CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Si la bioéthique pose la question de l’action (de l’homme) face à l’utilisation des sciences biomédicales, elle est tout à la fois une réflexion sur l’éthique de certaines pratiques professionnelles et une interrogation sur la responsabilité de l’homme dans le « progrès » de la science. Il y a donc rencontre entre la manière dont des professionnels dotés de pouvoirs sur les hommes grâce à une technique peuvent régler leur comportement en fonction d’un bien agir et la manière dont toute une société, voire l’humanité, conçoit sa relation avec la technique.

2Le passage, au cours de l’histoire, de la médecine de la sphère d’une connaissance spéculative à un art puis une technique appliquée a progressivement conduit la première interrogation, celle des doctes, à rejoindre, dans une société où la techno science est au cœur de l’organisation sociale, la seconde, celle des citoyens consommateurs.

3Poser la question de l’enseignement de la bioéthique, c’est, d’une certaine manière, retrouver l’ambivalence, le double visage, de cette réflexion bioéthique qui, pour les uns, vue sous l’angle de l’éthique biomédicale, est un prolongement à d’autres activités, voire à d’autres professions, de la traditionnelle éthique médicale quand, pour d’autres, elle s’inscrit pleinement dans une bataille de droits afin de rééquilibrer les pouvoirs que la techno science donne à ses détenteurs.

4Nul ne contestera que la bioéthique et donc son enseignement relèvent de ces deux approches et justifient tant le développement d’une éthique professionnelle que d’une éthique sociale. La jeune histoire de l’enseignement de la bioéthique est d’ailleurs conforme à cette représentation. Après la période de rupture pédagogique des pionniers de la bioéthique, elle offre désormais un paysage pluriel qui donne à chaque public l’enseignement qui lui convient. Mais cette diversité, qui permet à la bioéthique d’investir toutes les disciplines, ne conduit-elle pas, paradoxalement, à faire disparaître la bioéthique comme transdicipline ?

5L’enseignement de la bioéthique est-il donc devenu une riche réalité aux dépens de l’existence d’une transdicipline bioéthique, qui aurait échoué à remettre à flot l’humanisme académique ?

6Les origines de la bioéthique sont marquées, suite à la crise de l’éthique universelle et aux refus des valeurs imposées, par une volonté de rupture vis-à-vis des institutions professionnelles et morales. « Enfants » des années 1960, les pionniers de la bioéthique sont des personnalités en rupture (avec leurs institutions d’origine : la profession médicale, l’Eglise) et qui proposent la bioéthique comme une alternative à l’incapacité des valeurs, telles qu’enseignées, à répondre aux défis posés par les sciences de la vie. C’est ainsi qu’insatisfaits des réponses dogmatiques de leur Eglise, des prêtres vont s’ouvrir à l’œcuménisme bioéthique et fonder les premiers centres : Hastings Centre, Kennedy Institute, Centre de bioéthique de l’Institut de Recherches Cliniques de Montréal, Institut de bioéthique de Maastricht, Institut Borja (Catalogne) ou Centre Sèvres à Paris.

7La contestation des médecins contre le conservatisme moral de leur ordre professionnel mènera, après la rude bataille de la contraception et de l’avortement, à la mise sur la touche en France de l’ordre des médecins au profit d’une nouvelle institution voulue comme pluraliste et pluridisciplinaire, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (1983).

8L’essor des connaissances et des pratiques biomédicales dans des domaines nouveaux (AMP, génétique, neurosciences, nouveaux types de greffes…) conduit, à partir de la décennie 1980, à de nouvelles filières professionnelles qui ont besoin, pour se développer, de « sécuriser » leurs pratiques tant d’un point de vue légal qu’éthique.

9Cette nécessité pragmatique d’ « accompagner » les évolutions justifiait déjà les besoins d’une intégration disciplinaire (dans les différentes facultés concernées) de la dimension bioéthique.
Réintégrant l’enseignement académique, la bioéthique ne se coupait pas, pour autant, de questionnements plus fondamentaux, traités au niveau du 3e cycle, mais perdait, peut-être, de sa dimension contestataire et, en tout cas, éludait sa vocation transdisciplinaire.
Le signe de s’atteler, enfin, à cette tâche viendra pour l’université (au beau sens du terme) de signes extérieurs et politiques. Lorsque en 2005, l’UNESCO fait le lien entre respect de l’homme et respect de la biosphère dans la Déclaration universelle sur le bioéthique et les droits de l’homme, elle nous invite à penser la bioéthique comme une contribution à la construction d’un nouvel ordre mondial, refondant les rapports de pouvoir autour de la technique, les rapports Nord-Sud, la relation entre nos comportements et l’environnement, notre lien avec les générations futures. Ce recentrage de la bioéthique vers une science politique et morale de l’action humaine est pour son enseignement un défi à trouver un équilibre entre des formations professionnelles nécessairement techniques et une éducation ouverte à la citoyenneté et au dialogue avec les autres disciplines, les autres cultures, pour une perception du monde qui conçoit l’universel à partir de la pluralité.

Christian Byk
Magistrat, Secrétaire général, Association internationale droit, éthique et science [*]
  • [*]
    L’association constitue un réseau international et pluridisciplinaire consacré aux rapports science et société (www.iales.org ).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2010
https://doi.org/10.3917/jib.211.0011
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