CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’existence de prescriptions alimentaires d’origine religieuse est un fait universel et constant. Plus encore que le vêtement, les interdits alimentaires sont un marqueur auquel les sociétés se réfèrent pour identifier les croyances et distinguer les croyants. Cette constatation très banale doit aujourd’hui être complétée par deux observations en apparence contradictoires. La première concerne, dans les sociétés sécularisées de tradition chrétienne, le reflux de la place accordée aux normes chrétiennes et le recul de la capacité des autorités ecclésiastiques à imposer des règles. La disparition dans le catholicisme de l’obligation d’être à jeun avant la communion de l’hostie consacrée par le prêtre durant la messe ou l’interdiction de la consommation de viande le vendredi ont été à la fin des années 1960 les deux manifestations les plus visibles d’une évolution qui semblait annoncer l’effacement des règles alimentaires issues de l’enseignement de l’Église catholique. Mais à l’inverse on a assisté depuis la fin du xxe siècle, dans le judaïsme et dans l’islam, à une augmentation des pressions en vue d’un respect plus scrupuleux des obligations et des interdits. Paradoxe supplémentaire, alors que les sociétés sécularisées s’émancipaient de l’influence du christianisme, elles réintroduisaient dans leur alimentation des prescriptions souvent plus contraignantes que celles fraîchement abandonnées. Au nom de l’esthétique du corps et de la préservation de la santé, ou des deux, sous forme de régimes aux règles contraignantes, de nouveaux interdits ont ainsi surgi et se sont diffusés au nom d’argumentations qui s’apparentent à de véritables croyances.

2La société française est un cas particulier mais remarquable de ces évolutions. L’assouplissement de la discipline catholique a eu pour effet le recul de certaines prescriptions largement partagées par la population au moment où l’implantation de nouvelles religions entraînait la diffusion de nouveaux interdits et où les médias diffusaient un discours qui entend apporter la santé et le bonheur par une alimentation naturelle. Face à la multiplication de demandes individuelles divergentes, l’établissement de menus capables de satisfaire tous les convives ou tous les clients devient un exercice quasi impossible. De nouvelles règles religieuses semblent menacer les traditions culinaires et mettre en danger la convivialité. Elles suscitent un malaise qui incite à revenir aux sources de ces prescriptions alimentaires, à en examiner les fondements et à reformuler les conditions d’une laïcité qui concilie la liberté en matière de croyance et la cohésion de la société.

Le nécessaire retour aux textes religieux fondateurs

3Le premier réflexe de l’historien est de reconstituer le chemin suivi par les interdits alimentaires depuis leur première formulation par les grandes religions. Cela implique, en premier lieu, de retourner aux textes fondateurs pour discerner ce qu’ils disent et les manières dont les croyants les ont interprétés.

4Les trois monothéismes comportent des affirmations qui mettent en évidence une très grande analogie entre la Bible hébraïque et le Coran et, à l’opposé, la rupture que la Bible chrétienne introduit dans le Nouveau Testament par rapport à leurs démarches [1].

Judaïsme : le pur et l’impur

5Examinons d’abord les règles dans le judaïsme. La Bible hébraïque, ou plus exactement la Torah, est la plus prolixe, à cause de l’abondance (relative) des prescriptions contenues pour l’essentiel dans deux livres, le Deutéronome (Dt) et le Lévitique (Lv). Ces livres établissent des classifications précises qui permettent de séparer parmi les mammifères, les oiseaux et les animaux aquatiques ceux qui sont purs et impurs, donc pour les seconds, interdits à la consommation. Par exemple, les mammifères ruminants purs doivent avoir le sabot fendu [2] ; dans le cas contraire, ils sont réputés impurs. C’est le cas du chameau, du lapin et du daman qui ruminent mais n’ont pas de sabots fourchus. Inversement, un mammifère qui a un sabot fendu doit être un ruminant sous peine d’être lui aussi impur (Dt 14 :7-8). C’est le cas du porc : la présence d’un sabot fendu chez un animal qui n’est pas un ruminant est considérée comme une aberration qui le rend impur. La même distinction s’applique à la classification des oiseaux purs et impurs [3]. Les reptiles, auxquels sont rattachés les insectes, et de manière générale tous les animaux qui rampent, sont rangés parmi les animaux impurs et interdits avec quelques exceptions.

6

« Vous aurez en abomination tout reptile qui vole et qui marche sur quatre pieds. Mais, parmi tous les reptiles qui volent et qui marchent sur quatre pieds, vous mangerez ceux qui ont des jambes au-dessus de leurs pieds, pour sauter sur la terre. Voici ceux que vous mangerez : la sauterelle, le solam, le hargol et le hagab, selon leurs espèces. Vous aurez en abomination tous les autres reptiles qui volent et qui ont quatre pieds. Ils vous rendront impurs : quiconque touchera leurs corps morts sera impur jusqu’au soir, et quiconque portera leurs corps morts lavera ses vêtements et sera impur jusqu’au soir ».
(Lv 11,20-25)

7Le raisonnement s’étend également aux produits de la terre. En principe, ils sont réputés purs mais pas les fruits d’un arbre pendant ses trois premières années. Au nom de la pureté sont encore strictement prohibées la consommation d’animaux et de vins sacrifiés dans un culte idolâtre, la consommation du sang « car le sang, c’est l’âme, et tu ne dois pas manger l’âme avec la chair. Tu ne le mangeras pas, tu le répandras à terre comme de l’eau » (Dt 12, 23-24), ou encore la consommation d’animaux trouvés morts. Autre prohibition bien connue, il est interdit de mélanger la viande et le lait en raison du verset répété trois fois :

8

« Tu ne feras pas cuire un chevreau dans le lait de sa mère ».
(Exode 23,19 et 34,26, et Dt 14,21)

9À ces interdictions générales s’ajoutent des interdits qui s’appliquent à des espaces ou des moments particuliers. Ils concernent tous les juifs à l’occasion du sabbat et de la Pâque, et les seuls prêtres quand ils sont amenés à officier dans l’espace sacré réservé au culte :

10

« Tu ne boiras ni vin, ni boisson enivrante, toi et tes fils avec toi, lorsque vous entrerez dans la tente d’assignation, de peur que vous ne mourriez : ce sera une loi perpétuelle parmi vos descendants afin que vous puissiez distinguer ce qui est saint de ce qui est profane, ce qui est impur de ce qui est pur ».
(Lv10, 9-10)

11Derrière l’apparent arbitraire des prescriptions, la Torah met donc en avant la nécessité d’écarter tout ce qui est impur et renforce ses exigences de pureté quand le croyant ou le prêtre entrent en contact avec le sacré, qu’il soit identifié avec la table domestique le jour de sabbat, la tente de l’exode ou le temple destiné au culte.

Halal et haram dans le Coran

12Le Coran s’inscrit dans cette même logique et distingue les aliments licites et illicites, halal et haram. Il établit un lien d’autant plus fort entre le sacré et la licéité que le même mot, haram, est utilisé en arabe pour dire ce qui est illicite ou sacré, et relie ainsi l’interdit au respect du sacré. Conscient de la proximité avec le judaïsme, le Coran fait explicitement référence à la Torah pour reconnaître en la matière la continuité des révélations mais aussi souligner sa nouveauté et sa supériorité. La continuité se traduit par l’interdiction de consommer le porc, la bête morte, le sang et les aliments offerts en sacrifices aux idoles. La nouveauté de la révélation coranique se traduit par l’annulation d’interdits du judaïsme (la consommation de viande de chameau est autorisée), l’introduction du mois de ramadan et l’interdiction du vin et des boissons alcoolisées. Au total, les interdits alimentaires sont très peu nombreux dans le Coran, pas toujours faciles à interpréter, mais marquent les esprits parce qu’ils prennent un aspect radical pendant le jeûne diurne du mois de ramadan et concernent deux aliments dont la consommation est usuelle dans un grand nombre de sociétés rurales, notamment méditerranéennes : le porc et le vin.

13Ils n’ont cependant pas un caractère absolu et comportent des exceptions. C’est ainsi que les aliments interdits deviennent licites quand ils sont nécessaires à la vie du croyant.

14

« Allah a seulement déclaré illicite pour vous la chair d’une bête morte, le sang, la chair de porc et ce qui a été consacré à un autre qu’Allah. Mais quiconque est contraint à en manger sans intention d’être rebelle ou transgresseur, nul péché ne sera sur lui ».
(2, 168-173)

15La sourate 5, 3-4 dite de La table servie (Al-Maidah) récapitule l’essentiel des prescriptions (selon la traduction de Régis Blachère) :

16

« Illicites ont été déclarées pour vous Vous [la chair de] la bête morte, le sang, la chair de porc, et de ce qui a été consacré à autre qu’Allah, [la chair de] la bête étouffée, [de] la bête tombée sous des coups, [de] la bête morte d’une chute ou morte d’un coup de corne, [la chair de] de ce que les fauves ont dévoré – sauf si vous l’avez purifiée – [la chair de] ce qui est égorgé devant les pierres dressées.
Consulter le sort par les flèches est perversité. Aujourd’hui, ceux qui sont infidèles désespèrent [de vous arracher à ?] votre religion. Ne les redoutez pas, mais redoutez-Moi.
Aujourd’hui, J’ai parachevé votre religion, et vous ai accordé Mon entier bienfait. J’agrée pour vous l’Islam, comme religion. Quiconque sera contraint [d’en manger] durant une famine, sans se précipiter volontairement dans le péché [sera autorisé à le faire] car Allah est absoluteur et miséricordieux.
[Les Croyants] t’interrogent sur ce qui est déclaré licite pour eux. Réponds [-leur] : “Licites pour vous sont les [nourritures]. Mangez aussi de ce que prennent pour vous ceux es oiseaux de proie que vous dressez, tels des chiens, selon les procédés qu’Allah vous a enseignés ! Proférez [toutefois] le nom d’Allah, sur leur prise, et soyez pieux envers Allah ! Allah est prompt à demander compte” ».
(5, 3-4)

17Cette sourate apporte aussi une précision de taille :

18

« Aujourd’hui, licites sont pour vous les excellentes [nourritures]. La nourriture de ceux à qui a été donnée l’Écriture est licite pour vous, et votre nourriture est licite pour eux ».
(5,5)

19Ce verset est l’objet d’interprétations contradictoires comme on le verra plus loin.

La fin des interdits dans le Nouveau Testament ?

20Historiquement apparu après le judaïsme et avant l’islam, le christianisme se distingue dans le Nouveau Testament par le rejet des interdits alimentaires. Composées de croyants issus du judaïsme, les premières communautés sont confrontées à la question du respect des traditions de la société dont elles sont issues. Elles trouvent la réponse dans une parole de Jésus rapportée par les évangélistes :

21

« Il n’est rien d’extérieur à l’homme qui, pénétrant en lui, puisse le souiller, mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui souille l’homme ».

22Ce que Marc commente ainsi pour lever toute ambiguïté :

23

« Ainsi il déclarait purs tous les aliments ».
(Marc 7,15, et 7,19)

24Mais le récit des Actes des Apôtres (Ac) a gardé la trace des controverses très vives qui ont opposé partisans d’un accommodement et partisans d’une rupture avec la tradition juive [4]. La communauté chrétienne s’est affrontée dès ses débuts à propos des interdits alimentaires juifs. Un conflit éclate lorsque Pierre accepte de manger chez Corneille, un centurion romain :

25

« Pourquoi, lui demandèrent-ils, es-tu entré chez des incirconcis et as-tu mangé avec eux ? ».
(Ac 11,3)

26Pierre leur répond :

27

« Dieu vient de me montrer, à moi, qu’il ne faut appeler aucun homme souillé ou impur ».

28Et de raconter la vision qu’il a eue avant de prendre cette décision [5]. Une réunion des apôtres, qualifiée improprement de Premier concile de Jérusalem, aboutit à un compromis :

29

« L’Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé de ne pas vous imposer d’autres charges que celles-ci, qui sont indispensables : vous abstenir des viandes immolées aux idoles, du sang, des chairs étouffées et des unions illégitimes. Vous ferez bien de vous en garder ».
(Ac 15 :28-29)

30Ce n’est pas un hasard si la même réunion abolit aussi l’obligation de la circoncision. Pour les juifs, les non-circoncis étaient considérés comme impurs et leur fréquentation devait être limitée. À l’inverse, le chrétien peut accéder au salut sans devoir être circoncis ou observer les interdits alimentaires juifs.

31Allant au terme du raisonnement, le juif converti Paul considère que les quelques restrictions maintenues par la réunion de Jérusalem sont désormais anachroniques. Il demande aux destinataires de ses lettres de se considérer dégagés de tout interdit, sauf dans le cas où leur comportement pourrait être cause de scandale et apparaître comme une provocation. Il écrit aux chrétiens de Corinthe :

32

« Ce n’est pas un aliment qui nous rapproche de Dieu : si nous en mangeons, nous n’avons rien de plus ; si nous n’en mangeons pas, nous n’avons rien de moins ».
(1 Co 8,8)

33Suivent une série de conseils sur la manière de se comporter au quotidien :

34

« Tout ce qui se vend au marché, mangez-le sans poser de question par motif de conscience ; car la terre est au Seigneur, et tout ce qui la remplit (Ps 24,1). Si quelque infidèle vous invite et que vous acceptiez d’y aller, mangez tout ce qu’on vous sert, sans poser de question par motif de conscience. Mais si quelqu’un vous dit : “Ceci a été immolé en sacrifice”, n’en mangez pas, à cause de celui qui vous a prévenus, et par motif de conscience. Par conscience j’entends non la vôtre, mais celle d’autrui ; car pourquoi ma liberté relèverait-elle du jugement d’une conscience étrangère ? Si je prends quelque chose en rendant grâce, pourquoi serais-je blâmé pour ce dont je rends grâces ».
(1 Co 10, 25-30)

35Dans cette même lettre, Paul permet même de manger de la viande immolée aux idoles parce que :

36

« Nous savons qu’une idole n’est rien dans le monde et qu’il n’est de Dieu que le Dieu unique ».

37Mais il demande de s’en abstenir devant une personne faible, convaincu qu’il est interdit de manger de la viande immolée aux idoles afin de ne pas la scandaliser et de ne pas la pousser à enfreindre sa propre conscience. Pour Paul, « la science enfle », alors que « la charité édifie » :

38

« C’est pourquoi, si un aliment doit causer la chute de mon frère, je me passerai de viande à tout jamais, afin de ne pas causer la chute de mon frère ».
(1 Co 8, 9-10)

39Cette abrogation des interdits dans le christianisme va de pair avec une nouvelle conception de la sainteté qui est déconnectée de la distinction entre pur et impur. Dès lors qu’il n’y a plus de séparation fondée sur ce critère, la sainteté est le fruit d’une élection divine mais devient accessible à tout homme qui rompt avec le péché et les mœurs païennes (1 Thessaloniciens 4,3).

Le message controversé des Védas

40La place que l’hindouisme occupe dans le monde et certaines régions françaises outre-mer impose de s’arrêter enfin sur les interdits alimentaires de l’hindouisme. Si l’hindouisme, qu’il soit vécu comme une religion ou une spiritualité, est communément associé aujourd’hui au végétarisme, il s’avère impossible, selon Norman Brown, de fonder cette pratique sur des textes précis. Les premiers textes sanskrits racontent des épisodes où les protagonistes mangent de la viande, et la préparation de viande de bœuf y est présentée comme une manière d’honorer un invité. Les Védas témoignent d’un grand respect pour le bétail, célèbrent dans leurs hymnes la vache sans pour autant faire de celle-ci un animal sacré. Rien d’ailleurs dans ces textes ne semble préciser que la vache est sacrée, même si certains passages du Rig Véda et de l’Atharva véda ont fait l’objet de querelles d’interprétation autour du mot aghnya appliqué quarante-deux fois à la vache. Rien ne permet de déterminer les raisons de cet interdit dont la justification n’est pas donnée. L’orientaliste conclut ainsi son exégèse des textes :

41

« Tous ces passages de la littérature védique que nous avons cités laissent voir que l’on n’a, à cette époque, aucune idée de la doctrine du caractère sacré et de l’inviolabilité de la vache et des autres bovins. Au contraire la littérature védique met plutôt en évidence une pratique généralisée du sacrifice animal et la coutume assez largement répandue qui consiste à consommer la chair de la victime » [6].

Les interdits religieux en matière d’alimentation ont une histoire

42La référence invoquée aux textes fondateurs ne suffit donc pas à expliquer l’importance prise dans les religions par les interdits alimentaires. Le flou des textes ou leurs variations en matière alimentaire ont favorisé la multiplication de leurs lectures au sein des religions non chrétiennes. La rupture opérée par le Nouveau Testament qui abolit les interdits n’a pas davantage empêché l’Église de développer au cours des siècles toute une série de règles alimentaires codifiées dans le droit canon. Au sein de chacune des grandes religions, des autorités se sont ainsi imposées qui affirment fournir la bonne interprétation, fixer la norme orthodoxe, apporter une réponse évidente et indiscutable aux questions posées en matière d’alimentation. Il en résulte une ambiguïté qui pèse sur tous les débats et limite la liberté d’interprétation des croyants. Au-delà de la définition du permis et de l’interdit, indissociable de celle du pur et de l’impur en dehors du christianisme, c’est l’autorité religieuse et sa légitimité qui se trouvent mises en jeu. La question des règles alimentaires n’est pas seulement décisive pour la manière dont un groupe religieux se situe au sein d’une société pluraliste. Elle est aussi un test sur la capacité d’un courant et de chefs religieux à incarner l’orthodoxie et à exercer une influence. Discuter une interprétation devient alors mise en cause de l’institution.

L’invention de l’interdit du bœuf et la sacralisation de la vache dans l’hindouisme

43Dans nos pays focalisés sur les demandes exprimées au nom de l’islam, il est utile de faire un nouveau détour par l’hindouisme pour mesurer la dimension mondiale du débat. Le blog de « l’Inde à La Réunion » sur le site « www.indeenfrance.com » s’est fait l’écho en 2012 de la polémique qui a secoué l’Inde après la publication par D. N. Jha, historien connu et reconnu de l’Université de Delhi, d’un ouvrage consacré à l’histoire de la sacralisation de la vache :

44

« D. N. Jha démontre en effet à travers ses recherches historiques et archéologiques que la vache n’était pas sacrée pour les nomades et pasteurs installés au Nord de l’Inde au iie millénaire. Ceux-ci, en effet abattaient les bovins pour se nourrir et pour les sacrifices rituels prescrits par les Védas. Ces nomades, en s’installant, se tournèrent alors vers l’agriculture valorisant les produits de la vache : lait, ghee, yaourt, fumier et leur utilité : labour, transport.
À l’époque du Rig Véda, on trouve dans les Manusmriti (Lois de Manu) que le seul animal qu’il est interdit de manger est le chameau.
Et D. N. Jha de s’interroger : “Comment se fait-il, si la vache était si sacrée que cela qu’aucun temple ne lui ait été dédié” ? Seuls quelques sanctuaires au taureau Nandi ont en effet émergé.
Après les Védas, religion et philosophie ont rejeté le meurtre rituel des animaux. C’est alors que certains brahmanes ont introduit dans les Dharmasastra les plus tardifs l’idée que quiconque mange du boeuf devient intouchable. D’où le lien entre parias et mangeurs de bovins. C’est seulement dans la période du Haut Moyen-Âge hindou que le fait de manger du boeuf est devenu tabou au moins pour les hautes castes, et c’est au xixe siècle que la classe moyenne émergente en Inde a pris la vache comme symbole d’une glorieuse tradition souillée par la domination musulmane de l’Inde » [7].

De la Bible au Talmud

45Ce processus de fabrication des interdits, qui se posent à un moment donné en normes censées avoir été fixées dès l’origine, se vérifie dans les trois monothéismes. Chacun d’entre eux témoigne d’une extraordinaire fécondité en matière de commentaires et d’explicitations des interdits religieux. Il faudrait s’arrêter longuement sur le cas du judaïsme qui a engendré dans le Talmud une impressionnante quantité de justifications et d’extrapolations en matière d’interdits alimentaires. Pourtant le terme casher n’est présent qu’une seule fois dans la Bible hébraïque, dans une acception différente de celle qui va s’imposer : il est traduit par convenable[8]. Le recours à ce terme pour désigner les ustensiles et les aliments qui convenaient aux offrandes dans le Temple explique le glissement de son usage vers le champ religieux. Cette multiplication des prescriptions est en outre favorisée par la nécessité pour les minorités juives en diaspora de vivre dans des contextes culturels et alimentaires très différents sans perdre leur originalité. Le respect des interdits semble avoir été très important et accompagné de sanctions rigoureuses contre ceux qui ne le respectaient pas. Mais de nouvelles attitudes se sont affirmées au fur et à mesure que l’intégration des communautés juives dans les sociétés modernes rendait moins essentielle la volonté de marquer sa différence et de tracer des frontières alimentaires. Ainsi que l’explique Georges Hansel à propos de certaines sanctions figurant dans la Torah mais non appliquées :

« Le Talmud tient à distinguer soigneusement la justice qui relève d’un ordre idéal et l’organisation concrète de la société qui exige de prendre en compte des nécessités infiniment variables » [9].
Ce principe, appliqué aux interdits alimentaires, est de nature à dépasser une application mécanique et systématique de règles habituellement observées. Néanmoins, l’évolution des esprits dans le sens d’une relativisation des interdits se trouve mise en cause aujourd’hui dans le judaïsme par l’expérience de la réactivation de l’antisémitisme et le sentiment d’une menace qui incitent à réaffirmer l’identité juive et la solidarité du groupe à travers le respect scrupuleux des règles alimentaires.

Restaurant Mc Donalds casher, Beit She’an, Israël

figure im1

Restaurant Mc Donalds casher, Beit She’an, Israël

(source : Wikimedia)

La production de normes alimentaires par le christianisme

46Plus étonnant est le cas du christianisme qui, après avoir affirmé la fin des interdits, les a néanmoins maintenus ou réintroduits sous d’autres formes dès les premiers siècles. L’interdiction de consommer du sang, héritée des interdits du judaïsme dont le christianisme est censé s’être émancipé, est présentée en 197 après J.C. par Tertullien comme une caractéristique des mœurs chrétiennes [10]. Si elle semble progressivement disparaître comme interdit général, l’interdiction de consommer de la viande, élargie à celle des œufs et des laitages, est appliquée au Moyen-Âge à des périodes d’abstinence [11] fixées par le droit ecclésiastique (vendredi, samedi, Avent, Carême… Au total plus de cent cinquante jours). Néanmoins, ces interdictions ne sont pas fondées (en théorie au moins) sur la quête de pureté rituelle. Associées à la pénitence durant les temps d’abstinence (à distinguer du jeûne), la suppression des aliments carnés, réputés sources de plaisir et de jouissance, est censée aider le croyant à contrôler ses désirs, notamment sexuels. Elle le prépare à commémorer dignement un événement de la vie du Christ et à obtenir le pardon de ses péchés.

47Avec la Réforme protestante, la relativisation des interdits alimentaires associés au temps liturgique franchit un nouveau cap. L’impossibilité de fonder des règles en matière d’alimentation sur le Nouveau Testament, démontrée par Luther et Calvin, accélère un processus de désacralisation des interdits qui touche peu à peu le catholicisme. L’histoire de l’abstinence de la viande montre alors les progrès d’une attitude plus ouverte qui conduit les évêques à autoriser les fidèles à s’affranchir de la loi générale, même si les catéchismes du xixe siècle sont nombreux à déplorer l’affadissement de la foi que trahissent ces concessions. La non-consommation de la viande et de son jus certains jours cesse d’être élargie aux œufs et aux laitages (droit canon, règle ou canon 1250), et reste subordonnée à la santé des fidèles et à leur âge (canon 1254). Elle n’en demeure pas moins un enseignement important qu’expose avec précision le code de droit canon promulgué en 1917 [12]. Et des générations de catholiques seront profondément marquées par l’interdit de la viande le vendredi et l’obligation de « faire maigre », comme le rappelle une anecdote racontée par le socialiste Pierre Mauroy [13].

48Mais l’individuation des croyances et l’évolution des modes d’alimentation dans les sociétés occidentales ont fait perdre à la consommation de la viande son caractère exceptionnel tandis que s’élevait le prix du poisson. Elles conduisent l’Église catholique après le concile Vatican II (1962-1965) à abandonner à son tour l’interdit. En 1966, le pape Paul VI laisse aux évêques le soin d’abroger dans leur diocèse l’interdiction de la viande le vendredi, jour de la commémoration de la mort de Jésus, et laisse aux fidèles le soin de choisir une pénitence.

49Seules quelques Églises chrétiennes conservent aujourd’hui la règle des interdits alimentaires, en particulier les Adventistes du Septième jour. Ils invoquent le respect des interdits bibliques sur les animaux en les remplaçant par une alimentation faite d’œufs, de lait et de végétaux. Ils estiment en effet que la distinction entre les animaux purs et impurs remonte à l’époque de Noé, bien avant l’existence d’Israël et relève d’un ordre naturel voulu par Dieu à valeur universelle et définitive. De plus, ils interprètent de manière extensive l’interdiction de tuer (Ex 20,13) et demandent aux fidèles de s’abstenir de fumer et de ne pas consommer les aliments qui contiennent de la théine, de la caféine et de l’alcool, car cela revient à se suicider lentement. Conséquence logique de cette lecture, ils utilisent pour la Sainte Cène le jus de raisin et non pas du vin. Ils s’abstiennent aussi de manger du sang (boudin) mais ne s’opposent pas à la transfusion sanguine comme le font les Témoins de Jéhovah.

Boucherie halal, Paris 13e

figure im2

Boucherie halal, Paris 13e

(source : Wikimedia)

La valorisation du tafsir dans l’islam : entre ouverture et fermeture

50Le rôle déterminant joué par les interprètes des textes est particulièrement visible dans l’islam. Pour résoudre les contradictions apparentes ou combler les creux du texte coranique, des lettrés qualifiés de mufassir ont développé une science spécifique promue au premier rang des sciences islamiques, le Tafsîr (interprétation). Plutôt qu’une exégèse, qui suppose une critique de type historique, il s’agit d’un commentaire savant du Coran, confronté aux hadith ou dits du prophète reconnus authentiques. L’exercice requiert de son auteur une grande érudition pour l’usage des diverses collections de hadiths, l’examen de leur authenticité et une parfaite maîtrise de la langue arabe. En principe, les divergences entre les sourates sont réglées par la distinction entre versant abrogeant (le plus récent) et abrogé (le plus ancien).

51Comme toute science fondée sur l’interprétation de mots dont le sens n’est pas toujours clair et évolue dans le temps, le tafsir débouche sur des conclusions différentes et sa force dépend en définitive de l’autorité que les fidèles reconnaissent à leur énonciateur. Dans une religion qui ne comporte pas d’instance unique en capacité de dire le vrai et le licite, et de trancher les controverses, on conçoit à quel point le tafsir constitue un lieu essentiel pour l’explicitation du Coran et pour définir les relations des musulmans avec les autres croyants. Il suffit de parcourir les sites internet pour vérifier la variété des interprétations possibles dans les justifications de l’interdiction du porc et de l’alcool, dans leurs conséquences pratiques, dans la fabrication de nouveaux interdits alimentaires, dans l’extension de la catégorie de halal. La surenchère dans les exigences devient parfois un moyen d’acquérir notoriété et influence, de manière plus efficace et accessible au commun des croyants que l’étude patiente et scrupuleuse des textes et l’exposition minutieuse d’arguments longuement discutés.

52La quête de repères et de normes qui permettent au croyant d’avoir la certitude d’observer fidèlement la loi religieuse est aujourd’hui très puissante dans la communauté musulmane (mais elle ne lui est pas spécifique). Le succès mondial des émissions de radio et des sites internet qui répondent aux questions des auditeurs ou des internautes pour désigner ce qui est licite et illicite en témoigne. Face à une mondialisation qui tend à brouiller toutes les frontières, la demande de réponses claires à des situations inédites explose et le tafsir doit s’adapter comme l’expose cet extrait tiré du site de la « grande mosquée » de Clermont-Ferrand :

53

« Manger le “non halal” est donc un acte défendu. L’étude des versets Coraniques relatifs aux nourritures prescrites ou interdites se résume essentiellement à l’injonction suivante : “Mangez Halal et Tayyib”, souvent traduite par, “Mangez licite et pur”. Le mot Halal, en opposition à “Haram”, veut dire licite, permis, autorisé, voire profane. Là où son contraire “Haram” renvoie à l’interdit, le défendu, l’illicite, voire le sacré. Le Halal englobe, bien au-delà des règles d’ordre culinaire, l’ensemble de nos actes et comportements. C’est une éthique, une traduction dans la vie courante, de son obéissance et de son adhésion aux commandements divins. Il s’agit de manger, de boire, de se vêtir mais aussi de travailler, de se marier comme de produire conformément aux lois de Dieu. Ainsi, il convient de s’interroger, avant de manger un aliment, s’il est halal en soi mais aussi, si les moyens et les conditions de son acquisition, de sa production voire de sa distribution, sont également licites. C’est ainsi, qu’il est illicite d’acheter la chose volée. Celui qui mange une viande venant d’un animal sacrifié selon le rite mais en l’ayant acheté avec de l’argent mal acquis, ne consomme pas Halal et ne peut escompter l’incidence de la nourriture Halal sur son âme et son état spirituel. En tous les cas, cet effet est très fortement altéré par la provenance illicite (haram) des moyens d’acquisition ou de production. C’est ce qui fait dire à nos maîtres que du point de vue strict de la loi, il n’y a quasiment plus de Halal dans le monde, compte tenu de la mondialisation des échanges et des flux financiers qui ne considèrent pas, ou très peu, la notion d’éthique ou de licéité religieuse » [14].

54Face à la mondialisation, deux attitudes sont possibles. La première s’accommode de l’impossibilité de s’assurer que la règle est respectée pour tous les aliments consommés et met en avant la bonne foi du consommateur. Elle conçoit que la vie sociale peut autoriser des exceptions. La seconde cherche à combattre les risques de nonrespect en multipliant les garanties dans la chaîne de production et de vente et allonge sans fin la liste des aliments concernés. La tendance dominante, ou la plus visible aujourd’hui, consiste plutôt dans cette seconde orientation, dans un sens toujours plus rigoriste qui favorise les surenchères.

55Elle ne doit cependant pas faire oublier que d’autres voix, dont la légitimité juridique et théologique n’est pas contestable, se sont faites et se font toujours entendre. Florence Bergeaud-Blackler a excellemment rapporté et analysé le conflit que déclencha le grand penseur réformiste Muhammad Abduh (1849-1905), Grand Mufti d’Égypte, en répondant en 1903 dans une fatwa dite du Transvaal aux musulmans sud-africains :

56

« Pour l’abattage des animaux, mon opinion est que les Musulmans dans ces contrées lointaines devraient suivre le texte du Livre de Dieu (le Coran), dans lequel Il dit : “Et la nourriture de ceux auxquels a été donné le Livre est licite pour vous” (sourate 5 :7) ; et qu’ils devraient s’appuyer sur ce qu’a dit l’illustre Imam Abu Bakr ibn’Arabi le Mali-kite, à savoir que le principal point à considérer est que la nourriture doit être consommable par des chrétiens, clercs ou laïcs, et qu’elle doit être considérée par eux et pour toute la communauté, comme des nourritures (…).
L’occurrence du noble verset : “Aujourd’hui Dieu a rendu les bonnes choses licites et la nourriture de ceux qui ont reçu le Livre est licite pour vous” (sourate 5 :7), après le verset déclarant illicite ce qui est mort de lui-même et qui a été consacré à d’autres divinités que Dieu, est de nature à réfuter les fausses opinions avancées pour déclarer illicite la nourriture des Gens du Livre du fait qu’ils croient en la divinité de Jésus. Cela parce qu’au temps du Prophète tous étaient croyants (en Jésus), excepté ceux qui étaient devenus musulmans. De plus, l’expression “Gens du Livre” n’est pas limitée, il est (donc) inadéquat de l’interpréter comme ne s’appliquant qu’à un petit groupe d’individus. En conséquence, ce verset est comme un verset explicite qui déclare leur nourriture licite aussi longtemps que dans leur religion ils la considèrent licite, ceci pour éviter l’embarras dans les échanges et les transactions avec eux » [15].

57Dans la violente polémique qui s’ensuit, Abduh reçoit le soutien du Syrien Rachid Rida(1865-1935) qui passe pour le père d’un courant réformiste plus littéraliste et conservateur. La position d’Abduh et Rida n’est pourtant pas une innovation et la sourate citée avait inspiré en 1846 l’autorisation donnée aux Tunisiens par le Bey Bayram IV de consommer la nourriture préparée par les Gens du Livre.

58Comment est-on donc passé d’une attitude d’ouverture et de conciliation à une crispation croissante caractérisée par la construction d’un « marché halal mondial et doté de ses capacités d’halalisation sans limite » [16] ? C’est la question d’une brûlante actualité que l’auteure pose et cherche à démêler. Elle montre d’une manière très argumentée et documentée que l’administration coloniale britannique joua un rôle décisif dans la résolution du conflit, en créant un droit écrit de l’abattage rituel à l’usage des musulmans qui ne laisse plus de place à l’adaptation au contexte et fige les croyants dans des règles strictes qualifiées de droit musulman. Cet exemple vient confirmer l’importance de l’époque coloniale dans la création de droits spécifiques censés régir des communautés identifiées par leur confession religieuse. Cette politique tend à enfermer les communautés dans leur appartenance religieuse et à produire un droit propre et non négociable. Paradoxalement le droit musulman élaboré par des juristes britanniques dans ce cas, français dans d’autres, est devenu par la suite le modèle invoqué par les idéologues d’un islam pur et identitaire pour promouvoir un droit islamique extensif qui ne cesse de formuler de nouvelles règles.

59Cependant l’exception avancée par le verset 5,5 est rarement mise en cause et la controverse se poursuit aujourd’hui par internet interposé. Beaucoup de sites autorisent la consommation de la viande égorgée par les juifs et les chrétiens par exemple aux États-Unis [17]. Mais les divergences apparaissent quand il s’agit d’identifier aujourd’hui les « Gens du Livre » [18] ou de définir les conditions dans lesquelles l’animal doit avoir été égorgé pour que sa consommation soit licite [19]. Et cela ne semble pas freiner la tendance à étendre la notion de halal à toutes les nourritures, suivant en cela l’exemple de la Malaisie, avec des objectifs commerciaux qui ne sont pas dissimulés et ont conduit Danone à commercialiser une eau halal [20]. En parallèle les détecteurs de porc ou de vin sont devenus un marché à l’image du Halal-test développé par l’entreprise Capital Biotech depuis 2014, non sans assimiler à tort l’absence de ces produits à la garantie de manger halal [21].

Halal-test, dispositif mis au point par l’entreprise franco-algérienne Capital Biotech

figure im3

Halal-test, dispositif mis au point par l’entreprise franco-algérienne Capital Biotech

Quelques modèles d’explication élaborés par les sciences sociales

60La reconstitution des chemins par lesquels le discours religieux ne cesse de reprendre la question des interdits religieux et de discuter leur signification laisse cependant de côté une autre question tout aussi essentielle : pourquoi les croyants et les autorités religieuses valorisent-ils de la sorte les aspects alimentaires, spécialement la place des interdits ? Les sciences humaines et sociales ont proposé des explications qui entendent introduire un peu de rationalité dans des attitudes qui semblent y échapper.

L’histoire sociale comme première clé d’interprétation

61Historiens et sociologues ont abondamment insisté sur la fonction sociale de l’élaboration d’interdits. Par-delà les frontières religieuses, elle permet de fonder des distinctions de castes et de groupes et de justifier une hiérarchie fondée sur la plus ou moins grande pureté, assimilée à une observance plus ou moins stricte des commandements divins. Elle fonde certaines catégories à exercer une autorité morale et sociale, et leur confère le pouvoir de modeler l’existence humaine jusque dans le domaine de la vie privée.

62Le cas de l’hindouisme est particulièrement représentatif des enjeux sociaux et politiques dont l’élaboration des interdits est porteuse. En suivant l’histoire des interdits qui frappent certaines nourritures, il apparaît que l’échelle de pureté sur laquelle s’édifie la hiérarchie des varna[22] a pour corollaire l’échelle des interdits qui assimile la pureté au refus des nourritures animales. La règle est interprétée de manière d’autant plus stricte que l’individu se rattache à une varna élevée. Le végétalisme constitue l’expression la plus élevée du respect scrupuleux de la vie sous toutes ses formes.

63Dans une société où la pureté commande la hiérarchie sociale, elle peut ainsi devenir le critère essentiel pour constituer la communauté et parfois assurer la survie de petites minorités qui tracent une frontière tellement stricte avec le reste de la société qu’elles s’isolent, à l’image des Jaïns en Inde [23]. Ce mode de classification a aussi de graves conséquences socio-politiques. Il permet de mettre à l’écart, au prétexte de leur impureté, ceux qui consomment du bœuf pour cause de « non-hindouité ». Dans un pays où les interdits alimentaires varient selon les religions et mettent en concurrence hindous et musulmans, l’imposition des obligations de sa confession religieuse devient le symbole de la capacité d’un groupe à imposer aux autres son autorité.

64

« Pour les hindous, notamment fondamentalistes, la cause de l’interdit de l’abattage de la vache est devenue une partie de leur quête de pouvoir politique de l’Inde post-coloniale. Aussi tentent-ils d’interdire dans les différents États de l’Inde, récemment dans le Madhya Pradesh, l’abattage des bovins. Cette loi a reçu l’accord présidentiel, le 22 décembre 2011 dernier, punissant ce délit de sept ans d’emprisonnement » [24].

65Mais ces stratégies d’instrumentalisation ne sont pas propres à l’hindouisme et à l’Inde. Elles traversent aussi le monde musulman, avec une concurrence exacerbée entre les partis qui militent pour l’islamisation de la société : l’observation des interdits alimentaires devient un critère déterminant de l’orthodoxie. On voit ainsi l’application de l’interdit de la consommation d’alcool s’imposer au xxie siècle dans l’espace public (au sens d’espace ouvert à tous) en Égypte et maintenant dans tout le Maghreb, le champ du halal s’étendre même à l’eau, tandis que la défense en Turquie de la boisson nationale (arak) a été promue à Istanbul en mai 2013, emblème du refus de voir imposer à toute la société, quelles que soient les convictions individuelles, les normes jugées islamiques.

66La diffusion de ce discours normatif qui cloisonne la société ne saurait s’expliquer par la seule habileté d’élites qui instrumentalisent la religion pour affirmer leur autorité. Si un tel discours bénéficie d’une réception favorable, c’est qu’il répond aux attentes d’un grand nombre des croyants en leur offrant une identité commune, en leur donnant un sentiment de force collective et de cohésion face à ceux qui n’observent pas les mêmes interdits. La distinction devient alors une manière de se (re)valoriser. On a pu montrer comment la viande était devenue le marqueur de la frontière entre musulmans et chrétiens [25], confirmant que « les interdits alimentaires sont particulièrement efficaces pour produire de la communauté » [26].

L’anthropologie et la mise à jour de structures universelles

67Un second groupe d’analyses s’est développé à partir d’approches anthropologiques où se sont particulièrement illustrés Claude Lévi-Strauss [27], Mary Douglas [28], Philippe Descola [29], Claude Fischler [30]. Retenons seulement ici de ces études qu’elles ont montré comment les interdits alimentaires étaient une manière de régler le rapport de l’homme à la nature et de tracer la frontière entre nature et culture. En ce sens, elles rendent caduques toutes les constructions intellectuelles qui chercheraient une explication fonctionnelle, généralement sanitaire, à certains interdits comme celui du porc. L’argument avancé selon lequel l’interdit a permis la protection des sociétés contre les maladies véhiculées par le porc ne résiste pas à l’analyse, d’autant que des populations chrétiennes ont cohabité jusqu’à aujourd’hui avec les populations musulmanes au Moyen-Orient en élevant et consommant du porc, sans effet négatif sur leur démographie, voire en y trouvant un moyen de survivre.

68

« L’interdiction du porc chez les juifs et les musulmans s’expliquerait par le fait qu’il est dangereux de consommer du porc dans les climats chauds. On a en effet longtemps accusé le porc de véhiculer la trichinose (maladie parasitaire), mais on sait aujourd’hui que d’autres animaux consommés au Moyen-Orient en sont également porteurs. Cet argument ne tient pas compte de la présence et de la consommation de porc dans les pays équatoriaux et tropicaux, et repose essentiellement sur une pensée hygiéniste qui ne verrait “Moïse que comme un simple administrateur éclairé de la santé publique, et non comme un chef spirituel”. Si l’on suit cette proposition, Mahomet serait également un hygiéniste avisé.
Un autre type d’argumentation complexe de type matérialiste soutient qu’à la suite de changements écologiques comme la déforestation au Moyen-Orient, l’élevage du porc serait devenu trop coûteux en temps et en énergie pour l’homme, contraint de lui fournir sa nourriture. Avant la déforestation, le porc se nourrissait en effet seul, essentiellement de glands.
Les arguments hygiéniste et écologiste fondés sur la raison pratique ne rendent pas compte de la dimension spirituelle et religieuse de l’interdit. Ils n’expliquent pas plus les motivations à interdire par un prophète ce que les hommes auraient pu constater, seuls, par l’expérience.
Qu’est-ce qui fonde alors l’interdit du porc ? Mary Douglas, par sa lecture au plus près des textes religieux, nous propose une interprétation plus séduisante. Le Lévitique et le Deutéronome, livres de l’Ancien Testament, auxquels se réfèrent explicitement le judaïsme et l’islam, élaborent un ordonnancement de l’univers dans lequel chaque organisme vivant doit avoir sa place […].
Finalement, on voit bien ici que ce ne sont pas les qualités intrinsèques, réelles ou supposées de l’aliment, qui assoient son interdiction, mais la nécessité pour toute culture d’établir des catégories et de classer de ce qui est bon ou mauvais, pur ou impur » [31].

L’impossible relativisation des interdits au nom de la science

69Pourtant, quelle que soit leur pertinence, les interprétations proposées par les sciences sociales, la psychanalyse [32], la critique historique, ne sauraient donner l’assurance de faire triompher une approche historico-critique qui relativise les interdits alimentaires. La place de ces derniers est devenue trop importante dans la culture religieuse majoritaire du judaïsme, de l’hindouisme, de l’islam, du bouddhisme, et dans la vie quotidienne, pour imaginer à court terme une prise de distance et une évolution sur le modèle chrétien. La violence des réactions provoquées par des étudiants indiens qui revendiquaient le droit de consommer de la viande [33], au nom du besoin de protéines, comme les manifestations de musulmans mobilisés pour défendre l’interdit du porc attestent de l’extraordinaire sensibilité des croyants à ces normes, comme si l’existence d’interdits alimentaires était vitale. Certains chercheurs suggèrent même que la négation des interdits alimentaires par le christianisme peut expliquer le succès, dans les sociétés de tradition chrétienne, des campagnes d’interdiction de certains aliments et des régimes alimentaires en tout genre, comme s’il s’agissait de remplir un vide devenu source d’angoisse.

70De fait, cet attachement aux interdits n’est pas le propre de populations qui seraient victimes de leur ignorance et de la lecture littérale des textes. Les explications savantes, loin d’affaiblir la portée des interdits considérés d’origine divine, viennent même alimenter toute une apologétique. Elle voit dans les explications rationalisantes de la science la confirmation a posteriori de la sagesse divine puisque la science montre aujourd’hui que les interdits imposés sans explication par une révélation divine se révèlent bons pour la santé de l’homme et de la femme. En d’autres termes, les sciences sociales viendraient vérifier que, loin d’être gratuits et sans fondement, les interdits alimentaires comportent dans leur apparente « arationalité » une sagesse cachée qui permet aux hommes de mieux vivre leur rapport à la nature (en séparant l’humanité de l’animalité) et à vivre en communauté.

71Les interdits alimentaires ne sont donc pas près de disparaître, sous l’effet de la critique scientifique ou à cause de l’individuation des croyances. Le surgissement actuel de nouvelles revendications pour supprimer la consommation de certains aliments, ou interdire leur commercialisation, au nom de la santé physique et morale, tend même à renforcer la légitimité des interdits. Paradoxalement des interdits religieux dont la légitimité reposait sur la seule révélation trouvent une seconde vie dans un contexte où d’autres courants totalement séculiers les rejoignent pour demander telle ou telle interdiction. La confusion entre arguments religieux et médicaux s’installe, circule, s’internationalise et prend parfois à contre-pied les partisans d’une laïcisation des normes morales. Au Sénégal, la lutte contre le tabac consolide l’interdiction de fumer à Touba, la ville sainte des Mourides. En Turquie comme en Tunisie, c’est au nom de la lutte contre l’alcoolisme que les autorités politiques ont mené le combat contre la consommation d’alcool. Si personne n’est dupe, ce déplacement du débat constitue pour les « religieux » une stratégie efficace à l’heure où les sociétés sécularisées réintroduisent de multiples interdits pour des raisons sanitaires.

Un enjeu majeur pour nos sociétés

72Si la question des règles alimentaires est en passe de devenir centrale, capable de réactiver les rivalités entre confessions religieuses comme entre laïcs et défenseurs des normes religieuses, il devient urgent d’élaborer des modes de régulation sociale capables de garantir la cohabitation d’individus porteurs de revendications alimentaires concurrentes. La campagne électorale des élections présidentielles françaises en 2012 a ainsi vu resurgir avec virulence le débat autour de l’abattage rituel de la viande Halal ou des menus dans les cantines scolaires. Celle pour les élections de 2017 s’annonce encore plus menacée par des polémiques placées sous le signe de la question de l’identité française. Aucun espace du territoire métropolitain ou outre-mer ne semble désormais y échapper. La société réunionnaise qui se plaisait à vanter sa créolité et son métissage culturel, religieux et ethnique n’est plus à l’abri de ces mouvements malgré son insularité et sa tradition (à vrai dire récente) de coexistence pacifique, entente favorisée par les efforts des autorités religieuses pour désamorcer les conflits. Marie-Claude Mourrégot montre que la coexistence est fragile dès qu’on touche à l’alimentation.

« Une tempête s’est levée (en 1995) dans les médias à la suite d’une émission de radio au cours de laquelle le directeur d’une chaîne d’abattage de poulets avait révélé que tous les poulets traités dans son usine étaient abattus selon le rite islamique, par des scarificateurs musulmans embauchés à dessein. Toute la viande de volaille proposée dans les grandes surfaces de La Réunion était donc halâl. Les auditeurs choqués par cette révélation ont appelé nombreux, ont écrit aux journaux pour s’élever avec force contre l’obligation faite aux chrétiens, aux tamouls, aux athées, de consommer de la viande halâl, ils s’élevaient contre l’hégémonie des musulmans dans le département. Ils ne savaient pas qu’à Maurice, où ils aiment tant aller en vacances, 90 % de la viande consommée est…halâl » [34].
On le voit, la puissance symbolique des prescriptions alimentaires est partout susceptible de déclencher les passions. Et la perspective d’obliger toute la France à manger halal n’a pas manqué d’être avancée pour justifier de dresser un barrage face à la progression des normes religieuses. D’aucuns déplorent l’absence d’une règle du jeu commune négociée et formulée par une instance légitime. C’est l’objectif poursuivi dans le cadre de la République française par une législation complexe qui commence à être réunie sous le titre de code de la laïcité [35]. Les dispositions en matière alimentaire sont caractéristiques des modes d’accommodement que la laïcité républicaine s’efforce d’inventer au fur et à mesure des difficultés rencontrées.

Laïcité et normes alimentaires

73Il est nécessaire de rappeler au préalable les deux premiers articles de la loi de 1905 pour comprendre la logique qui guide la résolution des problèmes soulevés :

74– Article 1 : La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public.

75– Article 2 : La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes. Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons.

Aux sources du pacte laïc

76La loi n’a pas commencé par séparer les Églises et l’État, ni renoncé à toute possibilité d’intervention dans le champ religieux. Elle a formulé dans le premier article l’engagement fondamental, à savoir que « la République assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». Cette affirmation liminaire est de nature à rassurer croyants, agnostiques et athées, hier comme aujourd’hui. Mais la précision « dans l’intérêt de l’ordre public » vient aussi rappeler aux acteurs que la liberté de chacun, individuellement ou collectivement, suppose le respect de la liberté de l’autre. Les demandes en termes d’alimentation exposées aujourd’hui au nom d’un groupe religieux ou d’une famille de pensée doivent donc prendre en compte leurs conséquences pour l’ensemble de la société, s’interroger sur leur impact, anticiper sur la capacité du corps social à accepter les revendications particulières. On ne peut en effet imaginer une société dans laquelle chaque religion occuperait l’espace public à son gré. Sans doute la notion d’ordre public, volontairement imprécise, ne donne pas de réponse mécanique aux questions posées, comme l’a illustré le débat autour des signes religieux. Mais elle oblige à s’interroger à chaque époque sur la manière de penser l’intérêt collectif et d’assurer la cohésion de la société.

77L’article 2 est le plus connu et pourtant il est rarement cité dans son intégralité. Si chacun aime à rappeler que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », d’où la suppression dans le budget de l’État des « dépenses relatives à l’exercice du culte », rares sont ceux qui citent la phrase suivante : « Pourront toutefois être inscrites etc… ». Introduire de la sorte, aussitôt après l’affirmation d’une séparation radicale, des exceptions, donc admettre la nécessité d’accommodements, peut apparaître une simple mesure de circonstance. Si telle avait été son intention, le législateur aurait précisé qu’il agissait ainsi à titre provisoire. Une autre lecture, conforme à ce que nous savons des discussions qui entourent la rédaction, conduit plutôt à y lire une volonté de pacification et un souci de cohérence avec l’esprit général de la loi. Pacification : tout est fait pour éviter un affrontement dès lors que l’essentiel est acquis. Cohérence : il convient de traduire dans la réalité l’engagement à garantir la liberté de cultes, y compris pour ceux qui sont privés de leur mobilité. Puisque la laïcité vise à assurer l’égalité entre tous les citoyens, la République prévoit la possibilité pour les représentants des cultes d’aller vers les individus quand ceux-ci ne peuvent pas aller vers les cultes.

78L’analyse des articles suivants confirme la volonté de concilier des exigences a priori contradictoires. La neutralité liée à la séparation n’empêche pas de faire place à la négociation pour trouver une issue aux problèmes de propriété et de gestion des biens cultuels. Loin d’être la privatisation de la religion que certains ont affirmée et d’autres dénoncée, la loi prévoit l’exercice public du culte, l’organisation des processions ou la sonnerie des cloches (article 27). Si elle émancipe la Cité de l’autorité et de la norme religieuse, la représentation nationale prend acte de la dimension sociale des appartenances religieuses et une majorité se dégage dès 1907-1908 pour chercher un équilibre entre émancipation de toute tutelle confessionnelle et droit des principales confessions à s’exprimer publiquement.

Vers un Code la laïcité ?

79C’est cette philosophie qui continue à inspirer les dispositions récentes face aux exigences alimentaires posées par les religions, mais aussi désormais par des courants séculiers. Elle est exposée dans un recueil des principaux textes législatifs réunis sous le titre Code de la laïcité par Jean-Michel Ducomte, avocat et maître de conférences en droit public à l’Institut d’études politiques de Toulouse, président de la Ligue de l’enseignement et auteur de plusieurs ouvrages sur la République et la laïcité. En ouverture du Chapitre V « Le respect des prescriptions et des rites », il rappelle l’importance dans les débats des pratiques rituelles autour de l’abattage et des interdits alimentaires [36].

80

« Chaque religion impose à ses croyants le respect d’un certain nombre de prescriptions et de rites La conciliation de ces particularismes religieux avec les règles de l’ordre public républicain ou avec l’exigence de l’égalité de tous devant le service public peut s’avérer problématique. En effet, par essence, le principe de laïcité, dès lors qu’il refuse de reconnaître les individus au travers de leurs appartenances et de leurs identités, notamment religieuses, favorise un affranchissement par rapport à ces singularités de comportement. Mais la réalité s’impose : on assiste depuis un certain temps, à une demande croissante d’individualisation des prestations proposées par l’État, les collectivités territoriales de la part de représentants ou de croyants de diverses religions qui revendiquent, au nom de leur croyance, un aménagement des règles générales.
Dans ce contexte, un certain nombre de problèmes méritent une attention particulière, car c’est autour des solutions que le droit positif permet de dégager que se mesure la capacité du principe de laïcité à concilier un ordre public valable pour tous et le nécessaire respect de la liberté religieuse de chacun. Ainsi doivent être évoqués : les pratiques rituelles d’abattage, les interdits alimentaires, les questions relatives aux sépultures et aux cimetières ou, enfin, le respect des fêtes religieuses ».

81Faisant ensuite le constat d’un vide juridique, l’auteur souligne que les solutions naissent de réponses pragmatiques élaborées par la jurisprudence à partir des situations rencontrées.

82

« Dans ces différents domaines, la loi est souvent muette, et c’est la pratique, éclairée par un certain nombre de solutions jurisprudentielles qui, le plus souvent, a permis de dégager, sinon des solutions de principe, du moins un certain nombre d’aménagements de ce que les Québécois appellent “l’accommodement raisonnable” ».

83Et de donner en exemple la solution apportée pour l’abattage rituel :

84

« Le décret n° 97/903 du 1er octobre 1997, [..] relatif à la protection des animaux au moment de leur abattage ou de leur mise à mort, fixe un certain nombre de règles.
Article 8 : L’étourdissement des animaux est obligatoire avant tout abattage ou la mise à mort, à l’exception des cas suivants : l’obligation d’étourdissement des animaux fait l’objet d’une dérogation en ce qui concerne les abattages rituels. En effet, dans les traditions juives et musulmanes, l’animal est égorgé et vidé de son sang alors qu’il est conscient. La loi française a donc fait une concession de ce point de vue aux revendications cultuelles. D’autres pays européens (Norvège, Suède), adoptent à cet égard une attitude plus rigoureuse en interdisant tout abattage rituel.
Toutefois, si les abattages rituels sont admis, ils sont strictement réglementés. Ils doivent, normalement, intervenir au sein d’un abattoir. Et doivent être effectués par des sacrificateurs habilités à cet effet par l’État » [37].

Le respect de l’ordre public prévaut toujours sur les exigences cultuelles

85Pour dirimer les conflits, le législateur en vient ainsi à compléter son dispositif juridique en rappelant la règle générale (le respect de l’ordre public prévaut toujours sur les exigences cultuelles), tout en laissant la voie libre pour des accommodements. L’exemple ci-dessous, toujours issu du Code publié par la Ligue de l’enseignement, montre l’importance de la négociation, ce qui suppose que les deux parties sont disposées à trouver un terrain d’entente.

86

« Toutefois, le respect de l’abattage en abattoir n’est pas toujours facile à appliquer, et notamment à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd-el-Kébir, littéralement “fête du sacrifice”. À cette occasion, chaque famille sacrifie un mouton ou un bélier en suivant un rituel précis.
Aussi, le ministre de l’Intérieur et le ministre de l’Agriculture sont-ils conduits à adresser aux préfets une circulaire les incitant à favoriser la conciliation entre l’attachement des musulmans à l’accomplissement du rite du sacrifice lors de cette fête l’Aïd-el-Kébir, avec les dispositions applicables en matière de santé publique, de protection animale et de respect de l’environnement. En réalité il s’agit, le plus souvent de ne pas faire obstacle à des égorgements d’animaux dans l’espace privé de la famille, dès lors que leur exécution ne porte pas une atteinte trop importante au respect de l’ordre public. La communauté musulmane, de son côté, a incité ses membres à une modération dans les pratiques d’abattage, et négocié des accords avec de grandes surfaces alimentaires pour obtenir la fourniture en nombre suffisant d’animaux abattus dans le respect des exigences rituelles.
Par ailleurs, l’insuffisance du nombre d’abattoirs constitue un élément favorisant, à l’occasion de la fête de l’Aïd-el-Kébir, l’irrespect des règles posées par le décret du 1er octobre 1997, et le recours à des abattoirs clandestins.
À diverses reprises, le Conseil d’État, saisi de la difficulté, a eu l’occasion de considérer que devait prévaloir le respect des dispositions d’ordre public relatives à l’abattage des animaux, sur le respect des exigences cultuelles. Le Conseil d’État a annulé une circulaire qui admettait des dérogations au principe de l’abattage rituel au sein d’un abattoir ».

Menu du lycée Lamartine de Mâcon, Académie de Dijon

figure im4

Menu du lycée Lamartine de Mâcon, Académie de Dijon

87La jurisprudence éprouve plus de difficulté à réguler les exigences en matière de composition des menus en fonction des interdits alimentaires. Si certaines compagnies aériennes résolvent la question en demandant à leurs clients de commander leur menu, et en faisant payer un supplément, les repas à la carte posent de multiples difficultés dans le cadre des restaurants collectifs. La majorité des restaurants scolaires ou d’entreprises offrent une alternative à un plat dont on sait qu’il ne peut pas être consommé par un certain nombre d’usagers. Mais jusqu’où doivent aller les entrepreneurs et les services publics pour respecter les demandes de croyants sans alourdir les coûts et empiéter sur les droits de ceux, majoritaires en France, qui s’en sont émancipés et ressentent l’introduction de ces interdits comme une contrainte nouvelle anachronique et une pression intolérable des religions ? Certaines décisions récentes semblent aller dans le sens du droit des croyants, mais ce dernier reste subordonné au bon fonctionnement des services.

88

« La plupart des religions prescrivent des usages particuliers en matière d’alimentation. Ainsi, les musulmans et les juifs ne peuvent pas consommer de porc. Les premiers ne doivent manger que de la viande hallal, les seconds suivent un régime casher. Les catholiques sont, quant à eux, tenus de préférer le poisson à la viande le vendredi [38]. À cela s’ajoute, pour les musulmans, l’obligation de respecter le jeûne du ramadan qui leur fait interdiction, pendant cette période, de consommer tout aliment ou d’absorber toute boisson du lever ou coucher du soleil. Nombre d’établissements publics ou privés qui offrent des services de restauration sont confrontés à cette problématique : doivent-ils adapter les menus qu’ils proposent à ces particularismes religieux ?
Jusqu’à ce jour, aucun texte n’est venu réglementer la prise en compte de tels interdits ou de tels usages dans les cantines scolaires, les restaurants administratifs, dans l’armée, les prisons ou les institutions sociales et médico-sociales. La pratique a conduit à progressivement prendre en compte les exigences religieuses en matière alimentaire. Dans son rapport remis au Président de la République, le 11 décembre 2003, la commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République précise à ce sujet : “Les substituts au porc et au poisson le vendredi doivent être proposés dans le cadre de la restauration collective (établissements scolaires, pénitentiaires, hospitaliers, entreprises). Cependant, la prise en compte des exigences religieuses doit être compatible avec le bon fonctionnement du service, selon le principe que les Québécois appellent l’accommodement raisonnable. Il n’est donc pas proposé d’aller au-delà de l’offre d’un substitut au porc et de poisson le vendredi” ».

89Le commentateur souligne enfin que tout n’est pas réglé et que cela peut provoquer des dysfonctionnements.

90

« Un total empirisme caractérise les solutions pratiques mises en œuvre. Selon les institutions concernées, la réalité change. Dans son rapport public 2004 (« Un siècle de laïcité », La Documentation française, Étude de document n° 55/2004, p. 326), le Conseil d’État souligne que dans les prisons, le porc est exclu des repas servis aux musulmans, mais il n’y a pas de nourriture hallal. Les détenus israélites peuvent, quant à eux, manger de la nourriture casher mais ils doivent en assumer la charge financière. En revanche, dans l’armée, de la nourriture hallal est proposée ».
On le voit, les solutions sont marquées par un éminent pragmatisme qui, dans certains cas, a conduit l’autorité administrative à fixer par voie de circulaires, de notes de services ou d’instructions, les éléments d’un cadre plus précis, comme dans l’Éducation nationale ».

Précarité des réponses et pressions sociales

91L’équilibre reste donc précaire, soumis aux pressions de l’opinion, aux contextes électoraux, à l’état de l’opinion, à l’actualité, comme en témoignent les dispositions arrêtées en matière de cantines scolaires et rapportées dans le même Code.

« En 1982, dans une note de service n° 82-598 du 21 décembre, le ministre de l’Éducation nationale préconise la prise en compte dans les cantines des “habitudes et coutumes alimentaires familiales”, notamment pour les enfants d’origine étrangère ».
En 1983, dans une réponse ministérielle, le ministre de l’Éducation nationale, dans sa réponse, précise que le principe de la liberté de conscience des élèves hébergés entraîne, pendant la période du ramadan, une situation assimilable à un cas de force majeure (Quest. n° 34/960, Jonq, 17 octobre 1983, p. 4553). Cette solution a été confirmée dans une circulaire du 29 décembre 1985.
Toutefois, avec une certaine malice, où n’étaient pas absentes des arrière-pensées politiques, quelques municipalités ont pu tenter de s’affranchir de la nécessité de prendre en compte, dans les cantines scolaires, l’existence d’interdits alimentaires fondés sur des préoccupations religieuses (tribunal administratif de Marseille, 26 novembre 1996, Mmes Zitounni, Ghirbi et autres contre la commune de Marignane, Conseil d’État, juge des référés, ordonnance du 25 octobre 2002, Mme Renault). À cette occasion, le juge administratif rappellera que les communes n’avaient aucune obligation de proposer des menus adaptés.
Dans le même temps, de façon il est vrai prudente, la circulaire d’application de la loi du 13 août 2004 (circ. du 21 décembre 2004 relative à la deuxième étape de la décentralisation) précise la possibilité, pour les départements et les régions, de mettre en place une tarification spéciale pour des menus spécifiques, ce qui, d’une part démontre la possibilité d’offrir de tels menus, mais a pour conséquence de faire peser sur ceux qui les sollicitent les conséquences financières des choix qu’ils opèrent ».
L’examen des textes en vigueur pourrait s’étendre aux dispositions prises pour les institutions médico-sociales, les foyers sociaux, les hôpitaux ou les maisons de retraite. Il vérifierait sans doute que le droit à la pratique religieuse s’exerce dans le respect de la liberté d’autrui et sous réserve que son exercice ne trouble pas le fonctionnement normal des établissements et des services [39]. Mais si ces deux critères viennent rappeler les limites auxquelles sont soumis les droits individuels, ils ne fournissent pas de manière mécanique une solution à toutes les situations et ne dispensent jamais d’une réflexion collective.

Conclusion : aux débuts d’un long chemin

92Soumis à des demandes contradictoires, le législateur avance avec une extrême prudence, soucieux de ne pas s’enfermer dans des règles strictes et définitives. Le refus de légiférer sous la pression d’un événement médiatisé et de prendre le temps de la réflexion a, jusqu’à présent, triomphé. Une autre voie évoquée consiste à demander aux autorités religieuses le soin d’assurer la régulation des conflits en proposant des compromis raisonnables. Mais l’autorité des institutions reconnues par l’État (épiscopat catholique, Synode national protestant, Consistoire central israélite, Conseil du Culte musulman) se heurte à l’individualisation de la croyance et à l’autonomie des croyants qui choisissent leur propre guide dans leur environnement social ou sur internet. Dans ce contexte, il serait illusoire de penser que la République peut s’en remettre à un interlocuteur désigné et faire l’économie de prises de position claires sous peine de voir le débat confisqué par certains groupes passés maîtres dans l’exploitation des polémiques. Les réponses apportées par la jurisprudence montrent que, peu à peu, l’empirisme laisse place à des décisions argumentées. Un code de la laïcité, tel qu’il semble s’élaborer, est une manière de fournir des règles collectives à partir de la jurisprudence et, en collant aux réalités, de réaffirmer un principe et de s’interroger sur sa mise en œuvre. L’apprentissage de la cohabitation dans le pluralisme passe aussi aujourd’hui dans la rédaction de chartes qui commencent à avoir une existence visible dans certains lieux publics (écoles, hôpitaux) et explicitent ce que les croyants peuvent demander et ce qu’ils doivent accepter. Mais combien des destinataires les lisent et les comprennent ?

93La promulgation de lois et l’affichage de chartes ne peuvent pas être suffisantes pour tout régler à l’échelle de toute la société. L’apprentissage de l’accommodement raisonnable bien compris, fruit d’une négociation et visant la pacification, dans l’esprit de la loi de 1905, implique des efforts réciproques. Si le rôle de l’État est de garantir la liberté des croyants et des non croyants, il doit aussi éviter le repli des groupes religieux sur eux-mêmes et la montée des logiques de confessionnalisation de la vie sociale. Rien n’interdit de faire une place à certaines règles en matière alimentaire, au nom de la paix sociale, et de demander en retour aux religions de ne pas franchir certaines limites et d’accepter des concessions en certaines occasions. Le judaïsme a toujours prévu des exceptions [40], le christianisme a multiplié les exceptions et dérogations, et, on l’a vu plus haut, les musulmans n’ignorent pas cette possibilité, déjà présente dans le Coran, quand les relations sociales l’exigent.

94Ces exceptions consenties, dans un contexte de tolérance, pourraient manifester la volonté de promouvoir une cohabitation pacifique et la convivialité entre des hommes et des femmes de conviction différente ; conviction, et pas seulement croyance religieuse différente, comme en témoigne la montée en puissance du veganisme [41]. Car on sait à quel point la table joue un rôle essentiel, de l’échange des savoirs culinaires et la formation du goût à la célébration des grands moments de la vie. Elle est un moment privilégié pour faire l’expérience d’un vivre ensemble qui permet la construction jamais achevée d’une culture commune. Cela suppose qu’à certaines occasions les croyants et les adeptes d’une philosophie prônant des règles alimentaires et admettent, conformément aux principes exposés dans les textes fondateurs des religions, que toute règle alimentaire comporte des exceptions. La transaction négociée et la conciliation comme nécessité de la vie commune dans une société plurielle, c’est déjà la voie que suggère le Coran :

95

« La nourriture de ceux à qui a été donnée l’Écriture est licite pour vous, et votre nourriture est licite pour eux ».
(5,5)

96C’est aussi l’impératif que rappelait Mohammed Abduh, cité plus haut, en invitant les musulmans à accepter les nourritures des Gens du Livre dans certaines conditions « pour éviter l’embarras dans les échanges et les transactions avec eux ». Le partage du repas peut devenir plus important que la défense des spécificités religieuses et idéologiques et l’élévation de frontières entre individus.

Légitimité et limites des logiques de différenciation

97La logique de différenciation, notamment par l’alimentation et le vêtement, pose la question des manières par lesquelles nous pouvons continuer à expérimenter et manifester ce que nous avons en commun dans nos sociétés pluralistes. Cette exigence de coexistence paisible est pour l’heure exprimée sous forme de frontière à ne pas franchir à travers le respect de l’ordre public (ou le bon fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement, de l’école etc.). On peut aussi imaginer de la considérer comme un idéal social qui implique des possibilités de partage. Puisqu’il existe dans les traditions religieuses des dispositions pour hiérarchiser les priorités, adapter les devoirs en fonction des situations et admettre des exceptions au respect de l’interdit, pourquoi ne pas chercher à inventer des moments qui expriment concrètement cette volonté ?

98Mais cela implique que chaque acteur choisisse une attitude d’ouverture lucide. Les solutions apportées à la question des repas hors du domaine privé suggèrent la possibilité de sortir d’un affrontement sans issue. La proposition d’un plat végétarien à côté de celle d’une viande est une réponse pragmatique et simple, qui transcende les impératifs religieux, philosophiques, de santé. C’est aussi une manière efficace de ne pas focaliser le débat seulement sur les normes religieuses, avec le risque de les renforcer, et d’appliquer la même attitude à l’égard de toutes les philosophies et de tous les régimes alimentaires. En montrant leur volonté d’apaisement, les responsables de la préparation de repas collectifs ne sont pas suspectés de partialité quand ils considèrent impossible de satisfaire toutes les demandes tout en prouvant qu’ils ne sont pas insensibles aux attentes.

99Allons un peu plus loin. Peut-on imaginer de demander aux croyants et aux tenants d’un type particulier d’alimentation, en certaines occasions, de faire passer la convivialité et le partage avant le strict respect de toutes les prescriptions suivies en temps ordinaire ? Accepter de manger un aliment habituellement prohibé ou qui n’obéit pas à tous les critères désirés ne signifie pas renier sa foi ou mettre sa santé en danger, si cela contribue au respect mutuel et à la rencontre.

Notes

  • [1]
    Pour une description plus complète des interdits, voir : http://www.cie.ugent.be/aldeeb2.htm ; A. Aldeeb Abu-Sahlieh, Les interdits alimentaires chez les juifs, les chrétiens et les musulmans. L’auteur est responsable du droit arabe et musulman à l’Institut suisse de droit comparé, Lausanne.
  • [2]
    Le texte énumère dix animaux purs : le bœuf, le mouton, la chèvre, le cerf, la gazelle, le daim, le bouquetin, l’antilope, l’oryx et le mouflon (Dt 14, 4-5).
  • [3]
    Les oiseaux sont purs à l’exception de vingt-quatre espèces considérées impures dont la liste est compilée à partir du Lv 11,13-19 (qui en nomme vingt) et Dt 14, 12-18 (qui en nomme vingt-et-un), entre autres l’aigle, l’autruche, le pélican, la cigogne, le hibou.
  • [4]
    Polémiques reprises par des Églises qui maintiennent la distinction entre pur et impur en accusant les traducteurs d’avoir mal traduit l’évangile de Marc.
  • [5]
    « C’était en rêve : Il voit le ciel ouvert et un objet, semblable à une grande nappe nouée aux quatre coins, et descendre vers la terre. Et dedans il y avait tous les quadrupèdes et les reptiles, et tous les oiseaux du ciel. Une voix lui dit alors : “Allons, Pierre, immole et mange”. Mais Pierre répondit : “Oh non ! Seigneur, car je n’ai jamais rien mangé de souillé ni d’impur !” De nouveau, une seconde fois, la voix lui parle : “Ce que Dieu a purifié, toi, ne le dis pas souillé”. Cela se répéta par trois fois, et aussitôt l’objet fut remporté au ciel » (Ac 10, 11-16).
  • [6]
    W. Norman Brown, « La vache sacrée dans la religion hindoue » in Annales, économie, sociétés, civilisation, 1964, n° 4, p. 649.
  • [7]
  • [8]
    « Si tel est le bon plaisir du roi et si j’ai trouvé grâce devant lui, si la chose paraît convenable au roi et s’il a quelque bienveillance pour moi, qu’on écrive à l’effet de révoquer les lettres, transmettant la pensée d’Aman, fils de Hamedata, l’Agaghite, qui a écrit de perdre les juifs établis dans toutes les provinces du roi » (Esther 8,5).
  • [9]
    Georges Hansel, De la Bible au Talmud, Paris, Odile Jacob, p. 13.
  • [10]
    « Rougissez de votre aveuglement devant nous autres chrétiens, qui ne regardons pas même le sang des animaux comme un des mets qu’il est permis de manger, et qui, pour cette raison, nous abstenons de bêtes étouffées et de bêtes mortes d’elles-mêmes, pour n’être souillés en aucune manière de sang, même de celui qui est dans les chairs » (Tertullien, Apologétique, IX, 13).
  • [11]
    À ne pas confondre avec les périodes de jeûne sans abstinence où la viande reste permise.
  • [12]
    Droit canon, 1917 – Titre 14 – De l’abstinence et du jeûne : 1250 à 1254 (extraits). « 1250 – La loi de l’abstinence défend de manger de la viande et du jus de viande, mais non pas des œufs, des laitages et de tous les condiments tirés de la graisse des animaux. 1251 – La loi du jeûne prescrit qu’il ne soit fait qu’un repas par jour ; mais elle ne défend pas de prendre un peu de nourriture matin et soir, en observant toutefois la coutume approuvée des lieux, relativement à la quantité et à la qualité des aliments. Il n’est pas défendu de consommer viandes et poissons au même repas ; ni de remplacer la réfection du soir par celle de midi. Il y a des jours où seule l’abstinence est prescrite : ce sont les vendredis de chaque semaine. Il y a des jours où sont prescrits à la fois le jeûne et l’abstinence : ce sont le mercredi des Cendres, les vendredis et samedis de carême, les jours des Quatre-Temps ; les vigiles de la Pentecôte, de l’Assomption, de la Toussaint et de Noël. Il y a enfin des jours où seul le jeûne est prescrit ; ce sont tous les jours du Carême. 1254 – Sont obligés par la loi de l’abstinence tous ceux qui ont atteint sept ans révolus ».
  • [13]
    Pierre Mauroy ayant refusé de manger de la viande le vendredi, lors du premier congrès des jeunesses socialistes auquel il participe en 1947, se voit menacé par les trotskistes d’être traduit en commission de discipline. Il commente : « C’est de ce congrès que m’est venu le refus de la démagogie virulente, du verbalisme gauchiste, du terrorisme du dogme » (Le Monde, 8 juin 2013, p. 16).
  • [14]
    http://www.lagrandemosquee-de-clermont.fr/index.php/dossiers/le-halal/144-le-halalun-peu-de-theologie.html
  • [15]
    Florence Bergeaud-Blackler, « De la fatwā du Transvaal au marché halal : ouverture et fermeture de l’espace alimentaire musulman (1903-1980) » in https://www.academia.edu//20844755/De_la_fatwā_du_Transvaal_au_marché_halal_ ouverture_et_fermeture_de_lespace_alimentaire_musulman_1903-1980
  • [16]
    Ibid., p. 73
  • [17]
  • [18]
    Et par symétrie identifier les mécréants dont la viande est interdite
  • [19]
  • [20]
    « La Malaisie, très en avance sur la normalisation du halal, a fait de la mention “halal” une sorte de norme, comme il en existe beaucoup (Iso, Afnor, etc.). De fait, tout produit qui répond à un certain nombre d’exigences (de qualité, religieuses, etc.) pourra porter la certification “halal”. Comme nous l’explique Mohamed Noor, lecteur d’Al-Kanz, dans un commentaire, une eau est halal quand, suite à une inspection règlementaire, il a été prouvé qu’elle n’a pas été polluée par quelque impureté que ce soit. C’est pourquoi, outre l’eau halal, on trouve en Malaisie des produits certifiés halal : thé, café, boisson aux fruits » (source : http://www.al-kanz.org/2008/04/02/halal-eau-danone-malaisie/).
  • [21]
  • [22]
    Hiérarchie socio-religieuse traduite depuis les Portugais par le terme caste
  • [23]
    Au nom du principe de non-nuisance, ils exigent l’interdiction de consommer tout produit alimentaire susceptible d’abriter une forme de vie, même sous forme de germe ou de ferment (Marie-Claude Mahias, Délivrance et convivialité. Le système culinaire des Jaïna, Paris, Msh, 1985).
  • [24]
    http://www.indeenfrance.com/reunion.php/2012/03/17/hindouisme-et-consommationde-viande
  • [25]
    Éloi Ficquet, « De la chair imbibée de foi : la viande comme marqueur de la frontière entre chrétiens et musulmans en Éthiopie », Anthropology of Food, n° 5, mai 2006, http://aof.revues.org/105. L’affirmation finale d’un impératif de différenciation reste à discuter et ne se vérifie ni dans toutes les religions, ni dans toutes les cultures.
  • [26]
    François Asher, Le mangeur hypermoderne : une figure de l’individu éclectique, Paris, Odile Jacob, 2005, p. 95
  • [27]
    Il faudrait ici reprendre l’histoire des débats que suscitent, depuis la fin du xixe siècle, les écrits de William R. Smith sur les origines totémiques des tabous : Claude Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd’hui, Paris, Puf, 1962.
  • [28]
    Mary Douglas, De la souillure, Paris, Maspero, 1981.
  • [29]
    Philippe Descola, Par delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
  • [30]
    Claude Fischler, L’homnivore, Odile Jacob, Paris, 1990.
  • [31]
    Isabelle Bouard « Regard anthropologique sur les interdits alimentaires », Les Cahiers Dynamiques, 1/2005 (n° 33), p. 25-26 (http://www.cairn.info/revue-les-cahiersdynamiques-2005-1-page-25.htm).
  • [32]
    Des psychanalystes se sont attaqués à l’interprétation des textes bibliques ou coraniques. À titre d’exemple Daniel Zaoui analyse les interdits alimentaires bibliques comme le passage « d’une religion polythéiste idolâtre à une religion monothéiste dont la caractéristique consiste dans « l’exaltation du père » et le refoulement maternel : Daniel Zaoui, « Une interprétation psychanalytique des interdits alimentaires bibliques », Champ Psychosomatique, n° 29, 2003, p. 120.
  • [33]
    Un reportage de la chaîne de télévision France 24 s’est fait l’écho de « la bataille du bœuf » qui a opposé des Hindous pratiquants à des étudiants (28/08/2012).
  • [34]
    Marie-Claude Mourrégot, L’Islam à l’île de La Réunion, Paris, 2010, L’Harmattan, p. 344.
  • [35]
    Le recueil le plus officiel est celui édité par la Documentation française en 2011 sous le titre (contesté par certains laïcs) : Laïcité et liberté religieuse. Recueil de textes et de jurisprudence.
  • [36]
    L’ensemble du Code est accessible et téléchargeable sur le site de la Ligue de l’enseignement : http://www.laicitelaligue.org/index.php?option=com_content&task=view&id=1175&Itemid=269.
  • [37]
    L’article 13 énumère les sacrificateurs agréés pour l’islam et le judaïsme.
  • [38]
    La référence que Jean-Michel Ducomte fait au catholicisme, sans doute destinée à démontrer la volonté de traiter de la même manière toutes les religions, ne précise pas clairement qu’il ne s’agit pas dans son cas d’un interdit.
  • [39]
    « Le législateur a même été conduit à intervenir dans les conflits entre divorcés de religion différente (de philosophie différente sans doute aussi) quant à la conduite à tenir envers les enfants en matière d’alimentation. Confronté à des revendications relatives au respect d’interdits alimentaires, le juge se refuse, jusqu’à présent, à faire du respect ou du non-respect de ces interdits par l’un des parents un des critères d’attribution de la garde des enfants. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 1er février 1988 (Jurisdata n° 1998-020744), a rejeté la demande de garde formulée par un père sur ses enfants au motif que leur mère ne respecterait pas ses propres convictions religieuses. Elle se refusait en effet à inscrire ses enfants dans des établissements respectueux de préconisations alimentaires de la religion juive, et qui suspendaient la scolarité le samedi. Dans un autre arrêt du 1er juillet 1999, la même juridiction a rejeté la demande d’un père qui souhaitait, dans le cadre d’une garde alternée, que pendant la période de résidence des enfants chez leur mère, les enfants déjeunent chez lui (Jurisdata n° 99-024478). En réalité, ce n’est que dans l’hypothèse où le refus de prise en compte d’interdits alimentaires serait de nature à constituer une discrimination qu’un tel refus serait juridiquement sanctionnable. Dans ce cas, le Conseil d’État ne craint pas de mettre en avant des préoccupations d’ordre public » (Code de la laïcité, op. cit.).
  • [40]
    On en trouve une illustration humoristique dans la BD de Joann Sfar, Le chat du rabbin, Paris, Dargaud, 6 vol. publiés (2002-2015).
  • [41]
    Le vegan exclut de son alimentation tout produit d’origine animale (végétalien) et adopte un mode de vie respectueux des animaux (habillement, cosmétiques, loisirs…).
Français

La question des interdits alimentaires occupe une place croissante dans nos sociétés européennes sécularisées. Elle déborde le champ religieux avec l’émergence de revendications croissantes fondées sur des philosophies ou la préservation de la santé. Cependant l’influence des religions est la plus visible hier comme aujourd’hui. Après un retour à l’histoire et aux textes religieux fondateurs des principales religions, la contribution examine l’interprétation critique des sciences sociales et ses limites. Il cherche comment la laïcité constitue un cadre fécond pour réguler la multiplication des demandes dans le respect des droits individuels et le partage nécessaire de la table.

English

Food taboos, religions, conviviality

The problem of food taboos has become an increasingly important element in European societies. It is beyond the religious field with the emergence of increasing demands based on philosophies or the health protection. However the influence of the religions is the most visible yesterday as today. After return in the history and in the founding religious texts of the main religions, the contribution examines the critical interpretation of the social sciences and its limits. He(it) looks how the « laïcité » constitutes a fertile context to regulate the increased demand in the respect for individual rights and the necessary sense of community.

Claude Prudhomme
Université Lumière – Lyon 2
Larhra – Iserl
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/10/2016
https://doi.org/10.3917/hmc.039.0113
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Karthala © Karthala. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...