CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 C’est que la France est le pays du monde où la coéducation est peut-être la moins répandue et où l’esprit national et le sentiment public sont le plus en faveur de l’existence des écoles distinctes. [1]

2 Alors que séparer les filles et les garçons en les regroupant dans des écoles distinctes est la règle du système scolaire sous la Troisième République, l’enseignement mixte s’institue silencieusement pendant l’entre-deux-guerres [2]. La coinstruction s’organise en effet dans un mouvement à sens unique avec l’intégration d’élèves filles dans les structures scolaires masculines. Pourtant, couvrir le territoire d’établissements féminins en nombre suffisant est le vœu formulé officiellement. En attendant de trouver le point d’équilibre entre les moyens financiers accordés à l’éducation des jeunes filles et les demandes croissantes de leur scolarisation dans le secondaire, la coinstruction (ou le coenseignement), dite « coéducation », devient une mesure transitoire commode qui s’est pérennisée.

3 Les premières classes mixtes participent à l’histoire de la scolarisation des filles dans l’enseignement secondaire qui reste à faire pour le XXe siècle, dans la lignée des travaux de Françoise Mayeur [3] et de Rebecca Rogers [4] sur le XIXe siècle. Étudier l’histoire de la mixité scolaire entre les deux guerres [5] permet d’enrichir les travaux initiés à la fin des années 1980 par Nicole Mosconi [6][7], l’une et l’autre philosophes de formation, qui interrogeaient la fonction égalitaire de la mixité. Cette contribution s’inscrit également dans les réflexions menées en sciences de l’éducation sur la notion de mixité, qui peut concerner non seulement le mélange des sexes, mais aussi les questions sociales, spatiales et/ou ethniques. Sur le plan historique, en 2003, le numéro Coéducation et mixité de la revue Clio publié sous la direction de Françoise Thébaud et Michelle Zancarini-Fournel propose un certain nombre d’études documentées sur des points particuliers de l’histoire de la coéducation [8]. Rebecca Rogers établit notamment une première historiographie comparée avec un « État des lieux de la mixité » [9] qu’elle prolonge l’année suivante en dirigeant l’ouvrage collectif intitulé La mixité dans l’éducation. Enjeux passés et présents, préfacé par Geneviève Fraisse [10]. Dans le cadre de cet ouvrage, Michelle Zancarini-Fournel présente pour la France un large panorama de la marche vers la mixité et une synthèse des étapes essentielles propres à chaque niveau de la scolarité (primaire et secondaire) [11]. Depuis, Yves Verneuil a publié consécutivement en 2013 et 2014 deux articles sur les polémiques avec le monde catholique dont le premier met à l’épreuve l’enseignement catholique mixte, comme l’historien américain James Albisetti quinze ans plus tôt, qui proposait une perspective comparative internationale [12]. Toutefois, concernant la mixité, l’enseignement secondaire est le parent pauvre des études historiques tout autant que sociologiques.

4 Évoquer le mélange des sexes nécessite de différencier le mot générique « mixité » des trois autres termes : « coéducation », « gémination » et « coinstruction », couramment utilisés dans le langage éducatif depuis le XIXe siècle. Quant au mot « coenseignement », synonyme de « coinstruction », il n’est pas d’usage pour la période étudiée. Ces deux derniers termes semblent les plus appropriés pour désigner une simple juxtaposition d’individus c’est-à-dire la co-présence de filles et de garçons instruits dans les mêmes salles de classe. Cependant, le mot « coéducation », d’origine anglophone, est le plus couramment employé. Or, en français, il sous-entend la mise en œuvre d’actions éducatives ou de projets éducatifs qui dans les faits n’existent pas en France dans l’entre-deux-guerres, pas même dans les établissements privés qui se revendiquent de l’école nouvelle tout du moins en ce qui concerne les jeunes adolescents et adolescentes. Enfin, le mot « gémination », tombé en désuétude, désigne le rassemblement d’enfants filles et garçons sur des critères d’âge et de niveau. La gémination permettait le regroupement d’une école de filles et d’une école de garçons à classe unique. Dans les écoles primaires, rurales notamment, elle facilitait la gestion des effectifs. Elle fut d’ailleurs l’objet de débats houleux, avec des catholiques traditionalistes tel le rédacteur en chef du journal La Croix, à l’occasion de sa légalisation en 1933 [13]. Finalement, ce n’est que dans la seconde moitié des années 1950 qu’apparaît, dans la langue écrite, l’usage du substantif « mixité », pour mentionner les « classes mixtes » dont on discute l’existence depuis le siècle précédent [14].

5 Selon Antoine Prost, « de toutes les révolutions pédagogiques du siècle, la mixité est l’une des plus profondes » [15]. Pourtant, le corpus des sources sur la thématique se révèle restreint. Les informations puisées dans l’ensemble des rapports académiques annuels et l’unique carton de la série F17 des Archives nationales dédié aux admissions de jeunes filles dans les établissements de garçons dans l’entre-deux-guerres donnent néanmoins, en jouant sur les échelles nationales et locales, une vue globale du processus de « mise en mixité » [16]. En ce qui concerne l’enseignement secondaire, pour cette période spécifique, les archives départementales sont pauvres. Des données statistiques institutionnelles ont toutefois permis d’établir une géographie localisant les établissements accueillant des filles chez les garçons, tel le collège de Carpentras dans le Vaucluse [17].

6 Le silence autour de la « mise en mixité » de l’enseignement secondaire révèle que cette pratique n’est pas théorisée sur le plan pédagogique et didactique. Le fait qu’elle ne soit ni voulue ni attendue interroge les mécanismes du genre et contribue à expliquer la cécité des sources. Pourtant, le coenseignement répond à des besoins locaux qui imposent des accommodations. N’est-il pas le reflet de l’évolution des mentalités de la société du XXe siècle ?

7 Dans un premier temps, il s’agit de présenter la situation de la coinstruction dans l’enseignement secondaire qui renvoie au problème plus général de l’accès des filles au diplôme du baccalauréat. Ensuite, la géographie des implantations du coenseignement à l’échelle nationale permet de voir comment celui-ci consolide l’enseignement public masculin en accueillant un nouveau public de filles. Enfin, en repérant les façons dont les acteurs et actrices se sont adaptés au système de la coinstruction, on peut révéler l’ébauche de la déstabilisation des normes de la séparation des sexes.

I. L’enjeu du baccalauréat pour les filles, facteur clé du coenseignement

8 L’enseignement secondaire féminin public se structure à partir de 1880, après le vote de la proposition de loi de Camille Sée. L’État s’engage à doter le territoire d’établissements dédiés aux jeunes filles. Le cursus des lycéennes dure cinq ans et débouche sur un diplôme spécifique de fin d’études [18]. Comme Françoise Mayeur le souligne, « le Diplôme, destiné aux jeunes filles de la bourgeoisie et même “du monde”, qui n’étaient pas appelées à travailler n’ouvrait naturellement l’accès à aucune carrière » [19]. Les programmes sont conçus pour former les jeunes femmes cultivées qui se destinent à devenir des épouses et des mères de famille [20]. En 1915, le diplôme se prépare en six années dans 174 établissements publics de jeunes filles : les lycées des grandes villes et les collèges municipaux des villes moyennes. En revanche les 47 cours secondaires qui complètent l’offre de scolarité ne sont pas forcément en capacité de former jusqu’au diplôme [21]. Le plan d’étude ne rivalise donc pas avec celui des lycées et collèges de garçons, qui prépare au baccalauréat.

9 Cependant, depuis son obtention par Julie-Victoire Daubié en 1861, le baccalauréat, sésame des études en faculté, n’est plus légalement fermé aux filles. Elles peuvent se présenter aux épreuves en candidates libres. En revanche, pour pallier les insuffisances de leur cursus, elles doivent compléter leur formation scientifique et renforcer leur éducation littéraire, notamment en langues anciennes et en philosophie, grâce à des cours particuliers et un travail personnel intense. Certaines d’entre elles ont la possibilité de s’inscrire dans des institutions privées laïques (l’École alsacienne, le cours Sévigné dès 1905) ou religieuses qui concurrencent l’enseignement public en proposant une scolarité complète jusqu’à l’examen du baccalauréat, porte de l’enseignement supérieur. En réaction à ces initiatives, certains lycées de jeunes filles parisiens organisent une préparation au baccalauréat, non réglementaire, à partir de 1908 [22]. En 1913, les statistiques du ministère de l’Instruction publique dénombrent 346 bachelières dont 305 en Philosophie et 41 en Mathématiques. Elles sont plus du double en 1916 (685 lauréates). Désormais, le nombre de bachelières ne cesse d’augmenter régulièrement : en 1925, 18 % des 10 819 bacheliers sont des bachelières, soit 1 967 filles [23].

Graphique 1 : progression de l’obtention du baccalauréat chez les filles entre 1913 et 1926

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Graphique 1 : progression de l’obtention du baccalauréat chez les filles entre 1913 et 1926

G. Pezeu, graphique élaboré à partir de Jeanne P. Crouzet-Benaben, « Le bilan d’une génération scolaire féminine », Bulletin de l’enseignement secondaire de jeunes filles. Revue universitaire, Paris, 1927, vol. 2, p. 61-62.

10 Dans les années 1920, le « bachot » est l’enjeu de la réforme du plan d’études des jeunes filles, l’Instruction publique craignant la concurrence des écoles privées. Le défi est relevé par le ministre de l’Instruction publique Léon Bérard, qui contourne le débat parlementaire en complétant la loi Camille Sée de 1880 par son décret du 25 mars 1924. Les programmes de l’enseignement des garçons sont désormais applicables dans les établissements de jeunes filles grâce à « un enseignement facultatif dont la sanction est le baccalauréat » (article 3) [24]. Si le ministre est connu pour être un partisan des humanités classiques et notamment du latin dans toutes les classes de sixième et suivantes, ses visées politiques l’ont mené à encourager l’accès des filles aux études secondaires et donc supérieures, qu’il justifie ainsi :

11

« J’ai essayé dans cette réforme de répondre au double vœu des familles et de l’Université : d’une part, maintenir un enseignement secondaire féminin qui, depuis 40 ans, a fait ses preuves ; d’autre part, faciliter aux jeunes filles qui le désirent un enseignement identique à l’enseignement secondaire masculin » [25].

12 Les projets de baccalauréat spécial pour les jeunes filles ou autres diplômes équivalents sont donc abandonnés, même si des matières « féminines » restent obligatoires, tels les cours de travaux d’aiguille et d’économie domestique. De plus, l’examen de passage en classe supérieure leur est imposé chaque année alors qu’il était moins fréquent pour les garçons.

13 Cependant, comme l’écrit aussi le ministre :

14

« Ce mouvement des jeunes filles […] a pris depuis une vingtaine d’années une intensité croissante : mais nos lycées n’ont pu, jusqu’à présent, employer que des moyens de fortune pour satisfaire au désir des familles. Le but du nouveau décret est de régulariser l’institution d’une section d’enseignement secondaire masculin dans tous les lycées, collèges et cours secondaires de jeunes filles » [26].

15 Or, ces derniers, environ deux fois moins nombreux que les établissements masculins, ne sont pas en mesure de répondre aux besoins des programmes du baccalauréat alors qu’ils sont encore obligés de proposer le cursus de préparation au diplôme de fin d’études en dépit de sa perte d’attractivité. D’une part, ils sont pénalisés par le manque de personnel féminin suffisamment formé, notamment en mathématiques, sciences et latin ; d’autre part, les effectifs de filles déterminées à se lancer dans la préparation d’examens et de concours sont encore trop faibles pour justifier sur le plan économique l’ouverture de nouvelles sections. De ce fait, contrairement à sa visée, le décret Bérard ne parvient pas à mettre un terme aux pratiques de coenseignement qui ont vu le jour dès la fin de la Première Guerre mondiale dans les établissements de garçons.

16 Le rapport académique de Grenoble de 1921 rappelle ainsi qu’« une circulaire ministérielle récente permet désormais l’accès des jeunes filles dans les établissements secondaires masculins, où elles pourront préparer la deuxième partie du baccalauréat et lorsque lentement la nouvelle organisation sera entrée dans les mœurs, les études féminines s’en trouveront grandement facilitées. Mais il faudra du temps peut-être pour que cette coéducation soit partout acceptée » [27].

17 En attendant l’instauration de nouveaux programmes, l’intégration de filles chez les garçons devient la solution pratique pour des élèves brillantes et motivées. D’ailleurs, les nouvelles bachelières peuvent prétendre passer des concours jusque-là réservés aux garçons, dont ceux de quatre écoles d’ingénieurs ouvertes aux filles dès 1917 « sous la pression des contraintes économiques et démographiques de la guerre » [28]. Pour cela, elles ont besoin de suivre les cours des classes préparatoires aux grandes écoles, ouvertes aux filles par la circulaire du 21 juin 1923, dont seuls les lycées de garçons sont pourvus. La circulaire du 23 octobre 1922 annonce déjà clairement les objectifs de cette tentative de coinstruction : « satisfaire les familles, réaliser une importante économie, tenter un essai pédagogique » [29].

18 Dans les lycées, après les classes terminales puis les classes préparatoires, c’est au tour des classes de première d’être concernées par l’ouverture aux filles des établissements de garçons. La nouvelle circulaire du 10 décembre 1923 prétend « répondre au désir […] exprimé par de nombreux pères de famille » [30] en prévision de la rentrée d’octobre 1924. Elle réglemente les démarches imposées aux familles et aux établissements afin d’obtenir l’autorisation du recteur, qui a le devoir de traiter chaque cas de façon individuelle.

19 Une nouvelle phase s’ouvre avec la circulaire du 10 août 1926 spécialement destinée aux collèges municipaux de garçons. Signée par Édouard Herriot, elle a pour objectif non seulement de satisfaire la demande des familles, comme les précédentes, mais également de renflouer, dans le contexte de passage des classes creuses, les effectifs des établissements secondaires masculins. Dès le mois de septembre, les municipalités et les principaux se saisissent de l’opportunité. Les collèges de moins de 150 élèves sont alors autorisés à admettre des jeunes filles en tant qu’externes de la sixième à la seconde, mais dans la limite de 150 élèves par établissement. Cependant, le nombre de demandes municipales est tel que, dès janvier 1927, une note ministérielle assouplit les conditions requises :

20

« J’ai décidé […] de donner l’interprétation la plus souple et la plus large à la circulaire du 10 août 1926, par laquelle j’autorisais, sous certaines conditions, l’admission des filles dans toutes les classes des collèges de garçons lorsque l’effectif du collège ne dépassait pas 150 élèves […] le nombre de filles qui pourrait, dans ce cas, être admises irait jusqu’à 50 » [31].

Circulaires d’autorisations et notes aux recteurs

1915 - 23 novembreLes lycées et collèges de garçons (sous conditions) des petites filles dans les classes enfantines et préparatoires.
Des exceptions sont autorisées pour la classe terminale de philosophie et mathématiques : « admet des exceptions dans un contexte de guerre ».
Cote : F17 14 165
Évoqué dans le rapport de la Section permanente du CSIP du 9 novembre 1917.
Mentionnée dans la circulaire du 12 août 1924.
Absente des Bulletins administratifs de 1915.
1921 - sd.Les jeunes filles sont autorisées à suivre les cours des classes terminales (philosophie et mathématiques élémentaires) dans les établissements masculins : « […] un nouveau point de contact vient d’être ouvert par une mesure accordant aux jeunes filles l’accès des classes de Mathématiques et de Philosophie dans les établissements de garçons, de s’y mêler au diplôme, qu’il supplante numériquement ».
AN, F17 13 928 dossier « Conseil académique, rapport de 1922 sur l’année scolaire 1921-1922. Ens. Secondaire ».
Mentionnée par les recteurs de Grenoble (p. 11) et de Besançon (p. 26).
Absente des Bulletins administratifs de 1921.
1922 - 23 octobreRelative à l’admission des jeunes filles dans les classes de philosophie et de mathématiques des lycées et collèges de garçons.
« […] à la demande de nombreuses familles, que, provisoirement, et sans créer un précédent pour les autres classes, les jeunes filles, en mathématiques et en philosophie exclusivement, quand leur nombre n’est pas suffisant pour justifier la création de cours particuliers, pourront être admises à suivre les cours de l’établissement de garçons. […] ».
Bulletin administratif [BA] no 2500, 15 novembre 1922, p. 481-482.
1923 - 10 décembreProlongation aux classes de premières de la circulaire de 1922 et du 21 juin 1923 [prolongement aux classes préparatoires des grandes écoles].
« pour répondre au désir qui m’a été exprimé par de nombreux pères de famille, et sur avis conforme de la Section permanent du CSIP, j’ai décidé que les jeunes filles pourront, par décision spéciale, être admises à suivre les cours de première dans les lycées et collèges de garçons, lorsque la préparation au baccalauréat ne sera pas organisée dans le lycée, collège ou cours secondaire de jeunes filles de leur résidence ».
BA, no 2527, 1er janvier 1924.
1926 - 10 aoûtCollèges municipaux. Admissions dans toutes les classes de la 6e à la terminale.
Conditions requises pour les collèges de moins de 150 élèves garçons.
« J’ai décidé que les jeunes filles pourront […] être admises dans toutes les classes de collèges de garçons ».
BA, no 2575, 15 oct. 1926, p. 99.
1927 - 4 janvierCollèges municipaux. Conditions requises assouplies. Collèges de moins de 200 élèves garçons (toutes classes réunies) ne peut dépasser un effectif total de 200.
« […] circulaire à MM. les Recteurs d’académie complétant les dispositions de la circulaire du 10 août 1926 relative aux conditions d’admission des jeunes filles dans les collèges de garçons ».
BA, no 2581, 15 janv. 1927, p. 47.
1930 - 4 févrierCollèges municipaux-Lycées d’État. Remise au point de trois circulaires précédentes (1927 ; 1928 ; 1929). Autorisation d’abord aux classes de philosophie et de mathématiques, puis aux classes de premières. Extension à toutes les classes secondaires des collèges pour les familles qui « veulent faire donner à leurs filles l’instruction secondaire publique ». Mais avec : « le souci de ne pas compromettre ni retarder la création de collèges de jeunes filles dans les villes ».
Note aux recteurs
AN, F17 14 165
« Coéducation, 1917-1930 »
1937 - 22 juilletLycées d’État. Classes préparatoires aux grandes écoles : retour à la division sexuée des établissements.
« À partir du 1er octobre 1938 il n’y aura plus lieu de recevoir les jeunes filles dans les classes des lycées de garçons préparant aux grandes écoles, quand la préparation est assurée dans la localité par l’enseignement secondaire féminin ».
Note aux recteurs
AN, F17 14 165
« Questions diverses (1933-1939) »

Circulaires d’autorisations et notes aux recteurs

21 Entre 1928 et 1930, une série de notes adressées aux recteurs continue d’élargir les autorisations du 10 août 1926 et du 4 janvier 1927. Des calculs savants s’imposent :

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« C’est ainsi que dans un collège de 160 garçons, 40 filles pourront être admises, dans un collège de 175 garçons, 25 filles, dans un collège de 190 garçons, 10 filles seulement et ainsi de suite. Par ce moyen j’espère concilier l’intérêt des parents qui désirent faire faire à leurs filles des études secondaires dans les villes où ne peut exister d’établissement féminin avec mon devoir de ne pas empêcher la création d’un cours secondaire ou d’un collège de filles dans les villes où l’importance de la population scolaire la rend possible » [32].

23 Le 4 février 1930, une nouvelle note du cabinet du ministère fait une mise au point pour aider les recteurs à répondre aux multiples demandes. Elle rappelle que les autorisations sont d’abord destinées aux classes de Philosophie et de Mathématiques, puis aux classes de première et qu’elles peuvent s’étendre à toutes les classes secondaires (depuis la sixième) des collèges municipaux, mais « sous la réserve expresse que le nombre de jeunes filles admises ne devait pas dépasser 50 » [33].

24 Dans un premier temps, les autorisations ministérielles tolèrent donc « par le haut » des bachelières et futures bachelières, les unes admises en classes préparatoires, les autres dans les classes du second cycle. Dans la seconde moitié des années 1920, une nouvelle phase s’amorce lorsque les dérogations s’étendent à toutes les classes secondaires des collèges municipaux masculins. Ainsi, les filles peuvent désormais rentrer « par le bas » dans les classes du premier cycle. Finalement, au gré des ajustements réglementaires, la coinstruction devient une solution acceptable : des filles et des garçons apprennent ensemble, côte à côte dans une même salle de classe. Toutefois, la politique officielle reste de couvrir le territoire d’établissements féminins capables de procurer une offre scolaire complète. Le coenseignement demeure un palliatif à l’impuissance de l’enseignement secondaire féminin qui ne peut, par manque de moyens, répondre aux demandes d’un certain nombre de familles.

II. Géographie du coenseignement à l’échelle nationale dans les années trente

25 En février 1933, le ministre de l’Éducation nationale demande à tous les recteurs d’effectuer un recensement des admissions de filles dans les établissements de garçons de leur circonscription depuis la rentrée scolaire précédente. Les réponses envoyées par chacune des dix-sept académies (Alger comprise) entre les mois de février et mars 1933 donnent lieu à l’élaboration d’un tableau synoptique réalisé par le premier bureau de la direction de l’enseignement secondaire [34]. Il permet de visualiser, tant sur le plan géographique (voir carte 1) que numérique, le mouvement introduisant quelques filles dans les établissements de garçons. En revanche, rien n’est dit des conclusions qu’a pu en tirer l’administration.

26 Les effectifs de filles, lorsqu’ils sont mentionnés, restent modestes. Le lycée de garçons de Foix bat le record avec trente-cinq lycéennes en 1932 [35]. Mais au sein d’une même académie, les situations sont souvent diverses, comme l’illustre l’exemple de l’académie de Besançon :

27

« Il y a actuellement 2 élèves dans la classe de mathématiques au Lycée de garçons de LONS-le-SAUNIER, 17 dans les classes d’enseignement secondaire du Lycée de VESOUL. 1 jeune fille suit les classes de Grec du Lycée de BELFORT (3e A), enseignement qui n’existe pas au cours secondaire de la Ville. Quant au Lycée de BESANÇON qui reçoit des jeunes filles depuis 1926, il n’en compte aucune actuellement » [36].

28 Sur les 124 lycées de garçons, 104 lycées métropolitains plus celui d’Alger et celui de Tunis, soit 86 %, accueillent effectivement des jeunes filles [37]. Mais il faut relativiser l’ampleur de ce bilan chiffré et le nuancer en fonction des classes qui accueillent des jeunes filles. À titre d’exemple, si dans son académie, « seul le lycée de Clermont possède des classes préparant aux grandes écoles [où] les jeunes filles […] sont admises » [38], rien ne dit s’il en accueille également dans des classes secondaires, ou tout au moins dans les classes préparant au baccalauréat. En revanche, à Grenoble, la situation est plus claire puisque le lycée de garçons « ne reçoit pas de jeunes filles dans les classes d’enseignement secondaire. La préparation du baccalauréat se fait complètement au Lycée de jeunes filles de Grenoble » [39]. Seules les classes préparatoires de Première supérieure et de Mathématiques spéciales du lycée de garçons accueillent des élèves filles et garçons. Il en va de même à Dijon, parce qu’il est le « seul lycée de l’Académie où est organisée la préparation aux grandes écoles » [40], écrit le recteur. Ainsi se dégagent trois formules d’inscription : la première concerne les onze lycées qui accueillent des jeunes filles à la fois dans le second cycle et dans les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) ; la seconde propose des places aux filles uniquement dans les classes de première et terminales ; enfin, la troisième forme d’admission ne concerne que les bachelières qui souhaitent suivre les formations des CPGE des lycées de garçons. Les vingt-quatre lycées accueillant un public féminin au niveau des CPGE sont situés dans les villes importantes dotées par ailleurs de lycées de jeunes filles capables de préparer leurs élèves au baccalauréat. Cependant, huit ans après la promulgation du décret Bérard, soixante-et-onze villes sont obligées d’inscrire des filles dans les classes du second cycle des lycées de garçons. Preuve que des établissements féminins ne sont pas encore en mesure de préparer leurs élèves au baccalauréat et encore moins aux concours des grandes écoles. Il en est de même pour les collèges municipaux pour lesquels aucune enquête ne semble avoir été diligentée. Néanmoins, les demandes de dérogation effectuées par les collèges entre 1926 et 1931 complètent le tableau pour obtenir une vue d’ensemble à l’échelle nationale de l’intégration de jeunes filles dans les établissements de garçons [41].

29 Ainsi, au tout début des années 1930, sur les 417 établissements de garçons répertoriés, plus de la moitié (57,8 %) accueillent des jeunes filles. En confrontant la situation avec la carte établie par Françoise Mayeur pour la fin du XIXe siècle [42], force est de constater que la majorité des trente-six villes déjà dotées d’un lycée de jeunes filles en 1896 déclarent en 1933 la présence d’élèves filles dans leur établissement de garçons (à l’exception d’Auxerre, de Montauban et de Niort). Ce constat confirme le fait que les lycées de garçons complètent l’offre scolaire au profit de filles qui souhaitent préparer l’entrée en CPGE ou bien qui choisissent la filière scientifique sous-représentée dans leurs propres établissements malgré la réforme de leur plan d’étude et du baccalauréat [43].

Carte 1 : le coenseignement dans les établissements de garçons du secondaire au début des années trente

Figure 1

Carte 1 : le coenseignement dans les établissements de garçons du secondaire au début des années trente

30 La répartition des établissements de garçons concernés par le coenseignement montre une situation assez homogène en métropole. La traditionnelle ligne Saint-Malo/Genève de la France alphabétisée ne se calque par sur le mouvement du coenseignement des années 1930, pas plus que la représentation cartographique du taux d’alphabétisation des femmes [44]. Difficile également de faire un lien avec les tendances politiques régionales dont les votes sont stabilisés plutôt à droite ou plutôt à gauche. Les localisations du coenseignement reflètent plutôt une demande sociale diffuse, mais générale, de l’accès aux savoirs du secondaire pour les filles au même titre que pour les garçons. À partir de la carte des densités par arrondissement établie en 1925, selon le recensement de 1911, la concordance entre zone habitée et zone de coenseignement est patente [45]. Les foyers les plus denses se superposent aux espaces dont la population dépasse 75 habitants au km2 (jusqu’à plus de 200 hab./km2) tels la Normandie, le Nord, le couloir rhodanien, le Languedoc et la Provence. En revanche, cela est moins vrai pour les foyers qui cerclent Besançon, la Champagne et le sud de la Loire (autour de Poitiers), où les densités sont inférieures à 75 habitants au km2 et même plutôt entre 25 et 50 habitants au km2 (voir la carte 2). Ce petit effet de masse paraît lorsque la majorité des établissements de garçons de ces zones ont volontairement demandé à recevoir des filles. Ils en ont besoin pour justifier leur existence dans une démarche de gestion rationnelle. En ce qui concerne l’Alsace, les sources nationales d’archives sont trop lacunaires pour que la cartographie soit représentative.

31 Pour chacune des zones, peut-on envisager des explications liées à des besoins locaux et des situations singulières ? La prudence est de mise tant les facteurs sociologiques interfèrent et restent difficiles à démêler. Les politiques locales dépendent d’une multitude de variables et de logiques propres à chaque région qui rendent toutes les formes d’interprétations sujettes à caution. La superposition avec des cartes thématiques réalisées et éditées à la fin des années 1920 et au début des années 1930 n’apporte pas de résultats évidents pour tenter d’expliquer la localisation des établissements coéducatifs. Par exemple, la plage de couleur gris clair (carte 2) de Saint-Girons dans l’Ariège à Valognes dans la Manche ne correspond pas à des espaces dynamiques sur le plan industriel, ni bien reliés par un réseau de communication serré, ni très densément peuplés, alors que ce sont davantage les caractéristiques de la plage gris clair parallèle qui va d’Agde dans l’Hérault jusqu’au département de l’Oise (Clermont et Compiègne). Finalement, la seule confrontation cartographique pertinente est celle qui montre que les départements coéducatifs correspondent à ceux de la carte où la population imposable sur le revenu est plus importante qu’ailleurs [46]. Tout se passe comme si un nombre substantiel de familles aisées influençait la demande d’accès à l’éducation secondaire pour leurs filles. Cette hypothèse reste à prouver par des analyses plus fines sur les effets des situations matérielles par rapport aux évolutions des scolarités des enfants.

32 Les rapports académiques évoquent la question de la concurrence entre les différents types d’établissements. En Franche-Comté, d’assez nombreuses petites villes sont dotées d’un établissement coéducatif car les filles sont bienvenues pour maintenir les collèges de garçons qui ont besoin d’élèves supplémentaires [47]. Le coenseignement est un moyen de préserver le service public dans cette région mêlant tradition catholique et protestante. Les régions de l’ouest subissent quant à elle une forte concurrence de l’enseignement libre. Pour y répondre, les recteurs préservent les établissements publics de garçons en y accueillant des filles, lorsque les familles préfèrent l’enseignement public secondaire masculin plutôt que le privé féminin. Cette observation se confirme lorsqu’on regarde la Bretagne où les lycées des grandes villes s’ouvrent au coenseignement. Leur but est d’assurer la préparation au baccalauréat tant que les lycées locaux de jeunes filles ne sont pas en mesure de le faire. Ce processus est à mettre en relation avec la concurrence de l’enseignement privé catholique dont l’implantation est solide à tous les niveaux scolaires de la maternelle au secondaire. Grâce à la recherche de Sara Teinturier, le parallèle entre les implantations d’écoles primaires mixtes catholiques qu’elle a répertoriées pour 1932 et le développement du coenseignement dans les établissements publics de garçons du secondaire est envisageable [48]. Nous observons que les écoles catholiques, nombreuses entre Clermont-Ferrand et Lyon et dans le sud-est, notamment le diocèse d’Aix, correspondent à des foyers plus denses d’établissements publics secondaires avec coenseignement. Les implantations de l’enseignement privé et du coenseignement dans le secondaire public peuvent être lues comme une double conquête ou reconquête. D’un côté, les écoles catholiques de ces régions où l’Église est solidement implantée cherchent à maintenir leur place en s’adaptant jusqu’à entériner, contre ses principes, l’établissement d’écoles mixtes catholiques dans le primaire. De l’autre, la Troisième République se défend en acceptant des formes de coenseignement dans le secondaire et le primaire.

33 Toutefois des formes de concurrences internes à l’enseignement public sont également évoquées dans les dossiers académiques. Par exemple le recteur de Rennes signale la concurrence faite par l’école primaire supérieure de jeunes filles, « remarquablement installée et prospère » [49], pour soutenir l’admission de jeunes filles au lycée de garçons de Pontivy.

34 La carte des collèges municipaux masculins ayant demandé, à partir de 1926, des autorisations de coenseignement apporte des informations complémentaires.

Carte 2 : le coenseignement dans les collèges de garçons au début des années trente

Figure 2

Carte 2 : le coenseignement dans les collèges de garçons au début des années trente

35 Les zones gris foncé correspondent aux régions dans lesquelles les villes n’ont pas réclamé d’autorisation de coéducation. Pour autant, ce ne sont pas des espaces vides d’offre scolaire. L’absence de coinstruction dans les collèges doit plutôt être le résultat de politiques régionales. Par exemple, dans les rapports annuels des années 1922 à 1937, les académies de Bordeaux et de Rennes sont muettes sur la question de la « coéducation » dans les collèges. Néanmoins, les lycées des préfectures bretonnes ont favorisé le coenseignement pour se positionner vis-à-vis de l’enseignement privé. Alors, pourquoi les collèges sont-ils moins demandeurs qu’en Normandie voisine par exemple ? Quels sont les freins locaux ? Pourtant, l’intérêt économique de la coinstruction ne fait pas exception dans cette région. L’histoire du collège de garçons de Lannion, sur le littoral nord Breton (académie de Rennes), en témoigne. Comme il ne compte que 116 élèves au 30 juin 1926, le recteur propose d’accepter l’admission de jeunes filles, car « l’autorisation sollicitée rendra des services à la population de Lannion (les Collèges de jeunes filles les plus proches sont ceux de Saint-Brieuc et de Morlaix) ; elle renforcera heureusement les effectifs de certaines classes du Collège ; enfin toutes garanties peuvent être facilement prises au point de vue de la discipline » [50]. Ce cas est resté exceptionnel. En revanche, un nombre important de petits collèges municipaux normands, éloignés des grands centres urbains et fragilisés à cause de la faiblesse de leurs effectifs, réclament avec insistance l’autorisation de recevoir des filles pour assurer leur survie.

36 Ainsi, entre 1926 et 1930, nous comptons 139 collèges de garçons sur les 307 répertoriés, soit 46,7 % des établissements communaux masculins, ayant engagé une procédure de dérogation. Ils n’ont pas toujours obtenu l’autorisation dès leur première demande. Leur insistance témoigne de la volonté d’une part de satisfaire les besoins de scolarité des élèves filles, et d’autre part d’optimiser les structures existantes en faisant du coenseignement une variable d’ajustement.

37 De façon générale, à partir des témoignages recueillis dans les rapports académiques, il apparaît que les situations de coenseignement relèvent davantage des logiques économiques locales que des convictions religieuses ou d’un attachement au service laïque et public [51]. Si les problèmes de mobilité et les difficultés de déplacement font partie des freins à l’éducation des filles, ils sont aussi un accélérateur pour le coenseignement, car ils justifient l’ouverture des portes des établissements de garçons pour pallier l’insuffisance locale des structures de niveau secondaire de jeunes filles.

38 Lorsqu’il n’y a pas d’établissements secondaires publics dédiés aux filles, si les familles ne veulent pas ou ne peuvent pas se rabattre sur l’offre d’écoles privées locales, alors l’école publique s’oblige à faire face à la demande de scolarité en garantissant l’accueil du jeune public féminin au milieu d’élèves garçons.

III. Le coenseignement mis en pratique dans l’entre-deux-guerres

39 La manière dont est pensée et organisée la « coéducation » dans les établissements apparaît dans quelques rares rubriques des rapports académiques remis annuellement au ministère par l’intermédiaire des recteurs [52]. Les treize rapports de l’académie de Besançon esquissent ainsi une vue générale de l’évolution non seulement des représentations, mais aussi de l’organisation pratique du coenseignement dans les établissements du Doubs, de la Haute-Saône, du Jura et du Territoire de Belfort. Ils complètent l’enquête intitulée « Accès des jeunes filles dans les établissements de garçons : avantages et inconvénients », réalisée pour l’académie de Toulouse en 1930 [53]. Des correspondances individuelles ou collectives adressées au ministère permettent par ailleurs de mieux saisir les relations qui s’établissent entre les familles et l’administration scolaire à propos de la mise en œuvre du coenseignement.

1. Les enjeux de l’enseignement mixte pour les établissements de garçons

40 Le régime de la coinstruction est accepté et même parfois souhaité par les chefs d’établissement. À Besançon, dès la promulgation de la première circulaire de 1926 concernant les collèges, le rédacteur du rapport considère que :

41

« La mesure prise en faveur des jeunes filles qui ne disposaient d’un établissement féminin pour terminer leurs études se révèle comme définitivement excellente. Aucune difficulté sérieuse n’a surgi nulle part » [54].

42 Le principal de Pontarlier peut même s’enorgueillir du fait que « des familles réputées comme très religieuses n’hésitent pas à confier au collège leurs jeunes filles » [55]. En tout cas, aux yeux de l’administration, l’expérience est partout positive, notamment pour les garçons. Lorsque le principal de collège de Saint-Servan écrit : « la coéducation surveillée me paraît infiniment moins dangereuse pour nos jeunes gens que la fréquentation des dancings, de casinos et les réunions mondaines », l’auteur du rapport de 1938 de l’académie de Rennes qualifie la formule de « savoureuse et définitive » [56].

43 Les enjeux de la « coéducation », qui n’est en réalité que de la coinstruction telle qu’elle a été introduite en des proportions et des degrés divers, sont récapitulés dans l’enquête exhaustive commandée par le recteur de l’académie de Toulouse auprès de quatorze directrices et de vingt-trois proviseurs et principaux de l’académie. Chargé de la rédaction du rapport, l’inspecteur d’académie du Gers précise :

44

« c’est un essai de jugement (je n’ose dire une conclusion définitive après six années seulement d’expérience) sur cette innovation, excellente aux yeux de quelques-uns, plutôt fâcheuse selon d’autres » [57].

45 Les réticences proviennent essentiellement des directrices des lycées et collèges : les établissements féminins, moins nombreux, ne pratiquent pas le coenseignement, du moins pas dans les classes du secondaire. Pour se défendre, les directrices prétextent l’immoralité du mélange des sexes, en s’appuyant sur quelques confidences de leurs anciennes élèves. Elles défendent l’idée que les jeunes filles sont trop isolées, mal à l’aise et donc malheureuses au milieu de camarades garçons. Sur le plan économique, nous l’avons vu, la coinstruction apparaît en revanche comme un avantage pour les établissements masculins. D’une part, « l’impérieuse raison budgétaire condamne les abus qui consisteraient à multiplier les chaires pour des classes quasi désertes » [58] s’il fallait en créer dans les établissements féminins. D’autre part, la présence de jeunes filles renforce les effectifs des collèges de garçons et « c’est parfois la possibilité de maintenir un vieux collège, berceau d’enseignement secondaire […], de retenir aux disciplines de l’université des intelligences que guette peut-être un enseignement rival » [59]. Le rapporteur académique admet : « Si le nombre de jeunes filles devenait trop grand et qu’elles ne formassent pas une élite, il faudrait organiser l’enseignement féminin dans les établissements féminins en sa totalité » [60]. C’est d’ailleurs avec ironie qu’il mentionne les remarques des directrices qui « raill(ent), les jalousant quelque peu sans doute, ce recrutement inattendu, ces "aubaines", ces "renflouements d’effectif en péril" si bienvenu pour Messieurs les Principaux » [61]. En effet, l’opportunité offerte aux établissements secondaires masculins est source d’inquiétudes pour les dirigeantes qui craignent de voir décliner, avec le départ de leurs meilleures élèves, la qualité des enseignements et la réputation de leurs établissements dédiés aux filles.

46 L’autre enjeu concerne les aspects pédagogiques. « La coéducation est-elle pédagogiquement avantageuse ? » [62]. Les professeurs, tous des hommes, qui accueillent des jeunes filles dans leurs classes y voient un « enrichissement des facultés intellectuelles » pour les deux sexes. La concurrence réciproque, traduite en termes d’« émulation », est considérée comme positive puisqu’« en général les deux sexes ont rivalisé d’amour-propre pour ne pas s’accuser ni l’un ni l’autre [d’]inférieur » [63]. L’inspecteur d’Auch se fait d’ailleurs l’écho du constat général que les bonnes élèves réussissent brillamment dans les établissements masculins car « presque partout [elles] ont égalé les jeunes gens, s’assurant souvent les meilleures places, et au terme des études, des succès d’examens flatteurs » [64]. La plupart des observateurs expliquent les succès féminins par le fait que la maturité des jeunes filles est plus avancée puisque leur « formation physique est plus précoce » que celle des garçons. Il leur semble évident que cette précocité biologique se répercute sur le « terrain intellectuel ». Pourtant, la croyance d’une moindre résistance physique et donc intellectuelle des filles persiste. Ainsi, un professeur de sciences évoque la fatigue des jeunes filles qui, selon lui, subissent une « crise physiologique », et se demande si elles sont capables de fournir les mêmes efforts et le même travail que les garçons. Ce préjugé sexiste est un lieu commun, même si le problème du surmenage ne concerne pas seulement les filles ; il est d’ailleurs récurrent [65].

47 La question « la plus délicate » demeure la moralité, qui préoccupe aussi les parents des adolescentes. Tous les chefs d’établissement assurent prendre des « précautions de discipline » en vue de garantir la réputation de leur établissement. Certains, peu nombreux, adoptent le régime de la « liberté surveillée » consistant à faire confiance au petit contingent d’élèves filles qui côtoient les garçons sans les contraindre à une surveillance particulière. De toute manière « une certaine sélection dans l’admission des filles » [66] s’applique en fonction du milieu familial et social qui est considéré comme un gage de la bonne éducation ou plutôt de la « bonne réputation » morale des élèves recrutées.

48 Parallèlement, l’argument le mieux partagé pour justifier leur intégration est que l’« influence heureuse du voisinage des jeunes filles » [67] joue sur l’attitude des jeunes gens. Ils se comportent plus courtoisement, ils sont moins démonstratifs, ils réfrènent « des propos grossiers, des habitudes brutales » [68]. Ils se montrent « plus réservés, mais aussi plus affinés, plus soignés dans leur mise » [69]. La cohabitation a l’avantage de rendre les filles « moins mièvres, moins affectées », d’autant qu’elles ont de manière générale des comportements « irréprochables ». D’ailleurs, si des chefs d’établissements évoquent des rapprochements entre garçons et filles « selon les affinités sélectives » [70], ils les interprètent comme de la camaraderie et non comme des relations sentimentales, même si, parfois, « il peut éclore quelques flirts assez innocents (Vesoul) et des rappels à l’ordre peuvent être nécessaires (pour la première fois cette année, des observations ont dû être faites à une jeune fille du lycée de Lons-le-Saunier). Mais aucun incident grave n’est signalé et par contre on enregistre partout les heureuses conséquences de la coéducation au point de vue de l’émulation » [71].

49 Surveiller le comportement des élèves, grâce à une discipline stricte, afin de maîtriser la gestion des rapports de sexe paraît indispensable aux yeux des adultes. Il n’empêche que les impertinences et désobéissances des garçons ne sont jamais mentionnées, alors qu’au regard des rares cas relatés dans les rapports annuels, le seuil de tolérance à l’égard des jeunes filles est a priori plus sévère. Cette impression peut s’illustrer grâce à l’un des exemples qualifiés d’« extrêmes » sur la tenue de jeunes filles :

50

« l’une fort troublante avait affolé toute une division de garçons créant une agitation peu favorable pour le travail et la discipline, et l’autre, coquette et d’allure fort libre flirta de façon constante d’où, entre elle et ses fiancés provisoires des familiarités, des animosités qui n’étaient pas de nature à faire concevoir une haute idée de l’éducation dans l’enseignement secondaire » [72].

51 Sous le contrôle de l’établissement, la notion de camaraderie s’accorde bien à l’esprit de l’éducation scolaire mixte. N’étant ni amitié, ni flirt, ni relation amoureuse, elle est concevable pour toutes les relations, quel que soit le sexe : entre filles, entre garçons et entre filles et garçons. Comme la camaraderie « franche » ou « saine », « bonne » ou « solide » se limite à des liens superficiels, elle dédramatise les inquiétudes attribuées aux relations sentimentales que la plupart des discours d’opposition à la « coéducation » insinuent en imaginant des relations « malsaines » à connotation sexuelle [73].

2. Les jeunes filles et leurs familles face au coenseignement

52 Si la coinstruction bouscule les consciences du monde professoral, qu’en est-il du regard des parents ? Ouverture d’esprit pour les uns, résistance au changement pour les autres, l’ordre social est de toute façon déstabilisé par le contexte politique et économique difficile de l’entre-deux-guerres. La trajectoire scolaire de ces jeunes filles scolarisées dans la coinstruction est tout de même atypique. Il s’agit donc d’interroger la place de ces filles au sein de leur cercle familial et de se demander pourquoi les parents – notamment les pères qui jouent un rôle important – les accompagnent dans leur parcours d’études secondaires puis supérieures. À partir d’un dépouillement de dossiers individuels d’élèves, entre autres ceux du collège de Carpentras dans le Vaucluse, trois cas de figure de structure familiale sont repérables. D’abord, un premier groupe majoritaire constitué de filles uniques. Ensuite, un second groupe constitué de « sœuries », c’est-à-dire des cellules familiales composées de deux voire trois filles/sœurs sans frère. Enfin, le troisième groupe correspond à des fratries dans lesquelles la sœur (ou la fille), très brillante sur le plan scolaire, rivalise et supplante ses frères. Elles sont alors les dépositaires des ambitions de leur géniteur dans l’hypothèse du « fils manquant » empruntée à la sociologie de l’éducation [74]. Dans tous les cas, ces jeunes filles incarnent les « fils » que les parents n’ont pas eus : soit parce qu’elles sont uniques ou sans frère, soit parce que les garçons dans la fratrie ne répondent pas à l’idéal de réussite. Ainsi, M. Assier de Pompignan demande une dérogation pour sa fille unique qu’il « destine à une carrière "scientifique" [afin qu’elle] puisse poursuivre ses études au lycée de garçons de Toulon » [75]. Sa demande est refusée. Au collège Jean-Henri Fabre de Carpentras, Jacqueline Champeville, fille unique du professeur de dessin du collège, est la première à demander une dérogation en 1926 pour son entrée en sixième. Quant à Mlle Marel, qui se distingue en première D par le nombre de ses inscriptions aux tableaux d’honneur (1925-1926), elle obtient un premier baccalauréat Mathématiques élémentaires (Math-Élém.) en 1927 qu’elle complète l’année suivante par le baccalauréat Philosophie. Or, si elle a bien un frère, plus jeune, inscrit dans le même établissement, celui-ci n’accumule pas autant de récompenses que sa grande sœur. Plus tard, on retrouve le cas des deux filles (sans frère) du principal du collège, Jean Barrucand, nommé en 1941. Elles sont inscrites dans le collège de garçons qu’il dirige et participent aux activités sportives. Au point qu’en 1942, Jacqueline, la plus jeune, en classe de seconde, se fait remarquer en devenant championne académique de lancer de poids, catégorie cadette pour le collège [76], tandis que sa grande sœur, Marie-Paule, est reçue au baccalauréat Philosophie, dont la promotion locale est composée de seulement trois personnes : Marie-Paule, une seconde jeune fille et un garçon. Ces quelques exemples illustrent la place singulière de ces filles brillantes scolairement, voire sportivement.

53 À l’échelle locale, la voix des pères (et non des mères) se fait entendre auprès des instances ministérielles sous forme de pétitions, même si les démarches collectives se heurtent aux difficultés administratives. L’extrait de la délibération municipale du 30 décembre 1930 de la ville de Saint-Claude (académie de Besançon) témoigne des ambitions familiales et d’une large ouverture d’esprit sur l’avenir professionnel des femmes après l’obtention du baccalauréat :

54

« Considérant qu’il y a lieu de donner à chacun la faculté de pouvoir embrasser l’une ou l’autre des professions (Médecine, Pharmacie, Avocat, Professorat de l’enseignement secondaire, Administrations centrales) vers laquelle l’élève semble prédestinée et pour laquelle le baccalauréat est indispensable est d’avis de permettre aux jeunes filles l’accès au Collège de garçons, mais seulement au titre d’externes libres et sous les conditions de la circulaire ministérielle du 10 août 1926 » [77].

55 Les professions libérales, médicales et celles de l’enseignement, valorisantes socialement, sont les voies de la réussite qui ne dénaturent pas l’image de la féminité. La recherche d’un travail rémunéré était traditionnellement incompatible avec le statut de bourgeoise, mais les conséquences économiques et sociales de la Première Guerre mondiale tendent à battre en brèche la traditionnelle vision de l’éducation différenciée dont la finalité assignée aux jeunes femmes consiste à réussir vie maritale et vie maternelle. Même les conservateurs, malgré leur aversion au changement, reconnaissent la nécessité d’adapter l’enseignement féminin aux circonstances de l’après-guerre [78].

56 Aussi, le coenseignement s’impose comme un accommodement pour répondre aux demandes croissantes de formation plus approfondie, formulées par un certain nombre de familles. L’action des parents, tels les officiers de la base militaire de Saint-Maixent, illustre la combinaison des interventions individuelles et collectives pour défendre avec succès les intérêts de l’éducation de leurs filles. Dès 1925, le général Rondenay, directeur de l’École militaire d’infanterie, le ministre de la Guerre, le préfet des Deux-Sèvres, le principal du collège et le conseil municipal de Saint-Maixent se mobilisent au côté des parents. En effet, « les Officiers (au nombre d’une centaine, ayant presque tous de la famille) et les Sous-Officiers de la garnison se trouvent dans l’impossibilité de faire parcourir sur place à leurs filles le cycle entier des études secondaires » [79], situation qui nuit à l’école militaire elle-même. Il y a bien à Saint-Maixent une école primaire supérieure de jeunes filles, mais les militaires gradés entendent donner à leurs filles une formation plus prestigieuse. Voici ce qu’en dit le représentant du ministre de la Guerre :

57

« Ceux d’entre eux qui en ont les moyens mettent leurs enfants pensionnaires dans les villes voisines : POITIERS ou NIORT ; les autres demandent leur changement et cette situation connue dans l’armée compromet gravement le recrutement des professeurs et des instructeurs de l’École Militaire d’Infanterie non seulement en quantité, mais même en qualité » [80].

58 Tous ces hommes réclament donc « de donner aux jeunes filles l’autorisation de suivre comme externes les cours du collège de garçons à partir de la classe de sixième » [81]. La mobilisation, après un premier refus, se solde finalement par une autorisation dans le cadre de la circulaire de 1926. Toutefois, le recteur recommande à la municipalité de se doter d’un établissement strictement féminin [82]. Dans ce cas particulier, les militaires gradés de l’armée française ont dépassé les conventions sociales de la séparation des sexes pour promouvoir l’ascension culturelle de leurs filles.

59 Entre les deux guerres, le public d’élèves pionnières de la coinstruction est issu des catégories sociales qui, à défaut d’offrir une dot patrimoniale à leurs filles, sont dotées d’un certain capital culturel et manifestent leur préoccupation à l’égard de l’avenir professionnel de leurs filles [83]. La plupart des pères de famille exercent des professions intermédiaires ou de cadres moyens et supérieurs [84]. Ainsi, dans la liste du député de la Côte-d’Or défendant la cause de « 18 ou 20 pères de famille du voisinage […] [qui] seraient heureux de profiter d’une décision favorable » [85] de coinstruction à Châtillon-sur-Seine, se trouvent un médecin, un artiste peintre, un chirurgien-dentiste, un professeur, deux négociants, un commissaire-priseur. En revanche, les mères sont absentes des listes et si les parents d’élèves sont répertoriés, les professions des mères sont quasi invisibles. L’étude monographique du collège de garçons de Carpentras le confirme. La profession des mères n’est mentionnée que lorsqu’elles élèvent seules les enfants : veuves sans profession ou institutrices pour celles qui travaillent [86]. Les professions d’entrepreneurs industriels et de commerçants, d’ingénieurs, de directeurs de banques et d’usines sont bien représentées dans les listes d’inscription des élèves, garçons et filles confondus. De même, les familles de cadres fonctionnaires de l’administration, de l’armée et surtout de l’enseignement sont bien visibles. Il apparaît que parmi les professions libérales, le corps médical est mieux représenté que celui des charges juridiques (notaire ou avocat) [87]. Sans surprise, on peut également constater une surreprésentation des familles d’instituteurs et de professeurs dans les demandes de dérogation pour les filles. Les parents enseignants travaillent d’ailleurs parfois dans les collèges où ils désirent inscrire leurs filles. Les autres suivent avec intérêt la scolarité de leur enfant et connaissent les arcanes administratifs leur permettant de franchir le cap de la demande manuscrite individuelle. Au collège de Vitry-le-François (Marne), une série de cas concerne des enfants du personnel de l’établissement et d’enseignants du primaire [88]. Comme pour les militaires, leur problème est d’ordre financier. Si les parents professeurs sous-estiment parfois la formation intellectuelle donnée par les établissements féminins voisins, ils soulignent surtout que leurs traitements ne leur permettent pas d’offrir à leurs enfants les cours supplémentaires pour préparer leur enfant au passage d’un futur baccalauréat. Tels ceux de latin encore peu enseigné dans les collèges municipaux de jeunes filles et cours secondaires féminins. Or, le latin reste l’enjeu de la différenciation entre les sections classiques, les plus prestigieuses, et les sections modernes (sans latin), moins valorisantes. Aussi, tout en s’engageant à assurer des leçons particulières de latin pour que leurs filles rattrapent un niveau qu’elles n’auraient pas encore acquis, les familles demandent leur admission là où ils exercent, dans le collège de garçons à proximité de leur domicile.

60 Ailleurs, ce sont des parents universitaires, vingt-quatre familles entre 1929 et 1934, qui dirigent leur fille vers les prestigieuses classes préparatoires des grands lycées parisiens masculins [89]. Le plus frappant est de rencontrer neuf mères de famille rédactrices parmi ces parents. Deux d’entre elles sont veuves. Madame Hamsler, la mère d’Hélène, était l’épouse d’un ancien élève de l’École normale supérieure, professeur agrégé de mathématiques au lycée Louis-le-Grand avant d’être mutilé de guerre et de mourir en 1928. Quant à la mère de Claire Canque, elle est professeure agrégée au lycée de jeunes filles de Clermont-Ferrand. Sa demande permet de régulariser la situation de sa fille qui suit les cours de première supérieure [90] au lycée Henri-IV depuis septembre 1934. Parmi les autres jeunes filles, plusieurs ne sont pas parisiennes. Par exemple, en 1934, année la mieux représentée avec dix-neuf cas de demandes (et dix-huit acceptations), dont huit au lycée Henri-IV et onze au lycée Louis-le-Grand, ce sont presque la moitié des jeunes filles qui arrivent de province. Or, sur cette promotion, treize d’entre elles ont des parents enseignants ou enseignantes du primaire et du secondaire. Ce petit échantillon montre à nouveau l’importance de la catégorie professionnelle des parents enseignants, mieux informés pour accompagner les stratégies de poursuite d’études de leurs filles.

3. Accueillir les filles dans un espace clos et masculin : la nécessaire adaptation des locaux

61 Il convient alors d’interroger la place de ces filles dans les établissements où elles vivent la coinstruction avec les garçons.

62 Sur le plan pratique, les établissements s’organisent afin d’offrir les conditions nécessaires à une bonne cohabitation des sexes dans un espace clos. Il leur revient de contrôler les relations juvéniles dans le respect des codes de bonne conduite tout en leur donnant les conditions adéquates pour travailler intellectuellement. La position des chefs d’établissements est délicate car ils ne peuvent se référer ni à la sphère familiale privée où le mélange des sexes est « naturel » ni à la sphère publique où les jeunes peuvent se rencontrer dans le cadre de leurs loisirs [91]. Pour répondre aux conventions sociales, à défaut de distinguer les activités intellectuelles, l’ensemble des mesures prises vise à séparer les corps.

63 L’organisation interne de plusieurs établissements est décrite dans le rapport académique toulousain de 1930. Il confirme « que toutes précautions matérielles [sont] prises dans l’organisation du travail et des loisirs pour que nul abus ne soit à redouter » [92]. Une forme de ségrégation interne oblige surtout les filles à se plier aux règles strictes de la séparation pour se protéger du regard des garçons. Cette mise à l’écart est censée éviter l’excitation du désir de leurs camarades masculins du fait même de leur présence.

64 La description du proviseur du lycée de garçons de Foix à propos des aménagements effectués dans son établissement donne l’essentiel des conseils pour garantir de bonnes conditions à la coinstruction :

65

« Pour que la présence des jeunes filles au lycée ne prête à aucune critique, quelques mesures dictées par l’expérience sont nécessaires. Une salle spéciale doit être mise à leur disposition : salle d’attente, salle de vestiaire, salle d’étude, même pendant les interclasses. Elle doit être commodément accessible, devant la cour d’honneur, avec un mobilier choisi : porte-manteaux, chaises, table et tapis, tableau noir, glace, etc. Les jeunes filles entrent au lycée par la grande porte avec les professeurs et non avec les jeunes gens qui traversent toutes les cours. Elles vont directement dans leur salle d’attente où elles déposent coiffures et manteaux pour mettre obligatoirement un tablier avec manches. Elles se placent toujours aux premières tables devant le professeur. (Ailleurs ce sont les jeunes gens que l’on place devant, pour leur éviter des distractions). Elles suivent tous les cours en commun, sauf la gymnastique et le dessin. Pour cette dernière faculté, une classe spéciale leur est réservée à partir de la rentrée d’octobre 1930 » [93].

66 Afin d’éviter les rencontres informelles entre les élèves des deux sexes, les entrées et les sorties sont surveillées, réglementées, séparées :

67

« Les jeunes filles prennent leur récréation le plus généralement dans un local à part, dans les autres cas un peu à l’écart des garçons, même dans ces établissements où la qualité choisie apporte une quasi-assurance de bonne tenue et de moralité » [94].

68 En ce qui concerne les lieux de commodité ou toilettes, peu de sources écrites les évoquent, mais des efforts d’aménagement se sont imposés parfois. Lorsque le principal de Saint-Maixent défend la présence d’élèves filles dans son collège, il en fait un argument de plaidoyer : « nous prendrons, Monsieur le Maire et moi, toutes les dispositions matérielles indispensables. Je vais notamment faire mettre en état les cabinets isolés attenants à une cour de récréation jusqu’à ce jour inutilisée (côté jardin d’entrée) » [95], écrit-il dans une lettre adressée à l’inspecteur d’académie des Deux-Sèvres. Au demeurant, sans lieu d’aisance réservé, les jeunes filles devaient se retenir jusqu’au retour à leur domicile, selon une ancienne élève du collège de Carpentras interrogée lors d’un entretien [96].

69 Au reste, l’externat est la condition sine qua non de leur admission. En conséquence, elles ne peuvent bénéficier de la demi-pension proposée à la clientèle masculine. Pourtant, à la fin des années 1930, les demandes de service de restauration comme celui des études surveillées se font pressantes. Souvent refusées, des tentatives expérimentales, toujours sous conditions, se réalisent parfois. Dans l’académie de Bordeaux, le collège de La Réole est confronté à la difficulté suivante :

70

« nos élèves viennent de communes voisines […] Les familles des communes environnantes sont très gênées pour faire faire des études aux jeunes filles à cause du repas de midi. Si les jeunes filles pouvaient être autorisées à venir à la demi-pension au collège elles viendraient en plus grand nombre et ce serait pour les parents un gros avantage qu’ils m’ont demandé avec insistance de leur faire accorder » [97].

71 Quelques semaines plus tard, le ministère répond favorablement. Toutefois, il précise que « l’autorisation serait aussitôt retirée si quelques inconvénients apparaissaient » et si le recteur estimait « qu’il serait utile que les réfectoires, ou les services soient séparés » [98].

72 En comparaison des décisions sans appel prononcées dix ans plus tôt, à la fin des années 1930, le changement de ton et l’assouplissement du seuil de tolérance des administrateurs sont perceptibles. Signe d’une évolution des mœurs, les adultes semblent de moins en moins réfractaires aux rapprochements des corps. De nouveaux arguments liés aux contraintes de la vie quotidienne appuient les demandes : l’éloignement du domicile, les difficultés de transport, le besoin de regrouper des fratries. Des parents commencent même à réclamer l’intégration de leurs fils dans des classes de sixième et cinquième des établissements de jeunes filles. N’est-ce pas le signal d’un changement culturel ? Si les premiers mouvements de jeunesse du début du siècle, scoutisme (1911) et Jeunesse ouvrière chrétienne (1926), n’appliquent pas le mélange des sexes pour les adolescents et adolescentes, les Auberges de jeunesse proposent aux jeunes adultes l’expérimentation de la mixité dans les loisirs partagés [99] ; les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (CEMEA) expérimentent également la mixité pour la formation des éducateurs et éducatrices à partir de 1937. Dans le même élan, il est permis de penser que de plus en plus de parents des années 1930 préfèrent avant tout les intérêts éducatifs de leurs enfants dans un sens libéral, plutôt que de se conformer à des prescriptions morales.

Conclusion

73 Expérimenter le coenseignement nécessite des accommodements qui s’affranchissent de la règle de la séparation des sexes. Les représentations vues à partir de situations locales et individuelles permettent d’appréhender les pratiques de la coinstruction qui répondent, sous certaines conditions, à des intérêts pragmatiques. En effet, le processus tel qu’il s’est enclenché repose sur des arrangements institutionnels, car l’administration centrale n’a fait que suivre la demande sociale en encadrant la pratique des classes mixtes avec des circulaires ministérielles. Mais aucune politique éducative volontariste n’est proposée pour faciliter le mélange des élèves de sexes différents, appelé abusivement « coéducation ».

74 Les filles sont de plus en plus nombreuses à suivre un enseignement secondaire, mais finalement peu d’entre elles ont vécu l’expérience des « classes mixtes ». De plus, elles ont été marginalisées par le silence qui les entoure. En effet, le manque d’intérêt porté à leur situation dans les rapports annuels de l’entre-deux-guerres participe à l’absence de réflexion théorique sur la coinstruction. Pourtant, la promulgation de l’encyclique papale du 31 décembre 1929, Divini illius magistri, sur l’éducation chrétienne de la jeunesse, condamne fermement la « coéducation » ; tout particulièrement à l’école et « principalement durant l’adolescence, la période la plus délicate et la plus décisive de la formation » [100]. Or, contrairement à ce que préconise l’encyclique, les descriptions et les avis portés sur ce « nouveau procédé pédagogique » dans les rapports des professionnels qui observent la pratique du coenseignement sur le terrain ne le remettent pas en cause de façon radicale. Plus étonnant les débats soulevés par le vote de la loi de 1933 sur la gémination dans l’enseignement primaire n’ont pas suscité de réactions en ce qui concerne le secondaire. Est-ce de l’embarras ou de l’indifférence à l’égard de cette pratique ? Sans doute un peu des deux avec « l’effacement du schéma sexuel de représentation de l’enfant, ou du moins de représentation de la sociabilité et des mœurs » [101] des jeunes adolescents et adolescentes. En fin de compte, les expériences de coinstruction de l’entre-deux-guerres, même si elles sont considérées par les autorités universitaires comme provisoires, en attendant que les jeunes filles puissent recevoir l’enseignement qu’elles attendent dans les lycées et collèges de jeunes filles, sont les germes de ce que la mixité est devenue dans la seconde moitié du XXe siècle : une pratique vécue banalisée et peu discutée. Après la Seconde Guerre mondiale, les conditions ne sont pas favorables sur le plan structurel pour engager un changement de politique, d’autant que le principe de la séparation des sexes n’est pas remis officiellement en cause. Même si dans les années 1950, l’administration centrale régule l’intendance des internats mixtes avec deux circulaires (1952 [102] et 1957 [103]), les cadres administratifs sont mal adaptés et les réticences demeurent nombreuses [104]. La mixité n’est pas interdite, elle n’est pas promue non plus. Des mesures progressives, non systématiques, sont alors prises en fonction des circonstances. Il faut donc attendre décembre 1976 et les décrets d’application de la loi Haby du 11 juillet 1975 pour que soit imposé le mélange des filles et des garçons, à tous les niveaux de la scolarité, que l’on nomme désormais « mixité », même si le terme n’apparaît dans aucun des décrets [105].

Notes

  • [1]
    G. F. Burness, La coéducation dans les écoles secondaires, Lille, C. Robbe, 1912, p. 18.
  • [2]
    Article dédié à Nicole Mosconi, décédée le 7 février 2021.
  • [3]
    Françoise Mayeur, L’enseignement secondaire des jeunes filles sous la Troisième République, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1977.
  • [4]
    Rebecca Rogers, Les Bourgeoises au pensionnat : l’éducation féminine au XIXe siècle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007.
  • [5]
    Geneviève Pezeu, Des filles chez les garçons, l’apprentissage de la mixité, Paris, Vendémiaire, 2020 ; id., Coéducation, coenseignement, mixité. Filles et garçons dans l’enseignement secondaire en France (1916-1976), thèse de doctorat, sciences de l’éducation, université Paris-Descartes, 2018.
  • [6]
    Nicole Mosconi, La mixité dans l’enseignement secondaire : un faux semblant ?, Paris, Presses universitaires de France, 1989.
  • [7]
    Geneviève Fraisse, La différence des sexes, Paris, Presses universitaires de France, 1996 ; Id., Les deux gouvernements, la famille et la Cité, Paris, Gallimard, Folio/Essais, 2000.
  • [8]
    Françoise Thébaud, Michelle Zancarini-Fournel (dir.), « Coéducation et mixité », Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, no 18, 2003.
  • [9]
    Rebecca Rogers, « État des lieux de la mixité. Historiographies comparées en Europe », Clio. Histoire, Femmes et Sociétés, no 18, 2003, p. 177-202.
  • [10]
    Rebecca Rogers (dir), La mixité dans l’éducation. Enjeux passés et présents, Lyon, ENS Éditions, 2004.
  • [11]
    Michelle Zancarini-Fournel, « Coéducation, gémination, coinstruction, mixité : débats dans l’Éducation nationale (1882-1976) », in Rebecca Rogers (dir.), La mixité dans l’éducation…, op. cit., p. 25-32.
  • [12]
    Yves Verneuil, « Les débats sur la mixité des élèves dans l’enseignement privé catholique à la fin des années 1960 », Histoire de l’éducation, no 137, 2013, p. 57-91 ; Id., « Coéducation et mixité : la polémique sur la gémination des écoles publiques dans le premier tiers du XXe siècle », Le Mouvement social, no 248, 2014, p. 47-69 ; James Albisetti, « Catholics and Coeducation: Rhetoric and Reality in Europe before Divini Ilius Magistra », Pedagogica Historica, n35, 1999, p. 667-696. Voir aussi Yves Verneuil, « Les pratiques professionnelles sont-elles sexuées ? Les professeurs de l’enseignement secondaire, la coéducation et l’interchangeabilité des personnels entre les deux guerres », in Yves Verneuil (coord.), Enseignement secondaire féminin et identité féminine enseignante, Reims, CRDP de Champagne-Ardenne, 2009, p. 117-131.
  • [13]
    Yves Verneuil, « Coéducation et mixité : la polémique sur la gémination des écoles publiques dans le premier tiers du XXe siècle », art. cit.
  • [14]
    Geneviève Pezeu, Des filles chez les garçons : l’apprentissage de la mixité, Paris, Vendémiaire, 2020, p. 41.
  • [15]
    Antoine Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France depuis 1930. L’école et la famille dans une société en mutation, Paris, Perrin, 2004, p. 509.
  • [16]
    AN F/17/13928 à 13933, « Conseils académiques : rapports sur la situation de l’enseignement secondaire public et privé. 1922-1951 » ; AN, F/17/14165, « Admission des jeunes filles dans les établissements de garçons. Demandes des conseils municipaux, 1917-1939 ».
  • [17]
    Geneviève Pezeu, « Coéducation, coenseignement, mixité… », op. cit., p. 85-141.
  • [18]
    Antoine Prost, « Inférieur ou novateur ? L’enseignement secondaire des jeunes filles (1880-1887) », Histoire de l’éducation, n115-116, 2007, p. 149-169.
  • [19]
    Françoise Mayeur, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France. De la Révolution à l’École républicaine, Paris, Perrin, 2004, p. 155.
  • [20]
    Antoine Prost, « Inférieur ou novateur ? … », art. cit., p. 157.
  • [21]
    Annuaire statistique de 1928, Tableau VII « Élèves des lycées et collèges de garçons et jeunes filles et des cours secondaires de jeunes filles au 5 novembre de chaque année » de 1881 à 1928, p. 27*. En 1915 on compte 127 lycées et collèges de jeunes filles et 47 cours secondaires. En 1939 ce sont 79 lycées, 91 collèges et 25 cours secondaires qui sont comptabilisés par Jean-Michel Chapoulie, L’École d’État conquiert la France. Deux siècles de politique scolaire, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010, p. 163.
  • [22]
    Géraldine Valès-Le Guennec, L’enseignement secondaire des jeunes filles à Paris…, op. cit.
  • [23]
    « Le Baccalauréat : évolution des admis de 1900 à 1950. Résultats détaillés pour les années 1948, 1949 et 1950 », Publication de la DEPP/Archives, ARCH 003 [GF6129-1.PDF].
  • [24]
    Karen Offen, « The Second Sex and the Baccalauréat in Republican France, 1880-1924 », French Historical Studies, no 3, 1983, p. 252-288.
  • [25]
    Lydie Heurdier, Antoine Prost, Les politiques de l’éducation en France, Paris, Documentation française, 2014. Texte no 115 « L’enseignement secondaire de jeunes filles (décret Léon Bérard du 25 mars 1924) », p. 103-105. Rapport rédigé à l’intention du Président du Conseil.
  • [26]
    Ibid.
  • [27]
    AN, F/17/13928, dossier « Conseil académique, rapport de 1922 sur l’année scolaire 1921–1922. Ens. Secondaire », p. 11. Cette circulaire n’apparait pas dans le Bulletin administratif de la même année. Son existence est confirmée dans le rapport du recteur de Besançon, p. 26.
  • [28]
    « L’École supérieure d’électricité, l’École centrale, l’École de physique et de chimie industrielle de la ville de Paris et l’Institut national d’agronomie (Paris) », in Catherine Marry, Les femmes ingénieures, une révolution respectueuse, Paris, Belin, 2004, p. 94-95.
  • [29]
    AN, F/17/13928, dossier « Conseil académique, rapport de 1922 sur l’année scolaire 1921–1922. Ens. Secondaire ».
  • [30]
    Ibid.
  • [31]
    AN, F/17/14165, dossier « Coéducation–1917-1930 », « extension des décisions du 10 août 1926 ».
  • [32]
    Ibid.
  • [33]
    Ibid.
  • [34]
    AN, F/17/14165, dossier : « Coéducation, enquête de 1932 ».
  • [35]
    AN, F/17/14165, dossier : « Coéducation–1917-1930 », académie de Toulouse, le rapport de 1926 de l’inspecteur de l’Ariège annonce un effectif de 66 lycéens dans le second cycle et de 153 dans le premier cycle soit un total de 209 élèves.
  • [36]
    Ibid., Lettre du recteur de Besançon du 16 février 1933 en réponse au questionnaire de l’enquête. Lettre dactylographiée, casse et typographie respectées.
  • [37]
    En ce qui concerne les collèges municipaux, le recensement des établissements ayant engagé une procédure de demande de dérogation entre 1926 et 1930 permet de comptabiliser 139 collèges sur les 307 répertoriés, soit 46,7 %. Voir Geneviève Pezeu, Coéducation, coenseignement, mixité…, op. cit.
  • [38]
    AN, F/17/14165, « enquête de 1932 ». Académie de Clermont.
  • [39]
    AN, F/17/14165, « enquête de 1932 ». Académie de Grenoble.
  • [40]
    AN, F/17/14165, « enquête de 1932 ». Académie de Dijon.
  • [41]
    AN, F/17/14165, « Admissions des jeunes filles dans les établissements de garçons. Demandes des conseils municipaux, 1917-1939 ».
  • [42]
    Françoise Mayeur, L’enseignement secondaire des jeunes filles..., op. cit., p. 160.
  • [43]
    Le nouveau plan d’études publié en 1925 (ministère Herriot) s’applique à tous les élèves, filles et garçons, à partir de la rentrée scolaire 1927-1928 dans les classes de seconde de tous les établissements. Donc en juin 1931 les élèves des deux sexes passent le baccalauréat « nouveau régime » de la refonte des programmes.
  • [44]
    À propos de la ligne Saint-Malo/Genève voir l’article de Roger Chartier, in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire : [la République, la Nation, les France], Paris, Gallimard, 2004, p. 2817-2850. Voir aussi l’article d’Emmanuel Le Roy Ladurie, « Nord-Sud », ibid., p. 2846 et celui de Jean-Pierre Briand, « Le renversement des inégalités régionales de scolarisation et l'enseignement primaire supérieur en France (fin XIXe-milieu XXe siècle) », Histoire de l'éducation, no 66, 1995, p. 159-200.
  • [45]
    Maurice Allain, « Carte Densité de la population France 1925 », in Atlas universel, Quillet, Le monde français, 1925. Voir le site Carto Mondo, en ligne : <http://www.carto-mondo.fr/carte/carte-densite-de-la-population-france-1925>.
  • [46]
    Étienne Clémentel, Larousse commercial, Paris, Larousse, 1930.
  • [47]
    Les rapports académiques de l’académie de Besançon évoquent le système de la « coéducation » avec régularité. Une exception au regard des autres académies.
  • [48]
    Sara Teinturier, « Coéducation, gémination, mixité. Un débat catholique dans l’entre-deux-guerres », in Florence Rochefort, Maria Eleonora Sanna (dir.), Normes religieuses et genre. Mutation, résistances et reconfiguration, XIXe-XXIe siècle, Paris, Armand Colin, 2013, p. 87-96.
  • [49]
    AN, F/17/14165, « Coéducation–1917-1930 », dossier de l’académie de Rennes, ville de Pontivy.
  • [50]
    AN, F/17/14165, « Coéducation–1917-1930 », dossier de l’académie de Rennes, ville de Lannion. Lettre du recteur au ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts du 21 octobre 1926.
  • [51]
    Abel Châtelain, « Une enquête contemporaine : pour une géographie sociologique de l'éducation et de la laïcité », Annales. Économies, sociétés, civilisations, no 3, 1952, p. 332-336. Son enquête concerne l’après Seconde Guerre mondiale.
  • [52]
    AN, F/17/17928 à F/17/17932 : vingt-neuf années scolaires de 1921 à 1950 conservés dans la série F/17 des Archives nationales. Toutes les académies ont à un moment ou un autre laissé une trace. Les rapports académiques concernant l’enseignement secondaire sont rarement conservés aux archives départementales en ce qui concerne la première moitié du XXe siècle.
  • [53]
    Le titre est souligné dans la source : AN, F/17/13930, académie de Toulouse, rapport de l’année 1929-1930. Rapport spécial de 15 p. sur l’enseignement féminin. Section 2 : « Accès des jeunes filles dans les établissements de garçons : avantages et inconvénients », p. 6-11.
  • [54]
    AN, F/17/13929, rapport de l’année 1927-1928, académie de Besançon, paragraphe « coéducation », p. 7. Les citations suivantes sont issues de ces mêmes sources : AN, F/17/13930 (1930-1931) ; AN, F/17/13932 (1937-1938).
  • [55]
    Ibid.
  • [56]
    Ibid.
  • [57]
    AN, F/17/13930, académie de Toulouse, rapport de l’année 1929-1930…, op. cit.
  • [58]
    Ibid.
  • [59]
    Ibid.
  • [60]
    Ibid.
  • [61]
    Ibid.
  • [62]
    Ibid.
  • [63]
    Ibid.
  • [64]
    Ibid.
  • [65]
    Karen Offen, « The Second Sex and the Baccalauréat in Republican France, 1880-1924 », art. cit., p. 252-288 ; Jean-François Condette, Jean-Noël Luc, Yves Verneuil, Histoire de l’enseignement en France, XIXe-XXIe siècles, Paris, Armand Colin, 2020, p. 154-155.
  • [66]
    AN, F/17/13930, académie de Toulouse, rapport de l’année 1929-1930…, op .cit.
  • [67]
    Ibid.
  • [68]
    Ibid.
  • [69]
    Ibid.
  • [70]
    Ibid.
  • [71]
    AN, F/17/13930, académie de Besançon, rapport de l’année 1930-1931.
  • [72]
    Ibid.
  • [73]
    Jules de La Vaissière, La Coéducation des sexes et la Science positive, Paris, Beauchesne, 1928. Albert Ehm, Éducation et culture, problèmes actuels, Paris, Presses universitaires de France, 1942, p. 219. Ces auteurs ont recours aux études et rapports des opposants américains (rapport du juge Lindsey de Denver, The Revolt of Modern Youth, 1925) pour conforter leurs arguments à propos de ce qu’ils craignent de la coéducation. John Dewey et Granville Stanley Hall, figures de la pédagogie américaine, servent de références à la réflexion des auteurs.
  • [74]
    Cette formulation s’inspire des travaux initiés par la sociologue et psychanalyste québécoise qui émet l'hypothèse du « garçon manquant » dans sa thèse sur les femmes scientifiques au Québec. Voir Isabelle Lasvergnas, Le corps étranger ou la place des femmes dans l'institution scientifique, thèse de doctorat, sociologie, université de Montréal, 1986.
  • [75]
    AN, F/17/14165, lettre manuscrite adressée au ministre de l’Instruction publique.
  • [76]
    AD Vaucluse, 1338/W/52 à 75 ; 1 T/634, Procès-verbaux d’assemblées générales d’établissement, 1924-1929 ; 139 W 1, Lycée national de Carpentras, liste nominative des effectifs d’élèves, 1941-1950 ; André Ughetto, Le « vieux bahut » dans la tourmente, chronique des années 40, mémoire non édité. Le 23 mai 1943, au stade Jean-Bouin de Marseille, le collège récolte sept titres de champion académique dont deux par des filles : « Barrucand Jacqueline, lancé de poids (9 m. 95) » et « Hénard Nicole, 100 m. brasse ». À Carpentras, il y a une grande piscine municipale avec un bassin de 20 mètres et des cours de natation.
  • [77]
    AN, F/17/14165 académie de Besançon, extrait de la délibération municipale de Saint-Claude du 10 janvier 1930.
  • [78]
    Karen Offen, « The Second Sex and the Baccalauréat in Republican France, 1880-1924 », art. cit., p. 285.
  • [79]
    AN, F/17/14165, dossier de l’Académie de Poitiers. Échanges de correspondances diverses entre le 1er septembre 1925 et le 14 octobre 1926. Toutes les citations suivantes sont tirées de la même source.
  • [80]
    Ibid.
  • [81]
    Ibid.
  • [82]
    Population de Saint-Maixent en 1926 : 5 518 habitants. Source: Ldh/EHESS/Cassini.
  • [83]
    Karen Offen, « The Second Sex… », op. cit., p. 265. Par ailleurs, grâce à l'étude sociologique du public féminin de l’enseignement secondaire d’avant la Première Guerre mondiale proposé par Françoise Mayeur, force est de constater qu’après le conflit ce sont les familles issues de la petite bourgeoisie sans dot qui envoient leurs filles dans les établissements de garçons lorsqu’elles n’ont pas d’autres solutions. En revanche, les filles de la bourgeoisie aisée et catholique sont envoyées de préférence dans des pensionnats privés, dans la continuité de l’éducation de leur propre mère. Le pensionnat féminin associé à la vie conventuelle est perçu comme le lieu de la bonne éducation surveillée.
  • [84]
    Catégorisation reprise à Jean-Pierre Terrail, « Destins scolaires de sexe, une perspective historique et quelques arguments », Population, n3, 1992, p. 645-676, notamment p. 649.
  • [85]
    AN, F/17/14165, « Coéducation 1917-1930 », académie de Dijon.
  • [86]
    Lorsque la profession des mères est renseignée, rien n’est dit sur la situation (mort ou vivant) et la profession du père.
  • [87]
    Les familles de notaires et d’avocats selon leurs inclinations politiques et/ou religieuses rentrent dans la catégorie des familles qui préfèrent envoyer leurs enfants dans des institutions privées. Toutefois, à Carpentras la situation n’est pas représentative car les trois enfants garçons et deux des quatre filles (en première et terminale) du notaire de la ville ont été scolarisés au collège Henri Fabre dont les bâtiments sont mitoyens de l’étude et domicile de la famille.
  • [88]
    AN, AJ/16/8679, « Admissions de filles dans les classes supérieures des lycées de garçons : instructions demandes 1925-1946 ». Académie de Paris ; collège de garçons de Vitry-le-François.
  • [89]
    AN, AJ/16/8679, « Admissions de filles dans les classes supérieures des lycées de garçons : instructions demandes 1925-1946 ».
  • [90]
    Le terme désigne plus précisément la deuxième année qui était autrefois la seule (officiellement « première supérieure »). La première année (officiellement « lettres supérieures ») s'est intercalée entre la classe de Philosophie du baccalauréat et la première supérieure.
  • [91]
    Anne-Marie Sohn, « Les "relations filles-garçons" : du chaperonnage à la mixité (1870-1970) », Travail, genre et sociétés, n9, 2003, p. 91-109.
  • [92]
    AN, F/17/13930, (1929-1930) académie de Toulouse.
  • [93]
    Ibid.
  • [94]
    AN, F/17/13930.
  • [95]
    AN, F/17/14165, « Admission des jeunes filles dans les établissements de garçons. Demandes des conseils municipaux, 1917-1939 », lettre du principal du collège du 6 octobre 1926.
  • [96]
    Entretien individuel le 28 avril 2013 à Caromb (84) avec Marie-Noël Falque (fille de notaire à Carpentras) épouse R, élève au collège de Carpentras en 1945.
  • [97]
    AN, F/17/14165, op. cit., académie de Bordeaux, commune de La Réole, lettre du Principal, 13 novembre 1937.
  • [98]
    Ibid.
  • [99]
    À l’exception des « faucons rouge », mouvement d’obédience socialiste né en Allemagne dans les années 1920 sous l’impulsion de Kurt Lowenstein (premier camp en 1927), la mixité ne s’applique pas dans les mouvements de jeunesse (Scoutisme : 1911 ; JOC : 1926) avant la Seconde Guerre mondiale. Voir : Benigno Cacéres, Histoire de l’éducation populaire, Paris, Le Seuil, 1964, p. 130 ; Laura Lee Downs, Histoire des colonies de vacances, Paris, Perrin, 2009 ; Carole Christen, Laurent Besse (dir.), Histoire de l’éducation populaire, 1815-1945 : perspectives françaises et internationales, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017 ; Antoine Prost, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation…, op. cit., p. 548-569.
  • [100]
    Divini illius magistri, 31 décembre 1929. Lettre encyclique du pape Pie XI, sur l'éducation chrétienne de la jeunesse, p. 18.
  • [101]
    François Jacquet-Francillon, « Le problème de la mixité scolaire au XIXe siècle », in Claudine Baudoux, Claude Zaidman (dir), Égalité entre les sexes : mixité et démocratie, Paris, L’Harmattan, 1992, p. 28.
  • [102]
    Bulletin officiel de l’Éducation nationale [désormais : BOEN], no 1, 1er janvier 1953, circulaire du 22 décembre 1952, « Coordination des lycées et collèges d’une même ville : aménagement des activités scolaires et éducatives des jeunes filles suivant des cours dans les lycées et collèges de garçons ».
  • [103]
    BOEN, no 28, 11 juillet 1957, circulaire du 3 juillet 1957 (lycées et collèges), « Le fonctionnement des établissements mixtes ».
  • [104]
    Marie-Thérèse Frank, Pierre Mignaval (éd.), Jean Ferrez. Au service de la démocratisation. Souvenirs du ministère de l’Éducation nationale, 1943-1983, Saint-Fons, INRP, 2004, p. 45.
  • [105]
    Les décrets du BOE, numéro spécial (6 janvier 1977), promulgués pour chaque degré de la maternelle au secondaire : décret no 76 1301, 28 décembre 1976, « l’organisation de la formation dans les écoles maternelles et élémentaires » ; décret no 76 1303, 28 décembre 1976, « l’organisation de la formation et de l’orientation dans les collèges » ; décret no 76 1304, 28 décembre 1976, « Organisation des formations dans les lycées » (le terme « orientation » du titre du décret précédent n’a pas été conservé).
Français

Le mélange des sexes pour apprendre ensemble s’est appliqué lentement au cours du XXe siècle alors que la norme de la séparation est la règle. Il participe cependant à la démocratisation de l’éducation. Dans l’enseignement secondaire public en France la mixité commence avec la présence de filles dans les établissements de garçons au tout début des années 1920. En variant les échelles d’analyse l’article s’intéresse aux prémices des expériences de coenseignement dans l’entre-deux-guerres. Il s’attache à repérer les contingences qui ont poussé l’administration centrale à autoriser la mise en pratique des classes mixtes. Notamment, l’enjeu du baccalauréat qui commande les adaptations réglementaires. Des représentations cartographiques, situant les établissements coéducatifs dans l’espace national depuis les années trente, permettent alors de montrer que le processus de la mixité est bien engagé sur tout le territoire.

  • enseignement secondaire
  • éducation
  • XXe siècle
  • enseignement mixte
Geneviève Pezeu
Paris Université, laboratoire CERLIS
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Mis en ligne sur Cairn.info le 11/07/2022
https://doi.org/10.4000/histoire-education.7499
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