CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La Révolution française a été un événement fondateur de l’histoire européenne, mais aussi, paradoxalement, une parenthèse institutionnelle dans une France habituée à des siècles de monarchie. Il était illusoire de la part des Conventionnels de l’An II de prétendre détruire le temps, au même titre que les souvenirs les plus visibles de l’Ancien Régime dans l’espace public. Par conséquent, entre 1789 et 1799, c’est l’instabilité constitutionnelle qui prévaut dans les rapports politiques. Pas moins de quatre régimes politiques se succèdent, le Directoire obtenant la palme de la longévité (presque cinq années) grâce à la complexité de son système, un habile mélange de représentativité, de parlementarisme et d’autoritarisme [1]. L’exécutif, en revanche, divisé en cinq parties égales, peine à s’imposer auprès des Français qui demeurent attachés dans leur immense majorité à une figure bien réelle pour incarner à la fois la Nation et le pouvoir que cette dernière confère.

2Cette absence d’incarnation – les plaisanteries au sujet des Directeurs sont nombreuses, comme celle des « quatre livres seize, car il faut cinq fois cette somme pour faire un louis [2] » – a pu peser au moment où apparaît en pleine gloire militaire la figure du général Bonaparte, héros des campagnes d’Italie [3] et d’Égypte [4]. Que cette dernière soit un échec stratégique n’arrête pas la cristallisation des sentiments d’une opinion qui s’est de toute évidence choisi un chef : face à des institutions qui entretiennent la pénible impression de n’être que provisoires, le général Bonaparte incarne tout simplement la France guerrière [5]. À lui, donc, de transformer ce capital de sympathie en un véritable projet institutionnel. Le coup d’État des 18 et 19 brumaire an VIII lui donne toute la latitude nécessaire pour agir.

3Ce n’est que lorsqu’il s’empare du pouvoir que les Français s’aperçoivent qu’ils connaissent en définitive fort peu l’homme qui les dirige désormais, d’où le grand nombre d’écrits, critiques ou emphatiques, qu’il suscite et qu’il n’a jamais cessé de susciter depuis. Au-delà du seul génie militaire, ce sont aussi les paradoxes de l’homme et de son entourage qui nourrissent les débats.

4Chez les Bonaparte, les paradoxes sont en effet nombreux [6] : Français mais aussi Corses, aristocrates mais appartenant à un milieu fragile et singulier, républicains mais initiateurs d’un système qui emprunte à la monarchie bon nombre de ses symboles et codes. Tous ces paradoxes, mis bout à bout, illustrent la crise des institutions et de leur légitimité à la fin du xviiie siècle, car le « système de famille [7] » imaginé par Napoléon pour lui et les siens, est destiné à être exporté et à s’inscrire dans le cadre d’un Empire aux frontières mal définies [8].

5On a pu parler, au sujet de cet Empire, de projet de « monarchie universelle [9] », lequel trouve ses racines dans les régimes des siècles précédents et qui a pu être diversement débattu par nombre de penseurs et philosophes. Montesquieu, pour ne citer que lui, s’était montré à la fois lucide et critique sur ce projet, prêté en son époque à Louis XIV. Derrière les ambitions d’un seul roi, le philosophe se permettait d’amener dès l’introduction à un essai destiné à demeurer confidentiel la question suivante : peut-il « arriver qu’un peuple ait, comme les Romains, une supériorité constante sur les autres » en Europe [10] ? Selon lui, la réponse était tout simplement « non ».

6Napoléon s’est, du reste, bien gardé de théoriser son propre système politique car, s’il a lu certains des écrits les plus célèbres de Montesquieu, il n’a aucune intention d’appuyer son action sur la foi d’un programme déjà défini [11]. Il n’éprouve que méfiance, voire mépris envers les « métaphysiciens [12] » qui s’évertuent à vouloir influencer la forme de son pouvoir politique dans les premières années de son règne, alors que le Consulat semble encore ouvrir une porte, étroite certes, à la réflexion. Il apparaît bien vite que si l’objectif avoué du régime est la pérennisation des institutions républicaines nées de la Révolution, celui-ci n’hésite pas à emprunter ou réinventer les signes des régimes précédents afin de gagner en légitimité [13]. Le recours à la forme monarchique est de ce fait indispensable, à défaut d’être pleinement souhaitable.

7La légitimité est une affaire de temps [14] et le temps de la monarchie n’est pas celui d’un régime républicain aussi radical que celui qui a tenté d’émerger en France à la faveur de la Révolution [15]. Cette tentative de créer un régime nouveau ne s’arrête d’ailleurs pas à la France : elle se retrouve en Hollande, vieux pays républicain, à Naples, en Espagne ou en Allemagne, rencontrant à chaque fois des obstacles, mais aussi des succès. Les bases d’une Europe nouvelle sont-elles ainsi jetées ? Il nous sera permis de répondre à cette question à travers trois réflexions : l’une portant sur la question monarchique et ses corollaires, l’autre sur le cas particulier du royaume d’Étrurie et enfin la dernière sur les ambivalences de la notion de vassalité dans les royaumes associés à l’Empire.

La question monarchique et ses corollaires

8Les Français accueillent avec un mélange de curiosité et d’indifférence l’annonce du coup d’État perpétré à Paris par le général Bonaparte : d’une part, cet événement s’est déroulé avec l’assentiment d’une partie du personnel politique (Emmanuel Sieyès, l’un des protagonistes, occupe la fonction de Directeur) et d’autre part, l’armée n’a pas bougé, alors qu’elle ne présente pas un front uni [16]. Le général Bonaparte et ses alliés ont su manœuvrer pour que les généraux les plus en vue ne contrarient par leur plan, en s’assurant au mieux de leur soutien tacite, au pis-aller de leur promesse de rester neutre. La perspective d’un régime mi-parti, qui verrait l’alliance d’un vétéran des glorieuses journées de 1789 (Sieyès) et du plus extraordinaire stratège né des guerres révolutionnaires (Bonaparte), a pour mérite de ramener la paix civile dans un pays déchiré par les querelles politiques et religieuses. Des républicains éclairés aux monarchistes les moins radicaux, ils sont nombreux à penser que cet événement n’est que le signe précurseur d’un mouvement plus vaste destiné à fermer la parenthèse révolutionnaire. Comme l’écrit fort bien le philosophe Joseph Joubert au début de l’année 1800 : « Arracher ? Non, mais déplanter [17]. »

9Entre 1800 et 1804, la personnalisation du régime s’accentue : l’exécutif est certes incarné par trois consuls, mais c’est le premier d’entre eux, Napoléon Bonaparte, qui concentre l’essentiel des pouvoirs, notamment militaires, au moment où la France est encore menacée par les coalitions formées à la faveur des guerres de la Révolution. La victoire de Marengo, en juin 1800, donne lieu à d’intenses débats en interne sur les mesures à prendre en cas de mort prématurée du Premier consul et résoudre le problème de sa succession [18]. Déjà, se pose la question d’une transmission du pouvoir à l’un ou l’autre de ses frères, Joseph ou Lucien, en l’occurrence. Il apparaît qu’au-delà de la mise en place d’institutions solides (Tribunat, Sénat, Conseil d’État, préfectures…), destinées à assurer le triomphe d’un État centralisé et fort, la question de la tête et de l’incarnation de cet État est présente et ne cesse de se poser. Par conséquent, la place de la famille Bonaparte et celle de ses membres dans l’ordre officiel devient l’objet d’une réflexion de la part des membres des institutions.

10La nature du régime évolue donc. Le 21 floréal an X (11 mai 1802), un arrêté du Sénat conservateur acte la prolongation de la durée des pouvoirs du Premier consul. C’est la première marche vers l’instauration progressive d’une nouvelle forme de monarchie et celle-ci passe par un renforcement toujours plus poussé du pouvoir régalien. Le Sénat n’a eu aucune peine à justifier les mesures : « Elles doivent avoir pour résultat de montrer aux nations étrangères l’intime union qui attache au gouvernement l’opinion et les vœux du peuple français, et d’établir sur une base assurée la permanence et la solidité des rapports qui unissent la France aux autres États [19]. » En d’autres termes, la France se dote d’institutions autoritaires dans l’esprit d’en imposer aux autres nations : le projet du Premier consul apparaît dès lors bien comme débordant le seul cadre de ses frontières, au demeurant fort mouvantes. L’expansion qu’il entrevoit passe aussi par l’affirmation de la nature plus monarchique de son régime.

11Cette affirmation n’est pas sans susciter d’intenses débats jusque dans sa propre famille. Si elles restent relativement confinées au cadre intime et ne sont pas destinées à s’exposer en place publique, les dissensions internes au clan sont bien connues de la plupart des conseillers et des personnalités qui côtoient au quotidien les Bonaparte. Déjà, entre 1800 et 1802, les agissements du « triumvirat » fantôme formé par Joseph, Lucien et leur sœur Élisa – chacun d’eux emmenant avec eux une part non négligeable de l’opinion publique, des républicains modérés aux catholiques – n’ont pas manqué d’être très commentés [20].

12Alors que le Premier consul donne, année après année, un tour toujours plus personnel au pouvoir, à travers des modifications de la Constitution et les plébiscites qui les accompagnent, les interrogations ne manquent pas de naître autour de cette personnification, chaque fois plus chargés de symboles, et de la probable restauration de la monarchie qui transparaît derrière les actes. La personne du Premier consul, puis celle de l’empereur, disparaît bientôt derrière la barrière d’un protocole de plus en plus restrictif. Ceux qui avaient l’habitude de l’approcher peuvent en témoigner. Ainsi, le sénateur Siméon, dont les sentiments monarchistes ont toujours été constants, observe un changement immédiat dans les habitudes de Napoléon :

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Avant même le 30 floréal, jour où le Premier consul fut proclamé empereur, une telle étiquette s’était établie qu’il n’y avait plus de possibilité de parler au chef de l’État que lorsqu’on était interrogé. On ne le voit plus que dans l’audience publique, après la messe ou dans le cercle du mercredi soir à Saint-Cloud. Là, il est entouré d’une foule empressée à recueillir une parole ou un regard ; quand on en aurait la permission, on n’aurait pas l’occasion de l’entretenir devant tout le monde d’affaire particulières qui exigent du détail ou de secret [21].

14La restauration du cérémonial de cour, ainsi que des charges qui l’accompagnent, se fait toutefois de façon intelligente, en tirant profit de l’actualité internationale, mais aussi de celle qui survient au sein de la famille Bonaparte [22]. Le décès du général Leclerc, époux de Pauline Bonaparte, alors que sa mission à Saint-Domingue ne rencontre pas le succès escompté, permet au Premier consul de notifier sa mort à l’ensemble des cours européennes selon les anciens usages. Certes, les opposants ne manquent pas de se gausser du procédé, en insistant sur la personnalité plutôt obscure du défunt [23], mais l’événement permet de renouer les liens d’intimité qui existaient entre la cour des Tuileries et celles d’Europe avant la Révolution. De même, le Premier consul restaure l’obligation du port des vêtements de deuil dans le cadre d’une période bien définie et en fonction du rang occupé par la personnalité disparue. La famille Bonaparte est, à ce titre, devenue une institution à compter des années 1801-1802.

15Cette promotion l’amène à être traversée par toutes sortes de doutes quant aux qualités de ses membres. Ce n’est pas une question d’ordre matérielle car chacun a profité du coup d’État de Brumaire pour obtenir des places et des distinctions : Joseph est membre du Conseil d’État, Lucien devient ministre de l’Intérieur, Louis est placé à la tête d’un régiment ; l’oncle Joseph Fesch ne tarde pas à obtenir le rang d’archevêque et bientôt le chapeau de cardinal ; quant aux sœurs, Élisa, Pauline et Caroline, elles exercent toutes leur influence, soit à travers leurs maris [24], soit à travers leurs cercles d’intimes, constitués de conseillers d’État, de philosophes, de militaires et de financiers.

16À ce stade, chacun des membres de la famille Bonaparte s’évertue à recréer des fragments d’usages ou de codes qui dérivent de l’Ancien régime, période à la fois honnie et sujette à une certaine nostalgie sous laquelle perce déjà le romantisme [25]. Du reste, il y a urgence, ainsi que le mande l’oncle Fesch à Lucien, peu de temps après le départ de ce dernier pour son ambassade d’Espagne : Paris manque de fêtes et de représentations officielles, lesquelles ne tarderont pas à devenir l’apanage des financiers et des ambassadeurs étrangers si le Premier consul n’y met pas lui-même bon ordre et ne s’empare du sujet [26]. À l’État austère et froid qu’il incarne, doit s’associer un autre aspect de l’exercice du pouvoir, celui qui distribue les honneurs et récompense les bonnes ou glorieuses actions.

17Dès cette époque, les Bonaparte doivent se soumettre aux prérogatives que le Premier consul entend exercer sur eux. S’ils bénéficiaient jusqu’alors d’une certaine liberté, notamment dans leurs choix matrimoniaux, cette dernière disparaît au profit de ce qui peut déjà être désigné comme une nécessité d’État. C’est ainsi que Louis Bonaparte est sommé d’épouser Hortense de Beauharnais – fille née du premier mariage de Joséphine – tandis que Pauline n’a aucun mot à dire sur le prince Camille Borghèse qui lui est pour ainsi dire attribué dans le cadre de la très ambitieuse politique romaine de son frère [27].

18Si l’un et l’autre s’exécutent et ne font aucun scandale public, il en va autrement du frère le plus rebelle de Napoléon Bonaparte, Lucien. Veuf depuis 1800, ce dernier est tombé amoureux d’une femme au passé plutôt chargé, Alexandrine de Bleschamp [28]. Cette dernière est encore mariée au moment où elle entame sa liaison avec Lucien, ce qui vaut à celui-ci une volée de reproches bien sentis de la part de son frère. Néanmoins, pas question pour autant de céder : en 1803, le mariage a lieu, sans le consentement du Premier consul. Lucien préfère renoncer à une carrière publique en France et part pour les États romains où il bénéficie de l’hospitalité très intéressée du pape.

19Sans doute, l’épisode du mariage de Lucien n’est que le prétexte pour mettre sur la touche l’une des chevilles ouvrières du coup d’État de brumaire : brièvement nommé à l’Intérieur, poste clé au sein du gouvernement, Lucien a déjà été écarté une première fois du pouvoir moins d’un an après la conquête de celui-ci et envoyé en Espagne jouer les ambassadeurs improvisés, alors que les relations entre la France et cette puissance méritent d’être redéfinies et renforcées. Ayant tout autant échoué à imposer sa ligne à l’Intérieur qu’à convaincre son frère de prendre au sérieux les ambitions du tout-puissant Godoy, premier ministre et favori du roi d’Espagne, Lucien est revenu en France avec la ferme intention de prendre la tête d’une opposition au sein même du pouvoir. Ses projets matrimoniaux, dont il a certainement sous-estimé l’enjeu dans une France en plein retour à l’ordre moral, l’empêchent de concrétiser ce plan.

20À compter de 1803 et surtout au cours de l’année 1804, le rôle d’opposant de l’intérieur échoit à Joseph, l’aîné des Bonaparte. Contrairement à Lucien, il n’a pas exercé de fonction ministérielle et bien qu’il se défende de nourrir pareille ambition, il rêve silencieusement d’un portefeuille de « principal ministre [29] » qui lui permettrait de consolider les acquis arrachés lors des traités internationaux dans lesquels il a été personnellement impliqué. De la paix de Mortefontaine (1800) à celle d’Amiens (1803), Joseph a participé à l’ensemble des pourparlers destinés à rétablir des relations normalisées avec l’ensemble des puissances européennes. S’il a été étroitement encadré par son frère et le ministre des Relations extérieures, son rôle n’en a pas moins été mis en avant par les autorités françaises qui ont fort bien perçu l’intérêt de mettre en lumière la personnalité engageante et civile de Joseph Bonaparte. Celui-ci a pu se flatter d’obtenir de bons résultats et de gagner personnellement la confiance des chefs de délégations opposées [30]. En retour, il attend une plus grande écoute de la part de son frère sur un certain nombre de sujets, notamment l’avenir des institutions.

21Aussi, comment les Bonaparte vivent-ils l’avènement de leur frère à la dignité impériale ? Aussi paradoxal que cela puisse être, la majorité d’entre eux n’approuve que modérément les transformations politiques en cours [31]. Pour ces héritiers revendiqués de la pensée de Voltaire et de Rousseau, les dangers d’un tel renversement politique ne sont pas sans conséquences pour l’équilibre de la famille.

22Les jeux d’ombre, les partis qu’il sont constitué autour d’eux, ainsi que les conseillers qu’ils se sont attachés, issus de milieux divers, les amènent à prendre ce parti. Joseph reçoit ainsi, au moment où s’ouvrent les débats concernant les cérémonies à mettre en œuvre pour asseoir la légitimité du nouveau régime, les notes que lui adresse son collègue, le sénateur Pierre-Louis Roederer. Tout d’abord très favorable au coup d’État de brumaire, mais sans doute déçu dans ses ambitions, Roederer qui rêvait lui aussi d’un destin ministériel s’est rapproché du frère aîné du Premier consul pour l’aider à constituer sa ligne politique.

23Le 14 juin 1804, Roederer fait passer un avis très négatif sur l’actualité politique à Joseph [32]. La France est à un moment crucial de son histoire : la guerre a repris avec la Grande-Bretagne, tandis qu’à Paris, les réseaux royalistes clandestins ont été brutalement décimés [33]. Dans la foulée, une figure majeure sur laquelle l’opposition au Premier consul capitalisait a été arrêtée et fait l’objet d’une action judiciaire retentissante : il s’agit du général Moreau, homme aux convictions fragiles, influençable, mais auréolé du prestige de nombreuses victoires militaires [34]. Quelques semaines plus tôt, le 21 mars 1804, le duc d’Enghien, qui portait les espoirs de l’opposition royaliste la plus virulente, a été enlevé en Allemagne et exécuté à l’issue d’un procès nocturne et sommaire. Pour certains, c’est la Terreur qui est remise à l’ordre du jour, mais une Terreur différente, car plus secrète et somme toute plus ferme que la précédente, car ne témoignant pas des errements d’un gouvernement paranoïaque.

24Cette pesante ambiance et les exemples de fermeté n’empêchent pas les Bonaparte de continuer à s’opposer à certains détails dans le dispositif impérial qui se met lentement en place. Les motifs de fâcheries peuvent paraître insignifiants, ils n’en sont pas moins révélateurs des désaccords qui se sont élevés ici et là et qui mettent en question la légitimité du nouvel empereur vis-à-vis des siens. Si ses frères et sœurs ne sont pas en mesure d’empêcher cette transformation, dans laquelle ils ont tout de même peu à perdre d’un point de vue matériel, ils n’en sont pas moins jaloux d’un certain nombre de prérogatives, et en particulier celles qui touchent à la place de la future impératrice. Joseph, en particulier, s’oppose de toutes ses forces à ce que Joséphine soit couronnée au cours de la cérémonie du sacre qui doit avoir lieu à Notre-Dame le 2 décembre 1804 [35]. Il s’agirait d’abord de conserver un semblant d’égalité parmi les épouses, mais aussi de limiter le plus possible l’irruption du sacré au sein même de la structure familiale.

25Joseph a en outre été ébranlé par la vigueur des avis négatifs qui lui sont parvenus au sujet de cette question. Nombreux sont les dignitaires du régime à ne pas adhérer à la restauration des formes les plus visibles de la monarchie telle qu’elle existait avant 1789. Quelle place la divinité peut-elle occuper dans l’ordre politique [36] ? Si les relations se sont apaisées avec l’Église et la signature du Concordat, il n’en reste pas moins que le régime s’est construit sur la notion d’assentiment populaire (le plébiscite) et le soutien de l’armée. La religion, elle, si elle demeure un enjeu social de taille, destinée à garantir la paix civile, ne s’est pas encore invitée au centre même du pouvoir comme élément constitutif du pouvoir exécutif. Toutefois, et comme Siméon l’a souligné [37], la messe est bien devenue un élément essentiel du cérémonial de cour : le nouvel empereur a remis au goût du jour la tradition des audiences et des entretiens dans la foulée de la cérémonie religieuse et fait de cette dernière un temps ordinaire de la cour. Faut-il pour autant revenir aux symboles les plus éminents de l’Ancien Régime ? Roederer, non sans justesse, rappelle que l’ampoule du saint chrême et les autres artefacts – il utilise le terme de « talismans [38] » pour les qualifier – remontant aux origines de la royauté ont été brisés irrémédiablement par la Révolution et que ce geste symbolique a transféré la mystique du pouvoir à un acteur décisif, la nation, dépositaire de la souveraineté populaire.

26Roederer n’est pas pour autant radical dans sa démarche : comme l’ensemble des sénateurs, il a approuvé la transformation du régime, tant que cela était nécessaire pour en imposer aux autres puissances. Il laisse entendre que la dignité impériale est d’abord créée pour impressionner les souverains voisins et que, dans cette optique, le nouvel empereur bénéficiera d’un soutien plein et entier de la majorité des Français. En revanche, ces mêmes Français ne seront pas tous dupes de la portée que peut avoir la résurrection des anciens symboles.

27Napoléon Bonaparte avait-il le choix au moment de remettre le sacré au centre de son discours et de son action [39] ? Il sait combien son entourage est propre à se laisser griser de paroles et par l’esprit de système. Lui-même croit-il en la force des symboles qu’il s’apprête à reprendre à son propre compte ? Il est permis d’en douter, même si rien n’a été négligé pour faire des diverses cérémonies, civiles et religieuses, qui se sont succédé tout au long de l’année 1804 des événements destinés à réconcilier les Français avec leur histoire. Pour la cérémonie du 2 décembre à Notre-Dame, la présence du pape, dûment accompagné de l’incontournable oncle Fesch, est le signe de la pérennité de la concorde religieuse négociée en 1801. Il peut d’autant mieux envisager sereinement sa nouvelle fonction que l’esprit public n’est globalement pas hostile à son accession à la couronne, ni à la transmission héréditaire de cette dernière, le problème étant que la question de la succession n’est pas complètement tranchée. Bientôt, l’institution de la Saint-Napoléon, comme fête nationale, tend jusqu’à donner à sa propre personne une véritable mythologie inscrite dans le paysage habituel des Français [40].

28Les observateurs les plus attentifs auront pu remarquer l’absence d’au moins trois membres de la famille Bonaparte lors des cérémonies du 2 décembre et non des moindres : Jérôme, le frère cadet, empêché de se présenter pour cause de mariage non validé par le chef de famille ; Lucien, désormais relégué dans un quasi-exil en Italie, surveillé de près et évité par tous ceux qui cherchent à conserver la faveur impériale ; Madame Mère, qui n’a pas jugé bon de quitter Lucien à Rome.

29La quatrième dynastie parviendra-t-elle à asseoir sa légitimité [41] ? Un exemple récent, en particulier, aurait pu l’inciter à la prudence.

Le royaume d’Étrurie : un rêve et un échec

30La création du « royaume d’Étrurie [42] », au nom aussi antique que romantique, est l’une des conséquences les plus visibles de la paix de Lunéville et de l’entente que la France républicaine et l’Espagne des Bourbons souhaitent mettre en œuvre malgré les différences structurelles immenses qui les séparent. Représenté par son frère Lucien, ambassadeur à Madrid, le Premier consul a approuvé le curieux montage qu’on lui a soumis. Le duché de Parme doit disparaître à la mort du duc régnant, Ferdinand ; le fils de ce dernier, l’infant Louis, est appelé au trône d’Étrurie. Le tout s’accompagne d’une indemnité considérable, versée par l’Espagne à la France [43]. Tout semble parfait sur le papier, à l’exception de quelques inconnues, et de taille : la République française est-elle habilitée à recréer une monarchie, même étrangère, de toutes pièces, et le souverain de cette nouvelle monarchie acceptera-t-il les formes et les limites de gouvernement que ses alliés entendent lui imposer au nom de leurs intérêts et de leurs principes ?

31Installé à Madrid, où il vit avec son épouse Marie-Louise, fille du roi Charles IV, le nouveau roi entame son retour en Italie en effectuant une étape à Paris. Il est reçu avec faste, tant par le gouvernement que par la grande aristocratie revenue à Paris. Ce sont là des alliances d’un genre particulièrement nouveau : le Premier consul ressuscite en quelque sorte l’ancien Pacte de famille qui unissait depuis 1761 la France et l’Espagne des Bourbons et cette façon de faire est infiniment plus satisfaisante que les habituels rapports de force qui prévalaient jusqu’alors. L’accueil prodigué au jeune couple royal montre que la haute société française n’a pas perdu sa fascination à l’égard de la monarchie et c’est pour le Premier consul un succès personnel de voir l’empressement avec lequel les Parisiens saluent « le comte et la comtesse de Livourne », nom emprunté par Louis et son épouse pour l’occasion [44].

32Napoléon Bonaparte n’est cependant qu’à moitié convaincu par cette opération : s’il goûte les paroles qui encensent sa modération et sa modestie – on cite en particulier ce vers de Voltaire pour décrire son action : « J’ai fait des souverains, et n’ai pas voulu l’être [45] » – il émet des réserves sur les qualités personnelles du souverain et s’agace des démonstrations faites à son égard par la marquise de Montesson, ancienne maîtresse de feu le duc d’Orléans, trop contente de rappeler les liens de parenté qui l’unissent aux Bourbons. D’une certaine manière, l’exercice a touché ici ses limites, ou plutôt a fait ressurgir du bois certains fantômes fort encombrants : il a suffi d’un seul infant d’Espagne pour que ressuscitent certains usages abolis et notamment l’esprit courtisan. La thématique de l’incarnation s’est invitée là où on ne l’attendait pas : Louis d’Étrurie porte avec lui des siècles de tradition et d’ordre, là où le Premier consul est encore contraint d’user de la force et de la coercition pour se faire respecter de ses adversaires.

33La période des fêtes et des réceptions cesse pour laisser place à celle du temps politique : les nouveaux souverains d’Étrurie font leur entrée à Florence, salués sans enthousiasme par leurs sujets encore attachés aux Habsbourg-Lorraine auxquels ils ont succédé. Louis Ier d’Étrurie n’a pas de programme politique et ses entretiens avec le Premier consul n’ont pas contribué à effacer le flou qui entoure son accession au trône. Beaucoup de puissances ne l’ont du reste pas encore reconnu, à commencer par son propre cousin, le roi de Naples, qui a émis des réserves sur la légitimité du procédé. C’est au ministre des Relations extérieures, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord que revient la charge d’expliquer et de tracer la conduite à suivre. Il résume ses attentes dans une lettre-cadre destinée à l’ambassadeur de France à Florence, le général Clarke.

34La création du royaume d’Étrurie, rapporte Talleyrand, est d’abord et avant tout une question de géopolitique : la Toscane a été enlevée à l’influence de l’Autriche, contrainte de trouver d’autres terrains d’expansion et cette opération s’inscrit dans le resserrement des liens entre l’Espagne et la France voulu par le Premier consul. Cependant, qui dit nouveau roi dit aussi nouveau régime et là-dessus, Talleyrand se prend à rêver à voix haute : « Le gouvernement, les hommes, tout est nouveau dans ce pays. Ce sera à votre discernement à apprécier les hommes avec lesquels vous devez traiter ; à vous rapprocher de ceux dont l’influence peut vous seconder […] et à sonder le terrain politique sur lequel vous devez marcher [46] ». La position centrale de la Toscane est par ailleurs idéale : aucun de ses voisins n’a à craindre de velléités de conquête de sa part et ceux-ci ont plutôt intérêt à voir le nouvel État comme la garantie de la politique pacifique menée par la France en Italie. En effet, l’Étrurie est considérée comme le cordon qui lie les Républiques-sœurs de la France (République cisalpine, République ligure…) aux vieux États indépendants (Lucques, Rome et Naples) dont l’existence et les institutions ne sont plus formellement remises en cause. Talleyrand se prend même à espérer que Louis Ier parvienne à réconcilier les frères ennemis que sont Charles IV d’Espagne et Ferdinand IV de Naples.

35Les intérêts économiques ne sont pas non plus oubliés. En mettant la main sur la Toscane et son gouvernement, la France se voit en mesure de tailler des croupières à la Grande-Bretagne en redonnant à Livourne sa splendeur d’antan :

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Livourne se bornait depuis nombre d’années au commerce maritime de commission. Elle avait perdu la meilleure partie de celui de l’Afrique ; le gouvernement toscan avait même cessé d’entretenir quelques frégates pour protéger sa navigation, depuis que l’Autriche l’avait fait comprendre dans ses traités avec la Porte Ottomane [47].

37Il conviendra toutefois, ainsi que le souligne Talleyrand, de veiller à ce que le nouvel État, protégé de la France, ne devienne ni une puissance maritime, ni une puissance militaire susceptible de s’imposer par elle-même. Louis Ier doit s’inspirer de l’exemple de ses prédécesseurs, les grands-ducs autrichiens, en ordonnant sa cour sur leur modèle qui privilégiait la simplicité et l’économie. De la sorte, l’Étrurie deviendrait une monarchie aux fastes raisonnables, c’est-à-dire postrévolutionnaire, mais dont les racines n’auront pas entièrement été coupées. Une monarchie en somme polymorphe. Le ministre n’a guère besoin de rappeler que le Premier consul éprouve de l’intérêt pour le régime qu’il est en train d’aider à fonder et qui pourrait, le cas échéant, servir de règle pour les autres États dont la France s’est érigée en protectrice. Dans cette optique, l’ambassadeur reçoit la stricte consigne de ne pas donner l’impression de trop favoriser le parti pro-français qui existe à Florence, sans paraître le négliger pour autant, de manière à ce que domine l’impression d’un gouvernement maître de ses décisions.

38Ces pieuses intentions ne pourront être mises en pratique : les circonstances politiques, ainsi que l’actualité internationale, ne permettent pas de créer cet espace dont le gouvernement toscan a besoin pour apparaître autonome. Talleyrand va jusqu’à interférer dans l’organisation de ses archives lorsqu’il tranche par lui-même au moment de déterminer ce qui doit être conservé à l’île d’Elbe et ce qu’il convient de rapatrier à Florence [48].

39Ce minuscule exemple n’en est qu’un parmi d’autres, mais il révèle le poids grandissant de la France dans la gestion des affaires intérieures du royaume, ce qui n’est pas sans provoquer de nombreux incidents, en particulier avec le roi lui-même, qui refuse de se faire dicter la marche de ses affaires. Pour protester contre cet état de fait, Louis Ier n’hésite pas à ralentir le cours des discussions, voire à refuser purement et simplement de conclure les traités en cours, comme celui qui doit entériner la succession de son père à Parme. Il refuse également de ratifier le traité de commerce qui doit rapprocher son royaume de la France. Cette résistance est loin d’impressionner Talleyrand, qui n’y voit que les signes de « la crainte de changement et la timidité d’une administration nouvelle » qui ignore les intérêts véritables de son pays [49]. Par souci de conciliation, le ministre recommande de ne pas heurter les consciences des membres du gouvernement et de ralentir le rythme des réformes imposées à l’administration de l’Étrurie. Malgré les liens qui lui ont été imposés, Louis demeure attaché aux formes de l’absolutisme, aidé en cela par un facteur que les Français ne peuvent contrôler : sa foi religieuse.

40Toutes ces péripéties, qui se doublent bientôt du basculement du roi dans la folie, font du petit royaume un État en sursis. Louis Ier n’est pas installé depuis un an que déjà les rumeurs courent sur son compte : il est, entre autres, question de le remplacer par le roi de Sardaigne, et sa mort précoce, le 27 mai 1803, relance les spéculations sur l’avenir même de l’Étrurie. Un conseiller parisien écrit ainsi une discrète note destinée au général Clarke pour l’entretenir d’un très curieux projet qui consisterait à remarier la veuve du roi Louis avec le Premier consul. L’argument utilisé n’est pas des plus anodins : « Les honneurs rendus aux femmes sont le caractère essentiel de la monarchie, où le pouvoir est héréditaire et propre et non confié et transitoire [50]. » En d’autres termes, en épousant la reine Marie-Louise, le Premier consul renforcerait le caractère monarchique de son pouvoir et cela de façon naturelle. Dans l’esprit de ce conseiller, resté anonyme, il y aurait une confluence d’intérêts à réaliser cette union : de la sorte, l’Étrurie aurait réellement été le laboratoire de la restauration monarchique en France, au profit des Bonaparte.

41Il en ira différemment : peu convaincu d’attribuer des couronnes à des princes étrangers, même dotés d’institutions réformées, le Premier consul puis empereur va tout faire pour liquider cette expérience qui se sera révélée coûteuse et porteuse de conflits. Cette attitude lui vaut quelques reproches, polis mais fermes, de la part de l’ambassadeur d’Espagne à Milan, M. Gomez de Labrador qui, le 14 mai 1805, écrit au général Clarke ces lignes pleines de bon sens :

42Oserai-je parler à Son Excellence de la petitesse de cet État moins étendu avec le titre de royaume qu’il ne l’était avec celui de grand-duché ? L’histoire, en présentant à l’admiration des siècles à venir les prodiges du plus grand des mortels [Napoléon], oublieront sans doute la création du royaume d’Étrurie ; ou elle devra dire : voilà la seule chose petite sortie de ses mains [51].

43Pourtant, en soi, ce petit État portait déjà en lui les failles qui vont miner l’Europe des Bonaparte que le Premier consul entend créer.

Vassalité et royaumes-frères : deux exemples ambivalents

44L’élévation de Napoléon Bonaparte à la dignité impériale signifie non seulement l’avènement d’une monarchie héréditaire qui se veut la synthèse parfaite des institutions nées de la Révolution et de l’héritage culturel de l’Ancien Régime, provisoirement débarrassé des querelles d’ordre religieux, mais aussi une profonde remise en question des liens familiaux et affectifs qui unissaient jusqu’à présent le chef de l’État avec les siens. Après l’échec de sa « création étrurienne » qui consistait, ni plus ni moins, à se servir de l’ancien pour créer du neuf, l’empereur entend cette fois se servir de sa famille pour asseoir le modèle de gouvernement qu’il entend promouvoir partout en Europe.

45Lors d’une conversation hautement stratégique avec Roederer, Napoléon dévoile les grandes lignes du « système » qu’il souhaite instaurer [52]. Il ne peut concevoir que l’un de ses frères, quel qu’il soit, lui succède un jour, quand bien même la nouvelle constitution le prévoit et ce pour une bonne raison : Joseph, Lucien, Louis ou Jérôme sont, comme lui, « né(s) dans la dernière médiocrité » et, plus grave, y sont restés en dépit de ses efforts pour les installer aux plus hautes responsabilités. La conversation, qui tire au monologue, dure deux heures, pendant lesquelles Napoléon parle et se justifie contre les siens, au risque d’obtenir l’effet inverse de celui escompté. Il sait, en effet, que Roederer répétera ses paroles à Joseph et que ces dernières sont susceptibles d’ouvrir une nouvelle crise dans la famille.

46La question majeure reste celle de la succession. En restaurant l’hérédité comme principe constitutionnel, le nouvel empereur conforte certes la mainmise de sa maison sur l’ensemble des institutions, mais se place dans une situation inconfortable : il n’a, pour l’heure, aucun enfant et les chances d’en avoir un avec son épouse, l’impératrice Joséphine, semblent très compromises. Il se refuse cependant à envisager le divorce ; les projets d’une union avec une princesse d’une dynastie étrangère sont bien, pour le moment, nuls et non avenus. Seule l’adoption est considérée comme la meilleure option possible, à condition de porter le choix sur un enfant qui serait, lui, « né dans la grandeur », terme vague qui sous-entend la capacité légitime d’incarner la puissance de l’État.

47Au cours de cette conversation, Napoléon prononce par deux fois le mot « système [53] » : d’abord pour justifier les titres dont il pare son entourage, afin de mieux faire ressortir le sien, ensuite pour défendre le principe de l’adoption, « garantie de [son] indépendance ». Il est néanmoins conscient que les plus grandes résistances ne sont pas à attendre d’une opposition politique profondément divisée, mais de sa famille même. Joseph lui apparaît comme le plus susceptible de semer le trouble, mais il lui faut aussi compter avec Caroline, « un petit bout de femme » plus difficile à convaincre que tous les sénateurs réunis. Comparant les mérites respectifs des uns et des autres, il en vient à admettre préférer Hortense et Eugène de Beauharnais, les enfants nés du premier mariage de Joséphine. Même s’il n’est pas non plus né dans la pourpre, le jeune Eugène lui paraît un candidat sérieux à la succession.

48Hortense, épouse de Louis Bonaparte, a longtemps fait l’objet de toutes les attentions, bien que Napoléon lui ait choisi en fin de compte un mari bien peu assorti à ses goûts [54]. Peu heureux, le ménage n’en est pas moins prolifique et, mieux encore, voit la naissance d’un garçon dont l’empereur s’entiche, montrant envers lui la plus grande et la plus sincère tendresse, s’inquiétant de sa santé et riant de ses premiers mots. Aussi, lorsque Louis et Hortense s’opposent fermement à l’idée que leur fils leur soit enlevé pour être adopté, c’est un coup très rude porté aux projets de l’empereur. Paradoxalement, la mort tragique du jeune prince, pendant le règne hollandais de son père, ne provoque aucun chagrin parmi ses sujets, alors que la nouvelle est vécue comme un séisme au sein de la famille Bonaparte.

49La question de la succession pèse encore sur les consciences, alors que les frères et sœurs de Napoléon sont envoyés régner sur plusieurs des États vassaux de l’Empire : c’est d’abord Élisa qui, dès 1805, devient princesse de Lucques, avec pour mission de tenir bon face au pape sur les questions de concordat ; puis Louis obtient la Hollande, Caroline et son mari le grand-duché de Berg et, enfin plus tardivement, le jeune Jérôme le royaume de Westphalie. Néanmoins, c’est Joseph qui reçoit la couronne la plus imposante, celle de Naples. S’il ne l’a pas souhaitée dans un premier temps, fermement décidé à poursuivre à Paris son œuvre politique, son frère ne lui a pas laissé le choix en lui donnant l’ordre de prendre la tête de l’armée destinée à conquérir le royaume de Naples, au tout début de l’année 1806.

50Un temps réticent, Joseph finit par se laisser prendre au jeu du pouvoir. L’un de ses amis et conseillers, Stanislas de Girardin le voit opérer une impressionnante métamorphose, alors que le peuple napolitain l’acclame comme son nouveau souverain et ce, bien qu’il ne le soit pas encore officiellement. « La nouveauté séduit toujours un peuple susceptible d’exaltation », écrit alors Girardin dans son journal, ajoutant encore : « Les premiers cris de Vive le roi ! qui se sont fait entendre à Reggio ont doucement chatouillé son oreille [55]. » Pour le nouveau souverain, fidèle à ses principes républicains, l’acclamation populaire remplace toutes les cérémonies : c’est là que se trouve en quelque sorte sa légitimité à gouverner.

51Tout l’enjeu consiste à savoir si les Bonaparte sont en mesure de régner et de réinventer le concept même de monarchie. Joseph s’est toujours présenté comme un républicain convaincu, arguant pour cela de ses origines corses et de l’héritage paoliste qui a longtemps été entretenu au sein même de sa famille [56]. Il n’en est pas moins très sourcilleux sur les devoirs de ses nouvelles fonctions, ainsi que sur le périmètre de son action. Dans le même temps, il bataille ferme pour conserver ses droits sur la couronne impériale, ne souhaitant pas les abandonner, même pour Naples.

52Les deux années qu’il passe à Naples sont extrêmement fructueuses sur le plan des réformes lancées dans l’intention de transformer le vieux royaume féodal et encore imprégné de l’influence de l’Église en un État moderne, pourvu d’institutions centrales [57]. Pour ce faire, Joseph développe son Conseil d’État comme un véritable instrument de guerre, tandis qu’il donne à ses ministres, notamment celui des Finances qui n’est autre que le fidèle Roederer, toute latitude pour agir dans le sens de ces réformes. Les ministres élaborent donc l’appareil législatif qui est ensuite soumis au Conseil d’État pour étude, mais uniquement sur ordre du roi. Ce dernier, du reste, peut assister aux séances du Conseil et n’hésite pas à ajouter ses propres commentaires en marge des projets s’il le juge nécessaire. Le Conseil d’État est donc entièrement dans la main du roi, mais dans l’intérêt du bien public [58].

53Entre 1806 et 1807, cette institution de combat examine une bonne centaine de projets, soumis par les ministères de la Justice, des Finances, de l’Intérieur et de la Guerre. La féodalité est abolie, les biens de l’Église nationalisés, la justice entièrement refondue, un ministère de la Police créé, tandis que l’on examine la possibilité d’accorder les articles du Code Napoléon au nouvel arsenal pénal et civil que les services du roi mettent en place avec une grande vitesse. Tout ce travail culmine en 1808 avec le projet de constitution que le roi étudie avec le plus grand soin, quelques jours à peine avant de devoir céder la place à son beau-frère Murat, laissant ce dernier travail inachevé car jamais mis en œuvre.

54Bien qu’il n’ait pu aller au bout de ses intentions de réformes, Joseph laisse une œuvre assez impressionnante à Naples, bien qu’entachée des conséquences d’une révolte populaire à l’ampleur imprévue (Calabre, 1806) et du recours permanent à la force militaire française pour imposer un ordre précaire. En soi, le régime n’a pas eu le temps de se concilier les classes les plus populaires et a dû très vite composer avec une occupation coûteuse. De la sorte, la forme monarchique a pu répondre paradoxalement à ce besoin d’ordre.

55Il en va assez différemment en Hollande, où le nouveau roi Louis n’a guère eu besoin de recourir à un appareil militaire démonstratif pour asseoir son autorité [59]. Celle-ci peut s’appuyer sur une tradition politique plus ou moins démocratique solidement établie. La France, protectrice autoproclamée de la République batave née sur les ruines du régime du stathouder, a accompagné les transformations institutionnelles avec un certain bonheur, comptant sur l’appui d’une partie des élites. Aussi, l’annonce de la transformation de la République en monarchie s’effectue sans donner lieu à de véritables démonstrations d’opposition.

56C’est, pour Louis, plutôt une chance car son accession au trône n’est pas pour autant de tout repos : sujet à de fréquents accès de maladie – il souffre notamment de rhumatismes invalidants – il est absent dès le début de son règne et ne peut assister aux deux événements censés souder la population autour de lui, à savoir la Saint-Napoléon (15 août) et la Saint-Louis (25 août 1806) [60]. La montée, en parallèle, des tensions internationales avec la Prusse et la poursuite de la guerre avec la Prusse viennent en outre ajouter aux inquiétudes, au point que le gouvernement hollandais doit lever de toute urgence une armée nationale, dans un pays où la conscription n’existe pas.

57Ce premier épisode a tôt fait apparaître la faiblesse du nouveau royaume qui est par ailleurs l’une des plaques financières les plus importantes du continent. Ainsi que le résume fort bien le jeune secrétaire d’ambassade à La Haye, Louis-Barbe Sérurier :

58

L’élévation d’un prince français au trône de Hollande, destiné à devenir un jour la source de la prospérité de l’État deviendra le prétexte de la banqueroute de nos ennemis qui de ce jour aux ménagements qu’ils ont eus jusqu’ici pour nous suspendront le payement des intérêts des emprunts considérables faits à Amsterdam, ou des créances que nous avons en leur pays [61].

59Louis a, du reste, bien cerné les forces et les faiblesses de son pouvoir, soumis aux pressions des groupes financiers qui détiennent une part réelle de ce dernier : n’est-ce pas une banque hollandaise qui permet dans le même temps au royaume de Joseph de survivre ? Il sait aussi que la Hollande occupe une place stratégique dans la collecte du renseignement et que Paris est très dépendant de l’envoi des journaux anglais dont les bureaux ont besoin pour étudier l’ensemble de la situation internationale. Bien qu’il promette de les envoyer régulièrement, il en retient parfois quelques-uns, pour tâter le terrain et appréhender les réactions.

60Elles ne tardent pas : dès septembre 1807, Napoléon émet des doutes sur la fidélité du gouvernement hollandais après avoir pris connaissance d’un rapport accablant de Dupont de Chaumont, son ambassadeur à La Haye. S’il se garde bien d’émettre la moindre accusation envers son frère (qu’il n’épargne cependant guère dans les lettres qu’il lui envoie), il demande à son personnel diplomatique de l’éclairer. Sérurier, interrogé par Champagny, ne peut guère éluder et confirme le sens du rapport de son supérieur : il y a en Hollande une volonté de résistance aux ordres de l’Empire et si Louis a été bien accueilli par la population, ce n’est que parce que celle-ci y a vu le moyen d’échapper à l’annexion pure et simple [62]. On comprend mieux pourquoi le décès de son fils n’a donné lieu à aucune émotion populaire.

61L’instauration du blocus des marchandises anglaises a été longuement combattue [63]. Jusqu’en 1808, date à laquelle il consent à rendre des décrets pour l’appliquer, Louis n’a jamais cessé de couvrir les répugnances de son gouvernement à introduire en Hollande les lois françaises. Il a aussi laissé entraver les projets d’abolition des privilèges des villes, communautés et corporations ou de réforme fiscale. Pour lui, le blocus est un motif de déchirement supplémentaire. Toute sa raison combat ce dispositif. À Joseph, il confie dans une longue lettre, « je parle peut-être trop en Hollandais, mais je trouve quelque chose de révolutionnaire à la manière dont on fait la guerre au commerce ». Louis n’a jamais pu considérer autrement l’adjectif « révolutionnaire » que sous un angle négatif. Il ajoute encore : « Pour un système chimérique, tout le continent perd son commerce, sa marine et les moyens de le former diminuent constamment. » Puis, plus sombre que jamais, il énonce : « Je sais qu’une fois mort, tous ces grands intérêts, les grands malheurs ne sont rien […] mais la France, notre nom, nos enfants ; c’est triste, mon cher frère, c’est triste [64]. »

62Cette lucidité ne lui est d’aucune utilité : il ne se forme aucun parti qui lui soit favorable. En 1808, la population est divisée en deux camps : celui de la France et celui de l’Angleterre. Ce n’est que lorsqu’il prend conscience de cette fracture que Louis se décide à intervenir. Il est déjà bien tard.

63Des changements structurels sont mis en chantier à partir de 1808 et Louis ne ménage pas sa peine pour concevoir les plans les plus retors destinés à sauver l’essentiel de son pouvoir. Alors que ses relations avec le général Dupont, l’ambassadeur de son frère, n’étaient guère fameuses, il s’efforce de cultiver de meilleurs rapports avec son remplaçant, le comte de La Rochefoucauld. Surtout, en 1808, il réalise un coup de maître en attirant l’attention de l’opinion sur un discours, très réussi, parvenant à rendre l’idée de l’emprunt forcé plus supportable que celle d’un impôt exceptionnel. « Avez-vous lu le discours du roi ? » est la question qui se pose dans les rues et les salons des petites villes de Hollande. Sérurier ajoute, assez admiratif : « En général, le pathétique qui domine dans tout ce qui émane du trône est bien calculé sur le caractère de ce peuple et en produit tout son effet [65]. » Cela ne sera toutefois pas assez suffisant : peu à peu l’autorité de Louis s’efface derrière celle de son frère, qui ne peut se permettre de voir la Hollande s’éloigner de son influence et, en 1810, le roi abdique brutalement et fuit hors des frontières de l’Empire.

64Ainsi qu’on le voit, bien que structurellement différents, les exemples napolitains et hollandais se caractérisent tous deux par leur caractère inachevé et la place relativement ambiguë qu’occupent les deux rois issus de la dynastie Bonaparte : Joseph s’est transformé en président d’un Conseil d’État certes omnipotent mais dont le rôle consiste d’abord à s’inspirer du modèle français pour exister, tandis que Louis ne peut espérer susciter autour de lui l’adhésion d’un parti qui se voudrait à la fois national et garant des intérêts supérieurs de l’Empire. Leur position a pu évoquer, selon le mot de Lucien, celle de « rois-préfets », représentants d’une autorité supérieure dotés d’une liberté d’action délimitée par les codes et circulaires émanant de cette dernière. Même couronnés, ces préfets d’un genre particulier ne sont jamais là que pour substituer la légitimité impériale à celle qui aurait pu être la leur.

Temps et légitimité

65La réinvention de la monarchie par les Bonaparte passe par la création d’une nouvelle légitimité, elle-même incarnée par des hommes (et des femmes, dans une certaine mesure) amenés à défendre le projet de système porté par Napoléon. Ce dernier s’est heurté à l’écueil de la question consistant à savoir si cette légitimité pouvait être plurielle et s’adapter aux particularités des trônes des États constituant son système fédératif. Le terme « fédératif » laisse lui-même place à de larges interrogations : même si la plupart des États participant à la politique de l’Empire français disposent de leurs constitutions propres, celles-ci restent pour la plupart incomplètes ou transitoires, quand elles ne sont pas suspendues, comme c’est le cas à Naples ou en Espagne à compter de 1808. Dès lors, seule la force est en mesure de protéger, inefficacement, les institutions imposées par la France.

66Le droit constitue la première assise de la légitimité ; le temps en est la deuxième. Là aussi, le temps imparti aux monarques du « système » est relativement court et, qui plus est, contraint par un état de guerre permanent. Le fragile royaume d’Étrurie a tout simplement croulé sous le poids des charges d’entretien des troupes chargées de le défendre face à la menace que fait peser la flotte britannique sur ses ports. Peu habituées à solder autant de soldats, les finances toscanes se sont effondrées, laissant une administration entière exsangue et incapable de répondre aux besoins de la population qu’elle est censée encadrée.

67Cet exemple n’est pas suivi de mesures destinées à corriger les effets d’une politique qui, sur le long terme, finit toujours par provoquer une opposition de plus en plus violente, voire par déboucher sur une révolte générale. Peut-être faut-il y voir aussi un certain romantisme de la catastrophe, intimement lié à la notion du pouvoir : plus celui-ci est démesuré, hors de proportion avec son époque, plus il chute brutalement, lorsque la fortune se fait contraire. La comtesse Merlin a cette réflexion des plus pénétrantes, lorsqu’elle considère la puissance titanesque de l’empereur, capable de dépasser la contingence suprême, celle du temps : « Napoléon était maître du temps, comme il était maître du monde. […] On dirait que nous en sommes éloignés d’un siècle. […] Napoléon devait, par sa nature, commander aux autres hommes ; aussi sa destinée, dans toutes ses phases, fut à part de la destinée commune [66]. » Cette exceptionnelle puissance, « seule véritable aristocratie » selon la comtesse Merlin, ne s’accorde pas de délais raisonnables pour réformer, elle bouscule toutes les certitudes. Néanmoins, elle ne peut rien contre une autre contingence : si son action ne s’inscrit pas dans la justice, elle perd non sa force, mais son sens même.

68Le temps – vecteur politique par excellence – serait donc le seul créateur de légitimité, ainsi que nous l’affirmions en introduction et ainsi que le note la reine Catherine de Westphalie, épouse de Jérôme, le dernier frère de Napoléon Bonaparte, qui écrit à son père, le roi de Wurtemberg ces lignes frappantes : « Vous êtes infiniment plus heureux que nous ne pourrons jamais l’être régnant sur ces bons Souabes depuis bien du temps attachés à notre maison et naturellement d’un caractère franc et bon [67]. » La reine reconnaît que les sujets de son père lui sont attachés par des siècles de fidélité. Le temps est décidément la grande entreprise à laquelle se heurtent les Bonaparte et leurs conjoints.

69Bien entendu, le temps n’est pas seulement inscrit dans le seul cadre juridique : il est aussi celui qui confère au pouvoir, qu’il soit bien ou mal exercé, la sacralité indispensable pour justifier une action. Ainsi, nous pourrons dire que si Napoléon a parfaitement réussi à produire une nouvelle forme de sacré pour la France, qui, d’une certaine manière s’est pérennisée jusqu’à nos jours, son entreprise était infiniment plus sujette à remise en cause à l’extérieur des frontières françaises.

Notes

  • [1]
    Sur le sujet, on se réfèrera toujours à l’indispensable travail de Jacques Godechot : Les institutions de la Révolution et de l’Empire, Paris, PUF, 1985. Plus précisément sur le Directoire, J. Godechot avait également publié le manuscrit d’Albert Mathiez : Le Directoire : du II Brumaire an IV au 18 fructidor an V, Orléans, Tissier, 1934.  Puis, Georges Lefebvre, La France sous le Directoire (1795-1799), Paris, Éditions sociales, 1977 ; Jean Tulard, Les Thermidoriens, Paris, Fayard, 2005 ; Marc Belissa et Yves Bosc, Le Directoire : la République sans la démocratie, Paris, La Fabrique, 2018. On se référera également à Républiques-sœurs : le Directoire et la révolution atlantique, dir. Pierre Serna, Rennes, PUR, 2009, et notamment à l’article de Virginie Martin : « Du modèle à la pratique, ou des pratiques au modèle : la diplomatie républicaine du Directoire », p. 87-100.
  • [2]
    Émile Droz, Le comte de Modène et ses correspondants. Documents inédits sur l’émigration (1791-1803), Paris, H. Champion, 1943, vol. 1, lettre 105.
  • [3]
    Gilles Candela, L’armée d’Italie : des missionnaires armés à la naissance de la guerre napoléonienne, Rennes, PUR, 2011.
  • [4]
    Jacques-Olivier Boudon, La campagne d’Égypte, Paris, Belin, 2018.
  • [5]
    Sur cette figure, voir Jean Tulard, Napoléon, ou le mythe du sauveur, Paris, Fayard, 1977, ou plus récemment, Patrice Gueniffey, Bonaparte, Paris, Gallimard, 2013.
  • [6]
    Sur la famille Bonaparte : Frédéric Masson, Napoléon et sa famille, Paris, Albin Michel, 1927, 13 vol. ; Vincent Haegele, Napoléon et les siens : un système de famille, Paris, Perrin, 2018.
  • [7]
    Pour une définition satisfaisante de ce très extensible système, voir Thierry Lentz, « De l’expansionnisme révolutionnaire au système continental », dans Histoire de la diplomatie française, Paris, Perrin, 2005, p. 470.
  • [8]
    Jean Tulard, Le Grand Empire (1804-1815), Paris, Albin Michel, 2009.
  • [9]
    Thierry Lentz, Nouvelle histoire du Premier Empire, Paris, Fayard, vol. 3, chap. XXX.
  • [10]
    Charles de Montesquieu, Réflexion sur la monarchie universelle en Europe, Bordeaux, G. Gounouilhou, 1891. Voir aussi Antoine Casanova, Napoléon et la pensée de son temps : une histoire intellectuelle singulière, Ajaccio, 2008.
  • [11]
    La plupart des historiens insistent sur le pouvoir de la lecture chez Napoléon tout au long de sa vie. Sur les influences grecques, latines, ainsi que celles des philosophes de son siècle, voir Jacques-Olivier Boudon, « Napoléon et l’hellénisme », Anabases, 2014, n° 20, p. 33-48.
  • [12]
    Œuvres du comte Pierre-Louis Roederer, Paris, F. Didot, 1854, t. III, p.335-337.
  • [13]
    Robert Morissey, Napoléon et l’héritage de la gloire, Paris, PUF, 2010.
  • [14]
    Joseph de Maistre à Blacas, lettre du 10/22 août 1809, citée par E. Daudet dans Joseph de Maistre à Blacas : leur correspondance inédite et l’histoire de leur amitié, Paris, Plon-Nourrit, 1908. Joseph de Maistre estime que la légitimité de Napoléon était possible si l’état de paix avait été maintenu en Europe.
  • [15]
    Jean-Luc Chappey, « La notion d’empire et la notion de légitimité politique », Siècles, 2003, n° 17, p. 111-127.
  • [16]
    Patrice Gueniffey, Le Dix-huit Brumaire : l’épilogue de la Révolution française, Paris, Gallimard, 2008.
  • [17]
    Joseph Joubert, Pensées, éd. G. Poulet, Paris, 10/18, 1966, p. 72.
  • [18]
    V. Haegele, Napoléon et les siens, op. cit., p. 227-228.
  • [19]
    Archives du Ministère des Affaires étrangères [désormais AMAE], Acquisitions extraordinaires, Fonds Clarke, vol. 75. Copie de l’arrêté du 21 floréal an X, tel qu’expédié aux ambassadeurs français pour notifications aux cours et gouvernements étrangers.
  • [20]
    V. Haegele, Napoléon et les siens, op. cit., p. 229-230.
  • [21]
    AMAE, Acquisition extraordinaires, vol. 78, Siméon au général Clarke, 11 prairial an XII (31 mai 1804).
  • [22]
    Charles-Éloi Vial, Les derniers feux de la monarchie : la cour au siècle des révolutions, Paris, Perrin, 2016, p. 117-153.
  • [23]
    Bibliothèque Marmottan, Papiers divers, boîte 82. Copie d’une lettre du cardinal Pacca à Henri de La Fare sur les conditions de la notification de la mort du général Leclerc à l’ensemble des cours européennes : « Ce général, fils d’un petit bourgeois de Pontoise, était un homme d’un si grand mérite que Bonaparte a jugé à propos de donner avis de sa mort à tous les potentats de l’Europe, qui ne soupçonnaient pas même qu’il fût au monde ».
  • [24]
    Élisa a épousé Félix Baciocchi, un militaire de carrière, assez insignifiant ; Pauline est d’abord mariée au général Leclerc, puis au prince romain Camille Borghèse ; Caroline, quant à elle, forme un couple politique avec le général Murat.
  • [25]
    Philip Mansel, The Eagle in Splendour : Inside the Court of Napoleon, Londres, Tauris, 2015 ; id., The Court of France 1789-1830, Cambridge, Cambrdige University Press, 1988 ; C.-É. Vial, Les derniers feux de la monarchie, op. cit. Sur la monarchie impériale : Pierre Branda, Napoléon et ses hommes : la Maison de l’empereur 1804-1815, Paris, Fayard, 2011.
  • [26]
    Archives Nationales [désormais AN], 400 AP 14. Letizia (et Fesch) à Lucien, 23 mars 1801.
  • [27]
    Sur Pauline Bonaparte, voir Florence de Baudus, Pauline Bonaparte : princesse Borghèse, Paris, Perrin, 2018.
  • [28]
    Assez malmenée dans les travaux de Frédéric Masson, Alexandrine de Bleschamp, devenue par son mariage princesse de Canino a fait l’objet d’une plus large étude par Paul Fleuriot de Langle, Alexandrine Lucien-Bonaparte, princesse de Canino (1778-1855), Paris, Plon, 1939.
  • [29]
    Le mot est rapporté par Germaine de Staël, dans une lettre adressée à Joseph, le 18 avril 1801, publiée par Paul Gautier, « Lettres au roi Joseph. Madame de Staël et le roi Joseph », Revue des Deux-Mondes, 1936-1937.
  • [30]
    Voir à ce titre, l’article de Charles-Éloi Vial dans ce même numéro : « Disgrâces, étiquette et cérémonial : le rôle de la vie de cour dans la diplomatie napoléonienne ».
  • [31]
    Sur l’ambigüité des sentiments des frères et sœurs Bonaparte quant à la transformation du régime, voir Vincent Haegele, Napoléon et Joseph Bonaparte : le pouvoir et l’ambition, Paris, Tallandier, 2010, p. 160-179.
  • [32]
    Œuvres du comte Pierre-Louis Roederer, Paris, F. Didot, 1854, t. III, p. 504-506, note du 25 prairial an X (14 juin 1804) à Joseph Bonaparte.
  • [33]
    Jean-Paul Bertaud, Les royalistes et Napoléon, Paris, Flammarion, 2010.
  • [34]
    Jean-Paul Bertaud, « Moreau », dans Dictionnaire Napoléon, dir. Jean Tulard, Paris, Fayard, 1999, p. 1198-1199.
  • [35]
    Sur la cérémonie proprement dite, voir Le sacre de Napoléon, dir. Thierry Lentz, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2003, et Laurence Chatel de Brancion, Le sacre de Napoléon, le rêve de changer le monde, Paris, Perrin, 2004.
  • [36]
    Jacques-Olivier Boudon, Religion et politique en France depuis 1789, Paris, Armand Colin, 2007.
  • [37]
    AMAE, Acquisition extraordinaires, vol. 78, Siméon au général Clarke, 11 prairial an XII (31 mai 1804).
  • [38]
    Œuvres du comte P.-L. Roederer, Paris, F. Didot, 1854, t. III, p. 504, même note du 14 juin 1804 à l’attention de Joseph Bonaparte.
  • [39]
    Voir la bonne synthèse de Marie Courtemanche, Napoléon et le sacré, Paris, Éditions du Cerf, 2019. Voir également : Rémy Hême de Lacotte, « La sacralité monarchique en France au xixe siècle : un état des lieux », dans Poteri e linguaggi del sacro : testi, oggetti e riti nell’Europa moderna, dir. Vincenzo Lagioia, Bologne, Patròn, 2017, p. 143-177.
  • [40]
    Vincent Petit, « Religion du souverain, souverain de la religion : l’invention de saint Napoléon », Revue historique, 2012/3, p. 643-658.
  • [41]
    Sur le problème global posé par la notion de quatrième dynastie, voir Juliette Glikman, « Le mythe de la quatrième race sous le Second Empire », Napoleonica. La revue, 2008/3, p. 76-93.
  • [42]
    Paul Marmottan, Le Royaume d’Étrurie, Paris, Ollendorff, 1896.
  • [43]
    Mémoires de M. de Bourrienne, Bruxelles, Paris, Ladvocat, 1829, t. IV, p. 216-217.
  • [44]
    Antoine-Claire Thibaudeau, Mémoires sur le Consulat de 1799 à 1804, Paris, Ponthieu et Cie, 1827, p. 65-66.
  • [45]
    Voltaire, Œdipe, II, 4, 74, cité dans Mémoires de M. de Bourrienne, op. cit., t. IV, p. 219.
  • [46]
    AMAE, Acquisitions extraordinaires, vol. 75, le ministre des Relations extérieures au général Clarke, 14 fructidor an IX (1er septembre 1801).
  • [47]
    Ibid. Même rapport.
  • [48]
    AMAE, Acquisitions extraordinaires, vol. 75, Talleyrand à Clarke, 19 thermidor an X (7 août 1802).
  • [49]
    AMAE, Acquisitions extraordinaires, vol. 75, le ministre des Relations extérieures au général Clarke, 14 fructidor an IX (1er septembre 1801).
  • [50]
    Ibid. Note anonyme, vers mai-juin 1803.
  • [51]
    Ibid. Gomez de Labrador à Clarke, 14 mai 1805.
  • [52]
    Œuvres du comte P.-L. Roederer, Paris, F. Didot, 1854, t. III, p. 512, « Relations particulières avec l’empereur », conservation du dimanche 13 brumaire an XIII (4 novembre 1804).
  • [53]
    À noter que Napoléon a également donné une certaine idée de son système à Joseph, dans une lettre du 8 mars 1806 : AN, 400 AP 10. Napoléon à Joseph Bonaparte, 8 mars 1806. Le mot « système » y est utilisé dans le sens où l’empereur l’entend : celui de son œuvre politique et familiale.
  • [54]
    Dans ses Mémoires, Hortense dit de son futur mari à Mme Campan, son ancienne directrice : « Louis me paraît bon, humain, mais je n’aime pas ce mépris qu’il affecte pour les femmes et qui m’a souvent choquée dans ses discours. » Mémoires de la reine Hortense, Paris, Plon, 1927, t. I, p. 109.
  • [55]
    Stanislas de Girardin, Mémoires de Stanislas de Girardin, Paris, Armand Aubrée, 1834, vol. 1, p. 377.
  • [56]
    Michel Vergé-Franceschi, Napoléon, une enfance corse, Paris, Larousse, 2009.
  • [57]
    La recherche sur ce sujet est foisonnante : Le royaume de Naples à l’heure française. Revisiter l’histoire du decennio francese 1806-1815, dir. Pierre-Marie Delpu, Igor Moullier et Mélanie Traversier, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2018.
  • [58]
    AN, 381 AP 2, fonds Joseph Bonaparte. Création du Conseil d’Etat. Notes et projets émanant du conseil.
  • [59]
    Louis Bonaparte, roi de Hollande, dir. Annie Jourdan, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2010.
  • [60]
    V. Haegele, Napoléon et les siens, op. cit., p. 305-307.
  • [61]
    Bibliothèque municipale de Versailles. Fonds Sérurier, Mss F 860 (1), Sérurier à Talleyrand, rapport de septembre 1806.
  • [62]
    Ibid. Sérurier à Champagny, rapport du 9 septembre 1807.
  • [63]
    Silvia Marzagalli, Les boulevards de la fraude : le négoce maritime et le blocus continental (1806-1813), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999.
  • [64]
    AN, AF IV 1826, « registre secret », pièce 3. Louis à Joseph, 1er octobre 1808.
  • [65]
    Bibliothèque municipale de Versailles, mss F 860. Sérurier à Champagny, 18 avril 1808.
  • [66]
    Comtesse Merlin, Souvenirs d’une créole, Bruxelles, Société typographique belge, 1837, vol. 2, p. 29-31.
  • [67]
    AN, 400 AP 100. Catherine au roi Frédéric de Wurtemberg, 18 janvier 1812.
Français

« Arracher ? Non, mais déplanter ». Cette maxime morale de Joseph Joubert s’adapte très bien à la façon dont Napoléon Bonaparte a pu réinventer la forme monarchique à son profit au cours des années où il a exercé un pouvoir qui a pu être souvent qualifié abusivement d’absolu. Le Premier consul, puis empereur, s’est appuyé sur plusieurs institutions, officielles ou devenues officielles, pour sa réinvention du concept de monarchie dans le cadre d’un État réorganisé. Sa famille a sans aucun doute été un instrument naturel, bien que peu docile. Ont suivi des expérimentations plus ou moins couronnées de succès, notamment à l’extérieur des frontières, où des États ont pu servir de terrains d’expérience, comme le royaume d’Étrurie, avant que le système de famille ne devienne celui d’une nouvelle forme de vassalité. Enfin, il n’est pas inutile de s’intéresser à la place du temps comme vecteur essentiel de légitimité.

English

“Tearing off? No, but uprooting”. This moral maxim of Joseph Joubert fits perfectly with the way of Napoleon Bonaparte to reinvent the monarchical form to his own benefit during the years he exercised the absolute power. The First Consul, then Emperor, relied on several official institutions, or about to become official, in order to reinvent the concept of monarchy within the framework of a reorganized state. His family has undoubtedly been a natural instrument, although not a very docile one. More or less successful experiments followed, especially outside the borders, where States were able to serve as testing grounds, such as the kingdom of Etruria, before the “family system” became a new form of vassalage. Finally, it is useful to consider the place of Time as an essential vector of legitimacy.

Vincent Haegele
Bibliothèques de Versailles
Vincent Haegele est archiviste-paléographe, conservateur et directeur des bibliothèques de Versailles. Après avoir longuement étudié les rapports politiques existant au sein de la famille Bonaparte, il fonde ses recherches sur les notions de temporalité et d’espace dans l’Europe de la fin du xviiie siècle et du début du xixe siècle. Il est notamment l’auteur de Murat, la solitude du cavalier (Perrin, 2015), Napoléon et les siens : un système de famille (Perrin, 2018) et Des hommes d’honneur : trois destins d’Ancien régime (Passés Composés, 2019).
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/12/2020
https://doi.org/10.3917/hes.204.0028
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