CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La question des changements institutionnels (ou de l’innovation) dans le commerce a fait l’objet de nombreux travaux depuis le début des années 1960. Certains de ces travaux cherchent à rendre compte du rôle central des dynamiques des attentes et préférences des consommateurs dans l’émergence et le développement de nouvelles formules de distribution. Ils identifient généralement trois dimensions essentielles de ce système de préférence : le service, l’assortiment, le prix (et plus rarement la localisation). De fait, on peut relever que la variable temporelle (c’est-à-dire le temps des ménages et son usage), comme facteur explicatif des changements institutionnels [1] et de l’innovation a été systématiquement occultée.

2L’objectif de cet article est donc de tenter de remédier à cet état de fait et d’interpréter les changements institutionnels et l’innovation dans le commerce à la lumière des contraintes temporelles des ménages. Au total, cet article comporte trois parties. Dans la première, nous montrons en quoi l’hypermarché comme modèle dominant des années 1970-1990, est la forme commerciale la mieux adaptée à un temps des ménages relativement uniforme, construit durant les 30 glorieuses. Dans la deuxième partie, nous mettons en évidence les nouvelles contraintes temporelles des ménages et leurs incidences sur l’essoufflement réel (ou supposé) [2] de l’hypermarché (sous sa forme traditionnelle). Enfin, dans la troisième et dernière partie nous montrons comment les institutions commerciales ont évolué et surtout ont innové pour tenir compte de ces nouvelles contraintes temporelles. Autrement dit, nous montrons que l’essentiel des innovations mises en œuvre par le grand commerce peut être interprété dans le cadre d’une approche temporelle.

L’hypermarché traditionnel et le temps uniforme des ménages

3Les années 1970 à 1990 ont consacré la domination de l’hypermarché dans l’espace commercial français. Cette domination est liée à un certain nombre de facteurs environnementaux mais également aux comportements des ménages qui adoptent, pour l’essentiel, une norme de temps des courses relativement concentrée. Cette norme est par ailleurs amplifiée par certaines caractéristiques de l’hypermarché dans sa forme traditionnelle.

Croissance de l’hypermarché et temps concentré des ménages

4L’hypermarché a effectivement connu une croissance remarquable ces dernières années. Cette innovation, apparue au cours des années 1960, a fait l’objet de multiples travaux tant monographiques qu’analytiques et théoriques. Elle correspond à la montée en puissance du mode de consommation de masse qui se développe alors, comme le pendant au modèle de production de masse. Les « usines à vendre » s’inscrivent ainsi directement dans la filiation des « usines à produire ».

5Le poids de l’hypermarché s’accroît graduellement sur longue période. La part de marché de ce format dans l’alimentaire est ainsi passée de 6-7 % au début des années 1970 à plus de 35 % au début des années 2000. En ce qui concerne l’ensemble des produits commercialisables, cette part de marché est passée de moins de 5 % dans les années 1970 à plus de 25 % aujourd’hui [3].

6De nombreuses hypothèses ont en effet été avancées pour expliquer le développement rapide puis le caractère dominant de l’hypermarché en France. Les plus citées sont généralement les deux suivantes :

  • L’urbanisation accélérée à partir des années 1960 (la population vivant en zone urbaine passe de 57,3 % en 1954 à plus de 70 % en 1968…) qui permet de concevoir une distribution à grande échelle ;
  • Le développement de l’équipement des ménages en automobiles (ce taux passe de 37,5 % en 1962 à 69,5 % en 1980), puis en réfrigérateurs (on passe de 37,9 à 95 % sur la même période) et en congélateurs (on passe cette fois de pratiquement 0 à 25,8 %) qui permet de réduire fortement le nombre d’actes d’achat hebdomadaires et qui, par voie de conséquence, facilite leur regroupement (Messerlin, 1982).
Cependant, il nous semble que ce développement du poids et de la domination des hypermarchés peut également être interprété à la lumière de la question du temps et de son usage [4]. En effet, les années 1950-1970 correspondent d’une part à la constitution juridique de ce que l’on considère en France comme l’emploi typique, c’est-à-dire le Contrat à Durée Indéterminée et à temps plein et d’autre part à une certaine forme d’homogénéisation des statuts. On assiste par ailleurs et de manière concomitante au développement remarquable du salariat, qui devient la forme d’emploi dominante. Ainsi, on peut dire qu’une norme de temps de travail relativement uniforme se construit bien durant les « 30 glorieuses ». Sur cette même période, on assiste également à un développement tout aussi remarquable du travail féminin qui consacre le développement des ménages à deux salaires et plus généralement l’enrichissement de ces derniers.

7Ces deux éléments conjugués font que le « temps des courses » prend la forme d’un temps uniforme et circonscrit, qui est nécessairement reporté en fin de semaine. Dans ces conditions, ce temps consacré aux courses devient de plus en plus précieux, ce qui joue par conséquent en faveur d’un point de vente unique pour l’ensemble des produits (mais également, nous y reviendrons [5], en faveur de la multiplication d’innovations de produit comme par exemple les produits à préparation rapide…). Mais, cet élément n’est pas le seul. D’autres vont entrer en ligne de compte et en particulier certaines caractéristiques spécifiques de l’hypermarché lui-même.

Concentration du temps (des courses) et spécificités de l’hypermarché

8Le mouvement de « concentration du temps des courses » que nous avons abordé dans la section précédente, est lui-même amplifié en retour par certaines caractéristiques et spécificités de l’hypermarché qui contribuent à la généralisation de l’idée selon laquelle ce type de magasin permet de gagner du temps. Il s’agit en particulier du positionnement propre de l’hypermarché, de son organisation interne et de sa logique de sélection des produits.

Le positionnement de l’hypermarché

9La caractéristique essentielle et la plus apparente de l’hypermarché par rapport aux formats traditionnels de l’époque est bien qu’il n’est plus une simple extension du supermarché. De ce fait, on peut dire que l’hypermarché n’est plus un magasin de proximité, ce que demeurait malgré tout le supermarché dans l’environnement français (cf. Messerlin, 1982).

10Ce premier constat peut paraître paradoxal au premier abord. On est en effet en droit de se demander, dans ces conditions, (s’il « s’éloigne du consommateur »), en quoi l’hypermarché permet-il d’économiser du temps ? Dans la réalité, il ne s’agit plus de raisonner en termes de distance, mais en termes d’accès : au magasin d’abord et aux produits ensuite. De ce point de vue, l’hypermarché s’avère extrêmement performant. On notera d’ailleurs concernant cet aspect, que tous les hypermarchés tracent en général des courbes isochrones, c’est-à-dire des cercles concentriques permettant d’évaluer leur clientèle potentielle en fonction du temps nécessaire pour les rejoindre [6]. C’est sur ces courbes isochrones (et donc sur une estimation des temps d’accès) que s’appuient généralement les démarches de localisation [7] des hypermarchés.

Les logiques d’organisation interne

11La deuxième caractéristique de l’hypermarché a trait à son organisation interne, au choix et à l’extrême variété des produits qu’il propose. En effet, l’assortiment des produits disponibles est tel, qu’il incite les consommateurs à des achats relativement groupés si tant est qu’ils ne souhaitent pas perdre trop de temps (et d’argent) en transport et repérage des produits (Messerlin, 1982, p. 34). Sur ce point, Renaud de Maricourt (1988, p. 44) constate ainsi : « parmi les services supplémentaires offerts par les hypermarchés, on a d’abord le temps gagné par le fait qu’on trouve sous le même toit et sans rupture (on paye tout à la fois) une grande variété de produits dont on peut avoir besoin ».

Le service commercial et la délégation de sélection

12Le dernier point que nous souhaitons mettre en évidence est que l’hypermarché, en pratiquant une présélection des produits, contribue à réduire en partie le risque du consommateur. Cette présélection, alliée souvent à des pratiques dites de « customisation » des produits permet également d’économiser le temps du consommateur.

13C’est d’ailleurs tout l’objectif des études marketing que d’aider l’hypermarché à discerner le profil du consommateur, à identifier ses habitudes, à comprendre ses problèmes, de manière à définir les caractéristiques de sa politique d’assortiment.

14Les différents éléments que nous venons de présenter montrent bien, nous semble-t-il, que l’hypermarché permet de gagner, d’économiser du temps. Il répond par conséquent parfaitement à la définition du commerce que proposent Jeanne et Henri Krier dès le début des années 1950 : « le service rendu par le commerçant peut s’apprécier en fonction inverse du temps d’achat pour le client. La réduction du temps passé aux achats améliore le bien-être des consommateurs en raccourcissant la durée des déplacements ; en outre, elle est normalement le signe que les clients trouvent immédiatement les produits qui leur conviennent, la qualité qu’ils désirent, un fractionnement des articles réalisés selon leurs besoins (Krier et Krier, 1954, p. 364). Le tableau suivant met particulièrement bien en évidence le fait que l’hypermarché permet de gagner du temps. On constate en effet que 68 % des consommateurs français pensent effectivement que le principal avantage de l’hypermarché consiste bien en la possibilité de faire en une seule fois toutes ses courses et de gagner du temps.

Tableau 1

Quels sont les principaux avantages des hypermarchés ?

Tableau 1
Réponses en % En 1er En 2e En 3e Total citation Un grand choix de produits et de marques 39 14 15 68 La possibilité de faire en une seule fois toutes ses courses et de gagner du temps 30 24 14 68 Des prix bas 12 16 18 46 La facilité d’accès et de parking 7 16 11 34 Les heures d’ouverture 3 12 16 31 La bonne qualité des produits 4 9 5 18 La possibilité de trouver de nouveaux produits d’achat 1 3 8 12 Le confort et l’agrément d’achat + 1 3 4 NSP 3 5 10 3 Source : LSA, 7 novembre 1996, n° 1512

Quels sont les principaux avantages des hypermarchés ?

15Cependant, on peut noter que l’économie de temps générée par l’hypermarché peut paraître encore une fois pour le moins paradoxale. En effet, il nous semble que « l’hypermarché économise le temps du consommateur en recourant davantage à son temps » [8]. En effet, en particulier depuis l’invention par Clarence Saunders du « libre-service » et sa généralisation en France dans les supermarchés puis dans les hypermarchés, on peut dire que le temps du consommateur a été de plus en plus sollicité comme input du commerce. Cette tendance pourrait même être accentuée, avec la généralisation éventuelle de pratiques comme celle du « self-scanning », pour ne citer que cet exemple.

16Néanmoins, et globalement, on peut dire que l’hypermarché « à la française » apparaît comme parfaitement adapté à un temps des ménages, et en particulier à un temps des courses, uniforme et concentré. On a en quelque sorte affaire ici à une forme de consensus temporel (qui est à l’origine du succès que l’on connaît de l’hypermarché) entre les deux acteurs. Ce consensus s’appuie également et par ailleurs sur une conception monolithique du consommateur. Il n’en demeure pas moins que rapidement, certaines évolutions à la fois dans le comportement du consommateur et dans celui des hypermarchés (et surtout de leur environnement) vont graduellement déboucher sur un déséquilibre et une disjonction entre le temps de l’hypermarché et celui des ménages.

Nouvelles contraintes temporelles des ménages et essoufflement du modèle de l’hypermarché

17Si la période 70-90 a consacré l’hypermarché comme modèle dominant dans l’environnement commercial français, on peut dire qu’à partir des années 1990, on observe un essoufflement relatif de ce type de format (cf. par exemple Cliquet, 1997 ; Parigi, 2002).

18Là encore, de nombreuses explications ont été évoquées pour expliquer cet essoufflement. On peut à la suite de Moati (2001) en relever au moins quatre, qui nous semblent importantes :

  • l’arrivée à maturité d’un certain nombre de marchés phares (alimentation, ameublement, textile…) ;
  • l’essoufflement naturel de la dynamique de conquête des parts de marché sur le commerce traditionnel au fur et à mesure que la part de la grande distribution devient prédominante ;
  • la raréfaction des opportunités d’ouvertures attrayantes de nouveaux points de vente ;
  • le durcissement des conditions d’obtention des autorisations d’ouverture (notamment au travers de la loi Royer en 1973 et surtout de la loi Raffarin en 1996).
Au delà de ces explications et conditions générales, on peut, du point de vue du consommateur, avancer un certain nombre d’évolutions et de facteurs spécifiques contribuant à expliquer le déclin relatif de l’hypermarché. Il s’agit par exemple de la réduction de la taille moyenne des ménages ou encore de la forte augmentation du poids des inactifs ou des seniors. Néanmoins, là encore, il nous semble que les réflexions en termes d’évolution des temps (donc encore une fois les modifications des préférences) et des usages du temps des consommateurs sont particulièrement adaptées.

19En effet, on assiste à partir des années 1990 à des évolutions marquées dans le temps et sa gestion par les ménages. De très nombreuses études font d’ailleurs ressortir l’importance croissante du facteur temps dans les éléments déterminant le comportement de chalandise des consommateurs (Benoun et Helies Assid, 2003). On note en effet à la suite de Viard (2004, p. 157) « qu’au cours des dernières années, la nette amélioration de la situation conjoncturelle des ménages à contribué à redonner un rôle important aux arbitrages individuels dans les choix de consommation et à desserrer, pour de nombreux ménages, la contrainte de pouvoir d’achat. Dans ce contexte, les attitudes à l’égard du temps ont repris une place de choix dans l’analyse des comportements de consommation » [9].

20Globalement, on peut dire que le temps des courses peut s’analyser, toujours du point de vue du consommateur, selon deux dimensions essentielles : une dimension de temps perdu et une dimension de temps discontinu.

La dimension de temps perdu

21Comme le précisent Rieuner et Volle (2002, p. 22-23) : « Malgré une augmentation constante du temps libre, voire même du temps choisi (par opposition au temps subi, qui inclut les activités d’entretien obligatoire), les individus ont le sentiment croissant de manquer de temps car les opportunités sont plus nombreuses, les envies plus grandes et les projets de vie plus ambitieux. Ils cherchent l’immédiateté et la rapidité dans leurs actes de consommation, pour avoir le sentiment de remplir leur vie au maximum et ne pas perdre de temps en tâches inutiles ou non productives. »

22Au total, on peut dire que pour les consommateurs, le temps subi apparaît comme de plus en plus coûteux. On assiste en quelque sorte à un renchérissement du coût du temps qui s’explique par le déséquilibre croissant entre la rareté du temps de travail domestique disponible (rareté accentuée par la participation des femmes à l’activité salariée et par l’éclatement du modèle familial traditionnel) et la multiplication, la diversité et la complexification des biens utilisés et des fonctions assurées dans ce cadre domestique (Silver, 1988 ; Gadrey, 1989).

23Le renchérissement du coût du temps se reflète ainsi de manière importante dans le temps des courses. Dans ce cas, ce qui est mis en avant, c’est avant tout la possibilité, voire même la nécessité, de diminuer le poids du temps contraint et de réduire le temps pris par des tâches inutiles ou non directement productives (cf. Gadrey, 1989 ; Gadrey, Noyelle et Stanback, 1991). Il s’agit donc de faire ses courses le plus rapidement possible, de réduire à la fois le temps de trajet, le temps transactionnel, mais également parfois le temps post-transactionnel (produits simples à haut niveau de « praticité », SAV performant…).

24La dimension de temps subi se retrouve dans la plupart des enquêtes sur les besoins et attentes des consommateurs. Ces enquêtes montrent que les clients sont fortement réticents et critiques vis-à-vis des temps morts et perdus [10]. Ils expriment des besoins croissants en services de type time saving de même qu’ils formulent des attentes fortes en termes de possibilités de livraison à domicile ou encore, de réduction du temps d’attente aux caisses (Tiberghien, 1995, p. 12). On notera que le poids de ces différents besoins s’est fortement amplifiée avec la réduction du temps moyen consacré aux courses [11].

La dimension de temps discontinu

25La deuxième évolution majeure que l’on peut observer est bien celle de la fragmentation du temps et du remplacement progressif du temps continu de la précédente période (1970-90) par un temps nettement plus discontinu. L’uniformisation du temps entamé dans cette période s’est en effet accompagné rapidement d’une diversification croissante des rythmes d’activité. A partir des années 1990, on constate que les différents temps de la journée sont, pour le consommateur, de moins en moins exclusifs et univoques. Le temps n’est plus découpé de manière linéaire, avec une succession de temps distincts (professionnel, familial, personnel…). On assiste ainsi à une véritable interpénétration de ces différents temps (cf. Mermet, 2002 : 139) qui se reflète d’une part dans l’évolution des mobilités quotidiennes et de l’autre dans les pratiques de « zapping » [12] des consommateurs.

26- Concernant les pratiques de mobilités quotidiennes, on observe une hausse importante du poids de différentes activités (et en particulier des courses) durant la semaine (cf. tableau 2).

Tableau 2

Évolution de la mobilité quotidienne de 1982 à 1994 (nombre de déplacements)

Tableau 2
Lundi-Vendredi Samedi Dimanche Achats + 24 % - 6 % - 24 % Visites famille, amis + 44 % + 38 % + 7 % Loisirs + 23 % + 36 % + 9 % Source : Enquête « Transport », INSEE et INRETS

Évolution de la mobilité quotidienne de 1982 à 1994 (nombre de déplacements)

27Cette évolution des mobilités n’est que le reflet d’un effet de lissage généralisé et particulièrement visible dans la distribution à dominante alimentaire. Comme le précise Jean Viard (2004, p. 159) : « les achats qui avaient lieu le vendredi et le samedi ont tendance à glisser vers les autres jours ouvrables de la semaine et, dans les zones touristiques, certains centres commerciaux voient une augmentation de la fréquentation à la faveur des séjours de courte durée ». On peut noter par ailleurs une réelle augmentation des achats de fin de journée, au point que des institutions comme par exemple les Galeries Lafayette ont été amenées à prolonger leur ouverture d’une demi-heure (dans la soirée).

28Enfin en ce qui concerne les pratiques de « zapping », on montre par exemple que le nombre moyen de grandes et moyennes surfaces alimentaires régulièrement fréquentées par chaque ménage à tendance à s’accroître graduellement. On passe ainsi de 2,7 en 1988 à plus de 3,3 en 1997 [13] (cf. Moati, 2001, p. 103). En effet, il devient de plus en plus clair que le consommateur gère ses choix de magasin en croisant le rapport traditionnel qualité-prix avec un nouveau critère de type qualité-temps. C’est grâce à ce nouvel éventail de possibilités en matière de circuit et d’institutions qu’il opère un nouvel arbitrage entre les deux facettes traditionnelles des courses que sont d’un côté les « courses-corvée » et de l’autre les « courses-plaisir ».

29Les différentes évolutions que nous venons d’analyser font que petit à petit, le temps de l’hypermarché est devenu contre-productif. Au lieu de faire gagner du temps, l’hypermarché a commencé à en faire perdre.

30Cette dimension « temps perdu » peut s’analyser selon plusieurs angles :

  • celui de l’accès ou de l’accessibilité tout d’abord. Les temps d’accès aux hypermarchés sont devenus de plus en plus longs, en particulier lorsque ceux-ci s’implantent de manière croissante dans des galeries marchandes ou des centres régionaux (cf. Moati, 2001, p. 175).
    Par ailleurs, dans le cas de la France, et en particulier du fait d’une réglementation stricte, on peut penser que le manque de grandes surfaces (principalement de supermarchés) comparativement à d’autres pays (les États-Unis par exemple) rend les trajets des clients plus longs et l’attente (à quelque niveau que ce soit) plus grande. Autrement dit, pour reprendre les termes de Bertrand et Kramarz (2003), la réglementation obligerait les français à faire la queue ;
  • celui du choix ensuite. Longtemps la dimension choix (assortiment large et profond) a été une dimension centrale dans le positionnement de l’hypermarché. Or, de plus en plus, l’étendue du choix fait perdre du temps. L’extension de l’assortiment est en effet de nature à accroître fortement le temps consacré aux courses : « un magasin de plus en plus grand proposant une offre de plus en plus étoffée accroît le temps moyen consacré aux courses (Moati, 2001, p. 175). Ainsi, selon Mermet (2002, p. 364), plus de 61 % des français trouveraient qu’il y a aujourd’hui trop de choix dans les grandes surfaces [14] ;
  • enfin celui de l’attente et de la perte de temps pure. Sur ce dernier point, de nombreux travaux et enquêtes ont mis en évidence les pertes de temps générées au sein des hypermarchés, et ce, principalement (mais pas exclusivement) au niveau du secteur caisse (cf. tableau 3).

Tableau 3

Quels sont les principaux inconvénients des hypermarchés

Tableau 3
Réponses en % En 1er En 2e En 3e Total citation Queue aux caisses 41 22 12 75 Une incitation à dépenser plus qu’on ne voudrait 13 22 18 53 L’absence de conseils, de vendeurs 25 13 14 52 Des prix mal indiqués en rayon 5 16 10 31 L’obligation d’acheter par trop grandes quantités 3 9 13 25 Des magasins tristes, sans charme 6 4 3 13 Un choix de produits limités 1 1 2 4 Des magasins mal tenus 1 1 2 4 NSP 5 12 26 5 Source : LSA, 7 novembre 1996, n° 1512

Quels sont les principaux inconvénients des hypermarchés

31Au delà du traditionnel secteur caisse, la perte de temps peut également se refléter dans les parcours imposés traditionnellement par les hypermarchés. Généralement ces institutions, au travers d’un agencement spécifique de leurs rayons, obligent véritablement les consommateurs à parcourir la totalité du magasin. Dans le cas américain (mais le constat est également central dans le cas français), Coggins et Senauer (1999, p. 170) notent : “The layout is designed to produce a specific circulation pattern for customer. In traditional store it is inconvenient to shop for just a few items or just part of the store.”

Nouveaux usages des temps des ménages et réponses des distributeurs

32Face aux transformations et évolutions dans le comportement du consommateur, la grande distribution a réagi en proposant de nombreuses innovations (nouveaux formats de vente, nouveaux services, nouvelles technologies permissives, etc.). Dans Gallouj (2002), nous avons proposé une synthèse des différentes formes d’innovation observables dans le grand commerce, soit : de nouvelles méthodes de vente, de nouveaux concepts ou nouveaux formats de magasin, de nouveaux produits-services et enfin de nouveaux process ou nouvelles formes d’organisation et de fonctionnement.

33Ces différentes innovations entretiennent des liens très variables avec les nouvelles technologies, mais également et surtout avec la dimension temporelle. En effet, l’idée que nous cherchons à défendre ici est bien que l’essentiel des innovations commerciales et des changements institutionnels développés par le grand commerce peut, être interprété en fonction de la manière dont il tient compte du temps et de l’usage du temps des ménages.

34Comme le précise Dawson (1995, p. 23) : “Within the retail marketing mix, time is used as a means of segmenting customers and designing store formats which respond to the customers need for fast service, no queue, limited ranges, ranges of rapid gratification products (for exemple microwaveable foods) and location on frequently used routes…” On notera qu’on quitte bien cette fois l’approche monolithique du consommateur (des premières années du grand commerce) pour une approche nettement plus fine et segmentée.

35En nous inspirant de Jean Gadrey (1989), il nous semble que l’on peut interpréter les différentes innovations et les changements institutionnels affectant le grand commerce selon trois grands axes ou trajectoires principales : une trajectoire de libération du temps contraint, une trajectoire d’enrichissement du temps et une trajectoire d’externalisation partielle ou totale de certaines activités (cf. figure 1).

Figure 1

Une interprétation temporelle des trajectoires d’innovation dans le grand commerce

Figure 1

Une interprétation temporelle des trajectoires d’innovation dans le grand commerce

Source : Adapté de Gadrey (1989)

Une trajectoire de libération quantitative de temps

36La réponse de la grande distribution aux besoins exprimés (par les ménages) de libération de temps prennent selon nous, au moins quatre orientations : la multiplication des services « gain de temps », la déclinaison de concepts existants, la mise au point de nouveaux concepts, et enfin, le développement des marques de distributeurs. Ces différentes innovations pouvant être technologiques, totalement non technologiques ou alors, s’appuyer sur la technologie sans que cette dernière n’en constitue pour autant un élément déterminant (cf. sur ce point Gallouj, 2002).

La multiplication des services au sein du grand commerce

37L’un des principaux motifs de recours aux services, révélé notamment par les enquêtes est bien l’économie de temps (Gadrey, 1989 : 10). Certains travaux montrent d’ailleurs que le développement des services peut être interprété comme le résultat d’un besoin d’économie du temps. Les services permettent d’abord et avant tout de gagner du temps. C’est ce que suggère Léonard Berry, dès la fin des années 1970, dans un article au titre évocateur : “The Time Buying Consumer.” L’auteur écrit ainsi : “One reason the services sectors of the economy has grown so rapidly is that services allow consumers to purchase time. In the decade ahead, a variety of innovative service offerings designed to save time will flourish…” (Berry, 1979, p. 68).

38Le grand commerce offre ainsi de multiples services de gain de temps (time saving). Il s’agit ici pour l’essentiel de services liés à l’achat c’est-à-dire de services qui facilitent l’achat, le rendent, plus rapide, parfois plus confortable.

39On distingue :

  • les services de base comme par exemple l’offre de plages d’ouverture plus larges permettant au client une meilleure gestion de son temps ; la rapidité et la réduction de l’attente aux caisses (cf. sur ce point l’encadré 1) et à certains rayons ; l’aide au client dans l’exécution de certaines tâches de manutention ou à certains rayons ; l’agencement du magasin qui permet lui aussi (dans certaines conditions) de gagner du temps…
  • les services dits de confort comme par exemple les bornes interactives d’information ou de commande, les points information et plus généralement l’essentiel des nouvelles technologies sur le lieu de vente. “A final illustration of the more positive view beeing taken of time is the introduction of in-store multi-media information and communication systems to reduce the time of the customer search and to help in the personalisation of product… in France for exemple FNAC provide a network of interactive kiosks with access to a catalogue of recorded music through colour screen, headphones and touch screen; and Eram, in France, provide an electronic catalogue of shoes which is available for consultation in over 1500 stores and through which orders are placed…” (Dawson, 1995, p. 23).
  • et enfin les services de complément (comme l’ensachage automatique en sortie de caisse, le transport des courses jusqu’à la voiture, la possibilité de commande par téléphone, la livraison à domicile, les expériences de self-scanning, ou encore le voiturage des clients…).

Encadré 1 – Le développement de services gain de temps dans le grand commerce : quelques exemples

Les caisses « volantes »
En cas d’affluence, les chefs de rayons peuvent se doter d’un terminal portable sans fil qui va jusqu’à l’encaissement. Cette tendance est particulièrement développée aux États-Unis.
La livraison à domicile
L’essentiel des magasins de centre-ville proposent ce type de service. Match propose une formule originale visant à limiter l’attente en caisse. Les clients peuvent ainsi après leurs achats, laisser leur chariot avant le passage en caisse. Celui-ci leur sera livré par la suite.
Le paiement décalé
Le centre Leclerc de Langon propose un service de paiement décalé. Des caissières enregistrent les achats et d’autres encaissent. Cette pratique engendre une amélioration du passage de l’ordre de 10 à 12 %.
Les enregistrements anticipés ou queue boosting
Chez Métro et plus récemment chez Auchan, des salariés enregistrent les achats des clients dans les files d’attente. Ces derniers n’ont plus qu’à payer sans avoir à déposer les produits sur le meuble de caisse. L’employé scanne les produits et remet au client un jeton muni d’un code à barres ou imprime un ticket à présenter à l’hôtesse de caisse.
Le permanent caisse
Il s’agit d’un nouveau métier créé par carrefour. Ce salarié est en quelque sorte responsable de la « non-attente ». Il assure la gestion et la fluidité des caisses en direct devant les clients et non plus en back office.
Les caisses panier (ou moins de 10 articles)
Il s’agit en quelque sorte d’offrir une solution caisse pour chaque type de clientèle. Dans ce cas, l’hypermarché développe des caisses spécifiques dédiées aux petits achats (généralement moins de 10 articles). Elles permettent d’accélérer et fluidifier le flux de clientèle et de réduire le temps d’attente pour les petits paniers.
Les cassettes de caisse
L’hypermarché offre aux clients la possibilité de pré-ranger leurs achats. L’objectif est de réduire le temps de manipulation des achats par les clients. Ceux-ci repartent en effet avec les bacs ou cassettes.
Le développement des technologies de comptage
Les technologies de comptage des clients à l’entrée des magasins permettent par exemple d’ajouter des caisses en cas d’affluence et globalement de réduire l’attente.
Le self-scanning
Le client enregistre lui-même ses achats à l’aide d’un mono. La caissière n’a plus qu’à charger les informations et imprimer le ticket.
Source : LSA, n° 1531, 20 mars 1997 et divers presse.

La déclinaison de concepts existants (et l’offre de services de proximité)

40Moati met en évidence les stratégies de déclinaison des formats mise en place par la grande distribution. Ces déclinaisons débouchent sur la multiplication de point de vente de petite dimension qui peuvent être un modèle réduit du grand (format), un zoom du grand ou relever d’une stratégie de diversification (cf. sur ce point Moati, 2001).

41La déclinaison de concepts existants vise en partie à se rapprocher du client. Dans ce cadre, il s’agit de réduire le temps de déplacement du domicile au lieu d’achat. La proximité est en effet le premier motif de fréquentation d’un point de vente. Selon une enquête parcours/chronos, 67 % des consommateurs fréquentent des unités à proximité de leur domicile ; et 25 % sont infidèles à leur magasin dès qu’ils trouvent une solution plus rapide (LSA, 7 mars 2002, n° 1758).

42Plus généralement on dira qu’il s’agit d’offrir un concept correspondant à chaque occasion d’achat spécifique du client, c’est-à-dire adapté à chaque usage spécifique du temps. Comme le précise Lepage (1982) la segmentation croissante de l’offre de « produits commerciaux » peut dans une large mesure s’analyser comme le reflet de l’hétérogénéité des coûts d’opportunité des temps (des ménages).

Le développement de nouveaux concepts commerciaux

43La grande distribution a développé de nombreux concepts qui se positionnent d’emblée sur le créneau « gain de temps ». On peut distinguer au moins quatre types d’offres tournées vers le gain de temps : les automates et la vente automatique, le e-commerce et le magasin virtuel, les hypermarchés spécialisés et les drive in et enfin le concept de magasin d’itinéraire.

  • Les automates ou encore magasins robots sont essentiellement centrés, en France, sur la vente de boissons (qui représente 85 % du marché). Cependant, les perspectives de développement sur des gammes plus étendues de produits restent importantes. Ainsi, à la suite de Casino qui teste en France et depuis 1998, les « Casino 24 », magasins automatiques de moins de 20 m2, le groupe Auchan a lancé « Plan B » et devient ainsi le 3e acteur français [15] sur ce créneau.
  • Le supermarché à domicile (ou encore magasin virtuel) s’est d’abord développé grâce au Minitel et a connu une accélération avec internet. Ainsi, la plupart des grands groupes de distribution se sont lancés avec plus ou moins de succès dans le développement de filiales dédiées au commerce en ligne (Cmescourses pour Casino, Ooshop et Carrefour direct pour Carrefour, Hourra pour Cora et Télémarket pour les Galeries Lafayette).
  • La grande distribution a tenté également de développer d’autres concepts « gain de temps » sous forme d’hypermarchés spécialisés. L’un des plus marquants reste le drive in qui est un concept de courses au volant (en moins de 10 minutes) développé par le groupe Auchan en 2000. Ce nouveau concept à l’enseigne Auchan Express (sur lequel nous reviendrons) est même officiellement qualifié par ses concepteurs de « discounter du temps » [16].
  • Enfin le commerce d’itinéraire s’appuie sur l’idée que déjà aujourd’hui, les itinéraires prennent le pas sur les zones de chalandises. Ainsi, il s’agit, dans une logique de commerce de flux, de s’implanter sur les lieux de passage du client comme par exemple les gares, les aéroports, les stations-service etc.
Bien entendu, les différents concepts innovants que nous venons de présenter ne sont pas les seules réponses de la distribution aux besoins de gain de temps exprimés par les clients. De multiples enseignes se sont développées sur la période récente et sur ce créneau. Ainsi en est-il par exemple de Grand Optical, qui fabrique des lunettes en une heure. On trouve des concepts similaires dans la photo, le pressing, etc.

Les marques de distributeur de nouvelle génération

44Le développement récent des marques de distributeur (MDD) ou plutôt l’accélération de leur développement peut également être interprété dans le cadre d’une logique temporelle. Comme le précise Moati (2001, p. 127-128) : « La concurrence impose en effet aux entreprises d’offrir aux consommateurs les moyens d’accéder à des technologies d’usage de leur temps de plus en plus efficiente par rapport à leurs données particulières. L’un des exemples les plus avancés de cette évolution étant dans le domaine des biens de consommation courante celui des « produits libres » qui s’apparentent à une délégation presque totale de choix par le consommateur qui fait confiance au distributeur pour lui offrir la sélection la plus optimale possible de prix et de qualité… ».

45La plupart des études marketing montrent que les consommateurs sont de plus en plus attentifs à ne pas perdre trop de temps dans la recherche et la comparaison de produits. Face à cette situation, les distributeurs ont réagit rapidement. Selon Moati (2001, p. 318), « l’engagement croissant de la grande distribution dans la fonction d’ajustement qualitatif entre offre et demande pousse aujourd’hui les distributeurs à assurer une sélection de plus en plus serrée de l’offre des produits afin de tenter de répondre de manière la plus fine possible aux besoins de leurs clients et leur simplifier ainsi la charge du choix ».

46C’est dans ce cadre que l’on peut interpréter le développement remarquable des MDD de troisième génération. Le développement de ces MDD correspond à une délégation totale de la question du choix au distributeur. Cette délégation est renforcée sur la période récente dans la mesure où, de plus en plus, les MDD se positionnent comme le meilleur rapport qualité-prix (ou qualité-temps pourrions-nous dire) de leur gamme [17].

Une trajectoire d’enrichissement du temps

47La grande distribution est également active sur l’axe enrichissement du temps. Cet axe renvoie cependant à deux réalités distinctes. Il peut s’agir d’une part d’un enrichissement que nous qualifierons de quantitatif et d’autre part d’un enrichissement de nature qualitative.

Un enrichissement quantitatif

48La trajectoire d’enrichissement quantitatif du temps s’appuie généralement sur une dimension classique de multitasking. Dans ce cas, le temps est perçu et considéré comme une ressource qui peut être employée pendant les courses pour réaliser d’autres tâches : administratives, familiales et sociales, etc. Il s’agit pour reprendre les termes de Bruno Marzloff de « rendre le temps des courses productif », c’est-à-dire, du point de vue du consommateur, de profiter de ce temps incompressible des courses pour réaliser d’autres activités. Aux États-Unis, Coggins et Senauer (1999 : 170) vont dans le même sens lorsqu’ils affirment : “There are at least two other dimensions to convenience from the food shopper’s perspective. One relates to the number of tasks that can be accomplished during a single shopping trip or in a single store; the other relates to the ease of shopping and time required to shop. To improve their one-stop shopping appeal, supermarkets have been adding new services, such as banks, florists, video rental, and pharmacies. [18]

49En effet, la stratégie d’enrichissement du temps (des courses) passe encore une fois ici par l’adjonction de multiples services de type para-commerciaux généralement : billetterie de spectacles, voyages, fleurs, bureau de poste, PMU, administration, impôts…

50Certains distributeurs innovent ainsi en créant des lieux hybrides (bar qui fait également laverie automatique) ou encore wagon [19] transformé en supermarché etc. (cf. Rieuner et Volle, 2002, p. 23).

Un enrichissement qualitatif

51L’enrichissement qualitatif renvoie quant à lui à une dimension plus ludique et récréative. Il s’agit ici, dans la plupart des cas, de tenter de passer de la notion « d’achat corvée » (temps subi) à celle « d’achat plaisir » (temps choisi). On notera que cette conception n’est pas nouvelle. Elle correspond bien aux premières heures de l’hypermarché traditionnel [20].

52La dimension ludique ou récréative consiste le plus souvent à associer commerce et loisir dans le sens de l’approche anglo-saxonne de « retailtainement [21] ». Dans ces conditions, on peut penser que le temps des courses apparaît réellement comme un produit joint. La dimension de retailtainement a été particulièrement développée dans le modèle anglo-saxon. Ainsi par exemple, Tesco met-il à la disposition de ses clients un espace cuisine où ils peuvent goûter et préparer les nouveaux produits (Auckenthaler et al., 1997, p. 53). Plus généralement, certaines offres commerciales se positionnent délibérément comme une destination touristique, culturelle ou encore sportive. Comme le note par exemple Jean Pierre Orfeuil (2000, p. 51), de nombreuses synergies apparaissent, « associant une offre commerciale et un élément de patrimoine ou un équipement urbain d’envergure : les musées, les stades par exemple sont alors les racines sur lesquelles viennent se greffer des offres en matière de culture, de sport et de loisir. Les localisations sont alors prédéterminées par les équipements existants (Nature et Découverte au Palais de la Découverte, Décathlon au Stade de France, etc…) ».

Une trajectoire d’externalisation partielle ou totale de fonction-service

53La dimension d’externalisation correspond du point de vue du consommateur, au besoin de gagner du temps en faisant faire par d’autres, des activités auparavant réalisées au sein du ménage. Cette externalisation totale ou partielle s’appuie généralement sur des contraintes de temps (parfois de coût).

54Dans le grand commerce, cette dimension passe généralement par la mise en place et le développement de systèmes de production et de vente de produits à haut niveau de préparation (rayon traiteur, plateaux cuisinés, ou préparés, etc.). Elle passe également par l’offre de « solutions » et non plus simplement de produits, à un problème du client. L’exemple le plus souvent mis en avant est celui des « solutions-repas » [22] : « although grocery sales in real terms are not growing, the demand for food that is ready-to-eat that can be purchased and taken-out to eat at home or elsewhere is growing. The terms « home meal replacement » and « meal solutions » have been coined to reflect this demand. Supermarkets have responded to this competition by providing more ready-to-eat or easy-to-prepare foods. Convenience is about saving time. Reducing the preparation required before actually consuming a product is one form of convenience » (Coggins et Sanauer, 1990, p. 170). Les exemples de solutions d’externalisation ne se limitent pas, bien entendu, aux « solutions repas », il existe de nombreuses offres dans d’autres domaines qui relèvent également de cet aspect. Ainsi en est-il par exemple de Interflora ou encore de Oh’les fleurs qui offrent un service de remplacement régulier de fleurs à domicile.

55Cette dimension d’externalisation totale ou partielle est en contradiction avec les thèses du self-service parues dans les années 1980 sous l’impulsion des travaux de Gershuny en particulier. A l’inverse, elle cadre relativement bien avec l’approche de Jean Gadrey qui, tout en reconnaissant que les thèses de Gershuny ont perdu du terrain nous invite à réfléchir « à la possibilité, au delà de la problématique étroite de la substitution que privilégie la thèse du self service, d’un développement simultané et complémentaire des biens et des services au sein d’une même famille de besoins en expansion » (cf. également sur ce point Delaunay et Gadrey, 1987).

56Les différentes trajectoires que nous venons de voir sont relativement intéressantes. Elles sont cependant présentées de manière séparée à des fins pédagogiques. Dans la réalité, elles peuvent être interdépendantes et parfois contradictoires. Par ailleurs, elles ont un caractère déterministe et ne tiennent pas compte de toute la diversité et de la complexité de l’innovation commerciale. De fait, de nombreuses innovations dans le grand commerce apparaissent comme des hybrides issus de la combinaison de deux ou plusieurs trajectoires simples.

Vers une approche combinatoire du temps et de l’innovation commerciale

57Les trajectoires d’innovation que nous avons présentées dans les sections précédentes sont pour une large part des idéaux-types, des trajectoires génériques. Dans la réalité, l’essentiel des innovations lancé par le grand commerce est de nature combinatoire (Gallouj, 2004).

La nature des trajectoires combinatoires

58Les trajectoires d’innovation de type libération du temps, enrichissement ou encore externalisation sont des formes relativement simples et finalement facilement imitables et reproductibles. Dans ces conditions, il est clair que le grand commerce, qui cherche à maintenir sur le long ou moyen terme un avantage compétitif durable et défendable (et dans tous les cas qui retarde les projets d’imitation des concurrents) opte le plus souvent pour des approches de nature combinatoire.

59Ainsi, de nombreuses innovations commerciales sont des combinaisons de deux trajectoires particulières. Dans la réalité, les projets les plus aboutis combinent à différents degrés les trois trajectoires génériques en même temps. On peut dire que globalement l’essentiel de l’offre commerciale est de nature combinatoire. De manière plus précise, le grand commerce cherche à développer des produits hybrides, flexibles, adaptés à tous les moments et instants de la consommation, à tous les usages de temps des consommateurs.

60C’est d’ailleurs un des défis de la distribution moderne que de tenter de concilier temps choisi et temps subi ; gagner du temps/enrichir le temps… Benoun et Helies Hassid (2003) font même du temps, et en particulier de l’intégration de cette notion du temps à deux vitesses un des facteurs clés de la distribution moderne et du succès de la politique commerciale du distributeur.

61De nombreuses études professionnelles mettent en évidence une réorganisation du grand commerce en fonction des différents types de courses ou de comportement d’achat des consommateurs. Ainsi, Cédric Ducroc constate avec raison que « les nouveaux hypers sont désormais conçus avec différents types de parcours, différents scénarios, afin de satisfaire à la fois le client venu faire « le plein » pour le mois ou la quinzaine et ceux qui utilisent l’hypermarché comme un magasin de proximité » [23].

62Il n’en demeure pas moins cependant que ces schémas sont relativement complexes. De manière plus générale, la conciliation des logiques d’achat corvée et d’achat plaisir est difficile à réaliser. La mise au point de concepts commerciaux « attrape tout », répondant du point de vue du consommateur à une logique à la fois de temps choisi et de temps subi s’avère extrêmement complexe [24]. Aujourd’hui, le grand commerce procède encore par tâtonnement, en procédant à de multiples expérimentations dont certaines sont trop récentes pour permettre une évaluation sérieuse. Tel est le cas par exemple du drive in que nous présentons dans la section suivante.

Des exemples de trajectoires combinatoires

63Les exemples de nouveaux concepts combinatoires développés par le grand commerce sont nombreux. On peut citer les nouveaux concepts d’hypermarchés mis au point par Auchan autour de la notion de drive in ou encore par Carrefour et Cora autour de la notion d’univers ou plus récemment par Auchan avec son nouveau concept H3M développé à Val d’Europe et en cours de généralisation depuis lors ou enfin, à un niveau plus large : Mall of America.

L’hypermarché drive in

64L’hypermarché drive in dit Auchan Express (cf. § 3.1.3) est un nouveau concept de courses au volant lancé par Auchan en juin 2000 à proximité de son magasin de Leers (banlieue lilloise). Il permet au client de saisir sa commande sur une borne interactive et de régler ses achats par carte bancaire ou privative sans devoir quitter son véhicule. C’est un employé du magasin qui vient charger son coffre en moins de 10 minutes.

65Cette structure relève selon nous, et comme on l’a vu (cf. § 3.1), pour une large part de l’axe libération quantitative de temps. Mais elle relève également pour une part de l’axe enrichissement. En effet, l’objectif affiché du drive in « est de permettre aux clients de se procurer des articles lourds et volumineux, à forte fréquence d’achat ». Dans les faits, Auchan Express (localisé à proximité immédiate d’un hypermarché standard) permet de libérer du linéaire au profit d’autres familles de produits à marge plus élevée et surtout d’alléger le chariot des clients. Les produits proposés par Auchan Express représentent en effet 50 % du volume d’un caddie moyen, ce qui peut inciter les clients à flâner de manière plus détendue dans les autres rayons et à acheter davantage. On passe bien ici selon le concept marketing consacré de la notion d’achat corvée à la notion d’achat plaisir. Plus globalement, on a bien ici un modèle combinatoire de gain de temps et d’enrichissement du temps.

L’organisation en univers et l’hypermarché de nouvelle génération

66Le concept d’univers (de consommation) est une innovation qui a bouleversé l’organisation et l’aménagement traditionnel de l’hypermarché. Ce nouveau concept vise à tenir compte de la complémentarité des produits selon une logique non plus de production, mais de consommation. L’organisation en univers débouche donc sur un regroupement de produits qui étaient auparavant disséminés dans plusieurs rayons, souvent éloignés les uns des autres. L’objectif annoncé par les concepteurs quelle que soit l’enseigne est d’intégrer un « esprit boutique » au sein de l’hypermarché. Il s’agit également d’alterner des zones de pure « praticité » et d’autres plus ludiques, afin de procurer des moments de plaisir au chaland (LSA, 29 mai 2003, supplément 1816). La plupart des grandes enseignes françaises ont initié cette nouvelle organisation dès la fin des années 1990 en développant des concepts et projets spécifiques (Magali pour Carrefour, H3M pour Auchan et Magelan pour Géant Casino).

67L’hypermarché H3M du groupe Auchan s’inscrit dans le cadre de ce type d’approche. Il relève par conséquent bien d’une logique d’innovation combinatoire. Tout d’abord, il permet de gagner du temps en s’appuyant sur une innovation organisationnelle. Cette nouvelle organisation se fonde en effet sur l’abandon du caractère linéaire de la présentation de l’offre au profit de la constitution d’ilôts. De ce fait, on peut dire que l’hypermarché n’est plus structuré selon une logique de type industrielle, celle des fournisseurs (en particulier la logique des rayons organisés en fonction de la manière dont travaillent les industriels) mais plutôt selon une logique client. Ce dernier n’est donc plus obligé de parcourir tous les rayons. Les ilôts sont mieux structurés et très rapidement repérables. Par ailleurs, l’ensemble de la signalétique traditionnelle a été revue et vise maintenant à simplifier et à faire gagner du temps au client.

68L’hypermarché permet également d’enrichir le temps. En effet, il s’appuie sur une déclinaison d’espaces bien distincts qui rappellent l’esprit boutique du petit commerce. Ces espaces permettent en particulier, selon leur concepteur, de favoriser et faciliter la flânerie des clients dans les rayons. Enfin, cet enrichissement s’appuie également sur de multiples services à la clientèle (cabines de soins esthétiques, espaces nurserie, concerts, ateliers d’expression, etc.).

Intégrer tourisme et commerce : l’exemple de « Mall of America »

69Durant les années 1990, on a assisté à l’ouverture de nombreux mégamalls en Amérique du Nord. La caractéristique essentielle de ces malls est qu’ils sont montés selon un modèle de parc d’attraction. Ils cherchent à intégrer des activités commerciales à grande échelle (plusieurs centaines de magasins et boutiques) et de multiples activités récréatives (restaurants, spectacles, parcs à thème, cinéma multiplexe, etc.). De fait, les malls constituent bien des innovations combinatoires à grande échelle qui s’appuient sur les trois trajectoires génériques d’innovation que nous avons définies au début de cette section.

70En effet, dans les malls, « on peut boire, manger, se divertir, acheter… ». Il est possible de gagner du temps et d’en perdre. On peut donc s’inscrire à la fois dans une trajectoire de gain de temps, une trajectoire d’enrichissement ou encore une trajectoire d’externalisation de fonction-service.

Encadré 2Mall of America : un centre commercial conçu comme une destination touristique

Mall of America a ouvert en 1992 à Minneapolis (Minnesota). Le choix de cette ville pour un équipement de cette ampleur s’explique par sa localisation : près de 30 millions de personnes vivent à moins d’une journée de route de Minneapolis, et la conception du centre le positionne délibérément comme une destination touristique. Le service marketing du centre propose d’ailleurs aux agences de voyage des offres globales associant l’hébergement et la visite de toutes les activités proposées par le centre commercial. Pour être attractif, Mall of America combine les superlatifs :
  • Prés de 300 000 m2 de surface de vente ;
  • 400 magasins, dont quatre grands magasins (Macy’s, Bloomingdale’s, Nordstrom et Sears) ;
  • 12000 employés ;
  • 35 à 40 millions de visiteurs par an, dont 30 à 40 % de touristes ;
  • une durée moyenne de visite au centre de 3 heures (trois fois la moyenne des centres commerciaux nord-américains ;
  • 22 restaurants à thème, 23 fast-foods, un cinéma multiplexe de 14 écrans ;
  • une architecture en quadrilatère, avec au centre le parc de loisirs ;
Chacune des quatre galeries reliant les grands magasins développe un thème particulier : une grande rue typique américaine, une place de marché européenne, une synthèse des rues chic des grandes villes européennes, et un quartier à la mode (upbeat district).
Source : Filser M., des Garets V., Paché G. (2001 : 138)

Conclusion

71Dans cet article, nous avons tenté d’interpréter les innovations commerciales à la lumière des usages des temps des ménages (et de leurs évolutions récentes). Nous avons mis en évidence différents types de trajectoires : de libération et d’enrichissement de temps, d’externalisation et enfin une trajectoire de nature combinatoire.

72Ces différentes trajectoires auront sans doute à l’avenir des conséquences importantes en matière d’emploi. Il nous semble que ces conséquences devraient suivre au moins trois directions (qui à ce stade restent pour nous des hypothèses de travail) qu’il importe d’investiguer plus avant :

  • un changement dans le volume de l’emploi. Bien que certaines innovations (vente automatique, drive in, etc.) sont de nature à réduire les besoins en main d’œuvre, l’essentiel des innovations que nous avons vues (en particulier celles qui relèvent des trajectoires d’enrichissement, d’externalisation et de combinaison) [25] devraient conduire à un accroissement des besoins de main-d’œuvre dans le grand commerce ;
  • un changement dans la nature de l’emploi. On assiste (et on devrait assister) en effet à un accroissement du niveau de formation et qualification de l’emploi commercial. La plupart des nouveaux emplois créés sont des emplois de service en contact direct avec le consommateur. Il s’agit de trouver des réponses et des solutions à des problèmes spécifiques du client. Dans ces conditions, on constate bien un accroissement à la fois des compétences techniques mais également comportementales, relationnelles et servicielles. Plus encore, dans la mesure où, comme on l’a vu, un certain nombre des innovations ont une dimension technologique forte, on devrait assister à un accroissement des besoins en formation du personnel en particulier en NTIC (alors que ces formations étaient jusqu’à maintenant réservées à l’encadrement) ;
  • un changement dans le statut de l’emploi. Pendant longtemps le paradigme dominant dans la gestion de l’emploi des hypermarchés pouvait être résumé par l’expression suivante d’un DRH d’hypermarché : « dans les magasins, il faut travailler son effectif fixe et stable sur le plus petit chiffre d’affaires. Vous devriez avoir l’effectif stable de votre entreprise sur le mois le plus faible » (Baret, Gadrey, Gallouj, 1998). Cette pratique contribuait à inciter au développement de l’emploi atypique (temps partiel, contrats courts, flexibilité forte, etc.). Avec la généralisation des nouvelles trajectoires d’innovation, on devrait assister à une nouvelle tendance vers une stabilisation accrue de la main d’œuvre et une réduction du turnover.

Notes

  • [1]
    Bien entendu, on peut penser que la référence à la localisation ou au facteur de convenience, que l’on retrouve dans nombre de travaux peut équivaloir, dans certains cas, à une prise en compte, même indirecte, du temps.
    On notera sur ce point que Dawson est sans doute un des rares auteurs à faire figure d’exception. Il écrit en effet : “The fourth factor which is important in generating change in retailing is the new way that time is considered as a management variable…” (Dawson, 1995, p. 22).
  • [2]
    Mais dans tous les cas, annoncé (cf. par exemple Parigi J., « Hypermarché : le modèle s’essouffle », LSA, n° 1766, 2 mai 2002 ; Castrillo J., Forn R. et Mira R., 1997, “Hypermarkets may be Losing their Appeal for European Consumers”, The McKinsey Quarterly, n° 4, p. 194-200).
  • [3]
    Pour les supermarchés, les données correspondantes sont, en ce qui concerne l’alimentaire, de moins 5 % dans les années 1970 et de 28 % dans les années 2000 et, en ce qui concerne l’ensemble des produits commercialisables, de 3 % (en 1970) puis 13 % (en 2000).
  • [4]
    Nous proposons ici une interprétation originale de l’innovation dans le commerce en référence à la variable temporelle. Bien entendu nous ne signifions pas que cette variable soit exclusive. Il en existe en effet bien d’autres (comme par exemple la variable prix) qui jouent un rôle important. Néanmoins, nous estimons que le temps reste un déterminant en première instance d’un certain nombre d’innovations dans le commerce.
  • [5]
    Cf. notre section 3.
  • [6]
    Les distributeurs définissent ainsi des zones de chalandises à 5 minutes, à 10 minutes…
  • [7]
    Qui se sont considérablement complexifiées depuis.
  • [8]
    En effet, le grand commerce traditionnel français avait tendance à recourir davantage au temps des consommateurs que ne le faisait par exemple son homologue américain (ce qui a d’ailleurs contribué à assurer son remarquable succès au moins jusqu’au début des années 1990). Pour reprendre les termes de Bertrand et Kramarz, le temps du consommateur est un input plus important dans la fonction de production du commerce français que de l’américain. De ce fait, le premier a été nettement moins créateur d’emplois que le second.
  • [9]
    Tout cela ne signifie pas, bien entendu, que la variable prix ne soit plus importante. Cela signifie plutôt que, du point de vue du consommateur, la recherche du prix bas (qui perdure) n’est plus le seul et unique critère de mobilisation. Comme le note François Asher : « Il sera de plus en plus difficile de faire déplacer le client pour gagner quelques centimes sur une bouteille d’huile, ce qui devient vraiment discriminant dans ses arbitrages, c’est le temps. » (Enjeux les Échos, 2002, cité par Rieuner S. et Volle P. (2002, p. 23).
  • [10]
    On notera que si le temps peut être une variable importante voire centrale, elle n’en demeure pas moins une variable contextualisée. Il existe en effet une relativité historique du concept de temps perdu.
  • [11]
    Selon Orfeuil (2000), la fréquence des achats de tout type comme des achats à dominante alimentaire tend à diminuer (4,4 à 3,2 par semaine) comme le temps qui leur est consacré (11 minutes de moins en 8 ans).
  • [12]
    Pratique consistant à ne plus être fidèle à une enseigne ou un magasin spécifique et à segmenter ses achats au profit de plusieurs magasins différents.
  • [13]
    La diversité des circuits de distribution fréquentés par les consommateurs est en constante augmentation. Ainsi, 92 % des français fréquentent le commerce spécialisé, 76 % les supermarchés, 73 % les hypermarchés, 62% les marchés, 58 % les épiceries et 25 % le hard discount (Orfeuil, 2000, p. 45).
  • [14]
    On notera que le groupe Auchan a cessé depuis quelques années de faire du choix un axe majeur de sa politique de communication.
  • [15]
    Le deuxième acteur : Yatoopartoo est indépendant semble-t-il.
  • [16]
    Le Monde, 23-24 juin 2000. Plus récemment, Auchan a développé Chronodrive, qui correspond à une combinaison de l’offre d’Auchan Express et de l’offre e-commerce classique du groupe.
  • [17]
    Ces produits sont à la fois innovants, qualitatifs et exclusifs (Credoc et al. 2001, p. 153).
  • [18]
    Dans certains cas particuliers, l’enrichissement quantitatif peut recouper la trajectoire précédente de libération de temps (logique de gain de temps). On gagne en effet du temps en réalisant plusieurs tâches en même temps.
  • [19]
    Le train Zurich-Berne comporte ainsi un supermarché offrant plus de 800 produits.
  • [20]
    Renaud de Maricourt (1988, p. 44) note ainsi que « la grande distribution intégrée, et les hypermarchés apportent… un service de nature essentiellement psychologique, mais dont il serait vain de nier la réalité et l’importance pour une grande majorité de consommateurs : cette fameuse “ivresse du choix” créée par une ambiance volontairement euphorisante, par les immenses alignements de marchandises que l’on peut librement toucher, sentir ou essayer, enfin par l’absence de la pression d’un vendeur. Cette légère ivresse, ce sentiment d’espace et de liberté était probablement un des principaux attraits des hypermarchés dans les premières années, et l’est encore pour bien des jeunes : on oublie les contraintes matérielles et l’on déambule des heures dans les travées en perdant la notion du temps… ». Les hommes de marketing parlent ainsi de « ré-enchantement » du commerce.
  • [21]
    Il s’agit de la combinaison de retail (commerce) et de entertainement (divertissement).
  • [22]
    On notera que dans ce cadre, le grand commerce entre directement en concurrence avec le secteur de la restauration.
  • [23]
    Dans LSA, n° 1816, supplément, « 40 ans de l’hypermarché, les 12 défis », 26 mai 2003.
  • [24]
    Les difficultés de conciliation (temporelle) concernent également l’alimentaire et le non alimentaire. De même, que les catégories spécifiques de produit telles que les convenience goods ou les shopping goods pour reprendre la terminologie de Bucklin.
  • [25]
    Notons que le constat est également valable pour certaines innovations relevant de la trajectoire de libération de temps et en particulier celles qui s’appuient sur le développement de nouveaux services.
Français

Résumé

L’objectif de cet article est de proposer une interprétation de l’innovation dans le grand commerce à la lumière de la question du temps. En effet, en nous fondant sur l’évolution des temps et usages du temps des ménages, nous mettons en évidence quatre trajectoires d’innovation : une trajectoire de libération du temps du consommateur, une trajectoire d’enrichissement de son temps, une trajectoire d’externalisation de certaines activités domestiques et enfin une trajectoire combinatoire qui correspond aux multiples hybridations possibles des trajectoires génériques précédentes.
JEL L810, O320.

Mots-clés

  • commerce
  • trajectoires d’innovation
  • usage du temps des ménages

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Camal Gallouj
CLERSE / IFRESI-CNRS
Université de Lille 1
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