CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1L’essor public des neurosciences peut être considéré de plusieurs façons. Nous nous limiterons dans le cadre de cette contribution à en cerner les contours dans une zone spécifique du monde social, celle des producteurs culturels. Ici, la dynamique du phénomène ne peut être appréhendée sans la prise en compte de la surdétermination de cette entité culturelle qu’on appelle cerveau, au moment même où les neurosciences prétendent délivrer un discours de vérité à son sujet. Cette surdétermination pèse dans la façon même dont les neurosciences vont accéder à l’espace public. Elle consiste pour une large part en une tendance à aborder le social dans une optique individualisante et psychologisante, qu’on peut déceler à la fois chez certains intermédiaires culturels et une partie du lectorat.

2Évidemment, cette surdétermination en arrive à brouiller la portée intellectuelle de l’essor des neurosciences, mais ce phénomène s’observe aussi pour d’autres domaines du savoir et constitue sans aucun doute une donnée de base des processus de transfert dans l’espace public des savoirs scientifiques. Ne pas reconnaître cet état de fait reviendrait à reconduire l’idée d’une transmission verticale des débats savants, de haut en bas, et à négliger le fait que ceux-ci « tombent » le plus souvent dans l’espace public en subissant certaines « déviations » imputables aux canaux qu’on leur fait emprunter pour arriver auprès des profanes [1].

3Les neurosciences bénéficient dans les circuits de production culturelle de grande diffusion d’une popularité avérée et ancienne. Celle-ci a trouvé une forme de cristallisation en 2003 avec le lancement du mensuel Cerveau & psycho, émanation de la revue Pour la science. Cet avocat parmi les plus actifs des neurosciences auprès du « grand public » affirme ainsi dans son premier éditorial :

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« Les mécanismes complexes de pensée, le langage, le raisonnement logique, les capacités mathématiques, la conscience, incluant émotions et sentiments, ont été des questions longtemps réservées aux philosophes ou aux psychologues, mais l’alliance récente de la psychologie cognitive et de l’imagerie cérébrale marque les premiers pas d’un programme d’étude associant psychologues et spécialistes du cerveau. Cette collaboration ne se limite pas à un échange de connaissances et à un enrichissement de la culture générale : aujourd’hui, les connaissances acquises changent notre rapport au monde. Nous découvrons l’intimité psychologique du cerveau humain et ses potentialités : ces données jettent un nouvel éclairage sur l’individu et la société [2]. »

5De telles déclarations n’ont rien d’inédit. Elles ne représentent en fait qu’une variante d’un discours beaucoup plus général, qu’on retrouve tout autant dans la presse que dans certains essais de « savants », et qui mobilise depuis longtemps les sciences du cerveau dans des discussions à visée philosophique, épistémologique, etc., et ce concurremment à diverses théories fondées sur d’autres secteurs des sciences de la vie, comme la génétique.

6Depuis les années 1970 au moins, le chromosome du crime, l’hérédité de l’intelligence, voisinent avec la théorie de la tripartition du cerveau dans les news magazines et plus largement les industries culturelles (édition, publicité, télévision, cinéma) :

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« La vie de chacun d’entre nous est régie par des lois non écrites qu’il nous faut découvrir dans les racines mêmes de notre cerveau. […] Toute tentative consistant à expliquer l’origine des lois humaines doit comporter une évocation historique de nos ancêtres reptiliens qui ont vécu il y a plus de deux cent cinquante millions d’années [3]. »

8À ceci près que les neurosciences paraissent auréolées d’un prestige particulier, que résume bien Jean-Pierre Changeux :

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« Les neurosciences vont nous apporter une nouvelle vision, une nouvelle conception, de l’homme et de l’humanité. Nous nous devons de réfléchir plus avant aux conditions qui vont, peut-être, apporter plus de qualité de vie et de bonheur de vivre aux hommes puisque tel est bien, après tout, notre but. Les neurosciences inaugurent les Lumières du xxie siècle [4]. »

10Nous allons dans un premier temps esquisser un panorama de la diffusion culturelle de ces discours scientifique sur le cerveau, qui prend souvent des formes indépendantes des débats académiques en cours. Pour les besoins de l’exposé, nous nous limiterons au monde de l’imprimé (édition, presse). Seront ensuite évoquées quelques pistes d’explication du phénomène, relatives à la surdétermination du cerveau comme objet de débat dans l’espace public, ainsi qu’aux mutations du contexte de circulation des idées en France depuis quarante ans, tant du côté des producteurs culturels que des préférences des publics.

Les neurosciences sur le marché des idées

Une présence éditoriale accrue depuis les années 1980

11En dehors de la génétique, rarement domaine scientifique aura, dans les années récentes, mobilisé autant de place dans la presse et l’édition. 1983 peut être considéré comme un repère commode pour dater le début du véritable essor public des neurosciences, avec les succès de Le Cerveau Machine de Marc Jeannerod et surtout de L’homme neuronal de Jean-Pierre Changeux (plus de 100 000 exemplaires vendus).

12On peut noter depuis lors une visibilité croissante, dans les listes de meilleures ventes d’ouvrages et la presse de grande diffusion, de synthèses consacrées aux neurosciences, d’essais influencés par celles-ci. Certes, leur proportion rapportée au volume global de la production en sciences humaines et sociales (SHS) [5] est faible, mais la présence régulière d’un ou deux titres de ce type dans les listes annuelles de best-sellers atteste de leur installation durable dans le paysage éditorial et intellectuel [6].

Les associations d’aide aux orphelins de guerre à paris au début de l’année 1918

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Auteur(s) Titre Éditeur Année Période de présence dans la liste des meilleures ventes de Livres Hebdo Changeux, Jean-Pierre L’homme neuronal Fayard 1983 avril-juin 1983 ; octobre-novembre 1984 (poche) Vincent, Jean-Didier Biologie des passions Odile Jacob 1986 avril-mai 1986 Monique Le Poncin Gym Cerveau Stock 1987 décembre 1987 – octobre 1988 Changeux, Jean-Pierre, Connes Alain Matière à pensée Odile Jacob 1989 janvier 1990 Bourre, Jean-Marie Diététique du cerveau Odile Jacob 1990 avril-juin 1990 Jouvet, Michel Le sommeil et le rêve Odile Jacob 1992 mars-juin 1992 Sacks, Oliver L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau Seuil 1992 mai 1992 (poche) Cyrulnik, Boris Les nourritures affectives Odile Jacob 1992 octobre 1993 – août 1994 Changeux, Jean-Pierre Raison et plaisir Odile Jacob 1994 septembre 1994 Israël, Lucien Cerveau droit, cerveau gauche Stock 1995 janvier – mars 1995 Damasio, Antonio L’erreur de Descartes Odile Jacob 1995 juin – juillet 1995 Wright, Robert L’animal moral Michalon 1995 novembre-décembre 1995 Vincent, Jean-Didier La Chair et le Diable Odile Jacob 1996 janvier – avril 1996 André, Christophe, Lelord, François Comment gérer les personnalités difficiles Odile Jacob 1996 novembre 1996

Les associations d’aide aux orphelins de guerre à paris au début de l’année 1918

Best-sellers ayant pour thème les sciences du cerveau et de l’esprit, 1980-2000

13Le phénomène ne se cantonne pas aux essais et s’étend à des publications de plus large diffusion, tels Gym Cerveau de la psychologue M. Le Poncin, l’un des best-sellers de la fin des années 1980, qui a connu une réédition en poche en 2003 ou encore Comment gérer les personnalités difficiles de Ch. André et F. Lelord et Pourquoi les hommes n’écoutent jamais rien et les femmes ne savent pas lire les cartes routières ? d’Allan et Barbara Pease. On trouve cette production biopsychologique de grande diffusion dans les catalogues de nombreuses maisons, prestigieuses (Plon, Stock), récentes (Michalon) ou très grand public (First, M. Lafon). Les neurosciences y sont le plus souvent englobées sous la bannière de la psychologie évolutionniste, dans le cadre de thèmes récurrents : relations hommes/femmes, relations sociales…

14Au confluent de ces deux tendances, savante (ou semi-savante) et populaire, les éditions Odile Jacob mettent en œuvre depuis un quart de siècle une politique éditoriale volontariste, articulée autour d’un véritable projet intellectuel et qui s’incarne dans un catalogue qui offre un bon aperçu de la variété de la production en la matière : d’une part, des essais, des synthèses tentant de dresser des ponts entre biologie et sciences humaines, autour des questions de l’esprit, de la nature humaine, de la morale, produits par des chercheurs, souvent réputés (membres du Collège de France, des Académies des sciences et de médecine) [7] ; de l’autre, des livres lorgnant souvent vers la littérature pratique : conseils pour « gérer les personnalités difficiles », son « estime de soi », la « diététique » de son cerveau [8]

Jean-Pierre Changeux, le neurohumaniste

Jean-Pierre Changeux (né en 1936) représente l’un des cas les plus intéressants de la « mise en culture » de la biologie depuis une quarantaine d’années, où s’illustrèrent également des figures telles que Jacques Monod, dont il fut le disciple, François Jacob ou Jacques Ruffié. Il est, en France, le promoteur le plus légitime et le plus ancien des neurosciences dans l’espace public.
Auteur d’un parcours académique des plus prestigieux (École Normale Supérieure, Institut Pasteur, Collège de France, Institut), titulaire de notables titres de gloire scientifiques (au premier rang desquels la médaille d’or du CNRS), il se fait connaître du grand public en 1983 avec L’homme neuronal, où parlant du « terreau biologique » des sciences humaines, il déclare son ambition de jeter « une passerelle sur le fossé qui sépare les sciences de l’homme des sciences du système nerveux […] », tout en exprimant ses craintes relatives à « l’impact sur le social des découvertes de la biologie qui, usurpée par certains, peuvent devenir des armes oppressives » [9]. Ambitionnant de « détruire les barrières qui séparent le neural du mental » [10], il y propose une théorie de l’esprit, notion philosophiquement surchargée, comme produit de la machinerie cérébrale. Cette théorie générale de l’esprit et de la connaissance s’appuie sur les notions d’épigenèse et de darwinisme neuronal [11]. Derrière ce qui se présente comme une historiographie des neurosciences, se profile un cadre théorique dont le caractère généralisable a vite été repéré et commenté par certains chercheurs en sciences humaines [12].
Le deuxième grand domaine d’implication « extra-scientifique » de Jean-Pierre Changeux est l’éthique. Dès 1989, au terme d’un livre-dialogue avec le mathématicien Alain Connes, il consacre un long passage aux « bases naturelles de l’éthique » [13], thème qu’il reprend dans un livre collectif en 1993 [14]. Ce goût pour les réflexions philosophiques donne lieu à un dialogue avec Paul Ricœur [15] à la fin des années 1990 et plus récemment un nouvel opus sur les sentiments du bien, du juste et du beau [16].
La reconnaissance de l’autonomie de la réalité sociale, et partant des sciences humaines, alterne chez lui avec des prises de position plus biologisantes. L’un de ses discours, prononcé en 1992, sur le fondement biologique des possibilités de développement du cerveau au contact de « l’environnement physique, social et culturel au cours d’une période post-natale dont la prolongation, chez l’Homme, est unique dans le monde animal », ouvre sur la théorie de l’habitus de Pierre Bourdieu [17]. Ailleurs, il prend ostensiblement ses distances avec le schéma « artificiel » des trois cerveaux de McLean [18]. En revanche, sa reprise de théories darwiniennes de la diffusion de la culture élaborées par l’auteur du Gène égoïste Richard Dawkins, et, en France, par l’anthropologue Dan Sperber, aurait tendance à restreindre l’autonomie du discours sociologique. Art et culture constituent ainsi le troisième grand objet de discours de Jean-Pierre Changeux, qui dirige chez Odile Jacob dans les années 1990 une collection consacrée aux relations entre art et science. Chez lui, c’est non seulement l’origine de l’art qui est fondée biologiquement, puisque son invention « exploite des prédispositions innées, fixées au préalable dans [les] gènes [d’Homo sapiens] au cours de son histoire paléontologique », mais encore les principes présidant à son évolution, dans la mesure où la « dynamique évolutive des objets culturels […] présente d’importantes analogies formelles » avec l’évolution des espèces [19].
La visibilité sociale du neuroscientifique Jean-Pierre Changeux ne se limite pas à l’espace intellectuel : il succède à Jean Bernard à la tête du Comité consultatif national d’éthique de 1993 à 1999. La moralisation du biologique, objet, comme on l’a vu, d’un effort de théorisation poussée, se double de l’endossement sur la scène sociale d’une forme de stature morale. Il déclare à cette occasion désirer « réhabiliter «l’honnête homme» » et « faire renaître l’encyclopédisme » [20], à la recherche sans doute d’une synthèse entre une éthique de conviction (des conceptions intégralement matérialistes de l’homme, de la morale et de la culture) et une éthique de responsabilité (l’accession à la tête du CCNE). La nature des essais s’en ressent : Jean-Pierre Changeux peut se permettre des traités sur les « grandes » questions de la philosophie la plus scolastique (esprit, esthétique, morale, vérité, justice…) sans donner l’impression de tenir des propos déplacés, et de ne pas être utile socialement.
Son rayonnement social semble toutefois moins étendu que celui d’un auteur populaire comme Boris Cyrulnik (voir infra). Les prises de parole publiques de Jean-Pierre Changeux se limitent aux espaces sociaux les plus légitimes : hautes sphères académiques ou culturelles, maisons d’édition haut de gamme, organes de presse prestigieux, etc. Ses prises de position visent à proposer de nouvelles références intellectuelles, et nullement des conseils pratiques en vue de mener une « vie bonne ». Chez lui, contrairement à ce qui se passe avec Boris Cyrulnik, le social est évoqué en des termes très généraux : « Une dysharmonie profonde n’est-elle pas en train de se creuser entre le cerveau de l’homme et le monde qui l’entoure ? On peut se le demander. Les architectures dans lesquelles il se parque, les conditions de travail auxquelles il est soumis, les menaces des destruction totale qu’il fait peser sur ses congénères, sans parler de la sous-alimentation à laquelle il soumet la majorité de ses représentants, sont-elles favorables à un développement et à un fonctionnement équilibré de son encéphale ? On peut en douter. Après avoir dévasté la nature qui l’entoure, l’homme n’est-il pas en train de dévaster son propre cerveau [21] ? »
Le rôle fondamental qu’attribue Jean-Pierre Changeux aux neurosciences est des plus clairs dans ses développements sur l’art. Chez lui, l’art peut jouer le rôle de « puissance d’unification » sociale en lieu et place de la religion [22]. Dans le même temps, il juge que « l’art contemporain devrait prendre en compte, de plus près, la connaissance scientifique de notre époque » et pense à « un nouvel humanisme où les artistes puissent redécouvrir l’homme contemporain, dans toutes ses dimensions » et trouver « une source d’inspiration nouvelle dans cette connaissance de la neurobiologie cognitive » [23]. En résumé, l’art peut jouer le rôle d’une religion laïque, et, pour se régénérer, doit s’appuyer sur les neurosciences.
Biologie, morale et esthétique sont associées sur le mode du discours sur les fondements, discours non seulement écrit mais aussi en actes : outre le CCNE, Jean-Pierre Changeux préside la Commission d’agrément pour la conservation du patrimoine artistique, rédige des préfaces de catalogues d’exposition, des articles dans les journaux [24]. La réception généralement favorable faite dans la presse à ses interventions est la meilleure illustration de la légitimité culturelle des neurosciences [25] : Raison et plaisir a par exemple fait partie de la sélection du prix Médicis en 1994.

Un genre journalistique à part entière

15Le dépouillement d’un titre influent comme Le Nouvel Observateur, réalisé pour la période 1970-2000, suggère un intérêt ancien et croissant de la presse pour ce type d’ouvrages et de thématiques [26], que confirme pour une période plus récente, l’évolution du nombre d’articles mentionnant au moins une fois un mot issu de la famille de termes dérivant de la troncature « neuroscien* » dans deux des plus importantes publications de la presse quotidienne française, Le Monde et Le Figaro. Les années 2000 apparaissent comme une période où les neurosciences font évidemment l’objet de comptes rendus scientifiques, mais aussi d’utilisations dans des contextes de plus en plus larges : économie, marketing, sciences de l’éducation, etc.

Nombre d’articles comportant la troncature « neuroscien* » 1996-2010 [27]

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Nombre d’articles comportant la troncature « neuroscien* » 1996-2010 [27]

16Hier comme aujourd’hui, les débats sont organisés autour de quelques figures prestigieuses : J.-P. Changeux, J.-D. Vincent, A. Damasio, etc. En 1994, Raison et plaisir a ainsi les honneurs du Monde et de l’Express, de l’émission de Bernard Pivot, Bouillon de culture, ainsi qu’une présentation sur RTL (émission « Lire ») et France Culture (« Panorama ») [28]. Le phénomène est visible jusqu’à certaines revues intellectuelles comme Le Débat, qui se font longuement l’écho à la fin des années 1980 de l’émergence des sciences cognitives [29], ou plus grand public comme Sciences humaines, lancée en 1990 avec l’ambition de mettre « à la disposition d’un public large des recherches et des réflexions en plein renouvellement » [30] et qui consacre dès ses débuts une large place aux neurosciences, dans leur interactions avec la psychologie [31].

17Dans la presse généraliste ou spécialisée (féminine notamment), les articles abondent ainsi sur la différenciation sexuelle des cerveaux, la localisation cérébrale de certains comportements, ou des conseils pour améliorer les performances de sa mémoire, au point de constituer un genre journalistique à lui seul, comme en témoigne le lancement en moins de dix ans de deux revues de vulgarisation explicitement tournées vers les neurosciences : Cerveau & Psycho (2003) et Le Monde de l’intelligence (2005) [32]. Cette visibilité accrue s’appuie sur des figures moins légitimes académiquement mais dotées d’une indéniable présence médiatique, comme l’éthologue-psychiatre Boris Cyrulnik, le psychiatre Christophe André, régulièrement invités dans les colonnes des journaux (Le Nouvel Observateur, Le Monde, L’Express, Biba, etc.), dans les émissions de France Culture et de France Télévision.

18De façon plus ancienne encore que Cerveau & Psycho et Le Monde de l’intelligence, l’une des tribunes historiques dans la presse de grande diffusion des sciences du cerveau est le mensuel Psychologie magazine (créé en 1970, diffusé à 375 000 exemplaires en 2008). Depuis plus de trente ans, Psychologie magazine est animé par la conviction que la modernité réside dans les neurosciences, lesquelles éclairent les « nouvelles bases biologiques de la psychologie » [33]. Passé au début des années 1980 du créneau de la vulgarisation scientifique à celui de la presse féminine, Psychologie magazine illustre en outre la façon dont les neurosciences ont davantage connu un processus de réceptions simultanées que suivi un modèle de diffusion verticale (des circuits de diffusion restreinte à ceux de large diffusion). Ici (Le Monde, Le Nouvel Observateur, Le Débat) pour des débats d’idées, là (Psychologie magazine, Cerveau & Psycho, Le Monde de l’intelligence, la rubrique « Sociétés » des grands titres précités) pour être convoquées à titre d’appui scientifique dans certains domaines traditionnellement prisés des médias de grande consommation : l’intelligence, la mémoire, le rêve – souvent, du reste, en cohabitation avec d’autres approches tout aussi populaires, comme la psychanalyse [34].

19L’exemple de Psychologie magazine illustre un usage des neurosciences pratiquant peu le cloisonnement des références, où voisinent toutes sortes d’idées pourvu qu’elles soient légitimées par un « nom » (de grandes revues, de grands chercheurs, de savants médiatiques). Le terme « neurosciences » peut ainsi se retrouver dans certaines mentions allusives à L’homme neuronal[35], les déclarations parfois expéditives de chercheurs prestigieux [36], mais aussi les présentations de thérapies « cognitivo-comportementalistes », les introductions à la psychologie évolutionniste, ou au « développement personnel », dont Psychologie magazine a été l’un des plus ardents promoteurs en France. D’une façon plus globale, l’évocation des neurosciences fonde scientifiquement le propos plus large de la revue : la possibilité pour chacun de connaître ses propres déterminations, de les influencer, de s’adapter au mieux à son environnement, afin de « mieux vivre sa vie », selon le slogan de la revue usité à la fin des années 1990.

L’intégration des neurosciences dans la logique des intermédiaires culturels

20Les explications de l’intérêt de certains pans des mondes journalistique et éditorial pour les neurosciences peuvent être réparties en trois catégories : l’intérêt pour la diffusion de l’information scientifique et technique, la surdétermination culturelle de l’objet « cerveau » et la logique propre des intermédiaires culturels.

Suivre les développements de la recherche

21Parmi les raisons de cet intérêt massif pour les neurosciences, il y a évidemment la volonté d’informer des avancées scientifiques. Ainsi Le Monde consacre un long compte rendu au colloque « Neurosciences 90 : de la molécule au comportement », animé par J.-P. Changeux et J.-D. Vincent : à cette occasion, le journal annonce la relance des débats scientifiques sur l’inné et l’acquis, la détermination génétique des comportements, au travers de la question des « fondements biologiques de la conscience » [37]. Dans L’Express à la même époque, on lit pareillement que « l’étude du cerveau » est « en train de devenir une science touche-à-tout » [38]. À la fin de la décennie, ce ne sont pas moins de cinq numéros successifs du Monde qui sont consacrés à une vaste synthèse intitulée « Voyage au centre du cerveau » [39]. De la même manière, l’entreprise d’Odile Jacob, depuis la période où elle lance la collection « Le Temps des sciences » chez Fayard, se fonde sur la conviction de l’éditrice de l’apport que représentent ces champs de recherche pour « faire avancer les idées » [40].

22Cette explication renvoie évidemment à l’état de la recherche. Comme l’a montré Brigitte Chamak, les années 1980-1990 sont un moment central dans la constitution du champ des sciences cognitives et de l’affirmation en leur sein des neurosciences [41]. L’attention éditoriale et journalistique peut donc se comprendre en grande partie en regard de ce contexte scientifique, ainsi que comme l’affirmation sociale de nouvelles disciplines et de nouveaux champs de recherche [42].

23Cependant expliquer cette visibilité uniquement sous l’angle des conséquences des progrès scientifiques risque d’être insuffisant : la recherche en est évidemment la condition sine qua non, mais ne saurait expliquer l’ampleur du mouvement. Il est symptomatique qu’au moment du lancement de Cerveau & Psycho, soit affirmé dans la revue du Département des sciences de l’homme et de la société du CNRS que « les avancées dans le domaine du fonctionnement de l’esprit ne peuvent pas ne pas avoir de répercussions, plus ou moins directes, sur toutes les recherches qui sont centrées sur l’homme, que l’on travaille sur ses comportements, ses activités, ses productions, ses institutions, etc. » [43] Cet appel à l’interdisciplinarité prouve a contrario tout le chemin qui reste à parcourir dans le champ des neurosciences sociales, alors que les discours sont beaucoup plus conquérants, définitifs et expansionnistes dans la presse et l’édition, et ce depuis au moins le début des années 1980.

24Ces remarques pour rappeler que la diffusion des connaissances scientifiques, dans les formes multiples qu’elle peut revêtir, relève aussi de la production culturelle, c’est-à-dire d’un rapport social entre le monde de la recherche et celui des médiateurs culturels [44]. C’est particulièrement le cas des neurosciences, qui ont fait l’objet de réceptions et d’appropriations spécifiques par ces derniers.

Les sciences du cerveau comme objet culturel surdéterminé

25Cet intérêt pour le cerveau remonte d’abord bien au-delà de la parution de L’homme neuronal et de l’entrée dans « les années cerveau », pour reprendre une expression popularisée par Cerveau & psycho. On peut déjà le repérer dans les années 1950, c’est-à-dire à un moment où toute référence à l’« École biologique » ayant sévi avant-guerre est particulièrement illégitime [45]. Ainsi dans les colonnes d’une parution comme France Observateur, pourtant « l’un des principaux porte-drapeau de la rénovation du socialisme » [46], on peut lire à propos des « criminels nés », qu’« il est malgré tout probable que certains individus seront pour la pente savonnée du crime des proies plus faciles que d’autres, ceci du fait de la structure biochimique de leur cerveau » [47]. Dans cette galaxie de publication qu’on pourrait penser à première vue plutôt peu tournées vers des explications biologisantes des phénomènes sociaux, les références de ce type se multiplient à partir des années 1970 : par exemple, dans le Nouvel Observateur, des classifications des espaces culturels mondiaux en fonction de leur usage supposé privilégié de tel ou tel hémisphère cérébral [48].

26Le cerveau est un objet culturel surdéterminé dès cette période. Surdéterminé d’abord en tant que thème de prédilection d’un domaine en recomposition, la vulgarisation scientifique. L’attrait pour les sciences du cerveau a pour cadre le renouveau de l’information scientifique et technique, ainsi que la réémergence de courants de pensée inspirés des sciences biologiques, principalement des deux sciences les plus en vue à l’époque, la génétique (Jacques Monod, François Jacob) et l’éthologie (Konrad Lorenz) [49]. L’attention de la vulgarisation scientifique se focalise sur quelques sujets porteurs, dont le cerveau fait partie : il suscite l’intérêt croissant autant de la presse scientifique, qu’elle soit spécialisée (La Recherche, où les articles sur le cerveau font leur apparition dès les premiers numéros [50]) ou de plus grande diffusion (Psychologie magazine où, s’il est fait originellement place à toutes les approches, la psychanalyse et l’approche piagétienne sont remises en cause dès le milieu des années 1970, au bénéfice d’une psychologie fortement biologisée [51]).

27Mais le cerveau est également un objet surdéterminé au plan politique. Tout autant que par la presse scientifique, les sciences du cerveau sont convoquées par la presse généraliste dans des débats cruciaux autour de l’École et des inégalités sociales : polémiques autour de l’« hérédité de l’intelligence » et de ses rapports avec la « race », dans lesquelles intervient, entre autres, le psychologue proche du Parti communiste René Zazzo [52] ; autour des tests de mesure du quotient intellectuel, que promeut Pierre Debray-Ritzen, membre de l’Institut et proche de la Nouvelle Droite, dont la Lettre ouverte aux parents des petits écoliers est l’une des meilleures ventes d’essais de l’année 1978 ; des performances intellectuelles comparées des classes populaires et des classes supérieures, auxquelles se livre dans Le Monde le recteur et ancien député UDR Jean Capelle [53] ; des surdoués, auxquels l’éthologue Rémy Chauvin consacre un ouvrage [54] ; de l’idéologie « égalitariste » combattue par de hauts responsables politiques tels Michel Poniatowski et des organes de presse alors proches de la Nouvelle Droite tels que Le Figaro Magazine[55]. À quoi s’ajoute la querelle idéologique plus large autour de la sociobiologie, dont l’appropriation par la Nouvelle Droite ne doit pas faire oublier l’horizon neuroscientifique : Edward O. Wilson se déclarant en effet dans l’attente d’« une explication neuronale complète du cerveau humain » [56] pour fonder définitivement sa discipline si controversée.

28On peut ainsi penser qu’à l’orée des années 1980, l’usage des neurosciences a répondu à d’autres besoins que ceux de refléter les avancées de la recherche : remplir, au plan intellectuel, un rôle « réconciliateur », celui d’opérer une sorte de partage des eaux, entre la « fausse science », celle de la sociobiologie néodroitière par exemple, et « la science véritable ». Dans cette configuration, les neurosciences ont pu aussi permettre de sortir d’un contexte de défiance envers les théorisations biologiques des comportements, tout en continuant de légitimer un intérêt ancien pour celles-ci.

29Car cet intérêt a de nombreuses ramifications au plan intellectuel et idéologique. Sur ce plan également, le cerveau est un objet surdéterminé : il est un des terrains privilégiés de contestation des hiérarchies héritées des années 1960-1970, dominées par le structuralisme, la psychanalyse et le marxisme. En témoigne la tenue de deux colloques organisés par le Centre Royaumont pour une science de l’homme, fondé sous le patronage d’Edgar Morin et de Jacques Monod, où la place des neurosciences dans la refondation des sciences humaines et sociales est présentée comme centrale [57]. C’est, jusqu’aux années 2000, toute la portée de l’investissement du cerveau par des groupes de plus en plus larges d’intellectuels, de journalistes et d’éditeurs [58], que résume bien Dan Sperber dans un livre d’entretien avec Roger-Pol Droit :

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[Le] « marxisme, le structuralisme, l’archéologie de Foucault, ou le déconstructionnisme de Derrida, par exemple, ont proposé des approches différentes de la façon de réfléchir sur les idées ou les textes. Nombreux sont ceux qui voient dans ces nouveaux métadiscours le développement intellectuel majeur de notre époque, voire l’avènement d’une nouvelle ère de la pensée. Pour ma part, je serais plutôt tenté d’y voir le dernier acte, assez enlevé d’ailleurs, d’une ère qui touche à sa fin. […]
Être naturaliste ou matérialiste dans les sciences sociales devrait donc impliquer de se tourner vers les sciences cognitives pour y assurer l’ancrage des idées dans la matière. Mais la majorité des praticiens des sciences sociales sont en retard d’une révolution [59]. »

31L’attrait des sciences du cerveau et de l’esprit s’exerce tout aussi bien à droite, au sein du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE) er de sa revue Nouvelle École, qu’à gauche avec le Groupe des Dix (1968-1976), groupe de réflexion interdisciplinaire assemblant spécialistes des sciences de la vie (dont Henri Laborit), spécialistes des sciences de l’homme (dont Edgar Morin) et hommes politiques de gauche en rupture de ban avec le marxisme, dont les travaux, fortement influencés par des explications biopsychologiques des phénomènes sociaux, ont été inspirés, entre autres, par Paul D. MacLean [60]. Des années 1970 à 2000, selon les milieux de réception, les motivations affichées et les appropriations sont évidemment hétérogènes, allant de la volonté de trouver de nouveaux paradigmes unificateurs à opposer au (freudo)marxisme, responsable selon certains de « l’appauvrissement et la déchéance de nos cultures » [61], voire plus largement au « modèle standard des sciences sociales » [62], à la célébration plus consensuelle des valeurs de tolérance et d’humanisme. Mais elles convergent dans cette mobilisation des sciences du cerveau ans au titre d’approches impartiales, non idéologiques, objectives, de « la science, la vraie », comme a pu l’écrire un ministre de l’Éducation nationale, par comparaison à d’autres « curieuses "sciences" souvent mêlées de forts a priori idéologiques » [63].

La vogue pour les neurosciences vue des intermédiaires culturels et des publics

32Il existe enfin des raisons plus spécifiques pour lesquelles les neurosciences ont connu tant de relais au sein de l’édition et de la presse. On peut en évoquer trois : d’une part l’idée que ces intermédiaires se font de leur rôle social, d’autre part les mutations des conditions d’exercice de leur métier, enfin le contexte plus général des préférences des publics.

33Il est ainsi fréquent de voir des responsables éditoriaux en sciences humaines s’autodéfinir comme des agents de sélection, aptes à distinguer ce qui, dans le monde des idées, relève de l’accessoire et du nécessaire. L’édition de savoir suivrait une logique résumée par Pierre Nora, qui serait de contribuer à « mettre en valeur la portée générale des savoirs particuliers comme à tracer la frontière entre ce qui ne relevait que d’un savoir spécialisé, si nécessaire fût-il, et ce qui pouvait, et devait, concerner un public plus général. » [64] À partir des années 1980, les neurosciences et les disciplines proches comme la psychologie évolutionniste s’enracinent du bon côté de cette « frontière », bénéficiant du reflux de légitimité des pensées critiques prisées durant la période précédente tout en offrant des possibilités de généralisation que des sciences sociales de plus en plus spécialisées ne pourraient plus fournir.

34Les intermédiaires culturels recherchent non seulement des discours généralistes de substitution mais également des discours fiables susceptibles de fournir des points d’appui pour comprendre un monde perçu comme en perpétuelle mutation. Ainsi Serge July, le directeur historique du quotidien Libération, évoque dans les années 1990 l’ambition de son journal d’« aider à repérer les pièges, les sables mouvants et les terres fermes » et d’être un guide « pour un citoyen […] qui entend avoir la maîtrise de tous les instants de sa vie. » [65]. De l’étude de la conscience à celles des orientations politiques, les neurosciences sont de fait perçues dans ce journal comme un éclairage légitime [66]. Ici et là, on décèle l’idéal galiléen d’une « lisibilité du monde », dont le philosophe Hans Blumenberg voyait naguère le domaine d’expression privilégié dans les projets de décryptage du code génétique [67]. Dans un monde présenté comme de plus en plus « complexe », pour emprunter la terminologie d’Edgar Morin, l’un des maîtres à penser du réformisme contemporain [68], c’est-à-dire devenu illisible à l’aide de théories comme le marxisme, les neurosciences sont présentées comme la promesse d’une nouvelle grille de lecture à la fois scientifiquement garantie et politiquement acceptable. Dans cette nouvelle vision du monde, l’un des points capitaux est la garantie biologique de la liberté humaine, qui n’est pas, selon Boris Cyrulnik, « la chimère théologico-juridique du "libre arbitre" reprise par les philosophes pour l’attribuer à l’âme, comme attribut principal, mais « cette liberté matérielle, qui s’exprime dans ses compétences langagières, et qui trouve ses bases biologiques dans l’infinie plasticité du cerveau et de ses réseaux neuronaux » [69].

Boris Cyrulnik, l’« explorateur de l’âme humaine »

Depuis une vingtaine d’années, Boris Cyrulnik (né en 1937) est l’une des incarnations les plus populaires des sciences du cerveau dans l’espace public. Éthologue et psychiatre, enseignant à l’université de Toulon, il conjugue des origines sociales modestes, une trajectoire atypique (parents morts en déportation, placement en famille d’accueil, passage dans les Jeunesses communistes) et un engagement politique plus marqué que chez nombre de ses collègues [70].
Dans les années 1980, son arrivée dans l’espace public à la fois comme médecin et éthologue, psychiatre et essayiste, se situe davantage dans la lignée des savants « transdisciplinaires » dans le sillage de Henri Laborit (à qui le compare Edgar Morin [71]), plutôt que celle de praticiens préoccupés par la délivrance de conseils pratiques. C’est à partir de la décennie suivante, à l’occasion notamment du succès des Nourritures affectives, que sa visibilité s’accroît, tant au plan éditorial que médiatique. Couronné par certains psychiatre français le « plus médiatique […] depuis Françoise Dolto » [72], souvent présenté comme un « arpenteur », un « explorateur de l’âme humaine », un « psy qui redonne espoir » [73], il est d’abord consulté et évoqué pour ses théories portant sur la petite enfance, le rôle des affects dans la socialisation des individus et plus largement ses efforts pour populariser l’éthologie, discipline historiquement minoritaire en France [74]. Il rencontre un plus large succès encore dans les années 2000 avec ses ouvrages autour de la résilience [75]. Au plan social, il tend à devenir omniprésent au cours de la dernière décennie : on le voit conseillé dans les guides de lecture des grandes surfaces culturelles [76], promu expert officiel dans un livret ministériel destiné aux jeunes parents [77], invité dans des émissions de grande audience et des lieux prestigieux [78]. En 2010, il est membre de la Commission Attali pour la « libération de la croissance française », dont le rapport final préconise, entre autre, le développement du « secteur d’avenir » des neurosciences [79].
Au plan théorique, Boris Cyrulnik s’est surtout efforcé de diffuser l’idée selon laquelle l’être humain est le « seul animal capable d’échapper à la condition d’animal » et que son existence se déroule essentiellement sous l’empire des représentations [80]. D’une part il ancre les origines de l’homme au sein d’une histoire naturelle ; de l’autre, il l’en affranchit au nom d’une conception tout aussi naturelle de sa liberté, les possibilités d’affranchissement reposant sur le fait que « le cerveau des hommes ayant permis la création de mondes intermentaux, de milieux de pensées affranchis de la contextualité, l’évolution n’a plus son mot à dire […] »
Dans cette perspective, les apports des neurosciences sur la connaissance de l’architecture du système nerveux central lui fournissent son argumentation principale, qui lui permet ensuite d’affirmer que l’« émergence du langage, en créant un monde de représentations verbales, provoque une mutation des mondes mentaux ». Avec la représentation symbolique, l’être humain s’affranchit du monde naturel pour se soumettre « aux représentations que nous inventons et que nous héritons de nos parents et de leur groupe social. » [81] Le cours de la vie sociale découle ainsi de la soumission à ces représentations culturelles, où l’influence du biologique se fait toujours sentir : « Quand on s’entraîne à raisonner en termes de gradation, on peut passer du monde biologique à celui de la psychologie sans faire de métaphore. […] Les évènements biologiques et psychologiques s’associent, ils ne s’excluent pas [82]. »
Jusque dans les années 2000, les ouvrages de Boris Cyrulnik se rattachent au genre de l’essai scientifique, nourris de notes bibliographiques de bas de page, françaises et anglo-saxonnes, qui les distingue de livres comme Lorsque l’enfant paraît, au style quasi-oral et dénué de toutes références savantes [83]. Dans nombre de ses entretiens, la présentation de l’auteur des Nourritures affectives à la fois comme neuropsychiatre et éthologue, assimile sa parole à celle d’un praticien doublé d’un homme de science – une double légitimité qui certes ne le hisse pas, en termes de reconnaissance symbolique, à la hauteur des membres de l’Institut, mais le positionne un cran au-dessus des « simples » médecins : un intellectuel de médiation, vulgarisant auprès du plus grand public des idées formulées pour l’essentiel par d’autres dans un langage moins accessible et à destination d’une audience moins large.
Pour ses thuriféraires, Boris Cyrulnik incarne une « science à visage humain », et, comme tous les vrais novateurs, voit ses tentatives d’interdisciplinarité rejetées « à la marge », jalousées, voire méprisées par l’establishment scientifique. Son « destin » est celui d’un « antimandarin » [84] arrivant à concilier une « notoriété mondiale » et un abord des plus sympathiques – un profil d’hérétique consacré hautement prisé par les magazines [85]. Sous des apparences modestes et conviviales, ses interventions se déploient sur un grand nombre de tribunes (revues spécialisées en petite enfance, pédagogie, santé, psychologie ; presse généraliste, quotidienne ou hebdomadaire ; presses féminine et masculine) et de directions : spiritualité, lien social, mémoire collective, télévision, sport, délinquance, jeu ou art de vivre [86]. Elle se caractérisent, entre autres, par une critique de « notre culture de l’immédiat » génératrice de frustration et d’agressivité, un appel à lutter contre la « déritualisation » de nos sociétés et à « redonner du sens » à l’existence collective [87], etc.
Dans toutes ces déclarations, les neurosciences ne fournissent pas l’essentiel des arguments du neuropsychiatre. Celui-ci s’attache plutôt à décrire des cas édifiants [88] et vise davantage à souligner l’importance des « représentations » dans l’existence des individus, et par conséquent l’influence déterminante de l’environnement sur les comportements [89]. Par exemple, l’ennui et l’angoisse comme résultantes du progrès matériel, destin moral des classes moyennes installées, est un leitmotiv des analyses « sociopolitiques » de Boris Cyrulnik. Ce faisant, le neuropsychiatre universalise, en les psychologisant, des lieux communs sur l’état du monde social (la crise morale, la « perte de sens », le vide des repères), mais sous une forme volontariste, non fataliste et relativement optimiste, résumée par sa notion de résilience et la possibilité innée qu’elle signifie de surmonter les traumatismes [90].
En résumé, chez Boris Cyrulnik, les neurosciences sont à la fois un élément d’affichage intellectuel et un arrière-plan explicatif de la possibilité matérielle de la liberté chez les êtres humains. Mais les propos du neuropsychiatre (« à un an, 65 % des enfants ont acquis une manière d’aimer sécure [91] ») débordent du simple cadre des neurosciences et s’inscrivent dans l’horizon plus large d’un scientisme s’alimentant principalement de littérature psychiatrique et d’éthologie, fonds inépuisable de métaphores et de parallèles [92].

35Mais pas plus qu’elle ne se résume à une conséquence des avancées objectives de la science, cette promotion des neurosciences ne peut être réduite à ces préoccupations politiques au sens large. Elle ne peut se comprendre en dehors des mutations ayant affecté les industries culturelles depuis les années 1970-1980. Le contexte est celui du développement du marché des biens symboliques (essor du livre de poche et d’une production d’« édition de savoir » davantage tournée vers le grand public, expansion et segmentation poussée du marché des magazines, concentration éditoriale, augmentation de la production), de sa professionnalisation, de l’accroissement de son caractère concurrentiel, qui entraîne les agents à rechercher de nouvelles « niches ». Il n’est pas anodin que ce soit un éditeur aux méthodes commerciales comme Grasset qui lance en 1968 un essai de l’éthologue Desmond Morris à grand renfort de publicité dans le métro parisien [93]. Les années 1970 voient le « savant » accéder au statut d’auteur en vogue, phénomène que les éditions Odile Jacob érigeront dans les décennies suivantes au rang de système avec les neuroscientifiques J.-P. Changeux, J.-D. Vincent, A. Damasio, etc. [94].

36Cette recherche de nouvelles formules s’est même accentuée à partir des années 1980 et le ralentissement des ventes d’essais de sciences humaines traditionnels [95] : les neurosciences sont ainsi apparues comme produit d’appel au sein des nombreuses collections scientifiques alors lancées par des éditeurs généralistes pour des raisons relevant à la fois de l’opportunisme commercial et de la motivation idéologique.

37La fortune culturelle des neurosciences depuis trente ans ne doit donc pas seulement à la force d’attraction intrinsèque d’avancées scientifiques indéniables. Elle ne peut être comprise que dans le cadre plus général qui vient d’être esquissé et que l’on doit compléter par la mention d’une autre évolution culturelle plus large, celle de la diffusion d’une véritable « culture psychologique » en France depuis les années 1970, tant au plan des représentations que des pratiques [96]. Celle-ci a connu une nouvelle vigueur depuis les années 1990 avec la vogue pour le développement personnel [97], secteur éditorial florissant, dont témoignent chacun dans leur domaine les succès de Psychologie Magazine et des éditions Odile Jacob. Cet essor, dont l’analyse générale reste encore à faire, concerne tout autant la popularisation de la psychanalyse que celle de versions plus biologisées de la psychologie adossées aux neurosciences. Si on le compare aux difficultés rencontrées sur la même période par l’édition en sciences humaines, il manifeste une modification progressive des préférences des lectorats. Le succès de la littérature de vulgarisation en psychologie peut être notamment relié, comme l’ont suggéré en leur temps Luc Boltanski et Pascale Maledidier, à l’apparition de « nouvelles » classes moyennes dans les années 1970, principalement dans le sillage du développement des professions médico-sociales [98]. La légitimité culturelle des neurosciences pourrait donc aussi découler de la conversion de groupes sociaux à des propositions d’explication et de gestion (bio)psychologique des comportements.

38Au final, si nous ne disposons pas actuellement, en dehors de quelques grands repères statistiques, de vision très claire des publics de cette sorte de vulgarisation scientifique [99], la popularité des biens culturels examinés dans le cadre de cette étude suggère que la visibilité des neurosciences pourrait aussi résulter de mutations plus larges du rapport au monde social de certains groupes sociaux, situés d’une part parmi les intermédiaires culturels (journalistes, éditeurs, mais aussi scientifiques), et d’autre part parmi les fractions de plus en plus larges des classes moyennes amateurs d’approches individualisées et psychologisées du social.

Conclusion

39Nous nous sommes proposé de donner ici une explication « à moyenne portée », liée non pas à des phénomènes sociaux de grande ampleur mais à des transformations au sein de sphères assez limitées, celles des producteurs culturels et, à la fin, des publics amateurs d’un certain type de biens culturels. Dans ce cadre, la notion de « psychologisation du social » s’avère une représentation concrète chez les agents concernés, en interaction avec des pratiques : publications d’ouvrages, articles et rubriques de journaux, périodiques spécialisés, chiffres de vente soutenus sur une longue durée.

40Mais un rapprochement peut être esquissé avec d’autres mouvements plus larges, notamment la diffusion de valeurs post-matérialistes en Europe occidentale et aux États-Unis, mettant de plus en plus l’accent sur l’épanouissement personnel [100], ainsi que la trajectoire de l’individualisme dans nos sociétés, portée par l’idéal d’un sujet autonome, autogéré. Dans cette perspective, Alain Ehrenberg écrit que

41

« Les raisons sociales du succès populaire des neurosciences tiennent alors moins à leurs résultats scientifiques et pratiques qu’au style de réponse apportée aux problèmes posés par notre idéal d’autonomie individuelle généralisée. Elles permettent aujourd’hui de consoler ceux qui, en réalité la plupart d’entre nous, ont des difficultés à faire face à ce monde de décision et d’action qui s’est édifié sur les ruines de la société de discipline, celle qui connaissait ce respect de l’autorité dont la perte fait l’objet de lamentations quotidiennes. Mais les neurosciences suscitent également l’espoir que soit fourni à chacun des techniques de multiplication des capacités cognitives et de maîtrise émotionnelle, également indispensables dans un tel style de vie. » [101]

42Cet idéal social d’autonomie individuelle repose sur des postulats relatifs à la possibilité d’explorer les ressorts de la subjectivité, à la possibilité d’utiliser cette connaissance pour la gestion de soi-même et à la nécessité de promouvoir ces procédures dans une visée normative du social [102] : autant de données de fond, reflétées par la production culturelle contemporaine, et que le neuroscientisme contribue à revivifier ou à légitimer.

Notes

  • [1]
    En supposant bien sûr que ces débats portent eux-mêmes toujours sur des enjeux purement théoriques.
  • [2]
    Houdé, 2003.
  • [3]
    Maclean et Guyot, 1990, 139-140. Pour une étude plus générale sur la « mystique du gène » dans les industries culturelles aux états-Unis, voir Nelkin, Lindee, 1998.
  • [4]
    Changeux, 2005.
  • [5]
    Cette production évolue, en 2000-2004 entre 5300 et 6500 titres /an : voir Auerbach, 2006.
  • [6]
    Pour l’édition, voir Lemerle, 2009a.
  • [7]
    Outre les références données dans le tableau, voir Changeux, 1993, 2002, 2008 ; Prochiantz, 1995.
  • [8]
    Sur la production d’Odile Jacob, voir Lemerle, 2006.
  • [9]
    Changeux, 1983, 8-9, 333. Pour un tableau général des propriétés sociales de Jean-Pierre Changeux, voir Lemerle, 2009b, 78-79.
  • [10]
    Changeux, 1983, 209.
  • [11]
    Voir aussi Changeux, 2002.
  • [12]
    Voir par exemple Debru, 1987 ou plus récemment, Bronner, 2010, 647-649
  • [13]
    Changeux, Connes, 1989, 235-264.
  • [14]
    Changeux (dir.), 1993.
  • [15]
    Changeux, Ricœur, 2000.
  • [16]
    Changeux, 2008.
  • [17]
    Changeux, 1994, 21.
  • [18]
    Changeux, 1983, 157-158.
  • [19]
    Changeux, 1994, 71, 58.
  • [20]
    Changeux, Daniel, 1994.
  • [21]
    Changeux, 1983, 343.
  • [22]
    Changeux, Connes, 1989, 235-264.
  • [23]
    Changeux, 1994, 131.
  • [24]
    Changeux, 1984.
  • [25]
    Tel que le montre le dossier de presse de Raison et plaisir, aimablement communiqué par les éditions Odile Jacob.
  • [26]
    Cf. Lemerle, 2007. Voir à titre d’exemples Bonnot, 1983, Bonnot, 1985, ainsi que le dossier « Comment pense votre cerveau ? », 1989 et les diverses « brèves » scientifiques publiées en 1993-1994.
  • [27]
    Source : base de données Factiva – données corrigées après extraction des résultats.
  • [28]
    Source : Livre Hebdo. J.-P. Changeux était également passé à « Apostrophes » du même B. Pivot, tout comme J.-D. Vincent en 1986. « Bouillon de culture » a par ailleurs présenté L’animal moral en novembre 1995. Pour les articles, voir Braudeau, 1994, Lepape, 1994 et Ferry, 1994.
  • [29]
    Sperber, 1987 ; Gauchet, 1988.
  • [30]
    Ruano-Borbalan, 1998.
  • [31]
    Voir le numéro anniversaire du magazine Sciences humaines (n° 222, janvier 2011) et notamment Marmion, « Le sacre du cerveau ».
  • [32]
    Accès aux archives en ligne, partiellement gratuit : http://www.cerveauetpsycho.fr et http://mondeo.fr, consultés le 17 janvier 2011.
  • [33]
    Samuel, 1983.
  • [34]
    Voir Goleman, 1999 ; Portell, 1990 ; Borrel, 1984 ; Guillot, 1984.
  • [35]
    Lurai, 1990.
  • [36]
    Vincent, 1990.
  • [37]
    Nouchi, 1990.
  • [38]
    Simonnet, 1990.
  • [39]
    Fottorino, 1998a, b, c, d et e.
  • [40]
    Selon le slogan officiel du début des années 2000, visible sur les catalogues et le site internet de la maison.
  • [41]
    Chamak, 1999.
  • [42]
    Voir, pour les années 2000, dans Le Monde : Changeux, 2005 ; Vincent, 2009.
  • [43]
    Victorri, 2003.
  • [44]
    Voir dans le cas de la télévision, Babou, 1999, 124 et sq.
  • [45]
    Gurvitch, 1968, 50-52.
  • [46]
    Tetard, 2000, vol. II, 240.
  • [47]
    Koupernik, 1955.
  • [48]
    Dreyfus, 1976. Le premier article mentionnant les hémisphères cérébraux date du début de la décennie : Lavallard, 1971.
  • [49]
    Lemerle, 2009b.
  • [50]
    Changeux, 1970 ; Hecaen, 1972. ; De Bonis, 1978 ; Pribram, 1979 ; De Agostini, 1979.
  • [51]
    Chauchard, 1970 ; Pribam, 1972 ; Ornstein, 1973 ; Olds, 1975 ; Dumont, 1979 ; Goleman, 1979.
  • [52]
    Zazzo, 1974 ; Sery, 1974.
  • [53]
    Le « potentiel génétique est plus grand, statistiquement, dans la descendance de ceux qui ont su, mieux que les autres, s’assurer une réussite », selon Capelle, 1977. Une réplique fut donnée à l’article par Jacquard, Serre et Stewart, 1977.
  • [54]
    Chauvin, 1975.
  • [55]
    De Benoist, 1978.
  • [56]
    Wilson, 1987 (1975), 580.
  • [57]
    Colloque sur l’unité de l’homme, Morin, Piatelli-Palmerini, 1974 ; Sullerot, 1978.
  • [58]
    Lemerle, 2009b.
  • [59]
    Sperber, 1999.
  • [60]
    Chamak, 1997 ; Groupe des dix, 1972a et 1972b.
  • [61]
    Israel, 1994, 289.
  • [62]
    Wright, 2005, 17.
  • [63]
    De Robien, 2006.
  • [64]
    Nora, 2004. Voir aussi Desjeux, Orhant et Taponier, 1991, 53.
  • [65]
    July, 1995.
  • [66]
    Levisalles, 1995, 1999 ; Launet, 2007.
  • [67]
    Blumenberg, 2007, 377-412.
  • [68]
    Ferenczi, 1991.
  • [69]
    Cyrulnik, 1995, 102.
  • [70]
    O’dy, 1997. Pour un tableau général des propriétés sociales de Boris Cyrulnik, voir Lemerle, 2009b, 78.
  • [71]
    Morin, 2001. Voir aussi Cyrulnik, Morin, 2004.
  • [72]
    Dans « Souffrance psychique, un message d’espoir », Le Progrès, 2003.
  • [73]
    Huret et Cousin, 2003 ; Verdier, 1999 ; O’dy, 1997.
  • [74]
    Cyrulnik, 1984.
  • [75]
    Cyrulnik, 2001b ; Cyrulnik, Seron, 2003.
  • [76]
    FNAC, 2001.
  • [77]
    Ministère délégué à la Famille, 2004, 7.
  • [78]
    à la Bibliothèque nationale de France, pour une conférence « La résilience : de la biologie à la culture » le 13 décembre 2005 ; sur France 2, dans le cade de la soirée spéciale « Les secrets de votre cerveau. Comment mieux l’utiliser », le 24 avril 2007, animée par Béatrice Schönberg et Claude Allègre ; sur France Info, dans la chronique « Histoire d’homme » de Marie-Odile Monchicourt, où Boris Cyrulnik intervient pour « expliquer les comportements de société liés à des sujets d’actualité » : texte de presentation de la chronique, consultable sur le site www.france-info.com, rubrique « Chroniques », consulté le 22 août 2011.
  • [79]
    Commission pour la libération de la croissance française, 2008, 15.
  • [80]
    Cyrulnik, 2001a, 279.
  • [81]
    Cyrulnik, 2001a, 76, 11, 61.
  • [82]
    Cyrulnik, 2001a, 203.
  • [83]
    Dolto, 1999.
  • [84]
    Voir la présentation insérée dans Cyrulnik, 2002. Voir aussi O’dy, 1997.
  • [85]
    Morcina, 1997. Voir aussi son autobiographie, Cyrulnik, 2008.
  • [86]
    Villon, 1997.
  • [87]
    Cyrulnik, 1993.
  • [88]
    Par exemple dans Cyrulnik, 2001b, 151 et sq.
  • [89]
    Cyrulnik, 2002.
  • [90]
    Voir sa préface à Levine, 2008.
  • [91]
    Cyrulnik, 2002.
  • [92]
    Cyrulnik, 2009.
  • [93]
    Le Bulletin du Livre, 1968. Voir aussi, pour l’édition en sciences humaines, Rieffel, 1998 et pour les magazines, Sonnac, 2001.
  • [94]
    Le Bulletin du Livre, 1973 ; Lemerle, 2006, 2007.
  • [95]
    Rieffel, 1998 ; Ferrand, 1984.
  • [96]
    Castel et Le Cerf, 1980.
  • [97]
    Requilé, 2008 ; Lemerle, 2007, 185-195.
  • [98]
    Boltanski et Maledidier, 1977, 80-90.
  • [99]
    Et ce parfois pour des raisons directement liées aux (dés)intérêts des responsables de publication sur la question : voir Hobeika, 2005, 79-80. Selon une étude menée par Olivier Martin, le public de l’Université de Tous les Savoirs en 2000 aurait été majoritairement féminin (59%), titulaire d’un diplôme universitaire de troisième (40 %) ou de second cycle (27 %), principalement originaire de Paris ou de la région parisienne, majoritairement âgée de plus de soixante ans ou de moins de trente ans, disposant plutôt d’un emploi à plein temps (43%, contre 14 % d’étudiants, 23 % de retraités et 10 %) – chiffres tirés de Weill, 2000. Par ailleurs, les dernières enquêtes sur les comportements culturels des Français montrent que si les ouvrages de développement personnel seraient plutôt une lecture féminine, la lecture d’ouvrages scientifiques et techniques serait plutôt masculine, ces deux types d’ouvrages étant de toute façon minoritaire dans les préférences globales de lecture – voir Donnat, 2009, 157-158, ainsi que les résultats intégraux de l’enquête sur http://www.pratiquesculturelles.culture.gouv.fr, consultés le 27 janvier 2011.
  • [100]
    Inglehart, 1993. Voir aussi, sur cette question, Ehrenberg, 1991.
  • [101]
    Ehrenberg, 2004, 147.
  • [102]
    Voir la notion de « biosujet » définie in MEMMI, 2003. Sur la redéfinition du sujet par le « nouvel esprit du capitalisme », voir Bolstanki, Chiapello, 1999, 134-153. Sur les enjeux culturels du psychologisme, voir Legendre, 2001, 105-115.
Français

Résumé

La popularité dont bénéficient en France les neurosciences depuis les années 1980, au travers notamment des figures de Jean-Pierre Changeux, Jean-Didier Vincent ou Boris Cyrulnik, ne peut être appréhendée sans tenir compte de la surdétermination du mot « cerveau » dans l’espace public. L’étude de la diffusion (édition, presse) des discours neuroscientifiques montre que leur visibilité sociale ne provient en effet pas seulement des indéniables avancées de la recherche, mais également d’évolutions idéologiques et sociales plus globales, en particulier au sein des circuits de production culturelle de grande diffusion. La promotion culturelle des neurosciences pourrait avoir ainsi profité de la tendance de certains intermédiaires culturels à aborder le social dans une optique individualisante et psychologisante.

Mots-clés

  • Neurosciences
  • Vulgarisation scientifique
  • Industries culturelles (France)
  • Vie intellectuelle depuis 1970 (France)
English

A new « legibility of the world » : the uses of the neurosciences by cultural go-betweens in France (1970-2000)

A new « legibility of the world » : the uses of the neurosciences by cultural go-betweens in France (1970-2000)

Neurosciences have been being very popular in France since the early 1980’s, thanks to acclaimed authors such as Jean-Pierre Changeux, Jean-Didier Vincent or Boris Cyrulnik. But this popularity cannot be fully understood if one does not take into account the multiple determination of the word « brain » in the public sphere. The study of the diffusion (through publishing or press) of neuroscientific discourses shows that their social visibility does not only come from the indeniable progress of research, but also from more global ideological and social evolutions, especially within mainstream cultural producers. Thus, the promotion of neurosciences on the French intellectual scene could have taken advantage of the tendency of some cultural go-betweens to consider social issues in an individualizing and psychologizing way.

Keywords

  • Neurosciences
  • Scientific popularization
  • Cultural industries (France)
  • Intellectual life since 1970 (France)

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Sébastien Lemerle
Centre de Recherches Sociologiques et Politiques de Paris/CSU maître de conférence Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/05/2012
https://doi.org/10.3917/rhsh.025.0035
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