CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La crise qui a débuté au deuxième jour des manifestations contre la vie chère, le 27 septembre 2011, dans le centre de Mamoudzou à Mayotte a conservé pendant deux semaines un aspect social. Mais au fur et à mesure des actes de violence des casseurs sur les axes entre Majikavo-Koropa et le port de Longoni et des interpellations par les forces de l’ordre de syndicalistes comoriens anjouanais menaçant de brûler les magasins qui refusaient de fermer boutique, les causes géopolitiques de ce conflit sont apparues.

Une crise aux multiples facteurs géopolitiques

2 Les communes de Mamoudzou – et notamment l’axe principal menant du rond-point Nel à la place du Commandant Passot en passant par le rond-point SFR devenu emblématique du mouvement social mahorais depuis que ses acteurs avaient reçu l’autorisation par la police nationale d’y stationner comme les métropolitains avaient été autorisés à le faire lors des manifestations deux ans auparavant – et de Kaweni, Majikavo-Lamir, les villages de Dubaï, Koungou, Trevani et Dzoumognié au nord, et les villes de M’Tsapéré, Tsoundzou et Passamainty au sud ont été les théâtres de manifestations quotidiennes, parfois d’une rare violence, telles que l’incendie d’un bateau sur la voie publique sur la route du centre commercial Jumbo Score et le jet de cocktails Molotov dans des véhicules de gendarmerie en mouvement à Kaweni.

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Manifestations violentes et actes de destruction sur la voie publique(Octobre 2011)

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Manifestations violentes et actes de destruction sur la voie publique(Octobre 2011)

3 Les heurts violents, les caillassages, le racket tenté sur les automobilistes rapidement circonscrit par les forces de l’ordre, les incendies de véhicules et plus généralement la fixation des gendarmes des escadrons de gendarmerie mobile sur les axes routiers au moyen d’embuscades n’avaient lieu qu’à proximité des zones habitées par des migrants clandestins, la plupart du temps anjouanais. Cette utilisation quasi hypocrite des immigrés clandestins, décriés mais tolérés et utilisés par ces mêmes Mahorais qui les considèrent comme de véritables esclaves, est une donnée majeure de cette crise. En s’agitant, les Anjouanais servent indirectement les intérêts des Mahorais.

4 Le cœur des revendications sociales était axé sur la baisse du prix des produits de première nécessité : les mabawas ou ailes de poulet, le riz, le bœuf, le sable pour la construction de nouveaux bâtiments. De nombreux efforts ont été concédés lors des négociations avec le préfet de Mayotte tant par les manifestants mahorais que par les gérants de la grande distribution sur l’île mais les rivalités entre les représentants des différents syndicats ont rendu difficile la signature d’un accord. Les médias locaux, outre le fait de mettre en avant la corruption soupçonnée de certains membres du conseil général, se sont fait l’écho des factures impayées depuis 2007 par cette même administration. Les M’zungu, Européens souvent propriétaires des centrales d’achat, ont multiplié souvent par trois les prix des produits de première nécessité dans leurs magasins pour épancher les dettes colossales de cette administration locale. Le président du conseil général, pour éviter d’être mis directement en accusation par les manifestants, s’est même rendu au rond-point SFR à Mamoudzou en s’attaquant verbalement aux responsables des magasins de la grande distribution.

5 À Majikavo-Koropa, à hauteur du village clandestin anjouanais de Dubaï, les nombreux barrages, sans cesse reconstruits après le passage des forces de l’ordre, permettaient de les fixer à cet endroit ainsi que sur la RN1 (route nationale). La technique consistait à disposer des carcasses de véhicules, des pierres, des débris en tous genres et des arbres au milieu des axes routiers pour stopper les convois de gendarmerie et les caillasser. Bloquer et retenir les forces de l’ordre laissait le champ libre ailleurs aux filières d’immigration clandestine. Les kwasakwasa – les embarcations de circonstance transportant les migrants d’Anjouan jusqu’aux plages mahoraises sur des distances de quarante à soixante-dix kilomètres – poursuivaient ainsi leurs activités sans entrave.

6 Au fil des semaines, les peurs et la colère des M’zungu répondaient aux « chasses aux Blancs » parfois entretenues par des responsables locaux anjouanais installés à Mamoudzou, et que les imams mahorais ont un temps cherché à contenir. Cette recherche d’une paralysie totale de la Grande Terre et le niveau de violence physique et parfois sexuelle (nombreux viols) atteint n’ont pas été rapportés dans les médias nationaux.

7 Cette crise, qui n’est pas encore vraiment réglée, résulte de l’enchevêtrement de rivalités locales, archipélagiques, régionales et internationales qui se développent dans les domaines politique, économique, religieux et géostratégique, et qui, exacerbées, pourraient donner lieu à un conflit d’une grande intensité.

8 Pour comprendre les tenants de cette crise sociale et expliquer en quoi celle-ci est géopolitique, il faut pouvoir analyser le contexte de la situation politique tant de Mayotte que des trois autres îles de l’archipel comorien. En effet, la situation géopolitique de Mayotte est bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Des rivalités de pouvoir d’une rare complexité

9 À l’échelle internationale. Sur la scène internationale, la position des autorités comoriennes qui réclament la souveraineté sur Mayotte est tout à fait légitime au regard du droit international. En effet, l’Organisation des Nations unies a reconnu l’intangibilité des frontières issues de la colonisation comme principe fondateur. Mais c’est surtout par la résolution n° 3385 datée du 12 novembre 1975, par laquelle les Comores ont été admises au sein de l’organisation, qui précise la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel composé des quatre îles – la Grande Comore, Anjouan, Mayotte et Mohéli. C’est à cette résolution que les responsables politiques comoriens se réfèrent pour considérer l’action de la France à Mayotte comme une ingérence illégale dans leurs affaires internes.

10 Néanmoins, les autorités comoriennes et françaises ont mis en place un groupe de réflexion binational, le GTHN (Groupe de travail de très haut niveau), afin de définir les modalités d’un rapprochement entre Mayotte et le reste de l’archipel. En effet, cette instance franco-comorienne, mise en place en 2007, a pour objectif de rédiger un accord sur l’insertion de Mayotte dans son environnement géographique, notamment en matière de circulation des biens et des personnes (d’après le site du ministère français des Affaires étrangères).

11 Les dirigeants comoriens, tout en revendiquant sur la scène internationale l’appartenance de Mayotte au territoire national, conservent des relations privilégiées avec l’État français car celui-ci fait partie des dix premiers partenaires économiques des Comores en volume d’investissement. Pour l’année 2010, le ministère français des Affaires étrangères estime à vingt-cinq millions d’euros le montant des exportations françaises vers l’Union des Comores et à cinq millions d’euros les importations. Mais de nouveaux partenariats, tout d’abord économiques mais aussi maintenant politiques, se développent entre l’Union des Comores et un certain nombre de pays de la Ligue arabe – comme le Qatar ou les Émirats arabes unis, ce qui a eu pour conséquence de modifier les rapports de forces avec la France.À l’échelle archipélagique. Les rivalités de pouvoirs intrinsèques à l’archipel sont liées à leur positionnement géographique les uns par rapport aux autres et à leur dimension.

12 L’Union des Comores est composée de trois îles : la Grande Comore, Mohéli et Anjouan. Chacune d’elles dispose d’une réelle autonomie mais le pouvoir exécutif de l’archipel se trouve à Moroni (Grande Comore) et, depuis l’indépendance, l’hégémonie politique de la Grande Comore s’est renforcée sur les deux autres îles.

13 La Constitution de l’État comorien a été modifiée par référendum en 2001. Néanmoins, Mayotte (bien qu’inscrite dans la Constitution française) fait partie de cette Constitution [3], ce qui atteste la prédominance de la question de l’intégrité territoriale pour les autorités comoriennes. De même, il existe au sein de l’Union des groupes de réflexion – comme le comité maore ou le GRITAC (Groupe de réflexion pour l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores) – qui exercent un lobbying auprès du gouvernement de Moroni afin que cette question du retour de Mayotte au sein de l’Union continue d’être une priorité étatique.

14 Le double discours du gouvernement comorien, qui d’un côté continue de conserver des relations privilégiées avec l’État français mais de l’autre remet en cause la présence française à Mayotte, apparaît plus relever de la volonté politique des acteurs de la Grande Comore que de ceux des autres îles de l’archipel.

15 C’est avec l’île d’Anjouan que Mayotte a le plus de relations car c’est la plus proche géographiquement (soixante-dix kilomètres de distance). L’immigration clandestine des Anjouanais est d’ailleurs devenue une question centrale des relations diplomatiques entre l’archipel comorien et la France. Cette question est également devenue primordiale pour la société mahoraise entraînant des nouvelles rivalités de pouvoir entre les représentants politiques locaux et les associations venant en aide aux migrants.

16 Ces liens spécifiques entre les deux îles ont révélé un nouvel avantage pour Mayotte lors des manifestations contre la vie chère. Effectivement, l’île ne pouvant se ravitailler normalement (le port de Longoni étant bloqué, les activités portuaires de l’île étaient interrompues), un ravitaillement informel entre Anjouan et Mayotte s’est mis en place de manière spontanée. En temps normal, les populations anjouanaises installées à Mayotte envoient des denrées alimentaires aux familles restées à Anjouan. Dans ce contexte de blocage économique de Mayotte, la solidarité familiale a joué dans le sens inverse et les kwasas arrivant sur l’île étaient remplis des denrées de première nécessité [4]. Même s’il n’a pas été possible de quantifier les denrées importées d’Anjouan, celles-ci ont permis de maintenir un ravitaillement devenu impossible par les circuits officiels [Trannois, 2011].

17 À l’échelle de Mayotte. Le rejet de la population anjouanaise par les Mahorais et plus spécifiquement la peur de l’envahissement de leur île par l’« immigration clandestine » anjouanaise sont largement partagés par l’ensemble de la population mahoraise.

18 Compte tenu de leur poids dans la population – 80% de la population a moins de 25 ans – le rôle des jeunes dans cette crise sociale a été très important. Il y a les jeunes qui ont entre 20 et 30 ans revenus de métropole – appelés les « je viens de... » – qui s’identifient aux « cités » françaises et qui dénoncent le « désengagement de l’État », diffusant cette idée, nouvelle dans la société mahoraise, avec l’aide de groupes anarchistes ou d’extrême gauche métropolitains. Cela accentue les clivages entre M’zungu (les Blancs métropolitains) et Mahorais, les premiers étant assimilés à des profiteurs venus s’enrichir sur leur dos, ce dont l’État français est tenu pour responsable.

19 Bien que la majorité de la population de l’île ait soutenu ces « manifestations contre la vie chère », elles ont fait apparaître au premier plan le conflit intergénérationnel. En effet, ce sont ces jeunes mais également « les mineurs isolés » – on en dénombre officiellement entre 8000 et 10000, principalement des enfants d’Anjouanais refoulés – qui étaient sur les barrages et s’opposaient aux forces de l’ordre et non pas la génération adulte qui avait milité pour le maintien de Mayotte dans la République française.

20 Enfin, le nouveau référent en matière de développement social est devenu pour les Mahorais la Réunion. Cela participe à la confusion des représentations locales dans la mesure où l’histoire des deux îles est différente, ainsi que leur rapport à la métropole. Pendant les manifestations, des délégations syndicales ont été envoyées à la Réunion afin d’appréhender les besoins des Mahorais en les calquant sur ceux des Réunionnais.

Les conséquences sur la géopolitique interne de la Réunion ou la « poudrière réunionnaise »

21 Géographiquement positionnée de l’autre côté de la gigantesque île de Madagascar, l’île de la Réunion semble de plus en plus ressentir sur son territoire les soubresauts de la géopolitique mahoraise.

22 Depuis la décennie 1970, nombreux sont les habitants de Mayotte et des Comores à venir s’installer à la Réunion. Ils seraient approximativement 30000 sur toute l’île. Alors que les Mahorais sont français et peuvent à ce titre voyager avec un passeport français, les Comoriens ne possèdent pas la nationalité française et doivent donc transiter de manière légale par Mayotte afin d’obtenir le précieux sésame par mariage ou parce qu’un enfant est né sur le sol français, ou encore, illégalement, en obtenant des faux papiers, souvent par le biais de l’île malgache de Nosy Bé.

23 Au fil des années, et plus particulièrement depuis une décennie, les ressortissants mahorais et comoriens, nommés indistinctement les « Mahorais » par les Réunionnais qui la plupart du temps ne font pas la différence, sont au centre de rivalités croissantes avec les autres communautés réunionnaises.

24 Mahorais et Comoriens se sont rassemblés dans les communes de Saint-Denis, du Port, de Saint-André et de Saint-Louis. Les Réunionnais ont rapidement vu leur présence comme la cause de la forte hausse de la délinquance locale [5].

25 Les rivalités entre les communautés réunionnaises et les Mahorais se sont amplifiées sur fond de chômage endémique, de trafic de drogues en pleine croissance (zamal, médicaments de substitution Artane et Rivotril par l’intermédiaire de Madagascar) et d’analphabétisme des Mahorais, qui empêche leur intégration sociale et donc économique. À la Réunion, le Comorien ou le Mahorais est désormais perçu comme le bouc émissaire idéal pour ceux qui voient en lui une menace en termes de délinquance de voie publique (cambriolages multiples et, en hausse constante, agressions sexuelles), non sans fondement factuel, mais également pour les responsables politiques en manque de propositions politiques.

26 Cette représentation d’eux-mêmes est d’autant plus insupportable aux Mahorais qu’ils ont vécu en avril 2011 la départementalisation de Mayotte comme une vraie reconnaissance de leur appartenance à la France. Mayotte sortait ainsi de l’influence comorienne, et Mamoudzou est considérée désormais comme l’égal de Saint-Denis de la Réunion. Alors que la référence pendant de nombreux siècles était Anjouan, depuis 2011 les références sont Saint-Denis de la Réunion et Paris. Mais les Réunionnais se considèrent différents, voire supérieurs socialement, aux Mahorais. Une certaine forme de xénophobie fait d’ailleurs son apparition sur l’île. « Komor Dehor [6] » est tagué sur des murs du Tampon, de Saint-Denis et Saint-Louis. De plus, les Réunionnais voient les Comoriens-Mahorais comme de véritables « assistés » intéressés uniquement par les prestations sociales que la France est en mesure de leur fournir plutôt que par le travail. Les rixes et passages à tabac croissants entre communautés dans la commune du Port depuis 2009 en sont une parfaite illustration.

27 Une stigmatisation réelle fait peu à peu place à une forme de racisme anti-mahorais ou perçu comme tel par les Mahorais et Comoriens.

28 Loin d’être devenu un ghetto, le quartier du Chaudron, quoique rénové à plusieurs reprises et bénéficiant de subventions importantes de la part de la commune de Saint-Denis, de Paris et de l’Union européenne, notamment pour la restauration urbaine, demeure pourtant une cité où les rivalités sociales entre Réunionnais et métropolitains conservent un aspect mythique, une sorte de laboratoire des rivalités réunionnaises. En mars 2009 et de nouveau en février 2012, ce quartier à la sortie de Saint-Denis a connu des manifestations violentes accompagnées des traditionnels pillages du centre commercial qui se trouve à proximité. Dans l’esprit de la plupart des Réunionnais, en raison des souvenirs dramatiques de 1991 qu’ils ravivent [7], les mouvements sociaux ne peuvent être réussis sans colère du Chaudron, ni sans pillage du supermarché Score trônant à l’intérieur de ce quartier, qui est considéré comme un moyen efficace pour se faire entendre à Paris et effectuer des courses à moindre coût. Dans la commune du Port, le quartier Titan à dominante créole et celui de l’Oasis à grande majorité mahoraise sont au centre de règlements de comptes à la batte de base-ball ou à la barre de fer et d’humiliations permanentes. Un jour prochain, on pourrait y voir des armes à feu. Dans la commune de Saint-Louis, au sud de l’île, les populations créoles disent hésiter à sortir à pied le soir par crainte des attaques des Mahorais.

29 Cette situation doit toutefois être nuancée car l’immigration mahoraise ne bouleverse pas la structure profonde de la Réunion où la tolérance et le respect de l’autre ont été érigés en valeurs communes.

Le nouveau poids géostratégique de Mayotte et la Réunion

30 Les îles Éparses (Juan de Nova, Europa, Bassas da India), les îles Glorieuses et Tromelin, autres îles françaises de l’océan Indien, sont habitées ponctuellement par des militaires, des gendarmes et des météorologues et scientifiques qui y étudient les écosystèmes locaux et celui des tortues.

31 Alors que les Réunionnais ont pour principale référence la France métropolitaine, et avant tout Paris, tant sur le plan politique qu’économique et administratif, la population de Mayotte est géographiquement, culturellement, religieusement et en partie économiquement tournée vers les autres îles de l’archipel des Comores, et surtout Anjouan.

32 Pour Paris, depuis la fin de la guerre froide, le poids géostratégique de Mayotte et des îles Éparses s’est considérablement réduit. Située dans le canal du Mozambique, Mayotte permettait de positionner de manière permanente des forces militaires aux abords de la Tanzanie et du Mozambique – pays en guerre civile de 1976 à 1992 en raison de rivalités entre les deux blocs – d’une part, et de l’île de Madagascar d’autre part, sur laquelle Paris a toujours su développer des réseaux clientélistes. La présence d’un détachement de la Légion étrangère à Mayotte (DLEM) le prouve, en cela qu’il permet de projeter en urgence des troupes d’élite dans la partie australe du continent africain.

33 L’île de la Réunion, située en plein océan Indien, devenait quant à elle un relais adapté pour les navires de la Marine nationale française et une zone de transit pour d’éventuelles projections de forces armées vers Madagascar ou le Pacifique Sud.

34 La donne a changé durant ces deux dernières décennies. La projection de troupes dans la région australe de l’Afrique a été abandonnée en raison d’une refonte en 1994 de la politique africaine de la France, nettement plus axée désormais sur la globalité des échanges avec la totalité des pays africains francophones ou anglophones. Mayotte a ainsi perdu de son intérêt géostratégique et n’a été que peu développée malgré les promesses récurrentes de départementalisation pour assurer les Mahorais de ne jamais retomber sous le joug anjouanais. Et la concentration des forces sur la Réunion a permis de centraliser sur cette île la politique régionale de la France dans cette partie du monde.

35 En effet, la Commission de l’océan Indien (COI) qui se définit comme une organisation de coopération régionale, composée de cinq membres – la France par l’intermédiaire de la Réunion, les Seychelles, l’île Maurice, Madagascar et les Comores –, a pour objectif principal le renforcement des relations diplomatiques et politiques entre ces différents pays. L’absence de Mayotte au sein de cette commission consolide la place centrale de la Réunion dans cet espace régional.

36 De nos jours, malgré un regain d’intérêt pour l’archipel des Comores et notamment pour Mayotte en raison de la lutte contre la piraterie maritime (les pirates somaliens descendent parfois jusqu’au canal du Mozambique), l’importance stratégique française se porte majoritairement sur l’île de la Réunion. L’armée de l’air française projette ses forces aériennes depuis la base de Saint-Denis de la Réunion. La marine nationale possède son état-major également à la Réunion. Et la zone de défense et de sécurité du sud de l’océan Indien est commandée par le préfet de la Réunion qui conserve la charge de Mayotte et des Terres australes et antarctiques françaises. Signe de cette évolution, l’administrateur supérieur des TAAF – qui a rang de préfet – était installé initialement à Paris et possède depuis 2000 ses bureaux administratifs dans la commune de Saint-Pierre à la Réunion.

37 On peut, dans ce contexte, s’interroger sur les raisons de la départementalisation de Mayotte dans la mesure où son intérêt géostratégique pour la France ne semble plus vraiment exister. La départementalisation est-elle la simple conséquence d’une promesse électorale de longue date ou y a-t-il un intérêt politique ou économique pour l’État français ?

38 La découverte d’une nappe de pétrole dans le canal du Mozambique, autour de l’île Éparse de Juan de Nova, encore en prospection actuellement – cinq entreprises ont remporté le marché d’exploration de la zone –, pourrait redonner de l’intérêt à Mayotte. Si ces forages s’avèrent fructueux, l’île pourrait devenir la base française la plus proche du gisement (500 km).

39 Mayotte conquiert toutefois une importance stratégique à caractère social et économique aux yeux des populations originaires des Grands Lacs en Afrique, de la Tanzanie, du Yémen et du Qatar. Dans le but de trouver refuge hors de la région d’Afrique centrale en crise permanente, un grand nombre de candidats à l’émigration, depuis le port tanzanien de Dar-es-Salaam, ont pour horizon lointain l’île de Mayotte en passant par la Grande Comore puis Anjouan. Selon de nombreux témoignages de migrants clandestins interrogés à Mayotte et qui ont réglé environ 300 à 500 euros la traversée depuis Dar-es-Salaam, cette île est considérée comme un véritable Eldorado en marge du continent africain, comme une porte entre le tiers monde et l’Union européenne, et donc une ouverture vers la richesse et les droits de l’homme.

40 À Mayotte, une sorte de brassage ethnique s’opère quotidiennement avec l’arrivée de migrants africains et le retour de Comoriens ayant vécu en France pendant quelques années. L’influence d’un islam soutenu par les pays de la péninsule Arabique, associé à une paupérisation de la population clandestine en augmentation constante, favorise une radicalisation de l’islam. Des financements qataris viennent au secours d’un tourisme hésitant dans le sud de l’île par manque de clients et de mise en valeur du littoral. De même, on voit à Mayotte de plus en plus de madrassas et d’enfants fréquentant ce type d’écoles coraniques, parfois islamistes, même si encore aucun chiffre officiel ne peut quantifier ce phénomène. La conséquence directe de cette évolution est l’émergence d’un certain discours antifrançais, anti-M’zungu et plus globalement anti-occidental dans les villages clandestins dénommés « Dubaï », preuve de l’arabisation de la culture locale à Majikavo-Koropa ou à Koungou et Kawéni.

41 À la fin du mois de janvier 2012, une délégation qatarie est venue à Mayotte rencontrer les représentants politiques de l’île pour établir une stratégie d’investissement économique. Leurs objectifs économiques s’orientent essentiellement sur les constructions de logements sociaux en finançant la SPL976 – société publique créée par le conseil général pour développer, en plus des logements sociaux, les infrastructures publiques de l’île – mais aussi en finançant des projets touristiques ou éducatifs (création de madrassas). Il se pourrait que les îles de Mayotte et la Réunion servent de zone de repli pour des branches de mouvements islamiques radicaux désireux de se mettre à l’abri pendant un certain temps.

Notes

  • [1]
    Master de géopolitique, IFG Paris-VIII.
  • [2]
    Master de géopolitique, IFG Paris-VIII.
  • [3]
    L’article premier de la Constitution comorienne atteste que l’Union des Comores est une république composée des quatre îles de l’archipel.
  • [4]
    « Les départs de kwassas bien garnis de conserves (boîtes de sardines, lait, vermicelles, etc.) et d’autres aliments (bananes, manioc, ailes de poulets...) d’antan interdits d’entrée à Mayotte s’observent sur toute Anjouan, surtout dans la région de Domoni et du Nyumakele, points les plus proches de Maore, qui abritent l’essentiel des “ports” pour les départs clandestins », Al-watwan, n°1842 du 25 octobre 2011, p. 5.
  • [5]
    Les Mahorais et les Comoriens, regroupés sous le vocable local de « Mahorais », sont vus comme la source de la délinquance croissante sur l’île de la Réunion. La délinquance (surtout des vols à la tire) est souvent pratiquée par les jeunes Mahorais sans parents.
  • [6]
    « Comores Dehors » en créole phonétique. Ce message s’adresse cependant plus aux Mahorais qu’aux Comoriens.
  • [7]
    Des émeutes violentes avaient eu lieu au Chaudron.
Français

La crise actuelle de la « vie chère » sur l’île de la Réunion est la répercussion de la même crise qui a éclaté en octobre 2011 sur l’île de Mayotte pendant plus de six semaines à la suite des mouvements antillais de 2009.
Au-delà des représentations trop manichéennes, et dont il faut se garder, entre Français métropolitains, Comoriens de différentes îles, donc aux cultures, alliances passées et histoires distinctes, Mahorais et populations asiatiques ou arabes, les géopolitiques mahoraise et réunionnaise se font face et s’enchevêtrent de plus en plus. Les migrations officielles et clandestines entre le continent africain, les Comores, Mayotte et la Réunion portent en elles les germes de rivalités communautaristes croissantes au cœur même d’un Eldorado social et économique.
La grande pauvreté des migrants est bien évidemment la cause profonde de ces mouvements de population que des entités politiques ou religieuses peuvent être amenées à utiliser pour développer leur niveau de puissance locale ou régionale à l’approche de rendez-vous électoraux majeurs.

  • Al-watwan (2011), « Ndzuwani-Maore : des kwasas en toute “légalité” », n°1842 du 25 octobre, p. 5.
  • FASQUEL J. (1991), Mayotte, les Comores et la France, L’Harmattan, Paris, 159 pages.
  • INSEE Mayotte (2010), Tableau économique de Mayotte.
  • MARTINEZ P.-F. (2001), Géopolitique de la Réunion, tomes 1 et 2, Océan Éditions, Saint-Denis de la Réunion.
  • MOREAU S. (2011), « Mayotte au moment de la départementalisation : l’enjeu géopolitique du droit des étrangers », mémoire de master 1, Institut français de géopolitique, Paris-VIII.
  • TRANNOIS E. (2011), « Quand les Mahorais font leurs courses à Anjouan », Malango actualité, 27 octobre.
  • SITOGRAPHIE
  • Site de la présidence de l’Union des Comores, http://www.beit-salam.km/
  • Site du ministère français des Affaires étrangères, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/comores/
Sophie Moreau [1]
  • [1]
    Master de géopolitique, IFG Paris-VIII.
Aurélien Marszek [2]
  • [2]
    Master de géopolitique, IFG Paris-VIII.
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 24/07/2012
https://doi.org/10.3917/her.145.0150
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