CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Dans un ouvrage paru en 1929, le célèbre économiste et banquier Félix Somary (1881- 1956) relevait que la Première Guerre mondiale avait permis l’émergence, en Europe continentale, de trois nouveaux États prêteurs doublement remarquables [1]. Leur récente puissance financière reposait davantage, écrivait-il, sur l’affaiblissement de leurs voisins que sur leurs capacités propres. Et leur faiblesse politique leur interdisait toute autre forme de représailles sur les débiteurs défaillants que le refus de leur octroyer de nouveaux prêts, alors même que le fusil et la canonnière avaient constitué, dès la première moitié du XIXe siècle, le meilleur huissier des grands bailleurs de fonds internationaux. Parmi ces trois pays européens favorisés par la guerre et ses conséquences, la Suisse, seule, à la différence de la Hollande et de la Suède, améliorera si bien sa position qu’elle s’imposera, au lendemain du second conflit mondial, comme l’une des principales puissances financières de la dernière moitié du XXe siècle.

2 La Première Guerre mondiale et les années 1920, très peu étudiées par l’historiographie bancaire suisse, ont joué un rôle décisif dans ce processus [2]. Intervenu à point nommé, au terme d’un mouvement d’organisation et de structuration interne initié vers la fin des années 1890, le conflit permit en effet d’éprouver la solidité de trois piliers essentiels à l’essor international de la place financière helvétique : la neutralité, la stabilité politique intérieure et la modération de la pression fiscale. Toutes trois se maintiennent, en dépit même de complications diplomatiques et économiques et d’une grève générale (novembre 1918), vécue sur un mode traumatique par les classes dirigeantes helvétiques de l’entre-deux-guerres. À ces trois éléments s’en ajouta un autre, qui devint rapidement le creuset d’une sorte de fierté identitaire, en même temps qu’un atout indispensable au positionnement international de la place financière [3] : celui de la force du franc suisse (FS), durablement transformé en monnaie refuge. Alors qu’au début du siècle encore, parent pauvre du franc français, le FS accusait des faiblesses de cours régulières vis-à-vis des grandes devises européennes, ce dernier gagne dès 1916, à la faveur de la crise des changes provoquées par la guerre, le statut de monnaie de compte internationale, s’affirmant, au sortir de celle-ci, grâce à une rapide maîtrise de l’inflation, comme l’une des devises les plus solides au monde [4].

3 La configuration créée par la guerre conditionne un essor qui, passé la courte crise du début des années 1920, ne se démentira pas jusqu’au début de la décennie suivante. Deux changements d’égale importance pour l’avenir de la place financière suisse interviennent sur cette période. D’abord, comme le relevait Somary en 1929, une modification profonde des rapports de force qui prévalaient avant 1914, finissant de délier les milieux bancaires helvétiques du patronage, ressenti avec une impatience grandissante, de centres tels que Paris ou Berlin. Utile en son temps, procédant des rivalités impérialistes de la fin du XIXe siècle, en même temps qu’adouci par elles, ce patronage avait abouti, dans le domaine monétaire puis financier, à une forme d’inféodation de la Suisse à son voisin de l’Ouest, et, dans le domaine bancaire et industriel, à une position parfois ancillaire vis-à-vis de son dynamique voisin du Nord [5]. Ensuite, la prise de conscience, au sein des élites helvétiques concernées, de cette évolution décisive, par laquelle le recul relatif ou absolu des grandes puissances financières d’avant-guerre ouvrait des perspectives d’expansion sans précédent, que consolidera encore le secret bancaire, formalisé par la Loi fédérale sur les Banques et les Caisses d’épargne de novembre 1934. Pour les banques et la place financière suisses, la Première Guerre mondiale aura été, de ce point de vue, à la fois un couperet émancipateur et le ressort de propulsion d’une mise en orbite que ni la crise des années 1930 ni la Seconde Guerre mondiale ne remirent fondamentalement en question [6].

4 La présente contribution se propose de parcourir quelques jalons de cette histoire en y rapportant celle de l’un des plus importants établissements de crédit d’alors, la Société de Banque Suisse (SBS) de Bâle [7]. Dans un premier temps, j’évoque rapidement l’histoire de cette banque de sa fondation à 1914, en la reliant à l’évolution générale de la place financière suisse sur cette période. La deuxième partie de ma contribution propose, sur la base des bilans publiés, une étude des profits réalisés par la banque de 1900 à 1930, cet élargissement des bornes chronologiques permettant de mieux prendre la mesure des inflexions survenues entre l’avant-guerre et le premier après-guerre. La troisième section de cet article brosse un rapide tableau des activités de cette banque durant la Première Guerre mondiale et pose, par comparaison avec l’attitude de ses concurrentes suisses, la question des rapports de cette banque aux puissances belligérantes. En conclusion, je dresse un bilan général des effets qu’a eus le conflit sur la banque et reviens sur la question posée en introduction de cet article pour dire, en quelques mots, ce que l’essor du monde bancaire suisse doit à la catastrophe de 1914.

Du Basler Bankverein au Bankverein Suisse : métamorphoses d’un institut en mutation (1872-1914)

5 Fondée en 1872 sous la dénomination de Balser Bankverein, la SBS est une des dernières-nées des établissements de sa catégorie, celle dite des Grandes Banques universelles. Ainsi nommés en raison de la multiplicité de leurs branches d’affaires, de l’importance relative du volume de leurs opérations, de la densité supérieure de leurs liens avec l’étranger et de leurs rapports étroits avec le grand commerce et la grande industrie nationale, ces établissements dont l’origine remonte aux années 1850-1860 gagnent leurs principaux traits constitutifs à la faveur d’un processus d’apprentissage chaotique, parfois fatal à leur existence. Évoluant de leur forme initiale de banque d’affaires, dont ils conservent les spécialités, à la forme de banque commerciale, ces instituts pratiquent peu à peu tous les types d’opération, combinant vers 1900, de manière plus ou moins complète, les caractéristiques des banques d’investissements à sociétés affiliées et des organismes de dépôts à succursales multiples. Jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, l’histoire du Basler Bankverein, devenu Bankverein Suisse en 1897, tient dans les modalités sous lesquelles il parvint à réaliser cette métamorphose et à se profiler, entre la fin du XIXe siècle et la première décennie du XXe, dans le duo de tête des établissements helvétiques de sa catégorie [8].

6 Retenons, pour ce qui concerne les circonstances historiques de l’apparition de ce type de banques, qu’elles résultent d’un ensemble de facteurs complexes, parmi lesquels il serait fautif de trop minorer l’importance de la mise en place de l’État fédéral moderne (1848). Le démarrage de la construction ferroviaire, consécutif à la nouvelle Constitution, ajouté à la poursuite de l’industrialisation, génère une forte croissance de la demande, dont le corrélat bancaire (aussi bien que politique) se traduit par l’éclosion, dans les principaux centres urbains du pays, d’une série d’établissements inspirés du modèle des Crédits mobiliers, tels qu’ils essaiment alors en Europe continentale. En Suisse, nombre de ces établissements sont fondés avec l’appui de capitaux étrangers, la plupart d’entre eux servant d’abord de masse de manœuvre dans les spéculations et luttes ferroviaires de la Confédération des années 1850-1860, véritable guerre du rail dont les ressorts sont à la fois locaux, nationaux et internationaux — la perspective du percement des Alpes élargissant d’emblée l’horizon des enjeux au contrôle des grands axes du commerce européen [9].

7 Comme celle de sa devancière et principale concurrente sur la place, la Banque Commerciale de Bâle, fondée en 1863, la création du Basler Bankverein, en 1872, rend compte de ces enjeux. Si, autre motif de sa fondation, la constitution de cet institut témoigne, à l’instar de celle de sa rivale, de la réaction adaptative de la Haute Banque privée locale aux transformations du tissu bancaire helvétique, elle procède aussi des conflits d’intérêts qui opposent les édiles économiques et financiers bâloises en deux factions ennemies [10]. La première de ces factions s’est réunie autour de la Banque Commerciale de Bâle, qui, dès l’origine, amalgame un groupe de banquiers privés locaux (associés pour traiter en commun les affaires dépassant leurs moyens individuels) au fleuron de la grande industrie d’exportation bâloise, du textile à la chimie. La seconde participe d’une association banquière du même type, formée de maisons de banque privées au moins aussi importantes par l’ancienneté et la surface, mais plus lentes à se convertir au principe de la réunion durable des forces. Le Basler Bankverein, qui résulte donc de ce dernier rapprochement, souffrira longtemps de ce retard sur son aînée bâloise, mais aussi, et plus encore, sur l’institut dont il sera, dès la fin des années 1890, le principal concurrent indigène : le Crédit Suisse de Zurich, fondé en 1856.

8 Jusque dans la première décennie du XXe siècle, abstraction faite de ses premières années d’existence, qui se ressentent fortement de la dépression des années 1870 et des conflits avec un actionnariat allemand pressant à la liquidation, le développement de la SBS marque trois phases essentielles.

9 La première phase court jusqu’au début des années 1890. Durant celle-ci, les banquiers privés fondateurs se réservent encore de conduire eux-mêmes le gros des opérations de banque courante qui échoient à l’établissement, de sorte que ce dernier fonctionne surtout comme une société d’investissement et d’émission de papiers valeurs sur le marché du capital. La chronique des affaires reste dominée par les luttes et crises en cours sur le terrain des chemins de fer helvétiques, le Bankverein parvenant, suite aux graves revers ferroviaires du Crédit Suisse, à confirmer ou à prendre de très fortes positions dans deux des principales compagnies privées du réseau, celle du Central et celle du Gothard. Le début des années 1890 initie la clôture historique de ce que l’on peut appeler, sans trop forcer le trait, le cycle ferroviaire des futures Grandes Banques helvétiques. La fin de ce cycle annonce la deuxième grande phase de l’évolution du Bankverein.

10 Sur cette deuxième phase, ponctuée, en 1898, par le début du rachat des principales compagnies ferroviaires du réseau par la Confédération, le Bankverein développe ses positions hors de Bâle. Par une série de fusions et reprises plus ou moins heureuses, il s’installe à Zurich (1895), puis à Saint-Gall (1896) et à Genève (1906), tout en affermissant sa situation dans sa ville siège en absorbant des établissements locaux, dont la très importante Bank in Basel (1907). Dans le même intervalle, fait exceptionnel pour une banque helvétique de cette époque, il ouvre un siège à l’étranger, sur la place de Londres (1898). Mais il échoue toutefois à fusionner avec son rival local, la Banque Commerciale de Bâle (1903-1904), échec qui va compliquer sa stratégie de rapprochement avec le secteur industriel suisse, bien que ses intérêts dans diverses branches de production, chimie, textile et mécanique soient déjà tout à fait enviables et incomparablement plus solides que dix ans plus tôt. Le Bankverein, par l’importance de son bilan et de ses fonds propres, et pour grande partie aussi grâce à son florissant siège de Londres, talonne alors le Crédit Suisse, premier établissement privé du pays.

11 Initiée un peu en amont de 1907, date d’ouverture des guichets de la Banque Nationale Suisse, notre dernière phase nous conduit jusqu’à l’éclatement de la Première Guerre mondiale. La reprise, en 1912, de la prestigieuse Bank von Speyr, à Bâle, troisième de la place (Banque Cantonale exclue) et très proche de la Dresdner Bank de Berlin, désormais partenaire, lui procure une série de mandats dans diverses sociétés internationales de courtage en valeurs. Sur cette période, le Bankverein affirme son caractère de banque de dépôts en étoffant son réseau de succursales en Suisse romande et au Tessin et en développant sa grande clientèle commerciale et industrielle. Deuxième élément fort de cette période, la création de sociétés filiales spécialisées, agissant dans le domaine fiduciaire, le crédit foncier, le placement de fonds ou encore le financement industriel de moyen et long terme. Multipliant les prises d’intérêts dans diverses sociétés financières et établissements, suisses ou étrangers, le Bankverein n’hésite pas à provoquer de grosses fusions industrielles, notamment dans le secteur de l’électromécanique helvétique. Jouant une carte originale, il ouvre à cette branche en pleine expansion de grosses opportunités sur le marché français, moins bien pénétrable aux partenaires industriels de ses principaux concurrents, dont la liberté de manœuvre, dans ce domaine, commence à souffrir des partenariats noués avec de puissants groupes électriques allemands, Siemens pour la première et l’AEG pour le second [11].

12 La figure 1, qui détaille les principales sources de revenus du Bankverein, donne une image de l’évolution du type d’affaires développé par la banque et résume le chemin parcouru entre 1872 et 1913, période durant laquelle le Bankverein passe de ce mixte de société de placement et de banque d’affaire qu’il était à ses débuts, à sa forme moderne, identifiable dès la première décennie du XXe siècle : celle d’une grande banque de dépôts à succursales multiples. Ainsi, dès le milieu des années 1890, la part des opérations d’émission et du portefeuille titre (typique de la banque d’affaires et dont la marche de l’institut était très largement tributaire jusque-là) diminue au profit des opérations dites ordinaires et régulières de banque (visible dans le produit des intérêts et commissions issues des comptes courants et du portefeuille d’effets de change), apports formant désormais la ressource majeure du Bankverein. C’est que, depuis les premières fusions de la seconde moitié des années 1890, la banque soigne de plus en plus ses opérations courantes avec la grande clientèle industrielle et commerciale, s’efforçant et réussissant bientôt à assurer le payement de son dividende grâce à un flux d’opérations régulières, plutôt que grâce aux revenus, toujours irréguliers, fournis par le placement d’emprunts et de titres sur le marché du capital. Entre autres signes de cette évolution, les quelque 20 000 comptes courants que dénombre le Bankverein à la veille de la Première Guerre mondiale et son rôle alors dominant dans le financement du commerce suisse d’outre-mer, une position qu’il doit de toute évidence à son siège de Londres.

Fig. 1

SBS : composition des principaux postes du compte de profits et pertes (en % du total des produits) 1872-1913

figure im1

SBS : composition des principaux postes du compte de profits et pertes (en % du total des produits) 1872-1913

SBS, Rapport et bilan, Bâle, Kreis 1873-1914.

13 Enfin, du point de vue organisationnel, on relèvera que les transformations du Bankverein sur l’ensemble de ces trois phases se sont traduites par l’effacement progressif du poids des Banquiers privés fondateurs dans la direction de l’établissement. Ce recul d’influence, initié dès les fusions du milieu des années 1890, accompagne la mise en place de structures de gestion administrative mieux capables de tenir ensemble l’appareil bancaire complexe, parfois centrifuge, que devient la banque. L’innovation principale tient, ici, à la création, en 1900, d’un organe de direction générale, la délégation, alors formée de trois puis de deux administrateurs dits délégués, l’un au siège central de Bâle, l’autre au siège de Londres. Membres de droit du conseil d’administration et de son émanation restreinte, ou Comité central, ils détiennent un pouvoir de veto sur toutes les propositions venant des directions locales, dont l’autonomie initiale, suite à de sérieuses déconvenues, se réduit comme peau de chagrin. Premiers responsables de la banque auprès du président, les administrateurs délégués jouent un rôle fondamental dans l’élaboration de la stratégie à moyen et long terme, et en assurent la mise en œuvre effective auprès des directions. On peut donc dire qu’à la veille de la Première Guerre mondiale, les deux administrateurs délégués du Bankverein forment le pivot de la marche et de l’orientation des affaires : j’y reviendrai.

14 À ce rapide tour d’horizon des principales étapes du développement de la SBS d’avant 1914, il convient encore d’ajouter, en conclusion, que les deux décennies précédant le premier conflit mondial ont été fondamentales dans l’émergence même de la place financière suisse moderne.

15 Formation, d’abord, d’un véritable marché du capital, mieux intégré sur le plan national, et dont le rôle international s’est accru de façon notable sur la période. Cartellisation, aussi, des principaux agents bancaires domestiques, Grandes Banques au premier chef, qui gagnent, entre 1897 et 1911, grâce à la formation de syndicats ad hoc, une position de monopole sur le marché indigène des grands emprunts publics, qu’il s’agit de purger des empiétements de la concurrence française. Modernisation, décisive, du système monétaire, par la mise en place entre 1905 et 1907 d’une banque centrale, la Banque Nationale Suisse, capable de mieux intervenir sur l’état du change et d’agir en prêteuse de dernier ressort. Constitution, en 1912, d’une association faîtière des intérêts de la profession dans le domaine des relations interbancaires et des rapports avec les autres secteurs économiques ainsi qu’avec l’État [12]. Alors qu’en 1870 encore, la Suisse pouvait apparaître, selon l’expression de J. Bouvier, comme un « secteur "colonial" à portée de main [des] grandes machines bancaires de Paris et de Berlin » [13], le monde bancaire helvétique dispose à présent de tout l’outillage nécessaire pour revoir à son avantage les termes des alliances passées avec ses partenaires étrangers, révision dont la Première Guerre mondiale sera la condition permissive.

Performances entre 1900 et 1930 : essai d’analyse

16 L’analyse des performances de la SBS entre 1900 et 1930 pose plusieurs problèmes majeurs, au premier rang desquels il faut mentionner le fait que je n’ai pas eu accès à la comptabilité interne de la banque. Un tel accès, si on me l’avait permis, n’aurait d’ailleurs pas épuisé l’ensemble des difficultés auxquelles se heurte ce genre d’exercice, dans la mesure même où la comptabilité interne d’une entreprise ne montre rien d’autre que ce que ses services comptables ont su, pu ou voulu porter dans les livres. Ces écritures, quel que soit le mode d’organisation de l’entreprise considérée, charrient leur part d’erreurs et d’arbitraire, qui va croissant à mesure que les structures de la société en question sont complexes et d’autant plus qu’elle travaille, en particulier lorsqu’il s’agit d’une banque, avec des actifs et des passifs dont elle peine souvent à estimer la valeur. Un des meilleurs connaisseurs du monde financier suisse observait ainsi, en 1916, que dans une grande banque la direction elle-même se trouvait rarement en situation de pouvoir contrôler l’exactitude des comptes, attendu qu’un travail de ce genre, fût-il limité au seul examen des valeurs en dépôts, exigeait de mobiliser un grand nombre d’employés sur plusieurs semaines [14]. On sait, par ailleurs, combien ambiguë est la situation des autorités de contrôle interne prévues par le Code des Obligations (Code du commerce) de l’époque : mandatées par l’assemblée générale des actionnaires, celles-ci dépendent largement, dans leur nomination comme dans leur travail, du Conseil d’administration et sont, moins encore que ce dernier, capables de retrouver leur fil d’Ariane dans le dédale des comptabilités bancaires [15]. Quant à la fiscalité, elle est alors pour l’essentiel du ressort des Cantons, dont les services responsables, souvent mal dotés en personnel et compétences, n’ont rien d’inquisitorial ; faute, entre autres, de pouvoir conduire les vérifications nécessaires, l’arrangement à l’amiable est d’autant plus courant que le justiciable est puissant et sa comptabilité complexe, ce qui laisse planer de sérieux doutes sur la fiabilité des chiffres soumis à l’administration des impôts [16]. En bref, même à l’interne, les zones d’incertitude sont nombreuses, les périodes d’inflation et de crise des changes contribuant d’ailleurs à brouiller très sérieusement les cartes, et plus encore s’agissant de banques dont les intérêts, comme ceux de la SBS, sont internationaux [17].

17 Si la véracité des chiffres intra muros n’est donc pas garantie, que dire de celle des chiffres extra muros, tels qu’ils figurent au bilan publié ? Des analystes d’autrefois aux historiens d’aujourd’hui, on pourrait multiplier les citations sur les biais, travestissements et autres maquillages dont les comptes bancaires officiels sont entachés, R. Kunz résumant le propos lorsqu’il écrit, dans son étude des résultats des banques suisses entre 1914 et 1944, que leurs bilans sont « souvent si incomplets qu’on ne peut rien en tirer d’essentiel [18] ». Source fort suspecte, c’est entendu, mais source possible toutefois, ainsi que l’a montré J. Bouvier. Comparant, pour la période 1863-1914, les chiffres internes du Crédit Lyonnais aux chiffres publiés par celui-ci, il conclut que ces derniers, s’ils montrent certes un état très atténué des résultats d’exploitation réels, restent valables pour l’analyse historique, dans la mesure où les profits avoués par la banque évoluent en parallèle avec ses profits effectifs [19]. Nous risquons l’hypothèse qu’il en va de même pour la SBS, en nous fondant sur le fait que les résultats auxquels nous aboutissons sont étayés par un certain nombre d’éléments qualitatifs vérifiables et ne présentent pas d’aberrations majeures.

18 Les deux figures proposées s’appuient, en partie, sur la méthodologie développée par cet auteur dans son analyse des mouvements du profit en France [20].

19 La figure 2 établi le taux de profit ou taux de rentabilité du capital bancaire. Selon Bouvier, ce taux de profit est « aux yeux mêmes des actionnaires de la banque [pour autant que ces actionnaires aient acheté leurs actions au prix d’émission, NDA], comme aux yeux de l’historien, la mesure de la productivité des capitaux propres [des] entreprises. Il est l’indice de l’efficacité capitalistique de la gestion bancaire » [21]. Ce taux de profit est obtenu en rapportant au capital versé la masse des profits, qui correspond, grosso modo, à la notion de marge brute d’autofinancement (soit le bénéfice net, les amortissements et les provisions) à quoi s’ajoutent les versements volontaires à la caisse de pension et constitue donc une définition possible du cash flow[22]. Il est ici comparé au dividende et mis en relation avec l’évolution du montant du capital-actions (axe de droite du graphique), exprimé en milliers de FS constants (base 1913, déflaté par l’indice suisse des prix à la consommation).

Fig. 2

SBS : taux de profit, de dividende (en % du capital versé) et capital versé (en milliers de FS en 1913) 1900-1930

figure im2

SBS : taux de profit, de dividende (en % du capital versé) et capital versé (en milliers de FS en 1913) 1900-1930

SBS, Rapport et bilan, Bâle : Kreis 1900-1930.

20 Si le taux de rémunération (et non pas de rendement) du dividende (axe de gauche, en %) se signale par une remarquable stabilité, le taux de profit (axe de gauche, en %) montre l’inverse. Le fait s’explique sans difficulté, dans la mesure où, à cette époque, la stabilité du dividende est considérée comme la garantie d’une saine gestion, la haute direction de l’établissement se trouvant, une fois cette stabilité assurée, bien plus libre de ses mouvements pour procéder aux mises en réserves et provisions jugées nécessaires — sans s’attirer de questions trop gênantes à ce sujet. Rappelons par parenthèse que, dès avant 1910, la SBS réussit à tirer de ses opérations régulières de banque un bénéfice assez considérable pour servir un dividende stable, sans dépendre des gains plus irréguliers procurés par les activités d’émission, les opérations sur titres et les affaires exceptionnelles, gains orientés, pour partie, sur les réserves ouvertes et pour partie masqués en réserves cachées [23].

21 Les pics du taux de profit atteints avant-guerre (1905 et 1910) renvoient aux mises en réserve des grosses primes d’émission réalisées lors de l’augmentation du capital-actions de la banque. Celui de 1919, année de la première augmentation depuis 1912, est en revanche davantage dû à de considérables provisions et amortissements, ainsi qu’à un gros versement à la caisse de pension du personnel, que justifie l’incertitude des temps, mais plus encore l’introduction, fin 1916, d’un impôt fédéral sur les bénéfices de guerre (IBG) [24]. Dès 1916 on observe, d’ailleurs, que la courbe remonte : il s’agit, tout ensemble, de diminuer le bénéfice imposable, de profiter d’une période d’affaires faciles pour constituer de fortes provisions et d’user au maximum des rabattements fiscaux prévus par l’IBG sur les dons caritatifs et attributions aux comptes des caisses de prévoyance. L’inflation joue aussi son rôle entre 1917 et 1920, dans la mesure où le capital nominal de la banque reste relativement stable alors que la masse des profits, fluctuante par définition, augmente fortement en termes nominaux. La dure crise économique de 1921-1922, jusqu’au tournant de 1924-1925, est bien perceptible, comme l’essor remarquable de la deuxième moitié de la décennie, le taux de profit croissant dès lors avec régularité pour atteindre un nouveau pic en 1929.

22 Soulignons enfin que, plus le taux de profit est élevé par rapport au taux de rémunération du dividende, plus grande, bien sûr, est la proportion de la masse des profits que la banque s’attribue à elle-même sous forme de provisions et de réserves (les tantièmes représentant une part relative faible du total). On peut donc admettre, malgré la grossièreté de cette mesure, que la hauteur du taux de profit rend compte de la capacité de la banque à œuvrer au bénéfice de ses intérêts et de sa propre puissance, indice, au final, de sa performance, même si celle-ci n’est pas centrée sur la satisfaction à court terme de l’actionnariat. La banque ne l’entend pas autrement, qui explique dans son rapport de gestion pour 1910 — sans être contestée — que « l’intérêt permanent de notre Établissement [...] se confond avec celui de nos actionnaires [25] ». Ceci pour expliquer à ces derniers que les gains exceptionnels de cette année-là n’entraîneront pas une hausse du dividende, mais serviront à la création de réserves, ligne de conduite que ni la guerre ni les années 1920 ne modifieront, bien au contraire. Ajoutons que, toujours pour 1910, selon l’administrateur délégué de la banque, les réserves cachées de l’établissement peuvent alors être estimées à 5 millions de FS pour un total de réserves ouvertes de 23,5 millions [26].

23 La figure 3 montre l’évolution du bilan (échelle droite du graphique) et compare la courbe de la masse des profits (échelle gauche) à celle du montant des dividendes versés à l’actionnariat (échelle gauche) et à la croissance des frais généraux (échelle gauche, soit, pour l’essentiel les charges de salaires, les frais de fonctionnement et les impôts). Les valeurs monétaires sont exprimées selon les mêmes critères que ceux de la figure 2.

24 Comme on le voit, la courbe de la masse des profits présente à peu près le même profil que celle du taux de profit du graphe précédent, à cela près qu’en termes réels, elle tend à baisser entre 1915 et 1918, alors que le taux de profit augmente. Cette baisse renvoie, ici aussi, aux effets de l’inflation, puisqu’en chiffres nominaux le montant de la masse des profits est, en 1918, de plus de 65 % supérieur à celui de 1915 : en d’autres termes donc, sa progression a été un peu inférieure à celle de l’inflation. Si le volume du bilan a suffisamment augmenté (près de 95 % entre 1915 et 1918 en chiffres nominaux) pour contrebalancer le grignotage de l’inflation et dépasse, dès 1922, les chiffres d’avant-guerre, on voit combien la deuxième moitié des années 1920 aura été favorable.

Fig. 3

SBS : bilan, masse des profits, dividendes, frais généraux (en milliers de FS de 1913) 1900-1930

figure im3

SBS : bilan, masse des profits, dividendes, frais généraux (en milliers de FS de 1913) 1900-1930

SBS, Rapport et bilan, Bâle : Kreis 1900-1930

25 Un phénomène intéressant se laisse observer lorsqu’on se tourne vers la courbe des frais généraux. Celle-ci, jusqu’en 1914, se maintient au-dessous de la courbe des dividendes, date à partir de laquelle la tendance s’inverse. Dès 1918, la croissance des frais généraux est telle qu’ils dépassent bientôt la masse des profits (1920), se stabilisent entre 1922 et 1928, et sont rejoints par celle-ci en 1929, masse qui, comme le taux de profit (fig. 2), atteint alors l’un de ses plus hauts pics historiques. Cette progression des charges, phénomène normal pour une banque de ce type, rend compte du développement de l’appareil administratif de la SBS ; le nombre d’employés a, de fait, plus que quadruplé sur la période, pour atteindre à peu près 2 220 personnes vers la fin des années 1920 [27]. La montée des frais, dès 1918, s’explique surtout par l’effet conjugué de l’inflation et de l’augmentation drastique du coût de la vie : suite, fin septembre-début octobre 1918, à la grève des employés de banque de Zurich, les organisations du personnel ont en effet été reconnues, les salaires négociés et en partie réajustés [28].

26 Certains actionnaires se sont d’ailleurs lamentés, sans grand effet, de ce réajustement salarial et ont jugé excessives les sommes annuellement versées à la caisse de pension [29]. Comme le montre la courbe des dividendes, il est vrai que, en dépit de deux augmentations de capital (1919 et 1920), c’est seulement en 1927, date de la troisième augmentation d’après-guerre, que la valeur réelle de la somme totale des dividendes annuels versés dépasse celle de 1913. Notons, toutefois que la courbe des salaires se stabilise dès 1922, en partie par l’effet de pressions sur les traitements et de suppressions de postes, en partie par la mécanisation de certaines tâches, alors que le bilan croît, et avec lui, dès 1925, la masse des profits[30]. Un tournant vers la croissance qui correspond à une reprise de la conjoncture internationale, les affaires sur l’étranger allant dès lors se multipliant, comme s’intensifie le débat public sur l’exportation de capitaux [31]. Sachant certains administrateurs rétifs à ces opérations, le président de la banque fait ainsi observer, notation typique, « que les affaires suisses ne suffisent pas à payer les frais considérables de notre important appareil administratif et à procurer aux actionnaires le dividende ordinaire. Nous devons donc soit restreindre notre organisation, soit envisager d’être plus actifs à l’étranger qu’auparavant [32] ».

27 Que retenir, quant à la chronologie, de ces deux graphiques ? On peut, grosso modo, dire que jusqu’en 1904/1905-1906, taux et masse des profits franchissent un premier seuil de croissance, lesquels, entre cette date et jusqu’en 1915-1916, connaissent une décennie de consolidation. De 1916 à 1920-1921, les deux courbes se séparent surtout en raison, comme dit précédemment, des effets de l’inflation sur le capital-actions, celle-ci contribuant à tirer à la hausse le taux de profit, tandis que la masse des profits baisse par rapport à la période précédente, mais reste supérieure, même en termes réels, à celle du début de siècle : la performance est très appréciable. La première moitié des années 1920 se ressent de la crise du début de décennie et de la montée des frais généraux, une situation, une fois encore, en partie due à l’inflation et que toutes les banques helvétiques connaissent alors [33]. Mais ne nous y trompons pas : entre 1920 et 1922, les banques helvétiques ont pu amortir le gros des pertes résultant d’avoirs dépréciés, soit bien plus vite que leurs concurrentes étrangères, phénomène dont le niveau du taux et de la masse des profits pour 1920 témoigne, alors qu’il est fort probable que, sur cette année-là, comme sur les deux suivantes, de considérables provisions invisibles ont été effectuées [34]. Les années 1924-1925 marquent sans conteste le tournant vers l’expansion des affaires, tout particulièrement internationales, et tant le taux que la masse des profits remontent pour renouer bientôt avec les meilleurs chiffres d’avant-guerre.

28 Il va sans dire que l’essai de périodisation ici proposé, s’il a le mérite de la simplicité, reste rudimentaire. Outre les limites intrinsèques à l’indice dit du taux de profit, qui devrait tenir compte du prix d’achat effectif de l’action SBS et des réserves occultes de la banque, la dimension comparative avec d’autres établissements du même type manque à ce premier essai — comme la comparaison avec les principaux concurrents et partenaires étrangers des grandes banques suisses avant-guerre. D’autre part, la présente tentative néglige aussi d’embrasser les résultats de groupe de la SBS, nébuleuse de filiales dont les chiffres devraient être analysés en même temps que ceux de la société mère, tant il est vrai que les performances ou les déconvenues de celles-là sont susceptibles d’influer en profondeur sur la situation de celle-ci. Cas, par exemple, du Crédit Suisse, fortement fragilisé au sortir de la Première Guerre mondiale par les placements et la situation de ses diverses filiales [35].

29 Toutes réserves faites donc sur les limites de cette approche, il paraît cependant acceptable de conclure provisoirement la présente ébauche en dégageant trois points essentiels.

30 Le premier est que la SBS, comme le gros de ses consœurs helvétiques, s’est plutôt bien maintenue durant le premier conflit mondial, alors que ses principales concurrentes sur le continent — allemandes, autrichiennes et françaises notamment — ont été affectées par la guerre et l’inflation d’une manière beaucoup plus dure et durable [36]. En outre, comme on le verra dans la section suivante, l’orientation moins exclusivement germanique de ses affaires, due en partie aux menaces qui pesaient sur son siège de Londres, lui a permis de mieux encaisser, si l’on peut dire, la défaite des Puissances Centrales que ses principaux concurrents de Suisse allemande, j’y reviendrai également.

31 On note, deuxième point, que, durant toute cette période, la mise en réserve des profits l’a de loin emporté sur la distribution de ceux-ci à l’actionnariat. Cela correspond, je l’ai dit, à une pratique courante du monde bancaire suisse d’alors, pratique qui participe d’une politique d’accumulation interne, d’une réserve de puissance et de réputation, témoignant de la solidité de la banque et constitutive de sa capacité, entre autres, à drainer les épargnes et à mobiliser les capitaux nécessaires à telle ou telle acquisition. Mais la part, en apparence congrue, des bénéfices versés aux actionnaires mérite néanmoins d’être précisée et nuancée. Précisée, dans la mesure où le rendement des actions varie, on le sait, selon leur cours de bourse. Fin décembre 1919, par exemple, le rendement effectif de l’action SBS, cotée à 569 (pair : 500), pour un dividende nominal de 9 % sur l’exercice, est de 7,9 % ; avec un dividende de 8 % et un cours à 756 pour fin décembre 1913, ce rendement ne s’élevait alors qu’à 5,3 % [37] : voilà un avantage non négligeable du dividende stable. Et nuancée, dans la mesure où, lors d’une augmentation de capital, les détenteurs d’actions anciennes jouissent généralement d’un rabais appréciable sur le prix d’acquisition d’actions nouvelles par rapport à la valeur boursière du titre, ce qui constitue, en somme, une forme de dividende indirect. Ainsi, toujours fin décembre 1919, lors de l’augmentation de capital précédemment mentionnée, il était prévu d’offrir aux détenteurs de quatre actions anciennes la possibilité d’acheter un titre au pair, soit à 500 FS (valeur boursière 569 FS, impôt fédéral de 7,50 FS pris en charge par la banque) [38] : le gain n’est pas dédaignable.

32 Le troisième point à relever est que la période la plus délicate pour les performances de la banque se situe au début des années 1920, soit durant la dure crise économique de 1921- 1922, les réserves et provisions effectuées pendant la guerre et le boom économique de 1919-1920, ayant sans doute joué un rôle essentiel pour négocier cette période laborieuse. Rappelons toutefois qu’une grosse partie des pertes résultant de la dépréciation des avoirs consécutive à la crise des changes étrangers a été prévue et amortie entre 1920 et 1922. D’autre part, les gains réalisés durant le conflit ont permis, sans trop peser sur le taux de profit, d’accorder les hausses de salaires directs et indirects destinées à calmer le personnel en place et à le couper, en 1918, de l’influence du mouvement ouvrier. De quoi parfaire la carte de visite de la banque au moment où elle cherche, comme ses concurrentes indigènes, à renforcer ses positions internationales sur le marché de la gestion de fortune, alors que mouvements sociaux et inflation à l’étranger ouvrent une opportunité historique au havre bancaire suisse.

La SBS durant la Première Guerre mondiale : Janus bifrons ?

33 En Suisse comme ailleurs, la Première Guerre mondiale perturba en profondeur les conditions générales du commerce de l’argent, mais elle dégagea aussi, passée la courte crise de l’été 1914, des perspectives très appréciables au monde bancaire helvétique. Ainsi, tandis que la neutralité du pays permettait de garder le contact avec l’ensemble des marchés européens, les banques de chacune des puissances belligérantes se voyaient-elles contraintes d’abandonner leurs positions en territoire ennemi, libérant aux neutres des gisements d’affaires qu’il s’agissait d’exploiter au plus vite : la SBS ne fut pas la dernière à s’aviser de ces opportunités. Alors que, début 1915, la fluctuation des changes dynamisait les opérations sur devises, nouveau domaine d’excellence des agents financiers helvétiques, des capitaux à court terme, fuyant la dépréciation monétaire et la pression fiscale, affluaient en Suisse par vagues massives. Comme toutes ses consœurs de l’époque, la SBS se félicitait des nouveaux liens conclus dans ce contexte : « Il est plausible [...], notait-elle dans son rapport général de septembre 1915, qu’une partie des nouvelles relations que nous nous sommes faites durant la guerre nous reste acquise. Car, en général, les clients ont appris à apprécier les avantages d’un lien bancaire situé dans un pays qui n’est pas lui-même impliqué dans le conflit [39] ».

34 Tandis qu’une clientèle étrangère croissante, dans l’attente d’un mouvement de cours favorable, tendait à effectuer de plus en plus ses dépôts à très court terme, la raréfaction du traditionnel papier d’escompte (destination principale de ce genre de fonds), liée à la généralisation du payement au comptant et au contrôle des mouvements commerciaux, diminuait les possibilités d’emplois. Ces apports volatiles ont, on le sait, contribués à liquéfier le marché suisse de l’argent et la SBS, comme toutes ses concurrentes helvétiques, s’est bientôt trouvée confrontée à une situation préoccupante : alors que les dépôts à vue (c’est-à-dire à court terme) ne constituaient, fin 1913, que 2/5e du montant total de ses dépôts, cette proportion passait largement le cap des 50 % fin 1915, pour atteindre 67 % fin 1916 puis 72 % une année plus tard [40]. Face à cet afflux, le financement de la dette flottante de la Confédération permit de remédier à l’assèchement des escomptes commerciaux et constitua, pour la grande banque de Bâle comme pour ses consœurs, un débouché, bientôt inflationniste, mais providentiel et lucratif. Dès 1916 s’y ajoutèrent de considérables lignes de crédits à court terme, consenties aussi bien aux Puissances Centrales qu’aux gouvernements de l’Entente : la SBS joua, comme le Crédit Suisse, son grand concurrent, un rôle déterminant dans ces opérations semi-officielles qui atteignirent le montant, très considérable pour l’époque, d’à peu près 800 millions de FS [41]. Pour la plupart garanties par la BNS parce qu’en principe destinées à soutenir l’import-export helvétique, ces opérations d’envergure et particulièrement sûres renforcèrent les positions internationales des grandes banques suisses, d’autant qu’on peut estimer que des crédits de change privés ont été accordés pour un montant à peu près équivalent à ceux des crédits semi-officiels et que la guerre, loin de tarir les exportations de capitaux, les stimulèrent au contraire [42]. Ainsi, par exemple, le montant nominal du seul portefeuille de titres de la SBS doubla-t-il presque entre fin 1916 et fin 1918, essentiellement en raison de gros achats d’obligations britanniques et des colonies anglaises, dont le montant fut multiplié par 29 sur la période, atteignant finalement près de 30 % du portefeuille titres total de la banque [43].

35 Certaines branches d’affaires importantes avant 1913 eurent certes à souffrir du conflit, à l’instar des crédits de reports en Bourse : alors que, selon la SBS elle-même, ceux-ci « formaient avant la guerre une part considérable [des] emplois », leur poids à l’actif de la banque n’a cessé de diminuer, passant de 10 % à moins de 1,5 % de celui-ci entre fin 1913 et fin 1918 [44]. À l’inverse certaines opérations se déplacèrent sur la Suisse, tels les crédits de rembours, qui connaîtront un essor considérable dès les années 1920, suite au rétablissement du grand commerce international [45]. Constatant, en septembre 1915, que ces affaires sont en nette croissance, les autorités de la SBS se réjouissent que, grâce à la bonne tenue du FS et aux chutes de cours des monnaies de référence, essentiellement la Livre anglaise et le Franc français, « les rembours suisses soient de plus en plus recherchés », ajoutant qu’il « est à souhaiter qu’une part considérable de ce trafic [...] demeure acquise après la guerre [46] », ce que l’avenir ne démentira pas. Certes, la masse des titres déposés en gestion de fortune n’augmente pas suffisamment durant la guerre pour compenser l’érosion de valeur due à l’inflation : atteignant tout de même un montant estimé à plus d’un milliard de FS en 1918, ce poste des opérations hors bilan se situe alors à égalité avec le montant du bilan publié [47]. À cet égard, il est envisageable que, durant toute la guerre, les résultats de la banque aient été plutôt sous-estimés que surévalués. Mentionnant les gros amortissements effectués sur le portefeuille titre et les participations syndicales de la banque, l’administrateur délégué aux sièges suisses donne pour ainsi dire le ton dès mars 1915 : « S’il se révélait, explique-t-il à ses collègues, que nous avons jugé la situation d’une façon trop pessimiste et que nous sommes allés trop loin, il en résulterait une augmentation souhaitable de nos réserves cachées. [...] Pour ces prochaines années, ce sera une de nos tâches que de compléter à nouveau nos réserves cachées [48] ». Rappelons, enfin, que le conflit permit de purger le marché suisse de la concurrence étrangère, ce qui eut pour effet de renforcer notablement et structurellement le poids des grandes banques suisses, en particulier des deux plus puissantes d’entre elles, la SBS et le Crédit Suisse, vis-à-vis des débiteurs publics, dont les besoins iront croissants [49].

36 S’il fallait, en somme, tirer un bilan général des effets du conflit sur la SBS et ses consœurs, on pourrait assez bien se ranger à l’opinion qu’elle exprimait elle-même en février 1920 dans l’une de ses publications officielles : « la situation de nos banques s’est visiblement fortifiée au cours des années de guerre, abstraction faite naturellement des trusts et de certaines banques hypothécaires qui ont traversé une véritable crise [...]. Les banques commerciales ont particulièrement bien travaillé et ont fortement élargi leur champ d’action [50] ». Tous les établissements helvétiques, on le sait, ne profitèrent pas dans la même mesure de ces quatre années de conflit, et, entre autres incertitudes occasionnées par la guerre, la défaite des Puissances Centrales eut d’importantes répercussions sur ceux d’entre eux qui s’étaient, d’une façon directe ou via leurs sociétés filiales, par trop immobilisés outre-Rhin.

37 Le cas du principal concurrent de la SBS, le Crédit Suisse de Zurich, est éclairant à cet égard et vaut qu’on s’y arrête un instant. Celui-ci, comme la plupart des grands agents économiques de suisse alémanique, avait parié sur une défaite plus ou moins rapide de l’Entente et s’était donc aussitôt engouffré sur le marché, très demandeur, de la Mitteleuropa, auquel il était de longue date et avantageusement relié, notamment grâce à ses rapports intimes avec la Deutsche Bank de Berlin [51]. Les affaires furent florissantes (entre janvier 1916 et août 1917, les seules avances du Crédit Suisse à destination de l’Allemagne et de l’Autriche passèrent de 13 à 104 millions de FS) jusqu’au moment des grosses déconvenues qui s’annoncèrent au sortir de la guerre [52]. Mis en difficulté par la situation alarmante de plusieurs de ses sociétés proches, parmi lesquelles la Banque pour entreprises électriques (Elektrobank) et le Crédit foncier suisse (Bodenkreditanstalt), instituts dont le succès d’avant-guerre reposait largement sur la collaboration avec le dynamique voisin du Nord, le Crédit Suisse dut renoncer à intervenir dans l’assainissement d’une des plus vieilles et prestigieuses banques de Zurich, la Leu & Co. Menacée de faillite par l’effondrement des cours allemands, celle-ci tomba sous l’influence de la SBS en 1921 [53]. Lourde défaite pour les milieux bancaires des bords de la Limmat, d’autant que la grande rivale de Bâle, qui s’affichait à présent comme le premier établissement suisse de sa catégorie, fut appelée à la rescousse pour éviter la débâcle du Bodenkreditanstalt, dont le Crédit Suisse avait fait sa quasi-filiale hypothécaire dès 1903 [54].

38 Si la SBS se sortit bien mieux du conflit que son concurrent zurichois, c’est en partie qu’avant la guerre déjà, pour des raisons qui tiennent à sa politique industrielle, ses liens d’affaires avec l’Allemagne, certes importants, n’étaient pas aussi consubstantiels à ses activités qu’ils l’étaient pour le Crédit Suisse et sa nébuleuse de sociétés affiliées. Et c’est en partie aussi que, durant la guerre, la SBS céda moins que lui, ou du moins avec plus de circonspection que lui, au « germanotropisme » si caractéristique, alors, de l’orientation des affaires de la majorité des grandes banques de Suisse alémanique.

39 Parmi les raisons qui expliquent cette espèce de dissidence, il faut bien sûr rappeler les positions de la SBS sur la place de Londres où, on l’a vu, elle a ouvert un siège en 1898. Avant-guerre, le financement du commerce d’outre-mer, très important pour les entreprises suisses, constitue l’une des spécialités de ce siège. Grâce à cette présence directe sur le plus grand marché mondial du capital, la banque a, d’autre part, élargi considérablement ses entrées auprès des grands groupes d’émetteurs internationaux. À la veille du conflit, elle doit à son débouché sur la City quelque 65 % du total de son mouvement d’affaires, à peu près un tiers de son bilan et environ 40 % de ses bénéfices bruts : autant dire qu’il s’agit là d’une pièce maîtresse dans l’architecture d’ensemble de la banque, aussi bien du point de vue de son standing international (rappelons que la SBS est alors le seul grand institut helvétique à bénéficier d’une implantation directe hors du territoire national) que de celui de son pouvoir de marché en Suisse même.

40 Mais, pour être mieux ouverte que le Crédit Suisse sur l’Angleterre et sur la France, où elle a notamment travaillé avant-guerre à tirer les investissements et les exportations du secteur électromécanique helvétique [55], la SBS possède, elle aussi, des intérêts et une clientèle bancaire et commerciale considérables sur les territoires des Puissances Centrales. Au début de la guerre, ces liens, même si elle s’était montrée moins empressée que son rival zurichois à conduire de grands partenariats industriels avec le capital financier d’outre-Rhin, s’expriment aussi, point très délicat, par la présence dans son conseil d’administration de trois personnalités en vue des milieux financiers allemands et autrichiens. Dès lors, en matière de politique bancaire, les termes de l’alternative se présentaient comme suit : fallait-il privilégier, à l’instar de la plupart des confrères suisses alémaniques, les affaires avec le grand voisin du Nord et encourir la mise sous séquestre du siège de Londres ? Ou fallait-il soigner au mieux les relations à l’Ouest, quitte à subir le boycott des collègues allemands et autrichiens et perdre ainsi un marché capital, devenu très demandeur ?

41 Telle fut, à bien des égards, une des questions majeures que la guerre venait poser aux instances dirigeantes de la banque. Essayons de voir quelle réponse elles y apportèrent en précisant d’emblée que, de cette réponse, dépendaient en large partie les chances qu’avait la banque avait de sortir renforcée, ou au contraire durablement affaiblie, de ces quatre années de conflit.

42 H. Bauer a raconté, comment, à la suite d’un début de campagne de presse initié contre la SBS en octobre 1914 (laquelle se voyait accusée, avec les succursales des grandes banques allemandes sur la place, d’avoir provoqué la fermeture de la Bourse de Londres), son siège londonien répliqua par un article, repris par le Wall Street Journal de New York, qui, prédisant l’effondrement financier de l’Allemagne, conduisit à la démission des représentants allemands et autrichiens du conseil d’administration [56]. Les bons rapports avec deux d’entre eux n’en continuèrent pas moins, non sans que la SBS, annoncée persona non grata en Allemagne, s’empresse de se distancier de cet article. Ajoutée à d’autres différends, liés à l’autonomie jugée excessive du siège de Londres et à son manque de vigilance dans un détournement qui devait causer à la banque une perte de plus de 2 millions de FS en 1915, cette affaire contribua à la mise à l’écart puis à la démission de l’administrateur délégué de ce siège, et à vrai dire principal artisan de son remarquable essor sur la place, l’Alsacien Léon Rueff (1863-1942) [57]. Celui-ci fut remplacé dès 1916 par un simple manager local, réputé beaucoup moins capable que son prédécesseur, notamment sur le plan des grandes affaires internationales, mais de nationalité anglaise, bien vu à Londres et notablement plus docile que Rueff. On a signalé, dans la deuxième section de cet article, le rôle central que l’organigramme de la banque conférait à ses administrateurs délégués dans la conduite des affaires : cette organisation interne ne fut véritablement révisée qu’en 1920, de sorte qu’avec l’éloignement de Rueff, le pouvoir d’influence de Léopold Dubois (1859-1928), administrateur délégué responsable des sièges suisses et désormais seul en place, s’accrût d’autant [58].

43 Personnalité aussi autoritaire que compétente et écoutée, Dubois avait été, durant la première décennie du XXe siècle, le principal artisan des fortes avancées de la SBS en France. Très introduit dans ce pays, ami de Louis Loucheur (1872-1931, Sous-secrétaire d’État aux fabrications de guerre puis Ministre de l’armement) et francophile convaincu, il s’employa à ce que sa banque soutienne au mieux les industries suisses travaillant pour le compte de l’Entente, dont le secteur horloger, alors dynamisé par les commandes de guerre [59]. C’est à son initiative, aussi, qu’à l’été 1916 la France doit d’avoir obtenu d’un syndicat de banques suisses dirigé par la SBS un premier gros crédit de change semi-officiel. Par ce geste, intervenu au plus fort des offensives de Verdun, la SBS et son administrateur délégué cherchaient et obtinrent la reconnaissance durable de Paris, qui y vit l’expression d’une solidarité et d’un tournant majeur dans la politique de la grande banque bâloise, jusque-là soupçonnée d’intelligence avec l’ennemi [60].

44 D’un autre côté, comme les directeurs de sièges et ses collègues du Conseil — dont tous ne partageaient pas ses inclinations francophiles —, Dubois éprouvait jour après jour que le conflit offrait l’occasion de réaliser de lucratives affaires sur les marchés d’outre-Rhin, où les services des banques suisses étaient de plus en plus sollicités. La SBS s’employa donc, comme les autres, à profiter de cette aubaine et son administrateur délégué à tempérer — sans trop la brider — la prodigalité des directions lorsqu’il jugeait exagéré le volume des prêts consentis ou les conditions d’intérêt trop favorables au débiteur : « Si d’un côté il est naturel de s’efforcer de profiter des circonstances actuelles pour gagner de nouveaux clients, il ne faut pas négliger de faire certaines réserves contre l’augmentation de nos acceptations [...]. Le besoin de crédits en rembours est si important en Allemagne et en Autriche qu’il n’y a pas à craindre de ne pas en obtenir la part que nous souhaitons, aux conditions déterminées par nous [61] ». En 1915, sur les quelque 39 millions de FS de crédits accordés, près de 56 % l’ont été à des firmes suisses, 25 % en Allemagne et en Autriche-Hongrie, contre seulement 12 % en France, en Italie et en Angleterre, le reste étant réparti dans divers pays européens ou d’outre-mer [62].

45 C’est que, malgré les mesures d’endiguement prônées par l’administrateur délégué, la conjoncture était telle, que la demande de crédit allait croissant, tant de la part des branches industrielles suisses favorisées par la guerre, que de celle des Puissances Centrales, de plus en plus dépendantes des Neutres à mesure que l’Entente resserrait les mailles du blocus économique. Notation typique, à cet égard, cette remarque de mai 1917, issue d’un rapport interne de la banque : « L’activité croissante d’une partie de nos industries d’exportation et le rôle important que, depuis le déclenchement de la guerre, la Suisse joue dans le commerce (Verkher) et les affaires de banque de la Mitteleuropa, s’exprime dans la forte augmentation des créances des plus grands instituts suisses [63] ». De fait, fin 1918, après une série de dénonciations de crédits sur l’Autriche et sur l’Allemagne, le principal poste de l’actif de la SBS, celui des débiteurs, marquait encore, en termes nominaux, un doublement du volume des créances couvertes par rapport à fin 1913 [64]. Sur les 251 millions de FS de crédits de ce type alors en cours auprès des sièges helvétiques de la banque, 66 % l’étaient sur la Suisse, 17 % sur l’Allemagne et l’Autriche, et 15 % sur la France, l’Italie et l’Angleterre. Quant aux créances à découvert, toujours sans le siège de Londres, elles atteignaient 105 millions, dont 76 % pour la Suisse, 16 % pour l’Allemagne et l’Autriche, et 6 % pour l’Italie et la France.

46 Comme on le voit, ni la nécessité de préserver son siège d’outre-Manche ni la francophilie de l’un de ses plus hauts responsables d’alors ne dissuadèrent la SBS de diriger une part significative de ses crédits extérieurs sur les Empires Centraux, au reste beaucoup plus demandeurs que les pays de l’Entente. Et c’est sans doute pourquoi l’orientation des affaires de la SBS ne pouvait guère différer, dans l’ensemble, de celle de ses grandes concurrentes suisses alémaniques. En même temps, et même si ces opérations ne présentaient sans doute rien d’illégal, il lui fallait donner certains gages compensatoires aux parties de l’Entente, sous peine d’être interdite d’activité outre-Manche ou traitée en banque ennemie dans l’Hexagone. Ainsi, entre autres exemples de ces gages, le premier crédit de change accordé à la France, à l’été 1916, qui répondait en partie à l’aggravation, dès le printemps 1916, des mesures de contrôle du courrier postal transitant par la France — aggravation qui menaçait de couper les banques suisses, SBS comprise, de leurs relations avec l’Espagne et les Amériques [65]. Ces opérations de crédit, détail non négligeable, allaient d’ailleurs fournir un débouché très profitable et particulièrement sûr aux emplois à court terme de la banque, dans un contexte où, rappelons-le, le marché suisse de l’argent nageait lui-même dans les liquidités. Un des gestes d’obédience parmi les plus remarquables fut le quasi-changement de raison sociale qui découla, début 1917, de la traduction du nom de la banque. Jusque-là connue sous ses seules appellations de Schweizerischer Bankverein et de Bankverein suisse, elle adopta un patronyme qui, en français, en anglais et en italien était désormais lavé de toute consonance germanique : sur les douze administrateurs présents ce jour-là, seuls deux s’opposèrent à ce changement intervenu sur la demande réitérée des sièges de Londres, Genève et Lausanne [66]. Un des bons observateurs de la vie bancaire suisse de cette époque, le Conseiller de la légation allemande de Zurich, rapporte non sans ironie qu’au printemps ou à l’été de la même année, la SBS serait allée jusqu’à proposer aux autorités britanniques que son siège de Londres, une fois de plus sous le coup d’une menace de fermeture, leur ouvre ses livres de comptes [67]. Le propos mériterait certes vérification, mais il dit bien que l’enjeu représenté par ce siège durant la guerre n’échappait guère aux contemporains informés et que les services diplomatiques allemands n’étaient eux-mêmes pas dupes des manœuvres de la banque pour s’attirer les bonnes grâces de Londres. À cet égard, l’évolution du portefeuille titres de la banque, tel que publié au bilan, tient un langage assez clair. Tandis qu’en 1915 encore, le montant des titres placés en Grande-Bretagne et dans les colonies anglaises constituait le chapitre le plus faible de l’ensemble du portefeuille, la situation s’est, selon le bilan publié, inversée entre cette date et le sortir de la guerre, les placements effectués outre-Manche et dans les colonies de l’Empire britannique formant, en 1918, le poste le plus important des investissements de portefeuille de la banque [68]. Alors qu’une saine prudence lui prescrivait, depuis le début de la guerre, de se contenter de publier l’état de ce portefeuille sans autres observations et qu’elle s’était en outre gardée du moindre commentaire relatif à ses affaires dans l’un ou l’autre camp belligérant, la SBS rompt cette espèce de mutisme géographique dès la paix revenue : « Nos disponibilités de caisse, écrit-elle ainsi dans son Rapport et bilan de 1918 (paru en mars 1919), dans lesquelles sont compris les comptes de virement auprès des banques d’émission, présentent une très forte augmentation due à l’avoir de notre siège de Londres à la Banque d’Angleterre. Ce même siège a continué, pour employer temporairement les fonds qui lui sont confiés, à acquérir des obligations anglaises à courte échéance, ce qui est la principale cause de l’accroissement de notre portefeuille de titres [69] ». Il est vrai que la précision n’était pas pour déplaire aux vainqueurs du conflit et que, début 1919, il était judicieux d’informer la clientèle, notamment britannique, que les disponibilités de la banque avaient été placées outre-Manche plutôt qu’outre-Rhin.

47 La Première Guerre mondiale fut pour la SBS, comme pour la place financière suisse elle-même, une période de grosses incertitudes, durant laquelle des questions inédites ont surgi avec acuité singulière : suspension des payements, bouleversement de la structure des affaires, gonflement régulier des frais généraux, inflation, montée en puissance du rôle de l’État, mouvements sociaux, y compris dans le personnel de banque, modification profonde des relations internationales. La grande banque bâloise n’était pas a priori mieux préparée que ses principales consœurs helvétiques à répondre à ces défis, même si, comme elles, elle fit face à ces contingences. Comme on l’a vu, elle gagna sur la concurrence étrangère des parts importantes et durables de marché dans plusieurs segments d’activités, sans perdre, tout au contraire, les positions acquises dans des domaines comme la gestion de fortune ou le placement de la dette publique helvétique. À l’instar des autres grandes banques suisses, elle fortifia aussi ses positions domestiques, en reprenant durant ou immédiatement après le conflit, des établissements d’importance régionale. Selon qu’elles étaient plus ou moins impliquées sur le marché des Puissances Centrales et qu’une certaine répartition géographique des risques avait pu ou non être réalisée durant le conflit, selon, aussi, l’orientation et le poids de leurs nébuleuses de sociétés affiliées dans la formation de leur propre bilan, la situation des grandes banques suisses, certes très enviable en comparaison internationale, allait, au sortir des hostilités, du plus ou moins réjouissant au franchement préoccupant.

48 En termes relatifs, la SBS fut, en Suisse, l’un des seuls grands établissements de crédit dont la progression du bilan durant le conflit fut suffisante pour compenser à peu près les effets de l’inflation ; bien plus, en 1918, elle était même le seul institut bancaire helvétique, toutes catégories confondues, dont le bilan annuel dépassait le milliard de FS. Son siège de Londres n’est pas étranger à ces résultats : autant, sans doute, pour le débouché alternatif qu’il lui aura procuré durant le conflit que pour la conduite qu’il lui a probablement inspirée dans ses affaires allemandes. Certes, ses liens historiques avec les milieux financiers des Puissances Centrales ne pouvaient guère être tranchés, à moins d’abandonner des marchés de longue date lucratifs, devenus irrépressiblement demandeurs par l’effet du conflit. Comme la majorité de ses concurrentes helvétiques, la SBS céda donc à ces affaires. Mais, à la différence, peut-être, de la plupart des autres grandes banques de Suisse, en y observant une certaine retenue, affichant une espèce de « germanotropisme » honteux, et multipliant, tout au long du conflit, les gestes symboliques ou concrets à destination des pays de l’Entente.

49 Dans ce contexte, on retiendra, sans personnaliser à outrance, que l’administrateur délégué de la banque, Léopold Dubois, a sans doute joué un rôle décisif dans le maintien du contact avec les adversaires des Puissances Centrales. N’hésitant pas à jouer les faire-valoir de sa banque auprès de ses nombreuses relations en France ni à plaider auprès d’elle la cause des entreprises suisses amies soupçonnées ou convaincues de commerce avec l’ennemi, Dubois contribua sans doute à éviter que la SBS ne perde son siège de Londres et ne bascule sans réserve du côté des Puissances Centrales. C’est sous son impulsion, qu’avant-guerre déjà, le Bankverein avait joué une carte originale en cherchant à détacher le secteur électromécanique suisse de ses attaches avec le capital financier allemand pour mieux le rapprocher du marché français. Cheville ouvrière de ces ouvertures à l’Ouest, Dubois compte au nombre des rares banquiers suisses à avoir obtenu, pour services rendus à la France, les insignes éminents d’Officier de la Légion d’honneur. L’issue du conflit devait d’ailleurs donner à son avenir professionnel une orientation très différente de celle que la déroute des Puissances Centrales réserva à la carrière de ses collègues et concurrents du Crédit Suisse. Tandis que l’institut zurichois démissionnait en effet tous les responsables de sa direction générale pour y désigner des personnalités plus jeunes et mieux capables de réorienter sa stratégie sur les marchés des pays sortis vainqueurs de la guerre, Dubois accédait, lui, à la présidence de la SBS.

50 Au-delà de l’anecdote, cette redistribution des cartes au sommet des deux plus importantes banques commerciales suisses de l’époque montre bien comment, au sortir de la guerre, le monde financier helvétique s’apprêtait à composer avec les nouveaux maîtres du jeu en Europe continentale. Ajouté à l’épuration à laquelle procédèrent, au nom de la lutte contre l’Überfremdung économique, à peu près tous les conseils des grandes entreprises helvétiques où siégeaient avant-guerre des administrateurs allemands, ce ravalement de façade, opéré sous pression des circonstances par la SBS elle-même, témoigne sans doute aussi d’un épisode important des relations du capitalisme suisse avec l’Allemagne [70]. La défaite des Puissances Centrales, combinée au déclin absolu, durant les années 1920, de la force de frappe du monde financier allemand, finit en effet de délier les principaux agents bancaires suisses, non pas de leurs relations avec leurs collègues d’outre-Rhin, mais de l’espèce de patronage que ces derniers avaient exercé dans plusieurs domaines importants des affaires bancaires suisses d’avant-guerre. Cet affranchissement, qui suivait de quelques années la fin de la domination française sur le marché intérieur des grands emprunts publics helvétiques, préparait une nouvelle étape de l’essor international de la place financière suisse. À cet égard, comme l’a bien vu F. Somary en 1929, la Première Guerre mondiale marque l’entrée résolue de la Suisse bancaire et financière dans ce court XXe siècle où l’impuissance supposée d’un petit pays sans grandes ambitions politiques, combinée à son indéfectible stabilité intérieure, allait nourrir son essor en tant que grande puissance financière.

Notes

  • [1]
    Felix Somary, Wandlungen der Weltwirtschaft seit dem Kriege, Tübingen, Mohr, 1929, p. 98-101.
  • [2]
    Pour un aperçu de la littérature afférente au sujet sur cette période, voir Daniel Bourgeois, « Notes de lecture. La Suisse dans l’affrontement des grandes puissances : 1914-1915, 1936-1941 », Relations internationales, 1977/11, p. 265-274 ; id., « Notes de lecture. Notice bibliographique sur les publications récentes concernant les relations internationales de la Suisse de 1848 à nos jours », Relations internationales, 1982/30 p. 231-248 ; Youssef Cassis, « L’histoire des banques suisses aux XIXe et XXe siècles », Revue Suisse d’Histoire, 1991/41, p. 512-520 ; Sébastien Guex, « The Historiography of Swiss Banks », dans European Banking Historiography : Past and Present, dir. Olivier Feiertag et Ioanna Minoglou, Athens, Alpha Bank, 2009, p. 211-255 ; Malik Mazbouri, « Tout vient à point à qui sait attendre. De trois ouvrages récemment publiés sur la question des affaires menées par les Grandes Banques suisses durant l’entre-deux-guerres et le second conflit mondial », Traverse – Zeitschrift für Geschichte, 2003/3, p. 160-175 ; Sébastien Guex, Malik Mazbouri, « L’historiographie des banques et de la place financière suisses aux XIXe et XXe siècles », dans L’histoire économique en Suisse : une esquisse historiographique – Wirtschaftsgeschichte in der Schweiz : eine historiographische Skizze, numéro spécial de Traverse – Zeitschrift für Geschichte, 2010/1, p. 203-228.
  • [3]
    Sur le poids symbolique du franc fort, voir Jakob Tanner, « Goldparität im Gotthardstaat : Nationale Mythen und die Stabilität des Schweizer Frankens in den 1930er- und 40er- Jahren », Revue des Archives Fédérales Suisses, Études et Sources, 2000/26, p. 45-81.
  • [4]
    Voir, notamment, Sébastien Guex, « Banque nationale et milieux bancaires entre 1922 et 1924 : cris et chuchotements autour de la stabilisation du franc suisse », dans Banken und Kredit in der Schweiz (1850- 1930), dir. Youssef Cassis et Jakob Tanner, Zürich, Chronos, 1993, p. 53-76 ; Eveline Ruoss, Die Geldpolitik der Schweizerischen Nationalbank 1907-1929. Grundlage, Ziele und Instrumente, thèse, Université de Zürich, 1992, p. 70-172.
  • [5]
    Sébastien Guex, La Politique monétaire et financière de la Confédération suisse 1900-1920, Lausanne, Payot, 1993, p. 88-105 ; Malik Mazbouri, L’Émergence de la place financière suisse (1890-1913). Itinéraire d’un grand banquier, Lausanne, Antipodes, 2005, p. 359-478.
  • [6]
    Marc Perrenoud et al., La Place financière et les banques suisses à l’époque du national-socialisme. Les relations des grandes banques avec l’Allemagne (1931-1946), Zurich, Lausanne, Chronos/Payot, 2002, p. 573- 581 ; Malik Mazbouri et Marc Perrenoud, « Banques suisses et guerres mondiales », dans Kriegswirtschaft und Wirtschaftskriege, dir. Valentin Groebner et al., Zürich, Chronos, 2008, p. 233-253.
  • [7]
    Actuelle UBS, suite à sa fusion, début 1998, avec l’Union de Banques Suisses de Zurich.
  • [8]
    On trouvera chez Malik Mazbouri, L’Émergence de la place financière suisse, op. cit., p. 205-315 un historique détaillé de l’histoire de la SBS avant la Première Guerre mondiale, ainsi que l’essentiel des sources consultées et une bibliographie de l’histoire des structures bancaires helvétiques durant la deuxième moitié du XIXe siècle ; je me permets d’y renvoyer ici, pour éviter de surcharger l’appareil critique de la présente section ; voir également la monographie autorisée de Hans Bauer, Société de Banque Suisse 1872-1972, Bâle, SBS, 1972, p. 44-188.
  • [9]
    Gérard Benz, Les Alpes et le chemin de fer, Lausanne, Antipodes, 2007.
  • [10]
    Sur ces conflits, voir Philipp Sarasin, Stadt der Bürger. Bürgerliche Macht und städtische Gesellschaft Basel 1846-1914, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1997, p. 190-191.
  • [11]
    Cf. M. Mazbouri, L’Émergence de la place financière suisse, op. cit., p. 359-474.
  • [12]
    Sur cette association, voir Sébastien Guex et Malik Mazbouri, « De l’Association des représentants de la banque en Suisse (1912) à l’Association suisse des banquiers (1919). Genèse et fonctions de l’organisation faîtière du secteur bancaire suisse », dans Genèse des organisations patronales en Europe (XIXe-XXe siècles), dir. Danièle Fraboulet et Pierre Vernus, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2012, p. 205-225.
  • [13]
    Jean Bouvier, Histoire économique et histoire sociale, Genève, Droz, 1968, p. 194.
  • [14]
    Julius Landmann, Projet d’une loi fédérale concernant l’exploitation et la surveillance des banques avec exposé des motifs à l’appui, Berne, Département de l’Économie Publique, 1916, p. 83.
  • [15]
    Max Vischer, « Die Ausgestaltung der Kontrollstelle und die Ausbildung der Revisoren », Protokoll der zehnten Generalversammlung der Schweizerischen Bankiervereinigung, 1923, p. 16-43 ; Ernst Wetter, Bankkrisen und Bankkatastrophen der letzten Jahre in der Schweiz, Zürich, Orell Füssli, 1918, p. 203-204.
  • [16]
    Il est vrai que le Canton de Bâle-Ville, domicile fiscal du siège central de la SBS est le premier pourvu, en Suisse, d’une législation moderne sur la fiscalité des entreprises et peut-être serait-il possible, en s’adressant aux archives publiques, de travailler dans le sens de Mark Spoerer, « “Wahre Bilanzen !”. Die Steuerbilanz als unternemenshistorische Quelle », Zeitschrift für Unternehmensgeschichte, 1995/40, p. 158-179 ; sur les rapports des banques au fisc, voir, par exemple, Werner Hügi, Œkonomische Eigenarten im schweizerischen Bankgewerbe, Bern, Haupt, 1927, p. 132-136 et Robert Kunz, Die Gewinn- und Verlustrechnung der schweizerischen Banken in den Jahren 1914 bis 1944, thèse, Université de Berne, München, Severing, 1952, p. 79.
  • [17]
    Sur ce problème au début des années 1920, voir Erik Buyst et al., La Générale de Banque 1822-1997, Bruxelles, Racine 1997, p. 576-577. On sait par ailleurs que les périodes d’inflation permettent d’effectuer d’importantes mises en réserves cachées : Société des Nations, Mémorandum sur les Banques Commerciales 1913-1929, Genève, SDN, 1931, p. 28.
  • [18]
    R. Kunz, Die Gewinn- und Verlustrechnung, op. cit., 1952, p. 18. On trouve chez Charles Albert Erich Goodhart, The Business of Banking 1891-1914, Aldershot, Brookfield, Gower, 1986, p. 15-38, une synthèse classique des problèmes généraux posés par les bilans bancaires.
  • [19]
    Jean Bouvier, « Les profits des grandes banques françaises des années 1850 jusqu’à la Première Guerre mondiale », Studi Storici, 1963/2, p. 223-239.
  • [20]
    Jean Bouvier, François Furet et Marcel Gillet, Le mouvement du profit en France au XIXe siècle. Matériaux et Études, Paris/La Haye, Mouton 1965, p. 15-21 et 219-221.
  • [21]
    J. Bouvier, « Les profits des grandes banques... », art. cit., p. 224.
  • [22]
    La masse des profits comprend : 1) les bénéfices distribués sous forme de dividendes et de tantièmes ; 2) les versements aux réserves ouvertes ; 3) les provisions diverses et amortissements sur créances douteuses signalées par le bilan ; 4) les versements à la caisse de pension.
  • [23]
    Là-dessus et pour le cas de la SBS, voir M. Mazbouri, L’Émergence de la place financière suisse, op. cit., p. 252-253.
  • [24]
    Sur cet impôt, voir S. Guex, La Politique monétaire et financière, op. cit., p. 362-374.
  • [25]
    SBS, Trente-huitième Rapport et Bilan du Bankverein Suisse. Exercice 1909, Bâle, Kreis 1910, p. 7.
  • [26]
    Archives de la Société de Banque Suisse [désormais ASBS], Bâle (UBS AG), Protokoll des Verwaltungsrates 2, séance du 22 février 1911.
  • [27]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll des Verwaltungsrates 5, séance du 12 décembre 1928.
  • [28]
    Sur cette grève qui prélude à la grève générale de novembre 1918, voir Gautschi Willi, Der Landesstreik 1918, Zürich, Chronos, 1988, p. 225-227.
  • [29]
    Voir, notamment, les remarques à ce sujet de Léopold Dubois (1859-1928), président de la SBS : ASBS (UBS AG), Protokoll des Verwaltungsrates 4, séance du 24 février 1926.
  • [30]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll des Verwaltungsrates 3, séances du 28 février 1922 et du 12 septembre 1922, et Protokoll des Verwaltungsrates 4, séance du 2 mai 1927.
  • [31]
    Sur ces débats, voir notamment Eduard Kellenberger, Kapitalexport und Zahlungsbilanz, Bern, A. Francke AG, 1939, p. 236-238.
  • [32]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Delegation 1925 (6 janvier 1925-29 décembre 1925), séance du 18 août 1925.
  • [33]
    Werner Hügi, Oekonomische Eigenarten im schweizerischen Bankgewerbe, Bern, Haupt, 1927, p. 28-31.
  • [34]
    SDN, Mémorandum sur les Banques, op. cit., p. 62.
  • [35]
    Walter Adolf Jöhr, Schweizerische Kreditanstalt 1856-1956. Hundert Jahre im Dienste der schweizerischen Volkswirtschaft, Zürich, SKA, 1956, p. 289-294 ; Adolf Asper, Fünfzig Jahre Schweizerische Bodenkredit-Anstalt 1847-1947, Zürich, SBA, 1947, p. 29-40.
  • [36]
    Sur ces aspects, voir, par exemple, Karl Erich Born, Geld und Banken im 19. und 20. Jahrhundert, Stuttgart, Kroner, 1977, p. 439 sq ; Michel Lescure, « Banking in France in the Inter-War Period », dans Banking, Currency, and Finance in Europe Between the Wars, dir. C.H. Feinstein, Oxford, Clarendon Press, 1995, p. 315- 336 ; Manfred Pohl, Konzentration im deutschen Bankwesen (1848-1980), Frankfurt, Knapp, 1982, p. 296 sq ; Fritz Weber, « Banking in France in the Inter-War Period », dans Banking, Currency, and Finance, op. cit., p. 337-357.
  • [37]
    Calculs effectués par mes soins sur la base des cours fournis par le Bankverein suisse, Bulletin mensuel 1, fin février 1914 et la Société de Banque Suisse, Bulletin mensuel 3, juin 1920.
  • [38]
    L’opération fut différée en raison de la tension sur le marché du capital, mais l’habitude est bien d’émettre au-dessous du cours de bourse et le plus haut possible au-dessus du pair, afin d’assurer un bénéfice d’émission à la banque. ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll des Verwaltungsrates 3, séance du 14 nocemmbre 1919.
  • [39]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Generalbericht über das II, Quartal 1915, séance de septembre 1915 ; j’ai traduit de l’allemand la plupart des citations mobilisées dans le présent article.
  • [40]
    Calculs effectués à partir des chiffres fournis par SBS, Rapport et bilan, Bâle, Kreis 1914-1918.
  • [41]
    Sur le rôle de la SBS dans ces affaires et leur enjeu général, voir cf. Malik Mazbouri, « Place financière suisse et crédits aux belligérants durant la Première Guerre mondiale », dans La Suisse et les Grandes puissances 1914-1945, dir. Sébastien Guex, Genève, Droz, 1999, p. 59-90, et id., « Capital financier et politique extérieure à la fin de la Première Guerre mondiale : la création de la Centrale des Charbons (1917) et de la Société Financière Suisse (1918) », dans Les Relations internationales et la Suisse, dir. Jean-Claude Favez et al., Lausanne, Antipodes, 1998, p. 45-70.
  • [42]
    E. Kellenberger, Kapitalexport, op. cit., p. 25-52 ; Victor Lapple, Die Beanspruchung des Schweizerischen Kapitalmarktes durch die kriegführenden Staaten, Basel, Krebs, 1922 ; Robert von Moos, « Unsere Valuta-und Exportkredite », Journal de Statistique et Revue économique suisse, 1919, p. 177-184 ; Werner Stauffacher, Der schweizerische Kapitalexport unter besonderer Berücksichtigung der Kriegs und Nachkriegsperiode, Glarus, Tschudy, 1929, p. 117-158 ; Stephen Gross, « Confidence and Gold : German War Finance 1914-1918 », Central European History, 2009/42, p. 223-252, ici, p. 250.
  • [43]
    Cf. SBS, Rapport et bilan, Bâle, Kreis 1917 et 1919 et ASBS, Bâle (UBS AG), Generalbericht über das IV. Quartal 1918, mars 1919.
  • [44]
    Cf. SBS, Rapport et bilan, Bâle, Kreis 1914 et 1919 et ASBS, Bâle (UBS AG), Generalbericht über das II. Quartal 1917, 12 septembre 1917.
  • [45]
    Sur ces opérations et leur essor après la guerre, voir W.A. Jöhr, Schweizerische Kreditanstalt, op. cit., p. 275.
  • [46]
    ASBS, Bâle (UBS AG) Generalbericht über das II. Quartal 1917, 15 septembre 1915.
  • [47]
    Voir les chiffres publiés par M. Perrenoud et al., La Place financière, op. cit., p. 620.
  • [48]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll des Verwaltungsrates 2, séances du 15 mars 1915.
  • [49]
    Sur cette problématique, que je ne peux malheureusement pas développer ici, voir S. Guex, La Politique monétaire, op. cit., p. 216-219.
  • [50]
    SBS, La situation économique et financière de la Suisse 1919, Bâle, Kreis 1920, p. 130.
  • [51]
    Jung Joseph, Von der Schweizerischen Kreditanstalt zur Credit Suisse Group. Eine Bankengeschichte, Zürich, NZZ, 2000, p. 70.
  • [52]
    Selon W.A. Jöhr, Schweizerische Kreditanstalt, op. cit., p. 275.
  • [53]
    H. Bauer, Société de Banque Suisse, op. cit., p. 212-213.
  • [54]
    R. von Schulthess Rechberg, Aus der Geschichte der Schweizerischen Bodenkredit-Anstalt Zürich von der Gründung bis zum Jahre 1943, Zürich, SBA, 1943, p. 133-141 ; W.A. Jöhr, Schweizerische Kreditanstalt, op. cit., p. 206-207 et 293-295 ; H. Bauer, Société de Banque Suisse, op. cit., p. 214.
  • [55]
    À ce propos, voir M. Mazbouri, L’Émergence de la place financière suisse, op. cit., p. 359-415.
  • [56]
    H. Bauer, Société de Banque Suisse, op. cit., p. 193-197.
  • [57]
    La famille de Rueff émigra à Bâle après la guerre franco-allemande de 1870-1871 afin de garder la nationalité française : The Swiss Observer, 25 septembre 1942.
  • [58]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Privatprotokolle des Verwaltungsrates 1911-1919, séance du 22 janvier 1917 et 1920-1937, séance du 17 décembre 1920.
  • [59]
    Pierre-Yves Donzé, « De l’obus à la montre. La Première Guerre mondiale et l’industrialisation de l’horlogerie à la Chaux-de-Fonds », dans Kriegswirtschaft und Wirtschaftskriege, op. cit., p. 135-153.
  • [60]
    Malik Mazbouri, « Place financière suisse et crédits aux belligérants... », art. cit., p. 59-90.
  • [61]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll des Central-Auschusses 22, séance du 27 janvier 1915. Et quelques mois plus tard : « Monsieur le Délégué Dubois se réfère à la hauteur considérable des crédits accordés à la séance d’aujourd’hui. [...] Les demandes de crédits qui s’accompagnent de garanties des premières banques allemandes ou autrichiennes, nous ne pouvons pas les refuser tout simplement. Comme seul moyen, il reste donc l’augmentation des conditions », ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll des Central-Auschusses 22, séance du 27 octobre 1915.
  • [62]
    Calculs effectués par mes soins sur la base de la liste des crédits visés par la Commission des crédits de la banque ; n’ayant pas trouvé de liste récapitulative, j’ai moi-même comptabilisé chacun des quelque 630 crédits signalés, leur montant et leur destination géographique et ai procédé, le cas échéant, aux conversions de change nécessaires ; la marge d’erreur n’est donc pas nulle, mais les valeurs obtenues peuvent être considérées comme indicatives ; voir ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll der Kredit-Kommission janvier à juin 1915 et juillet à décembre 1915.
  • [63]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Generalbericht über das I. Quartal 1917, séance du 15 mai 1917.
  • [64]
    ASBS, Bâle (UBS AG), Generalbericht über das IV, Quartal 1918, séance de mars 1919.
  • [65]
    Archives Nationales, Paris, F12 7960, État major, 5e Bureau, Section de contrôle de Lyon, note du 14 juin 1916 sur les relations bancaires entre la Suisse et l’Amérique du Sud.
  • [66]
    H. Bauer, Société de Banque Suisse, op. cit., p. 206-208 et ASBS, Bâle (UBS AG), Protokoll des Verwaltungsrates 2, séances du 20 février 1917 et du 9 mars 1917.
  • [67]
    Bundesarchiv, Berlin, Reichswirtschaftsministerium, R31.01/7629, rapport du conseiller de la légation de Zurich, von Simson, du 24 juillet 1917.
  • [68]
    SBS, Rapport et bilan, Bâle, Kreis, 1916 et 1919.
  • [69]
    SBS, Rapport et bilan de la Société de Banque Suisse. Exercice 1918, Bâle Kreis 1919, p. 6.
  • [70]
    Pour un exemple, parmi d’autres, de la manière dont les contemporains posaient la question, voir Paul Gygax, « Die wirtschaftliche Überfremdung », Schweizerisches Finanz-Jahrbuch, 1918, p. 185-207 ; sur ce « concept » xénophobe d’Überfremdung économique (pénétration, jugée excessive, « de main-d’œuvre, d’entreprises et de capitaux étrangers dans l’appareil de production » national), voir Gérard Arlettaz et Silvia Arlettaz, La Suisse et les étrangers. Immigration et formation nationale (1848-1933), Lausanne, Antipodes, 2005, p. 89-92 ; voir aussi Gerhard Schnyder et al., The Rise and Decline of the Swiss Company Network during the 20th Century, Travaux de science politique, n° 22, Lausanne, IEP, 2005, p. 27-28.
Français

Les bouleversements induits par la Première Guerre mondiale ont joué un rôle fondamental dans l’affirmation internationale du secteur bancaire suisse. Combinant l’étude de cas et la mise en contexte, le présent article discute des orientations prises par l’une des plus importantes banques helvétiques du XXe siècle (la Société de Banque Suisse, actuelle UBS) durant cette phase décisive de l’histoire de la place financière suisse. Archives internes et bilans comptables de la banque sont ici mobilisés pour donner à voir, en amont et en aval du premier conflit mondial, ainsi que durant le conflit lui-même, l’histoire singulière de cet établissement et, avec elle, quelques-uns des enjeux majeurs de l’histoire bancaire suisse du début du siècle dernier.

English

Abstract

The upheavals led by World War I played a fundamental role in the international rise of the swiss banking sector. Contextualizing a case study, the present paper discusses the policy of one the most important swiss banks of the 20th century (the Swiss bank corporation, today UBS) during this major phase of the Swiss financial center history. Internal archives and balance sheets of the bank are used here to discuss the history of this establishment before, during and after the war, and, with it, some of the major issues in the Swiss banking history of the beginning of last century.

Malik Mazbouri
FACULTÉ DES LETTRES, SECTION D’HISTOIRE – UNIVERSITÉ DE LAUSANNE
Mis en ligne sur Cairn.info le 04/04/2013
https://doi.org/10.3917/hes.131.0073
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