1846). Mais ils ont aussi pour trait commun de s’écrire (ou plutôt de se parler) sous les auspices de ce personnage à la fois singe et lutin, Bixiou, dont on sait que bien des traits ont été empruntés à Henry Monnier.

Une esthétique de la modernité

12C’est très tôt que le mot de « modernité », dont Balzac peut prétendre à bon droit être le premier utilisateur, est présent sous sa plume, en particulier dans ce texte de 1822, où, déjà, il est employé dans le registre esthétique :

13

Le genre du roman est le seul qu’ait inventé la modernité. C’est la comédie écrite, c’est un cadre où sont contenus les effets des passions, les remarques morales, la peinture des mœurs, les scènes de la vie domestique, etc., etc. ; et ce genre, notre seule conquête, est anathématisé par tout le monde.
Eh quoi ! dirai-je aux détracteurs, un genre neuf ouvre une carrière à l’esprit humain ; et vous le proscrivez ? Une grande idée philosophique perd-elle de son prix pour être dans un roman ? Une situation forte, une idée tragique, des tableaux réels et animés, des observations comiques que la censure répudie, une tragédie que l’on ne peut jouer, seront-elles méprisées, parce que l’auteur est obligé de les mettre en quatre volumes in-12, à seize, vingt ou trente lignes [17] ?

14Le mot certes ne s’y applique pas à l’art en général, mais à cette forme moderne de l’« art littéraire » (pour parler comme la Préface de La Peau de chagrin) qu’est le roman. Mais d’emblée, de ce genre dont la modernité n’est que programmatique à cette date, le tout jeune Balzac fait de manière prémonitoire une apologie inspirée. Ce Balzac de 1822 en est pourtant alors à écrire des romans alimentaires pour cabinet de lecture sous pseudonyme. Mais déjà surgit chez lui l’utopie d’un roman moderne, délivré des conventions théâtrales, qu’il définira un jour comme devant avoir « les cinq sens littéraires [18] » : celui dont Walter Scott, ce « trouveur moderne [19] », va bientôt lui proposer une première formule – à dépasser.

15Impossible ici de suivre les multiples expressions chez Balzac d’une telle esthétique de la modernité. Beaucoup d’entre elles concernent le roman, tel que lui-même le pratique, cette forme souple, « éclectique », alliant l’idée et l’image. C’est ce qui est dit dans la leçon de littérature qu’Émile Blondet fait à Lucien de Rubempré, selon laquelle « le roman, qui veut le sentiment, le style et l’image, est la création moderne la plus immense [20] ». D’autres expressions de cette esthétique concernent le journal, qui, lui aussi, dans ses plus nobles manifestations, est un « instrument moderne [21] », un « argus moderne [22] », qui pratique un art de l’éphémère et relève le défi de saisir l’actualité. Plus incisif encore en sa modernité, le petit journal. D’autres expressions de cette même esthétique concernent la musique [23], ou même l’ébénisterie [24]. Mais retenons surtout celles qui concernent les arts visuels, dont il arrive à Balzac de traiter par quelques articles décisifs, tout comme par une constante présence dans ses romans de la référence aux « peintres modernes [25] » (Decamps, Delacroix, Girodet, etc.), en particulier dans leur représentation de la femme [26]. Et contentons-nous ici de ce que, dès 1830, Balzac dit de Gavarni, son « peintre de la vie moderne » à lui. Cela a bien trait à la vie moderne, et à la prestesse de sa saisie par ces dessinateurs de presse que sont Gavarni (qui est aussi dessinateur de mode), mais aussi Monnier, Charlet et quelques autres. Au lieu de reproduire à l’infini la « poupée uniforme » à laquelle les lectrices des revues de mode étaient alors habituées, Gavarni a eu, selon Balzac, le grand mérite d’avoir su « traduire cette physionomie parisienne si éminemment mobile, si curieuse, et rendre l’esprit d’un vêtement, la pensée d’une robe, la grâce d’un fichu, d’un fichu qui n’a de grâce que par la manière dont il est porté [27] ». Ce qu’il a su faire, c’est « épier les variations de Paris [28] » en se vouant à « copier, saisir, créer la haute société, comme Henry Monnier, Charlet avaient tiré du néant les grisettes, les soldats, les enfants et les niais [29] ».

16Copier, saisir, créer : on remarquera la gradation. Copier, qui dit la fidélité de la représentation ; saisir, qui dit son intensité préhensive ; créer, qui dit que cette copie est si forte qu’elle en devient une transfiguration novatrice, tant et si bien que, par un renversement surprenant, l’œuvre de l’artiste s’avère créer de toutes pièces ce qui est en principe l’objet de sa représentation. Conséquence dont Balzac lui-même aimerait beaucoup qu’elle concerne sa propre œuvre. Enfin, tous ces rois du croquis de mœurs, conclut Balzac avant Baudelaire, « ont compris toutes les ressources de la physionomie, des mœurs, des traits, des vêtements, de la démarche [30] ».

17Voici défini déjà, en 1830, l’esprit général de ce que sera la saisie balzacienne de la modernité. 1° De la part de l’objet à « capter », elle suppose « modernité », et donc aussi « variation » et instantanéité mouvante. 2° De la part de l’artiste, désir de « peindre les nuances les plus délicates, les linéaments les plus fugitifs de la physionomie [31] », entreprise dans laquelle il s’agit, plus que de copier la beauté intrinsèque, de saisir cette forme du beau qu’est la grâce, plus volatile et séductrice que la beauté. 3° Voici par ailleurs cette entreprise de saisie pittoresque du moderne liée déjà à cette forme arbitraire de l’actuel qu’est la mode, telle que rendue par des dessins publiés dans ce média, lui aussi soumis à l’air du temps : le journal. Et voici enfin – 4° – l’accent mis sur la peinture des mœurs modernes par le dessin de presse : ce que Baudelaire n’aura plus qu’à reprendre dans son chapitre II du « Peintre de la vie moderne » (« Le Croquis de mœurs [32] »), mais d’abord, en 1857, dans sa série d’articles sur les « caricaturistes », dont Gavarni, Daumier, Devéria, Grandville sont les vedettes, aux côtés des dessinateurs anglais [33]. Voici surtout sélectionnés trois des ressorts essentiels de l’esthétique balzacienne de la modernité, dont Baudelaire fera, lui aussi, les objets de prédilection du « peintre de la vie moderne » : la ville, la femme, la mode.

La ville

18La « grande ville » d’abord, la « moderne Babylone [34] », « la ville aux cent mille romans [35] ». Dans ses romans comme dans ses contributions à la littérature panoramique, Balzac aime à saisir la ville dans ses incessantes transformations. Archéologue du Paris ancien, il est aussi un flâneur d’occasion, mais de surcroît un rêveur urbaniste de ce Paris moderne qui, avant Haussmann, change chaque jour, et dont, dans les « Tableaux parisiens » (1859) le cygne baudelairien donnera une version désenchantée. Chez Balzac, en revanche, rares sont les moments de désenchantement face au Paris nouveau. Bricabraquiste aimant à courir les antiquaires, il n’en est pas moins un passionné de modernité. Le Balzac qui, en 1846, aménage la maison de la rue Fortunée pour son Étrangère s’avoue séduit par « toutes les merveilles de notre luxe et de notre industrie modernes [36] » qui permettent le « comfort moderne », mot néologique alors, qu’il écrit à l’anglaise [37]. Quoi qu’il en dise, il aime le « monde de Paris [qui] est entraîné par un […] torrent d’événements, de modes, d’idées nouvelles [38] ». Il l’aime pour sa vitalité exubérante, mais surtout pour sa rentabilité esthétique. À Paris « où tout est rapide comme le flot, où tout passe comme un ministère [39] », règne la violence de l’éphémère [40] : c’est là pour Balzac, comme ce sera le cas pour Baudelaire, un objet esthétique prometteur, difficile à rendre autrement qu’en se mettant au défi de le faire par des moyens nouveaux. Les « révolutions » incessantes qui affectent la capitale le passionnent. Dans une de ses contributions au Diable à Paris en 1845, il observe avec émoi « Ce qui disparaît de Paris [41] ». Il aime à suivre, à travers siècles, les changements du centre de la vie urbaine, culturelle, éditoriale, festive et érotique, qui, après 1830, migre du Palais-Royal vers les boulevards, mais aussi les révolutions de la publicité et de l’art des vitrines, ou bien encore les mutations qui, de son temps, affectent les boutiques les mieux placées. L’une d’entre elles, rue de Richelieu, voit ainsi chasser la librairie susceptible de vendre La Comédie humaine pour mettre à sa place, déjà, un magasin de modes. Du coup, cette boutique devient le cadre d’une nouvelle tardive (octobre 1844), destinée, elle aussi, au Diable à Paris – et qui deviendra Gaudissart II[42].

19La ville, telle que Balzac la représente, et telle qu’il en fait l’un des enjeux de son esthétique de la modernité, c’est une ville changeante, bruissante, aux rythmes heurtés : la ville des « contrastes [43] ». Il la surveille en privilégiant ses signes de modernité : côté « tilburys » et côté « tigres », insignes de la modernité mondaine au masculin ; côté télégraphes et calorifères [44] ; côté omnibus et passages, comme y ont insisté Walter Benjamin et Karlheinz Stierle ; côté Bourse et côté Boulevards ; côté « bibelots » et magasins éclairés au gaz ; coté jour et côté nuit ; mais aussi côté femmes.

La « phâme »

20Car la femme, en particulier ce condensé de modernité au féminin qu’est la femme urbaine en ses diverses espèces, est, elle aussi, un excellent marqueur de modernité. Selon Balzac, de même que « l’amour prend la couleur de chaque siècle », « chaque âge crée une nouvelle femme [45] ». Et d’insister sur trois de ces créations de types féminins typiques de la modernité, qui ont nécessité le recours au néologisme : la lionne, la femme comme il faut et la lorette. Dans chaque cas, il commente l’implication réciproque entre l’émergence de ce qu’il faut bien appeler, en langage publicitaire, une nouvelle marquede femme, et sa désignation par un mot nouveau. Ainsi la « lionne » est-elle, dit Balzac, « le néologisme à la mode », parce que le mot « répond à quelques idées, fort pauvres d’ailleurs, de la société présente : il faut l’employer pour se faire comprendre, quand on veut dire une femme à la mode [46] ». La « femme comme il faut », sur laquelle glosent les devisants d’Autre étude de femme, est, elle aussi, une « création moderne » qui signifie « un déplorable triomphe du système électif appliqué au beau sexe ». Et le ministre qui s’exprime ainsi de conclure par une remarque plus générale sur les révolutions concomitantes de la société et du langage : « Chaque révolution a son mot, un mot où elle se résume et qui la peint [47]. » De même enfin, selon le narrateur d’Un homme d’affaires, « Lorette est un mot décent inventé pour exprimer l’état d’une fille ou la fille d’un état difficile à nommer, et que, dans sa pudeur, l’Académie française a négligé de définir, vu l’âge de ses quarante membres ». Et Balzac d’en profiter pour généraliser sur le pouvoir qu’ont les néologismes de caractériser les révolutions des mœurs : « Quand un nom nouveau répond à un cas social qu’on ne pouvait pas dire sans périphrases, la fortune de ce mot est faite. [48] »

21Le romancier qu’il veut être, qui se propose de donner une image stéréoscopique de la modernité, se doit donc de connaître le nouveau « Code femelle [49] », et d’être au courant des toutes dernières déclinaisons de la « ligne » femmes. Ce dont la critique lui donne acte, Caro en particulier qui félicite Balzac d’avoir cru que « le plus grand intérêt du roman contemporain, et particulièrement du sien, c’est l’étude toujours neuve de la femme, de la femme moderne[50] ». Même jugement chez Gautier, qui fait de son rapport à ces diverses figures du féminin, aux antipodes de la beauté classique, un des traits de son rapport à la modernité. Un trait qui dépasse son objet propre, car il implique toute une esthétique :

22

La beauté idéale, avec ses lignes sereines et pures, était trop simple, trop froide, trop une, pour ce génie compliqué, touffu et divers. […] Dans ses portraits de femme, il ne manque jamais de mettre un signe, un pli, une ride, une plaque rose, un coin attendri et fatigué, une veine trop apparente, quelque détail indiquant les meurtrissures de la vie. […] Nous n’avons nullement l’intention de critiquer Balzac en cela. Ce défaut est sa principale qualité. […] Il aima la femme de nos jours telle qu’elle est, et non pas une pâle statue ; il l’aima dans ses vertus, dans ses vices, dans ses fantaisies, dans ses châles, dans ses robes, dans ses chapeaux, et la suivit à travers la vie […] [51].

La mode

23Inutile enfin d’insister longuement sur l’importance de la mode, au premier rang des notions qui, chez Balzac comme chez Baudelaire ensuite, témoignent d’une modernité d’un genre nouveau, esthético-médiatique, pourrait-on dire. Bien sûr, la mode n’est pas la seule déclinaison du rapport possible au moderne en cette époque d’accélération de l’histoire, que symbolisent l’importance acquise par le journal, tout comme la montée en puissance des jeunes générations (les « Jeunes-France »), et de la notion même de « génération [52] ». D’autres déclinaisons du moderne existent, que Balzac, soit regarde d’un œil critique, comme la notion, mystificatrice selon lui, de « progrès [53] » ; soit, au contraire, fait siennes, comme les notions apparentées de « crise » et de « révolution », qui sont pour lui l’occasion de méditations récurrentes sur les discontinuités du temps historique. Mais c’est bien aussi l’un des traits caractéristiques de Balzac que, avant Baudelaire, il fasse de la mode une notion à forte irradiation, chargée de dire un certain rapport au moderne.

24Très tôt, Balzac a collaboré, comme journaliste, à La Mode de Girardin, et il y a médité sur la mode comme phénomène social influent, en particulier dans son Traité de la vie élégante, paru fin 1830, que Roland Chollet considère comme le véritable prospectus-manifeste de ce journal. Il est très sensible à ce qu’il appelle les « vertigos » de la mode [54], soit donc au temps arbitraire et saisonnier sur lequel se rythment, après 1830, les tempos de la nouvelle danse sociale. Car la mode, selon lui, dépasse de loin sa sphère restreinte, celle qui vaut pour ses professionnels, modistes, tailleurs et chapeliers. Elle concerne aussi la bibeloterie des appartements modernes, les « babioles à la mode [55] », ou encore la valeur paradoxale donnée aux « vieilleries [56] ». Mais elle marque aussi inévitablement tous les comportements sociaux. Il est ainsi des « saluts à la mode », ou encore des « plaisanteries à la mode [57] ». Et elle signe jusqu’à des êtres sociaux : ainsi de la « femme à la mode » en ses diverses variétés.

25Mais la puissance de la mode est telle qu’elle irradie aussi sur des domaines moins soumis a priori à ses vertiges : le langage et la littérature. Très tôt, Balzac s’est intéressé aux mots à la mode (« Des mots à la mode », La Mode, 1830). Mais la littérature, elle aussi, subit l’effet de la mode, comme Balzac le remarque dans « De la mode en littérature » (1830), et dans d’autres analyses [58] où il note les changements qui affectent le « mobilier littéraire [59] » et sa sénescence accélérée. Car les modes littéraires, elles aussi, tombent vite aux oubliettes, tant celle des Mémoires, des romans historiques, des contes fantastiques, que celle des plaisanteries sur Robert Macaire…

Sténographier le moderne

26Mais venons-en au projet plus précis qui est ici le mien, consistant à mettre l’accent sur les sténographies balzaciennes de la modernité, soit donc sur ce qui, de la modernité à capter puis à rendre, est d’abord, non de l’ordre du penser, ni du voir, mais de l’entendre – et passe donc par le langage. Le langage de Balzac lui-même, narrateur mais aussi parleur, volontiers digressif, en interlocution avec ses lecteurs. Mais plus encore le langage de ses personnages, rendu par divers procédés, la citation directe mais aussi le discours rapporté, rapporté souvent de manière déformante ou parodique, avec recours aux italiques, et même, dans quelques cas, avant Flaubert, au discours indirect libre.

27C’est Gautier, de nouveau, qui nous propose cette piste. Car si, selon lui, « être de son temps » consiste à « penser avec son propre cerveau », sans maîtres ni modèles, à ne pas regarder avec des lunettes déformantes, et est donc bien de l’ordre d’une séduction scopique face aux spectacles offerts par la modernité, « être de son temps » est aussi affaire de langage. De phrases et, mieux encore, d’ethos. Sur ce plan-là, « être de son temps », nous dit Gautier, c’est savoir « se servir de la langue actuelle, ne pas recoudre en centons les phrases de ses prédécesseurs » ; mais aussi, et c’est plus propre encore à Balzac, « se forger une langue spéciale, composée de toutes les technologies, de tous les argots de la science, de l’atelier, des coulisses » [60].

28Et voici donc comment, sous forme de question, on pourrait formuler l’hypothèse, empruntée à Gautier, qui a présidé à la présente étude : et si ce style déconstruit, parasité, non unifié par le « vernis des maîtres » que bien des critiques, Proust y compris, ont reproché à Balzac, n’était en fait que la conséquence nécessaire de son désir de saisir linguistiquement les arythmies du moderne, en toutes ses gammes, en toutes ses ondes, en tous ses tempos ?

29Sténographier le moderne. Balzac pratique cela à trois niveaux : le niveau lexical (celui des « mots à la mode ») ; le niveau discursif (celui des « parlures » des personnages, qui dépendent en partie de modes d’énonciation, d’ethos eux aussi millésimés, ce qui permet de distinguer entre divers modes de parole, en fonction du milieu social du locuteur, de son âge et de sa date, de son lieu de naissance et de son humeur) ; le niveau interdiscursif enfin, niveau essentiel puisque c’est le niveau où se déroulent ces symposiums de parole en situation sociale que proposent souvent les dialogues de Balzac, véritables festivals conversationnels.

Les mots à la mode

30Au plan lexical, on a vu son attention aux « mots à la mode » quand ils servent à baptiser les nouvelles espèces de femmes, de même que ses réflexions sur l’implication réciproque entre mot à la mode et réalité sociale nouvelle dont il se fait l’interprète. C’est là une réflexion qu’on retrouve dans une œuvre tardive inachevée, Les Petits bourgeois, quand le narrateur évoque l’influence à retardement qu’ont, sur un salon de province, les modes en provenance du « continuel incendie parisien » : « Le mot à la mode et la chose, car à Paris, le mot et la chose est comme le cheval et le cavalier, y arrivaient toujours par ricochet » [61]. Ce genre de réflexions est lié chez Balzac à une hypersensibilité à l’histoire lexicologique, justifiée, dans la discussion sur la « femme comme il faut », par le prince russe qui y participe : « Expliquer certains mots ajoutés de siècle en siècle à votre belle langue, ce serait faire une magnifique histoire. Organiser, par exemple, est un mot de l’empire, et qui contient Napoléon tout entier [62]. »

31De manière cursive, le narrateur balzacien s’amuse à jeter des mots du langage moderne, en multipliant les registres – poli­tique, courses de chevaux ou chemins de fer – pour produire un effet de polyphonie. De Pons et de Schmucke, financièrement maltraités par le directeur du théâtre qui les emploie, le narrateur nous dit qu’ils « étaient exploités, pour se servir d’un mot à la mode [63] ». De même, Pierrette évoque « un jeune homme […] dont la mise annonçait ce que la phraséologie moderne appelle si insolemment un prolétaire [64] ». Balzac a recours aussi au langage hippique lorsqu’il utilise le mot « distancé », dans divers contextes qui n’ont rien à voir avec les courses de chevaux : ainsi pour évoquer les femmes de province snobées en matière de modes parisiennes par cette femme à la mode qu’est Mme de La Baudraye [65]. Ou bien, il se fait fort d’emprunter « une image aux railways, ne fût-ce que par façon de remboursement des emprunts qu’ils nous font [66] ».

Les parlures des personnages

32Le souci du moderne se marque aussi par sa façon d’utiliser comme marqueurs historico-sociaux des expressions stéréotypées contemporaines, venues soit du langage des artistes [67], soit du « langage des filles [68] », soit imposées par la mode romantique.

33Quant aux mots marqués par les modes romantiques, retenons l’expression « avoir une âme blanche [69] », appliquée ironiquement à Diane de Maufrigneuse, ou celle de « compléter sa vie », « mot à la mode dans ce temps-là », tout comme « être comprise » : « autre mot », commente Balzac, « auquel les femmes donnent d’étranges significations » [70]. Mais, cette fois-ci, ce n’est pas seulement le mot qui est en jeu, mais bien le discours des personnages, et surtout leurs parlures, comme disent les linguistes [71]. Mais, bien avant eux, Balzac a recours au mot de « parlottes » pour dire les pratiques pragmatico-discursives nouvelles en usage dans les divers salons de Paris [72].

34Dans le même esprit, Balzac marque une prédilection pour l’analyse des usages falsificateurs du recours à des langages codés valorisants. Ainsi pratique Mme de La Baudraye qui, aux gens de Sancerre, réussit à paraître « remuer des pensées en remuant les mots à la mode [73] ». Ainsi pratique aussi ce faux amoureux présenté dans La Recherche de l’Absolu qui mêle « le jargon à la mode et les expressions d’une galanterie superficielle aux airs rêveurs, aux élégies soucieuses qui allaient si bien à sa physionomie [74] ». Même jeu chez Canalis, dont l’improvisation destinée à séduire Modeste Mignon et sa famille est « composée des lieux communs modernes, mais revêtus d’expressions sonores, de mots nouveaux, et destinée à prouver que le baron de Canalis devait être un jour une des gloires de la Tribune [75] ». Dans tous ces cas, le moderne est donc l’objet d’une fabrication linguistique fallacieuse, de la part d’un locuteur qui, pour se valoriser, a recours à des tournures néologiques. Et l’analyse balzacienne se fait d’autant plus experte qu’elle distingue les deux plans : les nouveaux codes, les nouvelles « conversations [76] » qui s’imposent à qui veut être « à la mode » ; mais aussi leur usage à des fins séductrices.

35Semblable décrochage a lieu aussi quand c’est le narrateur lui-même qui s’amuse à pasticher un langage à la mode. Ainsi lorsqu’il se met à parler « le Sainte-Beuve, une nouvelle langue française [77] ». Tendance au pastiche qu’il communique à ses personnages : ainsi lorsque Bixiou, dans La Maison Nucingen, se met à « phrase(r) son opinion d’après la formule humanitaire [78] ».

36Mais puisque Bixiou vient d’entrer en scène et qu’avec lui nous voici confrontés aux prouesses verbales d’un langage rempli de coq-à-l’âne, d’ellipses et de sous-entendus, où le witz fait ses ravages, il est temps d’en venir, non plus aux propos généralistes par lesquels Balzac signifie la modernité par le langage, et à la fois en joue et s’en joue, mais à ses sténographies textuelles du moderne, dans trois récits tardifs (1838-1847) où Bixiou est à la manœuvre : La Maison Nucingen, Un homme d’affaires et Les Comédiens sans le savoir.

La modernité dans le texte

37Deux de ces récits sont explicitement unis par le thème « de l’omnipotence, l’omniscience, l’omniconvenance de l’argent [79] ». Dans un cas (La Maison Nucingen), il s’agit d’expliquer l’origine de la fortune de Rastignac. Dans l’autre (Un homme d’affaires), la manière dont un usurier, Claparon, réussit l’impossible : se faire rembourser une dette qu’a contractée auprès de lui Maxime de Trailles, « lion » insolvable, « le plus hardi, le plus subtil, le plus ferme, le plus prévoyant de tous les corsaires à gants jaunes, à cabriolet, à belles manières qui naviguèrent, naviguent et navigueront sur la mer orageuse de Paris [80] ».

38Le troisième récit a une structure différente. Dans Les Comédiens sans le savoir, il s’agit en effet, comme dans Un début dans la vie, d’une série de mystifications faites, non plus dans une conversation en « coucou », mais au cours d’une promenade en travelling à travers Paris. Ici, c’est Bixiou, mystificateur professionnel, allié à Léon de Lora, alias Mistigris, type du rapin amateur de charges d’atelier, déjà à l’ouvrage dans Un début dans la vie, qui est à la manœuvre. Tous deux prennent pour cible un Méridional, Gazonal, fraîchement débarqué à Paris pour suivre un procès. Mais, si le récit a donc une structure différente de ces récits-conversations en chambre que sont les deux autres textes, on y retrouve le thème financier à chaque page : en particulier quand, en visite chez les divers acteurs de la comédie parisienne, le trio rencontre l’usurier Vauvinet, qui symbolise la « comédie de l’argent [81] ».

39Le vrai thème, pourtant, qui unifie mieux encore ces trois récits, c’est Paris : le Paris moderne, avec ses rouages, ses orages et ses mystères, alors mis en roman dans un tout autre registre par Eugène Sue (Les Mystères de Paris, 1842-1843). Dans ces trois récits, au moyen d’une conversation spirituelle décapante, menée par plusieurs hommes d’esprit – écrivains, journalistes, directeurs de revues, hommes de lois ou banquiers, dont la dimension de types modernes est soulignée –, ce sont les envers du monde parisien contemporain qui sont mis à nu [82]. Y sont déshabillées les comédies ordinaires de ses acteurs de la vie de tous les jours, jouant gratis devant leurs spectateurs [83].

40Paris, sous toutes ses formes, tel est bien ici le cœur mouvant de la scène : Paris, « mer orageuse [84] », Paris fluctuant, comme le dit sa devise (« Fluctuat nec mergitur ») ; Paris, où rares sont les bonheurs qui ne sont pas « assis sur la base vacillante de l’emprunt [85] » ; Paris où tout se fait, se défait, se refait [86] ; Paris dont le centre instable a migré de siècle en siècle, de la Place royale au Pont-Neuf, puis au Boulevard [87]. Mais aussi Paris pathologique, « où toutes les fortes têtes se fêlent, comme pour donner une soupape à leur vapeur [88] ». Paris-machine [89] », « instrument dont il faut savoir jouer [90] ». Paris-banque, Paris-journal, Paris-théâtre, Paris-bohème, Paris asphalte [91], Paris kaléidoscope [92]. Les « puissances » nouvelles y sont les lorettes, telle que Carabine, qui gouverne Du Tillet, banquier  [93] ; « le corps de ballet de l’Opéra [94] mais aussi le journal, sans qui une danseuse n’existe pas [95] ; Gaillard, directeur de journal, dont la feuille à vingt-deux mille abonnés [96] ; le coiffeur Marius, qui reconnaît en Bixiou « une puissance égale à la sienne [97] », « ainsi que douze ou quinze artistes, capitalistes ou dandies qui donnent le ton [98] ».

41Et partout le thème de la tromperie, de la réclame, de l’« esbroufe [99] », auxquelles se livrent les comédiens de la troupe parisienne. Ainsi les couverts d’une comtesse sont-ils en maillechort [100] ; les députés sont des « charlatans » ; et devenu ministre, Maxime de Trailles « blouse » tout le monde [101]. Mieux encore, pour employer le langage d’époque, c’est le thème de la « blague » universelle, qui s’impose : au double sens de ce mot, qui renvoie à une conversation enjouée et vulgaire, mais sert aussi à dénoncer le mensonge social organisé. « Nous venons blaguer[102] », annonce Léon de Lora quand, dans Les Comédiens sans le savoir, il emmène son gros provincial visiter Théodore Gaillard, directeur de journal, soit donc blagueur et canardier de profession. Ce qu’aussitôt le « facétieux gérant », imitant un acteur comique en vogue, Odry, comme il a l’habitude de le faire, ponctue d’une réplique prise aux Saltimbanques de Dumersan : « Encore, jeûne homme ! » De même, lorsque, le trio vient visiter la Chambre des députés, et qu’il est reçu par Rastignac, Bixiou annonce : « Nous venons apprendre à blaguer[103]. » Et Lorédan Larchey de commenter : « Dans cette phrase des Comédiens sans le savoir de Balzac : « “Nous venons blaguer”, il résume d’un seul coup toutes les piquantes promesses de ces causeries familières, spirituelles et particulièrement pittoresques comme on en fait à Paris [104]. » Ce qui revient à manquer le sens exact du mot, qui se dégage quand on tient compte du discours implicite de Bixiou – lequel laisse entendre que la Chambre des députés est une école de blague (au sens de mensonge), où Bixiou et ses accompagnateurs prétendent venir se former.

42Mais c’est plus encore par la « blague » au sens conversationnel du mot, telle que mise dans la bouche de ces cicérones enjoués du Paris moderne, que Balzac sténographie la modernité.

43Nombreuse, la troupe des comédiens tricheurs qu’on découvre dans Les Comédiens sans le savoir, à titre de représentants multiformes de la blague parisienne (au sens de mensonge). Mais nombreux aussi le personnel qui compose l’instance conversationnelle mouvante, elle aussi « blagueuse », qui, dans nos trois récits, tient le fil de la narration. Leur verve mobile s’applique à sténographier Paris, tout comme à la Chambre des députés, qu’ils visitent, on sténographie les discours des orateurs [105].

44Ils sont quatre à mener la conversation dans le cabinet particulier de La Maison Nucingen, Couture, Finot, Blondet et Bixiou, à propos desquels le narrateur intradiégétique (qui, en bonne compagnie, entend leur dialogue au restaurant, depuis un cabinet particulier séparé par une mince cloison), insiste sur leur rapport au moderne : car ces « spirituels condottieri de l’Industrie moderne » sont « quatre des plus hardis cormorans éclos dans l’écume qui couronne les flots incessamment renouvelés de la génération présente » [106]. Et voici donc la modernité des conversants doublement signifiée, selon le double registre, industriel et générationnel, avec insistance sur leur intelligence rusée, tant par le mot d’« industrie » employé en partie en son sens ancien, que par la comparaison avec des oiseaux de proie, cherchant leurs victimes sur une mer troublée, symbole de l’agitation des temps modernes.

45Plus nombreux encore, ils sont sept à converser dans Un homme d’affaires : trois écrivains journalistes bien connus des lecteurs de La Comédie humaine, Lousteau, Nathan, Bixiou, plus le bohème La Palférine, qui vient d’Un prince de la Bohème (récit communiquant du coup avec les trois autres), et deux hommes de loi, un avoué (Desroches) et un notaire (Cardot). C’est chez la maîtresse de ce dernier, une lorette, Mlle Turquet, Malaga de son nom de guerre, qu’a lieu le festin conversationnel. Là aussi, il s’agit de pénétrer dans les coulisses du Paris moderne, dont les deux personnages principaux, le « loup cervier » de la finance (Nucingen) et le « lion » rapace (Rastignac), ont partie liée avec l’argent. Quant au thème de la modernité, il est ici signifié, dès l’ouverture, par la digression sur le mot de « lorette », inventé en 1840, par Nestor Roqueplan, auteur de la Parisine. Modernité sociale et modernité lexicale ; mais modernité urbaine aussi, puisque notre lorette habite, comme ses pareilles, le nouveau quartier de Paris dont elle porte le nom. Modernité surtout du regard déluré que la focale lorette permet sur les envers du monde parisien, mis à nu par les artistes mystificateurs en complicité avec toutes ces espèces de femmes urbaines au regard décillé : lorettes mais aussi « marcheuses », « rats », « courtisanes », comédiennes, Malaga, Carabine, Florine, Jenny Cadine, etc. Elles sont présentes dans nos trois récits : en tant que figures typiques du Paris moderne, mais aussi comme faisant partie de son personnel herméneutique, puisque le monde parisien est vu par leurs yeux, et qu’elles ajoutent une note essentielle au regard déluré que le narrateur porte sur le Paris moderne. Mais la modernité de leur point de vue sur Paris est d’abord celle de leur langage, libre, ludique et coloré, aux antipodes des « discours hypocrites qui ont cours dans un salon meublé de vertueuses bourgeoises », comme il est dit à propos de Malaga dans Un homme d’affaires[107].

46Dans Les Comédiens sans le savoir, ils ne sont que deux à tenir le dé de la conversation, et à être les chevilles ouvrières de la mystification dont la victime est Gazonal. À ce provincial rustre, Léon de Lora et Bixiou, les deux mystificateurs, se proposent de faire découvrir Paris en le faisant poser (entendons en se moquant de sa naïveté de provincial). Mais eux aussi, pour parachever leur mystification, s’allient à une lorette, Jenny Cadine, qui s’amuse à dépouiller de tout son argent le rustaud tombé amoureux d’elle, quitte à lui rendre les sommes gagnées à la scène finale de réconciliation de cette comédie des comédiens. Auparavant, la structure du récit amène le trio constitué de nos deux complices et de leur victime à une promenade à travers Paris, au cours de laquelle ils se livrent à une série de conversations débridées, émaillées de calembours, avec pour sujet d’observation les principaux types du Paris moderne qu’ils veulent donner en spectacle au « provincial à Paris » : un rat de l’opéra « orné de sa mère », une « marcheuse » (Carabine), un espion (Fromenteau), un portier prêteur sur gages (Ravenouillet), un coiffeur à la mode (Marius), un chapelier (Vital), un usurier moderne (Vauvinet), une revendeuse à la toilette (Mme Nourrisson), un peintre phalanstérien (Dubourdieu), un ministre (Rastignac), une tireuse de cartes et son crapaud (Mme Fontaine), etc. Vrais types, selon Balzac, du Paris moderne, au lieu des types convenus que retiennent ordinairement « ceux qui peignent nos mœurs ». Entendons les praticiens ordinaires de ce que nous appelons aujourd’hui, avec Walter Benjamin, la « littérature panoramique », dont Balzac tient à se démarquer, en montrant sur pièces à quel point il leur est supérieur dans la saisie du Paris moderne [108].

47C’est là un jugement comparatif qu’on retrouve dans Un homme d’affaires, où l’un des devisants estime que le récit qu’il va faire peint « Paris, pour des gens qui le pratiquent, beaucoup mieux que tous les tableaux où l’on peint toujours un Paris fantastique [109] ». Un tel jugement revient dans La Maison Nucingen, Bixiou se moque « des poètes, des romanciers, des écrivains qui disent beaucoup de belles choses sur les mœurs parisiennes », avant de se lancer dans une tirade-pantomime sur « la vérité sur les enterrements [110] ». La peinture vraie du Paris moderne, en réponse aux portraits convenus des marchandises courantes de la littérature panoramique, tel est donc bien l’enjeu commun de ces trois récits.

Sténographier Bixiou

48Venons-en enfin aux sténographies de la modernité que ces trois récits nous offrent. C’est le Paris moderne tel qu’on le voit, représenté par ses types les plus significatifs, mais aussi tel qu’on l’entend et tel qu’on le parle, qui est l’objet de l’attention.

49Sur le plan narratif, ces récits ont pour trait commun leur structure conversationnelle, et la grande présence des acteurs de ces conversations délurées, qui viennent souvent brouiller le discours du narrateur, d’autant que les esprits sont embrumés par l’alcool. Dans Les Comédiens sans le savoir, les deux mystificateurs sont en promenade dans Paris, et ils conversent à bâtons rompus avec les diverses figures typiques de la vie parisienne qu’ils font rencontrer au « provincial à Paris ». Dans les deux autres récits, les devisants éméchés, artistes, journalistes, bohèmes, « tous spirituels comme des feuilletons [111] », parlent à huis clos, au cours d’un repas bien arrosé, tous chatouillés par l’esprit du petit journal et par celui du théâtre comique contemporain, qui sont les modèles de Balzac. Car, tout autant que par l’ethos du Petit Journal, il est visiblement séduit par cet autre genre branché en direct sur ce qui se dit, dans la rue et dans le salon, de plus propre à amuser le badaud : le théâtre de boulevard, auquel lui-même participe, histoire de changer de gamme pour rendre autrement l’accent du moderne [112].

50Dans les deux récits qui s’articulent tout entiers sur elles, ces conversations polyphoniques sont l’objet d’une évocation globale préalable. Le repas conversationnel a lieu chez une lorette, Malaga, dans Un homme d’affaires. « Parfumée de l’odeur de sept cigares », la conversation y est « fantasque comme une chèvre en liberté ». Cette conversation n’est pas retranscrite au style direct, bien que Balzac nous dise le regretter. Aussi entendons-nous seulement Malaga, qui termine le « feu d’artifice » par une « dernière fusée [113] ». Après minuit, on s’adonne à ces « charges qui non seulement ne sont compréhensibles et possibles qu’à Paris, mais encore qui ne se font et ne peuvent être comprises que dans la zone décrite par le faubourg Montmartre et par la rue de la Chaussée d’Antin, entre les hauteurs de la rue de Navarin et la ligne des boulevards [114] ». Refrain déjà entendu à l’incipit du Père Goriot, pour dire, là aussi, la spécificité des mœurs du Paris moderne, incompréhensibles à quiconque n’habite pas la ville, voire certains de ses quartiers [115].

51Dans La Maison Nucingen, la conversation a lieu dans le cabinet particulier d’un restaurant parisien, d’où elle est entendue par les occupants d’un cabinet voisin : « À la fumée des cigares, à l’aide du vin de Champagne, à travers les amusements gastronomiques du dessert, il s’entama donc une intime conversation. » Mais cette « intime conversation » (« intime » parce que se tenant en lieu clos, et confidentielle en principe) est aussi une « causerie », nous dit le narrateur, pleine d’une « âcre ironie » [116]. Mais c’est surtout la « terrible improvisation » de Bixiou qui est longuement mise en vedette. Le narrateur espion l’entend, puis l’écoute avec attention quand il comprend l’identité des convives ; et il se flatte de l’avoir sténographiée : « Nous entendîmes alors une de ces terribles improvisations qui valent à cet artiste sa réputation auprès de quelques esprits blasés ; et, quoique souvent interrompue, prise et reprise, elle fut sténographiée par ma mémoire [117]. »

52Ainsi, c’est Bixiou qui fait le lien entre nos trois récits : Bixiou, qui a « le rire du mystificateur parisien [118] » ; Bixiou, qu’on retrouve dans Les Employés dans ce même rôle; Bixiou, « misanthrope bouffon », « diable enragé d’avoir dépensé de l’esprit en pure perte » [119] ; Bixiou journaliste, acteur et auteur de saynètes, mais aussi dessinateur de croquis, comme Henry Monnier. Et c’est en effet sur une série de dessins faits par Bixiou sur la prison pour dettes (Clichy) que dans Un homme d’affaires la conversation s’engage.

53Bixiou, homme-orchestre, occupe ainsi bien des rôles de pointe du Paris moderne, mais aussi plusieurs des avant-postes esthétiques privilégiés de la modernité. Dans La Maison Nucingen, il nous donne un « pot-pourri » oral assaisonné de pantomimes, se faisant ainsi le double du Neveu du Rameau. Car Balzac est sous le charme de cet autre festival, vocal lui aussi, marqué par le tour conversationnel d’une autre contemporanéité, à la fois sociale et langagière, qu’est le conte de Diderot. L’influence de Diderot est notée par le narrateur qui dit son admiration pour ce texte, que Diderot a sous-titré « satyre seconde » (au sens latin du mot : satura), mais qu’il appelle, lui, un « pamphlet » :

54

Ce pamphlet contre l’homme que Diderot n’osa pas publier, Le Neveu de Rameau ; ce livre, débraillé tout exprès pour montrer des plaies, est seul comparable à ce pamphlet dit sans aucune arrière-pensée, où le mot ne respecta même point ce que le penseur discute encore, où l’on ne construisit qu’avec des ruines, où l’on nia tout, où l’on n’admira que ce que le scepticisme adopte : l’omnipotence, l’omniscience, l’omniconvenance de l’argent [120].

55Il applique la même étiquette générique à l’improvisation de Bixiou, et insiste, comme Diderot le faisait à propos du neveu, sur sa pantomime :

56

– Quelle verve ! dit Couture. (En effet il nous semblait entendre tout le mouvement qui se fait dans une église. Bixiou imitait tout, jusqu’au bruit des gens qui s’en vont avec le corps, par un remuement de pieds sur le plancher) [121].
[…] La pantomime, les gestes, en rapport avec les fréquents changements de voix par lesquels Bixiou peignait les interlocuteurs mis en scène, devaient être parfaits, car ses trois auditeurs laissaient échapper des exclamations approbatives et des interjections de contentement [122].

57Alors, à défaut de magnétophone, la sténographie balzacienne se met en marche, qui tient à enregistrer les voix, le bruitage, mais aussi les longs préambules de Bixiou qui impatientent ses amis : « Tu marivaudes », s’exclame Blondet [123]. « Mais, mon cher, tu ne racontes pas, tu blagues[124]. » Couture s’exaspère : « Je ne vois, […] dans toutes ces toupies que tu lances, rien qui ressemble à l’origine de la fortune de Rastignac [125] ». Ce qui pousse Bixiou à feindre l’indignation :

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Voulez-vous que je vous fasse un récit qui aille comme un boulet de canon, un rapport de général en chef ? Nous causons, nous rions, ce journaliste, bibliophobe à jeun, veut, quand il est ivre, que je donne à ma langue la sotte allure d’un livre (il feignit de pleurer). Malheur à l’imagination française, on veut épointer les aiguilles de sa plaisanterie !Dies irae. Pleurons Candide, et vive la Critique de la raison pure ! [126]

59Ou bien, tout à coup, à l’inverse, Bixiou a recours au style télégraphique, en réponse à ses détracteurs qui l’accusent de digresser, tout comme les critiques en accusent Balzac – lequel, par la bouche de Bixiou, s’amuse ainsi à leur répondre :

60

Comme on nous fait le reproche d’aller sur les brisées des peintres en portraits, des commissaires-priseurs et des marchandes de modes, je ne vous ferai pas subir la description de la personne en laquelle Godefroid reconnut sa femelle. Âge, dix-neuf ans ; taille, un mètre cinquante centimètres ; cheveux blonds, sourcils idem ; yeux bleus, front moyen, nez courbé, bouche petite, menton court et relevé, visage ovale ; signes particuliers, néant. Tel, le passeport de l’objet aimé. Ne soyez pas plus difficiles que la Police, que messieurs les maires de toutes les villes et communes de France, que les gendarmes et autres autorités constituées [127].

61Bixiou joue tous les rôles, imite les divers personnages qu’il met en scène. Ainsi de Claparon : « “– Il avait les cheveux comme ça”, s’écria Bixiou en ébouriffant sa chevelure. Et, doué du même talent que Chopin le pianiste possède à un si haut degré pour contrefaire les gens, il représenta le personnage à l’instant avec une effrayante vérité [128]. »

62Comme Florine, actrice et lorette, dont Balzac nous dit dans Une fille d’Ève qu’« elle parlait tous les langages [129] », Bixiou pastiche diverses « phraséologies », comme il dit, divers ethos, dirions-nous aujourd’hui, parasitant ainsi diverses doxas dont elles sont l’expression : le langage humanitaire, on l’a vu ; le langage des doctrinaires à la Royer-Collard [130] ; la langue fade de Fénelon [131], mais aussi le « style lorette [132] ». Ailleurs, Bixiou imite le français teutonisé de Nucingen [133]. Reprenant la tirade de Figaro sur Goddam, seul mot anglais qu’il connaît et suffit à tout selon lui, Bixiou la bascule sur un autre mot anglais, censé, lui aussi, propre à tout : improper. S’ensuit une tirade selon laquelle c’est en raison de la grande loi nationale de l’improper que Walter Scott n’a pas varié ses personnages féminins [134].

63Ainsi, dans La Maison Nucingen, la conversation satirique de ce misanthrope bouffon qu’est Bixiou nous dévoile les envers du Paris moderne, tout comme Léon de Lora et le même Bixiou le font en faveur de Gazonal dans Les Comédiens sans le savoir ; tout comme Bixiou – encore lui – le fait dans Un homme d’affaires. Dans tous ces cas, de manière plus vive quand c’est Bixiou qui est aux commandes, c’est le langage lui-même qui, par son côté à la fois festif et déstructuré, se modulant en fonction des interlocuteurs, du sujet, de l’occasion, dit la modernité qui passe.

64Gautier a raison d’insister sur la langue de Balzac, qui a dû, dit-il, « se forger une langue spéciale ». Mais c’est plus encore au niveau de la phrase, que les inventions principales ont lieu, comme Gautier lui-même le reconnaît : « Chaque mot qui disait quelque chose était le bienvenu et la phrase, pour le recevoir ouvrait une incise, une parenthèse, et s’allongeait complaisamment [135]. » Mais ajoutons que c’est plus encore au niveau de l’interdiscursivité que les véritables avancées esthétiques ont lieu, dans ces festivals de paroles délurées, où les envers sont mis à nu, quand c’est Bixiou qui mène – et démène – la conversation.

65Balzac, quant à lui, fait mine de ne pas oser aller si loin encore, en son nom propre. Il avoue, malgré son admiration, que la langue de Bixiou sort des « conditions littéraires » : « Opinions et forme, tout y est en dehors des conditions littéraires. Mais c’est ce que cela fut : un pot-pourri de choses sinistres qui peint notre temps, auquel l’on ne devrait raconter que de semblables histoires, et j’en laisse d’ailleurs la responsabilité au narrateur principal [136]. »

66Pour aller plus loin dans l’exploration du moderne, dans tous ses états, et dans l’invention d’un langage qui la rende possible, Balzac a donc besoin de sténographier Bixiou (ce qui le conduit à brusquer les limites de la littérature telles qu’alors circonscrites). Aussi le fait-il par trois fois. Il l’envoie ainsi en éclaireur, à sa place, pour qu’il invente un langage acrobate, une scénographie orale désarticulée et mystificatrice, pour mimer les fêlures de cette société anomique, sans lois, flottante comme la monnaie du même nom, qu’est devenue la société contemporaine.

Notes

  • [1]
    Théophile Gautier, « Galerie du xixe siècle. XIII. Honoré de Balzac. V », L’Artiste, 25 avril 1858, n. s., t. III, pp. 274-275, repris dans Honoré de Balzac, 2e édition, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1859, pp. 129-135.
  • [2]
    « Observateur, flâneur, philosophe, appelez-le comme vous voudrez. […] Quelquefois il est poète ; plus souvent il se rapproche du romancier ou du moraliste. Il est le peintre de la circonstance et de tout ce qu’elle suggère d’éternel » (Baudelaire, « Le Peintre de la vie moderne », Œuvres complètes, éd Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », t. II, 1976, p. 687).
  • [3]
    « Il y a donc une beauté et un héroïsme modernes ! […] Les moyens et les motifs de la peinture sont également abondants et variés ; mais il y a un élément nouveau, qui est la beauté moderne. Car les héros de l’Iliade ne vont qu’à votre cheville, ô Vautrin, ô Rastignac, ô Birotteau, – et vous, ô Fontanarès, qui n’avez pas osé raconter au public vos douleurs sous le frac funèbre et convulsionné que nous endossons tous ; – et vous, ô Honoré de Balzac, vous le plus héroïque, le plus singulier, le plus romantique et le plus poétique parmi tous les personnages que vous avez tirés de votre sein ! », Salon de 1846, chap.  xviii, intitulé : « De l’héroïsme de la vie moderne », ibid., pp. 495-496.
  • [4]
    « C’est la littérature d’un siècle où l’on multiplie les sensations, où l’on en crée de nouvelles, où tout est accéléré, la vie et les roulages ; d’un siècle qui a vu naître les bateaux à vapeur, les voitures à vapeur, la lithographie, la musique de Rossini, l’éclairage au gaz. […] la partie artiste de son talent est essentielle­ment actuelle » (Émile Deschamps, « Monsieur de Balzac », Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1831, t. IV, p. 316).
  • [5]
    « Il comprit que l’argent est le grand ressort de la vie moderne. Il compta la fortune de ses personnages, en expliqua l’origine, les accroissements et l’emploi, balança les recettes et les dépenses, et porta dans le roman les habitudes du budget. […]. Il nous représente la vie que nous menons, il nous parle des intérêts qui nous agitent, il assouvit les convoitises dont nous souffrons » (Hippolyte Taine, « Balzac », série d’articles parue dans le Journal des Débats du 3 février au 3 mars 1858, Nouveaux Essais de critique et d’histoire, Paris, Hachette, 1865, p. 66).
  • [6]
    « Jusqu’à lui, le roman était essentiellement œuvre d’analyse et de passion. À tort ou à raison, il a voulu faire tout autre chose, le Résumé complet d’une époque, l’expression de la vie moderne, si raffinée et si complexe, l’histoire des mœurs au xixe siècle » (Elme-Marie Caro, « Le roman contemporain. M. de Balzac, son œuvre et son influence », Revue européenne, 1er et 15 octobre 1859, t. V, pp. 5-36, et pp. 225-268 − p. 32 pour la présente citation).
  • [7]
    Voir son bel article de jeunesse : « Portraits littéraires. M. de Balzac », L’Unité, 6 mai 1843. Louis de Cormenin insiste, comme le fera son ami Gautier, sur la dimension moderne du talent de Balzac : « […] le roman historique n’est pas son fait : […] son style, habitué à l’habit moderne, ne se prête pas volontiers aux formes raides, sobres et sévères de l’histoire. […] Nous sommes certains par avance que M. de Balzac ne nous en voudra pas pour lui dénier le roman historique ; nous lui faisons la part assez belle en le proclamant le romancier le plus actuel », « Portraits littéraires. M. de Balzac », L’Unité, 6 mai 1843, édité par Roger Béziau dans « Un article inédit de Cormenin sur Balzac », AB 1993, pp. 336-337.
  • [8]
    « De cette modernité sur laquelle nous appuyons à dessein provenait, sans qu’il s’en doutât, la difficulté de travail qu’éprouvait Balzac dans l’accomplissement de son œuvre » (Théophile Gautier, « Galerie du xixe siècle. XIII. Honoré de Balzac. V », L’Artiste, 25 avril 1858, n. s., t. III, p. 275).
  • [9]
    « Révélation magnétique », La Liberté de penser, 15 juillet 1848.
  • [10]
    Selon une longue conversation d’Autre étude de femme, dans laquelle Balzac disperse l’article qu’il a publié sous ce titre dans les Français peints par eux-mêmes, en 1840 (Paris, L. Curmer, t. I, 1840, p. 25-32).
  • [11]
    « L’amoureux de la vie universelle entre dans la foule comme dans un immense réservoir d’électricité. On peut aussi le comparer […] à un kaléidoscope doué de conscience qui, à chacun de ses mouvements, représente la vie multiple et la grâce mouvante de tous les éléments de la vie. C’est un moi insatiable du non-moi, qui, à chaque instant, le rend et l’exprime en images plus vivantes que la vie elle-même, toujours instable et fugitive », « Le Peintre de la vie moderne », op. cit., t. II, p. 692.
  • [12]
    Pour prolonger une formule de la Théorie de la démarche (1833) : « La parole n’est-elle pas en quelque sorte la démarche du cœur et du cerveau ? », CH, t. XII, p. 270.
  • [13]
    Dans La Duchesse de Langeais, Balzac attribue à Locke l’idée de sténographier la conversation d’un salon aristocratique, pour en faire sentir le vide incommensurable et la vanité : « Locke, se trouvant dans la compagnie de seigneurs anglais renommés pour leur esprit, distingués autant par leurs manières que par leur consistance politique, s’amusa méchamment à sténographier leur conversation par un procédé particulier, et les fit éclater de rire en la leur lisant, afin de savoir d’eux ce qu’on en pouvait tirer », CH, t. V, p. 1012. Dans Les Proscrits, le narrateur évoque les auditeurs d’un professeur médiéval « un genou appuyé, l’autre relevé, pour sténographier l’improvisation du maître à l’aide de ces abréviations qui font le désespoir des déchiffreurs modernes », CH, t. XI, p. 537.
  • [14]
    Théophile Gautier emploie le mot au sujet de Monnier, dont il oppose le « procédé » à celui de Balzac : « Son procédé ne ressemble nullement à celui de Henri Monnier, qui suit dans la vie réelle un individu pour en faire le croquis au crayon et à la plume, dessinant ses moindres gestes, écrivant ses phrases les plus insignifiantes de façon à obtenir à la fois une plaque de daguerréotype et une page de sténographie », Honoré de Balzac, 2e édition, Paris, Poulet-Malassis et de Broise, 1859, pp. 138-139.
  • [15]
    « Pour le parfait flâneur, pour l’observateur passionné, c’est une immense jouissance que d’élire domicile dans le nombre, dans l’ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l’infini », Baudelaire, « Le Peintre de la vie moderne », op. cit., p. 691.
  • [16]
    Voir aussi, dans les premières scènes de Splendeurs et misères des courtisanes, la partie intitulée primitivement La Torpille, qui, elle aussi, a été rédigée en 1838.
  • [17]
    Balzac (?), XIIe livraison des Annales françaises des arts, des sciences et des lettres, à l’occasion de la sortie du Centenaire, 28 décembre 1822). Texte cité et commenté par Roland Chollet, « Du premier Balzac à la mort de Saint-Aubin. Quelques remarques sur un lecteur introuvable », AB 1987, pp. 17-18.
  • [18]
    Voir l’histoire de l’écriture romanesque que propose Bianchon dans La Muse du département : « Insensiblement le lecteur a voulu du style, de l’intérêt, du pathétique, des connaissances positives ; il a exigé les cinq sens littéraires […]. Quelques charlatans, comme Walter Scott, qui pouvaient réunir les cinq sens littéraires, s’étant alors montrés, ceux qui n’avaient que de l’esprit, que du savoir, que du style ou que du sentiment, ces éclopés, ces acéphales, ces manchots, ces borgnes littéraires se sont mis à crier que tout était perdu […] », CH, t. IV, p. 714.
  • [19]
    Formule de l’« Avant-propos » de La Comédie humaine (CH, t. I, p. 10).
  • [20]
    « Notre jeune littérature procède par tableaux où se concentrent tous les genres, la comédie et le drame, les descriptions, les caractères, le dialogue, sertis par les nœuds brillants d’une intrigue intéressante. Le roman, qui veut le sentiment, le style et l’image, est la création moderne la plus immense. Il succède à la comédie qui, dans les mœurs modernes, n’est plus possible avec ses vieilles lois […] », Illusions perdues, CH, t. V, p. 459.
  • [21]
    Le Curé de Tours, CH, t. II, p. 205.
  • [22]
    « […] la vie privée n’existera bientôt plus, tant les yeux du journal, argus moderne, gagnent en hardiesse, en avidité […] » (L’Envers de l’histoire contemporaine, CH, t. VIII, p. 237).
  • [23]
    La musique moderne paraît trop difficile au Cousin Pons : « […] l’orchestration moderne, grandie outre mesure, lui parut inabordable au moment où, par de nouvelles études, il aurait pu se maintenir parmi les compositeurs modernes, devenir, non pas Rossini, mais Hérold », CH, t. VII, p. 489.
  • [24]
    Selon la formule du Cousin Pons : « l’ébénisterie, art tout moderne », CH, t. VII, p. 540.
  • [25]
    Voir par exemple La Maison du chat-qui-pelote, CH, t. I, p. 40.
  • [26]
    Voir à ce sujet mon étude : « Du feu dans le feu : quand l’art littéraire se mesure à la peinture », AB 2011, « Balzac et les arts en regard », pp. 79-96.
  • [27]
    « Gavarni », La Mode, 2 octobre 1830, OD, t. II, p. 780.
  • [28]
    Ibid., p. 779.
  • [29]
    Ibid., p. 781.
  • [30]
    Ibid p. 778
  • [31]
    Ibid., p. 780.
  • [32]
    Op. cit., pp. 686-687.
  • [33]
    « Quelques caricaturistes français », Le Présent, 1er octobre 1857, op. cit., pp. 544-563.
  • [34]
    César Birotteau évoque les « jardins suspendus de la moderne Babylone », CH, t. VI, p. 109.
  • [35]
    « […] Paris est toujours cette monstrueuse merveille, étonnant assemblage de mouvement, de machines et de pensées, la ville aux cent mille romans, la tête du monde », Ferragus, CH, t. V, p. 795.
  • [36]
    « Sans cesse environnée de toutes les merveilles de notre luxe et de notre industrie modernes, elle ressemblait moins à une malade qu’à une reine indolente », La Femme de trente ans, CH, t. II, p. 1074.
  • [37]
    « À la fin de la seconde année, le comte, mieux traité, mieux servi, jouissait du comfort moderne ; il avait de beaux chevaux appartenant à un cocher à qui je donnais tant par mois pour chaque cheval ; ses dîners, les jours de réception, servis par Chevet à prix débattus, lui faisaient honneur […] », Honorine, CH, t. II, p. 542.
  • [38]
    La Femme de trente ans, CH, t. II, p. 1203.
  • [39]
    Le Cousin Pons, CH, t. VII, p. 494.
  • [40]
    « […] il n’y a rien de violent à Paris comme ce qui doit être éphémère », Béatrix, CH, t. II. p. 927.
  • [41]
    « Ce qui disparaît de Paris », Le Diable à Paris. Paris et les Parisiens, Paris, Hetzel, t. II, 1846, pp. 17-19 (CHH, t. 28, p. 422 et suiv.).
  • [42]
    Voir Gaudissart II, CH, t. VII, p. 850, et p. 1537, note 5 de cette page.
  • [43]
    « […] ô Paris ! qui n’a pas admiré tes sombres paysages, tes échappées de lumière, tes culs-de-sac profonds et silencieux ; qui n’a pas entendu tes murmures, entre minuit et deux heures du matin, ne connaît encore rien de ta vraie poésie, ni de tes bizarres et larges contrastes », Ferragus, CH, t. V, pp. 794-795.
  • [44]
    Dans le « petit hôtel » de Josépha, « le luxe que jadis les grands seigneurs déployaient dans leurs petites maisons et dont tant de restes magnifiques témoignent de ces folies qui justifiaient si bien leur nom, éclatait avec la perfection due aux moyens modernes, dans les quatre pièces ouvertes, dont la température douce était entretenue par un calorifère à bouches invisibles », La Cousine Bette, CH, t. VII, p. 377.
  • [45]
    « L’amour prend la couleur de chaque siècle. En 1822 il est doctrinaire. Au lieu de se prouver, comme jadis, par des faits, on le discute, on le disserte, on le met en discours de tribune », La Femme de trente ans, CH, t. II, p. 1132.
  • [46]
    46. Petites misères de la vie conjugale, CH, t. XII p. 167.
  • [47]
    Autre étude de femme, CH, t. III, p. 692.
  • [48]
    Un homme d’affaires, CH, t. VII, p. 777.
  • [49]
    Dans Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac évoque « cette collection de petites lois déjà nommées assez souvent dans La Comédie humaine le Code Femelle », CH, t. VI, p. 781.
  • [50]
    « Balzac a raison de croire que le plus grand intérêt du roman contemporain, et particulièrement du sien, c’est l’étude toujours neuve de la femme, de la femme moderne, création très complexe à laquelle contribuent inégalement la nature, qui est toujours la même dans ses instincts, et la civilisation la plus raffinée qui a transformé ce fond primitif en créant le monde variable et mystérieux des sentiments. C’est la femme qui, dans nos sociétés modernes, fait la passion et les mœurs […]. L’importance que donne Balzac à la femme dans l’ensemble de son œuvre n’est donc que justice ; il abonde dans le vrai quand il essaye de justifier le rôle capital qu’il lui attribue et d’établir l’infériorité, ou tout au moins la monotonie de Walter Scott dans la peinture de ses héroïnes », Elme-Marie Caro, « Le roman contemporain. M. de Balzac, son œuvre et son influence », Revue européenne, 1er et 15 octobre 1859, t. V, pp. 5-36, et pp. 225-268 (p. 28 pour la présente citation).
  • [51]
    Théophile Gautier, Honoré de Balzac, op. cit., pp. 131-132.
  • [52]
    Voir mon introduction au numéro 147 de la revue Romantisme : « Génération Musset » (2010-1), pp. 3-12.
  • [53]
    30 occurrences seulement pour le mot « progrès » dans La Comédie humaine, alors que le mot « mode » en a 354… Dans Illusions perdues, le progrès apparaît comme une mystification : « Invente le Progrès (une adorable mystification à faire aux bourgeois) ! », CH, t. V, p. 459.
  • [54]
    « La mode est la fixité même en comparaison des vertigos dont notre littérature est saisie », « De la mode en littérature. Première lettre », La Mode, 29 mai 1830, OD, t. II, p. 756.
  • [55]
    « […] la babiole à la mode, enfin tout ce qui peut dans une femme trahir sa qualité, sa fortune, son caractère », Gaudissart II, CH, t. VII, p. 851.
  • [56]
    À l’époque où se déroulent Les Paysans, la mode n’avait pas « donné encore des valeurs exagérées aux débris des siècles passés » : aussi l’architecte chargé de rebâtir les Aigues a-t-il pu les meubler de « charretées de vieilleries », « de cinquante pour cent meilleur marché que les meubles de pacotille du faubourg Saint-Antoine », CH, t. IX, p. 196.
  • [57]
    « Ceci ne fut pas une de ces plaisanteries à la mode en 1830, époque à laquelle tout auteur faisait de l’atroce pour le plaisir des jeunes filles », L’Élixir de longue vie, CH, t. XI, p. 473. Voir aussi : Honorine, CH, t. II, p. 526.
  • [58]
    Voir mon article « Balzac face aux révolutions de la littérature », AB 2008 : « Balzac critique », pp. 25-42. (http://www.cairn.info/revue-l-annee-balzacienne-2008-1-p-25.htm)
  • [59]
    Voir ce qu’il en dit dans une recension des nouvelles de Musset, dans la Revue parisienne, en 1840 : « M. de Musset a bien plus de pénétration qu’il n’en faut pour savoir que la France renouvelle pour chaque lustre son mobilier littéraire : le poignard, −le cadavre, − l’horreur, − le moyen âge, − l’adultère, − l’intime, − l’historique, tout est fourbu. Enfin, le système de la plaisanterie elle-même a besoin d’être changé. Robert Macaire est vieux », « Lettres sur la littérature, le théâtre et les arts », Revue parisienne, 25 juillet 1840, CHH, t. 28, p. 143.
  • [60]
    Théophile Gautier, op. cit., p. 129 et p. 135.
  • [61]
    « Ce salon était donc une espèce de salon de province, mais éclairé par les reflets du continuel incendie parisien, sa médiocrité, ses platitudes suivaient le torrent du siècle. Le mot à la mode et la chose, car à Paris, le mot et la chose est comme le cheval et le cavalier, y arrivaient toujours par ricochet », Les Petits bourgeois, CH, t. VIII, p. 52.
  • [62]
    Autre étude femme, CH, t. III, p. 692.
  • [63]
    Le Cousin Pons, CH, t. VII, p. 502.
  • [64]
    Pierrette, CH, t. IV, p. 29.
  • [65]
    « Les femmes, en venant à La Baudraye, y furent alors constamment blessées par la priorité que Dinah sut s’attribuer en fait de modes ; et, quoi qu’elles fissent, elles se virent toujours en arrière, ou, comme disent les amateurs de courses, distancées », La Muse du département, CH, t. IV, p. 641.
  • [66]
    Le Cousin Pons, CH, t. VII, p. 499.
  • [67]
    Nombreux sont les exemples d’utilisation de la « langue artiste » : ainsi par exemple quand, à l’intention de Magus, Pierre Grassou emploie l’expression : « Il y a gras ! », Pierre Grassou, CH, t. VI, p. 1103.
  • [68]
    Voir entre autres cet extrait de Splendeurs et misères des courtisanes : « Dans le langage des filles, avoir de la probité, c’est ne manquer à aucune des lois de cet attachement, c’est donner tout son argent à l’homme enflacqué (emprisonné), c’est veiller à son bien-être, lui garder toute espèce de foi, tout entreprendre pour lui », CH, t. VI, p. 834.
  • [69]
    « Les femmes se demandaient comment la jeune étourdie était devenue, en une seule toilette, la séraphique beauté voilée qui semblait, suivant une expression à la mode, avoir une âme blanche comme la dernière tombée de neige sur la plus haute des Alpes », Le Cabinet des Antiques, CH, t. IV, p. 1016.
  • [70]
    Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 299.
  • [71]
    Voir l’usage qui est fait de ce concept par Éric Bordas dans son livre sur Balzac : Balzac, discours et détours. Pour une stylistique de l’énonciation romanesque, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2003.
  • [72]
    À la fin de son article intitulé « Des mots à la mode. La conversation », Balzac annonce que, dans un prochain article (qui ne sera malheureusement pas écrit), il complètera « l’éducation fashionable » qu’il vient de proposer « en passant en revue les idiomes de quelques salons de Paris ». Et il ajoute : « Nous croyons, sans néanmoins l’affirmer, que ces élégants dialectes dans lesquels le français entre pour beaucoup, ont reçu le nom de parlotte. Nous aurons soin de distinguer les sectes, les doctrines et les quartiers », La Mode, 22 mai 1830, OD, t. II, p. 755.
  • [73]
    La Muse du département, CH, t. IV, p. 641.
  • [74]
    « Il essaya d’éclipser Emmanuel en mêlant le jargon à la mode et les expressions d’une galanterie superficielle aux airs rêveurs, aux élégies soucieuses qui allaient si bien à sa physionomie », La Recherche de l’Absolu, CH, t. X, p. 797.
  • [75]
    Modeste Mignon, CH, t. I, p. 628.
  • [76]
    Voir pour cet usage sociolinguistique du mot, ce passage de La Cousine Bette : « Cet homme de l’Empire, habitué au genre Empire, devait ignorer absolument les façons de l’amour moderne. Les nouveaux scrupules, les différentes conversations inventées depuis 1830, et où la pauvre faible femme finit par se faire considérer comme la victime des désirs de son amant, comme une sœur de charité qui panse des blessures, comme un ange qui se dévoue. Ce nouvel art d’aimer consomme énormément de paroles évangéliques à l’œuvre du diable », La Cousine Bette, CH, t. VII, p. 140.
  • [77]
    Un prince de la bohème, CH, t. VII, p. 813.
  • [78]
    « Il est des femmes, reprit gravement Bixiou, il est aussi des hommes qui peuvent scinder leur existence, et n’en donner qu’une partie (remarquez que je vous phrase mon opinion d’après la formule humanitaire », La Maison Nucingen, CH, t. VI, p. 335.
  • [79]
    La Maison Nucingen, CH, t. VI, p. 331.
  • [80]
    Un homme d’affaires, CH, t. VII, p. 779.
  • [81]
    « Observez bien mon homme, ami Gazonal, vous allez voir la comédie de l’argent, l’homme froid qui ne veut rien donner, l’homme chaud qui soupçonne un bénéfice, écoutez-le, surtout ! », Les Comédiens sans le savoir, CH, t. VII, p. 1178.
  • [82]
    Voir par exemple les révélations de Mme Nourrisson au sujet des femmes comme il faut : « Mme Nourrisson donna des détails effrayants sur la misère secrète de quelques femmes dites comme il faut », ibid., p. 1172.
  • [83]
    Voir entre autres ce dialogue dans Les Comédiens sans le savoir : « […] je vous mène, cousin Gazonal, voir encore un comédien qui va jouer gratis une charmante scène… – Où ? dit Gazonal. – Chez un usurier », ibid., p. 1175.
  • [84]
    Un homme d’affaires, CH, t. VII, p. 779.
  • [85]
    Les Comédiens sans le savoir, CH, t. VII, p. 1172.
  • [86]
    « Vois-tu, cousin, tout est possible à Paris, en bien comme en mal, juste et injuste. Tout s’y fait, tout s’y défait, tout s’y refait », ibid., p. 1157.
  • [87]
    Le narrateur des Comédiens sans le savoir évoque en ces termes l’histoire des sociotopes parisiens de la notoriété : « Autrefois ce fut la place Royale, puis le pont Neuf, qui eurent ce privilège acquis aujourd’hui au boulevard des Italiens », ibid.
  • [88]
    Ibid., p. 1191.
  • [89]
    Il y aurait toute une recherche à faire sur les usages métaphoriques du mot chez Balzac. Voir entre autres cet exemple dans La Maison Nucingen, à propos du baron Nucingen : « […] il fit créer par un autre !... cette machine destinée à jouer le rôle du Mississipi du système de Law », CH, t. VI, p. 371.
  • [90]
    Les Comédiens sans le savoir, CH, t. VII, p. 1157.
  • [91]
    Le narrateur des Comédiens sans le savoir évoque « cette nappe d’asphalte sur laquelle, de une heure à deux, il est difficile de ne pas voir passer quelques-uns des personnages pour lesquels la Renommée embouche l’une ou l’autre de ses trompettes », ibid.
  • [92]
    Comme finit par le dire Gazonal, avec son accent méridional, dans Les Comédiens sans le savoir : « – C’ette uné kaléidoscope de sept lieues de tour » (CH, t. VII, p. 1161). Voir mon étude : « « “La ville aux cent mille romans”. Balzac face au kaléidoscope parisien », exposé au colloque sur « Le Roman urbain », organisé par l’Université d’Oslo, 15-17 juin 2006, publiée dans les Actes de ce colloque : Pour une cartographie du roman urbain du xixe au xxisiècles, Toronto, Presses de l’université de Toronto, 2007, pp. 47-57.
  • [93]
    « Carabine est une puissance, elle gouverne en ce moment du Tillet, un banquier très influent à la Chambre », Les Comédiens sans le savoir, CH, t. VII, p. 1160.
  • [94]
    « Le corps de ballet est à l’Opéra la grande puissance, aussi est-il de bien meilleur ton dans les hautes sphères du dandysme et de la politique d’avoir des relations avec la Danse qu’avec le Chant », ibid., p. 1161.
  • [95]
    « Tenez, voici la danseuse du troisième ordre, une danseuse qui n’existe que par la toute-puissance d’un journal », ibid.
  • [96]
    « Sa feuille a vingt-deux mille abonnés, dit Léon de Lora. C’est une des cinq grandes puissances du jour », ibid., p. 1165.
  • [97]
    Ibid., p. 1184.
  • [98]
    Ibid., p. 1169.
  • [99]
    Le mot est employé en italiques dans Les Comédiens sans le savoir, où il est mis dans la bouche de Mme Nourrisson qui médit d’une comtesse qui doit 300 frs à sa cordonnière : « Ça reçoit, ça fait, comme nous disons, un esbroufe du diable », ibid., p. 1172.
  • [100]
    Ibid., p. 1173.
  • [101]
    « Maxime les a blousés tous les deux, dit Léon à son cousin. Ce gaillard-là se trouve dans les intrigues de la Chambre comme un poisson dans l’eau », ibid., p. 1201.
  • [102]
    Ibid., p. 1162.
  • [103]
    Ibid., p. 1198.
  • [104]
    Lorédan Larchey, Les Excentricités du langage, 4e édition, Paris, Dentu, 1862, p. 37.
  • [105]
    Lors de leur visite à la Chambre des députés, Léon de Lora, Bixiou et Gazonal longent le couloir « où se tiennent les sténographes du Moniteur », ibid., p. 1197.
  • [106]
    CH, t. VI, p. 330.
  • [107]
    CH, t. VII, p. 778.
  • [108]
    « Une des plus grandes fautes que commettent les gens qui peignent nos mœurs est de répéter de vieux portraits. Aujourd’hui chaque état s’est renouvelé. Les épiciers deviennent pairs de France, les artistes capitalisent, les vaudevillistes ont des rentes. Si quelques rares figures restent ce qu’elles étaient jadis, en général, les professions n’ont plus leur costume spécial, ni leurs anciennes mœurs. Si nous avons eu Gobseck, Gigonnet, Chaboisseau, Samanon, les derniers des Romains, nous jouissons aujourd’hui de Vauvinet, l’usurier bon enfant, petit maître qui hante les coulisses, les lorettes, et qui se promène dans un petit coupé bas à un cheval », Les Comédiens sans le savoir, CH, t. VII, p. 1178.
  • [109]
    Un homme d’affaires, CH, t. VII, p. 779.
  • [110]
    « Il y a des poètes, des romanciers, des écrivains qui disent beaucoup de belles choses sur les mœurs parisiennes, reprit Bixiou, mais voilà la vérité sur les enterrements », La Maison Nucingen, CH, t. VI, p. 358.
  • [111]
    Un prince de la bohème, CH, t. VII, p. 809.
  • [112]
    Mais plus que le théâtre que lui-même écrit, je songe ici au théâtre qu’il va voir et entendre, et dont les répliques lui restent dans l’oreille, tout comme elles restent dans l’oreille de certains de ses personnages : le théâtre que jouent Arnal, Odry, Frederick Lemaître, et surtout Henry Monnier, en ombre chinoise derrière Bixiou, personnage emblème d’une certaine modernité balzacienne, à la fois cynique, spirituelle, mystificatrice, mais parlant vrai.
  • [113]
    Un homme d’affaires, CH, t. VII, pp. 778-779.
  • [114]
    Ibid., p. 778.
  • [115]
    « Les particularités de cette scène pleine d’observations et de couleurs locales ne peuvent être appréciées qu’entre les buttes de Montmartre et les hauteurs de Montrouge, dans cette illustre vallée de plâtras incessamment près de tomber et de ruisseaux noirs de boue […] », Le Père Goriot, CH, t. III, pp. 49-50.
  • [116]
    La Maison Nucingen, CH, t. VI, p. 331.
  • [117]
    Ibid., p. 331.
  • [118]
    « Bixiou glaça Gazonal par le rire du mystificateur parisien, ce rire muet et froid, une sorte de bise labiale », Les Comédiens sans le savoir, CH, t. VII, p. 1182.
  • [119]
    La Maison Nucingen, CH, t. VI, p. 331.
  • [120]
    Ibid.
  • [121]
    Ibid., p. 358.
  • [122]
    Ibid., p. 332.
  • [123]
    Ibid., p. 351.
  • [124]
    Ibid., p. 363.
  • [125]
    Ibid. p. 369.
  • [126]
    Ibid., p. 364.
  • [127]
    Ibid., p. 349. Même jeu dans Les Comédiens sans le savoir, où Balzac s’amuse à sténographier le langage télégraphique de l’espion Fromenteau, vantant les qualités nécessaires à l’exercice de son métier : « Ne nous faut-il pas la Vue des lynx ! – Audace (entrer comme des bombes dans les maisons, aborder les gens comme si on les connaissait, proposer des lâchetés toujours acceptées, etc.). – Mémoire. – Sagacité. – L’Invention (trouver des ruses rapidement conçues, jamais les mêmes, car l’espionnage se moule sur les caractères et les habitudes de chacun) ; c’est un don céleste. – Enfin l’Agilité, la Force, etc. », CH, t. VII, p. 1164.
  • [128]
    Un homme d’affaires, CH, t. VII, p. 780.
  • [129]
    Une fille d’Ève, CH, t. II, p. 318.
  • [130]
    « D’abord, abstraitement parlant, comme dit Royer-Collard, la question peut soutenir la critique de la raison pure, quant à celle de la raison impure… – Le voilà lancé ! dit Finot à Blondet », La Maison Nucingen, CH, t. VI, pp. 334-335.
  • [131]
    « La passion qui ne se croit pas éternelle est hideuse. (Ceci est du Fénelon tout pur) », ibid., p. 336.
  • [132]
    Un homme d’affaires, CH, t. VII, p. 778.
  • [133]
    « Il me semble entendre parler ce vieux Robert Macaire de Nucingen ! dit Finot. », La Maison Nucingen, CH, t. VI, p. 358.
  • [134]
    « Dans les derniers temps, Walter Scott, […] n’a pas osé peindre les femmes comme elles sont de peur d’être improper […] », ibid., p. 344. C’est là une idée que Balzac exprime déjà, en 1839, dans la Préface d’Une fille d’Ève, mais modulée ici de façon originale.
  • [135]
    135135. Op. cit., p. 135.
  • [136]
    La Maison Nucingen, CH, t. VI, pp. 331-332.
Français

Balzac est ici considéré comme un poète romanesque du moderne, qui a adopté cette esthétique de la modernité que Baudelaire (1846) et Gautier (1858) lui ont attribuée. Plus encore que sur Balzac « peintre de la vie moderne » (selon la formule que Baudelaire applique à « M. G. », 1863), l’étude insiste sur Balzac « sténographe de la vie moderne ». Mettant en application une intuition de Locke, Balzac semble en effet s’être lancé ce défi : sténographier le moderne en ses langages et ses sonorisations. Déjà à l’œuvre dans divers essais romanesques des années 1830, un tel projet revient dans trois récits-conversations : La Maison Nucingen (1838), Un homme d’affaires (1846) et Les Comédiens sans le savoir (1846), qui ont pour trait commun que c’est Bixiou, le mystificateur, qui y mène la conversation, de façon ludique et déstructurante, de manière à rendre le mouvement incertain et fluctuant d’une société anomique.

José-Luis Diaz
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/11/2018
https://doi.org/10.3917/balz.019.0231
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