CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1“Quoi que l’on pense de son attrait fétichiste pour les mesures empiriques (… ), ses études ont soulevé des questions qui jusqu’alors n’avaient jamais été posées, au sujet de ce qui maintient la cohésion des communautés politiques internationales, de ce qui détermine l’intégration de groupes disparates au sein d’une communauté unique nationale ou internationale ou leur désintégration subséquente, et de ce qui rend compte du fait que dans les relations entre certains États l’attente de la guerre a disparu des deux côtés, alors qu’elle perdure dans les relations entre d’autres États. L’importance centrale des travaux de Deutsch réside non pas dans les réponses qu’il a cherché à donner à ces questions, en termes de flux de communications (non pas que ces réponses soient sans importance), mais dans le fait d’avoir soulevé ces questions qui, depuis, font partie de l’agenda de recherche des spécialistes dans ces domaines. L’hypothèse selon laquelle la cohésion et la persistance des groupes tels que les pays anglo-saxons ou scandinaves doive s’expliquer moins en termes de systèmes de puissances qu’en termes de communautés politiques est susceptible d’avoir des implications dans la théorie générale des relations internationales” [1].

2Il peut paraître surprenant de mettre en exergue à une tentative d’évaluation de l’apport de Karl Deutsch à la théorie des relations internationales le jugement émis à son encontre par Hedley Bull. En effet, lors du fameux débat qui, durant les années cinquante-soixante, opposa traditionalistes et behaviouralistes au sein du champ académique des Relations internationales [2], Bull fut l’un des partisans les plus convaincus de l’approche traditionnelle et, à ce titre, l’un des plus farouches adversaires de la méthode scientifique dont se réclamait Deutsch [3]. Davantage, l’apport de ce dernier aux relations internationales est la plupart du temps associé à son rôle d’innovateur méthodologique, comme tend à l’indiquer la réception dont son oeuvre internationale fait l’objet à une génération d’intervalle : ainsi, Robert Pfaltzgraff estime en 1972 que l’analyse internationale de Deutsch est caractérisée par “la recherche de concepts suffisamment précis et applicables pour fournir les fondements au développement d’une théorie; la création d’indicateurs opérationnels (quantifiables) susceptibles de permettre la vérification empirique des hypothèses relatives au comportement politique; l’adaptation et l’utilisation de concepts, méthodes et aperçus importés d’autres disciplines” [4]; quant à Andrew Linklater, dans son anthologie des principaux articles et extraits d’ouvrages de la discipline publiée en 2000, il choisit comme texte de Deutsch un chapitre de Community at the International Level, dont le sous-titre est explicitement révélateur de l’orientation méthodologique qu’il a retenue comme constituant le principal mérite de Deutsch : “Problems of Definition and Measurement” [5].

3Pourtant, si la contribution de Deutsch aux Relations internationales se résumait à son introduction dans la discipline de l’approche dite cybernétique, ou transactionnelle, il est fort à parier que son nom relèverait aujourd’hui davantage de la curiosité historique que de l’avant-garde de la discipline : en effet, le débat méthodologique dont il a été l’un des principaux protagonistes [6] a rapidement perdu de sa virulence à partir des années soixante-dix, et autant le nom de Deutsch apparaît régulièrement dans les manuels de Relations internationales conçus avant la fin de la guerre froide par des témoins de ce débat [7], autant il a pratiquement disparu des manuels les plus récents, rédigés par des théoriciens contemporains de la chute du Mur de Berlin et des contestations post-positivistes [8]. Autrement dit, c’est ailleurs qu’il faut aller chercher l’apport durable de Deutsch à la théorie des relations internationales, et cet apport se situe bien, comme l’a dit Bull, au niveau substantiel de ses écrits internationaux.

4D’entrée de jeu, ces écrits annoncent la couleur. En écrivant dans The Analysis of International Relations qu’“une introduction aux relations internationales contemporaines est une introduction à l’art et à la science de la survie de l’humanité” [9], et en présentant Political Community and the North Atlantic Area comme une “contribution à l’étude des différents moyens susceptibles de permettre aux hommes d’abolir la guerre” [10], Deutsch indique sans détour que son épistémologie parsonienne et sa méthodologie quantitativiste ne sont jamais qu’au service de sa philosophie pacifiste [11]. Cette philosophie est aux antipodes du paradigme réaliste dominant à l’époque ou écrit Deutsch, et c’est là que réside toute la portée de son analyse internationale.

5Plus précisément, grâce à son concept de communauté de sécurité”, Deutsch est à l’origine directe ou indirecte de tout un ensemble de recherches qui ont enrichi la discipline en dehors du paradigme réaliste, du modèle de la “toile d’araignée” à la notion d’“anarchie kantienne, en passant par la théorie de la “paix démocratique”. C’est cet héritage de l’analyse internationale de Deutsch que nous nous proposons de présenter ici, après avoir rappelé la notion de communauté de sécurité et résumé le défi qu’elle adresse au réalisme.

La notion de communauté de sécurité

6Désireux de savoir “comment les hommes peuvent apprendre à agir ensemble en vue d’éliminer la guerre comme institution sociale” [12], Deutsch part du constat qu’en certains endroits du monde il existe des communautés politiques au sein desquelles la guerre et l’attente de la guerre ont été éliminées. Ces communautés politiques, il les appelle “communautés de sécurité” [13] : “Une communauté de sécurité est un groupe de personnes ‘intégré’ (a group of people which has become ‘integrated’)”. Les guillemets entourant le participe passé “intégré” renvoient à la signification spéciale donnée au concept d’intégration [14] : “Par intégration, nous entendons l’obtention, au sein d’un territoire, d’un ‘sens de la communauté’ et d’institutions et de pratiques suffisamment fortes et diffusées pour assurer, pendant ‘un long moment’, des attentes de ‘changement pacifique’ parmi sa population”. Exprimé autrement, une communauté de sécurité est une communauté politique dont les membres ont acquis la conviction que “leurs problèmes sociaux communs peuvent et doivent être résolus par des mécanismes de changement pacifique, (c’est-à-dire) par la voie de procédures institutionnalisées, sans recours à la violence physique” [15].

7Synonyme d’existence de relations sociales pacifiques, un tel processus d’intégration ne saurait être confondu avec un processus d’unification, au sens de relations sociales soumises à une même autorité centrale. Il faut donc distinguer deux formes concrètes de communautés de sécurité, selon qu’il s’agit d’une “communauté de sécurité unifiée” (amalgamated) ou d’une “communauté de sécurité pluraliste”: la première est caractérisée par la fusion formelle de deux ou plusieurs entités auparavant indépendantes en une seule unité plus large, avec à sa tête un gouvernement commun; la seconde est composée de deux ou plusieurs entités indépendantes l’une de l’autre, sans gouvernement commun [16].

8D’où quatre types de communautés politiques possibles, selon qu’elles sont intégrées ou non et/ou unifiées ou non : les communautés de sécurité unifiées (ex. les États-Unis contemporains, où règne la paix civile); les communautés de sécurité pluralistes (ex. les États-Unis et le Canada, ou la Suède et la Norvège, dont les relations sont en état de paix); les non-communautés de sécurité unifiées (ex. les États-Unis immédiatement avant et pendant la guerre de sécession, ou bien l’empire austro-hongrois aux alentours de 1914, où sévit (le risque d’)une guerre civile); les non-communautés de sécurité pluralistes (ex. les États-Unis et l’URSS pendant la guerre froide, qui n’entretiennent pas des attentes réciproques de changement pacifique).

9Une fois la définition de la communauté de sécurité donnée et leur typologie dressée, Deutsch étudie alors des facteurs qui, parce que présents, ont facilité l’émergence et le maintien des communautés de sécurité existantes, ou bien qui, parce que faisant défaut ou parce que disparaissant, ont soit empêché cette émergence, soit provoqué la dés-intégration de communautés de sécurité ayant existé pendant un certain laps de temps. En se concentrant sur l’aire géographique de l’Atlantique Nord [17], Deutsch constate avec son équipe que le processus d’intégration unifiée exige la réunion d’un nombre élevé de conditions essentielles, relatives à la compatibilité entre les valeurs fondamentales des couches sociales politiquement importantes, à l’augmentation des capacités politiques et administratives des unités politiques devant fusionner, à la mobilité des personnes et à l’élargissement de l’élite politique, aux liens stables de communication sociale du point de vue à la fois géographique entre les territoires et sociologique entre les différentes couches sociales, à l’existence de services et de fonctions communs et à l’établissement de leurs contreparties institutionnelles en vue de leur exécution dans un grand nombre de domaines de communications et de transactions, à l’attente de liens et d’avantages économiques plus importants, à la croissance économique supérieure dans au moins les unités participantes les plus importantes [18]. En revanche, pour qu’émerge et se maintienne une communauté de sécurité pluraliste, c’est-à-dire pour que les relations entre deux ou plusieurs États indépendants se caractérisent par l’absence de tout recours à la violence armée en vue de la résolution de leurs conflits d’intérêts, il suffit que soient remplies trois conditions : la compatibilité entre les valeurs fondamentales des élites politiques des unités concernées; le sentiment de sympathie mutuelle, de “we-feeling”, de confiance partagée, entre les peuples en question; la possibilité de prédire le comportement de l’autre et de se comporter soi-même en fonction de cette prédiction.

10Conclusion : “Les communautés de sécurité pluralistes sont quelque peu plus faciles à obtenir et à préserver que les communautés de sécurité unifiées” [19].

La remise en cause du réalisme

11Un tel constat donne une idée du défi que les recherches de Karl Deutsch représentent pour le paradigme réaliste. Déjà, le fait pour lui de vouloir étudier les facteurs de la paix constitue une rupture fondamentale par rapport au réalisme. Certes, si problématique réaliste il y a, c’est bien celle de l’étude des causes de la guerre et des conditions de la paix. Mais pour les réalistes, la paix à proprement parler n’existe pas : sans aller nécessairement jusqu’à voir dans la guerre “une simple continuation de la politique par d’autres moyens” [20], ils sont tous d’accord pour affirmer que les États “vivent dans un état de guerre perpétuelle” [21], et que leurs relations mutuelles se déroulent “à l’ombre de la guerre”, pour reprendre l’expression de Raymond Aron, persuadé que “les guerres sont de tous les temps et de toutes les civilisations” [22]. Avec pour conséquence d’un tel état de guerre, synonyme non pas de “bataille et de combats effectifs” mais d’un “espace de temps où la volonté de s’affronter en des batailles est suffisamment avérée” [23], une paix qui n’est en réalité qu’une trêve, une simple “suspension, plus ou moins durable, des modalités violentes de la rivalité entre unités politiques, (… ) à l’ombre desbatailles passées et dans la crainte ou l’attente des batailles futures” [24]. Il en va tout autrement chez Deutsch, qui a une conception positive, et non pas simplement négative, de la paix : chez lui, la paix est tout à fait susceptible d’exister en tant que telle, et non comme simple intermède; pour lui, la paix, c’est l’état des relations entre unités politiques, unifiées ou non, pour lesquelles “la guerre est devenue impensable” [25].

12Mieux, cette paix est susceptible d’être réalisée plus facilement entre communautés politiques qu’au sein d’une communauté. Voilà une deuxième rupture par rapport aux réalistes. Pour ces derniers en effet, l’état d’anarchie qui caractérise les relations internationales autorise tout au plus l’ordre, la stabilité, rendus possibles par un équilibre des puissances; quant à la paix, au sens fort d’absence d’attitude de guerre, elle ne saurait être envisageable qu’à une seule condition, l’existence d’un gouvernement mondial. Comme le dit Kenneth Waltz s’inspirant de Jean-Jacques Rousseau, la guerre existe “parce que rien ne l’empêche”, et seul “avec un gouvernement mondial, il n’y aurait plus de guerres internationales”. Mais comme il s’agit là d’“une prescription utopique”, d’“un remède qui, pour être logiquement irréfutable, n’en est pas moins pratiquement irréalisable” [26], les réalistes restent fidèles à la séparation stricte entre l’ordre intérieur pacifié grâce au monopole de la violence physique légitime que revendiquent avec succès les autorités à la tête d’une entité politique, et l’anarchie conflictuelle des relations entre unités politiques dépourvues de toute autorité centrale. C’est ce postulat de la radicale séparation interne-externe qui est à la fois refusé et réfuté par Deutsch [27].

13Deutsch tout d’abord refuse d’accorder une quelconque spécificité aux relations interétatiques par rapport aux relations politiques en général [28] : c’est là une conséquence logique de son behaviouralisme qui, postulant l’unicité de la démarche scientifique et l’unité des sciences sociales, aborde le comportement politique à partir d’une définition du politique axée sur le comportement empiriquement observable des acteurs sociaux, et non pas fondée sur une conception philosophique, id est ante-“scientifique”, de la nature humaine censée être guidée par une insatiable volonté de pouvoir. Il s’ensuit une définition du politique substantiellement différente de celle des réalistes : alors que pour un réaliste comme Edward H. Carr, “la politique est, dans un certain sens, toujours politique de puissance” [29], Deutsch conçoit lui la politique comme un comportement coopératif entre acteurs liés entre eux par des flux de communication, et non comme un jeu à somme nulle entre acteurs en compétition pour l’accès à la puissance. Ipso facto, la présence ou l’absence d’autorité centrale n’interviennent nullement dans la définition d’une communauté de sécurité : l’existence de celle-ci dépend du niveau, c’est-à-dire de la fréquence, de l’intensité, et de la rapidité des liens de toute sorte (commerce, tourisme, migrations, échanges culturels, liaisons téléphoniques, … ) qui, communiquant les besoins et les intentions d’un groupe à un autre, renforcent le sens d’identité collective, faisant ainsi émerger un sentiment de communauté, synonyme de valeurs partagées, de loyauté réciproque, de sympathie et de confiance mutuelle, de “we-feeling”, entre les membres participants à une même entité politique. Or, de telles valeurs partagées et donc de telles attentes de changement pacifique sont plus faciles à établir et à maintenir entre entités politiques séparées, qui forment alors une communauté de sécurité pluraliste, qu’au sein d’une entité politique unifiée, qui n’est nullement synonyme en tant que telle de communauté de sécurité unifiée.

14L’existence d’un gouvernement mondial est dès lors plutôt “un handicap qu’un atout” [30] lorsqu’il s’agit d’établir des relations sociales pacifiques entre unités politiques et, dans tous les cas, n’est une condition ni nécessaire ni suffisante à l’établissement de la paix internationale : elle n’est pas suffisante parce qu’une société mondiale unifiée n’implique nullement une communauté de sécurité, comme le prouvent les exemples de désintégrations de communautés de sécurité unifiées ; elle n’est pas nécessaire parce que la paix découle moins de l’établissement d’institutions communes que des transactions à l’origine de ces institutions que ces dernières ne font que faciliter. A fortiori, la paix ne découle pas de la prudence et sagesse des hommes d’État dont font l’éloge les réalistes partisans de la diplomatie de l’équilibre et de doctrine de la dissuasion : “Un monde de puissances se dissuadant les unes les autres, un monde de puissances pratiquant le marchandage les unes avec les autres, serait un système ingouvernable” [31].

15Et pour cause : chez Deutsch, la paix est la résultante non pas des actions gouvernementales, mais des flux sociétaux. Et c’est là que se situe l’origine de la troisième différence fondamentale entre Deutsch et les réalistes : alors que ces derniers ont une conception stato-centrée des relations internationales, qui en plus accorde son attention exclusive aux relations entre les seules grandes puissances, Deutsch ne voit dans l’État qu’un acteur parmi d’autres de la scène internationale, de même qu’il refuse de faire de la puissance le référent central des relations internationales. Peut-on imaginer incompatibilité plus grande que l’opposition entre un Kenneth Waltz revendiquant “une théorie de la politique internationale (… ) nécessairement fondée sur les grandes puissances” [32], et un Karl Deutsch rappelant à ses lecteurs que les “Américains ne sont qu’une minorité de la population totale, non seulement en nombre, mais également en superficie, en propriété, en connaissance, et (probablement) en puissance” [33] ? Pour Deutsch, non seulement les relations internationales ne se réduisent pas aux interactions entre diplomates et soldats, mais elles consistent d’abord dans les transactions entre individus, citoyens, peuples ; ce sont ces transactions, dont sont fonction les sentiments que les différentes communautés cultivent les unes envers les autres, leurs perceptions réciproques, le degré de confiance et de respect qui a pu émerger entre elles, qui sont le facteur ultime de la paix éventuelle entre États.

16Certes, cette paix est consolidée grâce aux institutions mises sur pied par les autorités étatiques pour mieux assurer le bon fonctionnement des flux de communications de toute nature entre leurs sociétés respectives. Le rôle des autorités étatiques et interétatiques est donc crucial sur la scène internationale, et voilà pourquoi la thèse de la paix par la communauté de sécurité rappelle la vision grotienne des relations internationales [34], selon laquelle les “échanges continus et institutionnellement organisés entre États souverains pendant les intervalles pacifiques” [35] sont susceptibles se pacifier les relations interétatiques. Il n’en reste pas moins que cette paix est in fine fondée sur les transactions entre acteurs non-étatiques, au service desquelles sont mises sur pied ces institutions. Autrement dit, Deutsch quitte le statocentrisme et prépare le terrain à l’approche transnationale des relations internationales soulignant le rôle, à côté des relations interétatiques, des relations transnationales, définies comme l’ensemble des relations qui, “par volonté délibérée ou par destination, se construi(sen)t dans l’espace mondial audelà du cadre étatique national et qui se réalise(nt) en échappant au moins partiellement au contrôle et à l’action médiatrice des États” [36]. C’est là le premier héritage de son analyse internationale.

L’héritage de Karl Deutsch

17Plus que Robert Keohane et Joseph Nye, généralement considérés comme étant à l’origine de l’approche transnationale [37], ou même Karl Kaiser, qui renvoie directement à Karl Deutsch [38], c’est John Burton qui le premier a fait fructifier l’apport de Deutsch, dans son modèle de la “toile d’araignée (cobweb model)” qu’il oppose au modèle des boules de billard d’Arnold Wolfers.

18Dans un essai sur les acteurs en politique internationale, Wolfers avait utilisé la métaphore des boules de billard pour décrire l’approche statocentrée des relations internationales, selon laquelle la scène internationale est “préemptée par un ensemble d’États, chacun disposant du contrôle entier du territoire, des hommes et des ressources à l’intérieur de ses frontières [39]. Selon Burton, cette image de l’État comme “unité close, imperméable et souveraine, complètement séparée des autres de tous les autres États” a pu être valable à l’époque “des cités-états dirigées par des seigneurs féodaux, lorsque chacune était indépendante et virtuellement isolée du reste du monde, lorsque la négociation s’effectuait par l’intermédiaire des leaders, lorsque la défense était le principal souci” [40]; mais s’y tenir aveuglément de nos jours reviendrait oublier que dans le monde contemporain, les relations transfrontières entre acteurs non-étatiques sont beaucoup plus nombreuses que les relations interétatiques. Conséquence : plutôt que de dépeindre les relations internationales en termes d’États entrant en contact les uns avec les autres au niveau de leurs seuls gouvernements, telles de boules de billards ne se touchant qu’à la surface et s’entrechoquant en fonction de leur taille respective, mieux vaut les concevoir comme une gigantesque toile d’araignée tissée par une infinité d’activités transsociétales – échanges commerciaux, mouvements touristiques, flux migratoires, transactions culturelles etc. – couvrant la planète entière tel un immense filet : “Il y a tellement de communications ou de systèmes qu’une carte du monde qui chercherait à les représenter ressemblerait à un ensemble de toiles d’araignées superposées les unes aux autres, avec des fils convergeant davantage en certains qu’en d’autres, et davantage concentrés en certains points qu’en d’autres” [41].

19“Communications, systèmes” : voilà, s’il en est, deux notions deutschiennes par excellence. Mais l’influence de Deutsch ne s’arrête pas à la seule méthodologie de Burton [42]. En effet, en postulant “que toute séparation entre politique interne et politique mondiale est arbitraire et probablement erronée”, et en affirmant qu’“il y a ‘un monde’ de la science, des idées, du commerce, et des échanges qui n’est que marginalement affecté par les barrières que sont les montagnes, les mers et les frontières étatiques” [43], ce dernier fait plus que simplement faire sien le paradigme cybernétique en lieu et place du paradigme de la puissance : “Les communications, et non pas la puissance, sont le principal facteur structurant de la société mondiale” [44]. Il reprend également la thèse de “l’interdépendance inéluctable” [45] provoquée par l’augmentation des transactions de toute sorte, anticipant par-là même la notion de mondialisation définie comme processus de rétrécissement du monde en seul lieu pour cause de répercussion de tout événement se produisant en un endroit quelconque en tout autre endroit : “L’interdépendance accrue (… ) conduit à de changements partout lorsqu’il y a un changement quelque part” [46]. Et surtout, il fonde comme Deutsch son espoir en un monde pacifié sur l’augmentation de ces transactions sociétales, à l’origine d’une l’intégration entendue au sens de communauté de sécurité : “Les conflits sont le moins probables au sein d’un groupe – qu’il s’agisse d’une famille ou d’une nation – qui est bien intégré. Ce sont les contacts continus et les sympathies mutuelles entre peuples de différentes nationalités et idéologies qui font que l’on puisse parler d’une société mondiale” [47] (c’est nous qui soulignons).

20C’est toujours dans la perspective des recherches sur la paix que se situe le deuxième légataire de Deutsch qu’est la théorie de la paix démocratique. Mais alors que Burton, en faisant sienne l’idée que “le processus de développement technologique contemporain pousse au-delà des guerres et des barrières économiques des États-nations” [48], s’était inspiré du libéralisme commercial implicite dans la pensée de Deutsch [49], Bruce Russett [50] privilégie lui le libéralisme républicain [51].

21Le postulat de départ de la théorie de la paix démocratique consiste dans l’affirmation que la nature du régime intérieur d’un État influe sur son comportement international. Voilà par excellence une hypothèse anti-réaliste : que les réalistes voient dans le comportement extérieur d’un État la résultante de la nature humaine, comme c’est le cas de Hobbes ou Morgenthau, ou qu’ils déduisent ce comportement de la répartition de la puissance au niveau du système international, comme c’est le cas de Rousseau et Waltz, tous sont d’accord pour refuser au régime intérieur d’un État une quelconque influence sur son action diplomatico-stratégique. Or, lorsqu’on établit une corrélation entre le comportement international d’un État et la nature de son régime politique interne, on constate que jamais des démocraties ne se sont fait la guerre entre elles, alors que le recours à la violence armée reste de mise dans les relations entre États démocratiques et non-démocratiques, ainsi que dans les relations qu’entretiennent entre eux des États non-démo-cratiques [52].

22D’après Russett, il en est ainsi parce que les démocraties sont caractérisées d’un côté par la séparation des pouvoirs et l’existence d’une opinion publique, de l’autre par la culture du compromis et le règlement pacifique des conflits. Lorsque alors elles entrent en conflit l’une avec l’autre, “la culture, les perceptions, et la pratique qui permettent le compromis et la résolution pacifique des conflits à l’intérieur [d’une démocratie] viennent à s’appliquer au-delà des frontières nationales dans les relations avec d’autres pays démocratiques” (p. 31), car “si des décideurs démocratiques considèrent que les autres démocraties rechignent et sont lents à se battre à cause des contraintes institutionnelles (et peut-être aussi à cause d’une aversion générale du peuple à la guerre), ils ne craindront pas d’être attaqués par une autre démocratie” [53]. Autrement dit, entre deux démocraties émerge une attente pacifique réciproque, qui permet la résolution pacifique de leurs différends, car le recours au diplomate permet de se passer du recours au soldat.

23C’est cette notion d’attente pacifique réciproque qui renvoie directement à Karl Deutsch. Certes, celui-ci refuse de considérer la démocratie comme “une condition sine qua non à l’intégration” [54], mais en reconnaissant qu’“un processus de comportement intégratif, de sentiment communautaire, exige des habitudes particulières de comportement politique de la part de certains individus, et des traditions et institutions particulières de la part (… ) des États” [55], Deutsch annonce bel et bien la théorie de la paix démocratique. Plus précisément, les conditions nécessaires et suffisantes qu’il exige pour que puissent émerger des communautés de sécurité pluralistes, à savoir la compatibilité des valeurs pertinentes au niveau du processus de prise de décision, l’existence d’institutions politiques favorisant la communication et la consultation mutuelles, et la prévisibilité réciproque du comportement, correspondent exactement aux facteurs à l’origine de la paix démocratique de Russett. Mieux, quand on sait que Russett fait remonter la paix démocratique à la résolution pacifique de la crise vénézuélienne de1894-95 [56], on retrouve d’emblée le lien entre l’idée de l’attente pacifique réciproque de Russett et la notion d’“attentes de ‘changement pacifique’” de Deutsch, tant c’est dans une recherche sur les relations américano-britanniques [57], avec laquelle il avait tenté de corroborer l’analyse de Karl Deutsch, que se situe l’origine de l’intuition de la paix démocratique chez Russett.

24Bref, en écrivant que “les relations entre démocraties rentrent dans la catégorie de la paix durable (de Boulding) ou de la communauté de sécurité (de Deutsch et al.) au sein de laquelle non seulement les États ne se combattent pas, mais ni ne s’attendent à se combattre les uns les autres, ni se préparent de façon significative à se combattre les uns les autres” [58], Russett se réclame à juste titre de Deutsch.

25Il en va de même pour Alexander Wendt qui, plutôt que de voir en lui un libéral [59], ou même un inspirateur du transnationalisme, considère Deutsch comme l’un des auteurs qui ont “proposé d’importantes approches constructivistes à la politique internationale” [60].

26Au cœur du constructivisme, dont Wendt est le principal représentant de la version soft [61], il y a le refus d’étudier le monde “tel qu’il est” [62], car le monde n’“est” pas, mais se construit socialement, c’est-à-dire “est” un processus en devenir, qui change et se transforme en permanence, au gré des pratiques sociales les plus diverses – discours, idées, croyances, normes, règles, institutions, etc. Plus précisément, le monde n’est jamais “que ce que les États en font” [63], car plutôt que d’être une structure donnée une fois pour toutes, contraignant les États à une “lutte pour la puissance” ou au “chacun pour soi” en vue de leur sécurité [64], l’anarchie est constituée par l’ensemble des croyances partagées par les États au sujet d’eux-mêmes et les autres, leurs relations et leurs places au sein du système international. Or, si les relations des États ont par le passé été en état d’anarchie hobbienne, au sens où ils se concevaient et se percevaient les uns les autres comme des ennemis, avec l’état de guerre qui s’en est suivie, de nos jours les États se conçoivent la plupart du temps comme de simples rivaux, c’est-à-dire qu’ils respectent mutuellement leur souveraineté sauf recours exceptionnel à la force. Davantage, non seulement l’anarchie lockienne a succédé à l’anarchie hobbienne, mais le recours limité à la force, inhérent à l’anarchie lockienne, est de moins en moins fréquent entre les États en général, et surtout entre certains d’entre eux. Cet écart par rapport à la culture lockienne s’explique par l’émergence d’une culture anarchique kantienne [65], qui existe lorsque des États se conçoivent les uns les autres comme des amis.

27L’amitié, dit Wendt, est une structure de rôle au sein de laquelle des États s’attendent à ce que chacun d’eux observe la règle du non-recours à la force (les conflits entre États concernés sont résolus de façon pacifique, par la négociation, le compromis, le dialogue) et celle de l’aide mutuelle (les États combattent ensemble lorsque l’un d’entre eux voit sa sécurité mise en danger par un État tiers). Et c’est ici que se situe le lien avec Deutsch, car lorsque les États respectent la règle du non-recours à la force dans leurs relations mutuelles, ils forment une communauté pluraliste de sécurité : “Dans leur chef-d’œuvre, Karl Deutsch et ses associés ont défini une communauté pluraliste de sécurité comme un système d’États (… ) au sein duquel ‘il existe une assurance réelle que les membres de la communauté ne s’affronteront pas physiquement, mais résoudront leurs différentes d’une autre façon’. L’assurance réelle ne provient pas d’un Léviathan qui impose la paix par l’intermédiaire d’un pouvoir central (… ), mais par les connaissances partagées des intentions et comportements pacifiques réciproques” [66]. Autrement dit, l’anarchie kantienne prévaut lorsque certains États identifient leur intérêt national à celui d’autres États, lorsqu’ils définissent leur intérêt national de façon altruiste en y intégrant celui d’autres États, lorsqu’ils se sentent liés par un sentiment spontané d’appartenance à une même collectivité, le “wefeeling” [67] que Deutsch voyait justementà l’origine de l’intégration, lorsqu’il définissait le sentiment communautaire comme découlant des “sympathies et loyautés mutuelles, d’un ‘we-feeling’, d’une confiance et d’une considération réciproque, d’une identification partielle” [68] entre membres d’une même communauté de sécurité pluraliste.

28D’après Wendt, la culture kantienne reste de nos jours cantonnée au sein de la seule aire nord-atlantique, mais l’interdépendance croissante que la mondialisation favorise entre les États, la communauté de destindont ils font partie à cause des défis globaux qu’ils doivent affronter, ainsi que l’homogénéisation grandissante des régimes socio-politico-économiques, sont autant de tendances lourdes incitant les États à se comporter en amis ou, dans un premier temps, à faire preuve d’auto-restriction dans leur comportement à l’égard d’autrui. Si un tel comportement, que l’on a vu à l’œuvre de la part de l’Allemagne et du Japon depuis l’après-Seconde guerre mondiale, de Sadate à l’encontre d’Israël, et de Gorbatchev à la fin de la guerre froide, pouvait se généraliser, alors la culture de l’amitié finirait par se diffuser à l’échelle mondiale, provoquant ainsi le changement structurel de l’actuelle anarchie lockienne en anarchie kantienne.

29Voilà une perspective qui peut paraître excessivement utopique. En réalité, une telle perception n’est valable qu’eu égard à la perception réaliste qui assimile anarchie et état de guerre. D’un point de vue de pure logique conceptuelle, l’anarchie kantienne de Wendt est parfaitement plausible : structure vide, l’anarchie renvoie à l’absence de quelque chose, en l’occurrence d’une autorité centrale, et non à la présence de quelque chose; l’amitiéy a donc tout autant sa place que l’hostilité ou la rivalité. Dans tous les cas, cet optimisme s’inscrit dans le droit fil de celui dont faisait preuve Deutsch en plein équilibre de la terreur, lorsqu’il ne désespérait pas de pouvoir “ajuster le monde tout en s’adaptant à lui” [69].

30Et voilà qui prouve à la fois l’actualité et la pertinence de l’approche deutschienne des relations internationales. Non seulement parce que le nom de Deutsch est associé à chaque tournant important de la discipline, qu’il s’agisse de l’irruption du transnationalisme, du renouveau du libéralisme, ou de l’émergence du constructivisme; mais aussi et surtout parce que ses analyses sont susceptibles de rendre particulièrement bien compte de plusieurs évolutions dans le monde de l’après-guerre froide.

31D’un côté, le concept de communauté de sécurité s’applique plus que jamais, à la fois à l’Union européenne, issue d’un axe Paris-Bonn parvenu à la conviction de la possible et nécessaire résolution pacifique des différendsfranco-allemands, et à l’Alliance Atlantique, dont la survie et l’extension géographique depuis la fin de la guerre froide tendent à indiquer qu’elle est autre chose qu’une simple alliance, établie pour des raisons intéressées, limitée dans le temps, et devant son existence à la présence d’un ennemi, en l’occurrence l’Union soviétique. L’effondrement de l’Union soviétique justement, tout comme celui de la Yougoslavie, constituent autant de processus de dés-intégration, et prouvent qu’unification politique et intégration pacifique ne vont nullement de pair. À ce propos, il faut rappeler, et ce n’est pas peu dire, que Karl Deutsch avait intuitivement prévu le sort de la Yougoslavie, indirectement en énumérant parmi les facteurs de dés~intégration “l’augmentation rapide de la différenciation régionale, économique, sociale, linguistique ou ethnique” [70], directement en s’interrogeant dès 1957 sur le degré d’intégration réelle de la Yougoslavie de Tito [71]. Mieux, l’analyse deutschienne permet même de faire apparaître comme excessivement alarmistes les craintes d’un embrasement général des Balkans suite à la désintégration de l’ex-Yougoslavie, car elle montre que des peuples peuvent très bien vivre en paix en tant que nations séparées après s’être combattus au sein d’un État commun dont l’un d’entre eux ne voulait pas et qui, de ce fait, était une non-communuauté de sécurité unifiée.

32Cette perspicacité ne doit cependant pas faire passer sous silence les critiques que l’on peut émettre à l’encontre de Karl Deutsch. Elles concernent tout d’abord les rapports que l’analyse deutschienne entretient avec le réalisme. Parmi les facteurs facilitant l’intégration, Deutsch cite en effet l’existence de ce qu’il appelle les “core areas” dont le rôle a été essentiel à la fois dans certains cas d’intégration unifiée, comme le montrent les exemples de l’Angleterre au sein de la Grande Bretagne, de la Prusse au sein de l’Allemagne, du Piémont au sein de l’Italie, mais aussi dans des cas d’intégration pluraliste, comme celui de l’Alliance Atlantique : “Les États-Unis constituent aujourd’hui le noyau central de l’aire nord-atlantique” [72]. Voilà qui réfute certes la théorie réaliste de l’équilibre des puissances : “Contrairement à la théorie de l’équilibre des puissances, les communautés de sécurité se développent la plupart du temps autour de noyaux de force” [73]. Mais voilà qui n’est pas incompatible avec une autre théorie réaliste, celle de la stabilité hégémonique, qui affirme que la paix internationale – ou plutôt l’ordre international – ne saurait être assurée – toujours temporairement – que grâce à un déséquilibre unipolaire en faveur de l’une des puissances, la puissance hégémonique en l’occurrence [74]. Comment d’ailleurs parler de valeurs partagées lorsque l’on à affaire à une “capacité d’agir” prépondérante de la part de l’un des États membres d’une communauté, pour cause “de taille, de puissance, de force économique et d’efficacité administrative” [75] supérieure ? Les valeurs dans ce cas ne sont-elles pas “inspirées” sinon imposées par l’entité exerçant, sinon une domination, du moins un leadership de facto ?

33Autre incohérence : Deutsch n’est guère resté fidèle à sa préférence pour les “core areas”. En 1964, dans un article publié avec David Singer, il arrive en effet à la conclusion qu’un système multipolaire est plus stable qu’un système bipolaire : “Au fur et à mesure qu’un système s’éloigne de la bipolarité pour se rapprocher de la multipolarité, on peut s’attendre à ce que la fréquence et l’intensité de la guerre diminuent” [76]. Même si stabilité n’est pas synonyme de paix, même si la propension à la stabilité d’un système multipolaire est ici comparée avantageusement à celle d’un système bipolaire et non pas unipolaire, le fait de définir la stabilité comme signifiant la survie des États-membres, l’absence de toute guerre majeure, et surtout la capacité d’un système à empêcher l’ascension de toute puissance dominante, introduit un flottement certain dans la pensée de Deutsch : comment concilier le rôle de l’équilibre multipolaire dans le maintien de la stabilité et la présence de l’unipolarité dans l’avènement des communautés de sécurité ?

34Ce flottement, on le retrouve dans sa démonstration de la paix par les communautés de sécurité pluralistes. D’un côté, Deutsch arrive à la conclusion que l’intégration pluraliste est une voie plus facile vers la paix que l’intégration unifiée; mais de l’autre, il constate que le niveau de transactions entre communautés augmente moins vite que celui des transactions au sein des communautés : “De nos jours, la plupart des pays du monde imputent une plus grande partie de leurs ressources à leurs économies internes, et une plus petite partie à leur commerce extérieur, qu’il y a un demi-siècle. (… ) Dans la plupart des pays, l’on assiste à une baisse considérable de la part du courrier étranger dans l’ensemble des lettres écrites. (… ) L’augmentation des obstacles politiques et administratifs au mouvement des personnes, des biens, et des capitaux, est trop bien connue pour que l’on s’y attarde” [77]. Comment pouvoir espérer déduire la paix internationale des transactions entre communautés indépendantes si celles-ci se replient relativement sur elles-mêmes ? Certes, la qualité des transactions compte plus que leur quantité, mais du coup se pose la question de la méthode de vérification empirique de l’hypothèse de l’existence des communautés de sécurité pluralistes. D’après Deutsch, l’existence d’une telle communauté peut être empiriquement constatée lorsque l’on est en présence de communautés politiques entre lesquelles n’existe aucun préparatif de guerre : “Il n’y a pas eu de guerre (… ) au vingtième siècle qui n’ait pas fait usage de masses importantes d’armements produits et de personnels et de compétences militaires entraînés auparavant. L’absence de tels préparatifs entre deux territoires quelconques (… ) sert pour cette raison de test à l’existence ou non d’une communauté de sécurité entre les groupes concernés” [78]. Autrement dit, on a affaire à des attentes de changement pacifique entre deux États lorsque ceux-ci ne dirigent pas l’un contre l’autre “des fortifications majeures, bases, déploiement de troupes, navires de guerre, avions militaires, missiles” [79]. Reste à savoir comment l’on peut déterminer avec certitude contre qui les armements d’un État sont dirigés … Deutsch ne le dit pas, et ceci est particulièrement délicat dans la perspective de sa conception quantitative de l’intégration.

35Une reprise de la notion de communauté de sécurité s’impose donc si on veut transformer l’essai que les recherches de Deutsch ont marqué dans le domaine des études sur les conditions de la paix dans le monde contemporain. C’est à cette tâche que se sont attelés Emmanuel Adler et Michael Barnett, avec leur programme de recherche intitulé Security Communities[80]. C’est dire si plus de quarante après avoir été émise, la pensée internationale de Deutsch est toujours vivante et se porte bien.

Notes

  • [1]
    BULL H., “The Theory of International Politics. 1919-1969” in PORTER B. (ed.), The Aberystwyth Papers. International Politics 1919-1969, Oxford UP, 1972, pp. 30-50.
  • [2]
    Parmi les plus récents survols historiques présentant la discipline Relations internationales comme une succession de débats, voir, entre autres, SMITH S., “The Self-Images of a Discipline. A Genealogy of International Relations Theory” in BOOTH K. and SMITH S. (eds), International Relations Theory Today, Polity Press, 1995, pp. 1-37 ; ainsi que WAEVER O., “The Rise and Fall of The Inter-Paradigm Debate” in SMITH S., BOOTH K. and ZALEWSKI M. (eds), International Theory. Positivism and Beyond, Cambridge UP, 1996, pp. 149-85.En ligne
  • [3]
    Sur ce débat, qui est le deuxième de la discipline, voir la controverse entre Bull et Kaplan : BULL H., “International Theory. The Case for the Classical Approach”, World Politics, Vol. 18, avril 1966, pp. 361-377 et KAPLAN M., “A New Great Debate. Traditionalism Vs. Science in International Relations”, World Politics, Vol. 19, octobre 1966, pp. 1-20. Des extraits de cette controverse ont été publiés dans BRAILLARD P., Théories des relations internationales, PUF, 1977, pp. 31-48 et 48-67.
  • [4]
    PFALTZGRAFF R., “K. Deutsch and the Study of Political Science”, Political Science Reviewer, Vol. 2, automne 1972, pp. 90-111.
  • [5]
    LINKLATER A. (ed.), International Relations. Critical Concepts in Political Science, Routledge, 2000, Tome 2, pp. 652-664.
  • [6]
    Pour avoir une idée des principales recherches d’inspiration behaviouraliste, voir l’anthologie éditée par KNORR K. and ROSENAU J. (eds), Contending Approaches to International Politics, Princeton UP, 1969.
  • [7]
    Voir, entre autres, TAYLOR T. (ed.), Approaches and Theories in International Relations, Longman, 1978, pp. 237 et s. ; OLSON W. and GROOM J., International Relations Then and Now, Routledge, 1992, pp. 160 et s.; DOUGHERTY J. and PFALTZGRAFF R., Contending Theories of International Relations ( 5e édition), Addison-Wesley Longman, 2001, pp. 519 et s.
  • [8]
    C’est vrai pour les manuels de théories des relations internationales : ainsi, le nom de K. Deutsch n’apparaît qu’une seule fois dans l’index de BURCHILL S. and LINKLATER A., Theories of International Relations, Saint Martin’s, 1996. C’est a fortiori vrai dans les manuels d’introduction destinés aux étudiants undergraduate, comme BAYLIS J. and SMITH S., The Globalization of World Politics. An Introduction to International Relations ( 2e édition), Oxford UP, 2001.
  • [9]
    C’est la première phrase de la préface à DEUTSCH K., The Analysis of International Relations ( 3e édition), Prentice-Hall, 1988, p. IX.
  • [10]
    C’est la première phrase de DEUTSCH K. et al., Political Community and the North Atlantic Area, Princeton UP, 1957, p. 3.
  • [11]
    K. Deutsch rappelle ce faisant l’ancêtre des études quantitativistes en Relations internationales qu’est Q. Wright, dont A Study of War, Chicago UP, 1942, avait également pour objectif l’étude scientifique des causes de la guerre dans l’espoir normatif d’un dépassement de celle-ci.
  • [12]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1988, p. 3.
  • [13]
    Rappelons que le concept de “ communauté de sécurité a été forgé par VAN WAGENEN R. dans son Research in the International Organization Field, Université de Princeton, Center for Research on World Political Institutions, 1952. R. van Wagenen a ensuite été l’un des coauteurs de Political Community and the North Atlantic Area.
  • [14]
    Vu son utilisation de la notion d’intégration, K. Deutsch est à juste titre considéré comme l’un des principaux théoriciens de l’intégration, et son approche transactionnelle est régulièrement résumée à côtés des approches (néo-)fonctionnalistes et intergouvernementalistes dans les ouvrages relatifs aux théories de l’intégration, comme par exemple chez ROSAMOND B., Theories of European Integration, MacMillan, 2000, pp. 42 et s. Il nous semble cependant que la notion d’intégration telle qu’entendue par Deutsch aborde une problématique plus large que la perspective des théories de l’intégration, dans la mesure où l’intégration est chez lui considérée moins comme une fin en soi que comme un moment sur la voie de la paix au sein d’une entité politique ou entre entités politiques. Voir, dans le même sens, PUCHALA D., “Integration Theory and the Study of International Relations” in MERRITT R. and RUSSETT B. (eds)., From National Development to Global Community. Essays in Honor of Karl Deutsch, Allen & Unwin, 1981, pp. 145-164.
  • [15]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, p. 5.
  • [16]
    Si Deutsch a forgé le terme de communauté de sécurité pluraliste, l’intuition de cette notion apparaît déjà chez les libéraux internationalistes de l’entre-deux guerres, tels que N. Angell (qui parle de “protective union of the democracies”), WOOLF L. (qui parle de “European Confederation”) ou A. Zimmern (qui parle de “global legal community/Weltrechtsgemeinschaft”), voire même chez Kant, avec sa notion de “fédération d’États libres”. Voir à ce sujet OSIANDER A., “Rereading Early Twentieth-Century International Relations Theory. Idealism Revisited”, International Studies Quarterly, Vol. 42, sept. 1998, pp. 409-432.
  • [17]
    Rappelons, pour éviter tout malentendu, que cette aire de l’Atlantique Nord n’a rien à voir avec l’Alliance l’Atlantique, même si bien sûr le concept de communauté de sécurité est susceptible d’être appliqué – et a été appliqué – à l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. Les études de cas de Deutsch et al. portent en effet sur l’unification des colonies britanniques d’Amérique du Nord en États-Unis, la rupture de cette union au moment de la Guerre de sécession et la ré-unification qui s’en est suivie; l’union graduelle de l’Angleterre et de l’Écosse, la rupture de l’union entre l’Irlande et le Royaume-Uni, la lutte pour l’unité allemande du Moyen-Age jusqu’à Bismarck, le processus d’unification italienne, la préservation et la dissolution de l’empire des Habsbourg, l’union entre la Norvège et la Suède et leur séparation un siècle plus tard, l’intégration graduelle de la Suisse. Autrement dit, d’un point de vue à la fois spatial et temporel, l’échantillon étudié n’a rien à voir avec l’Alliance Atlantique : d’un côté, les cas de communautés de sécurité unifiées étudiées sont aussi nombreux que les cas de communautés de sécurité pluralistes ; quant à ceux-ci, ils concernent la plupart du temps des communautés bilatérales, comme la Suède et la Norvège, les États-Unis et le Canada, la Grande Bretagne et les États-Unis, la France et la Belgique, etc.
  • [18]
    L’étude détaillée de ces conditions, qui se trouve dans DEUTSCH K., op. cit., 1957, pp. 46 et s., a été traduite dans BRAILLARD P., op. cit., 1977, pp. 323-341. Pour un résumé, voir DEUTSCH K., op. cit., 1988, pp. 273-274.
  • [19]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, p. 29.
  • [20]
    VON CLAUSEWITZ C., De la guerre ( 1832-34), Minuit, 1956, p. 67.
  • [21]
    HOBBES T., Léviathan ( 1651), Sirey, 1971, p. 227.
  • [22]
    ARON R., Paix et guerre entre les nations ( 8ème édition), Calmann-Lévy, 1984, pp. 18 et 157.
  • [23]
    HOBBES T., op. cit., 1971, p. 124.
  • [24]
    ARON R., op. cit., 1984, p. 158.
  • [25]
    L’expression “guerre impensable , que K. Deutsch et al. utilisent à deux reprises dans DEUTSCH K., op. cit., 1957, pp. 116 et 156, est au centre de la théorie de John Mueller selon qui, dans Retreat From Doomsday. The Obsolescence of Major War, Basic Books, 1989, p. 240, la guerre majeure est de nos jours à la fois contreproductive d’un point de vue rationnel et “subrationnally unthinkable”. L’influence de K. Deutsch va donc au-delà des auteurs chez qui nous voyons une filiation intellectuelle directe avec la notion de communauté de sécurité. Le behaviouraliste Kenneth Boulding parle lui de “paix durable”, qu’il définit comme “une situation dans laquelle la probabilité d’une guerre est si petite qu’elle n’entre pas vraiment dans les calculs” des États ou de leurs décideurs ou citoyens ( Stable Peace, Texas UP, 1978, p. 13).
  • [26]
    WALTZ K., Man, the State and War, Columbia UP, pp. 188,228,228 et 238.
  • [27]
    De nos jours, le refus de la séparation interne/externe est également au centre des approches post-modernistes des relations internationales. Inutile de préciser que ces approches, dont on peut avoir une idée chez WALKER R., Inside/Outside. International Relations As Political Theory, Cambridge UP, 1992, ne s’inspirent nullement de Deutsch.
  • [28]
    Dans son excellent article intitulé “K. Deutsch and the New Paradigm in International Relations” in MERRITT R. and RUSSETT B., op. cit., 1981, pp. 233-251, A. Lijphart s’appuie sur le refus épistémologique deutschien de poser le postulat de la séparation interne-externe pour faire découler l’anti~réalisme de Deutsch de son épistémologie behaviouraliste. Si nous sommes d’accord avec Lijphart pour souligner l’anti-réalisme de Deutsch, il nous semble cependant excessif de généraliser son cas : d’un côté, il y a des adeptes de la révolution behaviouraliste qui s’accommodent parfaitement du réalisme, tels KAPLAN M., System and Process in International Politics, Wiley, 1957, mais aussi WALTZ K. dont le néo-réalisme structuraliste de son Theory of International Politics, McGraw-Hill, 1979, est justement une tentative d’adaptation du réalisme classique aux exigences “scientifiques” behaviouralistes; de l’autre, BULL H., “traditionnaliste”, est plus proche substantiellement dans The Anarchical Society, MacMillan, 1977, de Deutsch que des réalistes, comme tend aussi à l’indiquer le fait que le constructiviste A. Wendt se réclame et de l’un et de l’autre. Pour une analyse voyant dans le behaviouralisme une simple révolution méthodologique sur fond de postulats substantiels du réalisme, voir VASQUEZ J., The Power of Power Politics ( 2ème édition), Cambridge UP, 1998. Le point de vue opposé, que fait donc sien A. Lijphart, est également défendu par MERLE M., Sociologie des relations internationales ( 2ème édition), Dalloz, 1976, pp. 77 et s., qui oppose la conception classique, id est réaliste, à ce qu’il appelle les “conceptions sociologiques d’inspiration anglo-saxonne”.
  • [29]
    CARR E. H., The Twenty Years’ Crisis. 1919-1939 ( 2ème édition), MacMillan, 1946, p. 102.
  • [30]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, p. 105.
  • [31]
    DEUTSCH K., “Between Sovereignty and Integration. Conclusion”, Government and Opposition, Vol. 9; hiver 1974, p. 115.
  • [32]
    WALTZ K., op. cit., 1979, p. 73.
  • [33]
    DEUTSCH K., op. cit., 1988, p. 1.
  • [34]
    C’est LIJPHART A., op. cit., 1981, qui établit cette filiation.
  • [35]
    WIGHT M., International Theory. The Three Traditions, Holmes & Meyer, 1991, p. 7. Voir également BULL H., “The Grotian Conception of International Society” in BUTTERFIELD H. and WIGHT M. (eds), Diplomatic Investigations, Allen & Unwin, 1966, pp. 51-73.
  • [36]
    BADIE B. et SMOUTS M.-C., Le retournement du monde ( 3ème édition), Presses de Sciences Po, p. 66.
  • [37]
    Ni dans Transnational Relations and World Politics, Harvard UP, 1972, ni dans Power and Interdependence ( 1977), Addison-Wesley, 2001,3ème édition, R. Keohane et J. Nye ne citent Karl Deutsch.
  • [38]
    KAISER K., “La politique transnationale. Vers une théorie de la politique multinationale”( 1969) dans BRAILLARD P., op. cit., 1977, pp. 222-247.
  • [39]
    WOLFERS A., “The Actors in International Politics”in WOLFERS A., Discord and Collaboration, Johns Hopkins UP, 1962, p. 19.
  • [40]
    BURTON J., World Society, Cambridge UP, 1972, p. 19.
  • [41]
    Ibidem, p. 43.
  • [42]
    Voir à se sujet BURTON J., Systems, States, Diplomacy and Rules, Cambridge UP, 1968.
  • [43]
    BURTON J., op. cit., 1972, pp. 29-30.
  • [44]
    Ibidem, p. 45.
  • [45]
    DEUTSCH K., op. cit., 1988, p. IX.
  • [46]
    BURTON J., op. cit., 1972, pp. 20 et 7.
  • [47]
    Ibidem, p. 34.
  • [48]
    DEUTSCH K., Nationalism and Its Alternatives, Knopf, 1969, p. 190.
  • [49]
    Dans un ouvrage intitulé Free Trade As The Human Means for Securing Universal and Permanent Peace, le libéral britannique du 19e siècle R. Cobden, chantre du libre-échange, avait préconisé “le moins de rapports possibles entre gouvernements, autant de connexions que possible entre peuples”.
  • [50]
    La théorie de la paix démocratique est d’abord associée à DOYLE M., “Kant, Liberal Legacies, and Foreign Affairs”, Philosophy and Public Affairs, Vol. 12, été 1983, pp. 205 à 235, et Vol. 12, automne 1983, pp. 323-353. Nous nous concentrons ici sur la version – à notre avis moins dépendante de la philosophie de Kant – qu’en a donné Russet dans RUSSETT B., Grasping the Democratic Peace, Princeton UP, 1993, d’autant plus que celui-ci a été l’un des étudiants internationalistes de Deutsch, tout comme D. Puchala, H. Alker et P. Katzenstein. Voilà d’ailleurs qui, tout autant que ses analyses, donne une idée de l’empreinte que Deutsch a laissée dans la discipline.
  • [51]
    On divise généralement le libéralisme en trois variantes, le libéralisme commercial (la paix par l’économie), le libéralisme républicain (la paix par la démocratie), et le libéralisme institutionnel (la paix par la coopération). Parmi les nombreuses présentations allant dans ce sens, voir KEOHANE R., “International Liberalism Reconsidered” in DUNN J. (ed.), The Economic Limits to Modern Politics, Cambridge UP, 1992, pp. 165-194; ainsi que ZACHER M. and MATTHEW R., “Liberal International Theory. Common Threads, Divergent Trends” in KEGLEY C. (ed.), Controversies in International Relations Theory. Realism and the Neoliberal Challenge, Saint Martin’s, 1995, pp. 107-150.
  • [52]
    Pléthorique, la littérature sur la paix démocratique fait l’objet d’un excellent débat dans BROWN M. et al. (eds)., Debating the Democratic Peace, MIT Press, 1996. Cette anthologie contient l’article de M. Doyle, des extraits de l’ouvrage de B. Russett, des critiques réalistes adressées à cette thèse, et les réponses de Doyle et Russett.
  • [53]
    RUSSETT B., op. cit., 1993, pp. 31 et 39.
  • [54]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, p. 10.
  • [55]
    Ibidem, p. 37.
  • [56]
    La crise vénézuélienne oppose, en 1894-95, le Venezuela et la Guyane, à l’époque colonie britannique, au sujet d’une rectification frontalière demandée par le Venezuela. Invoquant la doctrine Monroe, Caracas fait appel aux États-Unis, qui se trouve ainsi aux prises avec la Grande Bretagne.
  • [57]
    RUSSETT B., Community and Contention. Britain and America in the Twentieth Century, MIT Press, 1963.
  • [58]
    RUSSETT B., op. cit., 1993, p. 42.
  • [59]
    Voir à ce sujet MORAVCSIK A., “Taking Preferences Seriously. A Liberal Theory of International Relations”, International Organization, Vol. 51, automne 1997, pp. 513-553.
  • [60]
    WENDT A., Social Theory of International Politics, Cambridge UP, 1999, p. 3.
  • [61]
    Si le terme de constructivisme en Relations internationales est dû à ONUF N., World Of Our Making, South Carolina UP, 1989, le courant constructiviste est de nos jours associé à A. Wendt. Nous l’entendons ici au sens strict, ou moderniste, excluant ce faisant toutes les approches critiques, féministes et a fortiori post-modernistes qui sont, à tort, assimilés parfois au constructivisme, en ce que ce dernier entend justement établir une synthèse entre épistémologie positiviste et ontologie post-positiviste. Pour aborder le constructivisme en Relations internationales, cf. ADLER E., “Seizing the Middle Ground. Constructivism in World Politics”, European Journal of International Relations, Vol. 3, septembre 1997, pp. 319-363; CHECKEL J., “The Constructivist Turn in International Relations Theory”, World Politics, Vol. 50, janvier 1998, pp. 324-338; HOPF T., The Promise of Constructivism in International Relations Theory”, International Security, Vol. 23, été 1993, pp. 171-200.
  • [62]
    Telle est la recommandation du réaliste Morgenthau dans MORGENTHAU H., Politics Among Nations ( 6e édition), Mac-Graw-Hill, 1993, notamment dans le chapitre relatif aux six principes du réalisme, pp. 4-16.
  • [63]
    WENDT A., “Anarchy Is What States Make Of It. The Social Construction of Power Politics”, International Organization, Vol. 46, printemps 1996, pp. 391-425.
  • [64]
    Allusions au “struggle for power”, sous-titre de l’ouvrage de MORGENTHAU H., op. cit., 1993 et au principe du “self-help” de WALTZ K., op. cit., 1979.
  • [65]
    Une telle culture anarchique hobbienne, estime Wendt, a existé de l’Antiquité au Moyen-Âge, mais depuis qu’existe le système interétatique westphalien, elle ne prévaut que de façon intermittente (ainsi lors des guerres napoléoniennes ou lors de la Seconde guerre mondiale), ou localisée (ainsi de nos jours entre Israéliens et Palestiniens), car c’est la culture lockienne qui prédomine, avec des éléments régionaux d’anarchie kantienne. Pour les détails des trois types d’anarchie, cf. WENDT A., op. cit., 1999, pp. 246-312.
  • [66]
    Ibidem, p. 299.
  • [67]
    Ibidem, p. 305.
  • [68]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, p. 36.
  • [69]
    DEUTSCH K., op. cit., 1988, p. IX.
  • [70]
    Ibidem, p. 275.
  • [71]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, p. 16.
  • [72]
    Ibidem, p. 138.
  • [73]
    Ibidem, p. 28.
  • [74]
    De nos jours, cette thèse de l’équilibre unipolaire est notamment défendue par GILPIN R., War and Change in World Politics, Princeton UP, 1981. Mais une version légèrement différente existait dès les années cinquante, c’est-à-dire à l’époque de Karl Deutsch : ORGANSKI A., World Politics, Knopf, 1958.
  • [75]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, p. 138.
  • [76]
    DEUTSCH K. and SINGER D., “Multipolar Power Systems and International Stability”, World Politics, Vol. 16,1964, pp. 390-406. La même année, K. Waltz défend pour la première fois sa thèse de la plus grande stabilité des systèmes bipolaires dans WALTZ K., “The Stability of A Bipolar World”, Daedalus, Vol. 93,1964, pp. 881-909.
  • [77]
    DEUTSCH K. et al., op. cit., 1957, pp. 23-24.
  • [78]
    DEUTSCH K., Political Community at the International Level. Problems of Definition and Measurement, Doubleday, 1954, pp. 33-34.
  • [79]
    DEUTSCH K., cité par LIJPHART A., op. cit., 1981.
  • [80]
    ADLER E. and BARNETT M. (eds), Security Communities, Cambridge UP, 1998. La place nous manque pour faire dans le cadre de cet article une analyse détaillée de cet ouvrage.
Français

Contrairement à une opinion reçue, l’apport de Karl Deutsch à la théorie des relations internationales réside moins dans sa méthode cybernétique que dans la substance de sa pensée, résumée dans la notion de communauté de sécurité pluraliste. En affirmant que la paix peut être obtenue grâce à l’attentepacifique réciproque et le partage d’un sentiment de communauté consécutifsà la multiplication des communications, ce concept constitue non seulementun défi au réalisme, mais prépare aussi le terrain aux notions de sociétémondiale de John Burton, de paix démocratique de Bruce Russett, et d’anarchie kantienne d’Alexander Wendt.

Español

La aportación de Karl Deutschà la teoría de las relaciones internacionales

En contraposición a una opinión muy extendida, la aportación de Karl Deutsch a la teoría de las relaciones internacionales reside menos en su método cibernético que en la substancia de su pensamiento, el cual se resume en la noción de comunidad de seguridad pluralista. Al afirmar que la paz puede obtenerse gracias a la espera pacífica recíproca y compartiendo un sentimiento de comunidad a raíz de la multiplicación de los sistemas de comunicación, este concepto constituye no solamente un desafío al realismo, sino que también prepara el terreno a las nociones de sociedad mundial de John Burton, de paz democrática de Bruce Russett y de anarquía kantiana de Alexander Wendt.

Dario Battistella
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/11/-0001
https://doi.org/10.3917/ripc.104.0567
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...