CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Ce livre, qui regroupe quatorze contributions, trouve son origine dans l’une des sessions de la cinquième conférence internationale d’histoire urbaine tenue à Berlin en septembre 2000. Aux communications données à cette occasion ont été ajoutées d’autres contributions, l’ensemble couvrant douze pays européens ou zones limitrophes de l’Europe (Proche-Orient, Sibérie). Il est publié dans la belle collection d’histoire urbaine de l’éditeur britannique Ashgate, que dirigent conjointement Jean-Luc Pinol et Richard Rogers. Profitons de l’occasion pour souligner à quel point ces conférences internationales d’histoire urbaine ont favorisé, depuis leur première édition il y a une douzaine d’années maintenant, les rencontres entre historiens venus de toute l’Europe et permis la publication d’ouvrages comportant des essais sur des pays qui, auparavant, n’apparaissaient que trop peu dans la bibliographie linguistiquement accessible (ici, par exemple, la Finlande, la Tchéquie, la Russie ou le Portugal). Certes, les contributions contenues dans ces livres parviennent rarement à dépasser les frontières des É tats nationaux. Mais telles quelles, ces contributions sont utiles, ne serait-ce que pour alimenter la rédaction de synthèses qui soient, elles, vraiment européennes.

2 Comme le laisse présager le titre, l’ouvrage se situe à l’intersection de l’histoire urbaine et de l’histoire des chemins de fer. L’introduction commence par une critique de l’automobile et du déplacement individuel et par une apologie du transport collectif, et plus particulièrement ferroviaire, peut-être plus militante qu’historienne – mais le propos est sympathique. É voquant ensuite les travaux qui, depuis quelques décennies, ont fait progresser notre connaissances des relations entre villes et chemin de fer (notamment ceux de W. Cronon, J. Kellett, D. Schott ou E. Bendikat), les éditeurs du volume font cependant le diagnostic que de vastes pans du sujet restent à explorer.

3 « Qu’est-ce que les chemins de fer ont changé pour les villes ? » est donc la question que les auteurs du volume avaient été invités à traiter, du point de vue de la topographie et de la morphologie urbaine mais aussi, plus largement, du point de vue social, politique ou culturel. Les études réunies autour de cette très vaste interrogation apportent des éclairages souvent remarquables, qui intéresseront tout autant les spécialistes de la ville, de l’aménagement et du planning urbain, que ceux des chemins de fer. Les « éditeurs » (directeurs du volume) ont groupé les quatorze contributions en deux parties intitulées « Line, Region, City-system » et « The Metropolis and the Railway ».

4 Dans l’essai qu’il consacre à l’Allemagne, Ralf Roth souligne que la question autour de laquelle s’articule le livre, « qu’est-ce que le chemin de fer à changé pour les villes ? », peut avantageusement être retournée sous la forme « qu’est-ce que la ville a changé pour les chemins de fer ? », et tente d’illustrer ce point de vue à l’aide de différents exemples (Berlin, Francfort, Oberhausen, etc.). Henk Schmal évoque les particularités du réseau néerlandais et notamment celles qui découlent de la naissance des conurbations. Michel Tanase explore l’impact des chemins de fer sur la morphologie des villes et des villages de Transylvanie. La contribution de Vilma Hastaoglou-Martinidis couvre une zone géographique allant de la Grèce à l’É gypte et à l’Irak et montre le rôle majeur du chemin de fer pour les villes procheorientales, et notamment pour les ports du pourtour méditerranéen. Aux confins de l’Europe également, c’est à l’impact du Transibérien sur la colonisation de la Sibérie, la construction et l’architecture de ses villes, que s’intéresse Ivan Nevzgodine. Magda Pinheiro montre le rôle des chemins de fer dans la modernisation du Portugal, et plus particulièrement de Porto et Lisbonne. Andrea Giuntini s’intéresse au rôle politique, esthétique et symbolique des gares de trois villes italiennes (Florence, Milan et Rome) et au rôle qu’ont joué les chemins de fer dans leur aménagement.

5 Les contributions de la seconde partie sont centrées sur une ville particulière : Paris pour François Caron (l’importance d’une ville capitale pour un réseau national) Prague pour Alena Kubova (le rôle d’une gare dans l’image d’une ville), Londres pour Neil McAlpine et Austin Smyth (les effets et coûts sociaux des chemins de fer), Dublin Hugh Campbell (groupes d’intérêt et controverses autour de la construction du réseau) pour, Helsinki pour Anja Kervanto Navelinna (le chemin de fer comme mémoire urbaine), Berlin pour Pamela E. Swett (les moyens de transports et leurs stations comme lieux de vie – et de violence – politique et sociale). La dernière contribution, due à Diane Drummond, explore les usages sexués des chemins de fer dans Londres.

6 Ces contributions sont agrémentées d’un très grand nombre de cartes et de photographies. Elles constituent un ensemble d’un grand intérêt, qui remet en cause certaines idées tenues pour acquises à ce jour (celle par exemple, que les villes manifestèrent, dès l’origine, un grand intérêt pour le chemin de fer – l’exemple néerlandais montre l’inverse), fournit des éléments parfois étonnants (voir cette « église mobile » construite chez Putilov en 1896 pour le Transibérien), et des analyses passionnantes (le rôle particulier du chemin de fer dans l’usage que les femmes faisaient de l’espace du Londres victorien, par exemple).

7 Les historiens français se contentent trop souvent, lorsqu’ils « éditent » une collection d’articles issus de présentations faites lors d’un colloque, d’une courte introduction allant de quelques paragraphes à quelques pages. Ralf Roth et Marie-Noëlle Polino ne sont pas tombés dans ce travers et ont rédigé une introduction étoffée. Celle-ci, pourtant, n’est pas le point fort du livre. Si la problématique initiale et la place de l’ouvrage par rapport à l’historiographie existante sont clairement présentées, on aurait aimé trouver, dans la seconde partie de l’introduction, plutôt qu’une série de résumés des chapitres qui suivent, une véritable tentative de synthèse, montrant les connexions entre eux, les similarités et les différences, que ce soit au niveau des méthodes de recherche ou à celui des conclusions. Reconnaissons-le, l’exercice est difficile, car les recherches dont les résultats sont exposés ici n’ont pas été, à l’origine, entreprises dans un but comparatif, ni conduites autour de problématiques identiques. Mais n’est-ce pas le but de ce type d’ouvrages que de tenter, malgré tout, une esquisse de rapprochement, et d’apporter une valeur ajoutée par rapport à la publication isolées des mêmes contributions ?

Geneviève Massard-Guilbaud
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/01/2009
https://doi.org/10.3917/rhu.013.0176
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