CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dominique Wolton – Depuis quand l’APF (Assemblée parlementaire de la Francophonie) existe-t-elle ? Ses aspects positifs ? Ses limites ? Les facteurs d’évolution récents ?

2Jacques Legendre – L’APF a été fondée sous le nom d’AIPLF (Association internationale des parlementaires de langue française) en 1967. Elle s’appelle maintenant Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), ce qui montre bien son évolution. Au départ, il s’agissait d’une simple initiative de parlementaires francophones agissant isolément, alors qu’il s’agit maintenant de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, reconnue comme telle par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). On mesure donc la distance parcourue depuis trente ans.

3Ses limites tiennent simplement au fait que les parlements francophones sont des structures disposant de moyens tout à fait différents des parlements du Nord et des parlements du Sud, certains avec des moyens de communication et d’action importants et d’autres très représentatifs d’États récents où la démocratie a parfois du mal à s’affirmer.

4D.W. – La fin de l’affrontement Est-Ouest, l’apparition d’un monde multipolaire, la mondialisation économique ont-elles un impact sur l’orientation et les travaux de l’APF ?

5J.-L. – La fin de l’affrontement Est-Ouest a tout d’abord permis d’entrer en contact avec des pays d’Europe de l’Est dans lesquels la Francophonie était réellement existante et qui pouvaient difficilement appartenir à une assemblée internationale francophone auparavant. Je citerais bien évidemment la Roumanie où la Francophonie est enracinée et ancienne et qui a toute sa place dans notre assemblée parlementaire, je pense aussi à la Moldavie qui était une république fédérée de l’URSS jusqu’à une époque récente. Pensons également à la présence à titre d’observateurs de l’Albanie, de la Lituanie, de la Pologne et de la Bulgarie. Tous ces pays d’Europe centrale ont tenu à nous rejoindre et ils apportent évidemment leur concours et en même temps une problématique particulière au sein de l’Assemblée. Et puis ce monde multipolaire fait que nous comprenons aussi de nombreux pays du Sud, pays d’Afrique, pays d’Asie et qu’ainsi, à travers l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, nous rencontrons à la fois les problèmes qui préoccupent les Européens, ceux des pays du Nord, mais aussi ceux des pays du Sud. Le dialogue Nord-Sud et le dialogue Est-Ouest trouvent leur place au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie.

6D.W. – L’évolution de la Francophonie, de la langue à la culture, à la politique, à l’économie modifie-t-elle les analyses et le rôle de l’APF ?

7J.-L. – Je crois que nous sommes amenés maintenant à nous pencher sur des problèmes beaucoup plus généraux. À l’origine, c’était une assemblée de parlementaires amoureux de la langue française et désireux de se battre pour le rôle international du français en partage. C’est maintenant une Assemblée parlementaire qui milite aussi pour le respect des droits de l’homme dans les pays de la Francophonie, pour une juste mise en pratique de la démocratie parlementaire. Et comme nous savons bien aussi que la liberté politique ne va pas sans le développement et sans plus de justice sociale et de développement économique, nous sommes évidemment amenés de plein pied à nous poser tous ces problèmes.

8D.W. – Les principaux choix auxquels est confronté l’APF ?

9J.-L. – L’APF se doit de ne pas oublier ses préoccupations de base qui étaient effectivement l’usage du français à travers le monde et comme cet usage est parfois remis en cause dans les organisations internationales, il faut que nous nous battions. Ceci nous amène à beaucoup nous préoccuper des questions d’éducation. Il n’y a pas de développement s’il n’y a pas un système éducatif efficace et nous nous intéressons à cela, mais en le reliant au débat mondial sur le développement de la démocratie et sur les rapports entre pays démocratiques et pays où se posent actuellement de nombreux problèmes de mise en cause des droits de l’homme. Il nous faut ne pas oublier l’origine de nos préoccupations, mais répondre aussi à nos attentes et le faire sans hypocrisie. L’APF ne peut pas être simplement l’expression des problèmes vus par les pays du Nord. Il faut que les pays du Sud y trouvent attention et moyen d’expression.

10D.W. – Que faire pour rendre plus visible le rôle de l’APF, de l’AIMF (Association internationale des maires francophones) et plus généralement de toutes les instances représentatives du fonctionnement démocratique au sein de la Francophonie ?

11J.-L. – Je me permettrais de ne pas mettre tout a fait sur le même plan l’APF et l’AIMF puisque nous sommes – ça, nous y tenons beaucoup – d’abord et avant tout le volet parlementaire de l’Organisation internationale de la Francophonie. Nous sommes une assemblée parlementaire consultative. À ce titre, nous tenons à ce que les chefs d’État et de gouvernement nous soumettent les grands thèmes sur lesquels ils veulent débattre et acceptent que nous leur donnions notre sentiment et éventuellement des amendements à telle ou telle proposition débattue lors des Sommets des chefs d’État et de gouvernement. Bien évidemment nous le faisons à titre consultatif. Ce rôle a été reconnu à Hanoi lors de la mise en place des actuelles structures de la Francophonie.

12Mais à côté de ce rôle d’assemblée parlementaire, nous sommes aussi un opérateur de la Francophonie, c’est-à-dire que nous pouvons intervenir pour développer par exemple l’ingénierie démocratique. La démocratie parlementaire passe par une certaine organisation des parlements, par la capacité pour les parlementaires à recevoir toutes informations leur permettant de prendre leurs décisions sans être tributaires de leur gouvernement. C’est ainsi que nous avons mis en œuvre, de 1992 à 2002, le programme Pardoc d’appui à la mise en place et à l’organisation de services documentaires au sein des parlements du Sud. Aujourd’hui nous pilotons le projet Noria, fondé sur l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, qui a pour vocation essentielle d’améliorer la chaîne de l’information parlementaire en outillant et en formant les services de parlements francophones d’Afrique, afin de les aider à mieux produire, traiter, diffuser, recueillir et conserver les informations, en particulier celles à caractère législatif. Il consiste également à consolider la présence de l’information parlementaire francophone et l’amélioration de sa diffusion, dans les parlements de pays où l’usage du français est modéré, mais demeure un enjeu important. Ceci, nous le faisons également avec ardeur.

13D.W. – Quel est l’intérêt des pouvoirs publics et des institutions françaises à l’égard de l’APF ? Y a-t-il un changement ? Pourquoi ?

14J.-L. – Les pouvoirs publics français s’intéressent à la Francophonie et à l’APF et en tous cas lui consacre des moyens relativement importants. Les principaux bailleurs de fonds de la Francophonie et de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie sont bien clairement les institutions françaises dans des proportions qui peuvent atteindre 70 à 80 % parfois de la dépense. Cet effort ne se ralentit pas et je tiens à saluer en particulier l’effort de l’Assemblée nationale et du Sénat français qui contribuent largement au financement et à la vie de l’APF avec également le soutien d’autres parlements du Nord comme par exemple celui du Québec, celui du Canada, celui de la Communauté française de Belgique et également, plus récemment, le Parlement suisse. Vous avez donc parmi les parlements du Nord une véritable mobilisation. Y a-t-il un changement ? Je pense que l’effort que nous avons fait pour être présents auprès de nombreuses institutions internationales pour agir en liaison parfois avec le Conseil de l’Europe, avec l’Unesco, voire avec les organisations spécialisées de l’ONU, est maintenant reconnu et contribue ainsi à faire considérer que l’APF est un peu la vigie démocratique de la Francophonie, mais il arrive que nous devions encore nous battre pour persuader certains de nos diplomates que nous ne sommes pas de dangereux amateurs ou des empêcheurs de « francophoniser » en rond.

15L’APF, avec d’autres associations de la Francophonie et aussi avec des ONG, et pas seulement francophones, participe à la diplomatie parlementaire, à des missions d’information, à des missions qui ont pour but de faire avancer la cause de la démocratie, le respect de l’État de droit. Il faut dire aussi que nous avons pris à bras le corps l’ensemble des problèmes pour lesquels nous voulons faire avancer les choses en combattant certains fléaux : lutte contre les mines antipersonnelles, lutte contre le recours aux enfants soldats, lutte également pour la mobilisation de nos parlementaires en faveur d’une pression sur les gouvernements pour une lutte aussi efficace que possible contre le VIH/Sida. Nous avons aussi mis en place le Réseau des femmes parlementaires de la Francophonie.

16Par ailleurs en association avec l’OIF, nous participons à des missions d’observations électorales. Cela fait partie des exercices pratiques auxquels nous nous livrons parce que nous avons une expertise dans ce domaine.

17D.W. – Y a-t-il une coopération de l’APF avec les autres instances internationales, les ONG, et en Europe les PTOM (Pays et territoires d’outre-mer) ? et les pays ACP (Asie, Caraïbe, Pacifique) ?

18J.-L. – La porte de l’APF est grande ouverte aux parlementaires des pays et territoires d’Outre-mer. Certains y prennent toute leur place, à l’exemple de Saint-Pierre et Miquelon dans la zone Amérique ou de la Nouvelle-Calédonie dans le Pacifique. Je crois qu’il y a encore à développer ce rôle, c’est pour ça que depuis plusieurs années la délégation française a invité l’APF à tenir ses Bureaux à la Réunion, à la Martinique, et cette année en Guyane. C’est une façon de prendre des contacts. Nous nous sommes réunis cette année à Cayenne, et de là nous avions évidemment une pensée pour Haïti où nous sentions bien que les problèmes s’amorçaient. Il n’est donc pas étonnant que nous ayons très vite répondu à l’appel de M. Abdou Diouf pour envoyer des parlementaires participer à une mission de la Francophonie en Haïti. En ce qui concerne les pays ACP, beaucoup d’entre eux – tous les pays francophones démocratiques – sont membres de notre Assemblée parlementaire. Je dois rappeler quand-même – je ne l’ai peut-être pas dit assez vite – que nous n’acceptons au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie que des parlements réellement élus dans le respect des normes constitutionnelles de leur État et d’une manière qui soit éventuellement internationalement contrôlée, afin de montrer que pour nous, un pays non véritablement démocratique n’a pas sa place au sein de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie et nous n’hésitons pas à procéder à des suspensions.

19D.W. – Quelles actions spécifiques auprès des jeunes ? La perception de l’APF n’est-elle pas trop institutionnelle ?

20J.-L. – Nous avons tenu à créer un Parlement des jeunes de la Francophonie. Nous avons été mandatés pour cela par le Sommet des chefs d’État et de gouvernement. Ce Parlement des jeunes est composé d’un garçon et d’une fille choisis par chacun des parlements membres de l’Assemblée parlementaire et de l’Organisation de la Francophonie. Nous leur laissons une grande liberté de réflexion et d’expression et nous leur donnons la possibilité d’apporter leur propre éclairage sur certains problèmes qui sont inscrits à l’ordre du jour du Sommet de la Francophonie. Nous les réunissons tous les deux ans. Nous considérons également que le fait d’avoir été réunis une fois dans un pays de la Francophonie pour débattre avec le parlement adulte n’est pas suffisant et qu’ils doivent rester mobilisés après. Il y a déjà eu deux Parlements des jeunes de la Francophonie. Nous gardons des contacts avec les membres de ces deux parlements et nous veillons à ce qu’ils puissent participer à d’autres rassemblements et réunions de jeunes de manière à promouvoir une certaine conscience de ce qu’est la solidarité francophone sur l’ensemble de la planète.

21Par ailleurs, nous aidons certains de nos parlements membres à réunir, lorsqu’ils existent déjà, ou à créer, lorsqu’ils n’existent pas, des parlements nationaux de jeunes. Il faut souligner que beaucoup de parlements sont dotés actuellement de parlements des jeunes, c’est le cas du parlement français, mais c’est le cas de beaucoup d’autres parlements francophones et nous veillons aux liens entre Parlement des jeunes de la Francophonie et les parlements de jeunes qui ont été créés ici ou là.

22Enfin, nous sommes associés à la mise en place des Jeux de la Francophonie qui mobilisent dans le monde sportif et culturel de nombreux jeunes. Nous serons présents à Niamey en 2005 pour remettre le prix du Parlement de la Francophonie qui viendra récompenser certains sportifs ou artistes francophones.

23Alors l’APF est-elle trop institutionnelle ? C’est évidemment une institution mais nous voulons sortir du cadre institutionnel en rencontrant des ONG ou des associations. Par exemple, je me suis exprimé au nom de l’APF, à la réunion mondiale des professeurs de français qui s’est tenue récemment à Atlanta aux États-Unis. Nous rencontrons des universitaires, des étudiants, de manière à ce que le dialogue avec tous ces milieux qui sont sensibles à la Francophonie puisse être réel et permanent. Il ne s’agit pas de vivre en cercle fermé dans les institutions de la Francophonie, il s’agit d’en sortir et de faire en sorte que notre Francophonie soit une Francophonie de grand vent.

24D.W. – Pourquoi la Francophonie intéresse-t-elle si peu en France ?

25J.-L. – Il y a une espèce de maladie qui frappe certaines élites en France et qui leur fait penser que l’usage de leur langue au niveau international est un problème dépassé ou ringard qui les contaminerait et les dévaloriserait. Nous voulons absolument lutter contre cette tendance et, quand il y a lieu, nous réagissons assez brutalement. C’est ce que nous avons fait en quittant une séance de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe où le Président de la Banque centrale européenne, ancien gouverneur de la Banque de France, avait choisi de s’exprimer exclusivement en anglais devant une assemblée dont le français est l’une des deux langues officielles. C’est une maladie grave qu’il convient de combattre activement.

26D.W. – Une idée d’action la plus inventive ? La plus utopique ?

27J.-L. – Il faut changer l’image que nous avons eue jusqu’ici de la Francophonie. Il n’y a pas des pays francophones et des pays qui ne le sont pas. Il y a dans tous les pays du monde des gens qui parlent français, qui s’intéressent à ce qui se passe dans les endroits où on parle français, qui s’intéressent à la langue et aux cultures francophones. Ce que je souhaite personnellement, c’est que la Francophonie s’affiche comme mondiale et qu’elle sorte de ses frontières supposées. La Francophonie, c’est un réseau mondial. Il y a dans ce réseau des nœuds plus ou moins importants et des endroits très forts, très majoritairement francophones, d’autres où la francophonie peut apparaître comme plus limitée, mais ce qui est notre grande chance, c’est l’extrême diversité de la Francophonie. Cela justifie notre engagement dans la défense de la diversité culturelle. Parce qu’il faut que la langue française soit aimée et respectée, nous avons appris à respecter et à aimer les autres langues. C’est donc toute une philosophie qui apparaît à travers cela. Je souhaite qu’un jour tous les parlementaires francophones du monde puissent, sinon se donner la main, du moins dialoguer à l’aide des moyens les plus modernes pour échanger ensemble en français sur les problèmes de la planète et sur l’avenir du monde.

Jacques Legendre
Jacques Legendre, secrétaire général parlementaire de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie, Paris.
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/11/2013
https://doi.org/10.4267/2042/9558
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