CAIRN.INFO : Matières à réflexion
« Seul le langage, instrument qui joue de l’absence et de la présence, permet de suturer le vide et de traverser l’angoisse. [...] L’édifice aura certes été arraché et soustrait du paysage, mais n’aura pas été anéanti. » [1]

1L’attention à la mise en mots des territoires est devenue centrale depuis une vingtaine d’années [2] renouvelant les études de sémiologie urbaine et spatiale amorcées dans les années 1960-1970 [3]. Les questions toponymiques quant à elles, constituent un champ d’investigation ancien et transdisciplinaire, mais elles trouvent un regain d’intérêt dans le monde scientifique, en partant du principe qu’un toponyme s’avère être toujours plus qu’un toponyme [4] et que nommer, c’est toujours classer et signifier [5]. Ainsi, des travaux récents se sont intéressés à ces enjeux de nomination et aux phénomènes de substitution ou de contestation de toponymes existants en insistant sur le fait que l’action de nommer et de renommer participe directement au fait de faire la ville : « Le nom est l’un des attributs du territoire : il le désigne, le situe et devrait même qualifier ou symboliser sa substance, voire son essence. » [6] Dans ce cadre, « nommer le territoire est un acte politique fondateur ; le renommer est tout aussi politiquement signifiant » [7] selon l’adage « qui dénomme domine » [8] et les changements toponymiques, ou le cycle de vie d’un toponyme, sont avant tout liés au politique [9]. C’est une des raisons pour lesquelles les pouvoirs locaux « s’emparent du champ toponymique pour opérer un marquage symbolique, idéologique ou mémoriel du territoire en des hauts lieux, voire les banaliser ou les dés-historiciser, ou encore pour légitimer ou justifier une création spatiale » [10]. Pourtant, les toponymes s’avèrent relativement stables. Il est donc intéressant de s’y arrêter quand ils subissent des modifications car le nom d’un lieu constitue toujours un « enjeu, dans la mesure où son choix met en présence différents acteurs, divers projets, et des représentations identitaires ou fonctionnelles souvent conflictuelles » [11] . Ces enjeux peuvent être exacerbés quand ils portent sur des quartiers stigmatisés faisant l’objet de stratégies de banalisation et de revalorisation, mêlant à la fois questions identitaires et mémorielles – réparation et reconnaissance des territoires et des individus – mais aussi des stratégies politiques comme le démontrent les tribulations nominatives du grand ensemble des 4 000 à La Courneuve.

2Les 4 000 s’avèrent exceptionnels à plusieurs niveaux. Ce nom a tout d’abord acquis un statut de premier plan dans l’histoire urbaine de la seconde moitié du xxe siècle et dans l’imaginaire social. Il a eu droit à une couverture médiatique importante et, en 40 ans, a fait maintes fois la « une » des grands quotidiens nationaux, finissant par condenser toutes les représentations négatives attachées aux grands ensembles, et incarner un stéréotype péjoratif [12]. C’est aussi le lieu d’un grand projet urbain pensé dès la fin des années 1970, fondé entre autres sur l’usage de la démolition et un travail de communication tentant de le faire disparaître nominativement et physiquement. Il est aujourd’hui largement amputé et ses grandes barres de plus de 300 logements ont pour la plupart disparues : Debussy (1986), Presov et Ravel (2004), Balzac (2011), et le Petit Debussy (2016-2017). Celles qui subsistent – le Mail de Fontenay et Robespierre – sont promises à la démolition dans le cadre du nouveau Programme national de renouvellement urbain (2019). Pourtant, une rapide recherche sur internet montre la résurgence périodique de l’usage de ce nom, aussi bien par des acteurs extérieurs que par des acteurs locaux. Notre objectif est donc de questionner les enjeux de nomination en termes de pouvoir, d’identité et de capacité à transformer, voire faire oublier, un territoire stigmatisé et d’interroger ces enjeux toponymiques à travers la survivance d’un nom, voire la superposition de plusieurs noms pour un même lieu, malgré la disparition matérielle de l’objet. Plus largement, comment expliquer la persistance de l’usage d’un nom face à la dissolution physique du lieu qu’il est censé nommer, la survie d’un nom sans la chose et son pouvoir à la faire exister ? Comment interpréter ces décalages entre l’histoire d’un nom, ses usages et les objets qu’il désigne ? Est-ce une simple affaire de temporalité ou le reflet de l’inadéquation des nouveaux toponymes à incarner un lieu ? Dans ce cas, sur quoi peuvent se fonder la légitimité de nouveaux toponymes et les raisons de leur succès, c’est-à-dire de leur appropriation ?

Associer le nom et la chose ou quand un nombre devient un nom propre...

3Dès sa conception, le grand ensemble de La Courneuve paraît souffrir d’un problème de nomination. La construction des 4 000 logements commence à la fin des années 1950 selon les plans des architectes Clément Tambuté et Henri Delacroix sur les derniers grands terrains libres de la commune, 38 hectares de terres agricoles acquis de manière dérogatoire par l’Office HLM de la Ville de Paris (OPHLMVP). Les mairies communistes ayant fait de la crise du logement leur cheval de bataille et souhaitant développer un programme de logements sociaux, cette construction par l’office parisien constitue un échange de bons procédés [13].

4Dans les revues d’architecture, le grand ensemble encore en projet est décrit comme une cité modèle, mais une cité sans nom. De 1959 à 1962 il est désigné sous l’appellation vague de « centre urbain HLM » ou encore « ensemble urbain », divisé en une « zone sud » et une « zone nord » [14]. Le contexte de sa conception et de sa réalisation est présenté comme exceptionnel :

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« La conception d’un ensemble de cette importance ne peut être guidé que par des principes qui s’écartent sensiblement de ceux qu’on applique à une construction de moindre envergure, tributaire d’un environnement, d’une ville généralement préexistante [...] On a créé en même temps que les logements des équipements généraux assez diversifiés pour que le nouveau centre urbain possède sa vie propre. On a d’ailleurs essayé de donner à ces équipements un caractère attractif propre à estomper le mirage parisien. » [15]

6Toutes les précautions paraissent avoir été prises : un seul office a confié l’ensemble des études à une même équipe d’architectes afin que « la conception architecturale soit en accord avec l’esprit de celle qui a guidé les recherches relatives aux bâtiments d’habitation » et, « pour la première fois [...] les liaisons nécessaires avec les diverses administrations intéressées [...] pour que le financement de tous les services ou établissements d’intérêt commun soit effectué au fur et à mesure de la construction des bâtiments d’habitations » [16]. Seules réserves, la hauteur et la densité des bâtiments : 11 bâtiments de 16 niveaux, 19 bâtiments de 5 niveaux et une tour de 27 niveaux. Elles sont justifiées par une forte occupation au sol due à la présence de nombreux équipements (centres commerciaux, équipements scolaires, administratifs, sociaux, chapelle et église, parkings et garages, terrains de jeux, etc.) dont le programme de construction « a été progressivement défini, à la suite de contacts fréquents avec les divers organismes intéressés et une enquête auprès des représentants de la municipalité », complété par la suite par une « enquête très documentée sur les besoins de la cité » menée par le Centre d’études des équipements résidentiels. La construction et la mise en œuvre rapide, grâce à l’adoption d’un procédé de préfabrication lourde – le procédé Estiot – permettent l’édification du grand ensemble en seulement dix ans et l’emménagement des premiers locataires dès 1963, représentatif de cet « urbanisme du temps court » selon l’expression d’Éric Langereau [17].

7L’OPHLMVP, face à l’obligation de nommer ce nouveau territoire urbain qui ne dépend pas de ses limites communales, associe simplement la chose et le mot, le nombre de logements devenant le nom propre du lieu, pur produit de ce que Christian Topalov appelle « la langue administrante » des planificateurs et des administrateurs dont la visée est avant tout organisatrice. Divisé entre « 4 000 Nord » et « 4 000 Sud », il voit son identité fondée sur un rapport quantitatif et sur des points cardinaux, ce qui lui confère une allure cartésienne et rationnelle proche d’un modèle scientifique. Ce langage technique et technocratique est de facto en complète rupture avec l’histoire et la culture locales [18]. La banalité de la désignation tourne le dos à la référence toponymique locale, à un rapport historique ou géographique, à une mémoire, à une filiation et relève d’une démarche purement descriptive et aseptisée. Son nom ne fait que renforcer le caractère hors-sol du grand ensemble comme le confirme Bernard Barre, responsable du Service urbanisme de La Courneuve de 1974 à 2005 :

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« Les noms ‘‘4 000 Nord’’ et ‘‘4 000 Sud’’ viennent de ce que les ‘‘4 000 Nord’’ sont plutôt au nord des ‘‘4 000 Sud’’, alors que ce sont les quartiers ouest. Même la toponymie vient de l’opération. Ils se sont appelés comme ça parce qu’ils ne savaient pas où se poser. » [19]

9Cette qualification quantitative souligne d’abord l’ambition d’un programme, d’une forme et d’un mode de production : construire plusieurs milliers de logements sur un terrain agricole, de toute pièce, en rupture avec un passé dont on ne tient pas compte, pour mieux incarner la modernité, le progrès, la matérialité.

10Dans la presse nationale, le nom de ce nouveau territoire – ou plutôt l’absence d’un « véritable » nom – est rapidement relevé et identifié comme symptôme, révélateur des maux dont souffrirait le grand ensemble. En 50 ans, les « 4 000 » ont eu droit à une couverture médiatique exceptionnelle au point que la cité soit « connue de tous les Français » (Révolution, 24 juillet 1986) : pas une seule critique ne lui est épargnée. Son nom se trouve réactivé autour de trois grands types d’événements : faits divers violents, visites d’hommes politiques et démolitions. Fait peu courant, il n’a pas bénéficié de « période de grâce ». Dès sa création, il fait face à un ensemble de représentations négatives, univoques, présentant ce territoire comme le lieu d’expression de la délinquance, de l’insécurité et de la violence urbaine [20]. Ainsi, la « cité bleue » est décrite dès 1964 dans France-Soir comme un « lieu problématique » avant même son achèvement : « La cité des 4 000 logements est neuve, confortable et bien conçue. Mais alors, qu’est-ce qui ne va pas ? » [21] Certains articles reviennent sur ce nom, donnant l’impression d’une simple addition de logements, une idée de gigantisme et d’un tout indifférencié. C’est « la cité des 4 000 logements, Un drôle de nom. Ou plutôt, même pas un nom » (Combat, 8 mars 1971) ou encore « cité sans nom, sinon ce chiffre tout rond qui en dit long » (Le Monde, 20 janvier 1980). En effet, dans les années 1970, les journalistes utilisent indifféremment « les 4 000 logements » et les « 4 000 » pour ensuite ne retenir que le nombre. En 2000, à l’occasion de la démolition de la barre Renoir, Paul Chemetov écrit :

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« Ce que l’on explose aujourd’hui, c’est aussi cette société qui marchait au son des marches militaires, cette gonflette technocratique qui se shootait au culte de la planification, de la statistique, des chiffres. D’ailleurs les 4 000 , ce n’est pas un nom, c’est un numéro, comme dans un camp de concentration [...] Fabriquer des barres, c’était un choix technique et politique [...] C’était de l’urbanisme insensé. » [22]

12Il est rarement présenté comme un lieu de vie et, pour renforcer cette démonstration, les métaphores d’ordre médical sont légions. Elles apparaissent dès les années 1960 et se perpétuent dans les articles plus récents : les bâtiments ne sont pas seulement « laids », ils sont « sales » (Combat, 8 mars 1971) voire « lépreux » ; on y voit « de grandes lézardes sur des murs crasseux » (L’Humanité, 21 août 1976) ; les 4 000 sont un « abcès », une « plaie », une « gangrène ». On « dénombre ses maux »... Il constitue un « grand ensemble malade » (Témoignage chrétien, 13 novembre 1988). Par extension, ses habitants sont eux-aussi malades, souffrant d’un ensemble de pathologies modernes : « l’anonymat », « la solitude »... Le grand ensemble constitue un non-lieu, une « cité sans âme » (Le Figaro, 8 mars 1971), on ne peut qu’y survivre et vouloir en partir ou pire : « Myriade de fenêtres derrières lesquelles on vit nombreux et d’où trop souvent on se suicide » (Combat socialiste, 3 mars 1981) et on s’étonne « presque de voir sortir des gens correctement habillés », (Le Monde, 20 janvier 1982). Ce nom répété et les représentations négatives qui y sont associées finissent par acquérir une dimension performative [23]. Seule solution pour sauver un corps malade : l’ablation. Les démolitions sont présentées comme « inévitables », « l’acharnement thérapeutique finit par devenir insupportable aux habitants et à leurs élus » (L’Express, septembre 2004) : réduire le nombre, amputer, permettrait de réduire ses maux. La presse spécialisée n’est pas en reste et dès 1978 la revue Habitat pose cette question : « Faut-il réhabiliter ou détruire ? [...] Pour la revalorisation de l’image de marque des HLM, à quand de grandes actions plus spectaculaires, comme la destruction et la reprise à zéro de La Courneuve ? » [24]

L’effacement nominatif comme élément de reconquête urbaine

13Pour la municipalité de La Courneuve, les représentations et discours concernant les 4 000 ont largement évolué en 50 ans et laissent une grande place aux questions toponymiques à travers les projets urbains déployés sur ce territoire, comme le révèle la lecture du journal de la ville. D’abord appelé Journal de La Courneuve puis Regards, son ancienneté fait sa richesse, le journal municipal étant antérieur à la construction des 4 000. Ce support, fréquemment critiqué car suspect d’être un simple vecteur de la promotion politique du maire, s’inscrit dans un champ de contraintes le dévalorisant de facto[25]. Il est pourtant d’une grande richesse dans le cadre d’une étude sur le pouvoir des mots et des actes de langage, révélateur des représentations, des enjeux de communication fondés sur un imaginaire puisant dans un temps long mais aussi des stratégies à plus court terme. Distribué gratuitement dans les boîtes à lettres, les salles d’attente, les lieux publics, il constitue parfois l’unique source d’information locale pour les habitants. Internet n’a pas bouleversé sa domination, le site de la mairie proposant le bulletin en ligne et un archivage de ses anciens numéros depuis juin 2000. Pour Jean de Legge,

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« la première fonction de la presse des collectivités est de produire un territoire d’appartenance, c’est-à-dire d’imposer comme principale identité collective une identité territoriale [...] Une deuxième caractéristique [...] et une des clés de sa réussite, est sa positivité, c’est-à-dire sa capacité à valoriser la richesse et les ressources du territoire et à mettre en scène des habitants heureux, des acteurs tout à leur dévouement et leur compétence. Cette presse du bonheur construit un territoire idéal auquel les habitants sont appelés à s’identifier » [26].

15Un des objectifs des élus municipaux par l’intermédiaire de ces journaux est donc de créer un sentiment de mémoire partagée. Les journaux municipaux participent, d’une certaine façon, à la création de souvenirs collectifs et individuels dans le but de favoriser le lien social mais aussi de faire exister le local [27]. Il constitue de ce fait un levier politique essentiel. Son dépouillement permet donc de rendre compte d’un discours officiel – d’une doxa – qui s’avère à La Courneuve bien moins linéaire qu’il n’y paraît. Ainsi, les 4 000 ont été successivement la fierté de la commune puis l’incarnation de la lutte contre le pouvoir parisien et la politique du logement menée par les gouvernements successifs et enfin le symbole de la reconquête du territoire sur Paris et d’une nouvelle politique urbaine à travers un projet urbain ayant pour ambition d’intégrer les 4 000 à la ville. À chaque fois, les questions toponymiques sont particulièrement présentes.

16Une première période, assez courte, correspond à une représentation purement positive du grand ensemble dans le journal municipal. La priorité paraît être à l’accueil des nouveaux habitants et à la construction des aménagements urbains et des équipements nécessaires. Dans un texte assez lyrique, Jean Houdremont, le maire communiste de l’époque, leur souhaite la « bienvenue ! » (La Courneuve, décembre 1963). Les 4 000 logements incarnent à ce moment la modernité comme le souligne les nombreuses publicités parues dans les années 1960. Le grand ensemble – ou ses éléments séparés comme la tour des « 4 000 sud » et son centre commercial – deviennent des symboles de la ville.

17Cependant, dès la fin des années 1960, des dysfonctionnements lourds apparaissent : de nombreuses malfaçons se font voir rapidement, les impayés sont nombreux et l’OPHLMVP, en procès avec le constructeur, délaisse l’entretien des immeubles et la maintenance des équipements, accélérant la dégradation des bâtiments. S’engage alors une lutte entre la municipalité et l’office jusqu’au milieu des années 1980. Le site est perçu comme extra-territorial de manière physique par sa coupure avec le reste de la ville, domaniale par son appartenance à l’OPHLMVP, et sociale, par le fait qu’il continue d’accueillir peu de Courneuviens mais une majorité de « population indésirable » dans la capitale alors que dans les faits, il abrite 43 % des habitants de La Courneuve. La mairie demande tout d’abord à récupérer la voirie en toute propriété puis les logements sans contrepartie. Elle exhibe les « plaies » du grand ensemble – « la misère moderne dans des ruines modernes » [28]– et en rend l’Office, le Maire de Paris et le pouvoir étatique co-responsables. Ces multiples adversaires finissent par n’en former qu’un seul et dessiner clairement un « eux » et un « nous », renforçant une identité collective. En même temps que la demande de dévolution, dès 1978, alors que le grand ensemble appartient toujours à l’OPHLMVP, la municipalité milite pour « la rénovation du grand ensemble » et, à la suite d’un concours d’urbanisme, fait le choix en 1981 d’une rénovation lourde. Ce projet entrainait la démolition de 1 400 logements, situés notamment dans les barres de 16 niveaux « qui présentaient les plus graves défauts d’habitabilité », et « qui projetaient leur image sur la cité toute entière et fermaient la cité à la ville » [29].

18Durant les années 1970-1980, plusieurs événements permettent donc d’annoncer la disparition des 4 000 ou d’un de ces éléments. La dévolution (la ville de Paris rétrocède le grand ensemble à La Courneuve) en constitue la première occasion : « Les 4 000 n’existent plus ! » proclame le journal municipal ou encore « 1984, le nouveau départ d’un quartier courneuvien » [30]. Le transfert des 4 000 à l’OPHLM de La Courneuve doit faire « disparaître les 4 000 logements » qui « deviennent des quartiers comme les autres » [31] . La seconde occasion en est ce grand projet de « reconquête urbaine », dans lequel l’annonce de la disparition des 4 000 est centrale. Ce projet, qui passe par la démolition, seul moyen de « rompre l’image du ghetto » [32], s’inscrit dans la double volonté d’un effacement des 4 000 et d’un morcellement de ce lieu en plusieurs quartiers bien distincts permettant la naissance de nouveaux territoires non stigmatisés.

19Il s’accompagne d’un véritable travail de communication basé sur de nouvelles nominations. Les « 4 000-Sud » se divisent en de nouvelles entités distinctes : le quartier de « la Tour-Balzac », « le quartier de Braque-Orme seul », « le quartier des Clos »... mais la rupture est ici partielle, le choix étant de s’inscrire soit dans une néo-toponymie plutôt neutre (les Clos, l’Orme seul), soit de reprendre le nom de certains éléments du grand ensemble. L’annonce de la disparition des 4 000 ou d’un de ses éléments favorise l’usage des champs lexicaux de la mort, de la naissance et de la résurrection [33]. Ainsi, la démolition de la barre Debussy donne « naissance » à un nouveau quartier : « L’Orme seul prend racine [...] sur les 70 000 tonnes de gravats de la barre Debussy, l’Orme seul est bien autre chose qu’un simple substitut, destiné à masquer on ne sait quel sombre passé. » [34] Face au stigmate nominal [35], provoquer la disparition du nom paraît auréolé du même pouvoir quasi-immédiat et quasi-magique que l’on accorde au pouvoir des mots et à ceux qui les énoncent [36]. La croyance dans la force de la disparition du mot est donc à mettre en parallèle avec la croyance dans le pouvoir des mots. La question ici du débat autour de l’origine du pouvoir des mots – l’existence d’une puissance propre du langage ou une conséquence de la position sociale et de la légitimité du locuteur – ne se pose même pas : les 4 000 sont devenus un nom chargé de sens et ce nom est prononcé par des agents sociaux, pouvoir local et médiatique, incarnant une puissance symbolique remarquable. À l’échelle du territoire, déjouer la stigmatisation des quartiers sensibles est donc passé aussi « par le déploiement de stratégies langagières » [37], l’effacement nominatif devenant un des leviers de la reconquête urbaine au même titre que la démolition. Dans notre cas, il présentait le double avantage de pouvoir gommer la stigmatisation et diluer le grand ensemble au sein de la commune, le nom renvoyant l’image d’un espace urbain à part, même si, dans les faits, chaque barre pouvait former un monde en soi pour ses habitants. Le « tout » perçu comme une entité autonome avec son identité propre pouvait se diluer en autant de nouveaux quartiers « comme les autres » au sein de La Courneuve. L’objectif était de faire « oublier » les 4 000, banaliser ce lieu et participer à sa dilution symbolique [38]. Mais dans ce cas, comment expliquer la survie de ce nom ?

La puissance évocatrice du nom malgré l’effacement physique : un nom peut-il ne pas disparaître ?

20Une première hypothèse est que la « puissance évocatrice » des 4 000 et sa capacité à ne pas disparaître sont d’abord une conséquence de la réactivation régulière de l’usage de ce nom par des récits émanant d’acteurs extérieurs. Un premier champ s’impose en priorité : celui des récits médiatiques. L’évocation des 4 000 permet encore aujourd’hui de garantir un impact à tout article publié. À l’inverse, les nouveaux toponymes issus du projet urbain tels que le « quartier des Clos » ou de « l’Orme seul » ne renvoient à rien dans l’imaginaire social. Cette logique imparable s’applique d’ailleurs quel que soient les visées de ces articles : la recherche du sensationnel ou une rupture affichée avec ces pratiques [39]. Trente ans après l’étude de Christian Bachmann et Luc Basier mettant en lumière la stigmatisation urbaine et sociale dont avait souffert le grand ensemble, leurs conclusions s’avèrent donc toujours d’actualité [40]. Ces représentations médiatiques sédimentées ont même fini par inscrire ce nom dans un processus d’« antonomase », selon l’expression d’Henri Boyer : le nom devenu un toponyme notoire sert, en tant que repoussoir, à nommer d’autres lieux qu’on vise à catégoriser. Dans ce cas, le grand ensemble n’a même plus besoin de faire parler de lui pour qu’on parle de lui. Un second champ participe à cette réactivation de l’usage du nom : le monde artistique qui a trouvé dans les 4 000 un magnifique lieu d’inspiration. Très régulièrement, le grand ensemble a fait l’objet de projets artistiques largement publicisés [41], qui peuvent même se rejoindre temporellement : ainsi le film documentaire d’Audrey Espinasse et Sami Lorentz en 2015 associe les photographies de Sebastiao Salgado prises en 1978 aux paroles d’une habitante racontant ses souvenirs d’enfance [42].

21Nous pouvons y ajouter enfin le rôle du monde scientifique et notamment le champ de la recherche en sciences humaines et sociales qui, lui aussi, participe directement de ce grand récit en prenant « ce quartier dont on parle » [43] comme laboratoire et terrain d’étude, et dont l’histoire des effets sur les représentations restent encore à faire. Enfin, un dernier monde est à évoquer : le champ administratif et technocratique, les 4 000 relevant des territoires emblématiques de la politique de la ville en tant que quartier prioritaire ciblé par des projets d’intérêts nationaux. Malgré les démolitions, ils constituent toujours une entité présente dans les atlas et découpages territoriaux : le nom des « 4 000 » apparaît dans le SIG (système d’information géographique) de la politique de la ville, dans l’atlas des ZUS 2015 [44], l’atlas des ZFU (zone franche urbaine), etc. Les nouveaux toponymes ne sont jamais mentionnés. Cet inventaire rapide s’avère partiel : nous pourrions y ajouter par exemple la promotion des visites patrimoniales organisées par le Comité départemental du tourisme de Seine-Saint-Denis. Ici aussi, il s’agit de visiter le grand ensemble des 4 000 et non le quartier des Clos ou de la Tour [45].

22Le nom des « 4 000 » résiste donc dans l’imaginaire urbain et les représentations sociales car il est devenu un symbole, un emblème, un étendard dans des champs très divers. Ce statut le rend présent dans les discours et ce nom est régulièrement « convoqué » pour des motivations et des « combats » qui le dépassent largement. À l’inverse d’un « territoire sans nom », les appellations se stratifient et sont choisies selon les acteurs et objectifs visés comme si sa « charge symbolique », son importance urbaine et sociale en faisaient un morceau urbain qui ne pouvait disparaître.

Fragilité des noms, fragilité des lieux ?

23Plus curieusement s’avère être la réactivation de ce nom dans les discours émanant de la municipalité et l’agglomération de Plaine-Commune, ce qui à première vue s’inscrit à l’encontre des intentions du projet urbain impulsé depuis 40 ans. Ainsi, le Journal du PLU de janvier 2016 évoque « les habitations et espaces publics renouvelés aux 4 000 » [46]. En janvier 2018, le journal municipal s’interroge sur le devenir de la dernière barre des « 4 000-Sud » : le Mail de Fontenay. L’OPH 93 précise à cette occasion : « On vise une réhabilitation ambitieuse, symbolique pour ce bâtiment qui est le dernier des 4 000 et qui se trouve au cœur d’un quartier neuf. » [47] Dans Quartiers d’avenir, journal relatant l’avancée des travaux de rénovation urbaine, une page était consacrée au « quartier ouest ». En 2010, le maire de La Courneuve Gilles Poux déclarait : « Voilà plusieurs années maintenant que la municipalité s’est fortement engagée pour une transformation profonde de ce qui est encore appelé les ‘‘4 000 Sud’’. Les secteurs de la Tour ou des Clos en témoignent désormais. » [48] Ce quartier ouest, appellation très certainement provisoire, serait donc constitué par les restes des « 4 000 Sud » en lieu et place des barres Balzac (démolie en 2011) et du Petit Debussy (démolie en 2016). En septembre 2012, la municipalité évoque encore « les 4 000 sud du quartier ouest » [49]. Mais le caractère versatile des dénominations est présent dès les années 1990, mêlant allègrement le tout et ses parties, les mêmes lieux pouvant devenir « secteur », « quartier », « barre » comme dans un jeu de poupées russes. Le journal municipal évoque ainsi « le quartier de la Tour », « Braque-Orme seul », « la Tour-Braque », « le quartier Balzac » [50] ou encore les « secteurs Braque, Debussy et Balzac » [51], le « quartier Presov » [52] etc. Nous savons que la bi-nomination d’un même lieu est fréquente quand usage populaire et usage officiel s’affrontent [53] mais le cas est ici différent : c’est un même locuteur, le pouvoir local, qui convoque différents noms – le tout ou une de ses parties – au gré du temps et des projets. Les nouveaux projets d’aménagement urbain continuent de brouiller cette question toponymique, les découpages opérationnels s’appuyant sur le nom des barres démolies à l’exemple du « programme Ravel » de Plaine Commune Habitat et des « jardins de Presov ». L’objectif explicite est ici de vouloir conserver des « traces symboliques – un morceau de pierre, un aménagement paysager – qui rappelleront par exemple l’emplacement des fondations des anciennes barres, entre les espaces construits. Il ne s’agit pas d’ériger un monument, mais de dire simplement : ce lieu, avant d’être tel qu’il est aujourd’hui, a vécu autre chose » [54]. L’extrême fragilité des noms ne fait que retranscrire ici la fragilité des lieux qui subissent le chantier dans un temps long, la notion de temporaire s’exprimant aussi à travers la fluctuation des nominations. Tout devient provisoire, mouvant, les bâtiments, les limites et les noms... La survie de cette appellation des « 4 000 » finit par incarner le seul élément stable dans ce monde marqué par le transitoire.

Figures

1, 2, 3 : Les « 4 000 » à La Courneuve, 2019, clichés Valérie Foucher-Dufoix.

1, 2, 3 : Les « 4 000 » à La Courneuve, 2019, clichés Valérie Foucher-Dufoix.
1, 2, 3 : Les « 4 000 » à La Courneuve, 2019, clichés Valérie Foucher-Dufoix.
1, 2, 3 : Les « 4 000 » à La Courneuve, 2019, clichés Valérie Foucher-Dufoix.

1, 2, 3 : Les « 4 000 » à La Courneuve, 2019, clichés Valérie Foucher-Dufoix.

Quand il ne reste que le nom...

24Plusieurs hypothèses pourraient expliquer à la fois cette persistance du nom et ces superpositions de nomination pour un même lieu. Premièrement, le projet urbain bien que présenté comme volontariste et linéaire, s’avère dans les faits ponctué de promesses de démolition, puis de réhabilitation et de nouveau de démolition, des solutions présentées à chaque fois comme la meilleure et seule solution envisageable. Malgré la relative continuité de l’équipe municipale, ce projet aurait souffert de « dissonances cognitives » selon les termes d’Agnès Berland-Berthon [55], une impossibilité de concilier des choix et volontés contradictoires dans un climat d’incertitudes rendant impossible le maintien d’une ligne claire : difficultés financières de l’office municipal, liées à la dévolution s’avérant une charge trop lourde pour la municipalité, aux impayés et à la vacance, à la nécessité de construire de nouveaux logements pour les populations déplacées, dépendance aux politiques de la ville successives, difficultés politiques face aux incertitudes des changements sociaux qu’entraînerait la démolition et aux risques de perdre un vivier électoral. Le temps long et les allers retours du projet ont certainement contrarié cette « rupture » tant escomptée pour banaliser nominativement ce territoire, d’autant que les populations des barres démolies ont souvent été relogées dans les barres restantes. Ils ont été au contraire le terreau de la survie du nom d’origine et de la superposition des toponymes d’autant plus qu’il s’avère difficile pour une municipalité de prôner un discours de rupture à travers les notions d’effacement et de disparition. Il est nécessaire de s’inscrire dans la continuité et la pérennité et de favoriser l’idée d’une transmission pour ménager les populations en place. Le maintien et la perpétuation d’un nom permettent d’incarner une forme de stabilité, voire la dernière forme de stabilité, dans un territoire en forte transformation.

25Deuxièmement, le nom des « 4 000 » est devenu un étendard. Il peut incarner l’idée du combat, d’un affrontement entre dominés et dominants pour une des dernières mairies communistes. Ainsi, Gilles Poux, maire de La Courneuve, a convoqué le nom des « 4 000 » lors de son dépôt de plainte auprès de la HALDE en mai 2009, pour dénoncer plus largement la discrimination territoriale dont souffrent certains territoires. Ce nom a le double avantage de témoigner de l’évolution des formes matérielles et sociales de certaines banlieues françaises et de réactiver la mémoire d’une histoire conflictuelle, une mémoire des luttes et des faits d’armes de la mairie communiste. Dans ces communes où il ne reste plus grand-chose des symboles physiques d’une identité populaire et migratoire, le nom du grand ensemble incarne un des derniers symboles de cette histoire en train de disparaître et peut encore la matérialiser. Le nom, après avoir incarné un stéréotype négatif, devient un « totem » au sens d’Émile Durkheim [56], l’objet qui relie les membres d’un clan, qui devient le symbole du clan.

26Troisièmement, à une échelle locale, le nom des « 4 000 » permettrait de maintenir une mémoire et de faire mémoire autour de lieux disparus [57]. La municipalité, comme tant d’autres pouvoirs locaux, a eu recours depuis 20 ans à la mémoire en tant qu’instrument de politique territoriale et de cohésion sociale, et ces opérations mémorielles se sont banalisées dans le cadre des programmes de démolitions : la fabrication d’une histoire commune et son partage étant perçus, parfois non sans cynisme, comme un facteur de citoyenneté locale [58]. Gilles Poux, dès le début des années 2000, insistait sur l’importance de la mémoire urbaine pour « redonner du sens » et des « racines collectives » [59]. Mais un des effets paradoxaux de ces travaux mémoriels, qui ont pour mission de faciliter le deuil des bâtiments disparus, est très certainement d’entretenir la mémoire d’un nom que l’on veut effacer. Face à la dématérialisation des 4 000, le nom en tant que trace permet de continuer à se raconter et à fixer le passé [60], la mémoire des lieux pouvant s’inscrire à travers des objets matériels [61] et immatériels [62]. La survie du toponyme deviendrait ici l’expression et le support d’une « mémoire vivante » [63], concept utilisé par Michel Verret pour qualifier la manière dont les catégories populaires inscrivent le passé dans les corps, dans les gestes, dans le langage.

27Enfin, nous pouvons faire l’hypothèse – plus fragile peut-être – que la force de la forme urbaine du grand ensemble puisse laisser son empreinte malgré la démolition et former un paysage invisible [64] : il y aurait alors une persistance langagière et rétinienne des 4 000. À l’échelle locale, c’est d’abord l’invisibilité des supports spatiaux de ce passé qui frappe. Mais le souvenir de lieux disparus peut prendre la forme d’une mémoire commune de l’espace, une mémoire topographique [65]. Ces lieux disparaitraient tout en restant présents, une mémoire des barres détruites telles des fantômes ou à la manière de ces membres amputés qui continuent à être ressentis. Ces barres et ces tours détiendraient le pouvoir, peut-être plus important que d’autres formes urbaines, de s’imprimer dans les mémoires collectives favorisant aussi la survie du nom.

28Ce lieu n’existe plus dans sa totalité mais son nom est bien présent dans les mémoires et les récits élaborés à la fois de l’intérieur et par l’extérieur. La persistance de son usage est le résultat d’une sédimentation de la mémoire urbaine dans laquelle ce nom est à la fois un enjeu et un instrument mais elle montre aussi les capacités hors du commun de ce lieu à continuer à exister comme stéréotype négatif, totem ou support mémoriel dans les textes et l’imaginaire urbain. Ce territoire, loin d’être un territoire sans nom [66] se caractérise par la survie de son toponyme sans la chose qu’il désignait [67] et par une addition de noms rencontrant plus ou moins de succès. Les apparitions, disparitions et résurrections d’un nom, qui relève avant tout du registre politique, souligne la difficulté de donner de nouveaux noms sur les décombres de réalités préexistantes et sur les enjeux que cela soulève en terme de conflits, d’impositions, de détournements, de résistances, d’adaptations et d’appropriations au point que nous pouvons nous demander si les « 4 000 » n’ont pas acquis un tel pouvoir évocateur, ce qu’Alfred Métraux nommait la « puissance évocatrice » [68], qu’ils ne puissent disparaître.

29Plus largement, l’usage du nom et les difficultés d’imposer de nouvelles nominations nous permettent simplement de rappeler le rôle du langage et de la toponymie comme vecteur de transmission de la mémoire des lieux et sa réactivation notamment quand ces lieux ont disparu. C’est l’une des nombreuses manifestations de la force symbolique des noms comme le soulignait Julien Gracq : « C’est la toponymie, ordonnée comme une litanie, ce sont les enchainements sonores auxquels procède à partir d’elle la mémoire, qui dessinent sans doute le plus expressivement sur notre écran intérieur. » [69]

30Enfin, depuis maintenant plus de 40 ans, la démolition est utilisée comme un outil de projets urbains. Pourtant, elle montre ici ses limites comme acte « cathartique » et comme « effaceur de traces » [70]. Si on accepte l’idée qu’un nom ne se contente pas de désigner un ensemble mais a un pouvoir formatif, c’est-à-dire le pouvoir de faire exister ce qu’il prétend nommer, le simple fait de continuer à désigner un lieu par son nom participerait à le faire exister indépendamment de son amputation physique. Le changement de nom incarne la volonté d’un changement d’images mais dans le cas des 4 000, nous voyons les limites de la part de magie que l’on accorde à un nouveau nom dans sa capacité à effacer les stigmates et à banaliser un territoire souffrant d’un trop plein de représentations. Nous pouvons en déduire aussi une limite en la puissance symbolique du pouvoir politique de nommer.

Notes

  • [1]
    Lucille Bonthoux-Solari, « L’inéluctable dramaturgie de la destruction », Cahiers thématiques « L’architecture et la disparition », no 16, janvier 2017, p. 75-81 .
  • [2]
    Voir à la suite de l’article « fondateur » de Jean-Charles Depaule et Christian Topalov, « La ville à travers ses mots », Enquête, no 4, 1996, p. 247-266 : Hélène Rivière d’Arc (sous la direction de), Nommer les nouveaux territoires urbains, Paris, Editions de l’UNESCO/Maison des sciences de l’Homme, 2001 ; Christian Topalov (sous la direction de), Les divisions de la ville, Paris, Unesco/Maison des sciences de l’Homme, 2002 ; Paul Ward et François Leimdorfer, Parler en ville, parler de la ville. Essais sur les registres urbains, Paris, Éditions de l’UNESCO/Maison des sciences de l’Homme, 2004 ; Jean-Charles Depaule (sous la direction de), Les mots de la stigmatisation urbaine, Paris, Éditions de l’UNESCO/Maison des sciences de l’Homme, 2006 ; Christian Topalov, Laurent Coudroy de Lille, Jean-Charles Depaule et Brigitte Marin (sous la direction de), L’aventure des mots de la ville à travers le temps, les langues, les sociétés, coll. « Bouquins », Paris, Robert Laffont, 2010.
  • [3]
    Roland Barthes, « La ville », L’Architecture d’aujourd’hui, no 158, décembre 1970, p. 11-13 ; Paul Claval, « Géographie et sémiologie », Espace géographique, 3-2, 1974, p. 113-119 ; Françoise Choay, « Sémiologie et urbanisme », dans Françoise Choay et Reyner Banham (sous la direction de), Le sens de la ville, Paris, Seuil, 1972 ; Henri Lefebvre, Le langage et la société, Paris, Gallimard, 1966.
  • [4]
    Henri Boyer, « Fonctionnements sociolinguistiques de la dénomination toponymique », Mots. Les langages du politique, no 86, 2008, p. 9-20, citation p. 10.
  • [5]
    Claude Levi-Strauss, La pensée sauvage, Paris, Plon, 1962 cité par Emmanuelle Loyer, Claude Lévi-Strauss, Paris, Flammarion, 2015 ; Pierre Bourdieu, « Effets de lieu », dans Pierre Bourdieu, La misère du monde, Paris, Seuil, 2007 [1993], p. 249-262.
  • [6]
    Frédéric Giraut et alii, « Au nom des territoires ! Enjeux géographiques de la toponymie », L’espace géographique, février 2008, p. 97-105, en particulier p. 98.
  • [7]
    Ibidem, p. 97.
  • [8]
    Hélène Rivière d’Arc (sous la direction de), Nommer les nouveaux territoires urbains..., op. cit., p. 50 ; Martin de la Soudière, « Lieux dits : nommer, dé-nommer, re-nommer », Ethnologie française, vol. 34, no 1, 2004, p. 67-77.
  • [9]
    Myriam Houssay-Holzschuch, « Nomen est omen. Lectures des changements toponymiques », L’espace géographique, février 2008, p. 153-157.
  • [10]
    Frédéric Giraut et al., « Au nom des territoires ! », op. cit.
  • [11]
    Ibidem.
  • [12]
    Valérie Foucher-Dufoix, « Le temps de l’événementiel et du sensationnel », dans Alessia de Biase (sous la direction de), Les ré-enchantements de La Courneuve, rapport de recherche issu de l’appel à proposition de recherche « Renouveler et recomposer les quartiers », PUCA, mai 2009. Consultable sur http://www.laa-courneuve.net, p. 425-448.
  • [13]
    Agnès Berland-Berthon, La démolition des immeubles de logements sociaux. Histoire urbaine du non-politique publique, Paris, Certu, 2009, p. 190.
  • [14]
    « La Courneuve. Projet de centre urbain HLM », Techniques et Architecture, no 4, juillet 1959 ; « Projet de centre urbain », Techniques et Architecture, no 1, novembre 1960 ; « La Courneuve », Techniques et Architecture, numéro spécial, 1962.
  • [15]
    « La Courneuve », Techniques et Architecture, numéro spécial, 1962.
  • [16]
    Ibidem.
  • [17]
    Éric Langereau, L’État et l’architecture. 1958-1981 . Une politique publique ?, Paris, Picard, 2001, p. 29.
  • [18]
    Olivier Ratouis, « La fonction crée-t-elle le nom ? Obsolescence et renouveau du vocabulaire urbanistique des aménageurs français des Trente Glorieuses », dans Brigitte Marin (sous la direction de), La ville : les catégories de l’urbain, Paris, Maison des sciences de l’Homme, à paraître.
  • [19]
    Entretien réalisé par Alain Guez (2007) et cité par Alice Sotgia et Sandra Parvu, « Le temps requalifié. Quelques réflexions sur les cycles de construction et de rénovation à la cité des 4 000 », dans Gwenn Gayet-Kerguiduff et Mathilde Lavenu (sous la direction de), Projet et approche(s) du temps, actes du 2ème séminaire inter-école d’architecture du 13 octobre 2015, ENSA-Clermont-Ferrand, p. 121-135.
  • [20]
    Christian Bachmann et Luc Basier, Mises en images d’une banlieue ordinaire. Stigmatisations urbaines et stratégie de communication, Paris, Syros/Alternatives, 1989. L’impact des représentations médiatiques sur un territoire a été abordé de manière plus générale par Patrick Champagne, « La construction médiatique des malaises sociaux », Actes de la recherche en sciences Sociales, 90, décembre 1991, idem « La vision médiatique » dans Pierre Bourdieu, La misère du monde, Paris, Seuil, 1993.
  • [21]
    André Fontaine, « À La Courneuve, livrée tous les soirs aux voyous, pas un poste de police pour les 4 000 logements et bientôt plus de 20 000 habitants », France-Soir, 19 septembre 1964.
  • [22]
    Le Figaro, 8 juin 2000.
  • [23]
    Sur grands ensembles et médias, voir entre autres Julie Sedel, Les médias et la banlieue, Paris, Le bord de l’eau/INA, 2009 et Jérome Berthaut, La banlieue du 20 heures. Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique, Marseille, Agone, 2013.
  • [24]
    « Faut-il réhabiliter ou détruire ? », Habitat, octobre 1978.
  • [25]
    Voir entre autres Pascal Dauvin, « Le bulletin municipal de Rennes, souci du lecteur ou de l’électeur ? », Mots, no 25, décembre 1990, p. 65-79 ; Jacques Gravend, Le journal municipal, Éditions du Centre de formation et de perfectionnement des journalistes, 1991 ; Julie Lux, « Le journal municipal. Recul du politique et affirmation de la communauté », Communications et langages, no 133, septembre 2002, p. 110-133 ; Henri Rey, « Dire le local en banlieue », Mots, no 25, décembre 1990, p. 105-108.
  • [26]
    Jean de Legge, « La presse municipale : état des lieux et méthodologie », La Lettre du cadre territorial, septembre 2003, p. 65.
  • [27]
    Henri Rey, « Dire le local en banlieue », op. cit.,
  • [28]
    Le Journal de La Courneuve, mai 1977.
  • [29]
    James Marson, « La Courneuve, cette ville qui a besoin de tendresse », Revue H, no 72, mars 1982. Il fut le maire de La Courneuve de 1973 à 1996.
  • [30]
    James Marson, « Les 4 000 n’existent plus ! », et « 1984. Le nouveau départ d’un quartier courneuvien », La Courneuve, no 61, avril 1984.
  • [31]
    La Courneuve, avril 1984.
  • [32]
    Regards, novembre 1989.
  • [33]
    La réhabilitation peut être elle aussi un signe de mort et de renaissance comme ce fut le cas à la suite du projet architectural de Laurent Israël transformant la barre Balzac : « Balzac est mort, Vive Balzac ! » ou encore « Le Balzac nouveau est arrivé » dans Regards, novembre 1989.
  • [34]
    Regards, février 1989.
  • [35]
    Nicole Lapierre, dans son étude sur le changement de nom, montre à quel point à l’échelle de l’individu le nom peut devenir stigmate : « Le stigmate nominal est visible comme un trait physique, héréditaire comme une tare, codé comme un symbole et, de surcroît, cristallisé sur le signe le plus patent de l’identification individuelle et sociale » (Changer de nom, Paris, Stock, 1995, p. 288).
  • [36]
    Pour un retour sur ces débats, voir entre autres Judith Butler, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Amsterdam, 1997 et Josiane Boutet, Le pouvoir des mots, Paris, La Dispute, 2010.
  • [37]
    Laurent Coudroy de Lille, « Ville nouvelle ou grand ensemble. Les usages localisés d’une terminologie bien particulière en région parisienne », Histoire Urbaine, vol. 17, no 3, 2006, p. 47-66.
  • [38]
    Barbara Allen et Michel Bonetti, Des quartiers comme les autres. La banalisation urbaine des grands ensembles en question, Étude du Comité de suivi de l’ANRU, Paris, La Documentation française, 2013.
  • [39]
    Ainsi deux journalistes, Aline Leclerc et Elodie Ratsimbazafy, ont produit une série d’articles issue d’une enquête de plusieurs mois et racontent avoir posé « leurs valises aux 4 000 » pour effectuer « des « portraits à hauteur d’homme, des habitants et de leur quotidien » en 2010-2011, voir http://lacourneuve.blog.lemonde.fr.
  • [40]
    Christian Bachmann et Luc Basier, Mises en images d’une banlieue ordinaire. Stigmatisations urbaines et stratégies de communication, Paris, Syros Alternative, 1989 et « Les imageries de La Courneuve : stigmatisation publique et politique locale de communication », dans Les cités en question, actes de colloque aux journées pour la recherche sur les opérations de développement social des quartiers, Plan construction, Paris, 19-20 juin 1986.
  • [41]
    Ainsi, pour les plus connues, la cité sert de cadre au film de Jean-Luc Godard Deux ou trois choses que je sais d’elle (1967). Même si la ville ou le grand ensemble ne sont pas nommés : Aurélie Cardin, « Les 4 000 logements de La Courneuve. Réalités et imaginaires cinématographiques », Cahiers d’histoire, no 98, 2006, p. 65-80. Jean-Gabriel Barthélémy photographie un des halls d’une barre en attente de démolition (Hall de l’immeuble Presov, cité des 4000, La Courneuve, 2002) et l’expose à la BNF en 2006 dans le cadre d’une exposition intitulée Pour une photographie engagée au milieu de photographies de guerre en Irak, en Tchétchénie, au Rwanda et au Libéria. La romancière Sylvie Ohayon a adapté un de ses ouvrages racontant son enfance aux 4 000 : Papa was not a Rolling-Stone en 2014.
  • [42]
    Audrey Espinasse et Sami Lorentz, La Courneuve : les 4 000, Production La Toile Blanche, 2015, en partenariat avec Amazonas, Sebastiao Salgado et le service des Archives municipales de La Courneuve.
  • [43]
    Pour reprendre le titre d’un programme de recherche datant du milieu des années 1990 qui avait pour objectif de mieux connaître les pratiques et représentations dans ces quartiers mais aussi de « remettre en cause la logique de la (mauvaise) réputation qui stigmatise les quartiers », dans En marge de la ville, au cœur de la société. Ces quartiers dont on parle, Éditions de l’Aube, 1997, p. 7.
  • [44]
    Cela peut être largement imputé aussi au peu d’empressement du ministère concerné à actualiser les données. Ainsi, quand on clique sur la carte proposée, les informations datent de 1997 et les données INSEE de 2009.
  • [45]
    « À La Courneuve, la cité des 4 000 se visite en touriste », Le Parisien, 30 novembre 2016. Voir aussi www.tourisme93.com.
  • [46]
    Journal du PLU, janvier 2016.
  • [47]
    « Aussi beau que du neuf ? Aux ‘‘4 000 Sud’’, l’avenir du Mail de Fontenay est au cœur d’importants enjeux urbains et humains », Regards, no 282, février-mars 2009.
  • [48]
    Quartier d’avenir, no 5, avril 2010.
  • [49]
    Quartiers d’avenir, no 9, septembre 2012.
  • [50]
    Regards, no 56, septembre 1991 .
  • [51]
    Regards, décembre 1989.
  • [52]
    Regards, avril 1984.
  • [53]
    Jean-Claude Bouvier et Jean-Marie Guillon, La toponymie urbaine. Significations et enjeux, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 13.
  • [54]
    Gilles Poux, « La Courneuve. Redonner du sens », Travail de mémoire et requalification urbaine. Repère pour l’action, Les Éditions de la DIV, 2007, p. 19.
  • [55]
    Agnès Berland-Berthon, La démolition des immeubles de logements de logements sociaux..., op. cit., p. 199-204.
  • [56]
    Émile Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie, Paris, CNRS Éditions, 2014.
  • [57]
    Margot Delon, « Faire mémoire(s) de lieux disparus. Le cas des bidonvilles et des cités de transit à Nanterre », Ethnologie française, volume 2, 2014.
  • [58]
    Barbara Morovich, « Entre stigmates et mémoire : dynamiques paradoxales de la rénovation urbaine », Articulo. Journal of Urban Research, no 5, 2014. Voir aussi le débat à la suite du rapport de Pascal Blanchard, Histoires, patrimoines et mémoires dans les territoires de la politique, Rapport du ministère de la ville, de la jeunesse et des sports, 2013 (consultable à l’adresse http://www.ville.gouv.fr/?histoires-patrimoine-et-memoires) dans Annie Fourcaut et Thibault Tellier, « Les quartiers populaires vont-ils perdre la mémoire ? », Métropolitiques, 10 janvier 2014 (https://www.metropolitiques.eu/Les-quartiers-populaires-vont-ils.html).
  • [59]
    Voir l’ouvrage associant témoignages d’habitants et photographies avant la démolition de la barre Renoir : André Lejarre, Olivier Pasquiers et Fabienne Thierry, La Courneuve, rue Renoir... avant démolition, Paris, Éditions Le bar le Floréal, 2000. La démolition des barres Ravel-Presov a donné lieu à la création d’un « opéra populaire ».
  • [60]
    La mémoire urbaine des barres Presov et Ravel dans le quartier des Clos à travers les traces laissées à la suite de leurs démolitions s’est matérialisée par la volonté de conserver ces espaces libres et de les transformer en espaces paysagers, voir dossier de presse « Inauguration des opérations les jardins de Presov et Jolio-Curie à La Courneuve » et Regards, no 303, janvier-février 2010.
  • [61]
    Mais aussi Michel Rautenberg, La rupture patrimoniale, Bernin, 2004, p. 13 ; Vincent Veschambre, Traces et mémoires urbaines. Enjeux sociaux de la patrimonialisation et de la démolition, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 275 ; Jean-Luc Piveteau, « Le territoire est-il un lieu de mémoire ? », L’espace géographique, no 2, 1995, p. 113-123.
  • [62]
    Pierre Nora (sous la direction de), Les lieux de mémoire, 3 vol., Paris, Gallimard, 1997 : « Un lieu de mémoire dans tous les sens du mot va de l’objet le plus matériel et concret, éventuellement géographiquement situé, à l’objet le plus abstrait et intellectuellement construit. [...] Un objet devient lieu de mémoire quand il échappe à l’oubli, par exemple avec l’apposition de plaques commémoratives, et quand une collectivité le réinvestit de son affect et de ses émotions » ; Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Seuil, 2000 ; Vincent Veschambre, Traces et mémoires urbaines..., op. cit., p. 186.
  • [63]
    Michel Verret, Chevilles ouvrières, Paris, Éditions de l’Atelier, 1995 : la mémoire ouvrière s’inscrit dans l’espace mais aussi dans les corps à travers les savoirs de travail et les savoirs de lutte.
  • [64]
    Catherine Degnen, « Mémoire des lieux et lien social à Dodworth », Ethnologie française, vol. 37, no 2, 2007 p. 285-293. Sur la formation concrète et imaginée du paysage des 4 000, voir Sandra Parvu, Grands ensembles en situation. Journal de bord de quatre chantiers, Genève, Éditions Metispress, 2010.
  • [65]
    Dans son étude sur les représentations des lieux bibliques en Terre sainte. Maurice Halbwachs, La topographie légendaire des évangiles en Terre sainte, coll. « Quadrige », Paris, PUF, 2008, 1ère édition 1941 : « Ces traditions sur ce qu’on appelle les lieux saints, comment se sont-elles formées ? Quelle en est l’origine ? [...] Tels qu’ils nous apparaissent, [ces objets] résultent eux-mêmes d’une adaptation antérieure des croyances héritées du passé aux croyances du présent, et, en même temps, de celles-ci aux vestiges matériels des croyances anciennes. On remonte ainsi le cours du temps. »
  • [66]
    Michel Marié et Christian Tamisier, Un territoire sans nom, Paris, Librairie des Méridiens, 1982. Un territoire sans nom renvoie à un échec du langage à décrire des phénomènes architecturaux et urbains.
  • [67]
    Éric Chauvier, Les Mots sans les choses, Paris, Allia, 2014.
  • [68]
    Alfred Métraux, Le Vaudou haïtien, Gallimard, Paris, 1958.
  • [69]
    Julien Gracq, La forme d’une ville, Paris, Corti, 1985, p. 204.
  • [70]
    Vincent Veschambre, Traces et mémoires urbaines..., op. cit., p. 91 .
Français

Comment expliquer la persistance de l’usage d’un nom face à la dissolution physique du lieu qu’il est censé désigner, la survie d’un nom sans la chose et son pouvoir potentiel à continuer à la faire exister ? Comment interpréter ces décalages entre l’histoire d’un nom, ses usages et l’objet qu’il désigne ? De nouveaux toponymes peuvent se décréter mais quelles sont les conditions de leur succès, de leur appropriation ? Une simple affaire de temps ? Depuis maintenant plus de quarante ans, certains grands ensembles stigmatisés ont fait l’objet de grands projets urbains. Ils sont fondés sur des stratégies de réparation des territoires et de reconnaissance de ses habitants mais aussi de banalisation passant par l’effacement nominatif et l’imposition de nouveaux toponymes parallèlement à la démolition. Nous proposons de suivre les tribulations nominatives du grand ensemble des 4000 à La Courneuve, des stratégies langagières qui s’y sont déployées et l’existence encore aujourd’hui de la réactivation régulière de ce nom montrant son poids dans l’imaginaire urbain.

Valérie Foucher-Dufoix
École nationale supérieure d’architecture de Paris-Belleville, IPRAUS-UMR 3329 AUSser CNRS
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 30/01/2020
https://doi.org/10.3917/rhu.056.0089
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Société française d'histoire urbaine © Société française d'histoire urbaine. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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