CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1Dans une Amérique latine marquée par le « virage à gauche » amorcé à l’aube du XXIe siècle, le Mexique et le Pérou font figure d’exceptions. De fait, et bien que les modalités en soient différentes, l’orientation libérale de leurs politiques publiques présente certaines caractéristiques communes.

2Comme dans les autres pays de la région, les réformes de marché y ont introduit une rupture avec le modèle cépalien de développement basé sur l’industrialisation et le salariat. Ce modèle, qui avait prévalu jusqu’aux années 1980, était apparu comme celui qui contribuerait le mieux à la réduction des inégalités dans la région. Toutefois, à partir de la crise de la dette intervenue à la fin des régimes militaires, la libéralisation économique et la démocratisation ont été présentées comme des leviers plus efficaces du développement économique et social.

3Le début des années 1990 a amorcé un tournant dans la politique économique de ces deux pays : période clé au Pérou, avec le « fujichoc » du tout début de la décennie, elle l’a aussi été pour le Mexique, qui est entré dans l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) le 1er janvier 1994. La réorientation néolibérale y a eu des conséquences politiques et sociales importantes, au point de contribuer à remettre en question le régime politique en place et de stimuler la démocratisation. Nous attacherons une importance particulière à ce déficit de légitimité politique issu des réformes, qui s’est traduit différemment au Pérou et au Mexique.

4Par ailleurs, dans la mouvance du Consensus de Washington, la décentralisation a été promue comme un instrument clef au service de la « bonne gouvernance » [3]. Accompagnant la transition démocratique (qui a connu une accélération décisive en 2000 au Mexique et un an plus tard au Pérou), elle a été présentée comme une manière de consolider le processus de démocratisation et les réformes économiques entreprises. Elle a toutefois été mise en œuvre dans un contexte de grandes tensions concernant la gestion des ressources naturelles et la répartition des revenus tirés de leur exploitation.

5Abordée sous cet angle, on pourrait ne voir en elle qu’une stratégie politique visant à décharger l’État de ses responsabilités d’ordonnateur du développement national et à reporter cette charge sur les échelons infranationaux malgré leur manque de ressources financières, administratives et techniques. Cependant, ces mêmes limitations en rendent le processus d’autant plus intéressant qu’il a pu déclencher un certain nombre de conséquences parfois non prévues, que nous tenterons d’analyser ici. Notre argument général est que l’analyse des réformes touchant à la gestion des ressources naturelles permet de repérer les limites des processus de décentralisation, et de montrer l’augmentation des inégalités territoriales qui en a résulté.

6Pour rendre compte des recompositions politiques résultant de l’interaction entre la décentralisation et les réformes d’inspiration néolibérale touchant l’exploitation des ressources naturelles, nous présenterons tout d’abord le contexte macro-économique et les réformes de marché du début des années 1990 (section 1), avant d’analyser le processus de décentralisation et ses effets au Pérou et au Mexique (section 2). Nous évoquerons pour finir les conséquences de ces recompositions sur la conflictualité politique et sociale dans ces deux pays (section 3).

La politique néolibérale et l’ajustement structurel

7Le déficit de légitimité des États suite à la crise de la dette a trouvé une solution dans les mesures d’ajustement structurel adoptées par la plupart des pays latino-américains. Le Mexique s’est engagé très tôt dans le tournant libéral. L’ajustement lui donnait les moyens de résoudre institutionnellement la répartition de la charge de la dette extérieure. Mais le déficit de crédibilité monétaire allait tout de même entraîner le pays dans une crise financière en 1994.

8Le Pérou, au contraire, a gagné une croissance soutenue jusqu’en 1998. En 1990, l’ajustement structurel mis en œuvre par le nouveau président élu, Alberto Fujimori, a été si brutal qu’on l’a dénommé le « fujichoc ». Toutefois, entre 1993 et 1997, la croissance économique a atteint un taux moyen inégalé de 7,3 %, grâce à l’arrivée massive de crédits internationaux à des taux d’intérêts assez bas ; la récession de 1998-2001 s’explique justement par la restriction de ces crédits. Cette croissance a toutefois été très inégalement répartie. Ainsi, les grandes entreprises tournées vers l’exportation ou les services, qui génèrent 29 % du PIB et emploient seulement 4,9 % de la population active, affichent une forte rentabilité. À l’autre extrême se trouvent les petites et micro-entreprises (99 % du total), l’auto-emploi apparaissant comme un palliatif à l’absence d’emplois formels, bien que le secteur informel soit aussi celui qui affiche le plus de faillites. Le travail formel ne représente ainsi actuellement que le quart des emplois. « Le monde du travail est segmenté et cette segmentation structurelle est antidémocratique », constate une étude menée par le PNUD [4].

9La libéralisation commerciale a en outre favorisé les exportations de produits primaires à faible valeur ajoutée. La hausse du cours des commodities a rendu le Pérou attractif auprès des grands groupes multinationaux, en particulier dans le domaine de l’exploitation minière. Dès 1992, des contrats dits de « stabilité tributaire » ont été signés entre le gouvernement et des entreprises d’extraction, qui ont mis ces entreprises à l’abri de toute contribution fiscale pour plusieurs années (de 10 à 15 ans selon les cas), qu’il s’agisse d’impôts fonciers, d’impôts sur l’extraction, la production ou les bénéfices.

10La reprise de la croissance économique, au début des années 2000, a coïncidé au Pérou avec une nouvelle hausse des cours. Le produit brut minier (toujours calculé en dollars) a connu une croissance annuelle de 7 % entre 1990 et 1999, puis de 29 % entre 2000 et 2006. 2007 a été l’année la plus exceptionnelle. À partir de la fin 2008, la crise internationale s’est répercutée autant sur les prix des matières premières (principalement cuivre, étain, fer, mais aussi produits alimentaires) que sur la stratégie des entreprises. Ces dernières ont envisagé un repli de leurs activités, qui s’est traduit par une réduction de la production et des licenciements massifs. Cependant, les mines les plus affectées appartenaient à des petites ou moyennes entreprises, tandis que, parmi les plus grandes, certaines ont poursuivi l’exploration et la mise en exploitation de nouvelles mines.

11Fondée sur une primarisation de l’économie, la croissance péruvienne n’a pu échapper au « syndrome hollandais » : les secteurs de l’économie extractive ont une rentabilité si élevée qu’ils freinent les investissements dans d’autres secteurs, surtout ceux qui sont en concurrence avec les importations (qui augmentent du fait de leur moindre coût). Durant le mandat présidentiel d’Alejandro Toledo (2002-2006), le déséquilibre entre la croissance économique et la distribution des revenus s’est encore accentué. Une dynamique complexe est ainsi apparue quant au rôle de l’État : celui-ci a impulsé les processus de changement institutionnel et de modernisation (décentralisation) tout en s’effaçant devant les grands investisseurs étrangers qu’il s’efforçait d’attirer. Les populations ont eu le sentiment que l’État se retirait, alors qu’il jouait un rôle actif pour attirer les capitaux internationaux.

12Au Mexique, « la nature du régime politique permet de préserver les formes institutionnelles de médiation sociale héritées du passé et de les utiliser pour mener une réorientation économique radicale qui résulte à la fois de pressions extérieures et de besoins internes de relégitimation » [5]. En effet, comme nous le rappelle Ilan Bizberg [6], dans un régime politique de type national-populaire, la gestion du marché du travail repose sur l’intégration corporatiste. Cette forme de conversion institutionnelle a mis les anciennes formes de contrôle corporatiste au service des nouvelles politiques de marché. En conséquence, « le corporatisme et le monétarisme sont bien les deux formes structurelles qui sont au principe de la domination des classes dirigeantes mexicaines » [7].

13La libéralisation financière entreprise au tournant des années 1980 et 1990 s’est caractérisée principalement par la privatisation de nombreuses entreprises publiques (garantissant à l’État le soutien des grands propriétaires), par l’ouverture aux capitaux étrangers et par la très faible pression fiscale, choix économiques que le Mexique partage avec le Pérou. Mais l’augmentation du déficit de la balance commerciale a provoqué une crise monétaire, et le peso a été dévalué de moitié. Il ne restait que l’intégration au marché nord-américain pour apporter encore un peu de légitimité au gouvernement d’Ernesto Zedillo en décembre 1994.

14Enfin, tout comme le Pérou, le Mexique n’a pas échappé au syndrome hollandais. L’extraversion traditionnelle de l’économie s’est vue renforcée par la signature de l’accord de libre échange Nord-américain avec les États-Unis et le Canada (ALENA) même si l’État, à ses divers échelons territoriaux, a conservé la mainmise sur la rente extraite des hydrocarbures.

15Nous avons brossé à grands traits les principales dynamiques macroéconomiques au Pérou et au Mexique afin d’introduire le cadre d’interaction entre les réformes touchant à la gestion des ressources naturelles et les processus de décentralisation.

La décentralisation et les instruments de la « bonne gouvernance »

16Contrairement à un pays comme le Chili, la décentralisation n’a pas été essentiellement motivée, au Mexique ou au Pérou, par des considérations d’efficacité économique. Elle a davantage été présentée comme un instrument de consolidation de la démocratie, grâce à la distribution de prérogatives et de ressources à des échelons mieux à même d’identifier les besoins locaux, et comme un outil de réduction des inégalités territoriales et socio-économiques permettant une répartition plus équitable des ressources sur l’ensemble du territoire (en démantelant les anciens rapports clientélaires entre le centre et la périphérie). Au niveau central, elle a été perçue comme une manière d’externaliser la responsabilité de certaines politiques publiques sur d’autres échelons de gouvernement, dans un contexte économique parfois difficile. Toutefois, la décentralisation a eu pour effet l’émergence de nouvelles pratiques politiques au niveau local, que nous analysons dans cet article. L’étude du cas péruvien montre bien que le lien entre démocratisation, décentralisation et réduction des inégalités est tout sauf mécanique. Nous analyserons ensuite la façon dont le Mexique gère ces processus.

Décentralisation et gestion des ressources naturelles au Pérou

17L’État péruvien est réputé très centralisé, et les processus de décentralisation qui ont jalonné, par à-coups, son histoire récente, témoignent d’un rapport de force difficile entre le centre (Lima) et la périphérie. L’urbanisation rapide du pays a en outre renforcé les inégalités géographiques, qui ne sont toutefois pas simplement liées à la distinction ville-campagne, mais aussi à des espaces géographiques très contrastés. Reprenant le découpage du pays en trois grandes régions naturelles, le penseur marxiste de la première moitié du XXe siècle Mariátegui appréhendait la côte comme « capitaliste », la montagne comme « féodale » et le bassin amazonien comme un territoire colonial de l’État. Depuis le début du siècle passé, cette description sommaire conserve une part de vérité [8].

18Le Pérou est divisé en 24 départements, auxquels s’ajoute la province constitutionnelle du Callao (port de Lima), 194 provinces et 1 828 districts (l’équivalent de nos communes), pour une population d’un peu plus de 27 millions d’habitants [9]. Au recensement de 1993, l’agglomération de Lima-Callao représentait 32 % de la population et 44 % du produit national brut (PNB), tandis que les 17 départements les plus pauvres, occupant plus de la moitié du territoire (54 %) et réunissant 40 % de la population, ne contribuaient que pour 25 % du PNB.

19Dans les districts ruraux (62 % de l’ensemble des districts), la hiérarchie des villages et l’existence de communautés paysannes (actuellement de l’ordre de 5000, avec une plus grande concentration au sud) ajoutent à la complexité des configurations de pouvoir. Seuls 6 % des districts ont plus de 50 000 habitants ; ils réunissent 53 % de la population totale. Cette disproportion permet de comprendre l’importance toute relative de l’électorat rural pour les politiciens nationaux. De fait, le découpage des circonscriptions, l’organisation et la couverture des partis politiques avantagent nettement la capitale.

20Sur cet arrière-fond de sous-représentation politique, la décentralisation a eu pour effet d’accroître fortement la compétition électorale et la fragmentation partisane : des mouvements régionaux sont notamment apparus, non intégrés aux partis politiques nationaux, qui ont généré une grande dispersion des votes. Dans ces conditions, aucun élu n’a obtenu plus de 20 % des suffrages aux élections locales de 2006.

21Par ailleurs, des compétences mal définies ainsi que des budgets demeurés très centralisés (si les maires sont élus depuis 1965, ils ne disposent d’un budget propre que depuis 2003, cf. tableau 1 ci-dessous) ont empêché les gouvernements locaux de gagner en légitimité. La révocabilité des élus a contribué à déstabiliser encore davantage les équilibres locaux.

Tableau 1

Répartition du budget selon les échelons de gouvernement

Tableau 1
Gouv. central (%) Gouv. régional (%) Gouv. local (%) 2002 86 14 0 2003 74 22 4 2008 72 16 12 Source : Perú : leyes de presupuesto del sector público, cité par MONGE C., GARCÍA R., Escenerio de Redistribucion de los Recursos del Canon en el Peru, Grupo Propuesta Ciudadania, 2008.

Répartition du budget selon les échelons de gouvernement

22Quant aux gouvernements régionaux, ils ont été créés et élus avant que les régions n’acquièrent d’existence réelle : celles-ci se superposaient alors aux départements (coquilles vides sur les plans administratif et financier) et étaient destinées à fusionner pour former des macro-régions. Cette régionalisation n’a toutefois pas été accomplie et les conditions ne semblent pas réunies pour qu’elle puisse aboutir prochainement [10].

La répartition des financements

23Officiellement, la répartition des budgets se fait de plus en plus en faveur des régions et des municipalités : de 0 % en 2002 à 12 % en 2008 pour ces dernières.

24Toutefois, le Ministère de l’Économie et des Finances (MEF) se réserve le contrôle des ressources fiscales et pose des conditions très strictes à l’allocation de certains transferts à travers le SNIP (Sistema nacional de inversión pública). Cette contrainte suscite une technicisation de l’activité municipale, en particulier autour de la préparation des projets éligibles aux financements de l’État central. Le montage de projets « finançables » devient ainsi une obsession de la part des gouvernements locaux, qui met par ailleurs en relief les faibles capacités techniques de bon nombre d’entre eux. La tutelle centrale est complétée par les possibilités, limitées mais réelles, de cofinancements des projets locaux par les ministères sectoriels, contraignant ainsi les élus locaux à se transformer en démarcheurs auprès des instances de la capitale, ce qui favorise la perpétuation des liens clientélaires. Faute d’obtenir les financements adéquats, les gouvernements locaux se rabattent sur des projets peu coûteux et à visibilité immédiate (pavement des rues, construction de places et de jardins publics…).

25À ces sources d’inégalité territoriale vient s’ajouter un nouveau flux de ressources discriminant, à savoir l’impôt perçu par l’État sur le revenu des activités extractives. L’importance acquise par l’exploitation minière dans les années 1990 a fait de cette source de revenus un enjeu capital pour les politiques publiques. Produit d’âpres transactions, la « Ley de Canon » [11] n’existe que depuis 2001 (votée sous le gouvernement de transition de Valentín Paniagua) et a été plusieurs fois révisée. La loi n’impose pas la quantité de minerai extraite, mais les seuls revenus qui en sont retirés (limitant les risques financiers et commerciaux des opérateurs), en y soustrayant un certain nombre de frais d’investissements. De cet impôt sur le revenu, l’État attribue 50 % (c’est cette part qui est appelée « canon ») aux gouvernements des territoires concernés par l’activité minière (régionaux et locaux). Le canon doit être destiné exclusivement à des investissements dans la construction d’infrastructures, ce qui freine son décaissement étant données les capacités techniques requises pour le montage des projets, et en l’absence d’investissements parallèles dans les capacités institutionnelles.

26Le canon est attribué brutalement aux gouvernements décentralisés à partir de 2004. Au total, le canon distribué en 2008 sur la base de l’impôt sur le revenu de 2007 a été de 4 435 millions de soles (environ 1 100 millions d’euros). Un département comme Moquegua, dont la population (moins de 200 000 habitants, la taille moyenne d’un district de Lima) est répartie aux deux tiers dans seulement deux villes, et qui est répertorié par l’INEI comme l’une des zones les plus riches du pays, a perçu 4,77 % de ce montant. La seule municipalité provinciale de Moquegua a reçu presque 49 millions de soles (plus de 10 millions d’euros). Malgré des besoins importants pour la reconstruction urbaine à la suite d’un tremblement de terre survenu il y a quelques années, le niveau des décaissements est toutefois demeuré très bas (en-dessous de 50 %), du fait du manque de ressources institutionnelles des gouvernements locaux.

27Face aux aléas de la décentralisation, de nombreuses mesures visant un renforcement des gouvernements locaux ont été prises entre 2003 et 2008. Parmi elles, outre l’obligation faite à chaque niveau de gouvernement d’élaborer un plan stratégique de développement supervisé par le SNIP, se trouve la constitution de divers organes participatifs à caractère régional et local (Comités de Concertation Régionaux – CCR, Comités de Concertation Locaux – CCL, Comités de budget participatif…), le transfert de certaines responsabilités sectorielles (en matière d’éducation, de santé, d’agriculture…), la mise en place de l’Assemblée nationale des gouvernements régionaux, l’établissement de regroupements d’intégration régionale (Internor, Macrosur, etc.). Ces mesures demeurent très insuffisantes par rapport à une exigence concrète : comment gérer un budget dont l’affectation est strictement fléchée, dans le cadre de compétences de plus en plus élargies et avec une bureaucratie instable et souvent inefficace ?

28Avant la loi sur le canon, la capacité institutionnelle de dépense demeurait presque inexistante faute de moyens financiers. Mais désormais, les moyens ont augmenté de manière démesurée par rapport à la capacité de montage des projets. L’absence de planification rend le niveau local d’autant plus susceptible d’adopter un mode de répartition arbitraire et clientéliste, même si l’échelle locale ouvre également des opportunités de politisation des populations [12].

Gestion institutionnelle

29Les élus locaux ont un mandat de quatre ans révocable, ce qui est peu pour organiser la continuité de l’action publique locale. La plupart des postes de confiance sont accordés aux proches du maire, en remerciement des soutiens obtenus durant la campagne, et sont d’autant plus attractifs que les emplois rémunérés demeurent rares en milieu rural. La création de « mancomunidades » (groupements intercommunaux) a été pensée pour pallier ces déficits, mais reste rare et difficile à mettre en œuvre concrètement [13].

30Il est finalement plus aisé, pour un gouvernement, de décentraliser dans un contexte de pauvreté que de forte croissance économique. Dans le premier cas, la rareté des ressources n’accorde pas de grande légitimité aux gouvernements locaux et les enjeux politiques demeurent peu significatifs. En cas d’afflux de ressources nouvelles, en revanche (en particulier avec le versement du canon), les conflits stratégiques deviennent beaucoup plus aigus, et les inégalités s’accroissent. Les accusations de clientélisme et de corruption [14] prolifèrent au niveau local, pouvant atteindre des niveaux de violence inimaginables [15]. Dans un contexte de libéralisation, la question du rôle de l’État dans la réduction des inégalités et la formation de capacités institutionnelles demeure ainsi entièrement posée.

Décentralisation et gestion des ressources naturelles au Mexique

31Au Mexique, les inégalités géographiques sont au moins aussi marquées qu’au Pérou, cette fois-ci entre un Nord plus « blanc » et riche et un Sud plus pauvre, indien et marqué par l’héritage colonial. La concentration urbaine est également significative, le Mexique affichant plus de 100 millions d’habitants dont 20 dans la métropole de Mexico, pour un produit intérieur brut neuf fois supérieur à celui du Pérou [16]. S’y ajoute la présence d’un système politique fédéral : environ 2 500 municipalités de tailles diverses, 31 États et un District fédéral [17] y partagent le pouvoir avec un gouvernement historiquement très centralisé. L’État-nation s’y est construit au prix d’une forte concentration des pouvoirs, de l’incorporation par le parti révolutionnaire institutionnel (PRI) de couches très différentes de la population [18], et de la répression des initiatives régionalistes. Le pays a ainsi souvent été défini comme un « régime centraliste déguisé en régime fédéral » [19].

32Les années 1980 ont été marquées par un double mouvement de décentralisation des services publics et de centralisation budgétaire. En 1980, les 31 États ont adhéré au système national de coordination fiscale. Renonçant à percevoir des redevances à leur profit, ils se sont mis à prélever des contributions au nom de la fédération et celle-ci leur reversait, sur son budget total, un pourcentage fixe incluant les bénéfices tirés des impôts et des ventes de pétrole et de minerais.

33Parallèlement, et de manière contradictoire, la réforme de l’article 115 de la Constitution en 1983 a accordé de nouvelles compétences aux municipalités en matière de santé et d’éducation. Dans ces deux domaines, ce sont principalement le patrimoine immobilier, la gestion et le salaire des personnels qui ont fait l’objet d’un transfert de compétence graduel, aboutissant à une décentralisation intégrale du budget de l’éducation en 1992 et un peu plus tardive pour la santé. Pour certains analystes, toutefois, ces transferts relèveraient d’une logique de déconcentration administrative bien plus que d’une véritable décentralisation [20].

34Dans cette période d’ouverture au multipartisme, le conflit entre le PRI et les autres partis (PAN et PRD pour l’essentiel) [21] s’est joué sur la gestion décentralisée : la différence entre leurs compétences (accrues) et leurs ressources (toujours dépendantes du gouvernement central) a façonné le degré d’autonomie des États et des municipalités [22]. L’autonomie varie en outre selon les secteurs. Elle est par exemple très faible dans le secteur éducatif : le gouvernement central conserve la réglementation et l’attribution des ressources financières au système d’éducation primaire, tandis que les fonctions techniques et administratives ont été transférées aux États et que la responsabilité de l’entretien des infrastructures a été allouée aux exécutifs municipaux. Le budget des États a certes doublé, mais les effectifs des fonctionnaires ont quadruplé dans certains d’entre eux. De fait, près de 99 % des budgets sert bien souvent à payer les salaires, et ne permet pas aux États de s’atteler à l’amélioration de la qualité du service. De plus, les inégalités territoriales sont devenues sensibles, en particulier dans la disparité des richesses entre villes et campagnes. Le PAN, qui détient de nombreuses villes importantes, notamment dans le nord du pays, se considère lésé par les modes répartition en vigueur.

35Au milieu des années 1990, le président Zedillo a instauré un « nouveau fédéralisme » visant une profonde redistribution des prérogatives et des ressources entre les différents niveaux de gouvernement. Le système national de coordination fiscale a renforcé les pouvoirs centraux tout en accordant plus de moyens aux États, surtout les plus pauvres. Cette redistribution concerne principalement les politiques sociales, instruments privilégiés de légitimation du pouvoir politique. C’est ainsi que le budget auparavant attribué au programme Solidarité [23] est devenu une branche du budget décentralisé. En 1997, le Congrès a voté (sans majorité du PRI pour la première fois) la création du Ramo 33, qui a créé un fonds commun pour la construction d’infrastructure sociale. Les six autres fonds de ce poste budgétaire étaient destinés, par ordre décroissant d’importance, à l’éducation et à la santé (plus de 60 %), à l’aide sociale, à la formation et l’éducation supérieure, et à la consolidation institutionnelle des municipalités. Ce dernier fonds a notamment permis la construction d’hôtels de ville et l’équipement des services de police.

36Si l’utilisation des budgets décentralisés par des gouvernements municipaux souvent incompétents demeure contestée, il n’en demeure pas moins que la décentralisation a bénéficié en priorité aux États et aux municipalités les plus pauvres, contribuant, au contraire du Pérou, à combler les inégalités territoriales. Cependant, comme au Pérou, se pose le problème des ressources institutionnelles des gouvernements locaux.

Gestion institutionnelle

37La répartition complexe des différentes attributions entre les trois niveaux de gouvernement, la courte durée des mandats des maires (trois ans, contre six pour les gouverneurs) et le rythme de rotation des charges (la réélection étant interdite) structurent les modes de gestion publique au Mexique. Nombre d’effets pervers identifiés dans le cas du Pérou, tels que l’inflation des postes administratifs, la corruption, le patronage et le clientélisme complexifient un processus de décentralisation mené au nom d’une meilleure identification des besoins et d’une participation plus effective des populations aux décisions collectives [24].

38L’intégration corporatiste s’est affaiblie, sans toutefois totalement disparaître, face au renforcement d’entrepreneurs politiques locaux et de la société organisée. L’enjeu central est désormais celui de la compétition partisane : depuis les élections de juillet 1997, les partis d’opposition (au PRI) sont majoritaires au Congrès et contrôlent les grandes villes (y compris le District fédéral) et se sont révélés des agents actifs de ce que l’on appelle le « nouveau fédéralisme » ou « fédéralisme des partis politiques », en opposition au « vieux fédéralisme » dominé par les réseaux corporatistes personnalisés. « Ce nouveau schéma politique a permis d’ancrer les dépenses sociales dans les municipalités, aux dépens de l’échelle de l’État fédéré encore largement contrôlé par le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI) » [25].

39Toutefois, ce transfert de la politique sociale vers le niveau local a été contrebalancé par le contrôle fédéral maintenu sur un programme phare, le Programme Éducation, Santé, Alimentation (Progresa), rebaptisé Oportunidades en 2001. Ce programme de transferts monétaires conditionnés, qui atteint désormais le quart le plus pauvre de la population mexicaine, a apporté une grande légitimité au gouvernement jusque dans les contrées les plus reculées, malgré son coût relativement bas [26].

40Durant les années 1990, les gouverneurs et maires ont été élus à l’issue de compétitions de plus en plus ouvertes. La décentralisation a alors politisé les fonctions jusque-là détenues par les notables. Dans le même temps, et de manière potentiellement contradictoire, la fragmentation accrue de l’action publique a incité à la négociation et aux compromis, ce que révèlent notamment les Coplademun [27].

41La décentralisation a alors procuré une série d’opportunités qui ont été plus ou moins saisies par la société organisée : innovations des gouvernements locaux [28], modèles de cogestion, budgets participatifs… Les gouvernements locaux se sont efforcés dans le même temps de susciter la participation pour mieux se légitimer, dans un jeu complexe d’instrumentalisations réciproques.

42Finalement, dans le contexte des programmes d’ajustement structurel et de l’augmentation de la pauvreté, la décentralisation a conduit à transférer la pression sociale sur l’échelon local : avec l’alternance politique, le PRI a pu trouver là une manière d’obtenir de nouveaux postes et de regagner en légitimité.

Croissance, pauvreté et conflits sociaux

43La politique de croissance et d’ouverture aux investissements économiques a donné lieu, au cours des dernières années, à un accroissement des inégalités sociales, et s’est traduite par une augmentation des conflits sociaux au niveau local. Cela se vérifie aussi bien au Pérou qu’au Mexique.

44La question se pose alors de l’existence de nouvelles dynamiques de conflictualité sociale. Dans les régions rurales, les conflits sont liés à la demande de politiques distributives, à la propriété et à l’accès aux ressources naturelles (en particulier minières et agricoles), et à la participation politique. Le problème est que l’affaiblissement de l’intégration corporatiste n’a pas été compensé par une démocratie de marché pluraliste à l’échelle locale. Comme les transitions politico-économiques restent inachevées, les formes de conflit se complexifient, les nouvelles exigences de participation démocratique se superposant aux anciennes demandes de bénéfices adressées à l’État central.

45Au Pérou, dans le contexte de forte croissance économique des années 2000, le gouvernement a perdu l’occasion de se relégitimer auprès des populations pauvres à l’aide de programmes productifs et sociaux. Dans la montagne, où se trouve concentrée la plus grande proportion de paysans, le programme Sierra exportadora, supposé encourager les exportations, a avorté [29]. À l’échelle nationale, avec un ciblage sur les régions et les familles les plus pauvres, mais avec une gestion centralisée au profit de la Présidence du conseil des ministres, le programme Juntos, inspiré du modèle des transferts monétaires conditionnés, a progressé, mais son impact reste encore faible. Aucun mode de gestion politique ne semble s’imposer clairement : « Ni réforme institutionnelle, ni clientèle, ni cooptation corporative », résume Isabel Remy [30].

46Le désengagement volontaire de l’État a ouvert des espaces pour certains acteurs comme les ONG de développement [31], très actives sur les enjeux écologiques liés à l’exploitation minière. Les entreprises étrangères qui investissent dans l’exploitation ont, pour leur part, des préférences potentiellement contradictoires : elles attendent un État suffisamment fort pour protéger leurs intérêts contre les mobilisations locales, tout en étant assez faibles sur le plan fiscal. Par ailleurs, le défi qui leur est lancé du fait de la faible présence de l’État sur certains territoires les amène à assumer des fonctions d’assistance sociale. Dans leur zone d’implantation, on assiste ainsi à une coproduction de l’action sociale par les acteurs publics locaux et privés transnationaux.

47Dans ce contexte, nombre d’analystes évoquent une crise des mécanismes de représentation. « Bien que le Pérou ait connu une stabilité économique remarquable au cours des dix dernières années avec un taux d’inflation faible, un déficit fiscal contrôlé, des taux d’intérêt à la baisse et un taux de croissance proche de 4 % par an, il existe un mécontentement social qui n’est pas pris en compte politiquement, ce qui a provoqué une instabilité politique assez visible » [32].

48Au Mexique, la protestation la plus forte et la plus médiatisée a été celle du mouvement zapatiste dans l’État du Chiapas. Ce mouvement est pourtant resté régional : malgré sa portée planétaire amplifiée par internet, il n’est pas parvenu à fédérer les intérêts des Indiens du Mexique ni ceux des populations marginalisées en général. Les spécificités de ce conflit ne doivent toutefois pas masquer la montée en puissance d’une société civile qui réclame, principalement, une plus grande transparence dans la politique, aussi bien dans les scrutins que dans l’action publique [33].

49Malgré des politiques sociales plus développées qu’au Pérou, le Mexique demeure plus que jamais confronté à l’augmentation des disparités socio-territoriales issues de la décentralisation : tandis que les régions déjà riches et les villes prospèrent, certaines zones rurales n’obtiennent qu’une infime partie d’une redistribution sociale, à travers les fonds décentralisés pour le développement d’infrastructures sociales et le programme Progresa-Oportunidades. Ces inégalités rappellent la nécessité d’une refonte des politiques fiscales qui, comme au Pérou, se fait toujours attendre.

Conclusion

50Nous avons tenté de préciser, dans cet article, les relations complexes qu’entretiennent les réformes d’inspiration néolibérale avec les processus de décentralisation. Ces derniers se traduisent par une externalisation de la mise en œuvre des politiques libérales sur les gouvernements locaux, en même temps que la privatisation d’un certain nombre de services, y compris sociaux, qui contribue à limiter l’autonomie de ces gouvernements. Le niveau local s’efforce, en retour, d’exercer une pression sociale et politique visant à impliquer davantage l’État central dans les politiques publiques, et fournit un nouvel espace d’apprentissage politique à une multiplicité d’acteurs.

51En étant particulièrement attendu pour assurer un rééquilibrage entre les intérêts des firmes transnationales et ceux des populations locales, l’État bénéficie d’une opportunité de relégitimation qu’il n’a pas encore su saisir.

52En ce qui concerne les effets redistributifs, les politiques de lutte contre la pauvreté jouent un rôle d’apaisement des tensions sociales, en entretenant l’illusion d’une redistribution des richesses. Cependant, dans un contexte d’accroissement des inégalités et de faible création d’emplois, les programmes sociaux ciblés sur les familles les plus démunies apparaissent comme de maigres compensations dans des secteurs tels que la santé et l’éducation, et ne touchent pas aux mécanismes de formation des inégalités. Le Mexique, qui organise sa politique sociale à la fois au niveau des échelons décentralisés et par le contrôle centralisé d’un programme phare (Progresa-Oportunidades) conserve cependant une architecture plus équilibrée justifiant sa réputation de laboratoire des politiques sociales.

53Au final, les réformes économiques couplées aux décentralisations, en creusant les inégalités et en alimentant la perception d’une décharge de l’État (davantage cependant au Pérou qu’au Mexique), ont été et restent porteuses d’un risque important de désenchantement à l’égard des mécanismes de représentation démocratique.

Notes

  • [1]
    Ce travail s’inscrit dans un projet de recherche qui a reçu le soutien financier de deux programmes : ECOS-Mexique (M05H02, « Les politiques publiques : entre légitimité et efficacité », 2005-2009) et ANR-Suds-013 (DEVGLOB, 2008-2010).
  • [2]
    UMR 201 D&S, IEDES/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et IRD.
  • [3]
    C’est-à-dire d’une « bonne conduite » se traduisant par des conditions économiques favorables au capital, surtout étranger (notamment l’accès aux ressources extractives et l’exemption d’impôts), avec une minimisation des coûts de production, tout en évitant les conflits sociaux et en garantissant la sécurité sur l’ensemble du territoire.
  • [4]
    PNUD Perú, Encuesta nacional sobre la democracia en el Perú: « El mensaje de las cifras », « Evolución histórica », « La agenda pendiente », 2006. www.pnud.org.pe/n_publicaciones.asp
  • [5]
    MARQUES-PEREIRA J., THÉRET B., « Régimes politiques, médiations sociales et trajectoires économiques : À propos de la bifurcation des économies brésiliennes et mexicaines depuis les années 1970 », in LAUTIER B., MARQUES-PEREIRA J., Brésil, Mexique : Deux Trajectoires dans la Mondialisation, Karthala, 2004, p. 25-85 (p. 29).
  • [6]
    BIZBERG I., Estado y sindicalismo en México, México, El Colegio de México, 1990.En ligne
  • [7]
    MARQUES-PEREIRA J., THÉRET B., « Régimes politiques, médiations sociales et trajectoires économiques : À propos de la bifurcation des économies brésiliennes et mexicaines depuis les années 1970 », in LAUTIER B., MARQUES-PEREIRA J., Brésil, Mexique : Deux Trajectoires dans la Mondialisation, Karthala, 2004, p. 25-85 (p. 30).
  • [8]
    REMY M.I., « Descentralización en tiempos de neoliberalismo », Argumentos, n°4, 2008.
  • [9]
    Instituto Nacional de Estadísticas e Informática (INEI), Censo nacional de población y vivienda, Lima, 2007.
  • [10]
    María Isabel Remy a fait une analyse assez fine des obstacles à la mise en œuvre du projet de création de macro-régions et résume le problème en termes d’avantages et d’inconvénients pour chacune des parties, généralement inégales : un petit département avec un grand, un département riche avec un pauvre, etc., les complémentarités étant pratiquement inexistantes. Cf. REMY M.I., « Los gobiernos locales en el Perú: entre el entusiasmo democrático y el deterioro de la representación política », in VICH V., (dir.), El Estado está de vuelta: desigualdad, diversidad y democracia, Instituto de Estudios Peruanos, 2005, p. 111-136.
  • [11]
    Le « canon » est le terme employé pour désigner, dans le total des revenus retiré par l’État de l’exploitation des ressources naturelles, la part affectée aux gouvernements régionaux et locaux (le monopole étatique en première instance est justifié par le fait que l’État est propriétaire du sous-sol). L’État reverse ainsi le « canon » selon une formule établie par une loi, aux régions, provinces et districts concernés par l’exploitation minière : Les autorités provinciales et communales sont responsables du transfert des ressources aux localités de leur circonscription et de rendre compte périodiquement de l’utilisation des ressources (Ley de Canon n°27506 de 2001, modifiée en 2002, 2003, 2004, 2005, 2006).
  • [12]
    AUYERO J., Poor People’s Politics. Peronist Survival Networks and The Legacy of Evita, Durham and London, Duke University Press, 2000 ; BEY M., DEHOUVE D., (dir.), La transition démocratique au Mexique. Regards croisés, Paris, L’Harmattan, 2006.
  • [13]
    Cette figure de droit public rencontre toujours des obstacles légaux, mais il en existe néanmoins 35 dans le pays, comme le « corredor central andino » dans le département de Piura, réputé pour son dynamisme (Anahí Chaparro, communication orale, CEPES, 30 janvier 2009).
  • [14]
    Dans ce contexte, les deux notions sont équivalentes.
  • [15]
    À Ilave, dans la région de Puno, au sud du pays, le maire a été assassiné par la population exaspérée par une accusation de corruption, pourtant jamais prouvée et organisée par un opposant politique.
  • [16]
    Au Mexique, 766 258,9 millions de dollars (prix constants de 2000) contre 84 362,29 millions de dollars au Pérou, pour l’année 2008 (CEPAL : http://www.eclac.org).
  • [17]
    Depuis 1997, un chef de l’exécutif du District fédéral (DF) est élu au suffrage universel.
  • [18]
    COLLIER R.B. et COLLIER D., Shaping the Political Arena : Critical Junctures, the Labor Movement, and Regime Dynamics in Latin America. Princeton : Princeton University Press, 1991.
  • [19]
    CABRERO M.E., « Mexique : les dilemmes de la décentralisation », Problèmes d’Amérique latine, n°37, 2000.
  • [20]
    La décentralisation est « la remise du pouvoir décisionnel à des corps autorisés par la Constitution et séparés des ministères du gouvernement central placés sous l’autorité présidentielle. […] En revanche, la déconcentration se réfère au fait de déléguer une part du pouvoir décisionnel depuis les ministères fédéraux aux administrations correspondantes en fonction dans les États et les municipalités ou à leurs bureaucraties ». Cf. BAILEY J., « Centralism and Political Change in Mexico : The Case of National Solidarity », in CORNELIUSW.A., CRAIG A.L., FOX J., Transforming State-Society Relations in Mexico : The National Solidarity Strategy, La Jolla: University of California, San Diego, Center for U.S.-Mexico Contemporary Perspectives Series, p. 97-122 (p. 103). La déconcentration administrative permet alors de contourner le pouvoir décisionnel des élus locaux.
  • [21]
    Le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) s’est maintenu au pouvoir depuis les années 1940. Le Parti d’Action Nationale (PAN), conservateur, existe depuis 1946, mais s’est trouvé marginalisé par l’hégémonie du PRI jusqu’à sa prise du pouvoir national en 2000. Le Parti de la Révolution Démocratique (PRD) s’est constitué en 1988 autour de membres du PRI adoptant une posture « à gauche ». Sur le paysage politique et partisan du Mexique contemporain, nous renvoyons à l’ouvrage « La transition démocratique au Mexique » publié par l’auteur avec Danièle Dehouve en 2006.
  • [22]
    La remunicipalisation, c’est-à-dire le redécoupage territorial sur la base des municipalités, est un phénomène qui accompagne les enjeux territoriaux : anciennement autour de la répartition des terres agricoles, récemment autour des financements décentralisés.
  • [23]
    Le programme national Solidarité, appelé par son acronyme Pronasol, créé sous la présidence de Carlos Salinas de Gortari (1988-1994), a fait couler beaucoup d’encre (voir notamment : LAUTIER B., « Pauvreté et politiques de la pauvreté au Mexique », in POULIN R., SALAMA P., (dir.), L’insoutenable misère du monde - économie et sociologie de la pauvreté, Vents d’Ouest, Hull, Québec, 1998). Ce programme social de large couverture a eu peu d’impact en termes de lutte contre la pauvreté et même, plus largement, de développement. Disposant d’un budget très faible et nullement ciblé, ce programme a surtout contribué à une redéfinition des rapports entre la classe politique et la population, en particulier la plus pauvre, mais pas uniquement. Le corporatisme s’en est trouvé affaibli tandis que le président établissait une relation directe avec les comités locaux de solidarité, créés à la faveur de ce programme national. Ils atteindront le nombre impressionnant de 250 000 à la fin du mandat présidentiel, alors que les municipes sont cent fois moins nombreux.
  • [24]
    Depuis les années 1980, le processus de décentralisation s’est doté d’instances participatives, à l’échelle des États (Conseils de planification du développement, Coplade) puis des municipalités (Comités de planification du développement municipal, Coplademun), afin que l’appareil technocratique puisse prendre les décisions après consultation de la base sociale, représentée dans diverses instances de la société civile (ONG, associations, syndicats, entreprises, etc.).
  • [25]
    PREVOT-SCHAPIRA M.F., « Dossier : Un bilan de 15 ans de décentralisation », Problèmes d’Amérique latine, n°37, 2000.
  • [26]
    BEY M., « Le programme social ‘Progresa-Oportunidades’ au Mexique. De vieilles recettes pour un nouveau modèle », Revue Tiers Monde, n°196, 2008, p. 881-900.
  • [27]
    BEY M., « La transformation de la société locale mexicaine par les programmes sociaux », in BORGEAUD-GARCIANDÍA N., LAUTIER B., PEÑAFIEL R. et TIZZIANI A., (dir.), Penser le politique en Amérique latine. La recréation des espaces et des formes du politique, Paris, Karthala, 2009, p. 71-84.
  • [28]
    Par exemple, à Cuquío, dans l’État de Jalisco, le gouvernement du PRD issu des élections de 1992 a créé un Conseil démocratique municipal de Cuquío (Codemuc), instance participative qui a permis à l’ensemble des localités de la municipalité d’exprimer leurs besoins et leur opinion sur les choix de développement concernant le territoire municipal (BEY M., « Changements sur l’échiquier politique : Cuquío, État de Jalisco », in BEY M. et DEHOUVE D., (dir.), La transition démocratique au Mexique. Regards croisés, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 183-209. Cette création montre l’inefficacité inhérente à un mode d’organisation institutionnalisé comme le Coplademun.
  • [29]
    EGUREN F., « Sierra Exportadora », Coyuntura, Año 2, n°9, 2006, p. 8-11.
  • [30]
    REMY M.I., « Los gobiernos locales en el Perú: entre el entusiasmo democrático y el deterioro de la representación política », in VICH V., (dir.), El Estado está de vuelta : desigualdad, diversidad y democracia, Instituto de Estudios Peruanos, 2005, p. 111-136.
  • [31]
    Dans la formation à la citoyenneté et dans les spécialités techniques requises dans la gestion municipale, mais aussi dans tous les domaines concernant le développement (institutionnel et productif). Ce renforcement des capacités locales est d’ailleurs mal perçu par le gouvernement actuel.
  • [32]
    GONZALES DE OLARTE E., La difícil descentralización fiscal en el Perú. Teoría y práctica, Instituto de Estudios Peruanos, Serie Análisis Económico 22, Lima, 2004, p. 64.
  • [33]
    BLANCO I. « Política social y participación de las Organizaciones de la Sociedad Civil », Colloque : Le regain de légitimité des politiques publiques à l’ère libérale. Comparaisons internationales à partir du cas mexicain, Nogent sur Marne, 13-14 mars 2008.
Français

Résumé

Dans le contexte de libéralisation économique et d’accroissement de la pauvreté qui caractérise le Mexique et le Pérou des deux dernières décennies, la décentralisation est présentée comme un nouveau levier du développement économique. Elle est aussi considérée comme un instrument privilégié de consolidation de la démocratie. L’étude comparée des deux pays permet de pointer des mises en œuvre différentes et ouvre des perspectives pour l’analyse des modes de légitimation des deux Etats. Les deux pays manifestent une même volonté de maîtriser la répartition des richesses sur le territoire national. Malgré leurs différences, aucun d’entre eux ne consolide réellement la démocratie, ni ne partage les décisions politiques avec les autres échelons de gouvernement. L’Etat mexicain bénéficie cependant d’un regain de légitimité à la faveur d’une politique de redistribution qui bénéficie au quart le plus pauvre de la population. L’Etat péruvien se distingue principalement par son offre de conditions favorables aux investissements étrangers dans les activités extractives. Dans les deux cas, au final, la représentation démocratique se trouve fortement affaiblie.

Marguerite Bey [2]
Est sociologue, membre de l’UMR 201 « Développement et sociétés » (IEDES - Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et IRD). Elle travaille, au Pérou et au Mexique, sur les dynamiques sociales et politiques (principalement en milieu rural) et les politiques publiques, particulièrement sur les programmes sociaux et de lutte contre la pauvreté dans le cadre de la décentralisation. Dernier ouvrage paru, en codirection avec Danièle Dehouve : “La transition démocratique au Mexique. Regards croisés” (L’harmattan, 2008).
  • [2]
    UMR 201 D&S, IEDES/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et IRD.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 16/12/2010
https://doi.org/10.3917/ripc.173.0127
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