CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Prendre acte des pratiques de la politique étrangère invite à dépasser les grands débats sur le déclin ou, au contraire, sur la persistance des États pour s’intéresser aux acteurs qui font cette politique. Si la politique étrangère peut être définie comme « l’instrument par lequel l’État tente de façonner son environnement politique international » [2], il est évident qu’elle ne relève plus uniquement des relations intergouvernementales.

2En Allemagne, la politique étrangère est traditionnellement marquée par une forte perméabilité et hétérogénéité. Il est admis aujourd’hui, y compris par les praticiens, qu’avec la mondialisation et l’européanisation de la politique étrangère, seule une fraction de la présence internationale allemande est assurée par des représentants officiels. Caractéristique de cette approche est la conviction qu’il s’agit de représentants légitimes dont l’action présente un avantage pour le service diplomatique, qui a depuis longtemps perdu son monopole dans le domaine de la politique étrangère. Si la diplomatie garde sa pertinence, c’est pour mieux servir cette « clientèle clairement localisable dans la société, l’industrie et la politique » [3].

3Cette contribution se focalise sur l’un des instruments originaux et importants de la politique étrangère allemande, les fondations politiques. La question se pose de leur place et de leur évolution dans le dispositif de la politique étrangère, de la manière dont ces organisations mobilisent les différentes ressources dont elles disposent et, enfin, de la façon dont cet instrument traditionnel a été transformé à la suite du changement de paradigme dû à la chute des régimes communistes en Europe centrale.

4Cela implique de replacer tout d’abord les fondations politiques dans leur système d’action en posant la question de leur émergence et de leur institutionnalisation en tant qu’acteurs spécifiques, situés à l’intersection des différentes logiques institutionnelles, proches des partis et en même temps insérés dans la politique allemande de coopération internationale. Dans un deuxième temps, les structures de cette association des fondations à la politique étrangère seront examinées pour poser la question de la comparabilité de la « diplomatie partisane » des fondations avec la diplomatie traditionnelle. La question des modes d’action des fondations à l’étranger, qui est au centre de cette démarche interactionnelle, sera discutée dans un troisième point sur l’exemple de l’engagement des fondations dans les pays candidats à l’Union européenne (UE).

DES ACTEURS PARTISANS ? LA PARTICULARITé DE L’ASSOCIATION DES FONDATIONS AU SYSTèME INSTITUTIONNEL ALLEMAND

5Spécificité allemande qui a donné lieu à de nombreuses tentatives de reproduction, les fondations politiques fascinent par la multiplicité de leurs facettes et des champs politiques dans lesquels elles évoluent. Six fondations politiques existent à ce jour : la Friedrich Ebert Stiftung (FES), proche du Parti social-démocrate (SPD), a été créée en 1925 ; la Konrad Adenauer Stiftung (KAS), proche de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), en 1964 ; la Friedrich Naumann Stiftung (FNS), proche du Parti libéral démocrate (FDP), en 1958 ; la Hanns Seidel Stiftung (HSS), proche de l’Union chrétienne-sociale (CSU), en 1967 ; la Heinrich Böll Stiftung (HBS), proche des Verts (Bündnis 90 / Die Grünen), en 1989 ; enfin, la Rosa Luxemburg Stiftung (RLS), proche du Parti du socialisme démocratique (PDS), reçoit des fonds publics depuis 1999.

6Cet objet d’étude insolite peut être caractérisé d’une triple manière. Tout d’abord, les fondations politiques sont des organismes juridiquement indépendants et considérés comme des organisations non gouvernementales (ONG) – bien que financés par des fonds publics. Ensuite, elles sont étroitement liées par leurs réseaux et leurs idéologies aux partis politiques. Enfin, elles sont traditionnellement associées aux politiques allemandes de développement et de coopération internationale.

Des racines dans la période de démocratisation de l’Allemagne et de la guerre froide

7Le phénomène des fondations date de la démocratisation de la société ouest-allemande sous contrôle allié, lorsqu’elles ont été associées initialement à la politique d’éducation citoyenne (politische Bildung) pour promouvoir le pluralisme des idées politiques dans la société allemande. Les premières années de la République fédérale d’Allemagne (RFA), marquées par un cadre de souveraineté limitée, notamment en matière de politique étrangère, ont donné lieu à la création de nombreuses organisations intermédiaires, non étatiques ou représentant des groupes d’intérêts. Préservant des degrés d’autonomie différents, ces organisations ont développé leurs activités en proximité avec l’État, en accompagnant ou en relayant l’action publique. Dans la politique étrangère, cette tendance a été étayée par deux facteurs supplémentaires : l’image internationale négative de l’Allemagne et la confrontation idéologique liée à la guerre froide ont favorisé la délégation des ressources à des organisations qui n’agissaient pas officiellement au nom de l’État.

8Enfin, pour saisir la place particulière des ONG dans les structures ministérielles allemandes, il faut remonter à la création du ministère de la Coopération économique et du Développement (BMZ) en 1962. En tant qu’institution récente et relativement faible dans le dispositif ministériel, le BMZ a su profiter du soutien du lobby des ONG qui ont été associées à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques de développement. Ce mécanisme de formulation et de mise en œuvre des politiques, par lequel l’État intègre des organisations émanant de la société civile au processus de prise de décision, a été qualifié d’« administration corporatiste » (korporatistische Verwaltung) [4]. Dans leurs relations avec le BMZ, les fondations politiques ont le statut d’ « organisations autonomes » (freie Träger), par opposition aux « organisations de mise en œuvre » (Durchführungsorganisationen). Les freie Träger (auxquelles appartiennent les fondations et les ONG gérées par les Églises) bénéficient d’une autonomie relative. Elles exercent leurs activités avec le soutien financier du BMZ, qui n’influence pas leurs priorités programmatiques.

9Du point de vue de la politique étrangère, les fondations politiques sont moins dépendantes des contraintes diplomatiques que les représentations officielles de l’Allemagne. Ainsi, elles ont pu agir dans des pays avec lesquels l’Allemagne n’entretenait pas de relations diplomatiques, voire avec des groupes sociétaux en opposition à leur gouvernement. Elles se sont démarquées par leurs activités dans les pays sortant d’un régime autoritaire ou en transition. Pour la KAS, il s’agissait surtout de l’Amérique latine où, dès les années 1960, elle a soutenu les partis et les syndicats chrétiens-démocrates, notamment au Chili ou au Venezuela [5]. La FES a joué un rôle important en Europe du Sud dans les années 1970, lorsqu’elle a soutenu la reconstruction des partis socialistes espagnol et portugais à la suite de la chute du régime de Francisco Franco Bahamonde en Espagne et de la « révolution des Œillets » au Portugal. Les fondations ont également été actives sur les continents africain et asiatique.

Des acteurs partisans ? La nature des rapports des fondations avec les partis politiques

10Les fondations politiques, appelées aussi couramment fondations « proches des partis » (parteinahe Stiftungen), sont inconcevables sans « leurs » partis politiques, que ce soit au niveau national, bilatéral ou multilatéral. En effet, de nombreux liens personnels et idéologiques existent [6]. Cette proximité avec les partis garantit aux fondations un financement public régulier plus ou moins au prorata du nombre d’élus de chaque parti au Parlement. En pratique, les députés respectifs soutiennent les fondations à la Commission budgétaire du Bundestag lorsque celle-ci statue sur leur budget. Cette entente implicite « au-dessus des partis » a abouti à des augmentations substantielles des fonds attribués aux fondations, attisant de temps à autre des controverses publiques. Néanmoins, la ressource partisane n’est pas parvenue à enrayer les réductions budgétaires des dernières années [7]. En outre, il faut différencier les fondations selon leur affiliation et leur histoire : la KAS et la FES sont les plus importantes sur le plan financier et politique en raison du poids des partis auxquels elles sont affiliées et de leur expérience plus longue en matière de politique étrangère. La RLS demeure une fondation marginale et ne dispose que de quelques bureaux à l’étranger.

11Toutefois, si les connivences politiques sont indéniables, les responsables des fondations s’attachent à préserver leur autonomie, autonomie qui a été confirmée par le Tribunal constitutionnel en 1986, saisi par les députés Verts qui contestaient le système de financement des fondations. Surtout, ces organisations, souvent perçues comme partisanes, sont en même temps des instruments reconnus de la politique étrangère allemande, instruments qu’il convient de situer dans le dispositif de l’action extérieure publique.

L’INSERTION DES FONDATIONS DANS LES STRUCTURES DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

12Un aperçu du cadre formel des fondations permet de définir la façon dont s’y exerce le pouvoir ministériel. L’activité internationale des fondations dépend principalement des deux ministères : le BMZ et le ministère des Affaires étrangères (Auswärtiges Amt – AA). Si le BMZ est le principal bailleur de fonds du travail international des fondations, le AA est informé de toute mesure entreprise par les fondations à l’étranger, mesures qu’il examine selon les critères de conformité à la ligne de la politique étrangère allemande.

Lieux d’interactions et canaux de circulation de l’information

13Dès leur insertion dans les structures ministérielles, les fondations relevaient de la tutelle de la Direction générale de la Culture (Kulturabteilung) du AA. En 1998, la réforme des structures du ministère a placé les fondations sous la tutelle du Centre politique (Leitungsstab), un service détaché des autres directions générales et placé sous l’autorité directe du ministre. Le Leitungsstab, et sa Division des Affaires parlementaires et gouvernementales dont relèvent désormais les fondations, est censé mieux coordonner les contacts avec les autres unités du ministère, qu’il s’agisse des sections régionales (Länderreferate) ou des sections thématiques (Querschnittsreferate).

14S’il existe peu de forums réguliers de consultation auxquels les représentants des fondations sont conviés, leur expertise est occasionnellement demandée par le BMZ lors de l’élaboration des « concepts » (Konzepte) régionaux, de même que des priorités des politiques sectorielles de développement [8]. Les contacts du AA avec les directeurs des bureaux des fondations à l’étranger se font dans la plupart des cas à l’échelle des sections régionales ou des sections pays. Le facteur personnel – les affinités, les rencontres antérieures à l’étranger – intervient fortement dans ces échanges.

15Sur le plan de la circulation de l’information et de la prise de décision, les bureaux des fondations à l’étranger établissent des rapports internes qui sont envoyés aux centrales des fondations en Allemagne et aux ministères de tutelle. En demandant le renouvellement du financement de leurs projets, les fondations adressent une demande standardisée (Antrag) au BMZ et au AA. Ce dernier transmet cette demande à l’ambassade allemande dans le pays en question, laquelle se prononce sur la compatibilité du projet avec les priorités de la politique étrangère et la pertinence du sujet, du choix des partenaires et des moyens de mise en œuvre.

Le fonctionnement du consensus et ses limites

16On peut parler d’une régulation marquée par un fort degré de consensus. C’est la dimension politique qui fonde la valeur spécifique du travail des fondations : la possibilité de choisir leurs partenaires à l’étranger et la relation de confiance qui constitue la base de ces contacts et qui facilite la mise en réseau entre les élites étrangères et les dirigeants politiques en Allemagne. Les fonctionnaires des ministères bailleurs de fonds et les fondations s’accordent donc en général sur la répartition des tâches, conformément à la conviction que « l’État ne peut pas tout faire ». La conscience que les fondations effectuent des actions qui dépassent les moyens d’intervention des agents étatiques est largement partagée, même si ce système a également ses détracteurs au sein des ministères.

17Ce principe de délégation du pouvoir aux fondations politiques répond à la conception allemande du pluralisme, exprimant l’idée normative que, tout en étant une fin, le pluralisme doit également être un moyen et que les intermédiaires diversifiés chargés de diffuser les valeurs démocratiques sont les meilleurs garants que les partenaires assimilent le message qui leur est transmis [9]. En interne, cet argument sert aussi à réfuter ceux des fonctionnaires qui avancent l’idée de réduire la multiplicité des formes de la présence allemande à l’étranger en créant, par exemple, une fondation unique, idée qui hante occasionnellement les ministères, en particulier en période de difficultés budgétaires [10]. Enfin, le statut d’organisations privées dont bénéficient les fondations dans leurs activités à l’étranger contribue à leur autonomie, puisque les Stiftungen parviennent, grâce à leur profil flexible, à apparaître comme plus ou moins proches de l’État ou des partis politiques, selon les circonstances [11].

18Le fait que les ambassades allemandes participent à l’évaluation ex ante des projets des fondations leur donne un potentiel d’exercer le pouvoir qui mérite d’être examiné. Historiquement, la relation entre les ambassades et les représentants des fondations n’a pas été dépourvue de tensions du fait de prérogatives qui se recoupaient partiellement. Cependant, il semblerait qu’en général ces relations se soient stabilisées, aboutissant à une répartition des tâches, à l’information mutuelle et à des coopérations occasionnelles.

Analogies et dissemblances avec la diplomatie

19Le dialogue continu et régulier avec leurs partenaires permet aux représentants des fondations d’avoir une connaissance des milieux politiques locaux souvent plus approfondie que celle des diplomates professionnels. Un éclairage de l’activité internationale des fondations politiques à la lumière des fonctions essentielles de la diplomatie (représentation, observation et négociation) [12] permet de savoir si et dans quelle mesure cette activité pourrait être qualifiée de diplomatie parallèle à la diplomatie gouvernementale.

20Tout d’abord, les fondations politiques exercent, à l’instar des ambassades mais d’une façon beaucoup plus informelle, l’activité de représentation. Des personnalités politiques et les représentants de la haute administration sont fréquemment invités à s’exprimer dans le cadre des forums des fondations. On peut donc affirmer que les représentants des fondations ne subissent pas les contraintes de la représentation, mais que ces dernières bénéficient du prestige que cette activité apporte. Deuxièmement, d’une manière comparable à l’action des diplomates, les représentants des fondations fournissent des informations sur l’évolution de la situation politique, économique et sociale dans les pays partenaires avec un intérêt particulier porté aux partis politiques. Les forums de rencontre comportent en règle générale deux niveaux de communication : au-delà des conférences et des interventions publiques destinées à un cercle plus large d’invités, le cadre des fondations permet d’entretenir un dialogue politique à huis clos. Enfin, si la fonction de négociation officielle, bilatérale ainsi que multilatérale – en tant que troisième composante fondamentale de la diplomatie –, reste en principe réservée aux gouvernements, l’activité des fondations pourrait dans certains cas être considérée comme un forum qui accompagne, prépare, aiguillonne parfois la prise de décision au niveau officiel. Il ne s’agit pas pour autant de négociations officielles selon des agendas fixés à l’avance, mais plutôt de contacts inscrits dans la durée et basés sur la confiance qui font des fondations des acteurs de ce que l’on pourrait qualifier de « politique délibérative » [13].

21À la différence de la diplomatie, les fondations ne sont pas liées par les règles du protocole et leur présence à l’étranger n’est pas soumise à un accord intergouvernemental préalable. Dans l’ensemble, on pourrait parler d’une politique étrangère parallèle, qui n’est pas gouvernementale, n’en porte pas les contraintes mais qui apporte en même temps des avantages considérables. En bref, si l’engagement international des fondations peut être considéré comme suppléant la diplomatie, cette activité n’a pas pour objectif de remplacer la présence diplomatique allemande dans le monde, mais plutôt de la compléter.

L’ADAPTATION DES RESSOURCES TRADITIONNELLES DES FONDATIONS AU CONTEXTE DES PAYS D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE

22Face aux transformations des pays d’Europe centrale et orientale (PECO), les fondations politiques se sont avérées des instruments précieux pour compléter et accompagner la coopération technique et financière par une action ciblée sur les « structures politiques et sociales », à savoir les partis politiques et les différents niveaux de gouvernement, les syndicats et les groupes d’intérêts, les médias, les instituts de recherche et les ONG. Cette coopération a évolué au cours des quinze dernières années, initialement d’une assistance aux réformes et d’une activité d’information vers une coopération politique fortement marquée par le contexte de l’élargissement de l’UE. Si les observateurs oscillent quant à l’interprétation du travail international des fondations, entre la qualification de politique partisane pour les uns, de politique étrangère « sociétale » (Gesellschaftsauenpolitik) pour les autres, ces deux dimensions ne s’excluent pas mutuellement.

23Un réseau de partenaires sociétaux variés

24Formellement, les fondations sont chargées de renforcer la démocratie, la société civile, l’État de droit et l’économie de marché, et enfin, de stabiliser le paysage politique dans les pays partenaires et d’approfondir leurs relations bilatérales avec l’Allemagne. La mise en œuvre de ces missions peut passer par le soutien aux ONG ou par l’organisation de séminaires, de conférences et de formations. Chacune des Stiftungen a des domaines d’activité dans lesquels elle est spécialisée, chacune popularise le courant idéologique qui lui est proche et travaille avec des partenaires privilégiés. Si leurs stratégies s’inscrivent dans un cadre commun, chaque fondation a ses particularités d’action. La KAS a pour usage de financer les structures des organisations partenaires, conformément au principe de subsidiarité [14]. La FES préfère travailler par grands thèmes plutôt que de financer les structures des organisations partenaires, mais on y retrouve néanmoins des partenaires stables qui participent régulièrement à ses programmes. En Pologne, la FES a publié des rapports annuels sur l’avancement de la préparation du pays à l’adhésion à l’UE, EU-Monitoring, édités par des experts en économie et en sciences sociales proches de l’Alliance de la gauche démocratique (SLD). Un volet traditionnel de l’activité de la FES est la coopération avec les syndicats, vu les liens du SPD avec la Fédération des syndicats allemands (Deutscher Gewerkschaftsbund – DGB). La FNS a, quant à elle, cherché à promouvoir le libéralisme économique et les droits de l’homme. La HBS a soutenu des initiatives écologiques et féministes. Loin de rester unilatéraux, les transferts opérés par les fondations vont dans les deux sens, puisque les contacts établis sur le terrain étranger servent les interlocuteurs allemands.

Une dimension partisane essentielle au travail international des fondations

25L’objectif le plus important des fondations, qui les distingue d’autres acteurs de la coopération internationale, est de soutenir les partis politiques et d’élargir ainsi le réseau de contacts des partis politiques allemands. À l’étranger, les fondations allemandes cherchent de préférence des contacts avec les formations qui partagent les valeurs et les normes constitutives des mouvements dont elles sont proches (la sociale-démocratie, la démocratie chrétienne, le libéralisme, les mouvements Verts). Cette « ressource partisane » influence fortement la marge de manœuvre, les choix stratégiques, ainsi que la perception des représentants des fondations allemandes à l’étranger. En effet, les partenaires politiques dans les nouveaux pays membres de l’UE perçoivent derrière chaque fondation non seulement le parti allemand auquel elle est affiliée, mais également son réseau européen [15].

26Les principales difficultés de cette stratégie sont dues à l’hétérogénéité idéologique des partis dans les pays d’Europe centrale, qui ne correspondent pas forcément aux clivages traditionnels des pays ouest-européens, ainsi qu’à la relative fluidité des paysages partisans dans la région. Les représentants des fondations reconnaissent les limites de leur engagement, qui ne leur ont pas permis dans l’ensemble de peser durablement sur ces recompositions partisanes. Une solution à cette situation est le soutien à des organisations classées dans la société civile mais dotées d’un profil politique. Si les fondations n’ont pas le droit de financer directement les structures des partis politiques, elles agissent dans ce qu’elles appellent le champ « prépolitique ». Cela revient à dire qu’elles soutiennent matériellement les associations de jeunes proches des partis, les centres de formation ainsi que des fondations associées aux partis politiques centre-européens. En formant les militants et les responsables des partis politiques aux techniques électorales et à l’organisation des structures du parti, elles cherchent à renforcer les compétences et le savoir-faire des élites politiques. En entretenant un dialogue politique continu avec les partis politiques d’Europe centrale, elles sont une source précieuse de contacts et d’information pour les responsables allemands intéressés par la coopération avec la région.

27Le constat de la montée en puissance des acteurs non étatiques dans un nombre croissant de domaines considérés auparavant comme réservés à l’État suscite parfois l’inquiétude. On évoque souvent la privatisation de l’État, voire sa déliquescence ou son retrait. Or l’observation de la politique étrangère allemande nous permet de constater qu’une variété d’acteurs aux intérêts multiples se trouvent associés de différentes façons à l’action diplomatique et que cette pratique a une longue tradition.

28L’exemple des fondations politiques confirme que la politique extérieure de l’Allemagne se caractérise par une allocation des ressources originale, qui bénéficie en partie à des acteurs non étatiques. Dans cette reconfiguration, les fonctions de l’État se trouvent loin d’être marginalisées. Au contraire, le champ d’intervention de l’État s’élargit grâce à des domaines irrigués par l’action des fondations associées à la politique étrangère, comme le dialogue avec un très large éventail d’élites politiques et de représentants de la société civile.

Notes

  • [1]
    L’auteur achève une thèse en science politique à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, consacrée aux fondations politiques allemandes. Rattachée au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), à Paris, et au Centre Marc-Bloch (Berlin), elle est actuellement boursière du ministère des Affaires étrangères. L’auteur peut être contactée à l’adresse e-mail suivante : ddddd@ cmb. hu-berlin. de. L’auteur remercie Stephan Martens pour les remarques qu’il a bien voulu apporter à la première version de ce texte, dont elle reste, bien entendu, seule responsable.
  • [2]
    Frédéric Charillon (sous la dir.), Politique étrangère. Nouveaux regards, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, Introduction, p. 13.
  • [3]
    Christoph Bertram, Friedrich Däuble (sous la dir.), Wem dient der Auswärtige Dienst ? Erfahrungen von Politik, Wirtschaft, Gesellschaft, Opladen, Leske & Budrich, 2002, p. 9.
  • [4]
    Manfred Glagow, Uwe Schimanck, « Korporatistische Verwaltung : das Beispiel Entwicklungspolitik », Politische Vierteljahresschrift, vol. 3, no 24, 1983, p. 253-274.
  • [5]
    Christoph Wagner, « Die offiziöse Auen- und Entwicklungspolitik der deutschen politischen Stiftungen in Lateinamerika », in Manfred Mols, Christoph Wagner (sous la dir.), Deutschland. Lateinamerika. Geschichte, Gegenwart und Perspektiven, Frankfort-sur-le-Main, Verwuert Verlag, 1994, p. 167-228.
  • [6]
    Des personnalités politiques de premier rang figurent parmi les membres des conseils d’administration des fondations. Le président de la Konrad Adenauer Stiftung (KAS), Bernhard Vogel, est un ancien ministre-président du Land de Thuringe ; parmi les membres du Conseil d’administration, notons l’ex-chancelier Helmut Kohl, la présidente de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et députée Angela Merkel, et les députés Norbert Lammert et Wolfgang Schäuble. Holger Börner, président de la Friedrich Ebert Stiftung (FES) de 1987 à 2003 (actuellement président honoraire), est un ancien ministre-président du Land de Hesse. La présidente actuelle de la FES est l’ex-députée du Parti social-démocrate (SPD) Anke Fuchs.
  • [7]
    Voir Sebastian Bartsch, « Politische Stiftungen : Grenzgänger zwischen Staaten- und Gesellschaftswelt », in Wolf-Dieter Eberwein, Karl Kaiser (sous la dir.), Deutschlands Neue Auenpolitik. 4, Institutionen und Ressourcen, Munich, DGAP/Oldenburg Verlag, 1998. À ce jour, le montant annuel des subventions à l’ensemble des fondations politiques avoisine les 300 millions d’euros, répartis entre différents ministères fédéraux. Les deux plus grandes fondations (la KAS et la FES) disposent chacune d’un budget de l’ordre de plus de 100 millions d’euros annuels. Environ 50 % des fonds sont consacrés à la coopération internationale.
  • [8]
    Ministère de la Coopération économique et du Développement, Medienhandbuch Entwicklungspolitik 2000, Bonn, BMZ, 2000, p. 140.
  • [9]
    BMZ, Die Tätigkeit der politischen Stiftungen in Mittel- und Osteuropa sowie der ehemaligen Sowjetunion (MOE/NUS), Bonn, mai 1995, rapport ministériel non publié, p. 6.
  • [10]
    BMZ, Informationsvermerk für den Bundestagsausschuss für wirtschaftliche Zusammenarbeit, Bonn, août 1999, rapport ministériel non publié, p. 2.
  • [11]
    S. Bartsch, « Politische Stiftungen : Grenzgänger zwischen Staaten- und Gesellschaftswelt », in W.-D. Eberwein, K. Kaiser (sous la dir.), op. cit., p. 193.
  • [12]
    Voir Guillaume Devin, Sociologie des relations internationales, Paris, La Découverte, 2002, p. 43-46.
  • [13]
    Uwe Optenhögel, « Die politischen Stiftungen », in C. Bertram, F. Däuble (sous la dir.), op. cit., p. 125-140 et, plus précisément, p. 129.
  • [14]
    Parmi ses partenaires en Pologne, on trouve une organisation non gouvernementale (ONG) proeuropéenne, la Fondation polonaise Robert-Schuman, l’Institut de recherche sur l’économie de marché (IBNGR) – libéral – de Gdansk, ainsi que le Centre des relations internationales (CSM), dirigé par un ancien boursier de la KAS.
  • [15]
    Voir, sur la dimension européenne de l’action des fondations, Dorota Dakowska, « L’élargissement des fédérations européennes des partis et les fondations allemandes », La Nouvelle Alternative, vol. 18, no 59, automne-hiver 2003, p. 65-72.
Français

Les fondations politiques sont un instrument original de la politique étrangère allemande. Comprendre comment elles se positionnent dans ce dispositif implique de s’intéresser à leur émergence et à leur institutionnalisation. Acteurs atypiques, proches des partis quoique ayant participé dès leur création à la politique allemande de coopération internationale, elles se situent à l’intersection de logiques institutionnelles différentes. De plus, les structures de leur contribution à la politique étrangère soulèvent le problème de la comparabilité de cette " diplomatie partisane " à une diplomatie plus traditionnelle. Enfin, les modes d’action sociétaux et partisans des fondations à l’étranger sont discutés au travers de l’exemple de leur engagement dans les pays candidats à l’Union européenne (UE).

Dorota Dakowska [1]
  • [1]
    L’auteur achève une thèse en science politique à l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, consacrée aux fondations politiques allemandes. Rattachée au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), à Paris, et au Centre Marc-Bloch (Berlin), elle est actuellement boursière du ministère des Affaires étrangères. L’auteur peut être contactée à l’adresse e-mail suivante : ddddd@ cmb. hu-berlin. de. L’auteur remercie Stephan Martens pour les remarques qu’il a bien voulu apporter à la première version de ce texte, dont elle reste, bien entendu, seule responsable.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/03/2008
https://doi.org/10.3917/ris.055.0027
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