CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 La décennie 1850, inaugurée par la mort de Balzac le 18 août, marque le passage du romancier à la postérité. Ce passage s’opère au sein d’une partie de la critique littéraire et des proches de l’écrivain à grand renfort d’articles, de souvenirs, de mémoires et de portraits biographiques dont un grand nombre s’apparente au genre de la « visite [ici posthume] au grand écrivain [1] ». Ce déferlement de textes à caractère « hagiographique » et « légendaire », comme le note avec exaspération Armand de Pontmartin, organise l’apothéose de Balzac autour d’une tendance voyeuriste mettant à l’honneur « cette auréole intime », « ce nimbe domestique », que dénonce le critique du Correspondant[2]. En effet, dans le sillage de la pensée de Sainte-Beuve en matière biographique, les célébrités littéraires sont portées sur les devants de la scène critique et médiatique dans leur vie privée. Ironiquement, l’auteur de La Comédie humaine n’est pas le dernier à faire l’objet d’une étude à la Balzac. De fait, avec la « littérature des physiologies [3] », l’œuvre du romancier a non seulement contribué au premier plan à faire de l’observation des mœurs domestiques de ses contemporains un enjeu scientifique et un sujet littéraire en soi, mais elle a également placé au cœur de son système la question de la gloire et de la spectacularisation touchant à la figure de l’Artiste. Si l’étude qu’Hippolyte Taine consacre à un Balzac « naturaliste », auquel il emprunte ses habits de « tapissier » et de « docteur en sciences sociales [4] », demeure circonscrite au motif de la misère financière associée à l’espace du « grenier », puis à celui de l’opulence dans une « maison élégante » au profit de l’étude de l’œuvre littéraire, l’ancien secrétaire du romancier, Léon Gozlan, auteur d’un Balzac en pantoufles en 1856, use et abuse au contraire de ses entrées chez Balzac. Il livre au lectorat un portrait bio­graphique tout à la fois railleur et élogieux qui, émaillé des anecdotes les plus fantaisistes, s’inscrit de manière singulière dans le genre des « vies » et du conte [5]. Ce type de portrait intimiste, pas toujours flatteur mais assurément plaisant, fait alors fureur chez les éditeurs et dans la presse, à mesure qu’un triple phénomène prend son essor. Il accompagne, au cours des années 1850-1860, l’épanouissement des arts décoratifs, de la collection [6] et d’une culture bourgeoise de repli dans le home, sweet home, conditionné par la ruine des espoirs républicains et la censure impériale. Le monde littéraire n’y échappe pas, qui s’embourgeoise et qui se soumet à une forme d’« assignation à résidence » aux multiples visages, quand le bourgeois commence à se faire apprenti tapissier. Ainsi, tandis que les frères Goncourt ou Victorien Sardou se retirent sous les ors de leur maison-écrin, Victor Hugo, bien qu’en exil, devient un modèle à suivre pour la nouvelle élite grâce aux témoignages admiratifs d’Eugène de Mirecourt ou d’un autre initié de la place Royale [7] : Théophile Gautier.

2 Tiraillé entre la nostalgie qui l’attache aux grandes heures romantiques du Doyenné et de la place Royale, et l’aspiration au comfort bourgeois que lui assure la pension octroyée par le nouveau régime, Gautier s’interroge beaucoup sur le statut de l’Artiste, qu’il associe étroitement à la question des lieux fréquentés et habités par l’« élite artiste [8] ». La disparition de Balzac et l’anéantissement des rêves de son ami, à peine installé rue Fortunée quand il meurt, intensifient une prise de conscience [9] que la vente aux enchères des objets composant le merveilleux ameublement de Hugo, en juin 1852 [10], ne fait que renforcer, sur fond d’haussmanisation et de destruction de vestiges « littéraires ». C’est dans ce contexte que le « poète impeccable » consacre au génie « voyant » une « grande étude » dans L’Artiste, en 1858 [11]. Jusqu’à très récemment, les travaux consacrés au texte ont souligné la parenté des portraits de Gozlan et de Gautier, en insistant sur le ton plaisant et anecdotique employé par les deux auteurs. C’est là un élément d’analyse intéressant mais qui limite la portée et la démarche de la Grande Étude. Aussi nous proposons-nous d’analyser ce texte à nouveaux frais. D’une part, nous chercherons à éclairer la manière dont Gautier, « architecte d’intérieurs » et décorateur des lieux balzaciens à sa manière, double le « parcours des honneurs » de l’écrivain d’un « parcours des demeures », dont la conclusion, rue Fortunée, suggère la fin – ou la banalisation – d’un certain art de vivre. D’autre part, il s’agira de dégager les mécanismes d’intégration et de légitimation des domiciles de Balzac dans la légende dorée d’un écrivain érigé en figure « sérieuse » et mythique de l’Artiste romantique à partir des notions d’image d’auteur, de scénographie auctoriale et de posture [12] appliquées aux lieux de vie et d’écriture. Après un état des lieux qui fera apparaître les motifs autour desquels s’organise le passage en revue des domiciles de Balzac par Gautier, il s’agira d’observer comment s’opère la sédentarisation de l’« excentrique » Balzac dont les intérieurs sont des modèles de singularité artiste. De ces éléments d’analyse se dégagera l’idéal qui sous-tend le récit de Gautier et que l’on pourrait résumer ainsi : est Poète celui qui est voué à habiter ses chimères.

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4 Tout au long de la Grande Étude, notre « passe-muraille » adopte un parti-pris biographique qui trouve dans les déménagements rocambolesques et l’ameublement extravagant du romancier des repères chronologiques dont le biographe ne respecte pas, cependant, le fil temporel exact. De la même manière, l’état des lieux des domiciles de Balzac ne répond pas à une logique exhaustive : il met à l’honneur certains intérieurs au détriment d’autres, simplement évoqués en façade ou simple­ment désignés par le nom de la rue où ils sont situés. Ainsi, l’ancien Jeune-France, dans une entrée en matière in medias res, effectue un détour par le Doyenné et par la rue Cassini où vivaient respectivement Gautier et Balzac en 1835, date de leur rencontre. Le parallèle entre les deux domiciles appuie d’emblée, en filigrane, l’autoportrait de Théophile à travers le portrait d’Honoré, quand la mention inattendue et un peu forcée du Doyenné [13] a pour fonction d’inscrire l’un des hauts lieux du romantisme dans le panorama des lieux balzaciens. Pourtant, Gautier trompe l’horizon d’attente et nous laisse sur le seuil du « pavillon », dont nous apprendrons seulement qu’il est bordé d’un « jardin » et situé dans une « petite rue peu fréquentée baptisée du nom de Cassini » (p. 4). S’agit-il il là d’une captation de bienveillance, destinée à piquer la curiosité du lecteur ? Sans doute. Mais il convient également de lire dans ce choix la volonté de Gautier de mettre l’accent sur le portrait en pied du « bénédictin du roman » (p. 6), menant là une « vie claustrale » (ibid.), dans un domicile qui présente peu d’intérêt dans l’économie du récit. Après un nouveau détour par le collège de Vendôme, la bibliothèque de l’oncle et la pension de M. Lepître, Gautier opère une longue pause autour du premier domicile où Balzac entreprend de devenir écrivain. Trois leitmotive complémentaires se mettent alors en place, subsumés dans celui de la mansarde du pauvre et laborieux poète : celui du « réduit », qualifié de « misérable » (p. 33), celui de la chambre d’écriture et celui du « nid ». Le premier campe un Balzac sans le sou dans un registre alternant entre le registre burlesque :

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Figurez-vous le jeune Honoré les jambes entortillées d’un carrick rapiécé, le haut du corps protégé par un vieux châle maternel, coiffé d’une sorte de calotte dantesque dont madame de Balzac connaissait seule la coupe, sa cafetière à gauche, son encrier à droite, labourant à plein poitrail et le front penché, comme un bœuf à la charrue […] (p. 42-43) [14],

6 et un registre poético-épique : « La lampe brille comme une étoile au front de la maison noire, la neige descend en silence sur les tuiles disjointes, le vent souffle » (p. 43). Le deuxième ancre plus avant l’image de la retraite du « forçat des lettres » retiré dans un espace d’allure monacale. Le dernier instaure la métaphore filée de l’artiste démiurgique et céleste dont le front, génial, côtoie le faîte des toits de Paris. L’esquisse de la mansarde, « perchée rue de Lesdiguières » (p. 32), où « maître Honoré, juché près du ciel » (p. 33) travaille, se précise à la faveur de l’évocation héroï-comique de la « Fable du corbeau et du renard » de Jean de La Fontaine. Mais, c’est surtout l’hypotypose, aux motifs topiques, qui traduit la complaisance moqueuse de Gautier, avant qu’une observation d’ordre épique conclue la description : « Si quelque passant attardé eût levé les yeux vers cette petite lueur obstinément tremblotante, il ne se serait certes pas douté que c’était l’aurore des plus grandes gloires de notre siècle » (p. 43).

7 La « vie d’ermite » (p. 48) de celui qui a fait vœu de chasteté [15] désigne une cellule monacale, éclairée par le fanal de la pensée, et non un « intérieur bourgeois ». C’est donc l’absence de décoration et la réduction de l’ameublement aux objets emblématiques du sacerdoce littéraire nocturne qui organisent la description, en noir et blanc : table de travail, encrier, cafetière, lampe ont pour pendants, dans la mise de poète, le châle et la calotte « dantesque ». On comprend bien que Gautier, quelques pages plus loin, affirme que « Balzac excelle d’ailleurs dans la peinture de la jeunesse pauvre » (p. 65). Par la suite, c’est dans les mêmes termes et dans un agencement similaire qu’est décrit le cabinet de travail de Balzac, rue des Batailles, où un étrange meuble fait son apparition au sujet du romancier : un lit ! Le caractère militaire, presque « napoléonien », de cette couche confère toutefois une note balzacienne au « lit de camp » de l’écrivain noctambule, plus fidèle à sa table de travail, surchargée, qu’à son lit de ferraille, austère :

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Balzac ouvrit une porte secrète et nous fit pénétrer dans un couloir obscur qui circulait autour de l’hémicycle ; à l’une des encoignures était placée une étroite couchette de fer, espèce de lit de camp du travail ; dans l’autre, il y avait une table « avec tout ce qu’il faut pour écrire », comme dit M. Scribe dans ses indications de mise en scène : c’était là que Balzac se réfugiait pour piocher à l’abri de toute surprise et de toute investigation (p. 85-86) [16].

9 Mais c’est aux Jardies que le dépouillement de l’ameublement se fait le plus ressentir. Au sujet des inscriptions tracées par Balzac, en guise de programme décoratif sur les murs de ce que Gautier qualifie modestement de « cottage » et de « chalet » (p. 98), l’ami ne joue pas la carte du rire, à la différence de Gozlan qui souligne le caractère irréel et démesuré du décor [17]. Plus discret, touché par cet épisode hautement poétique et romanesque, Gautier préfère rapporter le sujet à deux aspects : l’insistance sur les notions poétiques de « rêve » et de « chimères », d’où découle naturellement la référence au poète des chimères par excellence, Gérard de Nerval, le colocataire du Doyenné :

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Les magnificences des Jardies n’existaient guère qu’à l’état de rêve. Tous les amis de Balzac se souviennent d’avoir vu écrit au charbon sur les murs nus ou plaqués de papier gris : « Boiserie de palissandre, – tapisserie des Gobelins, – glaces de Venise, – tableaux de Raphaël. » […]
Gérard de Nerval avait déjà décoré un appartement de cette manière, et cela ne nous étonnait pas. […] et s’il prêta à rire par ses chimères, il sut du moins se bâtir une demeure éternelle, un monument « plus durable que l’airain », une cité immense […] (pp. 116-117).

11 Gautier escamote, par la suite, la description de la maison de Passy, car liée à la collection hétéroclite de bibelots et de meubles sans doute, pour en venir à l’ultime séjour parisien du romancier. Bien que la suite du propos souligne la pompe du décor et l’abondance d’objets, Gautier s’ingénie jusqu’au dernier moment à valoriser le motif du « réduit » (p. 169), terme utilisé à contre-emploi pour évoquer la « petite maison mystérieuse » (p. 168) de la rue Fortunée. L’emploi paradoxal de ces termes, pour qualifier le joyau que Balzac façonne pour son épouse et sa collection, peut surprendre. Mais il est possible d’y voir le souci de Gautier de souligner deux choses : d’abord les revers soudains de « fortune » de son ami, ensuite l’artificialité romanesque du parcours des demeures qu’il a dressé… Or, ce dernier n’a d’égal que le caractère topique et théâtral avec lequel Balzac, qui « avait en lui l’étoffe d’un grand acteur » (p. 112), se met lui-même en scène à demeure, à la manière de Scribe, et feint de croire à ses propres mascarades [18]. Ainsi, celui qui échoua au théâtre – comme Gautier ! – excelle paradoxalement dans l’art de la mise en scène de sa personne et de ses décors.

12 Et pour cause. En regard de la scéno-mythographie romantique qui veut que l’Artiste vive frugalement, dans une retraite solitaire avoisinant le ciel, ce sont au contraire des intérieurs chatoyants et saturés d’objets qui entourent un second Balzac. Ce contraste répond à une observation centrale que Gautier rapporte à une analyse du romancier en personne. Au sujet du luxe fastueux de son domicile à Chaillot, l’auteur de la Grande Étude note : « Il s’était arrangé là un intérieur assez luxueux, car il savait qu’à Paris, on ne croit guère au talent pauvre, et que le paraître y amène souvent l’être » (p. 81) [19].

13 Cette déclaration, aux accents gnomiques, est riche de sens : elle suggère, d’une part, que l’auteur de La Comédie humaine applique à l’écrivain l’esbroufe du jeu bourgeois qui consiste à donner le change pour s’attirer les regards et le succès dans une société du spectacle qui ne reconnaît que celui qui semble avoir déjà réussi ; et d’autre part, que le costume finit par faire l’homme, le décor d’un théâtre la décoration d’un vrai domicile. Dans cette perspective, le logement de la rue des Batailles se situe au croisement des deux catégories de domiciles décrits par Gautier. En effet, si le cabinet monacal tire du côté de la mansarde, le boudoir adjacent tire au contraire du côté des hôtels aristocratiques et de leurs avatars modernes : les appartements de la grande bourgeoisie. Aux Jardies, l’on retrouve le goût de Balzac pour l’ostentation et le faste, mais à l’état de chimères scripturaires, sur les murs. La maison de Passy trouve, elle aussi, sa place dans le panorama des maisons de Balzac, quand il s’agit d’évoquer le fameux bric-à-brac à la Balzac, ensemble hétéroclite constitué des « vieux meubles », « potiches » et « bahuts » (p. 167) dont s’entiche « l’archéologue du mobilier social [20] ». Enfin, c’est bien sûr rue Fortunée que finissent par converger les différentes aspirations de Balzac en matière d’ameublement.

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15 L’intérêt de Gautier pour les domiciles richement et abondamment meublés d’un Balzac architecte de ses intérieurs constitue une part non négligeable de la Grande Étude. Pour autant, la caractérisation par Gautier de la décoration comme de la collection de bibelots et de meubles de son ami n’est pas univoque et encore moins dithyrambique.

16 Au sujet des goûts artistiques de Balzac, le poète d’Émaux et Camées, critique d’art aguerri au demeurant, déclare sans ambages que le romancier, parce que profondément en phase avec les « choses modernes », était « peu sensible à la beauté plastique » (p. 130) [21]. Pour Gautier qui oppose la « Parisienne » (ibid.) à la Vénus de Milo, le goût du « génie compliqué, touffu et divers » (p. 131) de Balzac se rapproche de l’esthétique rugueuse et sans concession de Rembrandt [22]. Il se démarque des délicatesses de l’auteur de la « Symphonie en blanc majeur » d’Émaux et Camées pour qui la beauté idéale de l’Antiquité gréco-latine et de la Renaissance constitue des modèles indépassables. Ainsi, l’évocation du salon de la rue des Batailles, empruntée à la description du boudoir de Paquita dans La Fille aux yeux d’or, est assortie de quelques commentaires derrière lesquels pointe l’ironie de Gautier. Voyons cette remarque d’ordre géométrique : « Ce fut avec une satisfaction enfantine que Balzac nous montra ce boudoir pris dans un salon carré, et laissant nécessairement des vides aux encoignures de la moitié arrondie » (p. 85), ou la réduction comique des deux pages du texte balzacien dans la locution oxymorique de « splendeurs coquettes », et dans le terme « luxe » : « Quand nous eûmes admiré les splendeurs coquettes de cette pièce, dont le luxe paraîtrait moindre aujourd’hui […] » (ibid.).

17 De fait, ce qui ressort de ce passage, ce n’est pas la beauté et le bon goût du tapissier Balzac mais l’esprit théâtral, l’inclination démesurée du « lion » (p. 82) pour les grands effets du luxe d’apparat, enfin le désir de Balzac de brasser de l’argent, soit en montrant par son intérieur qu’il en possèderait, soit en spéculant sur la valeur marchande des objets. Ce dernier point est souligné par Gautier au sujet de la passion que Balzac développe à Passy pour les objets anciens. Avec ironie, Gautier évoque les tours de passe-passe d’un Balzac bonimenteur et spéculateur, spécialisé ès antiquités. Il faut dire que Gautier le connaissait bien, ce « fastueux financier » (p. 167), lui à qui l’heureux propriétaire d’un prétendu « secrétaire de Henri IV » et d’une « commode de Marie de Médicis » avait commandé – en vain – des articles dans la presse pour faire gonfler leur prix de vente [23]… Ce Balzac, c’est le dandy des « magnificences des Jardies » (p. 116) déjà énumérées. En somme, ce Balzac pompeux est bien plus proche de la satire du goût aristocratique du comte George dans Fortunio que du « nid de poésie » charmant du héros éponyme [24]. Ou, pour prendre un autre duo – duel – de tapissiers balzaciens, l’hôte de la rue des Batailles tient davantage de celui que Gautier qualifie de « faux poète » (p. 122), ce Canalis voltairien vivant dans un hôtel particulier, que du Balzac de la rue de Lesdiguières et de la rue Cassini. Cet autre Balzac serait plus conforme à l’imagerie romantique de Modeste Mignon [25] ou de « Fleur d’automne » vis-à-vis du poète des mansardes parisiennes et de la « chartreuse solitaire » de l’« ermite [26] » où se dessinent en creux l’image de Rousseau à Ermenonville et celle de Chateaubriand à la Vallée-aux-Loups.

18 D’une tout autre portée, en revanche, l’énumération qui concerne, cette fois, la collection de Balzac rue Fortunée. D’un domicile à l’autre, le goût de Balzac ne s’est pas seulement développé en faveur des objets anciens, il s’est également affermi en matière artistique. C’est ce que l’on peut lire (entre les lignes) dans l’évocation des trésors de l’hôtel particulier. Par-delà les « mille détails de luxe et de confort » (p. 169) qui trahissent encore le Balzac de Chaillot et la nouvelle « fortune » de l’époux de Mme Hanska, se distinguent des objets à « faire envie » à Gautier autant – sinon plus – qu’aux artistes mentionnés : « […] nous pûmes voir […] des buffets, des crédences et des chaises en bois sculpté, à faire envie à Berruguète [sic], à Cornejo Duque et à Verbruggen » (ibid.). Ces trois artistes, Gautier les connaît bien : il a découvert leurs œuvres au cours de ses voyages en Espagne. Peut-être même faut-il deviner, derrière ces noms, l’éloge que Gautier s’adresse avec humour, et le fantasme dont le poète meuble, par procuration, sa « petite maison » de Neuilly. Le moins que l’on puisse dire en tout cas, c’est que le nouvel intérieur de Balzac, s’il n’est pas explicitement qualifié de « beau », entretient une relation étroite avec les trésors du cousin Pons, que Gautier dit avoir reconnus dans le texte [27]. Ne pouvant se départir de son humour caustique, le biographe ne peut toutefois pas s’empêcher de rapporter la remarque qu’il fit à son hôte, qui feignait d’être « plus pauvre que jamais » (p. 170) et se disait être le « gardien et le portier de l’hôtel » (p. 171) [28] : « Vous avez donc vidé un des silos d’Aboul-Casem ? » (p. 170). Cette belle répartie appelle une remarque essentielle : rapportant sur le mode comique l’intérieur de Balzac, hétéroclite et gorgé de « splendeurs », à un décor des Mille et une nuits, elle souligne la dimension romanesque et irréelle d’une caverne de conte de fées.

19 Morceau de bravoure décoratif, « croquis » d’artiste-peintre, l’intérieur de la rue Fortunée démontre en effet plus que jamais l’extravagance et l’exubérance d’un génie débordant et indomptable dont Gautier n’a de cesse de montrer la puissance de travail et les talents de « voyant » (p. 38) [29]. De fait, l’œil rembranesque de Balzac ingérerait le monde, à l’image d’un ogre rabelaisien que Gautier ne cesse de représenter à table. Dans ce sens, les intérieurs de Balzac traduisent ces qualités de façon tangible et ont valeur de manifeste en actes et en paroles. En « paroles », car Gautier convoque la voix de son ami défunt dans une prosopopée touchante qui ramène le romancier à la vie, grâce à des dialogues prétendument historiques et, surtout, grâce à la citation d’extraits de La Comédie humaine.

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21 Le ressort dramatique sur lequel repose la Grande Étude, quelques années seulement après la disparition brutale de Balzac, donne au texte l’une de ses particularités les plus remarquables : montrer Balzac comme l’architecte d’intérieurs de ses domiciles et, simultanément, des intérieurs de ses personnages. Ainsi, Gautier fait sienne et prête à la création balzacienne l’idée romantique selon laquelle l’auteur se donne à voir dans ses personnages. Mais Gautier va plus loin en soulignant la continuité qui unirait les intérieurs de Balzac à ceux de ses personnages.

22 Ce parti pris s’appuie en premier lieu sur l’ensemble de citations intégrées au texte. Ces citations ont pour but de démontrer que Balzac transposait dans son œuvre son expérience personnelle, comme l’affirme Gautier sans détours. Aussi le jeune Honoré de la rue de Lesdiguières se cacherait derrière Facino Cane, dans le texte homonyme, et derrière Raphaël dans La Peau de chagrin. Les objets de la rue Fortunée seraient identifiables chez le cousin Pons. Quant au boudoir de Paquita dans La Fille aux yeux d’or, il serait le reflet « scrupuleu[x] » (p. 82) du salon de la rue des Batailles. Par conséquent, cela revient à dire que Balzac est chez lui chez ses personnages, et inversement, que ces derniers habitent chez leur auteur. Toutefois, il convient de poser un certain nombre de garde-fous au pari extrême de la mimesis selon Gautier. Tout d’abord parce que manquent à l’inventaire des textes que l’on aurait pu penser relever de cette démarche : ainsi du « bocal aux grands hommes[30] » de la rue des Quatre-Vents où Daniel d’Arthez fait son apprentissage dans un quartier fréquenté par Balzac, ou bien encore les lignes qui, dans Le Cousin Pons, ont justement été identifiées par Gautier dans la Grande Étude. La mémoire des textes est donc ici tout aussi sélective que la mémoire des demeures. Mieux : Gautier ne se contente pas d’escamoter certains intérieurs (comme à Passy ou rue Cassini) : il pratique des coupes dans les extraits cités. Et pas des moindres. Par exemple, au sujet de la mansarde de Facino ou de Raphaël, Gautier cite abondamment la description. Mais il retranche du texte les éléments qui ne coïncident pas avec le fil de son propre récit : le chaste Balzac, dévoué corps et âme à l’édification de son œuvre, ne doit pas côtoyer les femmes de trop près au point de s’installer chez l’une d’entre elles – ce que fait Raphaël. De même, c’est un Balzac écrasé par la fatigue et son fardeau littéraire que l’étude dépeint. Gautier coupe donc les deux passages du texte dans lesquels le personnage évoque son ménage avec sa logeuse d’une part, et développe des réflexions d’ordre sensualiste sur le bonheur d’autre part [31]. Ailleurs, Gautier sélectionne les lignes dans lesquelles le personnage fait l’inventaire de ses rares biens et de ses nombreuses privations. Cependant, Gautier ne mentionne pas la réplique précédente et le début de la réplique citée où Raphaël dit, « avec une sorte de fierté [32] », s’être réjoui de ce mode de vie qu’il avait sciemment choisi [33] ! À la lumière de ces observations, il semble donc que Gautier ne s’intéresse pas tant aux intérieurs balzaciens en tant que miroirs où se concentre l’image de la société de son temps. Ce qui l’intéresse, c’est le principe de transposition selon lequel Balzac a écrit sa vie dans son œuvre jusqu’à sublimer sa tumultueuse destinée dans ses romans.

23 En effet, la caractérisation des domiciles de Balzac souligne la portée poétique, romanesque, étrange, en bref la singularité des lieux et du modèle artiste. En plus d’aligner les domiciles sur des catégories de lieux romantiques littéraires « typiques », Gautier s’ingénie à mettre en valeur la dimension hors norme des demeures occupées par le romancier, qui ne ressemblent en rien aux habitations bourgeoises. Qu’il s’agisse de l’ameublement ou de la répartition des pièces, des objets rassemblés ou des habitudes du romancier, tout concourt à faire de Balzac et de son cadre de vie un personnage et un décor romanesques. Ainsi, le rapprochement de l’enseigne repérée aux abords de la maison de la rue Cassini – Labsolu, marchand de briques – avec La Recherche de l’Absolu préfigure cette démarche au seuil de l’étude (p. 4). Tandis que les accessoires vestimentaires, le mode de vie et le caractère de Balzac concentrent la référence au monde romanesque et au monde poétique, avec la « calotte dantesque », la « canne monstrueuse » (p. 158) ou le froc monacal, d’autres remarques, au sujet des domiciles, abondent. En marge de l’affaire des ananas des Jardies, Gautier évoque l’architecture inversée de la maison de Passy dont il faut « descendre trois étages pour arriver au premier » (p. 163). Surtout, il emploie à plusieurs reprises les termes de « magnificences », de « splendeurs » et de « merveilles ». Ces substantifs ne soulignent pas seulement l’extravagance fastueuse du tapissier Balzac : les termes font aussi écho à la puissance imaginative et créatrice du romancier qui donne vie aux chimères et aux « projets bizarres » (p. 97) qu’il forme dans son esprit. Gautier note que « [d]ésarçonné d’une chimère, Balzac en remontait bien vite une nouvelle » (ibid.), et qu’il « possédait le don d’avatar, c’est-à-dire celui de s’incarner dans des corps différents » (p. 38). Au sujet de festins fantasmés par Balzac, Gautier rappelle que « l’idée était si vive, qu’elle devenait réelle en quelque sorte ; parlait-il d’un dîner, il le mangeait en le racontant » (pp. 94-95). En ce sens, ne peut-on pas voir l’application de ce principe dans la réalisation idéale des intérieurs et de leurs décors dans les romans de l’écrivain ? C’est ce qui paraît ressortir également des nombreux passages consacrés aux chimères domestiques de Balzac : les inscriptions que l’« arrangeur de mots » note sur les murs des Jardies organiseraient ainsi littéralement la réalisation effective du décor non pas dans la réalité mais dans La Comédie humaine. Dès lors, l’évocation des « bizarreries du papier de tenture » (p. 45), sur les reliefs desquels la pensée du personnage Balzac passe et s’accroche, fait penser aux murs couverts de « papier gris » (p. 117) des Jardies, équivalent des pages blanches que le romancier noircit de lettres et de mots [34]. Balzac serait alors au roman ce que Nerval, convoqué dans ce passage, est à la poésie : celui qui vit, celui qui habite (dans) ses chimères.

24 *

25 Le « Balzac raconté par ses demeures », tel que le brosse Gautier, s’apparente davantage à un processus de sédentarisation qu’à une assignation à résidence contraignante. Du récit-mosaïque ressort une image bigarrée de l’écrivain qui parvient, malgré tout, à contrebalancer l’image littéralement « excentrique » du Balzac flâneur à qui sa canne conférait le don d’ubiquité, du Balzac moqué par la presse satirique au cours de la décennie précédente [35]. Le Balzac façonné par la Grande Étude est un Balzac plus « sérieux ». De ce point de vue, l’observation du romancier sous l’angle de l’ameublement de ses intérieurs et de l’intimité, qui nous fait pénétrer les arcanes de la création, participe à plein de cette image. Balzac revêt tour à tour les visages du « poète crotté », du tapissier, du collectionneur ou encore de l’amateur d’art. En définitive, c’est un Balzac pour ainsi dire « maudit » dont Gautier fait le portrait : un Balzac balloté de lieu en lieu, condamné par un sort funeste à mourir quand il arrive rue Fortunée, quand il est parvenu à conjuguer succès, richesse et bonheur conjugal. Le caractère topique du « parcours des demeures » et du personnage balzacien n’emprunte pas pour autant le chemin de la banalisation que la figure de l’Artiste et ses lieux connaissent au cours de la seconde moitié du siècle avec l’appropriation des codes artistes par la bourgeoisie. Les multiples visages de Balzac et les change­ments de décors associés, tout comme l’imbrication extraordinaire du romanesque et du réel à tous les niveaux de son existence, distinguent le romancier entre tous. Si la sédentarisation de Balzac recentre le personnage chez lui sur une image de « grand écrivain », observé dans les coulisses de la création, elle n’affranchit pas pour autant le romancier de son extravagance caractéristique et ne le confond pas avec M. Prudhomme. Le disciple du Doyenné et de l’hôtel de Lauzun, l’ancien Jeune-France se refuse à livrer son ami aux affres de l’embourgeoise­ment le plus insipide et de sacrifier la diversité des talents de l’architecte d’intérieurs. C’est ainsi que Gautier contribue à mettre à l’honneur un style décoratif à la Balzac, qui, bien qu’associé à l’idée de bazar et de mauvais goût pour bien des contemporains, n’en deviendra pas moins un modèle à suivre pour beaucoup d’autres.

26 Dès lors, la Grande Étude suffit-elle à réhabiliter, du moins à corriger les contours farfelus du personnage et des demeures que Gozlan a contribué à grossir en 1856 ? Sans doute pas, car le texte de Gautier n’est pas exempt de contradictions et de limites. Cependant, même à considérer ces marges, il n’est pas dit que le dévoilement d’une intimité domestique, à la fois sublime et grotesque, implique la désacralisation de la figure du romancier, ainsi que Roland Barthes invite à le penser dans Mythologies. Car la « noble parole démiurgique » du génie s’impose en définitive au lecteur par-delà l’aspect prosaïque de sa personne et d’un habitat terrestre : « […] on aurait bien tort de prendre cela pour un effort de démystification. C’est tout le contraire. Sans doute, il peut me paraître touchant et même flatteur, à moi simple lecteur, de participer par la confidence à la vie quotidienne d’une race sélectionnée par le génie […] » [36].

27 Demeurent malgré tout au cœur du problème les bizarreries chimériques d’un Balzac nervalisé qui risque bien de passer encore pour un original aux yeux des philistins. Quoi qu’il en soit, le texte de Gautier repose sur un parti pris original qui favorise l’entrée des demeures balzaciennes dans la « légende dorée » de l’écrivain : arrimer l’existence humaine de Balzac et ses domiciles au monument littéraire de La Comédie humaine. Réalisés, immortalisés, valorisés dans l’œuvre du romancier, les intérieurs de Balzac entament leur passage à la postérité grâce à l’œuvre littéraire, tel un seuil, avant de faire l’objet d’une monumentalisation à part entière au tournant des xix e et xx esiècles, quand la maison de Passy deviendra un mémorial, puis une maison-musée.

Notes

  • [1]
    Voir Olivier Nora, « La visite au grand écrivain », in Pierre Nora [dir.], Lieux de mémoire. II. La nation, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1986, pp. 563-587.
  • [2]
    Armand de Pontmartin (1811-1890), « Les fétiches littéraires. I. M. de Balzac », Le Correspondant, 25 novembre 1856, cité par Stéphane Vachon dans Balzac, PUPS, « Mémoire de la critique », 1999, p. 175.
  • [3]
    Voir Valérie Stiénon, La Littérature des physiologies. Sociopoétique d’un genre panoramique (1830-1845), Classiques Garnier, « Études romantiques et dix-neuviémistes », 2012.
  • [4]
    Hippolyte Taine, Nouveaux essais de critique et d’histoire, Hachette, 2e éd., 1866, p. 64 et p. 81.
  • [5]
    Voir Léon Gozlan (1803-1866), Balzac intime : Balzac en pantoufles, Balzac chez lui, préface de Jules Claretie, Librairie Illustrée, 1886 [réunion de deux volumes de 1856 et 1861].
  • [6]
    Voir Dominique Pety, « Décoration vs. Collection », dans son ouvrage Poétique de la collection au xix e siècle. Du document de l’historien au bibelot de l’esthète, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2010, pp. 257-290.
  • [7]
    Voir Manuel Charpy, « L’ordre des choses. Sur quelques traits de la culture matérielle, bourgeoise, parisienne, 1830-1914 », Revue d’histoire du xix e siècle, n° 34, 2007, pp. 126-128.
  • [8]
    Voir Nathalie Heinich, L’Élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, 2005.
  • [9]
    Voir Marie-Clémence Régnier, « Habiter en Poète. Idéalisations du chez-soi du poète chez Théophile Gautier », actes de la journée d’étude des Doctoriales de la Société des études romantiques et dix-neuviémistes (Paris-Diderot, 8 février 2014), et « “Je ne suis pas de ceux dont la postérité signalera les maisons”. Place et statut des maisons de Théophile Gautier dans sa patrimonialisation (1867-1922) », in Catherine Mayaux et Sophie Lemaitre [dir.], Quand les écrivains font leur musée, Bruxelles, Peter Lang, 2017, pp. 237-243.
  • [10]
    Voir Théophile Gautier, « Vente du mobilier de Victor Hugo », La Presse, 7 juin 1852.
  • [11]
    Sur la parution du texte, voir Claude-Marie Senninger, « Honoré de Balzac », dans son volume Honoré de Balzac par Théophile Gautier, Nizet, 1980, et Théophile Gautier, Balzac, édition présentée et annotée par Jean-Luc Steinmetz, postface de Candice Brunerie, Bègles, Le Castor astral, 2011.
  • [12]
    Voir Dominique Maingueneau, Le Contexte de l’œuvre littéraire. Énonciation, écrivain, société, Malakoff Dunod, 1993 ; José-Luis Diaz, L’écrivain imaginaire. Scénographies auctoriales à l’époque romantique, Champion, 2007 ; Jérôme Meizoz, Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur, Genève, Slatkine Érudition, 2007.
  • [13]
    « Vers 1835, nous habitions deux petites chambres dans l’impasse du Doyenné […] » (Gautier, Honoré de Balzac avec un portrait gravé à l’eau forte par E. Hédouin, Poulet-Malassis et de Broise, 1859 [éd. revue et augmentée du texte de 1858 dans L’Artiste], p. 1. Les références à cette édition figureront in-texte.
  • [14]
    Je souligne, de même (sauf indication contraire) que pour toutes les citations comportant de l’italique.
  • [15]
    « Selon lui la chasteté réelle développait au plus haut degré les puissances de l’esprit […] » (p. 56).
  • [16]
    La suite du texte nous apprend cependant que le cabinet est insonorisé pour satisfaire le besoin de silence du romancier au travail mais aussi les moments de récréation sensuelle qu’il s’offre avec ses visiteuses…
  • [17]
    « Était-ce un logement sérieux que ce chalet aux volets verts où n’est jamais entrée l’ombre d’une commode, où n’a jamais été accroché un semblant de rideau ? » (Balzac intime, éd. citée, pp. 85-86). Et plus haut dans le texte : « Ce qu’il projetait pour les Jardies était infini . Sur le mur de chaque pièce, il avait écrit lui-même, au courant du charbon, les richesses mobilières dont il prétendait la doter. […] / Ces merveilles n’ont jamais été qu’à l’état d’inscriptions écrites au charbon. Du reste, Balzac permettait la plaisanterie sur cet ameublement idéal , et il rit autant, et plus que moi, le jour où j’écrivis en plus gros caractères que les siens, dans sa chambre même, aussi vide que les autres chambres : / Ici un tableau de Raphaël, hors de prix, et comme on n’en a jamais vu » (p. 12, petites capitales dans le texte, je souligne la fin).
  • [18]
    « Je suis plus pauvre que jamais, répondit-il en prenant un air humble et papelard ; rien de tout cela [l’hôtel de la rue Fortunée et ses trésors] n’est à moi » (p. 170). L’allusion à Scribe (p. 85) a été citée plus haut.
  • [19]
    C’est Gautier qui souligne.
  • [20]
    « Avant-Propos » de La Comédie humaine, CH, t. I, p. 11.
  • [21]
    Voir Barbara Bohac, « La “plastique de la civilisation” chez Gautier critique », dans « Gautier. Comme il vous plaira », Études littéraires, Québec, Université Laval, vol. 42, n° 3, automne 2011, pp. 33-47.
  • [22]
    « Il n’est pas de ruelle perdue, de passage infect, de rue étroite, boueuse et noire qui ne devînt sous sa plume une eau-forte digne de Rembrandt […] » (p. 133).
  • [23]
    C’est Gozlan qui rendra ce service à Balzac : « Secrétaire de Henri IV et commode de Marie de Médicis. Meubles florentins retrouvés par M. de Balzac », gravures sur bois par Édouard Renard, Musée des familles, 2e série, t. III, août 1846, pp. 321-324.
  • [24]
    Voir Théophile Gautier, Fortunio, chap. i er, Romans, contes et nouvelles, Pl., t. I, pp. 610-611 et, pour le « nid de poésie » de Fortunio, chap. xxiv, p. 716.
  • [25]
    « Le chantre de la Corrèze demeure rue de Paradis-Poissonnière, numéro 29 […]. / Cette lettre tomba comme un pavé sur une tulipe. Un poète, maître des requêtes, émargeant au ministère, touchant une pension, poursuivant la rosette rouge, adulé par les femmes du faubourg Saint-Germain, ressemblait-il au poète crotté, flânant sur les quais, triste, rêveur, succombant au travail et remontant à sa mansarde, chargé de poésie ? » (Modeste Mignon, CH, t. I, p. 512). Voir note 14.
  • [26]
    « Que vous êtes heureux de demeurer dans une ruelle non pavée […] ! […] C’est une thébaïde qu’il me faut, ou une loge à Charenton. […] / Si j’avais vingt ans de moins et toutes les perfections physiques et morales qui me manquent, je crois qu’il me prendrait la folle envie d’essayer de forcer la consigne de cette chartreuse solitaire, ou [sic] vous vivez en saint hermitte [sic] […] » (correspondance de « Fleur d’automne » avec Balzac, citée par José-Luis Diaz dans Devenir Balzac. L’invention de l’écrivain par lui-même, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, 2007, p. 234.
  • [27]
    « […] une galerie éclairée de haut, que nous reconnûmes plus tard dans la collection du Cousin Pons » (p. 170).
  • [28]
    Nous retrouvons l’anecdote chez Taine.
  • [29]
    C’est Gautier qui souligne.
  • [30]
    La Messe de l’athée, CH, t. III, p. 394. C’est Balzac qui souligne.
  • [31]
    Passages supprimés : « N’étant pas assez riche pour meubler cette cage digne des plombs de Venise, la pauvre femme n’avait jamais pu la louer. Ayant précisément excepté de la vente mobilière que je venais de faire les objets qui m’étaient en quelque sorte personnels, je fus bientôt d’accord avec mon hôtesse, et m’installai le lendemain chez elle » (La Peau de chagrin, CH, t. X, p. 137 ; c’est Balzac qui souligne). Et : « L’exercice de la pensée, la recherche des idées, les contemplations tranquilles de la science nous prodiguent d’ineffables délices, indescriptibles comme tout ce qui participe de l’intelligence […] » (ibid.).
  • [32]
    Ibid., p. 133.
  • [33]
    Gautier passe sous silence la référence implicite à la figure de Casanova enfermé sous les « plombs » de sa prison vénitienne (voir la citation de la note 31).
  • [34]
    L’image est d’ailleurs remotivée puisque Balzac noircit littéralement ses murs en utilisant du charbon (p. 116).
  • [35]
    Voir Marie-Bénédicte Diethelm, « “Le Grand Balzac”. Sur un article de 1846 », AB 2008, p. 319-343.
  • [36]
    Roland Barthes, « L’écrivain en vacances », Mythologies, Seuil, 1957, p. 32.
Français

Aux yeux de beaucoup de ses contemporains, Balzac passe pour un infatigable nomade, doué du don d’ubiquité. Littérale­ment ex-centrique, Balzac est couramment renvoyé dans les portraits qui circulent dans la presse de son temps à l’instabilité extravagante d’un mode de vie volontiers bohème, et partant, « sans domicile fixe ». De ce fait, l’image d’un Balzac « architecte d’intérieurs » de son propre home paraît pour le moins inattendue. Pourtant, les témoignages de quelques proches de l’écrivain vont contribuer à infléchir la légende d’un Balzac itinérant aux lendemains de la mort du romancier et à l’heure de la pleine affirmation de la culture du chez-soi sous le Second Empire. À partir de la « Grande Étude » que Théophile Gautier consacre à Balzac en 1858 dans la presse, nous voudrions poser dans un premier temps les contours de la manière du tapissier balzacien : en d’autres termes, quels sont les styles et les goûts de Balzac en la matière ? Puis, à la lumière de la théâtralisation qu’opère Gautier des intérieurs balzaciens, intérieurs au moyen desquels Balzac aurait cherché à jouer de son image avec la société parisienne de son temps, nous nous demanderons dans quelle mesure l’exercice de l’architecture d’intérieurs chez Balzac peut être rapporté à son statut d’écrivain

Mis en ligne sur Cairn.info le 12/01/2018
https://doi.org/10.3917/balz.018.0279
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