CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Nous devons veiller à cultiver le plus haut degré d’interopérabilité avec les armées des pays amis et alliés »
audition du chef d’état-major des armées à l’Assemblée nationale, 10 avril 2018

1Les engagements de l’armée de terre sont aujourd’hui le plus souvent conduits avec des alliés [1] ou en coalition multinationale [2]. Sa capacité à s’entraîner et à opérer de manière coordonnée ou intégrée avec des partenaires étrangers est donc une condition essentielle d’atteinte des objectifs opérationnels qui lui sont assignés, en particulier la capacité pour la France d’être nation-cadre d’une Small Joint Operation[3] (opération de coercition majeure, sjo) à dominante terrestre dans un cadre interallié. C’est en ce sens que l’armée de terre, dans son ouvrage prospectif Action terrestre future, présente la coopération comme un facteur de supériorité opérationnelle. Cette coopération comprend l’interopérabilité des forces, c’est-à-dire la capacité de plusieurs systèmes, unités ou organismes à opérer ensemble grâce à la compatibilité de leurs organisations, de leurs doctrines, de leurs procédures, de leurs équipements et de leurs relations respectives. L’interopérabilité porte sur les domaines des opérations, du matériel et de l’administration. Cette interopérabilité avec nos alliés du premier cercle, mais aussi ceux de circonstance, doit être gage d’une efficacité opérationnelle renforcée face à nos adversaires actuels et futurs.

2Armée de haute technologie, l’armée de terre entend partager ses standards avec ses alliés proches. Elle initie également avec certains une interopérabilité d’emblée en développant des programmes d’équipements communs, comme le Main Ground Combat System (mgcs) avec l’Allemagne par exemple, qui succédera à l’horizon 2035 aux chars de bataille Leclerc et Léopard 2. Dans le domaine technique, l’interopérabilité multinationale est parfois subie, dans la mesure où seule l’acquisition de moyens alliés nous permet de combattre efficacement en coalition, voire se limite à un détachement humain de liaison.

3Une démarche d’interopérabilité maîtrisée mais ambitieuse est indispensable. Elle doit viser le juste besoin en tenant compte des effets de court et de long terme, dans le domaine capacitaire notamment. Elle doit se faire en investissant de manière ciblée et en fonction des engagements pris, qu’ils soient d’ordre politique, diplomatique ou militaire. Elle doit être choisie pour conserver l’ensemble de nos capacités nationales : la France doit garder sa capacité à agir seule et à entrer en premier si la situation l’exige. Les priorités de mise en œuvre de cette interopérabilité demeurent cependant difficiles à définir tant elles répondent d’abord à une logique d’orientations politiques et stratégiques adaptées aux situations et aux partenaires. L’armée de terre doit faire des choix pour qu’elle soit utile en opération. Pour cela, l’effort doit être continu pour l’interopérabilité multinationale des systèmes d’information opérationnelle et de commandement (sioc) ainsi que du soutien.

Enjeux et défis de l’interopérabilité multinationale

Enjeux

4Pour la France, le premier enjeu de l’interopérabilité multinationale est celui de sa capacité à peser dans une coalition, c’est-à-dire à assumer le statut de nation-cadre, ou au moins d’y occuper des postes clés. Assurer le commandement d’une force multinationale est l’expression d’une ambition avant tout politique, mais qui se décline en capacités militaires et en aptitudes concrètes à détenir. Cette responsabilité implique notamment de mettre à disposition de la coalition le noyau clé des capacités de commandement opératif et de logistique de théâtre. Le volume des capacités déployées sera fonction de la participation des alliés ; il pourrait monter jusqu’à 70 % au sein des fonctions/échelons multinationaux. Un ratio qui prend en compte l’obligation, en tant que nation-cadre, d’assurer entièrement certaines fonctions clés (systèmes d’information et communication ou sic, appui au commandement) ; d’assumer l’opération dans toutes ses dimensions, ce qui implique notamment d’armer les fonctions de commandement et de soutien à un niveau compatible avec la maîtrise du risque opérationnel ; de ne pas préjuger du spectre des capacités qui seraient effectivement mises à disposition par les alliés. Cet engagement repose en outre sur un appui important des capacités socles de la métropole (C2, renseignement, acheminement).

5Cet enjeu majeur sous-tend également la capacité pour la France d’être un acteur crédible parmi ses alliés, qu’ils soient otaniens ou européens. Ainsi doit-elle proposer des partenariats de défense ambitieux à ses alliés, en priorité aux pays européens volontaires et capables. Ceci implique de soutenir, au sein comme en dehors de l’ue et de l’otan, toutes les initiatives prometteuses qui renforcent la convergence stratégique entre Européens et intéressent leur sécurité commune. C’est pourquoi la France veut œuvrer au renforcement de l’autonomie stratégique de l’Europe, ce qui nécessite le développement d’une culture stratégique commune. Au début de la prochaine décennie, l’objectif est que les Européens disposent d’un corps de doctrine commun, de la capacité à intervenir militairement ensemble de façon crédible, d’instruments budgétaires communs adaptés. Dans cette perspective, la France propose dès à présent à ses partenaires un cadre de coopération ambitieux : l’Initiative européenne d’intervention, annoncée par le président de la République le 26 septembre 2017. Celle-ci contribuera également à renforcer leur interopérabilité dans l’ensemble des scénarios d’engagement de leurs forces [4].

6L’objectif est de permettre l’engagement, dans un cadre otan, ue, onu, voire bilatéral, d’un élément français au côté d’un dispositif allié, en établissant le maximum de synergies par la compréhension mutuelle des modes d’action et l’appui réciproque, et en évitant toute interférence ou dysfonctionnement ; ainsi que l’intégration efficace en opération d’un élément français au sein d’un dispositif allié et celle d’un élément allié au sein d’un dispositif français.

7L’armée de terre ne peut ambitionner d’être parfaitement interopérable avec l’ensemble des forces terrestres avec lesquelles elle entretient, à un titre ou à un autre, des relations de coopération. Les pays dont elle est le partenaire peuvent être classés selon trois cercles. Le premier correspond aux grands alliés stratégiques avec lesquels elle soigne une coopération structurée et est susceptible de s’engager en opération au sein de dispositifs intégrés et sur le spectre complet des fonctions opérationnelles. On trouve dans le second cercle ceux avec lesquels elle a un intérêt à développer des coopérations de niches fonctionnelles, en vue d’un possible engagement commun en opérations avec ces capacités. Le troisième rassemble les partenaires avec lesquels la France peut, au titre de l’appartenance commune à l’otan ou à l’ue, entretenir et développer une connaissance mutuelle, sans nécessité pour autant de construire une relation structurée.

8Quel que soit le niveau des partenaires, la coopération est d’ores et déjà une réalité pour les armées qui contribuent aux structures de commandement de l’otan et de l’ue ainsi qu’à de nombreux dispositifs multilatéraux ou bilatéraux. À ce titre, elles participent à la mutualisation des moyens de transport et de ravitaillement, au partage des missions de police du ciel, à la surveillance de l’Atlantique Nord et à la gestion des espaces sous-marins. Le groupe aéronaval agrège ainsi systématiquement des moyens de nos partenaires européens (frégates, hélicoptères).

9Sur le plan bilatéral, les partenariats sont nombreux. En Europe, la brigade franco-allemande, le corps expéditionnaire franco-britannique, l’unité franco-allemande de transport aérien c130 J et les formations communes (Tigre, a400m) sont emblématiques. En Afrique ainsi qu’au Proche et au Moyen-Orient, l’assistance militaire opérationnelle est un pilier de la prévention. Enfin, chaque armée entretient des relations étroites avec ses homologues américains et européens les plus engagés dans la défense de l’Europe, afin de garantir l’interopérabilité nécessaire aux engagements en commun.

Défis

10Le premier défi de l’interopérabilité multinationale est l’interconnexion des réseaux. Il est en effet indispensable que les systèmes d’information et de communication des nations partenaires soient interopérables si elles veulent pouvoir travailler efficacement ensemble. Si ce n’est pas le cas, la seule solution est le prêt de matériel d’une nation leader à toutes les autres, voire un détachement humain de liaison. L’interopérabilité est alors subie dans la mesure où les moyens nationaux ne sont pas utilisés et la nation est dépendante du partenaire principal. C’est par exemple le cas en Irak, où la Task Force française Narvik, qui forme les soldats irakiens de l’Iraqi Counter Terrorism Service (icts), a recours aux postes radio américains prc117 pour contacter sa chaîne hiérarchique américaine, notamment en cas d’évacuation sanitaire. Tout en préservant les systèmes nationaux, il convient donc de poursuivre le développement de l’interopérabilité en faisant un effort sur leur compatibilité voire leur convergence vers les normes et standards de l’otan.

11Le niveau de classification des documents peut également constituer un frein à la diffusion de l’information au sein d’une coalition, et donc au travail collectif et à l’interopérabilité. Si certains documents de renseignement doivent évidemment rester classifiés « spécial France », il est cependant indispensable de partager si l’on veut recevoir. Les niveaux de classification sont disparates d’une coalition à l’autre, mais certains partenariats priment sur tout le reste. C’est le cas de la classification 5 eyes, qui regroupe les États-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et le Canada. La France ne faisant pas partie de ce groupe, sa complète intégration dans une coalition menée par les États-Unis, comme au Levant dans le cadre de l’opération Inherent Resolve, n’est pas aisée.

12Le niveau de mise en œuvre de l’interopérabilité est également un défi majeur. Pour l’otan, qui fixe un certain nombre de standards et de procédures à ses États membres, celle-ci ne peut descendre en dessous du niveau de la brigade. En effet, l’Alliance considère qu’il convient de maintenir une forte homogénéité des groupements tactiques interarmes (gtia) et de leurs unités subordonnées, et donc d’en limiter la multinationalité. Dans les faits aujourd’hui, en opération, l’interopérabilité doit pouvoir être effective jusqu’au niveau de la compagnie, dans la mesure où des unités élémentaires étrangères peuvent être agrégées à une grande unité française ou inversement. C’est notamment le cas au Liban, dans le cadre de la finul, où la Force Commander Reserve (fcr) commandée par la France accueille une compagnie d’infanterie finlandaise depuis avril 2017. Pleinement intégrée, celle-ci remplit les mêmes missions que les militaires français et doit donc être interopérable avec le poste de commandement (pc) français.

13Enfin, l’interopérabilité technique avec nos partenaires a forcément un coût financier. En effet, le développement de certains systèmes spécifiques ou l’adaptation d’autres systèmes doivent être évalués au prisme du rapport coût/efficacité. Compte tenu des contraintes pesant sur les ressources financières des armées et sur la planification dense des activités des forces, la France doit élaborer une démarche d’interopérabilité maîtrisée mais ambitieuse, à la hauteur des enjeux présentés plus haut. La détermination du périmètre précis du besoin en interopérabilité doit donc rester un facteur essentiel de son coût financier.

Domaines d’activités

14L’interopérabilité est une aptitude transverse qui a des implications sur tous les piliers constitutifs d’une capacité [5], à des degrés différents, et qui repose sur une dimension culturelle importante. Elle s’adosse à un socle de langages communs et d’intérêts stratégiques partagés sur lequel s’appuient la doctrine (se comprendre), l’organisation (s’articuler, opérer ensemble), les équipements (pouvoir échanger) et l’entraînement (se connaître). Outre la langue de travail, cela concerne d’autres outils d’« échange » comme le vocabulaire technico-opérationnel ou encore les graphismes.

15La culture ou l’aptitude à communiquer correspond à la faculté des personnes à travailler ensemble, mais surtout à se comprendre. Elle dépend donc directement de la formation du personnel, en particulier de la maîtrise de l’anglais. La barrière linguistique, en particulier en situation de stress, peut être déterminante dans la conduite des opérations. La compréhension mutuelle est renforcée par l’échange de stagiaires dans les écoles de formation et par la mise en place de modules de formation spécifiques otan.

16Le pilier doctrine comprend l’ensemble du corpus allant du « quoi » (les concepts) au « comment » (les doctrines), mais aussi les règles juridiques, les règles d’engagement et ce qui participe à la description de l’action militaire. Ce volet comprend également le partage du retour d’expérience. De manière générique, la doctrine recouvre les méthodes, les organisations et les procédures qui permettent de commander et de conduire des actions communes. Bien que les travaux spécifiques avec les partenaires majeurs que sont les États-Unis, l’Allemagne et le Royaume-Uni soient évidemment pertinents, l’interopérabilité en ce domaine repose avant tout sur la compatibilité de la doctrine nationale avec celle de l’otan. Il s’agit de faciliter la compréhension mutuelle des procédures d’état-major utilisées dans le cadre des méthodes de raisonnement tactique, de la planification, de l’organisation du commandement et de la conduite des opérations. L’interopérabilité des membres de l’Alliance est ainsi au cœur de l’action du commandement pour la transformation (act) basé à Norfolk et dirigé par un général français. La participation active d’experts français à la réflexion de l’Alliance sur ce sujet facilite la compatibilité de la doctrine nationale avec celle de l’otan.

17Le pilier organisation, quant à lui, gère les problématiques de structures, de formation, de procédures, d’effectifs. Il est essentiel pour que les alliés puissent opérer ensemble en ayant une articulation cohérente. La Combined Joint Expeditionary Force (cjef) franco-britannique est un bon exemple en la matière. Née des accords de Lancaster House (2010), elle prévoit une capacité projetable de plus de dix mille hommes sur un large spectre de missions, dont l’entrée en premier dans un cadre de haute intensité. Dans un tel contexte, l’organisation des armées française et britannique doit être compatible, notamment sur des composantes spécifiques comme les capacités d’intervention aéroportée et amphibie. L’efficacité opérationnelle du détachement est en jeu.

18S’entraîner avec des nations partenaires renforce l’interopérabilité doctrinale et culturelle, et permet également de valider l’interopérabilité technique. L’effort doit porter sur les méthodes et les procédures opérationnelles ainsi que sur les communications pour l’ensemble du spectre des opérations, en intégrant un référentiel opérationnel commun. Afin d’atteindre ces objectifs, il est nécessaire de placer le plus souvent possible les pc de brigade et de gtia au cœur des activités multinationales en établissant des objectifs communs d’entraînement et de profiter de toutes les occasions d’échanges d’unités pour améliorer la connaissance mutuelle. La France participe ainsi chaque année à plusieurs exercices internationaux. Cela a été notamment le cas du 19 au 26 octobre 2018 avec Euretex 18 : environ six cent cinquante soldats de douze nationalités différentes se sont entraînés durant huit jours au camp San Gregorio de Saragosse dans l’objectif de favoriser et de renforcer l’interopérabilité dans le domaine du génie – sapeurs, plongeurs de combat, auxiliaires engin explosif improvisé, mais aussi géographes, météorologues et experts des risques chimiques.

19L’interopérabilité en matière de logistique, enfin, est un enjeu fondamental. L’aptitude au soutien réciproque fait essentiellement appel aux procédures, à la normalisation des matériels et à la capacité d’engager ses propres moyens en appui des forces d’autres pays. La normalisation [6] apporte ainsi une contribution essentielle à l’efficacité opérationnelle combinée des forces armées ; elle demeure le référentiel à rechercher et à développer pour les opérations en coalition, même conduites en dehors de l’otan. Dans le cadre de l’opération française Barkhane au Sahel par exemple, deux avions Transall allemands et un Hercules c130 espagnol soutiennent les soldats français. Cette interopérabilité logistique est essentielle pour la France.

Une dynamique favorable : l’interopérabilité des armées de terre américaine et française

20Depuis la signature par leurs chefs d’état-major américain et français du Strategic Vision Statement en 2015, l’us Army et l’armée de terre française cherchent à développer leur interopérabilité. L’année 2018 a été un jalon important, d’une part, parce que notre participation à l’exercice Joint Warfighting Assessment 18.1 (mai 2018) a démontré que nous avions d’ores et déjà un haut niveau d’interopérabilité, et, d’autre part, parce que l’us Army s’est concrètement mise en ordre de marche dans ce domaine, avec notamment la création d’une cellule dédiée au sein du hq of the Department of the Army. L’Army Strategic Campaign Plan 2019-2025, en cours de finalisation, devrait détailler les efforts américains. Enfin, la sortie du Multinational Interoperability Handbook, le 26 novembre 2018, prouve que l’interopérabilité multinationale est désormais un véritable objectif stratégique de l’us Army.

21La participation de la 7e brigade blindée à l’exercice jwa 18.1 a permis de dresser un état exhaustif et extrêmement positif de l’interopérabilité des deux armées. L’ensemble des domaines évalués (Mission Command/sic, renseignement, feux et logistique) sont jugés a minima « pleinement compatibles ». Dans le domaine de l’interopérabilité technique d’abord, les principaux systèmes d’information et de communication français (sicf) et américains (copf et mcis à venir) sont parfaitement compatibles au sein du Mission Partner Environment (mpe) et via la passerelle mip (partenariat de vingt-huit pays), sans avoir recours aux moyens spécifiques américains. La connexion réussie des systèmes numérisés d’artillerie sol-sol français (atlas) et américain (afatds) via la passerelle asca distingue la France des autres alliés présents à cet exercice, qui ne sont pas parvenus à ce niveau d’intégration.

22Dans le domaine des procédures ensuite, l’exercice a montré que, lorsqu’elles différaient, celles utilisées par la 7e bb étaient toujours compatibles avec celles de la 1st (usid. La recommandation française reste cependant d’utiliser par défaut les procédures otan, éprouvées dans le « haut du spectre » et partagées par le plus grand nombre d’alliés.

23Dans le domaine de l’interopérabilité humaine enfin, le niveau d’anglais du détachement français a permis d’interagir efficacement avec la division américaine. En outre, la préparation de jwa 18.1 a créé un réseau d’officiers qui, en France et aux États-Unis, ont développé une expérience et des connaissances utiles pour organiser les prochains exercices. Ainsi, l’opportunité d’intégrer en 2021 un état-major de division dans un exercice américain de niveau corps d’armée permettrait de réaliser l’objectif du Strategic Vision Statement tout en répondant aux attentes américaines.

24Une Multinational Fusion Cell (mfc) a été créée à l’automne 2018 pour standardiser l’interopérabilité au sein des huit principaux alliés des Américains (Australie, Canada, Royaume-Uni, Nouvelle-Zélande, France, Allemagne, Japon et Corée du Sud). La France participe à ses travaux avec un officier inséré. Cette cellule œuvre à la définition, par pays, d’une feuille de route pluriannuelle de l’interopérabilité, reprenant le niveau agréé (svs pour la France) et identifiant, pour chacune des quatre fonctions opérationnelles prioritaires aux yeux des Américains (cis, isr, Fires, Sustain), les points de décision liés aux objectifs à atteindre. Au-delà de cette mfc, la signature du Military Personnel Exchange Program, accord-cadre sur les échanges de personnels militaires, devrait concrétiser à l’été 2019 un échange d’officiers généraux adjoints entre la 3e division française et la 3rd id américaine.

25En opération enfin, l’interopérabilité des armées de terre américaine et française est éprouvée. Depuis septembre 2016, par exemple, un groupement tactique d’artillerie français est déployé en Irak sous commandement américain. La Task Force Wagram, forte d’environ cent cinquante militaires armant aujourd’hui trois canons Caesar, soutient l’action des troupes irakiennes engagées au sol dans les combats contre Daech. Avec une portée de près de quarante kilomètres, ces canons permettent de fournir une permanence des appuis sur court préavis et d’obtenir des effets diversifiés au profit d’une manœuvre d’ensemble (tirs de destruction, tirs de barrage ou tirs d’interdiction pour empêcher ou pour gêner la progression ennemie, éclairement ou création de rideaux fumigènes temporaires au profit des troupes amies). À l’instar de la composante aérienne, cette Task Force est placée sous commandement américain, mais un contrôle national de la force reste exercé par des experts français insérés au centre de commandement de la composante terrestre à Bagdad, le Combined Joint Forces Land Component Command. Bien que souffrant encore de quelques blocages, en raison notamment de la classification 5 eyes non ouverte à la France qui crée des complexifications techniques liées aux réseaux, cette intégration d’une unité française au sein d’une coalition américaine pour des missions de combat prouve que l’interopérabilité de ces deux armées de terre est aujourd’hui très satisfaisante.

26L’interopérabilité multinationale est un enjeu majeur pour l’armée de terre dans le contexte actuel d’opérations menées en coalition ou appuyées par des alliés. Si incontournable soit-elle, elle reste un moyen et non un but qui légitimerait la prise en compte systématique de l’ensemble des standards nationaux de chacun des partenaires. Au contraire, son évolution doit passer par la recherche de solutions communes tenant compte des impératifs affichés par la France. Ces impératifs sont ceux d’une interopérabilité ambitieuse, mais choisie et tournée vers ses partenaires de premier rang agissant réellement avec elle en opération jusqu’au niveau tactique. Cela passe également par un effort spécifique d’interopérabilité technique dans les domaines essentiels des systèmes d’information opérationnelle et de commandement, et du soutien.

Notes

  • [1]
    L’opération Barkhane en bande sahélienne par exemple.
  • [2]
    L’opération Chammal en Irak par exemple.
  • [3]
    Selon les normes de l’otan, l’opération de coercition majeure (sjo) peut amener la nation-cadre à déployer plus de vingt-cinq mille hommes. Comprenant deux brigades interarmes ainsi que leurs éléments de soutien, cela représente environ quinze mille hommes des forces terrestres.
  • [4]
    Revue stratégique de défense et de sécurité nationale, 2017.
  • [5]
    Doctrine organisation ressource équipement soutien entraînement (dorese).
  • [6]
    Le processus de normalisation otan comprend l’élaboration, la ratification, la promulgation, la mise en application et la tenue à jour des documents normatifs.
Français

Les engagements de l’armée de terre sont aujourd’hui le plus souvent conduits avec des alliés ou en coalition multinationale. Sa capacité à s’entraîner et à opérer de manière coordonnée ou intégrée avec des partenaires étrangers est donc une condition essentielle pour atteindre les objectifs opérationnels qui lui sont fixés. Pour ce faire, organisation, doctrines, procédures, équipements et relations humaines doivent être compatibles.

Charles Beaudouin
Saint-Cyrien et cavalier, le général de division Charles Beaudoin a alterné les responsabilités en régiment (notamment chef de corps du 6-12e régiment de cuirassiers équipé de chars Leclerc et commandant d’un groupement tactique interarmes en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’opération Licorne) avec les responsabilités en administration centrale. Il a commandé de 2013 à 2017 la section technique de l’armée de terre et occupe depuis la fonction de sous-chef d’état-major de l’armée de terre pour les plans et programmes. Breveté de l’enseignement militaire supérieur en matière de systèmes d’armes, il a été en 2008 auditeur à la 44e session du Centre des hautes études de l’armement (chear). Il est officier de la Légion d’honneur, commandeur de l’ordre national du mérite et titulaire de la croix de la valeur militaire.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 02/07/2019
https://doi.org/10.3917/infle.041.0101
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